5 novembre 2015 au 11 février 2016. Terreur à Paris. EPR de Flamanville. 16243
Poster un commentaire

Nom: 
Email: 
URL: 
Commentaires: 
Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

5 11 2015

Au Brésil, au nord de Rio de Janeiro, le barrage de Fundao, – Benito Rodriguez – sur le Rio Dolce, se rompt ;  il retenait 56.6 millions de m³ de boues d’extraction d’une mine de fer voisine, exploité par la Samarco. Ces boues provoquent le débordement d’un autre barrage en aval. Trois villages sont emportés, 19 personnes sont tuées, les poissons asphyxiés, chevaux, vaches, cochons, volaille, voitures, et la faune.  Les 101 affluents du Rio Dolce jusqu’à son embouchure sur l’Atlantique, 650 km à l’est, sont contaminées. À l’embouchure même, où les boues arrivent quinze jours plus tard, la pêche est interdite. Les victimes vont être faiblement indemnisées, mais elles ne se révolteront pas, la Samarco étant le principal employeur de la région et le seul à même de laisser espérer un jour un retour au niveau d’emploi antérieur à la catastrophe. Le Rio Dolce, c’est précisément la rivière au bord de laquelle Sebastião Salgado a hérité d’une ferme de 750 ha d’où avait disparu la forêt primaire et qu’il a entrepris de reboiser, par le biais des ONG crées à cet effet, et de l’UNESCO, qui a préservé le site : plus de 10 millions d’arbres ont déjà été replantés, de 300 espèces différentes.

Nous avons démarré dans notre vallée du Rio Dolce un projet de récupération des sources, baptisé Olhos d’Agua  (les yeux de l’eau) Pour rendre vie à une source, il faut planter des arbres, clôturer, protéger… Au bout de deux à trois ans, l’eau commence à revenir. La calcul est simple: on a environ 370 000 sources à récupérer, et on plante en moyenne 500 arbres par source. Notre ambition est donc de planter 200 millions d’arbres dans les trente prochaines années.

13 11 2015

Terreur à Paris : 131 morts, 351 blessés. L’engagement tous azimuts de la France dans la lutte contre Daech lui vaut d’être la cible de ses kamikazes. Cette fois-ci, pas de cible précise… on tue en aveugle des anonymes … au Bataclan, en terrasse, là où il y a du monde. Du sang et des larmes disait Churchill à ses concitoyens… et c’est bien notre lot… qui le restera tant que n’auront pas été réduits à l’impuissance ces barbares. On ne peut cependant taire le fait qu’il y avait dans le quartier 8 militaires armés dans le cadre de l’opération Sentinelle et que ce sont les conversations radio des policiers qui révéleront que la Police avait refusé de leur donner l’ordre d’intervenir. À l’exception notoire de quatre policiers de la BAC 75 N de Créteil à 21 h 59′, quand la fusillade avait commencé 3′ plus tôt ; ils se verront dans un premier temps interdire l’accès à la salle de spectacle, interdiction qui sera levée ; ils tueront un terroriste et aideront plusieurs otages sortant par une porte de service à fuir en arrêtant les voitures :

Nous avons commencé à aller chercher les victimes sans savoir où se trouvaient les terroristes. Nous sommes donc intervenus sans être protégés. (…) Nous étions obligés d’enjamber ou de déplacer des personnes décédées. Il y avait également des personnes dont nous savions très bien qu’elles étaient blessées sérieusement mais qu’il fallait que l’on extraie quand même, sans pouvoir utiliser les gestes de secours habituels pour le transport des victimes. Nous les avons tirées comme on pouvait. […] Les lumières étaient allumées et elles éclairaient toute la salle de spectacle. J’ai pu apercevoir des dizaines de personnes sans vie, atrocement mutilées par les balles. D’autres qui levaient les bras et réclamaient de l’aide, certaines appelaient au secours. Des téléphones portables au sol s’allumaient. J’ai senti une odeur de sang et de poudre mêlés. (…) Mes chaussures glissaient sur le sang et je devais éviter de marcher sur les chairs humaines qui gisaient au sol. 

Alain Giraud, brigadier

Ensuite, il faudra près de trois heures entre les premiers tirs terroristes, et l’entrée des forces de l’ordre à l’intérieur du Bataclan ! Trois heures !…  Près de trois ans plus tard, les familles des victimes ne se satisferont pas de ces incohérences criminogènes et porteront plainte contre l’État pour non assistance à personne en danger, puisqu’il ne suffit pas de clamer tous ensemble contre le terrorisme et de laisser le cloisonnement et les querelles intestines en place. Mais ils seront déboutés, les juges estimant que les militaires n’étaient là que pour jouer les pots de fleur.

Mais n’allons pas croire pour autant que l’on aille vers l’Union Sacrée et que les amis de mes ennemis soient mes ennemis ;  la réalpolitik garde tous ses droits : la France traite avec entrain avec l’Arabie Saoudite, avec le Qatar, pour leur vendre des avions, des frégates, quand ces deux pays ont tous deux très largement contribué à la création et à la puissance de Daech, en lui achetant hors marché officiel le pétrole qu’elle a volé [les convois de camions transportant du brut volé n’étaient pas bombardés, car ils étaient en livraison pour les compagnies occidentales], en suscitant un ennemi à Bachar el-Assad, qu’il convenait d’éliminer dès lors qu’il s’était montré favorable à la construction d’un oléoduc Iran-Méditerranée qui viendrait briser le monopole du marché du pétrole que détenaient jusqu’alors l’Arabie Saoudite et le Qatar dans la région.

Oui, on n’aura de cesse de le répéter : Daech a été financé par les grands groupes pétroliers occidentaux, qui lui ont acheté le pétrole volé à l’Irak [1]. Ce pétrole était mélangé au pétrole de contrebande turc et acheminé jusqu’au port turc de Dörtyol (36°51′ N, 36°13′ E), et là, vendu à des traders suisses. Qui – qu’elle soit personne physique, morale, ou institution – a osé traduire en justice ces compagnies pour intelligence avec l’ennemi ou crime de haute trahison ? Une mission parlementaire française a été missionnée en 2016 : RIEN qui puisse mentionner ce trafic ne figurera sur son rapport. Un sommet dans l’hypocrisie entre l’ensemble des discours officiels qui rivalisent de sévérité dans la condamnation et la realpolitik qui s’accommode de tout, mentant effrontément sur la soi-disant impossible identité à connaître de ces acheteurs.

Les enquêtes révéleront que la tête de ces attentats en Europe était le djihadiste belgo-marocain Oussama Atar, chef de l’Amn al-Kharji, la branche de l’ Amnivat – le service de renseignement de l’État islamique – chargée de mener les opérations terroristes en dehors des territoires contrôlés par l’État islamique. Il est chargé de la supervision des attentats du 13 novembre 2015 en France. Basé à Raqqa, il sélectionnera, formera, financera et projettera les commandos terroristes vers Bruxelles, base arrière opérationnelle qui doit servir à frapper l’Europe. Il supervisera les attaques de près. Quelques mois plus tard, l’Amn al-Kharji est également impliqué dans les attentats du 22 mars à Bruxelles.  Tué en novembre 2017 par un drone américain en Syrie.

Wikipedia

Et puis, comme toute médaille est dotée de deux faces, il faut de même bien noter que 17 millions de téléspectateurs français regarderont dans les jours suivants les Anglais chanter La Marseillaise à Wembley. Une grande bascule qui fait que le et merde pour la reine d’Angleterre qui nous a déclaré la guerre passe dans la grande trappe de l’oubli… et ça, c’est très bien… pour les 17 millions de Français qu’ont réconforté cette scène… mais les représentants de ces Français, leurs députés, quatre jours après ces drames, retrouveront leurs indécrottables réflexes de vieux cons à l’Assemblée Nationale : invectives, provocations, sifflets : toute la panoplie du voyou bien dans sa peau, à croire qu’ils n’ont pas d’oreille pour entendre les déflagrations, pas d’yeux pour voir l’horreur, mais seulement une grande gueule, ouverte 24 h/24. Quand donc se comblera le fossé entre le peuple et ses élus, entre la dignité et la grossièreté, entre la politesse des uns et la vulgarité des autres… quand donc nos représentants cesseront ils d’être méprisables pour devenir estimables ? C’est bien toujours la même caste qui se reproduit, les bofs machos gonflés de leur suffisance, ceux qui ont couvert d’insultes Simone Weil, Edith Cresson et tant d’autres…

Il est encore une variété d’individus dont on ne sait pas très bien s’ils sont des malades mentaux ou seulement des profiteurs d’un cynisme éhonté : la vingtaine de personnes qui voulurent se faire passer pour des victimes, ou au moins pour des proches d’une victime, sans qu’il y ait une goutte de vérité là-dedans, les plus souvent appâtés par le gain, car l’État remettra tout de même 25 000 € à chaque victime. Démasquée en 2018, Florence M. sera condamnée à quatre ans et demi de prison.

Fin 2024 sortira sur les écrans Une amie dévouée, de Juste Philippot avec Laure Calamy dans le rôle titre.

Attentats de Paris : une fausse victime du Bataclan ...

Revoir Paris, un film d’Alice Winocour, librement inspiré de cet attentat, sortira en septembre 2022 avec Virginie Eifira et Benoît Magimel : scénario centré sur la reconstitution mémorielle du drame par l’une des victimes : une magistrale réussite, tant par le jeu des acteurs, que par les photos, la rigueur du scénario.

[…] Dans le fond, ces femmes et ces hommes, tombés sans arme et sans uniforme, qu’étaient-ils, sinon des fantassins d’une espèce à part ? À partager un verre, un plat ou un concert, ils émargeaient à une pacifique armée que ne pouvaient qu’abhorrer leurs assassins. Ils étaient pioupious de la liesse, sentinelles du vivre-ensemble, artificiers de l’amitié, balançant encore leurs salves de rires, juste avant le drame. Ces femmes, ces hommes étaient des combattants du petit bonheur, pour reprendre un titre d’Alphonse Boudard. Ils ont été tués pour cela, pour leur joie de vivre, par ceux qui n’avaient que celle de mourir.

Ils ont été abattus à une terrasse de bistrot, dans une salle de spectacle ou aux abords d’un stade. Autant de fronts, autant de champs d’honneur des temps modernes. Là, cette admirable piétaille se battait pour le droit à l’insouciance. Et ce n’est pas rien que l’insouciance. Ils défendaient pied à pied l’optimisme. Ils sont morts pour cette noble cause, car c’est la plus noble des causes que l’optimisme. Aujourd’hui comme hier. Aujourd’hui plus qu’hier.

Ils sont ainsi partis dans un sourire. Quand Le Monde a voulu leur rendre hommage, les familles et amis ont accepté d’envoyer des photos des disparus, tels qu’ils voulaient qu’ils demeurent. Tous, tous sans exception, ont choisi de les montrer ainsi, rayonnants de lumière. Tous, tous sans exception ont décrit des hommes et des femmes gorgés de vitalité. Les assassins ne sont donc pas parvenus à effacer ce pétillement des esprits. C’est une de leurs défaites.

Sans le savoir, sans le vouloir, sans qu’on leur demande – c’est le lot du soldat –, les victimes du 13  novembre sont devenues les porte-drapeaux d’une culture, d’un art de vivre. Qu’elle a raison, mille fois raison, Danielle, dont la vidéo a tant tourné et réchauffé les cœurs ! Cette vieille dame, le port de tête haut comme à une revue militaire, recommandait de lire Paris est une fête, d’Ernest Hemingway, comme un acte de résistance à la barbarie. […]

Benoît Hopquin. Le Monde du 1 décembre 2015

La banlieue a disparu de l’espace du débat public, mais elle est plus que jamais au cœur de l’espace territorial français. Les émeutes de 2005 devaient avoir en principe pour conséquence de faire entrer dans le champ politique ce que l’on a appelé les élus de la diversité, pour qu’ils intègrent les partis et les rajeunissent, et fassent que les photographies de l’Assemblée nationale et de l’équipe nationale de football soient sinon superposables, en tout cas, moins opposables. En fait, ça n’a pas été une réussite. Il y a au niveau municipal des élus de la diversité en nombre mais ça n’a pas permis de réintroduire les quartiers ou les communes marginalisées dans l’espace public. Les clivages sont plus forts encore qu’il y a dix ans. Au Mirail, à Toulouse, l’imam de la mosquée que fréquentait notamment Mohammed Merah s’inquiétait récemment […] que les Blancs désormais quittent en masse le quartier du fait du grand nombre d’incivilités qui y sont commises.

Au Mirail, par exemple, l’influence politique, sociale et morale de l’imam de la mosquée principale – un préfabriqué au demeurant –  est beaucoup plus déterminante que celle des élus de la diversité. Or, Toulouse, ce n’est pas rien, c’est la ville de Merah et une région emblématique d’exportation du djihadisme français vers la Syrie et l’Irak. L’autre commune que l’on pourrait citer, c’est Trappes. Début juillet 2015, 83 trappistes étaient partis faire le djihad. Il y a 15 ans, c’était la commune exemplaire de processus d’insertion sociale réussie avec les figures de Nicolas Anelka, Omar Sy et Jamel Debbouze. Entre-temps, l’année dernière, Trappes a été le lieu d’émeutes, suite à la verbalisation d’une Antillaise convertie qui portait le niqab sur la voie publique. On voit là la persistance des problèmes de marginalisation et aussi l’usage de plus en plus fréquent d’un répertoire religieux qui tend à se substituer au répertoire politique. Cela marche d’ailleurs dans les deux sens : certains élus pensent que la religion est le vecteur d’une paix sociale, hautement inaccessible du fait du chômage massif et de la perte de confiance dans le récit républicain. Démonstration assez frappante en Seine-Saint-Denis, aux élections municipales de 2014, avec une association comme l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93) qui s’est construite comme un lobby religieux auprès des différents candidats, négociant son soutien en fonction d’un certain nombre de critères.

La question religieuse avait été posée. En 2005, on était en pleine invasion de l’Irak. On a oublié que le vrai déclencheur des émeutes n’était pas la mort des deux adolescents. Deux ou trois jours de désordres avaient été calmés, notamment par les grands frères. Trois jours après, des CRS caillassés tandis qu’ils étaient en patrouille de nuit ont tiré des grenades lacrymogènes devant la mosquée Bilal à Saint-Denis. Or, on était en plein ramadan. Le récit de cet événement a été construit, pas dans les grands médias mais localement par un certain nombre d’acteurs des émeutes, comme le gazage de la mosquée Bilal. C’est de là que s’est établi le bouche à oreille de l’idée que l’État français, avec ses forces de répression, persécutait des musulmans en prière. Cela dit, la question sociale et politique était très importante, bien sûr. Je considère que 2005, c’est le remake du raté de la marche des beurs. En 1983, des enfants de l’immigration franco-algérienne partent des quartiers Nord de Marseille, passent à Lyon, montent à Roubaix et viennent présenter leurs doléances à l’Élysée. Le locataire de l’Élysée est alors François Mitterrand, ancien ministre de l’Intérieur au moment de la guerre d’Algérie, qui avait déclaré : Avec le FLN, la seule négociation, c’est la guerre. Pour ce même François Mitterrand, en 1983, la formule s’est déplacée : Avec les enfants du FLN, la seule négociation, c’est la ruse. Il ne les a pas fait entrer dans le système politique alors que c’était leur demande, et a dilué leurs revendications dans SOS Racisme et les concerts : le mouvement a été folklorisé. Une partie des marcheurs est alors allée vers le religieux et une autre dans la toxicomanie. À mon sens, 1983-2005, ce sont 22 années de perdues.

2005 est bien la rémanence de 1983 mais avec une ethnogénération beaucoup plus nombreuse car en 1983, il y avait, en proportion, bien moins de jeunes issus de l’immigration postcoloniale. On a vu resurgir une revendication politique et sociale à partir d’un sentiment de victimisation et de persécution – d’où la dimension du mouvement. Des associations comme ACLEFEU (Assez-le-feu) ont relayé cette revendication politique, ce qui a donné dans un premier temps des inscriptions massives sur les listes électorales, puis des votes massifs des quartiers pour Ségolène Royal. À partir de l’échec de leur candidate, c’est fini, l’abstention aux législatives suivantes est un fait majeur du moment. Au fur et à mesure que le désenchantement progresse, le sentiment religieux s’y substitue et va même incorporer le politique. En 10 ans, ce phénomène a continué à progresser chez beaucoup de ces jeunes devenus les plus emblématiques.

Le plan Borloo et la politique de rénovation urbaine massive ont rénové les habitats sordides, mais la feuille de vigne du béton cache la nudité de l’absence de travail. Le problème majeur, c’est la très grande difficulté de la jeunesse en général, et celle-ci en particulier – en raison du déficit scolaire, du délit de faciès et de la discrimination sur l’adresse -, de trouver un emploi légal qui assure ascension sociale et participation politique. La marginalisation progresse, en dépit de tout. À partir de l’affaire Merah, qui coïncide avec la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, des attitudes clivantes sont, de fait, renforcées dans la société pour deux raisons. 2005, c’est le début de la troisième génération de l’islam de France. Ce sont eux, les enfants des darons (les anciens travailleurs immigrés), qui vont être les plus visibles et parmi lesquels, pour certains, se développe une revendication de type salafiste, très faible autrefois. D’autre part, la stratégie de l’islamisme international, désormais mêlé à la vie quotidienne par les réseaux sociaux, a changé : le djihadisme international cible prioritairement la jeunesse européenne et favorise des mouvements radicaux qui agissent à partir du bas dans les quartiers – contrairement à la stratégie d’Al-Qaïda qui envoyait depuis l’étranger 19 personnes sur une cible, en exécution d’ordres venus d’en haut. Ces jeunes agissent dans leur environnement comme les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly. Une revendication de type conflit du travail peut se traduire, dans le langage des réseaux sociaux de Daech, par une tête coupée, une attaque contre une usine de type Seveso et l’exhibition d’images insoutenables sur les réseaux sociaux. C’est très préoccupant pour toutes les politiques d’intégration mises en œuvre. Ça prend en otages des populations entières et, par effet de contamination, ne peut que favoriser la croissance du FN, déjà premier parti de France depuis les dernières élections européennes. La rénovation des banlieues a eu un effet sur les quartiers. Ils ont changé complètement d’aspect pour la plupart mais, effet pervers, les efforts et les transferts sociaux en faveur de l’immigration postcoloniale des banlieues ont été perçus par les populations périurbaines, majoritairement européennes ou venues de l’exode rural, comme une injustice dans la mesure où celles-ci payent des impôts mais ne bénéficient pas de tels transferts. Le vote FN en découle pour une large part.

Le pari d’ACLEFEU a été de traduire politiquement la revendication légitime des quartiers. S’ils ont eu beaucoup de mal à réenchanter le politique, c’est parce que les ressources sont faibles : seuls des postes d’employés municipaux leur ont été proposés. On se heurte toujours à l’absence massive d’emplois dans les quartiers populaires, qui nourrit des ruptures en termes de valeurs culturelles. Si le sentiment, c’est que l’école dans les quartiers défavorisés mène au chômage, à quoi bon l’école ? Cela conduit à des exils extérieurs, hors de France, ou s’incarne dans un exil intérieur qui est celui du salafisme, d’une manière générale. Certains jeunes se cramponnent à la dimension littérale de la prédication comme modèle totalement opposé à un modèle déficient, car il ne propose pas d’emploi, et d’autres partent dans la dérive djihadiste. Cette jeune génération construit une projection d’elle-même dans laquelle l’identité religieuse est importante, à travers des réseaux sociaux et des groupes de pairs qui ne se retrouvent pas forcément à la mosquée. L’institution religieuse musulmane elle-même a du mal à toucher la jeunesse, qui est projetée dans un autre réseau. Certes, la religion ne fournit pas de travail mais au moins une projection de soi-même qui, dans les situations extrêmes, va jusqu’au nihilisme et l’auto-anéantissement. Des événements comme les meurtres perpétrés par Mohammed Merah prennent cette jeunesse en otage. Ce qui se joue, c’est la construction d’un grand récit alternatif, qui touche aussi désormais les zones rurales, comme l’a révélé l’exemple de la petite ville de Lunel, dans l’Hérault, pépinière de djihadistes. Ce contre-discours aux valeurs de la République, pourtant produit par une infime minorité, séduit même des jeunes qui ne sont pas issus de l’immigration postcoloniale, notamment parce que sa grammaire est parfaitement adaptée à celle des réseaux sociaux, à leur graphisme, à la transgression des codes moraux établis, etc. La Laïcité, la Nation, la République sont des récits qui tournent à vide. […]

On peut se sentir pris entre l’enclume du Front national et le marteau du djihadisme. C’est tout le modèle européen, si dynamique il y a 20 ans, qui est remis en cause et n’arrive pas à trouver sa place dans l’économie-monde, entre puissance manufacturière et délocalisations. Nous n’arrivons plus à payer des salaires pour fabriquer en Europe. Dans le Vaucluse, terre d’élection du FN, les produits maraîchers sont remplacés par ceux du Maghreb, et cela dessert la main-d’œuvre locale issue de l’immigration maghrébine. Le chômage et le déficit budgétaire sont centraux. Le religieux se nourrit de la faillite du contrat moral que promettait la social-démocratie. Le paradoxe le plus ahurissant aujourd’hui, c’est que l’Europe n’arrive plus à contrôler les flux migratoires en provenance du Sud et de l’Est de la Méditerranée d’un côté, et y exporte ses djihadistes de l’autre…

Gilles Kepel. France Culture. Novembre 2015

Nous venons de vivre trois jours de sang, trois jours de cauchemar, trois jours de haine. Le monde s’éveille face à trois mots: Je suis Charlie. Qui est Charlie ?…

Dix-sept personnes assassinées. Trois fanatiques abattus… Où est Charlie ?

Des millions de gens ont surgi dans les rues, ils sortaient de nulle part. Ils avaient besoin de douceur, de tendresse. Ils n’ont posé aucune question. Personne encore n’a posé la question du bien et du mal, tout le mal est dans cette question.

Il y avait dans chaque regard un immense besoin de justice, de paix. Un immense désir d’écarter le sang. Un masque blanc était plaqué sur chaque visage.

Ils avaient traversé de longues heures cruelles. Une marée humaine a envahi les rues. Elle sortait du grand désert de la sidération.

Demain, ceux qui possèdent la vérité, les orateurs, les hommes de pouvoir, les petits malins de la sémantique, nous expliqueront les racines du mal… Je voudrais dire dans ce cahier tout le malaise que je ressens aujourd’hui, dire avec mon stylo quelques mots sur les racines de l’injustice. Les racines de l’humiliation.

Il n’y a pas Charlie d’un côté, le prophète de l’autre ; l’obscurité face à la lumière. Il y a des enfants qui grandissent où ils peuvent, comme ils peuvent. Personne ne choisit de naître dans la cité du bien, dans la ville du mal.

J’ai grandi dans un quartier populaire de Marseille, tout ce que je suis devenu est dans ces quelques rues, j’en connais l’odeur, les voix, la lumière. La détresse a balayé l’insouciance de notre jeunesse.

Je vais, depuis plus de vingt ans, partager un café, quelques mots, un livre avec une poignée d’hommes, dans deux ou trois prisons autour de Marseille. Je sens monter partout la misère, les cris de haine, la peur. Personne ne choisit la haine, elle grandit en nous, inexorablement nous pousse vers le sang.

Chaque semaine, en buvant un café avec ces jeunes égarés dans le béton, entre deux miradors, je leur dis : Posez vos calibres, prenez un stylo. Ils ont vingt ans, trente ans, ils viennent tous des quartiers oubliés, des cités de poussière et de goudron qui entourent les villes. Des jeunes sans mémoire, sans mains, sans rêves. Des jeunes qui n’existent pas. Nike ou Adidas sur le dos ne remplacent pas des rêves, des mains, une mémoire.

Le soir, sur tous les écrans, je vois s’étaler une élite arrogante, étincelante, satisfaite. Une élite qui s’est reproduite, comme la misère se reproduit ; des élus de naissance, deux ou trois quartiers dorés de Paris, face à la longue obscurité de toutes les périphéries de béton, où les carcasses de voitures calcinées remplacent les galeries d’art, la drogue les livres, les kalachnikovs les pianos à queue, la haine la tolérance, la vulgarité le joli accent convenu du nombril si propre de Paris.

C’est si facile de parler de tolérance lorsqu’on possède tout, de donner des leçons de tolérance la bouche pleine de petits fours.

Les racines du mal… Il y a un banquet, ce sont toujours les mêmes qui sont autour de la table, sous des lustres d’or. Alors, de temps en temps, ceux qui regardent renversent tout.

Les jeunes que je retrouve chaque semaine s’expriment avec l’accent de la drogue, du désarroi, du crime. L’accent de la haine. Quelques faux imams leur disent: Vous êtes la poussière et la boue, vous n’avez pas de place ici. Prenez les armes, faites éclabousser le sang ! Vous aurez une vraie famille, la gloire, vous entrerez en héros au paradis.

Je leur tends un stylo, les imams le paradis…

À dix-neuf ans, je me suis retrouvé par excès de vie et d’insouciance dans une prison militaire. Durant six mois j’ai croupi dans une cellule glacée, sur les bords de la Meuse. Je venais des quartiers pauvres de Marseille. Je ne connaissais rien. Dans la cellule à côté de la mienne, il y avait un insoumis qui possédait quelques livres. Un tiers-mondiste… Personne ne lisait dans cette prison, sauf lui. Toute la journée il lisait. Les autres gueulaient.

Dans l’étroite cour de promenade, où nous tournions, il m’a dit: Tu n’existes pas, tu seras toujours de la poussière. Il faut partir rejoindre Ernesto Guevara, combattre l’injustice les armes à la main. Tu as commencé ta vie en cellule, tu la finiras à l’usine ou en prison.

Ce type me proposait l’aventure et la justice. J’avais dix-neuf ans, un cœur pur, le besoin d’exister. Je tournais avec Rimbaud dans cette étroite cour que le soleil ne voyait pas.

Lorsque Che Guevara fut abattu, dans la forêt bolivienne, sa photo circula dans la prison, l’aumônier avait fait entrer en douce Le Nouvel Observateur. Il était jeune et criblé de balles. Je compris ce que voulait me dire le type de la cellule d’à côté. Le Che se battait peut-être pour moi.

Dix jours plus tard, je m’évadais. Je désertais. Je m’arrachais de la nuit vers la lumière, par-dessus les serpentins de barbelés.

Sur le port de Marseille, je demandai s’il y avait un bateau qui partait pour l’Amérique latine. Il y en avait un qui partait pour la Corse, une heure plus tard. Les gendarmes étaient à mes trousses. J’escaladai l’échelle de coupée.

Une semaine plus tard, j’accrochais des manteaux dans une boîte de nuit de Bastia… Le corps du Che avait disparu.

Lorsque j’ai vu tous ces morts, il y a trois jours, j’ai repensé à ma jeunesse. Moi aussi j’avais été un petit délinquant, j’avais fui l’école à seize ans, vécu en vendant des pièces détachées de motos, des objets volés, un peu de cuivre… Les barbus n’existaient pas. Dans les prisons, même militaires, on rencontrait au milieu des voyous des types qui vous permettaient d’exister.

Malraux était parti pour l’Espagne, repousser l’injustice ; j’aurais pu partir pour l’Argentine, la Bolivie, le Venezuela, partir créer un nouveau Vietnam.

Les jeunes perdus d’aujourd’hui sèment la mort pour aller au paradis. Ils ont eu la malchance de naître dans le mauvais quartier, de rencontrer dans une cour de prison un ange de la mort.

La vérité n’est pas dans les abbayes, les temples, les tables de la Torah ou les feuillets du Coran. La vérité n’existe pas. Elle est un peu partout dans la justice, la tendresse et la vie.

En m’éveillant, je me suis souvenu ce matin de la phrase de Nietzsche : Le pire ennemi de la vérité, ce n’est pas le mensonge, c’est la conviction. Tous ces morts pour d’aussi bêtes, d’aussi absurdes convictions.

Je continuerai à aller dans les prisons avec un café, un livre, quelques mots, et je leur dirai : Posez vos calibres, prenez un stylo. Tracez, comme je le fais chaque jour, un chemin singulier, évadez-vous avec des mots, construisez votre liberté, inventez chacune de vos émotions, fabriquez de la vie, dessinez les saisons. Écrivez le mot gare et montez dans un train qui n’existe pas.

Ne respectez pas les donneurs de leçons, ne vous soumettez pas aux professeurs de morale. Soyez insolents ! Soyez audacieux ! Soyez vivants ! Ne respectez que la vie ! Créez votre banquet ! Il y a eu tous ces morts… Personne ne naît monstrueux. Il y a des quartiers, des banlieues sauvages, des territoires sauvages qui élargissent en nous, à chaque pas que nous y faisons, l’état sauvage.

Chaque jour nous agrandissons la violence sur nos petits écrans. Nous nous sommes réveillés ce matin avec un immense besoin de tendresse et de douceur.

À dix-neuf ans j’ai adoré le Che, à trente ans Don Quichotte. Le premier combattait l’injustice dans les forêts, l’autre dans ses songes. Tous les deux moururent vaincus, écrasés par la réalité de l’homme. Un homme égoïste et généreux, abject et sublime. Nous avons tous, dans nos vies ou dans nos rêves, des instants monstrueux, des recoins innommables. Aucun d’entre nous ne peut vivre sans beauté.

René Frégni. Je me souviens de tous vos rêves. Gallimard 2016

14 11 2015

À une dizaine de km au nord de Strasbourg, un train déraille à Eckwersheim : il s’agit d’une rame spéciale de TGV destiné à l’homologation de cette ligne récemment mise en service : mais les invités étaient nombreux, – 53 personnes dont 4 enfants -: on  comptera 11 morts et 42 blessés, dont 21 graves. Deux minutes avant l’accident, la vitesse de 360 km/h était au-dessus de la vitesse maximum autorisée : 350 km/h. Les systèmes de sécurité relatifs à la vitesse avaient été désactivés. Au moment de l’accident la vitesse était encore de 265 km/h quand elle aurait dû être de 176 km/h. Dans la courbe d’un rayon de 945 m, le freinage sera inapproprié et c’est l’accident. Ouverture du procès le 4 mars 2024 devant la 31° chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Un et deux ans de prison avec sursis seront requis en mai 2024 contre deux responsables ; pour le reste, des amendes…rien de plus

25 11 2015   

On vit vraiment une époque formidable : morceaux choisis :

                                            NVIDIA SHIELD ANDROID TV
                                            L’AS DU GAMING MULTIMEDIA

Nvidia entend s’offrir la part du lion dans le secteur très concurrentiel des lecteurs multimédia. Le spécialiste des cartes graphiques sur PC, bien connu des gamers, lance son champion avec le Shield Android TV. Ce petit boitier (21 x 13 cm) aux finitions exemplaires, mêlant aluminium et plastique glossy, est un monstre de puissance dans sa catégorie des lourds-légers. Il héberge en effet un processeur Tegra X1 et 3 Go de RAM. Une architecture qui lui permet tout d’abord d’être compatible 4 K, afin de partager des contenus vidéo sur un écran Ultra-HD, mais aussi de s’assurer de profiter pleinement de toutes les applications Android. Le tout peut être piloté à la voix grâce au micro incorporé à la télécommande et à la manette. Cette dernière est également le témoin de l’orientation gaming du Shield TV. Il est ainsi possible pour les possesseurs d’un PC de streamer ses jeux depuis son ordinateur via le boîtier pour y jouer sur le téléviseur du salon. Surtout, l’objet permet de s’abonner (9.99 €/mois) au service de cloud gaming Ge Force Now. S’il requiert d’avoir une excellente connexion (20 Mbits/sec) pour en profiter pleinement, celui-ci donne accès à un catalogue d’une soixantaine de jeux (renouvelés chaque mois) sortis sur consoles et PC. Il est même possible d’acheter des jeux récents (Metal Gear Solid V, The Witcher III) pour y jouer en streaming. : Shield Android TV, Nvidia, 199 €

DIRECT MATIN MONTPELLIER PLUS 25 novembre 2015 Rubrique Vie Numérique

Ce pourrait être un bon devoir scolaire que de demander une traduction de ce grand gloubi-boulga en français, sans un seul mot d’anglais. Mais plus simplement on peut tout aussi bien prendre la fuite.

Le monde se consume par où il se consomme

Macedonio Fernandez, argentin.

30 11 2015   

Felipe VI, le très catholique roi d’Espagne est à Jérusalem : il donne une chaleureuse accolade au grand rabbin séfarade d’Israël : Comme vous nous avez manqué ! … comme un grand premier pas, comme un grand premier pont au-dessus de plus de cinq siècles de séparation. Et il ne s’agit pas que d’une incantation : un amendement au code civil invite les descendants des Juifs expulsés en 1492 à prendre la nationalité espagnole, en réparation d’une erreur historique … ils seront près de 1 500 à le faire. Il est bien rare de voir un souverain de notre occident chrétien… manifester une aussi chaleureuse empathie… peut-être la grande reine de Belgique Elisabeth, veuve d’Albert I°… mais était-elle bien chrétienne ? …. Certains l’ont dite communiste !

12 12 2015    

Laurent Fabius, président de la COP 21 annonce l’accord obtenu par les 196 pays membres sur la réduction des gaz à effet de serre : énorme succès pour la diplomatie française, et tous de se lancer dans une farandole qui pourrait se danser sur le poème de Paul Fort :

Si tous les gars du monde, 
Décidaient d’être copains,  
Et partageaient un beau matin,
Leurs espoirs et leurs chagrins,  
Si tous les gars du monde,  
Devenaient de bons copains,
Et marchaient la main dans la main,
Le bonheur serait pour demain.

L’ironie n’est pas du tout malvenue, car c’est bien le triomphe de l’incantation, qui parvient à faire croire qu’elle est une décision politique, car, avec des échéances à plus de dix ans, parfois vingt, parfois trente, avec des impératifs dans le texte d’origine remplacés en catastrophe par des conditionnels, il n’est pas trop difficile de mettre tout le monde d’accord, dans la mesure où la contrainte est tellement lointaine dans le meilleur des cas, inexistante dans le pire, que personne ne se sent directement concerné. Encore une fois, on refile la patate chaude à nos enfants.

L’accord de Paris a appelé à limiter l’augmentation de la température moyenne à un degré au-dessus des niveaux pré-industriels. Toutefois nombre des douloureuses mesures nécessaires pour atteindre ce but ont été comme par hasard différées après 2030, ce qui revient de fait à passer la patate chaude à la génération suivante. Les administrations actuelles peuvent ainsi récolter les avantages politiques immédiats de leur apparent engagement vert, tandis que le lourd prix politique de la réduction des émissions (et du ralentissement de la croissance) est légué aux administrations futures.

Yuval Noah Harari. Homo deus. Une brève histoire de l’avenir. Albin Michel. 2017

Et dans le même temps, fantastique pied de nez du voyou au vertueux, un préfet des Bouches du Rhône accordait à Alteo, l’entreprise qui fabrique de l’alumine à Gardanne à coté de Marseille l’autorisation de continuer le rejet d’une partie de  ses déchets ultimes – des effluents liquides – au large de Cassis, dans le canyon sous-marin de Cassidaigne, à 7,7 kilomètres de la côte, en plein cœur du parc national des Calanques :  depuis 1966, c’est plus de 20 millions de tonnes de boues rouges qui ont été déversées ainsi sur 2 400 km². La partie solide des boues rouges, une fois déshydratées grâce à trois filtres presses, devra être désormais stockée à ciel ouvert sur une colline entourée de pins, à Bouc Bel Air : les plus proches voisins de cette zone bénéficieront, quand souffle le mistral, des poussières de ces boues déshydratées, nommées Bauxaline par Alteo. En 2019, c’est le fonds d’investissement américain HIG qui sera propriétaire d’Alteo. Les alumines entrent dans la composition de céramique, carrelage, matériaux d’ignifugation, écrans LCD, briques réfractaires, abrasifs…  Mais Marseille est tellement loin de Paris …

Et on voit encore une autre préfet donner son accord au plus grand élevage de porcs en Bretagne, quand la situation des sous-sols infestés de nitrates, en provenance des élevages de porcs, est déjà telle qu’elle développe en mer des algues vertes qui, en se décomposant – les ulves – dégagent de l’hydrogène sulfureux – H2S – : on a déjà vu mourir ainsi un cheval à Saint Michel en Grève, un joggeur, et 36 sangliers, dans l’estuaire du Gouessant près de Saint Brieuc. Le porc, exterminateur de son cousin le sanglier : ah, ce qu’on doit rire dans les bistrots bretons !

En 2019, Inès Léraud et Pierre Van Hove sortiront une bande dessinée Les Algues vertes, l’histoire interdite. Pierre Jolivet en fera un film en 2023.

Ainsi finit 2015, dont les blessures mortelles ne doivent pas faire oublier que nous aurons eu un printemps et un automne somptueux – jamais la fin d’été n’avait paru si belle, chantait Barbaraet que fin décembre on aura pu voir des narcisses à 100 mètres de la mer en Bretagne et même des cerisiers en fleur : comment pourrait-on ne pas se réjouir d’une telle douceur !

19 12 2015  

Amélie Nothomb est reçue à l’Académie Royale de Belgique, au siège de Simon Leys, décédé en 2014, auquel elle rend un vibrant hommage, reproduit dans le chapitre Discours de ce site.

22 12 2015   

La société américaine Space X d’Elon Musk remporte un indiscutable succès en parvenant à faire se reposer sur terre 12′ après son décollage le premier étage d’une fusée Falcon 9 qui venait de placer en orbite basse 11 satellites d’Orbcomm, une société de communication. There and back again, tweete Musk. Il a de la ténacité : il en était à deux échecs successifs au cours de l’année.

Moins d’un mois plus tôt Blue Origin, la compagnie de Jeff Bezos, patron d’Amazon, était parvenue à faire se reposer le premier étage de New Shepard. La presse à sensation voudra en faire des concurrents quand en fait ils ne jouent pas dans la même cour : New Shepard est une fusée destinée à des vols sub-orbitaux… Donc à des altitudes bien inférieures à la Falcon 9, destinée à mettre des satellites sur orbite, mais aussi à ravitailler la station spatiale internationale, par exemple. En gros, la Falcon 9 peut aller deux fois plus haut – 200 km – que sa concurrente -100 km -. Falcon 9 voyage autour de mach 6, New-Shepard à mach 3.

En principe, cette possible réutilisation d’un premier étage  induit une très forte diminution des coûts, et de prendre l’exemple dans l’aviation : jusqu’à présent, c’est comme si on jetait les 747 après chaque vol. Demain, quand la récupération des étages de propulsion sera devenue la norme, on sera enfin dans une configuration de vols commerciaux… et de possible rentabilité. Sauf que comparaison n’est pas raison, et qu’en l’occurrence il serait beaucoup plus juste de comparer avec les navettes américaines, elles aussi réutilisables, mais dont tout le monde sait très bien qu’elles étaient quasiment entièrement refaites après chaque vol. Et donc, mis à part l’exploit technique, il n’est pas du tout prouvé que la réutilisation d’un premier étage de fusée représente une substantielle économie. Dans l’immédiat, Elon Musk n’a pas l’intention de réutiliser le 1° étage de cette fusée : le premier exemplaire d’une telle réussite doit rester au sol. On fera cela avec les suivantes…

Il aura une nouvelle réussite le 30 mars 2017. Dans l’ensemble, sur quatorze tentatives de récupération, neuf ont été réussies, dont trois au sol et six sur une barge en mer, comme ce sera le cas pour ce lancement du 30 mars 2017. À peine le tir réussi, Elon Musk affirmera dans un Tweet vouloir réduire à 24 heures le temps de réadaptation de l’étage revenu au sol pour être relancé rapidement. La volonté est de réduire les coûts de lancement aujourd’hui facturés plus de 60  millions de dollars (56,1  millions d’euros), mais sans que cela soit vraiment précis. Au début, SpaceX annonçait une économie de 70  % grâce au recyclage. En 2016, la directrice générale, Gwynne Shotwell, temporisait en évoquant 30  % et, depuis, ce ne serait finalement plus que 10  %. Le nombre de réutilisations possibles du premier étage après son reconditionnement est, à ce stade, incertain. Fin 2015, Elon Musk avait assuré qu’il pourrait théoriquement être recyclé jusqu’à cent fois, tout en estimant pouvoir le faire revoler de dix à vingt fois. Les clients auront donc le choix pour leur lancement, d’avoir un étage neuf ou reconfiguré, avec, dans ce cas, la possibilité d’être mieux placé dans le calendrier des tirs. Prudente cependant, l’armée américaine, qui signera un contrat de 96  millions de dollars pour le lancement d’un satellite GPS en  2019, optera pour une fusée neuve.

Le directeur de la NASA annonce le report de la mission Insight dont la fenêtre de lancement était prévue en mars 2016 pour la planète Mars. En cause, une fuite sur l’instrument SEIS  qui devait mesurer l’activité sismique : trois sismomètres enfermés dans une sphère de titane qui aurait dû supporter des températures de ~100 ° à + 20 °. Cet instrument est à la charge du CNES français – Centre National d’Études Spatiales -. Le budget total de la mission Insight est de 675 millions $ ; le seul instrument  SEIS revient à 100 millions $, dont la moitié à la charge de la France, 25 % aux E-U, et 25 % à l’Angleterre, Allemagne et Suisse. Le report va augmenter le budget total de 10 à 20 %. Les 8 millions d’enfants, d’hommes et de femmes qui, en France vivent en dessous du seuil de pauvreté apprécieront certainement l’usage qui est fait de ces 55 millions de $, pour des découvertes dont l’apport sera sans commune mesure avec ce qu’en dit un enfumage modelé par un marketing visant à nous faire avaler les milliards ainsi dépensés, quand ces découvertes ne seront que dérisoires.

La science est une contribution majeure pour des besoins mineurs.

Matthieu Ricard. Le moine et le philosophe. p.32 J.F. Revel, M. Ricard. Nil éditions 97

27 et 28 12 2015  

L’addiction à l’or blanc – la neige – fait souffler un vent de folie aussi ravageur dans les têtes que l’addiction à l’or véritable. Et c’est par centaines de tonnes que des communes des Alpes du Nord font transporter de la neige par hélicoptère : 32 T aux Karellis, 100 T à Sainte Foy en Tarentaise en 80 rotations, 25 T à Courchevel pour une piste de ski de saut, et encore aux Carroz pour relier la station à Samoëns ! La COP 21, qu’est-ce que c’est que ce truc !

À court terme, il est tout à fait possible que ces opérations aient rapporté plus qu’elles n’aient coûté, et après tout, ce n’est pas la première fois que l’homme vient corriger les évolutions de la nature :  canaux, tunnels, irrigations etc… Mais  il y a bien de la folie dans ce refus d’accepter les conséquences du réchauffement climatique et un jour, les volumes de neige à transporter seront tels que le maintien sur place de l’activité touristique ne pourra plus en supporter le coût.

31 12 2015   

En Allemagne, on aime bien faire la fête à Cologne, tout au long de l’année mais particulièrement lors de la Saint Sylvestre. Dans le quartier de la gare, la fête va rapidement tourner au cauchemar : des agressions sexuelles dans tout l’espace public, envahi par des centaines de Maghrébins qui essaient de violer, parfois y parviennent toutes les filles qui passent par là, sortant du train pour une nuit de fête. En l’espace de trois semaines, la police enregistrera plus de 700 plaintes ! ahurissant et en même temps bien étrange. Car enfin, si des oppositions radicales avaient voulu se manifester contre la politique d’accueil des réfugiés mise en œuvre par Angela Merkel, il n’était pas de plus efficace peau de banane que de soudoyer une communauté – une centaine d’€ chacun – pour déclencher un scandale à même de mettre fin à n’importe quelle politique humaniste. Cette affaire sent mauvais, car la provocation et la manipulation sont trop proches, trop plausibles.

12 2015     

Il en faudra de la volonté politique pour s’opposer aux lobbys pétroliers : les beaux jours du pétrole ne sont pas terminés : […] En cette fin 2015, quel est donc l’événement majeur qui va changer la donne de 2016 et probablement au-delà ? La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la Syrie, la première esquissant une feuille de route pour résoudre ce conflit tragique, saluée comme un pas décisif ? Non, le game changer de cette fin d’année 2015 se trouve dans un paragraphe du budget voté par le Congrès américain, le 18  décembre, le même jour que la résolution de l’ONU : les parlementaires ont abrogé l’interdiction, en vigueur depuis quarante ans, d’exporter du pétrole américain.

Cette interdiction remonte au premier choc pétrolier et à l’embargo des pays arabes de 1973, qui avait provoqué une pénurie d’essence au royaume de l’automobile. Mais la découverte et l’exploitation intensive, grâce à la fracturation hydraulique, de gigantesques réserves de pétrole de schiste ont changé la donne.

La production pétrolière américaine a presque doublé depuis 2008, passant de 146 à 281  millions de barils mensuels. Le record de production américain, atteint en octobre  1970 (310  millions de barils), n’est plus très loin. En 2014, les États-Unis sont même devenus les premiers producteurs mondiaux de brut. La révolution du pétrole de schiste, passée relativement inaperçue, restera assurément comme l’un des principaux accomplissements de Barack Obama au cours de ses deux mandats à la Maison Blanche.

La décision du Congrès américain, dominé par les républicains, plus sensibles aux pressions du lobby pétrolier, n’est pas une bonne nouvelle du point de vue des objectifs affichés par l’accord obtenu à la COP 21 sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre. Mais, sur le plan géopolitique, elle ouvre des perspectives inédites. Il ne faut pas s’attendre, étant donné la faiblesse des cours mondiaux du pétrole et les coûts de transport, à voir le pétrole américain envahir l’Europe et la Chine. Seulement, les cours vont désormais rester durablement bas.

L’Arabie saoudite, qui a lancé une guerre de prix à la baisse en 2014 dans le but de casser les reins des producteurs américains mais aussi d’affaiblir l’Iran et la Russie, ses ennemis géostratégiques, se retrouve prise à son propre piège. Ses gigantesques réserves de devises, largement grevées par une politique de redistribution à tout-va destinée à acheter la loyauté des sujets du royaume ainsi que par la coûteuse guerre lancée au Yémen [2] en mars, ne risquent pas de se reconstituer de sitôt.

L’Iran, qui va voir bientôt levées les restrictions à ses exportations de pétrole ainsi que l’embargo européen qui la vise, dans le cadre de l’accord passé en juillet à Vienne sur son programme nucléaire, va devoir produire et vendre des quantités phénoménales de brut pour relancer son économie, épuisée par des années de sanctions européennes, américaines et onusiennes. Or les infrastructures pétrolières iraniennes sont en mauvais état et ne permettront pas de retrouver rapidement le pic de production du milieu des années 2000.

Quant à la Russie, déjà plongée dans la récession par les sanctions européennes et la chute des cours pétroliers, elle voit s’éloigner durablement toute perspective de sortie de la crise économique. Cette mauvaise nouvelle vient s’ajouter au bilan plus que mitigé de la campagne militaire russe en Syrie : près de trois mois de raids ont contenu et même largement affaibli l’opposition armée au régime Assad, mais celui-ci s’avère incapable de reconquérir durablement le terrain perdu. Ce statu quo – pour ne pas dire ce marasme – a sûrement joué dans le compromis diplomatique trouvé à l’ONU sur la Syrie, même si Moscou a réussi à épargner Bachar Al-Assad.

Que les trois pays les plus intransigeants impliqués dans le conflit syrien soient affaiblis financièrement et n’aient plus, à terme, les moyens de mener la guerre jusqu’à une victoire totale ne peut qu’avoir des conséquences positives. Déjà, les premiers signes d’un apaisement russe sont tangibles en Ukraine. Demain peut-être en Syrie, où le rapprochement russo-américain ne s’est, pour l’instant, pas doublé d’une détente irano-saoudienne, essentielle au règlement du conflit. À plus long terme, si l’exportation du gaz de schiste américain est libéralisée à l’instar de celle du pétrole, c’est toute la stratégie poutinienne de prise en otage de l’Europe par l’énergie qui pourrait devenir caduque. Assurément une bonne nouvelle pour l’UE.

S’il fallait une preuve supplémentaire de l’influence des questions énergétiques en politique étrangère, il suffit de rappeler une autre information récente noyée dans le chaos guerrier du Proche-Orient : la Turquie et Israël, brouillés depuis l’assaut israélien contre le Mavi-Marmara en mai  2010, dans lequel neuf militants turcs avaient été tués au large de Gaza, ont décidé, le 16  décembre, de renouer des relations diplomatiques. L’un des volets de cet accord prévoit la construction d’un gazoduc entre Tel-Aviv et Ankara.

Isolée diplomatiquement, en conflit avec la Russie et l’Iran, qui sont ses deux principaux fournisseurs d’hydrocarbures, la Turquie a besoin du gaz israélien exploité depuis peu. C’est un nouveau coup dur pour Vladimir Poutine, qui voit son projet de gazoduc contournant l’Ukraine par le sud de l’Europe s’éloigner encore un peu plus.

Christophe Ayad. Le Monde du 25 12 2015

Et l’industrie automobile qui repart de plus belle aux États-Unis, et même en Europe…

Petit florilège de statistiques des années 2000 en forme de chronique d’une crise annoncée :

Le pétrole représente 34 à 40 % de l’énergie consommée chaque année dans le monde (2004) ; le gaz 21  et le charbon 24 %. La consommation totale de pétrole dans le monde est de 84 millions de barils par jour (1 baril = 159 litres).

Les énergies renouvelables ne représentent, dans la consommation planétaire annuelle, que 0.05 % pour l’éolien, 0.1 % pour les biocarburants, 0.0001 % pour le solaire.

Les hommes ont multiplié par 150 leur consommation d’énergie depuis 1850, et ont consommé autant de pétrole entre 1980 et 2000 qu’entre 1859 et 1980 !

La consommation mondiale d’énergie a augmenté de 2.7 % en 2005.

La population humaine est passée de 1 milliard il y a 120 ans à 6.5 milliards aujourd’hui, et devrait être de 9 milliards en 2030.

58 % du pétrole produit dans le monde est englouti dans les transports. Et pourtant, il serait facile de réduire cette part, car songeons que dans l’Union Européenne, une fois sur deux, l’usage de l’automobile est pour faire moins de 3 kilomètres – trente minutes de marche – ! Sait-on que quarante personnes circulant en bus consomment 70 000 litres de carburant de moins que s’ils utilisaient leur voiture ?

Les Américains consomment 30 % de la production d’énergie mondiale, mais 75 % des réserves pétrolières se trouvent en terre d’islam.

En un siècle, 1000 milliards de barils ont été consommés, 1 000 milliards sont encore disponibles. Mais nous consommons aujourd’hui bien davantage que nous ne découvrons. Pour 30 milliards de barils consommés chaque année, 4 milliards seulement sont mis au jour. La fin du pétrole est prévue, selon les plus pessimistes des géologues, dans quarante ans, et selon les plus optimistes des économistes, dans quatre-vingt ans. La fin du charbon est annoncée dans deux cents ans. La fin du nucléaire dans un intervalle compris entre cinquante et trois cents ans. Mais ces chiffres sont théoriques, car ils sont à consommation constante. Or nous savons qu’elle augmente tous les ans.

Sylvain Tesson. L’or noir des steppes. Arthaud 2007

Mais les évolutions sont rapides… les panneaux solaires made in China ont fait considérablement baisser les prix, ils sont de plus en plus fiables et durables, et il est clair que la part de l’énergie solaire va connaitre dans les années à venir une croissance géométrique.

Sans bruit, le monde vient d’entrer dans une nouvelle ère énergétique, celle du solaire. Le photovoltaïque n’est plus une lubie d’écologiste. Face à la pollution du charbon et à l’envolée des coûts du nucléaire, investisseurs et industriels jouent désormais ouvertement et massivement la carte du soleil. En  2015, pour la première fois, les nouvelles capacités de production à partir des énergies renouvelables (hors grands barrages) ont représenté 53,6  % de l’ensemble des nouveaux moyens de production raccordés aux réseaux, indique le 10° rapport annuel du Programme des Nations unies pour l’environnement publié en mars  2016 : 62 gigawatts (GW) d’éolien et 56 GW de solaire. Les capitaux mobilisés ont battu un nouveau record, à 265,8  milliards de dollars (247,5 milliards d’euros). On y investit désormais deux fois plus que dans les énergies fossiles (130  milliards) et le potentiel du solaire y est beaucoup plus important que celui des autres énergies renouvelables.

L’année 2016 marquera un point de bascule, assure Thierry Lepercq, directeur général adjoint d’Engie chargé de l’innovation et de la recherche. Retenez trois chiffres : 70  gigawatts, la capacité solaire additionnelle en 2016 – après 50 GW en  2015 -, plus que l’éolien ; 26  dollars, le prix d’un -mégawattheure (MWh) du photovoltaïque sur un projet de 1 milliard de dollars à Abou Dhabi ; et zéro, le prix de l’électricité à certains moments au Chili.

Pourquoi les centrales solaires photovoltaïques sont-elles devenues compétitives dans de nombreux pays et se développent sans les subventions massives reçues en Europe au début de leur déploiement ? Le phénomène doit beaucoup à la domination chinoise sur les équipements. Un mal pour un bien. Si elle a tué une partie de l’industrie occidentale, notamment allemande, elle a provoqué une chute des prix spectaculaire. Dans les usines, l’automatisation a fortement réduit le taux de casse, explique Antoine Cahuzac, directeur général d’EDF Energies nouvelles. De plus, tous les fabricants innovent et produisent des cellules plus efficaces. Ils ont aussi augmenté leur durée de vie, qui peut atteindre trente-cinq ans contre vingt-cinq il y a cinq ans grâce à une plus grande fiabilité des matériaux. Les panneaux sont devenus un produit de base fabriqué en grande quantité, comme les écrans plats de téléviseur.

Les renouvelables sont ainsi passées du statut de niche au statut de solution préférée, assurait récemment Adnan Amin, directeur de l’Agence internationale des énergies renouvelables, basée à Abou Dhabi, en présentant son dernier rapport. Les panneaux solaires en sont le meilleur exemple. Leur coût a baissé de moitié depuis 2010 et devrait baisser encore de 60 % dans les dix prochaines années.

Un phénomène plus conjoncturel s’est ajouté à cette tendance : la concurrence des producteurs de panneaux, qui a créé des surcapacités mondiales et tiré les prix vers le bas. M.  Cahuzac s’attend, une fois ces stocks écoulés, à une remontée marginale des prix. Dans ce secteur très cyclique, la consolidation va se poursuivre et les nouvelles capacités installées devraient stagner en  2017 au niveau de 2016, prévoit le patron du chinois Trina Solar, deuxième fabricant mondial de panneaux, dans un entretien à l’agence Bloomberg.

Un signe qui ne trompe pas sur la maturité de cette énergie : les tarifs de rachat pour soutenir la filière sont remplacés, partout dans le monde, par des appels d’offres. Début 2016, 64 pays en avaient lancé dans le solaire (et l’éolien), suscitant des offres historiquement basses (prix modiques, volumes élevés) dans les pays émergents, note le réseau international REN21.

Nous faisons du solaire photovoltaïque à 30 $ le MWh au Mexique – M. Lepercq. On en est encore loin en France, mais les prix baissent aussi. Pour les centrales au sol, moins coûteuses que sur le bâti, le prix a été divisé par six entre 2007 et 2014, où il était encore situé dans une fourchette de 74 € à 135 € par MWh, rapporte l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe, qui escompte une nouvelle baisse de 35 % à l’horizon 2025.

L’Europe n’est pas le continent au potentiel le plus prometteur, même si l’Allemagne est un pays pionnier. Trois pays ont encore fourni en  2015 la majorité des capacités additionnelles : la Chine, le Japon et les États-Unis. Mais le boom est planétaire, particulièrement dans les pays émergents qui conjuguent fort ensoleillement, croissance soutenue de la demande d’électricité et cadre réglementaire sécurisé pour les investisseurs. Cette révolution sert leur développement. Ils peuvent valoriser leur potentiel, et cela les affranchit de leur dépendance énergétique, se félicite Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, qui affiche notamment de grandes ambitions en Afrique.

La Chine reste une locomotive. Le solaire y enregistrera un doublement de ses capacités entre 2015 et 2020 pour atteindre 110  GW, selon l’Agence nationale de l’énergie. Et si elle est désormais électrifiée à 100 %, c’est grâce au solaire domestique (hors réseau). L’Arabie saoudite a défini un vaste plan en faveur des énergies renouvelables et le fonds souverain d’Abou Dhabi y investit depuis la fin des années 2000, dans la production de panneaux, les centrales et la recherche. Au Chili, privé de toute ressource fossile, le solaire pèse déjà 4 % du mix énergétique alors qu’il en était absent en  2012. Y compris pour alimenter des utilisateurs d’électricité aussi gourmands que les mines de cuivre.

Le solaire domestique a séduit le Bangladesh et les mini réseaux se développent en Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda…) pour les villages enclavés. L’Inde prévoit un ambitieux plan de 100  GW de solaire d’ici à 2022. À l’initiative de son premier ministre, Narendra Modi, une alliance internationale en faveur de cette énergie a été créée fin 2015, en marge de la COP 21, à Paris. Les 121  pays qu’elle rassemble s’engagent à assurer des transferts de technologies et à faciliter les financements dans tous les pays à fort potentiel solaire.

Résultat de ce changement d’échelle, toutes les grandes compagnies européennes d’électricité ont pris le virage du solaire, du français Engie à l’italien Enel. Jusqu’au géant EDF, dont l’ADN nucléaire est en train de se modifier. Et toutes les grandes entreprises mondiales se tournent vers l’énergie solaire pour leur propre consommation, des leaders de la grande distribution Walmart, Procter & Gamble ou Ikea à Google pour refroidir ses énormes centres de données…

Certains pétroliers eux-mêmes croient aux vertus du solaire et s’y mettent. Aurait-on imaginé, il y a quelques années, que le patron de Total intervienne dans un cénacle des énergies vertes ? Patrick Pouyanné expliquera, à l’occasion du colloque annuel du Syndicat des énergies renouvelables réuni le 31  janvier, pourquoi et comment il entend se développer dans l’électricité solaire après le rachat du fabricant californien de panneaux SunPower en 2011 et celui des batteries Saft en 2016.

Bien que, aujourd’hui, les panneaux solaires ne représentent que 1,5 % des capacités de production électrique installées, c’est le mix électrique mondial qui est en train de se redessiner, même s’il est encore très largement dominé par les énergies fossiles. Mme  Kocher estime qu’en  2050 la moitié de l’électricité pourra être produite par des énergies renouvelables décentralisées, surtout le solaire, l’autre moitié sortant des grandes centrales traditionnelles. Et quand on dresse le bilan carbone du solaire, il est positif.

Grâce à l’énergie propre et renouvelable que produisent depuis 1975 les panneaux solaires, ils auront compensé d’ici à 2018 les gaz à effet de serre émis pour les produire, indique une étude néerlandaise (université d’Utrecht) publiée fin 2016 dans le journal en ligne Nature Communications. Désormais, à chaque doublement de capacités solaires installées, l’énergie nécessaire pour produire les panneaux baisse de 12 % à 13 % et les gaz à effet de serre émis de 17 % à 24 %, ont calculé ses auteurs. En quarante ans, le nombre de panneaux solaires est passé de 10 000 à 1 milliard. Avec une durée de vie moyenne de trente ans, une ferme solaire remboursera plusieurs fois l’énergie nécessaire à la fabrication de ses équipements.

Et si le solaire rendait le nucléaire obsolète à un horizon pas si lointain, sachant que le charbon est condamné à plus ou moins longue échéance ? Tout un symbole, quarante entreprises ont déposé une demande auprès des autorités ukrainiennes pour construire 2 GW de panneaux solaires… à l’intérieur de la zone d’exclusion radioactive entourant la centrale de Tchernobyl, où eut lieu en 1986 la pire catastrophe de l’histoire du nucléaire civil. L’envolée des coûts pèse sur le prix du MWh produit : 109 € pour les EPR anglais d’EDF.

Jusqu’à présent, le nucléaire était le seul moyen de produire une électricité compétitive à grande échelle ; ce n’est plus le cas, analyse Mme  Kocher. Le nouveau nucléaire a un espace de développement plus restreint qu’avant. M.  Cahuzac voit au contraire un avenir à l’atome, qui ne répond pas aux mêmes besoins. Un réacteur fournit une énorme quantité d’électricité 24 h/24 et l’on peut faire évoluer sa puissance en moins d’une heure, plaide-t-il. Mais les énergies renouvelables s’imposent peu à peu comme une référence pour comparer les prix.

Patron du nouveau nucléaire chez EDF, Xavier Ursat reconnaît que l’EPR nouveau modèle en préparation chez EDF-Areva a un objectif :  Qu’il coûte moins cher en €/kilowattheure que la moins chère des énergies renouvelables installée au même endroit à cette époque-là. On n’en est pas encore là. Mais pour avoir une véritable estimation de la compétitivité du solaire (et des renouvelables en général), il faudrait supprimer toutes les subventions, qui sont beaucoup plus importantes en faveur des énergies fossiles.

Jean-Michel Bezat. Le Monde du 31 01 2017

Sur la façade du siège d’EDF, avenue de Wagram, à Paris, la gigantesque banderole de Greenpeace affiche la couleur : 74  milliards de dette… et avec le nucléaire c’est pas fini ! On y voit le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, faisant deux doigts d’honneur aux passants, sous la mention Merci Jean-Bernard Cette action coup de poing de décembre 2016 marque une nouvelle étape dans l’argumentaire des opposants au nucléaire : il ne s’agit plus seulement de dénoncer les risques d’accident, mais aussi le risque financier qui pèserait sur EDF.

Les ONG ne sont plus seules sur ce terrain. En juin, celui qui était alors le ministre de tutelle d’EDF, Nicolas Hulot, a repris l’argument : Une des raisons pour lesquelles EDF se retrouve en difficulté, c’est que notamment la filière nucléaire, pardon de le dire, nous amène dans une dérive. Dans une allusion claire au coûteux chantier de Flamanville (Manche), il précise : On voit bien qu’économiquement, il y a une espèce de règle d’or qui est en train de s’imposer dans cette filière, c’est qu’en réalité, on ne tient jamais nos promesses. Le ministre reprend là une critique de plus en plus courante : non seulement le nucléaire est devenu trop coûteux, mais il serait en plus une erreur stratégique majeure pour EDF.

Pourtant, le réacteur EPR (evolutionary power reactor) est au cœur de la stratégie du groupe. Il est présenté comme la solution au problème du changement climatique et comme la promesse d’un leadership mondial dans une technologie à laquelle croit plus que jamais le premier opérateur nucléaire au monde, qui emploie plus de 150 000 personnes. L’EPR est-il en train de couler EDF ou est-il sa planche de salut ?

Pour l’instant, le chemin de croix continue. En juillet, le chantier de Flamanville a connu de nouvelles difficultés [3]: après l’annonce de problèmes de soudures, EDF a dû se résoudre à annoncer un énième retard du chantier. Débuté en 2007, il devait durer cinq ans et coûter 3,3 milliards €. Au final, la centrale ne devrait être opérationnelle qu’à l’été 2020, soit huit ans plus tard que prévu, et aura coûté près de 11 milliards €. [en octobre 2019, on en sera déjà à 12.4 milliards €. ndlr, avec à la clef, un rapport accablant de Jean-Martin Folz, ancien PDG de Peugeot. En juillet 2020, la Cour des Comptes estimera le coût final à 19.1 milliard € ! et, fin 2022, on fera venir des soudeurs des États-Unis ! ] L’autorité compétente ne donnera finalement son accord pour la mise en service que le 7 mai 2024.

Dans le monde, un seul EPR a été raccordé au réseau, en Chine, à Taishan. En Finlande, le chantier d’Olkiluoto, lancé par Areva, ne devrait pas être achevé avant la mi-2019. En Grande-Bretagne, le chantier d’Hinkley Point a déjà plus d’un an de retard et suscite un scepticisme important.

Une gestation difficile, une filière rouillée Pour comprendre les difficultés de l’EPR, il faut se souvenir de l’incroyable chantier industriel qu’a représenté le parc nucléaire français. Entre 1978 et 2002, pas moins de 58 réacteurs sont raccordés au réseau. Certaines années, 6 réacteurs sont mis en ligne simultanément ! À l’époque, le plan lancé par l’État et EDF se finance à grands coups d’emprunts sur le marché américain et mobilise massivement l’industrie française.

Mais ce parc n’est pas éternel et la filière engage, dès la fin des années 1990, la réflexion sur un nouveau réacteur, qui prendra le relais des centrales actuelles après quarante ans de fonctionnement. Les équipes de Framatome et de Siemens commencent alors à travailler sur un projet dit de troisième génération. L’objectif : un réacteur plus puissant, plus sûr, et qui soit, à l’image d’Airbus, une réussite européenne. Dès l’origine, les concepteurs cherchent un niveau de sûreté très élevé et intègrent les standards français et allemands.

Chez EDF, Xavier Ursat, directeur du Nouveau Nucléaire, explique que ce choix répondait à trois principes : D’abord, il s’agissait de bénéficier du retour d’expérience du parc existant. Ensuite, l’idée, c’était d’avoir des exigences de sûreté très élevées. Et enfin, d’avoir un réacteur de forte puissance, ce qui permet de produire une grande quantité d’électricité sur une surface extrêmement réduite. La décision est prise formellement en 2005 et, à l’époque, personne n’imagine que ce réacteur du futur ne sera toujours pas opérationnel treize ans plus tard.

De l’avis général, EDF s’est lancé sans être suffisamment prêt. La réflexion sur le réacteur a été très pointue, mais la phase de fabrication a été négligée. C’est surtout le fruit de l’arrogance incroyable d’EDF à l’époque. Le chantier a été lancé alors que le design – la conception – n’était pas gelé, reconnaît aujourd’hui un haut dirigeant du groupe, qui déplore : On a fait et défait énormément, on a perdu beaucoup de temps.

Surtout, les ingénieurs français réalisent progressivement que la filière nucléaire française est rouillée : la dernière centrale connectée au réseau, Civaux (Vienne), l’a été en  2002. La plupart des responsables ayant travaillé sur la création du parc nucléaire sont partis à la retraite. Mais c’est chez les sous-traitants que la perte de compétences est la plus cruelle. Il a fallu réapprendre à construire des centrales, témoigne un responsable d’EDF, qui raconte comment on a dû rappeler des grands anciens au moment où les choses ont commencé à déraper.

Tout est plus compliqué, dans une centrale, détaille l’économiste de l’énergie Jacques Percebois, même couler du béton ou faire une soudure doit être fait de manière très spécifique.

Le problème n’est pas l’EPR, c’est d’abord un problème industriel : EDF est un très bon exploitant mais ne sait plus construire, se désole un ancien dirigeant d’Areva, qui souligne aussi un problème culturel chez EDF, qui n’aurait pas accepté le design d’origine.

Une des difficultés est d’ailleurs venue dès la conception franco-allemande sous l’égide du français Framatome et de l’allemand Siemens. La complexité de l’EPR, c’est qu’on a ajouté des exigences allemandes et françaises. Il y a deux bretelles et trois ceintures, explique M. Percebois. D’autant que le réacteur est le plus puissant jamais envisagé : 1 650 mégawatts, alors que la génération précédente va de 900 à 1 450 mégawatts.

C’est vrai que les difficultés de conception ont pénalisé la filière, mais tous les réacteurs de troisième génération dans le monde sont en retard, modère Valérie Faudon, de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). Si on devait refaire le film, on le ferait globalement de la même manière, maintient Xavier Ursat, d’EDF, pour qui le choix d’origine de l’EPR est un bon choix.

La perte de savoir-faire de la filière française n’est pas la seule raison des retards et des surcoûts : depuis l’accident de Tchernobyl, en  1986, et plus encore depuis celui de Fukushima, en  2011, les questions de sûreté sont de plus en plus prégnantes. Cela aurait pu être une aubaine pour un réacteur conçu pour être le plus sûr du monde. Le problème de ces modèles, c’est qu’ils deviennent beaucoup trop complexes et trop coûteux : en faisant monter la sûreté d’un cran, on augmente la facture, explique le chercheur britannique Paul Dorfman.

L’EPR prévoit notamment un dispositif spécial en cas de fusion du cœur du réacteur – ce qui s’est produit à Fukushima – et une paroi externe conçue pour encaisser le choc du crash d’un avion. Quand il y a eu l’accident de Fukushima, nous n’avons rien eu à changer ou presque sur l’EPR. Il est de naissance compatible avec des niveaux de sûreté très élevés, se félicite M. Ursat. Ce haut niveau de sûreté est l’une des raisons de la forte puissance : puisque mettre en place ces normes coûte cher, autant construire le réacteur le plus puissant possible pour rentabiliser les investissements.

L’électricien travaille aujourd’hui sur une conception simplifiée pour faire baisser les coûts, tout en assurant que cela ne fera pas baisser le niveau de sûreté. C’est très problématique, s’inquiète M.  Dorfman, pour qui promettre un EPR moins cher veut dire promettre un EPR moins sûr.

La tâche se révèle d’autant plus difficile que, depuis l’accident de Fukushima, le marché mondial du nucléaire s’est rétréci. Certes, l’EPR est en cours de construction dans quatre pays, mais, à chaque fois, il a rencontré des difficultés importantes. Dans ces conditions, il n’est pas simple de trouver des pays volontaires pour se lancer dans l’aventure. À l’international, l’EPR s’est avéré un mauvais produit : trop gros, trop cher, trop difficile à maîtriser pour des pays qui n’ont pas d’expérience dans le domaine, souligne Yves Marignac, expert critique du nucléaire. De fait, hormis le Royaume-Uni et l’Inde, EDF ne dispose d’aucun autre projet concret à développer On a validé la technologie à Taishan, répond-on chez EDF, où l’on assure que le démarrage du premier EPR du monde en Chine, en juin, va changer cette perception.

Malgré ces problèmes, EDF continue de miser fièrement sur l’EPR, et en fait la pierre angulaire de sa stratégie. Il faut dire que l’entreprise dirigée par Jean-Bernard Lévy est en mauvaise posture : sa dette, en  2017, atteint 33  milliards d’€ et son cash-flow disponible est négatif depuis onze ans. Le groupe a une dette élevée, mais c’est son modèle de développement historique, justifie-t-on en interne. Mais les revenus s’amenuisent : EDF perd 100 000 clients particuliers par mois et peine à s’imposer en France dans le secteur des renouvelables. L’État a dû recapitaliser le groupe à hauteur de 4 milliards en  2016. Pour la direction actuelle de l’entreprise, sa santé financière passe par une reprise de la construction de réacteurs nucléaires, en France et dans le monde. EDF a officiellement demandé à l’État de s’engager rapidement sur la construction d’un nouvel EPR en France. L’objectif : maintenir les compétences réapprises dans la douleur à Flamanville.

Il y a quelques mois à l’Assemblée nationale, Jean-Bernard Lévy résumait la situation en expliquant : Si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler.

Mais les finances d’EDF peuvent-elles supporter une telle trajectoire ? Le directeur financier de l’entreprise, Thomas Piquemal, a claqué la porte en 2015, inquiet du poids que le financement de l’EPR britannique de Hinkley Point faisait peser sur l’entreprise. Selon lui, la nécessité pour l’électricien de financer seul les deux tiers du projet crée une situation trop risquée. Qui parierait 60 % à 70 % de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne, alors que ça fait dix ans qu’on essaie de la construire ? lance-t-il devant les députés en  2016.

C’est le cœur du problème pour EDF : comment financer de nouveaux réacteurs ? Pour Hinkley Point, il a fallu engager des ressources considérables, alors même qu’EDF a décroché un contrat en or avec l’État britannique : pendant trente ans, le groupe français vendra son électricité à un tarif garanti, deux fois supérieur au prix actuel de l’électricité ! Autrement dit, les consommateurs britanniques vont voir leur facture augmenter.

De fait, la plupart des pays qui continuent de construire du nucléaire ne peuvent le faire qu’avec un fort engagement de l’Etat et une garantie de revenus pour des investisseurs privés. Mais la France de 2018 n’est plus celle de Pierre Messmer et du Commissariat au plan en 1974, au moment du lancement du plan nucléaire français.

L’atome réclame du temps long. Quand on parle de l’EPR, on parle d’un investissement sur un siècle. Or on est dans une période dans laquelle les gens veulent des rendements à plus court terme, même dans les infrastructures, analyse Emmanuel Autier, du cabinet Bearing Point. On ne va pas se bousculer pour financer un projet qui n’a pas encore fait ses preuves alors que c’est bien plus rentable et moins risqué de financer des énergies renouvelables, note une responsable d’un fonds d’investissement.

D’autant que la structure actuelle d’EDF, soumise aux fluctuations boursières, n’encourage pas à s’engager sur le long terme. Les frais financiers représentent une partie très importante de la construction. Une société cotée ne peut pas porter ça sur son bilan de manière massive, abonde Valérie Faudon, de la SFEN. Il faudra que l’Etat joue pleinement son rôle en créant un nouveau cadre régulatoire, reconnaît Xavier Ursat. Autrement dit : pour faire vivre l’EPR – et faire survivre EDF -, ce sera à l’État de garantir les investissements et aux consommateurs d’en supporter la charge sur leur facture d’électricité.

C’est l’équation complexe dans laquelle se trouve EDF : pour survivre dans sa forme actuelle, il lui faut construire de nouveaux EPR. Et pour construire de nouveaux EPR, il faut engager un argent que l’électricien n’a pas.

Nabil Wakim. Le Monde du 18 09 2018

[…] Après des années maussades, une éclaircie se profile pour les énergies vertes en France. Certes, elles demeurent à la peine : fin 2015, leur part dans la consommation finale d’énergie n’était que de 14,9  %, alors qu’elle aurait dû atteindre 17 % pour se trouver en phase avec l’objectif de 23 % en  2020, fixé dans le cadre du paquet énergie-climat européen. Les chiffres à fin 2016 ne sont pas encore connus, mais le différentiel ne devrait guère avoir changé.

Ces mauvaises performances placent la France dans la queue du peloton européen, loin de la Suède (52,6 % de renouvelables fin 2014), de la Finlande (38,7 %), de l’Autriche (33,1 %) ou du Danemark (29,2 %). De tous les pays de l’Union européenne, elle est celui qui accuse le retard le plus important sur son objectif.

Il ne faut pas se faire d’illusions. On n’arrivera pas à rattraper ce retard d’ici à 2020, déplore le président du SER, Jean-Louis Bal. En revanche, il n’est pas trop tard pour se mettre sur la bonne trajectoire pour 2030. La loi de transition énergétique d’août 2015 prévoit de porter, à cette échéance, la part des renouvelables à 32 % du mix énergétique.

Les industriels veulent donc faire preuve d’optimisme. Le bilan de l’année 2016 est pourtant en demi-teinte. Dans l’éolien terrestre, 1 345 mégawatts (MW) de capacités nouvelles ont été installés, un record historique. Pour autant, le parc en place au 30 septembre dépassait à peine 11 000 MW, très en deçà des 19 000 MW visés en  2020. La faute, en grande partie, aux recours systématiques déposés par les associations anti-éolien.

La situation est inverse dans le solaire photovoltaïque. On n’a installé que 576 MW de puissance en  2016, plus mauvais résultat de ces dernières années. Ce secteur subit les contrecoups du moratoire sur les projets solaires décidé par l’État au début des années 2010 pour crever la bulle spéculative qui s’était formée. Le parc n’en atteignait pas moins 6 650 MW fin septembre (7 500 MW avec l’outre-mer), déjà au-delà des 5 400 MW escomptés en 2020.

C’est pour l’éolien en mer que le tableau est le plus sombre. Les turbines des six parcs au large des côtes normandes, bretonnes et vendéennes, pour un total de 3 000 MW, ne tourneront pas avant la prochaine décennie. Et les résultats d’un nouvel appel d’offres pour une puissance de l’ordre de 500 MW au large de Dunkerque (Nord) sont toujours attendus.

D’où vient, alors, que la profession croie en des lendemains plus radieux ? L’embellie espérée tient à la programmation pluriannuelle de l’énergie, publiée en octobre 2016. Cette feuille de route, qui décline la loi de transition énergétique, nous donne de la visibilité, se félicite Jean-Louis Bal. Elle prévoit de faire grimper la capacité hexagonale d’énergie renouvelable de 41 000 MW en 2014 à 71 000 ou 78 000 MW, selon les scénarios, en 2023.

La ministre de l’environnement et de l’énergie, Ségolène Royal, a ainsi lancé deux appels d’offres dans le photovoltaïque, pour une capacité totale de 4 500 MW sur trois ans. Les industriels en veulent autant pour l’éolien terrestre.

La filière profite aussi d’un travail de simplification administrative qui, constate le président du SER, commence à porter ses fruits. À compter du 1° mars, une autorisation environnementale unique sera exigée pour les installations de production d’énergie renouvelable, alors que de multiples autorisations étaient jusqu’alors nécessaires – au titre des réserves naturelles, des sites classés, de la protection de la faune et de la flore sauvages… Cela n’empêchera pas les recours, mais ils devraient être moins nombreux, ce qui pourrait diviser par deux la durée de réalisation des parcs éoliens (de six à sept ans aujourd’hui).

Les industriels attendent donc des futurs responsables politiques la confirmation des ambitions tracées par la programmation pluriannuelle. Et l’allocation des moyens financiers promis. Année après année, Mme Royal met en avant le doublement du fonds chaleur, un dispositif géré par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pour développer la biomasse, la géothermie ou le solaire thermique. Ce fonds est doté de 210  millions d’€/an, mais la promesse de doublement ne s’est pas encore concrétisée.

Il s’agit d’un outil très efficace, plaide Jean-Louis Bal. De 2009 à 2013, l’État y a consacré 1,1 milliard d’€, ce qui a permis de remplacer 1 million de tonnes équivalent pétrole de combustibles fossiles et d’économiser 350 millions d’€ par an sur les importations d’hydrocarbures. Soit un amortissement en seulement trois ans. Quel que soit le résultat de la présidentielle, les renouvelables peuvent compter sur un allié objectif : la baisse régulière de leur coût. Une étude publiée le 25  janvier par l’Ademe montre que l’éolien terrestre et le photovoltaïque sont devenus, en France comme dans le reste du monde, compétitifs vis-à-vis des moyens conventionnels de production d’électricité, nucléaire compris.

Pierre Le Hir. Le Monde du 1 02 2017

2015     

Marcelline Budza est congolaise, dans le Kivu, cette province de l’est du pays ravagée depuis le génocide rwandais par les milices hutus rwandaises ou par les mercenaires congolais, violeurs, pilleurs de coltan et autre terres rares. On y cultivait bien le café, mais, n’étant pas consommateur, les efforts pour en faire un produit de qualité étaient maigres. Elle rencontre Antoine Nétien, torréfacteur parisien, créateur du café Coutûme à Paris. Ils s’associent à Rebuild Women’s Hope, sur l’île Idjwi. Leur rencontre provoque la mise en route des processus pour parvenir à une grande amélioration du café… une coopérative est créée qui va mutualiser les efforts, ouvrir ce café à des marchés rémunérateurs. Marcelline Budza a 28 ans. Elle a déjà créé 40 km plus loin, une seconde coopérative. Elle a sorti de leur désespoir les femmes violées, cassées, qui se mettent debout et dansent quand elle arrive.  Il n’y a qu’emmenée par de telles personnes que l’Afrique pourra se sortir de son machisme nauséeux et de son marasme.

1 01 2016     

Les Banques françaises peuvent désormais prélever dans les comptes des particuliers quand ils ont un dépôt supérieur à 100 000 € l’argent dont elles pourraient avoir besoin pour éviter la faillite ; il s’agit d’une directive européenne nommée BRRD – en français DRRB : Directive sur le Redressement et la Résolution des Banques -, adoptée en décembre 2013 par les 28 Etats membres de l’Union européenne, donc avalisée par la Commission et par le Parlement européen.

Pour intégrer ce genre de directive à la législation française, point n’est besoin de passer en priorité par une loi votée par le Parlement : le texte peut passer par voie d’ordonnance, décidée en Conseil des ministres et signée par le président de la République, avec le grand avantage d’entrer en vigueur dès sa publication. Une régularisation par le parlement est censée achever le travail, mais, un an plus tard, on n’aura toujours rien vu. En attendant, l’ordonnance est applicable. Cela porte un nom : spoliation.

4 02 2016 

Benjamin Millepied démissionne, moins de quinze mois après sa prise de fonction, de son poste de directeur du ballet de l’Opéra de Paris, le palais Garnier : on pourrait estimer que c’est anecdotique si cela ne révélait la puissance des blocages culturels sévissant au sein des plus prestigieux établissements culturels français. Avant de prendre son poste en novembre 2014, il avait été pendant presque dix ans danseur au New-York City Ballet dont il était devenu l’étoile, ruisselant de talent, de créativité et d’humanité  ; c’est dire si, sur le plan professionnel, il était arrivé à Paris avec les méthodes en vigueur en Amérique, où priorité est donnée à l’épanouissement personnel, où l’on n’apprécie pas du tout le caporalisme… toute une pédagogie moderne – le meilleur de ce que savent faire les Américains – qui est bien loin d’avoir pénétré des forteresses de conservatisme comme l’Opéra de Paris. Ces choix, qui n’étaient que normaux à l’américaine devinrent des gaffes non pardonnables à Paris : choisir pour son premier spectacle Clear, Loud, Bright Forward, des danseurs et danseuses au sein du corps du ballet, en ignorant les danseurs étoiles, donner à Letizia Galloni, métisse,  le premier rôle dans un ballet classique – ça fait tâche, bien sûr -, instaurer des rapports de confiance avec les danseurs en faisant en sorte que ces derniers, quand ils désirent s’adresser à lui, n’aient plus la gorge nouée par la peur, autant de comportements, de décisions qui ne passent pas auprès de ceux qui se trouvent ainsi avec un ego rabaissé.  Demander aux services techniques de vous fournir deux ou trois bancs très basiques, trois semaines avant la première relève de l’impossible.  Et quand, de plus, il vous faut découvrir l’existence des grèves, impensables en Amérique, chez des techniciens qui n’ont en rien conscience de leur situation privilégiée au sein d’une institution qui ne vit que parce que le contribuable participe à raison de  58 % à son budget de fonctionnement quand il ne peut même pas envisager d’en profiter, vu le prix de la plupart des spectacles, à la portée des seuls riches. 1 700 employés, c’est certes un gros paquebot, mais un paquebot, c’est tout de même fait pour être en mouvement. Tout ça cumulé vous emmène au bord du burn out. Donc, exit Benjamin Millepied, et avec lui une magnifique chance pour l’Opéra de Paris d’entrer dans le XXI° siècle. Une bonne action ne doit jamais rester impunie, dit un proverbe irlandais.

11 02 2016

Fleur Pellerin est remerciée du ministère de la Culture. Aucun reproche sur sa gestion  – parvenir à faire ouvrir 7 jours sur 7 des mammouths comme le Musée du Louvre, d’Orsay et de Versailles, est déjà un très gros succès, la finalisation du statut des Intermittents du spectacle, ce n’est pas rien non plus – mais des reproches sur ses erreurs de communication : ainsi nomme-t-on aujourd’hui les manquements à l’Étiquette, à savoir le culturellement correct élaboré par les milieux culturels parisiens, incapables de réaliser que le Ministère de la Culture en 2016, ce n’est pas le salon de Madame Récamier : elle n’a jamais lu de Modiano… ET ALORS ? a-t-on envie de répondre. Où est le problème ? Elle n’est même pas allée aux obsèques de Michel Tournier. ET ALORS ? a-t-on envie de poursuivre. Tout cela sent à plein nez la courtisanerie, la jactance, l’érudition flirtant avec la redondance, la méconnaissance de la mission d’une ministre de la Culture.

Il y a peu de pays au monde où une enfant trouvée dans les rues d’un bidonville d’un pays en développement, [elle est née Kim Jong-suk à Séoul en 1973] et adoptée par une famille modeste, dont la généalogie est faite d’ouvriers, de domestiques, puisse un jour se retrouver ministre de la Culture. J’ai une gratitude immense, indicible pour Manuel Valls d’avoir proposé mon nom au président de la République en août 2014. Je tiens à lui dire ma reconnaissance et ma fidélité.

Fleur Pellerin. Discours de départ au Ministère de la Culture le 11 02 2016

Peut-être Fleur Pellerin sera-t-elle parvenue à apprendre au Président de la République ce qu’est l’élégance ?

Albert Einstein les avait prédites. Les instruments de mesure du XXI° siècle confirment son intuition : les ondes gravitationnelles existent : Je fais la comparaison suivante : imaginez que vous ayez été aveugle depuis votre naissance mais que vous ayez eu l’usage de vos oreilles. Vous connaissez le monde par les sons et vous avez une certaine familiarité avec la réalité. Et un jour on vous soigne et vous ouvrez les yeux. Vous ajoutez un instrument de détection qui vous donne d’autres informations sur le monde. Depuis toujours, nous avons une astronomie de la lumière, celle des photons, et c’était le seul moyen que nous avions de connaître l’Univers dans ses grandes dimensions. Ce qu’ajoute la découverte des ondes gravitationnelles, c’est une autre technique, qui va nous donner d’autres informations sur la réalité cosmique.

Nous avions l’astronomie 1 avec l’astronomie visuelle, nous avons maintenant l’astronomie 2  avec ces ondes gravitationnelles – et en fait il y a une astronomie 3 avec les neutrinos. Or, ces astronomies ont des horizons différents. L’astronomie classique de la lumière nous permet de remonter jusqu’à environ 400 000 ans après le Big Bang. Mais on ne peut pas aller au-delà : aucune lumière, aucun message électromagnétique ne nous provient d’avant. Les neutrinos permettent de remonter plus loin, plus tôt, jusqu’à la première minute ou la première seconde. Et les ondes gravitationnelles théoriquement jusqu’au premier milliardième de seconde. On verra ce que cela donnera, mais, en principe, cela nous ouvre un accès presque au Big Bang lui-même.

Hubert Reeves. Le Monde du 28 12 2016

Albert Einstein a bouleversé les notions intuitives de temps, d’espace et d’énergie.

Selon sa théorie de la relativité restreinte (1905), la description de l’Univers ne doit pas séparer le temps et les positions dans l’espace mais les considérer ensemble : un point dans l’espace-temps est en fait un événement, c’est-à-dire une position attachée à un temps. Le temps absolu n’existe pas. Il dépend des vitesses relatives entre observateurs, par exemple. Une horloge qui se déplace affiche un temps qui s’écoule plus lentement qu’une autre immobile.

Une conséquence de cette seconde théorie, datant de 1915, est que la trame de l’Univers est structurée par la force de gravitation : les objets lourds courbent l’espace-temps, comme une boule sur un drap tendu. En retour, la structure de l’espace-temps force la matière et la lumière à suivre ses courbes. C’est dans cet espace élastique que nous vivons et que se propagent les ondes gravitationnelles qui distordent les distances.

Énorme secousse dans le monde scientifique, pour une découverte majeure, à ranger au sommet des plus grandes percées de la connaissance. Pour la première fois, des vibrations venues de l’espace et d’une étrange nature ont été détectées sur Terre, confirmant une prédiction d’Albert Einstein vieille d’un siècle.

Ces tressautements, baptisés ondes gravitationnelles, compriment et dilatent à la vitesse de la lumière l’espace-temps qui nous entoure, comme le son le fait avec l’air. Ou comme du veau en gelée tremblote lorsqu’on le secoue, aime à dire Thibault Damour, spécialiste de la relativité générale à l’Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette (Essonne). L’espace-temps, c’est-à-dire la trame même du monde dans lequel nous vivons, est donc un contenant élastique, susceptible d’onduler à la manière des rides à la surface d’une eau perturbée par le lancer d’un caillou.

La détection de ce premier clapotis cosmique est détaillée dans la revue Physical Review Letters du 11  février par l’équipe de l’instrument LIGO, aux États-Unis, en collaboration avec celles de Virgo, détecteur essentiellement franco-italien et construit près de Pise, et de GEO 600, en Allemagne. Cette détection est le début d’une nouvelle ère, celle de l’astronomie des ondes gravitationnelles devenue désormais une réalité, a lancé Gabriela Gonzalez, porte-parole de l’équipe LIGO, professeur d’astrophysique à la Louisiana State University.

Les chercheurs ont repéré l’infime effet du passage d’une telle onde, qui a la capacité étonnante de distordre les distances, de les allonger ou de les réduire très légèrement. Aucune autre onde ne peut le faire. L’effet est faible, de l’ordre d’une variation du dix millième de la taille d’une particule élémentaire (environ 10-19m). Autrement dit, comme si l’étoile la plus proche, Proxima du Centaure, située à plus de quatre années-lumière de la Terre, se rapprochait de nous d’un demi-diamètre de cheveu…

Pour mesurer une si minuscule distance, les chercheurs ont construit depuis vingt ans des amplificateurs géants. LIGO est ainsi fait de deux tunnels perpendiculaires de quatre kilomètres de long chacun. À l’intérieur, deux faisceaux laser, parfaitement synchronisés entre eux, effectuent des dizaines d’allers-retours entre des miroirs. Puis, ces deux rayons sont recombinés à la sortie afin de vérifier leur synchronisation. Si une onde gravitationnelle secoue l’espace-temps et se propage jusque-là, elle étire un trajet lumineux avant l’autre, désynchronisant les lasers.

C’est ce qui s’est passé le 14  septembre 2015 à 11 h 51 (heure française) sur les deux sites américains jumeaux construits en Louisiane et dans l’Etat de Washington à 3 000 kilomètres de distance. Les sismographes se sont agités avec 7 millisecondes de décalage. C’était trop beau pour être vrai ! se souvient Jean-Yves Vinet, ancien responsable de Virgo (2007-2011), aujourd’hui directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Mais après des semaines de vérifications, écartant toute erreur, la confirmation est arrivée. C’est l’aboutissement d’un très gros travail. C’est enthousiasmant, constate Eric Chassande-Mottin, chercheur CNRS du laboratoire Astroparticule et cosmologie.

Le signal enregistré par les chercheurs précise, en outre, l’origine de cette secousse, apportant une seconde découverte majeure. Il s’agit de la fusion de deux trous noirs en un nouveau, deux fois plus gros. Le duo est, respectivement, vingt-neuf et trente-six fois plus massif que le Soleil, et situé à plus d’un milliard d’années-lumière de la Terre. C’est extraordinaire. Quand j’ai commencé ces travaux, dans les années 1970, les trous noirs n’étaient à peine qu’une hypothèse, souligne Jean-Yves Vinet.

Mieux, les chercheurs ont vu respirer ces géants d’où aucune lumière ni matière ne peuvent s’échapper. Lorsque les deux trous noirs se rapprochent, des ondes gravitationnelles sont créées, affolant périodiquement les détecteurs de LIGO. Puis, quand ils fusionnent, l’objet patatoïde qui en résulte n’adopte pas immédiatement une forme stable.

Il vibre, telle une cloche, et fait trembler la gelée cosmique jusqu’aux détecteurs terrestres, d’une manière différente de la sarabande précédente. Un nouveau trou noir est en train de naître. La masse finale du trou noir est 62 fois celle du Soleil. C’est moins que la somme des deux trous noirs ; l’excédent a été converti en ondes gravitationnelles, indique Nicolas Arnaud (CNRS) du Laboratoire de l’accélérateur linéaire à Orsay.

C’est à ce spectacle et à bien d’autres que rêvent d’assister plus souvent les astronomes désormais. Cela ouvre une grande période nouvelle et excitante. L’Univers est mû par la gravité, mais on ne l’observe qu’avec la lumière. Nous verrons enfin des choses jamais vues parce qu’elles n’émettent pas de lumière, estime Pierre Binétruy, professeur à l’université Paris-VII. Nous changeons d’époque. 

À chaque fois que nous braquons un nouvel instrument vers le ciel, on voit et on comprend des choses nouvelles. Ce fut le cas avec Galilée pointant sa lunette vers Jupiter et découvrant ses satellites, rappelle Jean-Yves Vinet. Seuls des événements impliquant de gros objets en mouvement peuvent faire osciller la gelée de veau cosmique. Comme des étoiles explosant en supernova ; ou des étoiles mourant et se contractant en trou noir ou en étoiles à neutrons, appelées également pulsars, qui condensent l’équivalent de la masse du Soleil sur seulement dix kilomètres de rayon ; ou encore l’origine violente de l’Univers au moment du Big Bang, il y a plus de treize milliards d’années.

Cette première découverte ouvre donc une nouvelle fenêtre astronomique sur ces phénomènes, en élargissant le spectre des moyens d’observation après la lumière visible, les rayons X, infrarouges, ultraviolets, les ondes radio ou même les neutrinos (des particules quasiment sans masse qui interagissent peu avec la matière).

Pour la suite, Virgo fait actuellement peau neuve pour être aussi précis que son collègue américain et reprendre du service avant la fin 2016. Son couplage avec LIGO permettra une localisation précise des sources dans le ciel. Les Japonais achèvent Kagra ; les Indiens comptent sur LIGO India. Et les chercheurs voient encore plus loin. Les instruments terrestres sont en effet limités à l’observation d’objets peu massifs et proches, toutes proportions gardées.

En effet, plus les cailloux agitant l’espace-temps sont gros, plus les crêtes des vagues créées sont éloignées et plus il faut des bras grands pour en saisir le passage. Des trous noirs, plusieurs millions de fois plus lourds que le Soleil, comme celui au cœur de notre galaxie, resteront en fait invisibles à LIGO et à Virgo.

La suite consistera à installer en orbite eLISA, une sorte de triangle de faisceaux laser dont les bras d’un million de kilomètres de long bougeraient sous l’effet d’ondes gravitationnelles. Lancement prévu dans les années 2030. L’Agence spatiale européenne a mis sur orbite, le 3  décembre 2015, LISA Pathfinder, un satellite destiné à tester des technologies nécessaires à eLISA.

Cette détection d’ondes gravitationnelles, aussi compliquée soit-elle, n’est pas une surprise. La relativité générale est fiable et éprouvée depuis de nombreuses années : la plupart des phénomènes étranges prévus par cette théorie ont déjà été observés. Par exemple, les gros objets dévient les rayons lumineux, ce qui décale effectivement la position des étoiles dans le ciel. Ou bien une horloge bat moins vite le tempo en altitude qu’en surface (une information essentielle pour corriger les signaux GPS).

Quant aux ondes gravitationnelles elles-mêmes, leur présence avait été repérée en  1978 et saluées par un prix Nobel en  1993 : la rotation de deux pulsars détectés en 1974 et se tournant autour s’accélérait à cause de l’émission d’ondes gravitationnelles entre les deux objets. En revanche, jamais ces ondes n’avaient été ressenties sur Terre. Des rumeurs bruissent déjà sur le fait que LIGO aurait d’autres secousses dans son sac.

S’il ne fait pas de doute qu’un prix Nobel couronnera cette découverte, les noms des lauréats seront difficiles à choisir. L’Américain Rainer Weiss, du MIT, est à l’origine, dans les années 1970, des premières études précises sur les défis à relever pour de futurs instruments. Kip Thorne, charismatique physicien américain, a poussé à la réalisation de LIGO dans les années 1990. Ronald Drever, un Ecossais, a eu l’une des idées-clés permettant d’augmenter la puissance des lasers.

Côté européen, le Français Alain Brillet et l’Italien Adalberto Giazotto ont contribué largement aux techniques optiques et mécaniques nécessaires au fonctionnement parfait de Virgo. Et, bien sûr, les porte-parole de LIGO, Gabriela Gonzalez, ou de Virgo, Fulvio Ricci, sont aussi sur les rangs. De quoi secouer encore le landerneau scientifique.

David Larousserie. Le Monde du 13 02 2016

C’est la preuve de l’existence des trous noirs : Pour le physicien Thibault Damour, la théorie d’Einstein est confirmée à un niveau inégalé.

Le physicien théoricien Thibault Damour (Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette, Essonne), n’a pas participé directement à la détection des ondes gravitationnelles. Mais il avait calculé en 2000 le signal produit par la fusion de deux trous noirs, perçu en septembre  2015 par les détecteurs américains LIGO. Il évoque l’importance de la percée annoncée jeudi 11  février par la revue Physical Review Letters.

Peut-on parler d’une découverte, ou s’agit-il d’une confirmation ?

D’une découverte, et même d’une double découverte. On savait que les ondes gravitationnelles étaient réelles et on avait vu leur propagation entre deux pulsars – astres émettant de fortes impulsions électromagnétiques -, mais c’est la première fois qu’on voit des ondes gravitationnelles émises par un système binaire de trous noirs très distants.

Mais, à mon sens, la découverte la plus importante, c’est de prouver pour la première fois l’existence des trous noirs. Les preuves antérieures sont objectivement très indirectes, alors que, cette fois, on a pu observer les deux trous noirs au tout dernier moment de leur rapprochement. On voit le signal qui est dû à la fusion de ces trous noirs, dont la surface, comme celle de deux bulles de savon, se coalesce – fusionne – . On observe les caractéristiques de vibration du trou noir nouvellement formé. Cela, c’est la preuve non seulement de l’existence de trous noirs, mais aussi de la dynamique de l’espace-temps quand deux trous noirs fusionnent, ce qui est une confirmation de la théorie d’Einstein à un niveau inégalé.

Ce qui a été observé correspond à un instant très fugace, un clignement d’œil…

Cela n’a duré que deux dixièmes de seconde. On voit les dernières orbites de ces deux trous noirs. Quand on y réfléchit, c’est inimaginable. Vous avez deux trous noirs, qui font une trentaine de masses solaires chacun, qui étaient à un milliard d’années-lumière de nous, qui ont tourné l’un autour de l’autre pendant des centaines de millions d’années, d’abord très lentement, puis de plus en plus rapidement. Et là, on a vu les quelques dernières orbites et leur fusion. On attrape la fin du signal (0,2 seconde) qui a voyagé pendant un milliard d’années avant d’arriver sur Terre !

Cette détection n’épuise-t-elle pas votre intérêt pour les ondes gravitationnelles ?

Non, car contrairement à la découverte du boson de Higgs, qui d’une certaine manière concluait le modèle standard, ici on ouvre un nouveau domaine scientifique, l’astronomie des ondes gravitationnelles. Avec en plus une très bonne nouvelle : le fait que LIGO ait observé un signal alors qu’il n’était pas encore au maximum de ses capacités signifie qu’il existe bien plus de sources d’ondes gravitationnelles qu’on ne pouvait l’espérer.

En outre, j’ai une satisfaction personnelle, car nous avons été les premiers, avec ma collègue Alessandra Buonanno, à prévoir la théorie du signal qui a été observé. En l’an 2000, nous avions calculé le signal de coalescence de deux trous noirs, cinq ans avant que la relativité numérique, calculée par les gros ordinateurs, puisse le simuler, et quinze ans avant qu’on l’observe dans la nature. Les méthodes que nous avons développées ont été utilisées par les Américains dans la détection. Donc la France peut être fière que son école théorique ait contribué à cette découverte.

Mais c’est bien une découverte des deux détecteurs américains LIGO. Le détecteur européen Virgo, qui n’est pas encore branché, n’y a pas participé directement. Il faut pourtant souligner que la technologie et les concepts qui ont permis à LIGO d’aboutir ont pour partie pour origine des efforts des équipes de Virgo – et en particulier celle d’Alain Brillet, qui dès 1980 a commencé à travailler en France sur la question de la détection des ondes gravitationnelles au moyen de rayons laser. Il a inventé plusieurs idées qui ont été cruciales pour cette détection.

Il faut aussi évoquer les miroirs qui doivent réfléchir les rayons laser sans aucune perte : cela a été fait dans le Laboratoire des matériaux avancés du CNRS à Lyon. Il y a donc des contributions plus que non négligeables, et c’est pourquoi l’article décrivant la découverte dans les Physical Review Letters est cosigné par l’équipe américaine de LIGO et les équipes de Virgo.

Propos recueillis par Hervé Morin. Le Monde du 13 02 2016

_______________________________________________________________________________________________

[1] Le pétrole volé par Daech est brut, du lourd, non raffiné, et donc inutilisable en l’état. Les compagnies acheteuses le raffinaient puis le revendaient à Daech.

[2] Guerre au cours de laquelle les rebelles Houthis se saisiront de l’unité flottante de production, stockage et déchargement FSO Safer, propriété de l’État yéménite, ancien supertanker à simple coque, contenant 1.14 millions de barils de brut, mouillé au large de Ras Isa, à 7 km de la côte et à 60 km d’Hodeida, un port de la côte orientale de la  Mer Rouge au nord de Djibouti. Par la suite ils oublieront complètement le navire, livré à une inéluctable dégradation, simple objet de chantage auprès du gouvernement du Yémen. Les autorités internationales commenceront à se soucier du problème fin 2021 quand l’eau aura déjà commencé à envahir la salle des machines, et que dès lors tout pourrait arriver… Et, une fois n’est pas coutume, l’ONU prendra l’affaire en main, et fera en sorte que la bombe flottante soit désamorcée… En 2023, le PNUD achètera le supertanker Nautica à quai à Djibouti pour le transfert de la cargaison : c’est une opération à 140 millions $ : en juin 2023 il en manque encore 29 millions. En attendant des gaz inertes vont être injectés dans les réservoirs pour limiter les risques d’explosion. Finalement, c’est lasociété néerlandaise Boskalis, mandatée par les Nations Unies qui réussira à négocier avec les rebelles le pompage de 1.1 million de barils.

Les récifs coralliens du nord de la Mer Rouge sont parmi les plus beaux du monde.

Si la cargaison du Safer s’était échappée, elle aurait anéanti les sources de revenus de 200 000 personnes, entravé l’acheminement de l’aide alimentaire dont dépendent 17 millions de personnes, touché les usines de désalinisation qui fournissent de l’eau potable à 35 millions de personnes, et perturbé le trafic dans le détroit de bab el-Mandeb, privant l’Égypte des revenus générés par le canal de Suez qui facture chaque passage plusieurs centaines de milliers €. À lui seul, le coût du nettoyage des côtes était estimé à 20 milliards €, et les stocks auraient mis 25 ans à se reconstituer.

Laurence Defranoux. Libération des 7 et 8 septembre 2024

FSO SAFER: Risk Impact Analysis Information - Riskaware

Des experts mettent en garde contre une marée noire dans la mer Rouge | The Times of Israël

[3] Les retards ont commencé par des problèmes sur la dalle de béton qui devra être renforcée, puis les équipements-clés se révéleront indisponibles aux  dates prévues. Le gendarme du secteur décèlera des anomalies dans l’acier de la cuve, dont le couvercle ne répondra pas aux exigences de sureté. Et enfin de nombreuses soudures se révéleront défectueuses.