1 janvier au 21 mai 2015. Daech. Charlie Hebdo décapité. Santé publique. Un malade mental aux commandes d’un vol commercial. 20568
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Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

1 01 2015

Après les décapitations individuelles et collectives, la barbarie s’attaque au patrimoine culturel : Daech fera circuler des vidéos fin février. [Daech : Al-Dawla al-Islamiya fil Irak wach Cham : Etat Islamique en Irak et en Syrie.]

Daech met à sac les grandes sculptures de pierre de la galerie assyrienne du musée de Mossoul, en Irak. Les figures millénaires, de taille surhumaine, certaines couvertes de bâches en plastique – dont une seule serait une copie -, sont renversées et méthodiquement fracassées à grands coups de masse et de perceuse électrique, par des hommes cagoulés de noir. Sur le site de Ninive, ils attaquent aussi au marteau-piqueur un grand taureau ailé à tête humaine, du VII°  siècle avant notre ère, apogée de l’empire d’Assyrie. Ce relief de quatre mètres de haut, gardait, sous le règne de Sennacherib, la porte de Nergal ; il date d’une capitale de l’empire assyrien (IX°-VII° av. J. C.). Ces grands génies protecteurs étaient placés aux portes des palais royaux pour les défendre et repousser les envahisseurs …

Les autres sculptures détruites proviennent de l’ancienne ville d’Hatra, située à 100  kilomètres au sud-ouest de Mossoul. Ces divinités – rois et prêtres -, présentes dans les temples et palais, datent d’un royaume arabe de l’empire Parthe aux deux premiers siècles de notre ère. Mossoul possédait les plus belles, il y en a très peu ailleurs. Dans ce saccage, tout est important. C’est l’histoire antique de l’Irak, unie par la culture de l’ancienne Mésopotamie, à l’origine de la nôtre. Là est née l’Histoire, avec l’apparition de l’écriture il y a plus de cinq mille ans et le moyen de conserver la mémoire.

Le musée de Mossoul a été construit dans les années 1970. L’ensemble des pièces de valeur transportables des musées régionaux irakiens, comme celui de Mossoul, fut déménagé à Bagdad. En revanche, les grandes sculptures, trop lourdes et fragiles pour être déplacées sans un conditionnement sophistiqué, sont restées sur place. De fait, le fonds de Mossoul s’est considérablement appauvri. En  2003, avant l’invasion américaine, 1 500  pièces ont encore été transférées au musée de Bagdad.

La totalité des pièces sous vitrines avait alors été emportée à Bagdad. Les statues importantes sont restées sur place, des bas-reliefs et certains éléments d’architecture islamique, de même que des livres anciens appartenant à la tradition chiite, des portes ouvragées provenant de sanctuaires et de tombeaux chiites.

Après l’invasion américaine, certains panneaux de bronze ont été volés et vendus. En juin  2014, avec la prise de Mossoul, Daech s’est emparé du musée comme d’une place forte et a changé toutes les serrures. L’ensemble du personnel s’était déjà, par peur, fondu dans la nature. Le directeur lui-même ne correspond avec le gouvernement que par messages.

En Irak, avec les années de guerre et de blocus, le tissu social s’est délité. La société n’est plus capable de résister, le drame ne fait qu’empirer. Les gens pensent à leur seule survie. Certains ont sacrifié leur vie pour défendre leur patrimoine. Une certaine Sabrina l’a fait sur sa page Facebook, elle a été arrêtée et décapitée.

La destruction des trésors du Musée de Mossoul et du site de Ninive, au niveau de la porte de Nergal, est un nouveau témoignage de la guerre totale que l’Etat islamique (EI) mène à la culture dans les territoires qu’il contrôle et administre. Ce front intérieur, visant à faire advenir un ordre nouveau, inspiré de l’âge d’or fantasmé des premières heures de l’islam, passe par l’éradication de tout témoignage d’un passé qui les auraient précédées, et par l’anéantissement de traces de ce que les djihadistes conçoivent comme des déviations de la tradition islamique.

Partageant avec Rakka, en Syrie, le statut de capitale de l’Etat islamique, Mossoul, deuxième agglomération irakienne, s’est développée autour des ruines de l’antique Ninive, centre de l’Empire assyrien qui régnait au temps de son apogée sur un territoire étendu de la Méditerranée à l’Iran actuel.

Ville majeure de la chrétienté orientale, puis capitale régionale au sein des divers États musulmans qui se sont succédé dans la région, Mossoul recelait, jusqu’à la prise de la ville par les djihadistes de l’EI, en juin  2014, des empreintes multiples des civilisations qui l’ont façonnée. Empreintes que les nouveaux maîtres de la ville se sont employés, depuis, à effacer.

Quelques semaines après leur arrivée, les djihadistes ont ainsi fait exploser le mausolée du prophète Jonas. Juché sur une colline dominant le site de Ninive et la ville moderne, cette mosquée construite sur une ancienne église, elle-même érigée sur les fondations d’un temple assyrien, fut parmi les premiers mausolées à être détruits par les djihadistes à Mossoul. Inspirés par le wahhabisme (une réforme de l’islam aujourd’hui répandue du Maroc à l’Indonésie grâce aux fonds illimités de la monarchie saoudienne), les djihadistes de l’EI considèrent que toute mosquée construite autour d’une tombe ne constitue pas un lieu de piété mais de l’idolâtrie et doit donc être détruite.

Ancrant la pratique religieuse dans une culture et une histoire locale, ces mausolées, que l’on retrouve dans tout le monde musulman, sont autant d’obstacles à l’imposition de la lecture fondamentaliste et uniformisatrice de la religion, qui sert de moteur idéologique à l’Etat islamique. Eux aussi situés à Mossoul, les mausolées des prophètes Seth et Jirgis (connus sous le nom de Saint-Georges dans la tradition chrétienne) ont également été détruits fin juillet 2014. Au cours des mois écoulés, une multitude d’autres sanctuaires musulmans ont été saccagés dans les environs de la ville, ainsi que dans les territoires contrôlés par les djihadistes en Syrie et dans le gouvernorat irakien d’Anbar.

L’éradication culturelle touche aussi les lieux de savoir qui s’étaient maintenus à Mossoul, comme l’université et la bibliothèque municipale. Selon des informations qui ont filtré à la fin du mois de janvier, des milliers d’ouvrages ont été saisis dans diverses bibliothèques et librairies de la ville puis brûlés. Prolongement de la politique éducative de l’EI, ces autodafés n’ont épargné que les ouvrages de théologie islamique conforme aux conceptions de la religion promues par les djihadistes, qui ont par ailleurs imposé de nouveaux cursus académiques à l’université de Mossoul. Dissolvant les départements dont les enseignements étaient jugés contraires aux principes de l’islam (archéologie, philosophie…), l’EI a mis en place un cursus conforme à sa vision du monde, achevant de vider l’université de ses étudiants.

Ravagée par une violence chronique depuis plus d’une décennie, soumise à un régime de terreur par les djihadistes, qui dominaient la région de manière souterraine avant même la retraite de l’armée irakienne, Mossoul s’était éloignée de son passé dès avant sa conquête par l’Etat islamique.

Dans l’obscurité d’un musée à l’abandon, à l’écart des attentats, des enlèvements, des assassinats, des chambres de torture, des points de contrôle et des casernes, échappant de peu aux milices et aux bandes criminelles, les antiques statues de d’Hatra ou de Ninive maintenaient, dans le silence de la pierre, un lien avec les mondes oubliés dont Mossoul était l’héritière. Nous avons maintenant l’assurance que les amarres ont été larguées à jamais.

Allan Kaval. Le Monde du 1 mars 2015

Elle a pleuré lorsqu’elle a vu les images du musée de Mossoul que diffusaient en boucle les chaînes d’information : un homme en dishdasha avec une disqueuse à la main qui s’en prend au grand colosse ailé. D’autres qui frappent une statue avec un maillet. Elle a mis la main sur sa bouche comme si elle allait crier ou vomir. Elle sait pourtant que la violence de ces hommes qui tuent, violent, pillent. Elle sait que son pays se disloque sous l’avancée de cette armée au drapeau noir qui brandit le nom d’Allah, mais n’est qu’un visage de plus de l’obscurantisme de toujours, celui qui n’aime ni le savoir ni la liberté des peuples, ni les femmes ni les chants. Elle sait tout cela. On parle de colonnes immenses de réfugiés fuyant le Nord, cherchant à rejoindre le Kurdistan irakien. On dit que les Yézédis sont bloqués dans les monts Sinjar et qu’ils les affament sans aucune pitié, femmes, vieillards et enfants. Est-ce que ce n’est pas pire, ce sang, ces mères qui cherchent en vain un refuge, ces visages harassés de fatigue qui fuient encore, toujours, sans cesse ? Est-ce que ce n’est pas pire que quelques coups de disqueuse sur de la pierre ? Lorsque Mossoul est tombée, elle a suivi les informations heure par heure, avec consternation et tristesse, mais elle n’a pas pleuré. Tandis que là, chaque balafre que cet homme fait sur le visage du géant de pierre à la barbe tressée, lui soulève le cœur. Sur les images qu’il diffuse, on aperçoit le chaos du musée. Les objets sont renversés, les vitrines cassées. On saisit des objets que l’on fourre dans des poches. D’autres sont jetés à terre au cri de Allahou Akbar, bris d’éternité, tristesse de quelques secondes qui suffisent à anéantir des vases, des statues qui avaient survécu à des siècles. Celui qui renverse les jarres et frappe les statues, c’est le temps lui-même qu’il croit soumettre. Oh, le long chemin qu’il a fallu pour ce que ces objets nous parviennent. Les hommes et les femmes qui ont consacré leur vie à cela : Paul-Emile Botta, le consul de Mossoul qui trouva Khorsabad et ramena les grands taureaux qui trônent dans les allées mésopotamiennes du Louvre. Gertrude Bell qui participa à la création de l’Irak, lors du sommet du Caire où Churchill écoutait ses avis, où Lawrence d’Arabie confirmait par des hochements de tête ses analyses, mais qui voulut aussi laisser à ce pays qu’elle aimait un musée et créa ce qui allait devenir le Musée national de Bagdad. Hormuzd Rassam, le petit gamin des rues de Mossoul qui avait seize ans lorsque Botta arriva dans sa ville et qui finira à Brighton, ayant trouvé le plus vieux manuscrit de Gilgamesh… Tous ces hommes qui ont creusé, réfléchi, cherché, échoué et cherché encore. Toutes ces mains anonymes qui ont donné des coups de pioche, qui ont soulevé la poussière et le sable, puis caressé de leurs mains des objets que l’on venait d’extraire pour les rendre au chef des fouilles. Tous ces objets patiemment dépoussiérés, pesés, observés, dont les siècles ont pris soin et qui finissent là, jetés contre les murs. Allahou Akbar, comment peuvent-ils prononcer ces mots quand il n’est question que de laideur et d’ivresse de détruire ? 

Laurent Gaudé. Écoutez nos défaites. Actes Sud  2016

 7 01 2015

Morts de rire

Le fanatisme, la barbarie s’invitent au cœur de nos démocraties, là où s’exerce avec le plus d’acuité la liberté d’expression : 12 personnes sont froidement assassinées chez Charlie Hebdo, hebdomadaire satirique. Parmi eux, Cabu, Georges Wolinski, Stéphane Charbonnier, alias Charb, directeur de la publication, Tignous, Honoré, Bernard Maris et encore Elsa Cayat, psychanalyste, Franck Brinsolaro, policier du service de protection des personnalités [en l’occurrence Stéphane Charbonnier ; mais que faisait-il donc dans la salle de rédaction, quand il aurait dû être en faction de l’autre côté de la porte ?] Ahmed Merabet, policier assassiné par les terroristes quand ils sortaient du bâtiment, affecté au commissariat du XI° arrondissement, Frédéric Boisseau, employé de la Sodexho, chargé de la maintenance, Michel Renaud, fondateur du festival Rendez-vous du carnet de voyage  à Clermont Ferrand, Mustapha Ourrad, correcteur. Blessés : Philippe Lançon, qui s’occupe du culturel à Libération comme à Charlie Hebdo : il aura la mâchoire déchiquetée par une balle, subira de nombreuses opérations et le dira dans Le Lambeau, sorti en 2018 chez Gallimard, qui obtiendra le prix Femina. Fabrice Nicolino, Simon Fieschi, Riss et un autre employé Sodexho. Indemnes : Gérard Guillard, Coco, Laurent Léger, Luce Lapin, Sigolène Vinson, Eric Portheault

Il n’y avait pas de rafales. Celui qui avançait vers le fond de la pièce et vers moi tirait une balle et disait : Allah Akbar ! Il tirait une autre balle et répétait : Allah Akbar ! Il tirait encore une autre balle et répétait encore : Allah Akbar ! Avec ces mots, l’impression de vivre une farce est une dernière fois revenue pour se superposer à celle de vivre cette chose qui m’avait fait voir et revoir Franck dégainer quelques secondes plus tôt, quelques secondes mais déjà beaucoup plus, car le temps était haché part chaque pas, chaque balle, chaque Allah Akbar, la seconde suivante chassant la précédente et la renvoyant dans un lointain passé et même très au-delà, dans un monde qui n’existait plus. Cette chose m’avait mis au plancher, mais la farce continuait avec ce cri d’une voix presque douce et qui se rapprochait, Allah Akbar – ce cri, écho dément d’une prière rituelle, est devenu la réplique d’un film de Tarentino. Il aurait été facile, à cet instant, de comprendre quelle fascination inspire l’abjection ; de flairer comment ceux qui la justifient se sentent plus forts, et ceux qui tentent de l’expliquer, plus libres. Mais il était plus facile de sentir, à cet instant, à quel point cette abjection dépassait ces discours et des raisonnements. Ils appartenaient à la misère et à l’orgueil ordinaire, au temps commun et à la logique, aussi flambante et dégradée soit-elle ; l’abjection, non. C’était un génie qui sortait d’une lampe noire, et peu importe la main qui l’avait frotté. L’abjection vivait sans limites et d’être sans limites.

Philippe Lançon. Le Lambeau. Gallimard 2018

Heureusement que le monde va mal, je n’aurais pas supporté d’aller mal dans un monde qui va bien. […] J’ai fait mai 68 pour ne pas devenir ce que je suis devenu !

Georges Wolinski

Le lendemain, Clarissa Jean-Philippe, une policière martiniquaise de 26 ans, sera tuée à Montrouge par Amely Coulibaly, qui, le vendredi prendra en otage les clients d’un hypermarché casher, porte de Vincennes et tuera quatre d’entre eux : Yohan Cohen, 23 ans, Yohav Attab, 22 ans, François Michel Saada, 64 ans, Philippe Braham, 45 ans. Trois policiers, un blanc, un arabe, une Martiniquaise, trois Français morts pour que force reste  à la loi, trois policiers pour le même linceul bleu blanc rouge.

À Montrouge, le 8 janvier, il y a eu un accident de la circulation. La policière Clarisse Jean-Philippe s’est rendue sur les lieux. Il y avait aussi les employés du service de nettoyage de la ville. L’un d’eux a vu un mec sortir de son sac une espèce de mitraillette. Il l’a engueulé, pensant que c’était un jouet, qu’il faisait une blague. En fait, c’était Amedy Coulibaly. Et c’était une vraie kalachnikov, avec laquelle il a abattu la fonctionnaire. Quand la violence surgit ainsi, nous ne parvenons pas à y croire.

Riss. La Tribune Dimanche 5 novembre 2023

Vingt morts en deux jours, dont les trois terroristes, les frères Chérif et Saïd Kouachi, et Amedy Coulibaly. Un séisme pour la société française. Les terroristes ont fabriqué des martyrs : ils ne pouvaient mieux faire pour dresser contre eux tout le monde attaché à la liberté, à l’égalité, à la fraternité. L’unanimité retrouvée autour de ce drame suppose tout de même une sacrée tartuferie dont s’accommode fort bien notre société rompue au double langage : pour passer en moins de dix jours de l’imminence d’une faillite à un tirage à  7 millions d’exemplaires, il  en a fallu des grands écarts, et par millions ! Et que dire encore du colossal fossé dans le traitement de l’information, entre celui réservé à la tuerie de Nanterre, 13 ans plus tôt – 8 morts, 19 blessés – et celui de Charlie Hebdo, avec des morts en nombre à peu près comparable, dont on entendra parler à travers tout le pays, pendant des mois et des mois ! véritable tsunami en France ! Le corporatisme en gloire, même si le mot ne sera jamais prononcé. Et l’on trouvera même des gens de lettres, telle Virginie Despentes, pour qui la décence n’est pas la tasse de thé, déclarer dans les Inrockuptibles du 17 janvier :  J’ai été aussi les gars qui entrent avec leur armes […] J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage.

10 01 2015    

Space X poursuit sa démarche pour rationaliser et donc faire baisser les coûts des lancements de satellites : Elon Musk, son patron, voudrait réutiliser le premier étage des fusées, en les faisant se poser sur une plateforme off-shore. Cet essai est un échec.

Le lanceur Falcon 9 est tiré depuis la Floride, mais le premier étage de la fusée Falcon 9 n’est pas parvenu à se poser sur une plate-forme dans l’Atlantique

Les chances de succès étaient au mieux de 50  %, avait prévenu Elon Musk. Parvenir à faire se poser une fusée sur une plate-forme en mer était en effet un pari risqué. L’audace, marque de fabrique de l’entrepreneur, n’a pas encore payé : samedi 10  janvier, le long cigare du premier étage du Falcon 9 a réussi à toucher une barge de moins de 100 mètres de large, flottant à 300 kilomètres des côtes de Floride. Mais pas à s’y poser à la verticale, atterrissage rude qui a entraîné sa destruction. Cela promet pour le futur, a aussitôt tweeté Elon Musk, qui indique qu’il faudra remplacer quelques éléments de la plate-forme flottante en vue d’un prochain essai.

Un atterrissage réussi aurait constitué une première, avec la promesse de révolutionner l’industrie spatiale. En effet, les fusées classiques sont considérées comme du consommable : les différents étages qui les composent se désintègrent dans l’atmosphère ou retombent en mer. C’est comme détruire un 747 après un vol unique, a coutume de dire Elon Musk, qui rêve de couper court à ce gaspillage en récupérant d’abord le premier étage de sa fusée, doté de 9 moteurs coûteux (assurant une poussée équivalente à celle de cinq 747), puis le second, pour assurer plusieurs vols avec le même matériel.

La mission du Falcon 9 avait pour objectif principal d’acheminer vers la Station spatiale internationale 2,5 tonnes de matériel. Le 28  octobre 2014, une mission similaire d’Orbital Science, concurrent américain de Space X, avait tourné court, avec l’explosion quelques secondes après le lancement de sa fusée Antares. Space X a pour sa part à nouveau réalisé un sans-faute, puisque son module Dragon est désormais en route vers la station.

Mais ce vol de routine, le sixième du genre vers l’ISS, comportait donc aussi un volet expérimental : le premier étage, qui s’est détaché du reste de la fusée trois minutes après le lancement, a aussitôt amorcé sa descente. Pour la contrôler, il a déployé des ailerons mobiles en forme de grilles servant d’aérofreins.

Les moteurs ont aussi été rallumés par trois fois pour ralentir l’engin, qui est passé d’une vitesse de 1 300  m/s à l’apogée à 2  m/s en théorie au moment de l’atterrissage. La fusée avait auparavant déployé quatre pieds destinés à assurer sa stabilité. L’ensemble est aussi haut qu’un immeuble de 14  étages… Un manque de liquide hydraulique dans les systèmes d’aérofreins serait en cause dans l’échec de la manœuvre finale. Lors de précédents vols, ce premier étage avait réussi à ralentir suffisamment sa course pour se maintenir près de la surface de l’océan, avant de basculer et d’exploser. Mais des essais dédiés, sur terre ferme, avec la fusée expérimentale Grasshopper, avaient auparavant montré que le concept pourrait fonctionner.

L’arrivée de lanceurs réutilisables, même partiellement, rebattrait les cartes dans un secteur caractérisé par des coûts de lancement difficilement compressibles par d’autres moyens. Space X a déjà commencé à casser les prix, ce qui a contraint notamment les Européens à réagir : l’Agence spatiale européenne (ESA) vient d’obtenir de ses vingt Etats membres les moyens de financer à hauteur de 4  milliards € le développement d’Ariane 6, une fusée de taille intermédiaire qui a vocation à entrer directement en compétition avec le Falcon 9, lui-même soutenu financièrement par des commandes de la NASA.

Les Ariane 6 seront déclinées en deux modèles, qui doivent voler au plus tôt en  2020. Le coût de lancement d’un satellite par Ariane 62 devrait être de 70  millions d’euros aux conditions actuelles de marché, et celui d’Ariane 64, de 90  millions, soit 120  millions de dollars. Space X propose pour sa part des tirs à 60  millions de dollars (46  millions d’euros), une offre qui serait encore revue fortement à la baisse si le premier étage était réutilisé avec succès. La coentreprise Airbus Safran Launchers, qui vient tout juste d’être créée pour développer Ariane  6 aurait alors un gros handicap face au nouveau venu américain.

Cette menace est prise très au sérieux par les Européens. Lors de ses vœux à la presse le 6  janvier, Stéphane Israël, président d’Arianespace, a cependant précisé que les gains potentiels en matière de coûts doivent être mis en balance avec les défis que représente la masse supplémentaire imposée par les systèmes de récupération, les coûts de remise à neuf d’un étage et de son système de propulsion, ainsi que les effets sur la cadence de tir et la fiabilité.

Le vrai test n’est pas de faire se poser un premier étage. Et sans doute Space X y parviendra-t-il dans un prochain essai, confirmait Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d’études spatiales (CNES) avant le tir de samedi. L’important, c’est de pouvoir le faire revoler dans des conditions économiques raisonnables. 

Le CNES a déjà à son actif de multiples études sur la réutilisation d’éléments de lanceurs, indique-t-il, et une ligne budgétaire de quelques millions d’euros a été ouverte à ce sujet pour envisager une adaptation des lanceurs européens, au cas où le concept défendu par Elon Musk se montrerait pertinent.

Hervé Morin. Le Monde du 13 janvier 2015

11  01 2015

Sur l’ensemble de la France, pas loin de quatre millions de personnes dans la rue, dont un et demi pour Paris : probablement la plus importante manifestation depuis la dernière guerre, avec la présence d’une cinquantaine de personnalités politiques de premier plan. Trois jours plus tôt, dans un rassemblement à Paris, un jeune s’était risqué à brandir un Coran qu’il déchirait page à page : il s’était fait vite remettre en place aux cris quasi unanimes de pas d’amalgame. Dans cette marée humaine, aucun débordement de ce genre : les Français sont prêts à défendre bec et ongles leur liberté, au premier rang desquelles la liberté d’expression ; pour autant, ils ne sont pas prêts à répondre à un fanatisme par un fanatisme opposé : force est de constater là une belle maturité politique. On verra même un tag – Dieu, prix Nobel de la guerre -, ne susciter l’ire de personne. Seul Alfred Nobel se retournera dans sa tombe en disant : Bon Dieu, mais ça, c’est de la dynamite ! 

Le monde politico-médiatique a eu ses martyrs et l’émotion sa grand-messe, à laquelle ont participé quatre millions de fidèles, jusqu’au boutistes de la liberté d’expression. Souhaitons que celle-ci laisse à nouveau la place à la raison pour que l’on réalise à quel point, en se contentant du slogan liberté d’expression, no limit on ne fait que reprendre la démarche totalitaire des missionnaires espagnols brûlant les signes religieux des Aztèques, ou celle des Pères Blancs attachant les mères africaines à des poteaux pour enlever leurs filles et en faire de bonnes chrétiennes. Tant que l’on proclamera que la liberté d’expression n’est pas négociable, on piétinera la liberté elle-même,  qui ne peut exister que si elle se met en retrait quand elle commence à empiéter sur celle des autres. L’exercice de la liberté n’implique pas le manque de respect d’autrui, et tourner Mahomet en dérision,  – car ceux qui affirment que Charlie Hebdo ne tourne pas Mahomet en dérision sont de parfaits faux-culs  – c’est manquer de respect aux Musulmans. Oui, il faut le dire, la liberté d’expression, comme toute valeur humaine, ne peut être non négociable, absolue. On ne peut que souscrire aux paroles du pape François : La liberté d’opinion, la liberté d’expression ne donnent pas le droit d’insulter la foi d’autrui. Elle doit laisser intact le légitime respect d’autrui, et ma foi, tant pis si cela écorne le lobby médiatique et ses slogans chéris, faits pour ne pas penser mais au moins cela respecte la vie, la nôtre, mais aussi celle des autres. Et cessons de raisonner en termes nationaux… Internet ne connaît plus les frontières et l’on est à côté du sujet quand l’on dit qu’ils ne sont pas obligés de lire Charlie. Nous avons mis des siècles et des siècles pour donner naissance à la laïcité, notion dont d’ailleurs les autres pays occidentaux se passent fort bien pour vivre avec leurs immigrés, et au nom de quoi pourrions-nous demander à des peuples d’une autre civilisation d’arriver à cela entre moins d’un demi-siècle. Il est certes absolument nécessaire que les pays musulmans inventent une  laïcité, mais comment peut-on leur intimer un ordre : tout de suite, tout de suite ?

La particularité de ce 11  janvier est qu’on a atteint un très grand chiffre sur un mot d’ordre d’unité, alors que jusqu’à présent c’était le cas sur des mots d’ordre d’affrontement et de division.

Pascal Ory

Des millions de Français sont descendus dans la rue non pas pour renverser un régime ou défendre une cause que des millions d’autres exècrent : voilà ce qui est singulier. À fortiori dans un pays qui fit si souvent de la rue le théâtre de ses convulsions et de ses divisions. Des journées de deuil, nous en avons connu : pensons par exemple au 14  juillet  1919. Des journées de colère aussi. Mais des journées de fraternité, c’est très rare. Surtout quand se retrouvent au coude-à-coude, comme c’était le cas dimanche, des gens qui ne sont pas du même parti ou de la même religion.

Michel Winock

Le 11 janvier 2015 à Paris, on a vécu un événement monstre, un peu comme les funérailles de Hugo en 1885 ou la libération de Paris en 1945. On a récupéré de la fierté et c’est fondamental, un certain sentiment d’appartenance à une nation aussi. On a retrouvé en quelque sorte le chemin entre la République et la Nation : la topographie de la marche était symbolique. On a vu le salut aux forces de l’ordre qui rappelle que l’état républicain, c’est le monopole de la violence légitime. On a vu une formidable diversité. On a chanté la Marseillaise, et ce de manière non nationaliste. On a une particularité en France, c’est cet universel. La Marseillaise peut se chanter partout, on peut être patriote et cosmopolite. C’est une belle leçon.

Mais sans bouder notre émotion, il faut aussi réfléchir. Dans tous ces événements monstres, il y a à la fois une émotion spontanée qui vient d’en bas et une récupération qui vient d’en haut. C’est aussi un thermomètre et on a vu que le pays est moins malade qu’on ne le croit. Mais il faut à présent le soigner. La République n’est pas seulement faite de bons sentiments, d’embrassades mais aussi d’exigences. Et il est temps de se demander comment elle peut continuer à avancer debout.

La République est un effort et non simplement une explosion sentimentale. La République est toujours à réaliser, il faut la refaire chaque jour, avec des Républicains, par l’existence et le respect des lois. Cette mobilisation n’est qu’un encouragement. Les instants de fraternité sont absolument nécessaires mais ce sont des instants. Les politiques seront-ils à la hauteur ? Il  faut prendre conscience qu’une société sans rites, ni credo, sans école, a quelque chose de fragile.

Que la journée se termine dans un lieu religieux, avec un président qui ne met pas un chapeau comme François Mitterrand mais une kipa, qu’il attende l’arrivée de Benyamin Nétanyahou à l’extérieur de la synagogue, m’interroge. La République est un ensemble de règles, et je pense qu’une d’entre elles a été violée là, celle de la séparation entre le religieux et le politique. La République est un ensemble de traditions qui font corps, un héritage qu’il faut respecter, presque un muscle qu’il faut travailler.

Pour cela, il faut de l’instruction publique. L’école, ce n’est pas l’égalité de tous, c’est aussi l’inégalité du mérite et du talent. Une République ne peut pas se laisser guider par des sondages d’opinion non plus. Elle exige l’estime de soi, le fait d’accepter de ne pas être comme les autres. Les Républicains sont parfois assez seuls, à l’échelle du monde comme à celle du pays. J’espère que l’essai sera transformé. On a ressenti une joie qui rassemble mais je ne voudrais pas qu’on perde le sens de l’exigence. Il faut, à côté de la cordialité, des verticales : le respect d’un certain nombre de principes qui nous précèdent, nous excèdent et nous succèdent, une certaine sacralité républicaine.

L’important est de retrouver le politique au-delà de l’économique. On a vécu dans une sorte de superstition, d’illusion économique, selon laquelle un point de croissance ferait le bonheur de tous. Non, il y a autre chose que des chiffres, l’être ensemble, le politique. On n’en pouvait plus de cette dictature du quantifiable, de cette inversion des valeurs. On a retrouvé le politique le 11 janvier 2015.

Il faut arrêter de penser que la France est une entreprise, que les chiffres ont le dernier mot, que nos gouvernants sont des comptables, il faut cesser de parler de gouvernance, un mot tiré du monde des affaires, mais parler de gouvernement, se rappeler que les hommes ne peuvent s’unir que sur quelque chose qui les dépasse. L’école non plus n’est pas une entreprise, il faut retrouver un peu d’exigence, ne pas faire des élèves des consommateurs mais des personnes capables de penser par elles-mêmes. À cet égard, l’enseignement du fait religieux à l’école laïque est essentiel. Ce qu’il y a de terrible, c’est la religion sans la culture, et notamment la culture religieuse. Les radicalisés ne savent pas ce qu’est le religieux. Je voudrais que l’on passe d’une laïcité d’incompétence, selon laquelle le religieux ne nous concerne pas, à une laïcité d’intelligence, qui essaie de comprendre, de soumettre le religieux à l’examen critique.

Ce n’est pas un délit de mettre Dieu en question, d’interroger le monde de la croyance. Ce qui est un délit, c’est l’injure commise envers un groupe de personnes en raison de leur religion. Fuir la question religieuse crée des born again, ce qu’il y a de pire, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans. Ce sont ceux qui se servent de la religion comme d’un drapeau, qui ne comprennent pas en fait d’où vient la croyance qu’ils professent. La fin de la politique comme religion qui, depuis 1789, était héritière d’une mémoire et porteuse d’une espérance, a abouti à la religion comme politique. On est passé d’une religion tournée vers l’avenir qui respecte la liberté de conscience, à l’appartenance religieuse comme signe d’appartenance, qui divise le monde entre croyants et non-croyants, fidèles et infidèles que l’on peut assassiner à loisir. C’est une violation de la fraternité. Il faut aborder cette immense question, au niveau national comme international.

Nos hommes politiques, déformés par l’ENA, seront-ils capables de mener cette profonde réforme intellectuelle et morale ? Il y a un cercle vicieux entre l’affairisme et le fanatisme. Le cynisme de la richesse crée un vide d’appartenance, fabrique des tricheurs d’un côté et des hallucinés de l’autre. Lorsqu’il n’y a plus de cause nationale, on va la chercher ailleurs, c’est le terrible vertige du fanatisme religieux.

Régis Debray. France Culture le 12 janvier 2015

19 01 2015                   

Alberto Nisman, procureur de l’Argentine est retrouvé suicidé à Buenos Aires. Ce même jour, il devait être entendu par le Congrès à propos de l’enquête portant sur l’attentat, jamais élucidé, contre l’Association mutuelle israélite argentine (Amia), qui avait fait 85 morts en juillet 1994 à Buenos Aires.

01 2015                      

La SNCF commence à payer le prix du tout marketing qui a présidé voilà près de cinquante ans à la conception du TGV, à la mise au rancard de tout sens du bien public et de l’intérêt général. Le prix risque d’être élevé : Une réforme suffira-t-elle à sauver le chemin de fer français ? Pour provocante qu’elle soit, la question mérite d’être posée. Au 1° janvier, Réseau ferré de France (RFF), le gestionnaire du réseau national, a réintégré le giron de la SNCF, dix-huit ans après sa séparation de la compagnie publique. En réunissant les deux grands acteurs du transport ferroviaire en France au sein d’un même groupe public, lui-même intitulé SNCF, le gouvernement espère conforter l’avenir du train alors que ce moyen de transport, véritable totem hexagonal, n’a jamais paru aussi vulnérable.

Du moins sur la longue distance. Depuis 2011, le nombre de passagers a reculé, que ce soit dans les trains d’équilibre du territoire (TET, 30 millions de personnes) ou dans les TGV (100  millions), dont la fréquentation s’effrite. Entre 2012 et 2013, la part modale du train pour le transport de passagers a même significativement baissé, selon les données du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Et dans le même temps, les parts de marché de la voiture, de l’autocar courte ou longue distance et de l’avion ont augmenté…

Bien sûr, cela reste une goutte d’eau dans un système ferroviaire qui transporte chaque année 1,5  milliard de personnes dont l’écrasante majorité, 1 milliard, rien qu’en Île-de-France. C’est pourquoi peu d’observateurs contestent l’avenir de ce moyen de transport dans les zones denses urbaines pour déplacer en masse de larges populations. L’avenir est au train de banlieue, pas au glorieux cheval de fer parcourant à toute vapeur (électrique) les campagnes de France. Et surgit le spectre d’un basculement à l’américaine. Aux États-Unis, cet instrument de la révolution industrielle et de la colonisation du pays a été supplanté par l’avion et la voiture dans les années 1960. La France a échappé à ce sort funeste par sa géographie, mais surtout grâce au TGV, qui a redonné une nouvelle jeunesse à ce moyen de transport face à la voiture durant les trente dernières années…

Alors que l’automobile concentre déjà 83  % des déplacements en France, laissant au train une part de marché de 9  %, dont 5,5  % pour le TGV, elle poursuit encore son grignotage grâce, notamment, au développement du covoiturage. Blablacar et ses concurrents, dont IDVroom, une filiale de la SNCF, mettent en relation par le biais d’Internet des propriétaires de véhicule et des passagers, et attirent avec leurs prix bas des milliers de voyageurs.

Attention au miroir grossissant, nuance-t-on cependant à la SNCF concernant cette activité. Un acteur comme Blablacar a peut-être pris 200 000 passagers aux autres modes de transport, cela n’est pas encore massif, même si on surveille particulièrement ce phénomène. Blablacar revendique, lui, plus de 1,2  million de voyageurs transportés chaque mois, soit l’équivalent de 2 000 TGV…

De fait, confirme-t-on dans le groupe public, avec la crise, les Français sont plus sensibles au prix. Il existe de plus en plus un arbitrage entre le temps et le prix. Ceux qui veulent payer le moins possible et qui ont le temps n’hésiteront pas à choisir des alternatives au train si nous ne leur proposons pas ce qu’ils recherchentTémoin, la tempête soulevée le 26  décembre 2014 par l’annonce de l’augmentation des tarifs (+ 2,6  %).

Les compagnies d’autocar préparent également leur arrivée sur le marché de la longue distance. Aujourd’hui seulement autorisé sur des trajets internationaux, ce type de transport en France va être libéralisé par le gouvernement cette année. Bien plus économique, l’autocar pourrait prendre, à moyen terme, jusqu’à 5  % du marché des transports longue distance. Et déstabiliser encore plus certaines lignes ferroviaires.

La SNCF, qui a préparé cette ouverture en rôdant son service ID Bus, n’est pas aujourd’hui plus inquiète que cela de cette libéralisation. L’autocar est potentiellement complémentaire du train, insiste-t-on à la SNCF. Sur certains parcours, comme Bordeaux-Lyon, ce sera bien plus pertinent que le train. De même, là où les flux sont faibles, un autocar, qui peut transporter 50 personnes, sera plus économique qu’un train, qui peut en transporter 600… Mais sur certaines lignes, c’est le contraire.  L’arrivée du car nous oblige à redéployer notre offre. On fera du car quand cela est plus efficace. Et du train quand cela est pertinent.

Ce renouveau de la concurrence modale, sans compter l’essor inégalé des compagnies aériennes à bas coût, pose de sérieux défis au groupe. Car son produit phare, celui qui a fait sa réputation à travers le monde et l’essentiel de ses profits dans les années 2000, le TGV, est aujourd’hui dans une impasse économique. Il devient un produit de luxe et pourtant, il est de moins en moins rentable.

Depuis 2008, la marge opérationnelle du TGV s’est effondrée. Alors que, entre 2002 et 2008, elle tournait entre 21 % et 29 %, elle est aujourd’hui de 12 %. En cause, l’augmentation de 41 % des péages pour utiliser le réseau entre 2008 et 2013, mais aussi la dérive des propres coûts de la SNCF…

Sans ce centre de profit, la SNCF perd ses marges de manœuvre et doit rapidement régler la question des trains Corail et autre intercités, les TET, un foyer de perte aujourd’hui compensé partiellement par l’Etat. En décembre, le gouvernement a mis en place une nouvelle commission, présidée par le député (PS) Philippe Duron, pour réfléchir à leur avenir.  Contrairement à ce que l’on pense, les TET ne sont pas un gouffre financier, indique-t-on à la SNCF. Pour un chiffre d’affaires de 1 milliard €, la perte d’exploitation annuelle est de 300  millions €. En clair, les voyageurs paient aujourd’hui 70 % du prix réel, l’Etat le reste. Pour les TER, le voyageur en paie 30 %, et la région, par l’intermédiaire des impôts, le reste…

Afin de réduire leur déficit d’exploitation, la commission Duron doit décider de la réorganisation de cette offre de TET, du transfert ou non de certaines lignes aux régions ou de l’arrêt de certaines lignes en fonction de l’arrivée des autocars longue distance. Mais elle n’entend pas aborder l’ouverture du marché à d’autres entreprises ferroviaires…

Cela fait enrager ces dernières, qui rongent leur frein. Ce qui est frappant en France, c’est l’absence d’alternative à la SNCF, même sur des zones reculées du réseau. En Italie ou en Suisse, les acteurs publics nationaux cœxistent dans certaines régions avec des opérateurs ferroviaires alternatifs bien mieux équipés pour exploiter au meilleur coût une ligne.

Selon les différentes études et les observateurs du secteur, la concurrence pourrait proposer aujourd’hui des coûts d’exploitation de 20 % à 30 % inférieurs à la SNCF grâce essentiellement à des organisations managériales bien plus flexibles, à des agents plus polyvalents et à des frais de siège plus réduits.  L’entrée de la concurrence serait suffisante pour pérenniser certaines lignes de train longue distance, convient un spécialiste du ferroviaire. Mais les obstacles politiques, et au premier chef le refus des syndicats d’ouvrir le monopole, sont insurmontables, même si, à partir de 2020, la France devra s’y soumettre. Or, tout le monde le sait : Le problème du train actuel est son coût d’exploitation.

Pour retrouver un équilibre économique global et pérenniser le système, tout le monde devra faire des efforts. La réforme ferroviaire doit améliorer les synergies entre RFF et SNCF. Et la nouvelle entité doit réaliser près de 2 milliards d’économies à l’horizon 2017.

SNCF Réseau, qui rassemble RFF et SNCF Infra, qui réalise les travaux, doit revoir ses processus industriels de maintenance, tandis que SNCF Mobilités, l’opérateur, entend utiliser tous les leviers pour baisser ses coûts : diminution des effectifs, lutte contre la fraude, réorganisation de la maintenance, augmentation du roulement des matériels comme il l’a déjà testé avec Ouigo, son TGV à bas coût.

Nous avons établi une série d’objectifs pour baisser nos coûts, précise Guillaume Pepy, le président du directoire de la SNCF. Nous voulons baisser de 13 % les coûts de production du TGV, de 42 % sur Ouigo – le TGV à bas coût – , de 50 % pour les intercités éco – une nouvelle offre à bas coût – . Notre but est d’offrir chaque année 1  million de billets à premier prix de plus par an afin d’atteindre en  2017 le quart de nos billets à petit prix.

De même, l’entreprise veut déployer son train 100 % éco, qu’elle a installé chaque fin de semaine entre Toulouse et Paris. Sur ce trajet, la compagnie offre des trajets à prix fixe de 15 € en seconde classe sur des trains de nuit circulant le jour. Auparavant, ces trains stationnaient la journée au dépôt. Aujourd’hui, on les fait tourner et le public est là. Le taux d’occupation est de 80 %. Et des familles préfèrent cette offre à un voyage en voiture, le prix étant très incitatif. Preuve qu’il n’y a pas de fatalité.

Cependant, ces réorganisations et autres innovations industrielles suffiront-elles pour relancer le train et lui assurer un avenir ? Rien n’est moins sûr. Le prix du ticket ne peut pas couvrir le coût complet du service. Même en optimisant autant que l’on peut, assure un observateur. Le train est – et sera – structurellement déficitaire. Il doit être soutenu par les finances publiques.

Pour les TGV, afin de couvrir le coût des infrastructures, il faudrait doubler le prix des billets, selon la Cour des comptes.  Mais peut-on encore augmenter le prix des billets TGV, qui a déjà significativement augmenté depuis 2002, sans perdre de clients dans un contexte de contrainte sur le pouvoir d’achat ?  s’interroge la Cour.

De fait, ajoute un ancien dirigeant de la SNCF,  pour sortir de ce face-à-face perdu d’avance avec les autres modes de transport, il faut que l’État prenne à sa charge les voies ferrées comme il prend à sa charge les routes. Sans cela, on va aller vers une contraction de l’offre ferroviaire longue distance et son extinction à moyen terme. Mais la contribution publique pour le ferroviaire s’élève déjà à 13  milliards d’€ par an.

Au regard des finances de l’Etat, l’impasse du secteur risque donc de persister tant que le système restera refermé sur lui-même. Et la dette devrait continuer à enfler. Elle dérive aujourd’hui de 1 à 2 milliards d’€ par an. D’ici à 2025, espèrent les plus optimistes, le système ferroviaire sera lesté d’une dette de 61  milliards d’€, contre une quarantaine de milliards d’€ à la fin de 2014… Intenable.

Philippe Jacqué. Le Monde 6 janvier 2015

11 02 2015  

La récupération devient un des objectifs majeurs de la conquête spatiale.

L’Europe rejoint le cercle fermé des puissances capables de ramener des véhicules spatiaux sur Terre depuis l’espace. Elle a testé avec succès la rentrée dans l’atmosphère de l’IXV –  un véhicule cylindrique, sans ailes mais pilotable, d’environ 2 tonnes pour 5 mètres de long Intermediate eXperimental Vehicle. Après un petit retard attribué à un problème mineur au sol, la fusée Vega, la plus petite de la famille des lanceurs d’Arianespace, a lancé peu après 14 h 30 (heure de Paris) l’IXV depuis Kourou, en Guyane, pour un vol d’une heure et quarante minutes.

Cent minutes vécues intensément par des équipes réparties tout autour du globe, et jalonnées par quelques étapes-clés. À 330  km d’altitude, dix-huit minutes après son décollage, l’IXV s’est détaché du lanceur pour poursuivre sa route. À 412  km d’altitude, soit à la hauteur de la Station spatiale internationale, il a piqué vers la Terre et son atmosphère. À 30  km, des parachutes se sont ouverts pour lui assurer un amerrissage au milieu du Pacifique au large des côtes mexicaines, où il a pu être récupéré par un navire spécialement affrété à cet effet. Dans l’intervalle, la rentrée dans l’atmosphère, à une centaine de kilomètres d’altitude, avait eu lieu sans encombre.

C’était là le principal défi de cette mission : s’assurer de la maîtrise des technologies pour ramener sur Terre un engin depuis l’espace sans qu’il se désintègre en percutant à haute vitesse les molécules de l’air de la stratosphère. L’Europe restait la seule grande puissance à ne pas disposer de ces capacités.

Pour revenir à niveau, les Européens n’ont pas voulu copier les autres, comme les capsules américaines, l’Apollo des missions lunaires ou plus récemment le Dragon de l’entreprise Space X. Ou encore les capsules russes Soyouz, qui sont actuellement les seules en mesure d’acheminer et rapatrier sur Terre les astronautes depuis la Station spatiale. L’IXV est dépourvu d’ailes : ce n’est donc pas non plus une navette comme celles utilisées naguère par les Américains ou comme celle de l’ancien projet européen Hermès abandonné en  1992. L’IXV a la simplicité d’une capsule et la manœuvrabilité d’une navette. D’où cette forme de gros fer à repasser, d’1,8 tonne. Deux volets à l’arrière, telles des palmes de plongeur, aident au contrôle de l’engin, ainsi que quatre tuyères.

Si le grand plongeon dans le Pacifique a montré qu’à priori tout s’était bien déroulé, il restera à analyser les données des trois cents capteurs embarqués pour valider ces choix technologiques risqués. Notamment pour ce qui concerne les protections thermiques et le système de guidage.

Côté matériau, les ingénieurs ont par exemple innové. Pour des capsules ou des missiles intercontinentaux, les protections sont ablatives, c’est-à-dire que le bouclier protecteur est sacrifié en brûlant lors de la traversée atmosphérique ; ce qui rend ensuite l’engin inutilisable. On ne pouvait pas non plus utiliser les matériaux des navettes américaines car la surface de leur bouclier est plus grande et les flux thermiques bien inférieurs à ceux rencontrés par l’IXV, plus petit, indique Thierry Pichon, de l’entreprise Herakles, qui a fabriqué les protections thermiques, résistant à plus de 1 600°C. Celles-ci sont un composite céramique, associant des fibres de carbone, pour la tenue mécanique, et du carbure de silicium, pour les aspects thermiques. En plus de son 1,5 millimètre protecteur, 10 centimètres d’isolant sont ajoutés. Résultat, la chaleur est rayonnée par la céramique et absorbée par l’isolant.

Visiblement, le système a tenu. Il restera à analyser plus en détail son état. C’est pour cette raison qu’il fallait récupérer l’engin en mer. Les opérations devraient prendre plusieurs jours, le temps d’ôter le carburant restant afin d’éviter les risques d’explosion et de pollution. L’IXV retrouvera alors la Guyane, puis l’usine de Turin où il a été assemblé. Son voyage se terminera aux Pays-Bas au centre technique de l’ESA. Le plus dur a été de faire travailler ensemble 40 entreprises sur 12 sous-systèmes différents, indique Roberto Angelini, de Thales Alenia Space, responsable de la construction.

Sept ans de préparation et cent minutes pour entrer dans le futur, dit Jean-Jacques Dordain. Mais quel futur ? Certes une première phase, Pride, a été décidée pour aller vers un démonstrateur capable de faire plusieurs orbites avant de rentrer sur Terre, ou bien de se poser sur la terre ferme. Le budget n’est que de 10  millions d’euros pour la première phase d’études, quand la mission IXV a coûté 150  millions d’€.

En outre, la nature des missions est encore floue : retour d’échantillons de planètes comme Mars, ou d’astéroïdes, rapatriement d’astronautes, atterrissage sur des planètes à atmosphère, récupération de certains étages de lanceurs… La liste est connue, mais les véritables besoins encore assez éloignés pour l’ESA, à moins de rejoindre les projets d’autres agences spatiales.

David Larousserie. Le Monde 13 février 2015

 24 02 2015  

Union Européenne-Russie : vous avez dit somnambulisme ?

Le mot n’a sans doute pas été choisi au hasard. Dans un rapport sur la Russie et l’Europe publié vendredi 20  février, la Chambre des lords décèle un fort élément de somnambulisme dans l’attitude de l’Union européenne (UE) sur la crise ukrainienne. Ayant commis des erreurs de lecture catastrophiques, les États membres, dit-elle, ont été pris de court par la gestion du Kremlin de ce qui est devenu, en un an, la plus grave crise européenne depuis la fin de la guerre froide.

La référence au somnambulisme rappelle inévitablement le livre de l’historien australien Christopher Clark, professeur à Oxford, Les Somnambules, été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre (Flammarion, 2013). L’ouvrage, qui décrypte l’enchaînement par lequel les grandes puissances ont basculé dans le premier conflit mondial, a rencontré un tel succès à travers l’Europe en 2014, année du centenaire, que l’on imagine mal les Lords employer le mot innocemment.

Ce rapport montre comment la Russie s’est peu à peu éloignée de l’UE depuis dix ans, sans que les pays européens, omettant de déchiffrer cette évolution, songent à en tirer les conséquences : L’UE a été lente à réévaluer ses politiques pour répondre aux changements importants qui se produisaient en Russie, résume-t-il. Parmi les explications de cette inertie, les auteurs relèvent la perte de capacité analytique collective. Interrogé au cours des auditions de la Chambre des lords, David Lidington, ministre britannique des affaires européennes, reconnaît qu’il y a eu un trou en matière de compétence et d’analyse sur la Russie, faiblesse qu’il attribue aux diverses présomptions issues des années Gorbatchev et Eltsine.

Autrement dit, le gouvernement britannique a considéré, après l’effondrement de l’Union soviétique fin 1991, que la Russie ne constituait plus ni une menace ni une priorité et a dégarni ses équipes de spécialistes de la région. Cette situation a été largement partagée en Europe occidentale. Le Français Pierre Vimont, entendu comme secrétaire général du service diplomatique européen, confirme cette faiblesse pour la France en confiant aux Lords qu’il a été plutôt impressionné par le niveau d’expertise sur la Russie au sein du service diplomatique de l’UE, en comparaison avec ce qu’il avait connu au Quai d’Orsay. C’est qu’entre-temps l’UE avait intégré les pays de l’ex-bloc socialiste, qui allaient envoyer à Bruxelles des diplomates russophones et rompus aux relations avec Moscou.

Cette lecture trop optimiste de la fin de la guerre froide et de l’insertion de la Russie dans le concert des nations démocratiques, avalisant la thèse de la fin de l’histoire de Francis Fukuyama, est l’une des explications du réveil brutal imposé à l’Occident par la crise ukrainienne : gagnés par l’euphorie de la chute du mur de Berlin puis de l’URSS, les États-Unis et les Européens ont baissé la garde.

L’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, en 2000, n’a pas modifié cette vision. L’UE avait beaucoup à faire : la construction de l’Eurozone, l’élargissement aux pays d’Europe centrale et aux Baltes. Les signes avant-coureurs des troubles à venir apparaissent cependant dans la deuxième moitié des années 2000. En  2007, Vladimir Poutine prononce à la conférence de Munich sur la sécurité un discours très dur, livrant une vision expansionniste de la Russie. L’année suivante, l’intervention russe en Géorgie n’empêche pas le président Sarkozy de mettre en route la vente de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie, que Paris ne perçoit donc pas comme une menace potentielle. La même année, au sommet de Bucarest, la France et l’Allemagne mettent un coup d’arrêt à l’élargissement de l’OTAN pour rassurer la Russie, dont on s’imagine qu’elle se satisfera de ce statu quo.

Mais aucune stratégie occidentale n’est arrêtée pour les pays du voisinage commun à l’UE et à la Russie, dont fait partie l’Ukraine. Selon Fiona Hill et Clifford Gaddy, auteurs d’une excellente biographie de Vladimir Poutine dont une nouvelle édition vient d’être publiée aux États-Unis (Mr. Putin, Operative in the Kremlin, Brookings Institution Press), le leader russe, traumatisé par la crise financière de 2008 qui lui a montré la vulnérabilité de l’économie russe, a, lui, arrêté une stratégie : celle de l’Union eurasienne. Elle lui permettra de renforcer la Russie par une alliance économique et commerciale. Et l’Ukraine en est la pièce maîtresse.

Les États-Unis, très occupés par l’ascension de la Chine, sont si bien disposés à l’égard de la Russie qu’ils lui proposent en 2009 de relancer les relations bilatérales sur de nouvelles bases – c’est le fameux reset, aujourd’hui défunt. De son côté, au début de la décennie 2010, l’UE élabore un Partenariat oriental et négocie des accords d’association avec les pays voisins, sans réaliser que l’Ukraine n’est pas, pour Moscou, n’importe quel voisin. Réélu président une troisième fois en 2012, M.  Poutine est lancé dans une coûteuse modernisation des forces armées russes. En septembre  2013, au cours d’une conférence à Yalta, un conseiller de M. Poutine, Sergueï Glaziev, avertit que le pouvoir ukrainien commet une erreur énorme s’il croit que la réaction russe – à la signature de l’accord – sera neutre. Dans le Guardian, M.  Glaziev évoque la possibilité de l’émergence de mouvements séparatistes dans le sud-est russophone de l’Ukraine et laisse entendre que le traité bilatéral délimitant la frontière entre la Russie et l’Ukraine sera annulé.

Tout l’été 2013, les mesures de rétorsion commerciales russes à l’égard des pays voisins se multiplient. Pourtant, le rejet de l’accord d’association en novembre, la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée puis l’intervention russe, à peine dissimulée, dans le Donbass, surprendront l’Occident. Des sanctions sont mises en place à partir de mars  2014, en réaction à la Crimée. Le drame du vol MH 17, abattu en juillet  2014 avec 298 civils à bord par un missile tiré d’une zone rebelle prorusse, va faire prendre enfin conscience aux Européens de la gravité de la situation. Mais ce n’est qu’en janvier que les dirigeants européens, dont le président Hollande, parlent ouvertement de la menace d’une guerre totale en Europe. Le 4  janvier sur France Inter, le chef de l’Etat français a encore cette formule bienveillante : M.  Poutine ne veut pas annexer l’est de l’Ukraine. J’en suis certain. Il me l’a dit. Ce qu’il veut, c’est rester influent.

Angela Merkel, elle, semble avoir compris depuis longtemps. D’abord parce que, chancelière depuis 2005, cela fait dix ans qu’elle côtoie Vladimir Poutine. Ensuite parce que, ayant grandi en Allemagne de l’Est, elle a connu le soviétisme de l’intérieur. M. Poutine ne lui épargne pas son machisme, lui impose la présence de son gros labrador à Sotchi alors que sa peur des chiens est notoire, la fait attendre jusqu’à 23  heures à Milan en octobre 2014 parce qu’il s’attarde à une parade militaire en Serbie. En mars  2014, elle confie à Barack Obama que M. Poutine a perdu le sens des réalités, il est dans un autre monde. Mais, patiente, elle ne ménage aucun effort. Au sommet du G 20 à Brisbane en novembre, elle passe six heures enfermée dans une salle de conférence de l’hôtel de M. Poutine avec lui, jusque tard dans la nuit, pour essayer de rapprocher leurs positions sur l’Ukraine. En vain. C’est pour elle un tournant. Le lendemain, dans un discours à Sydney, elle laisse exploser sa frustration. Pour elle, il est clair, désormais, que comme au temps de la guerre froide, ce sont bien deux systèmes, deux visions de l’ordre international qui s’opposent. Et que, comme elle le dira à Munich début février, l’affrontement va durer très longtemps.

Sylvie Kauffmann. Le Monde du 24 02 2015

1 03 2015

L’Autrichien Marcel Hirscher gagne le slalom géant de Garmisch Partenkirchen avec 3″28 centièmes d’avance sur son compatriote Felix Neureuther : exploit tout à fait exceptionnel. Il mettra fin à une carrière tout aussi exceptionnelle, avec un palmarès à faire pâlir les meilleurs en 2019, puis décidera en 2024 de revenir à la compétition à 35 ans passés, sous les couleurs néerlandaises, patrie de sa mère. Un pari très rarement gagnant…

Bild zu: Ski alpin: Marcel Hirscher gewinnt Riesenslalom in Garmisch ...

9 03 2015  

Solar Impulse 2, volant avec la seule énergie solaire décolle à 7 h 12’ d’Abou Dhabi pour atterrir quelque 400 kilomètres plus loin, à Mascate, capitale du sultanat d’Oman, après treize heures et deux minutes de vol sans encombres. Aux commandes, un duo suisse : Bertrand Piccard, psychiatre dans le civil et André Borschberg, ingénieur en mécanique et en thermodynamique et pilote de chasse La naissance du projet remonte à 2003, qui en avait alors fait rire plus d’un. Pourtant, douze années plus tard, cette utopie technologique, physique et environnementale, quasi essentiellement financée par des partenaires privés, est en cours de réalisation. Une envergure de 72 mètres, – un Boeing 747 en fait 68.5 -, un poids de 2 300 kg. Les quatre moteurs de 17.5 cv chacun sont alimentés par des batteries au lithium qui pèsent 633 kg, lesquelles sont rechargées par 17 000 cellules photovoltaïques.

Cette circonvolution devrait se faire en douze étapes et vingt-cinq jours de vol sur une période de cinq mois. Et si tout se passe au mieux, c’est l’autre pilote, Bertrand Piccard, qui retrouvera le sol des Emirats arabes unis aux commandes de Solar Impulse 2 en août, après avoir survolé les océans Pacifique et Atlantique.

Le rêve n’avait pas la primeur. En novembre 1974, le premier avion solaire, Sunrise 1, d’une envergure de 9,76 m pour 12,25 kg, effectuait son premier vol en Californie. Six ans plus tard, le premier avion habité et uniquement propulsé par l’énergie solaire, affichait lui une envergure de 22 m pour 31 kg. Enfin, Helios, prototype d’aéroplane de 82 m pour 800 kg, fabriqué et télécommandé par la Nasa, battait en 2001 le record du monde d’altitude en vol horizontal durable, en atteignant 96 500 pieds (plus de 32 km) au-dessus du Pacifique.

La spécificité de ces vols était qu’ils n’étaient pas habités. En avril 2010, Solar Impulse 1, qui vole pendant quatre-vingt-sept minutes avec Marjus Scherdel aux commandes, l’est. Trois mois plus tard, la créature de Piccard et Borschberg vole vingt-six heures. Les vols se succèdent jusqu’à la mise à la retraite de Solar Impulse 1 en juillet 2013, après plus de quatre cents heures de vol. Le programme Solar Impulse 2 pouvait débuter en 2012.

Lors des douze étapes prévues jusqu’en août, Bertrand Piccard, 57 ans, et André Borschberg, 63 ans, se relaieront à bord du cockpit monoplace de l’appareil d’une envergure proche de celle d’un Airbus A 380. Si le défi est technique, il est également humain. Qu’on en juge : durant chaque vol, dont le plus long est prévu pour durer cinq jours (et nuits) sans escale, le pilote ne pourra quitter son siège. On devra y manger et boire, y faire nos besoins, nous laver avec des lingettes, détaille Bertrand Piccard. Côté repos, impossible de sommeiller longuement sans risquer la catastrophe. En conséquence, les deux pilotes pourront effectuer des microsiestes de vingt minutes maximum. Chacun a choisi sa technique : l’autohypnose pour Piccard, quand Borschberg a choisi le yoga.

Enfin, comme Solar Impulse 2 volera le jour à l’altitude d’un avion de ligne mais sans cabine pressurisée, les ingénieurs-développeurs ont mis au point un générateur d’oxygène longue durée. Et en raison des températures extrêmes à cette altitude (quelque – 40 degrés), la cabine a été isolée thermiquement. 130 professionnels sont de cette aventure. 65 voyageront autour du monde au gré des étapes dans le cadre d’un appui logistique et technique quand 65 autres (météorologues, ingénieurs…) resteront à Monaco au centre de contrôle.

En novembre, Piccard nous résumait : Nous ne voulons pas faire de révolution dans l’aviation, mais dans la tête des gens. On veut leur montrer que des solutions existent, que les technologies peuvent changer le monde.

Philippe Brochen. Le Monde du 9 03 2015

Le 3 juillet à 17 h 55 (heures de Paris), après 8 263 kilomètres et 117  heures de vol sans carburant ni escale, l’avion solaire se posera à Hawaï. Il avait quitté le Japon le 28 juin. Son pilote André Borschberg entre dans la légende de l’aviation en le posant là, un peu – comme il ne l’a cessé de le rappeler – grâce à son yogi, Sanjeev Bhanot, qui le suit depuis une décennie. Il l’a mis en condition pour lui permettre de réaliser l’un des plus grands exploits aéronautiques : voler durant cinq jours et cinq nuits sans escale ni autre carburant que les rayons du Soleil, au-dessus d’un environnement hostile, l’océan Pacifique. Je tire ma force mentale et ma résistance de la méditation et du yoga, a souvent confié aux médias André Borschberg, directeur du projet et ingénieur en chef de l’aéroplane.

Une panne de batteries immobilisera l’avion à Hawaï jusqu’au 21 avril 2016 : il repartira alors pour la côte est des Etats-Unis, où il se posera trois jours plus tard, le 24 avril. Il bouclera la boucle en se posant à Abu Dhabi le 26 juillet 2016.

Un hélicoptère affecté au tournage de l’émission de télé réalité Dropped pour TF1 se crashe en Argentine, tuant dix personnes, dont la navigatrice Florence Arthaud, la nageuse Camille Muffat, le boxeur Alexis Vatine. Le directeur de production Nicolas Roussel, sera mis en examen le 7 octobre 2020, pour avoir fait des choix de personnel et de matériel uniquement sur des critères financiers. Peter Högberg, un Suédois chargé de sécurité lors du tournage, avait déjà été mis en examen pour homicides involontaires en février 2019.

18 03 2015      

Non désirée, Chantal Cochet [nom d’emprunt] est née il y a plus de quarante ans d’une  histoire sans lendemain. Son père ignore son existence. Sa mère la met en nourrice pendant cinq ans… la campagne, les poules, les lapins… ce qu’il faut pour que les pieds restent sur terre, après une naissance bien mal partie. Sa mère vient la voir plutôt régulièrement et un jour, accompagnée d’un homme, qu’elle va épouser. À cinq ans, Chantal vient vivre à Paris chez sa mère et son papa. À quinze ans sa mère lui dit ton père n’est pas ton père, ce qu’inconsciemment elle savait. Une sérieuse déprime s’ensuit et à 17 ans, Chantal quitte la maison pour être indépendante : ça se passe plutôt bien… en fin de compte, elle se dit qu’elle a dû naître sous une bonne étoile. Elle a un enfant et 40 ans lorsque son papa évoque le nom de son père biologique : elle le trouve sur le Minitel, lui écrit, et une semaine plus tard elle reçoit un coup de téléphone : Je suis là, au pied de votre immeuble… Ils vont se voir une heure : il dit brièvement sa vie : deux enfants, une fille et un garçon qui s’est suicidé à 18 ans, il ne savait rien de l’existence de Chantal… Au fait, il faut que j’aille chercher le petit à l’école ! Ils y vont ensemble, reviennent et se séparent, sans avoir éprouvé pas plus l’un que l’autre le besoin de programmer une autre rencontre. Son enfant lui dit : Il est gentil ce monsieur, on dirait papy. Elle se regarde dans la glace : je lui ressemble.

Une lumière était née, qui enlèvera le voile qu’elle avait devant les yeux, elle éclairera sa vie. Rien qu’une heure, une heure seulement : voilà tout le temps qu’elle aura vu son père, mais sa vie en aura été bouleversée, libérée de sa souffrance permanente.

France culture Les pieds sur terre, de Sonia Kronlund. Reportage de Martine Abat.18 mars 2015

24 03 2015        

150 vies humaines dans les mains d’un malade mental, en toute légalité !

Andreas Lubitz, 28 ans a déjà subi une cure en établissement psychiatrique ; il prend un traitement quotidien d’antidépresseurs contre des tendances suicidaires, une psychose accompagnée de troubles de la vue. Depuis 2010, il a déjà vu 41 médecins ! 7 depuis le 24 février… généraliste, psychiatre, ORL. Sa petite amie, hôtesse de l’air, l’a quitté au bout de cinq mois, ne pouvant plus supporter ses cauchemars et ses délires : un jour, le monde entier connaîtra mon nom. Il a été en arrêt maladie du 22 au 24 février, puis du 16 au 22 mars. Et, ce jour-là, il copilote un Airbus A 320  DAIPX de la compagnie Germanwings, low-cost de Lufthansa, sur le vol Barcelone-Düsseldorf 4 U 9525. Décollage de Barcelone à 10 h 01’ heure locale. Atterrissage prévu à Düsseldorf : 11 h 55’. Le pilote veut aller aux WC, le laisse seul dans le cockpit où il s’enferme, actionne les commandes à 10 h 29’ pour descendre et devient muet aux appels des contrôleurs d’Aix en Provence qui le voient descendre sans raison, et sourd aux coups frappés sur la porte de la cabine de pilotage par le pilote qui veut reprendre son poste. Vers 10 h 40’, l’A 320 percute à 1 700 m, par 6°26’25″E et 44°16’55″N, au sud du Pinet – 1 924 m -, et à l’est de la Tête de la Bau – 1 705 m – dans la Montagne des Têtes – : c’est à 20 km à vol d’oiseau du Mont Cimet, où s’était écrasé, 62 ans plus tôt,  le 1° septembre 1953 un  Constellation d’Air France, pas loin de Digne.

Le vol Germanwings 9525 (2015)

Quand un homme emporte 149  personnes avec lui dans la mort, le mot suicide n’est pas approprié.

 Carsten Spohr, PDG de Lufthansa, 48 ans, ingénieur, pilote.

Un flot de questions se presse : comment cela a-t-il pu être possible ? Comment un malade mental, dont le fait d’avoir caché son mal, n’est qu’un aspect de ce mal, a-t-il pu être retenu par les autorités civiles compétentes, par le DRH de Lufthansa ou de Germanwings, comment donc a-t-il pu franchir toutes les étapes nécessaires pour devenir copilote d’un moyen-courrier, et prendre ainsi la responsabilité de la vie de 150 passagers. Comment une institution officielle comme l’aviation civile qui détient les dossiers médicaux a-t-elle pu donner son feu vert à pareil dossier, sans alerter l’employeur direct ? C’est la faillite criminelle de la déontologie médicale allemande en matière de secret professionnel : comment celui-ci pourrait-il induire la non-assistance à personne en danger ? Il y a dans les procédures d’embauche des blancs, des zones de vide juridique qui sont criminelles.  Que ce garçon ait été passionné de pilotage, c’est une chose, qu’on lui ait donné son brevet pour piloter un petit avion à 2 ou 4 places, c’est une chose envisageable, mais comment a-t-on pu lui confier la responsabilité de la vie de 150 personnes alors même qu’il avait dû interrompre sa formation pour se soigner, quelques années plus tôt. Il était évident qu’il n’irait certainement pas clamer sur tous les toits qu’il continuait à prendre un traitement antidépresseur, et donc qu’il le dissimulerait. Autant de laxisme criminel ! 150 morts, c’est au moins 500 vies dévastées ! En 2018, les tribunaux allemands fermeront le dossier avec un non-lieu… : c‘est la faute à personne. L’irresponsabilité se voit reconnue comme légale. Il faut bien aussi dire que c’est une tendance générale de la justice allemande que d’avoir la main légère, les responsabilités personnelles étant inversement proportionnelles au poids social de l’obéissance aux règlements. Il en avait déjà été ainsi à Francfort en 1963 quand 20 nazis avaient eu des peines finalement plutôt clémentes.

 

On va arrêter un conducteur de voiture pour avoir bu un demi litre de vin, lui mettre une amende voire lui retirer son permis, et peut-être même confisquer son véhicule et on laisse un malade mental prendre la responsabilité de 150 vies humaines ! Mais qui sont ces irresponsables, ces inconscients ! Où se trouve l’explication de ce deux poids, deux mesures ? Selon que vous serez puissant ou misérable … ? Le poids des intervenants viendrait-il alléger au maximum les mesures de sécurité ?

À force de tout voir, on finit par tout supporter  
À force de tout supporter on finit par tout tolérer
À force de tout tolérer on finit par tout accepter
À force de tout accepter on finit par tout approuver

Saint Augustin

Ces gens-là (les fonctionnaires) sont les pires parce qu’ils sont beaucoup plus répandus, plus invisibles, plus nocifs que les vrais monstres. Ils ont leur morale en devanture, le sens du devoir en bandoulière, et le service de l’État en parapluie. En un coup de tampon, ils peuvent envoyer des gens à la mort sans jamais s’interroger sur les effets de leur acte. Dans le crime administratif, la victime est sans visage. Son caractère collectif dilue le crime en faute. Quoi de plus anodin ?

Pierre Assouline. La cliente. Folio. p. 160.

C’est vrai à terre, mais c’est vrai aussi en mer, avec semble-t-il un talent propre aux fonctionnaires français, le compliment venant de marins, les mieux placés pour établir des comparaisons à l’international. [Cela se passe à Nice]

Si vous saviez comme il est difficile de faire comprendre à une douane obtuse qu’un colis envoyé de l’étranger à destination d’un petit bateau belge ne passe la France qu’en transit ! Tout le monde sait cela. Le service douanier ne voulait pas le savoir : un agent en douane toujours à l’affut du petit bénéfice guettait le particulier harassé, lui proposait de l’exempter de toutes les démarches, contre un pourcentage. Louis ne décolérait pas. Il brûlait de prouver qu’un homme ordinaire sans pouvoirs surnaturels et occultes était capable de mener à bien ses affaires tout seul. Il le prouva, non sans peine.

Vint le moment de vernir les mâts et les espars. Pour ce, nous déverguâmes les voiles, mais comme les gros sacs de toile encombrent fort un carré dans lequel on vit à trois, nous nous mîmes d’accord avec le bistro Michel pour les entreposer quelques jours dans son bar. La grand voile et l’artimon, chacun dans un sac, attendaient sur le quai comme des soldats en faction. Par pur hasard, il faisait crépuscule quand Fred et Louis, très dégagés, chargèrent chacun un sac sur le dos et … se jetèrent dans les bras de deux douaniers qui, depuis plusieurs heures, nous épiaient dans l’embrasure d’une porte. Ils furent fort déçus de ne trouver dans les dits sacs que de la toile, pas la moindre Lucky, nulle cocaïne, pas même une femme blanche que nous partions expédier en Amérique du sud. S’étant toutefois fourré en tête que ce transbordement était louche, que subséquemment nous fraudions, ils déclarèrent que nous débarquions nous voiles pour les vendre et n’en démordirent plus.

  • Mais enfin, nous partons pour Tahiti (vous savez où c’est ?), nous ne pouvons pas partir sans voiles ! Pourquoi irions-nous les vendre ?
  • M’en fiche.
  • Des voiles coupées pour un certain bateau ne conviennent à un autre. C’est invendable.
  • M’est égal.

Louis eut le tort de s’emporter. Traités de divers noms fort durs, ces messieurs se drapèrent dans le règlement. Il fallut plusieurs jours de démarche, il fallut en appeler à des instances plus hautes, menacer du ministère lui-même (à tout hasard car nous n’y connaissions personne), frapper à beaucoup de portes et sur beaucoup de tables, expliquer quarante fois, pour qu’on reconnaisse notre bonne foi. Ce qui n’empêche que pour le principe, ce serait dix mille francs, monsieur et qu’on ne vous y reprenne plus

Le principe se vend cher, en France.

Casquant de fort mauvaise grâce, nous déclarâmes que partout où nous irions, dorénavant, nous mettrions tous les yachtmen en garde contre la France, nous les dirigerions sur l’Espagne, les Antilles, au diable…. Nous étions très fâchés. Bien entendu, il n’en fut rien, nous l’aimons trop. La France est un beau jardin, son administration, c’est la vermine, les mauvaises herbes, on n’a pas les uns sans les autres. Il faut s’en accommoder et à l’occasion se piquer aux orties pour jouir de la fleur.

Il semble traîner sur cette Côte d’Azur si belle, si chère à notre cœur, une atmosphère véreuse. Le désir de tondre le gogo s’y étale sans la moindre pudeur, Il y a quelque chose de frelaté dans l’air qui s’insinue dans toutes les joies, esthétiques et autres. Pour tout ce qui était de la vie pratique courante, la nécessité de ruser nous fatiguait. Les marchands étaient trop bavards, trop retors, trop peu vergogneux pour nous.

Annie Van de Wiele. Pénélope était du voyage. Hoëbeke 1996

2 04 2015 

Les terroristes Chahab de Somalie massacrent 148 étudiants chrétiens dans l’université de Garissa, dans l’ouest du Kenya. La réaction internationale sera a minima. Les Kenyans de s’en étonner, quand 17 morts à Paris trois mois plus tôt avaient fait la Une de tous les médias pendant des jours et des jours. Nous sommes tous Charlie.  Quatre millions de personnes dans les rues, des chefs d’État en veux-tu en voilà. Les Kenyans ne doivent  pas bien réaliser que chez nous, il s’agissait de journalistes et de juifs, blancs, [à l’exception de deux policiers], les corporatismes, les clanismes ont tourné à plein régime pendant dix bonnes journées, alors qu’en l’occurrence non seulement ils sont noirs, mais en plus, ils sont chrétiens et anonymes : tout ce qu’ils faut pour que les médias, les politiques se désintéressent complètement d’eux !  Selon que vous serez connus ou inconnus, les jugements des hommes… Si nos gouvernants, si nos médias voulaient délibérément afficher le fond de leurs pensées, très en-deçà des habituelles et véhémentes déclarations d’adhésion à l’universalité des droits de l’Homme, de l’égalité de tous les hommes, et patati et patata, ils ne pouvaient pas mieux s’y prendre. Sous le vernis d’homme du XXI° siècle apparaît dans toute sa brutalité l’indifférence fondamentale du Blanc pour le Noir. Le pape François, s’il avait voulu partager leur peine, aurait pu leur faire une visite de condoléances, même si probablement bon nombre de ces chrétiens n’étaient pas catholiques.

9 04 2015

Quand des économistes, relayés par des journalistes qui font bien leur travail, parviennent à mettre de la clarté là où sont bon nombre ne font qu’entretenir l’obscurité, on se retrouve confronté à une réalité bien difficile à regarder en face :

La richesse par habitant [en France] ne croît pas, elle recule : de 0,1  % en  2012, de 0,2  % en  2013 et de 0,1  % en  2014, si l’on en croit par ailleurs Eurostat. Trois ans de récession par habitant. Le problème fondamental de la France est l’absence de croissance économique, résume l’OCDE. L’avantage de tels rapports, c’est qu’ils permettent d’établir des séries longues, de sortir des querelles d’héritages droite-gauche et de s’extirper du on-fait-dire-aux-statistiques-ce-que-l’on-veut, gri-gri bien commode pour nier une réalité dérangeante.

Tentons donc d’identifier ce qui s’est passé. En  1989, avec la chute du mur de Berlin, Milton Friedman et l’école de Chicago se frottèrent les mains, ravis d’avoir gagné la guerre froide contre le communisme. Un quart de siècle plus tard, à écouter les frondeurs, la France donne le sentiment d’avoir été battue par les vents libéraux. Ultras, forcément ultras. Trop de rigueur, pas assez de keynésianisme. Or il n’en est rien. La France devient, année après année, plus socialiste que jamais.

Inlassablement, le taux des dépenses publiques augmente en France : il est de 57,3  % du PIB, record mondial derrière la Finlande. Dix points de plus que l’Allemagne. La France est aussi championne des impôts, juste derrière le Danemark et devant la Belgique. Cette envolée des dépenses et des impôts s’explique par la progression de l’Etat social, auquel la France consacre 32  % de son PIB. Ce chiffre n’était que de 25,2  % en  1990.  Les dépenses sociales apparaissent parmi les plus importantes de l’OCDE, surtout pour les soins de santé et la vieillesse, estime l’organisation. Les réformes des retraites n’ont jamais mis à contribution les retraités, dont le niveau de vie est proche de celui des actifs, et les Français sont ceux qui ont la plus longue retraite : vingt-cinq ans, quatre ans de plus que la plupart des pays de l’UE. Les dépenses de santé sont parmi les plus élevées. La qualité des soins offerts est reconnue, mais leurs coûts semblent disproportionnés et les dépenses publiques pourraient être diminuées significativement sans compromettre la qualité et l’égalité d’accès aux soins. L’OCDE déplore aussi que les transferts sociaux, s’ils contribuent à réduire les inégalités, restent peu ciblés.

Concrètement, la France étouffe sous l’impôt et la dépense publique. Il faudra opérer une réduction dont Valls-Hollande n’osent pas parler pour l’instant. L’OCDE le dit en termes plus alambiqués : La baisse prévue du ratio de dépenses, qui devra être significative, est une condition sine qua non pour pouvoir engager à moyen terme une réduction des prélèvements obligatoires les plus distortifs, ce qui permettra d’améliorer la croissance tendancielle. L’OCDE cite en exemple la Suède, le Canada, Israël et l’Espagne, qui ont réussi à diminuer de 10 points de PIB leurs dépenses publiques. Et cruelle conclusion : Même si la France en faisait autant, son ratio de dépenses serait toujours au-dessus de la moyenne de l’OCDE.  Et qu’on n’invoque pas, pour justifier la dérive des dépenses, les nécessaires investissements – ils sont stables à 4  % du PIB depuis quinze ans – ni les intérêts sur la dette – ils se sont réduits de 2,8  % en l’an 2000 à 2,1  % du PIB grâce à l’effondrement des taux.

La France continue d’avoir le droit du travail parmi les plus protecteurs : La réforme du marché du travail français est une condition fondamentale à toute stratégie de croissance et de bien-être, assène l’OCDE. Poliment, elle salue les réformes Sapin, avant de dire une vérité toute crue : L’impact de ces réformes demeure à ce stade limité. Peu d’employeurs ont fait usage de la nouvelle loi, les salariés peuvent la refuser et la jurisprudence n’est pas complètement établie, ce qui crée une incertitude pour les employeurs.

C’est au fond le ton du rapport de l’OCDE, qui aimerait tant que la France soit sur le droit chemin. La direction est bonne, le ton juste depuis que Valls-Macron ont mis fin aux erreurs du début de mandat de François Hollande. Et les économistes du Château de la Muette donnent toute une série de recommandations : Leur impact total serait de l’ordre de 0,3  % – 0,4  % de croissance supplémentaire par an sur un horizon de cinq à dix ans. La question est de savoir si le gouvernement accomplit 1  %, 10  % ou un tiers du chemin nécessaire.

L’affaire est décisive. Car, à regarder les graphiques de l’OCDE, la France se situe dangereusement aux marges de la zone euro. Elle court le risque de devenir une grande Grèce, à force de trop diverger avec l’Allemagne et les économies du Nord. Que les taux d’intérêt retrouvent un niveau normal, et le poids de la dette, qui approche les 100  % du PIB, sera insupportable. Surtout lorsqu’on partage la même monnaie qu’une Allemagne en voie de désendettement.

Arnaud Leparmentier. Le Monde du 9 avril 2015

 24 04 2015    

La solidarité ne figurerait-elle plus au premier rang des préoccupations chrétiennes ?

Les organisations islamistes, sous des drapeaux variables, impriment, depuis plusieurs années, leur tempo à l’actualité de la planète, et font régner la terreur sur les populations de pays où, des siècles durant, ont prospéré de brillantes civilisations. Leurs vidéos répandent, dans le monde entier, le spectacle de leur folie de mort et de destruction. Leur offensive s’élargit sans connaître de frein. En Afrique, depuis avril  2011, les attentats-suicides de Boko Haram dans des églises. Dimanche, en Libye, vingt-huit coptes éthiopiens massacrés face à la Méditerranée. Hier, à Paris, un projet d’attentat contre des églises de la banlieue parisienne. Partout sous la menace des islamistes, les chrétiens, mais aussi tout ce qui peut témoigner du génie de l’homme et de sa transcendance.

À Nimroud, l’État islamique a envoyé ses bulldozers contre les monuments de l’ancienne capitale assyrienne. À Hatra, l’Etat islamique a mis en scène ses combattants s’attaquant à l’ancienne cité parthe. À Ninive, il a détruit la mosquée et le mausolée du prophète Jonas. À Mossoul, il a organisé l’un des plus grands autodafés de l’Histoire. Nous aussi, nous avions, dans notre couvent de Mossoul, me dit Najeeb Michael, un Père dominicain irakien, des manuscrits sur toutes les religions du Moyen-Orient, plus de 40 000  livres imprimés, des incunables. Le couvent a été attaqué par des fondamentalistes, et nous avons été obligés de quitter Mossoul en  2007 pour Karakoch. Nous avons organisé le déménagement, c’était énorme, pendant six mois, dans la discrétion la plus totale, avec des voitures particulières conduites par des amis. À Karakoch, nous avons numérisé les archives et les manuscrits. Puis nous avons vécu un deuxième exode, en deux étapes. Le 25  juillet  2014, j’ai rempli un grand camion avec nos archives et nos livres anciens, et, le 6  août, nous sommes partis, dans la nuit, avec des milliers de gens qui fuyaient Karakoch, deux heures avant l’entrée dans la ville de l’État islamique.

Cette politique de la terre brûlée dans le Croissant fertile n’épargne, bien sûr, ni les églises ni les synagogues. En Syrie, le professeur Maamoun Abdoulkarim, un homme avisé, kurde et syriaque par sa mère, arménien par son père, a organisé, avec ses collègues, la mise à l’abri de pièces rares des musées syriens et l’évacuation des trésors de certains sites. Mes origines mixtes, m’écrit-il, m’ont aidé à donner un sens à mon engagement en tant que directeur général des antiquités et des musées, en faveur de la défense de notre diversité et de notre patrimoine commun. Mais, après quatre ans de crise, les villes, les sites, les citadelles, les lieux de culte, les monuments, les églises et les mausolées ont subi des dégradations parfois irréversibles, surtout dans des villes comme Alep et Homs. Partout où l’insécurité règne, notamment avec l’extension de l’État islamique, de nouvelles destructions sont enregistrées.

La contagion de la haine ne connaît pas de frontières. La Libye est à son tour contaminée ; destructions de mosquées et de madrasa, pillages de sites prestigieux. Ces saccages, ces vols, qui alimentent des trafics illicites, s’inscrivent, comme l’a dit Irina Bokova, l’infatigable directrice générale de l’Unesco, dans une stratégie de nettoyage culturel extrêmement réfléchie et d’une rare violence.

Nettoyage déjà à l’œuvre à Bamiyan, quand les statues des bouddhas géants avaient été détruites en mars 2001 par les talibans et à Tombouctou, en juin  2012. Le monde sursautait encore en apprenant la destruction des mausolées, ces tombes éventrées. J’avais alors lancé de Saint-Pétersbourg un appel pour protéger Tombouctou, lieu sacré de l’histoire africaine.

Les djihadistes n’ont rien inventé. La volonté de tabula rasa est le sceau de tous les régimes totalitaires. Les trésors du passé leur sont insupportables, car ils irriguent notre temps de forces anciennes : esprit et liberté. Le patrimoine témoigne de la constance des hommes au milieu de leurs errances. Le patrimoine irradie : rayonnement identitaire, historique, spirituel. Et prophétique. La mémoire historique est un enjeu fondamental. Elle nous fait entrer dans la complexité du présent. La mémoire des peuples, écrivait Camus, s’envole à la vitesse même où marche l’Histoire.

Le saccage du patrimoine lobotomise les peuples en les privant d’une part de cette mémoire. Nous avons à nous occuper de ces biens, que nous recevons à chaque génération en compte d’hoirie universelle. Il nous revient de reconstruire chaque jour la vérité. Ces lieux dépassent bien sûr l’identité nationale et la communion religieuse. En  1960, André Malraux avait précisé que l’appel de l’Unesco pour la Nubie n’appartenait pas à l’histoire de l’esprit parce qu’il voulait sauver les temples de Nubie, mais parce qu’avec lui la première civilisation mondiale revendiquait publiquement l’art mondial comme son indivisible héritage.

Lobotomie collective, déracinement et terreur sont les armes de destruction massive de l’État islamique qui conduit avec brio sa politique d’intimidation par le crime. L’éclat des supplices fait toujours le buzz. Leurs victimes n’ont que trois solutions : apostasier, mourir ou partir. Dans le viseur des djihadistes, les chiites, les yézidis, les sunnites attachés à un islam spirituel ou pacifique, et en cœur de cible : les chrétiens d’Orient.

Il y a longtemps que les chrétiens d’Orient sont à la peine pendant que nous préférons regarder ailleurs. Pas assez chics pour nos rituels de compassion démocratique ? Durant les deux derniers siècles, plusieurs vagues d’amnésie nous les ont fait tenir pour quantité négligeable. Rappelez-vous ce qu’écrivait Chateaubriand dans la troisième préface de son Itinéraire de Paris à Jérusalem : Lorsqu’en  1806, j’entrepris le voyage d’outre-mer, Jérusalem était presque oubliée ; un siècle antireligieux avait perdu la mémoire du berceau de la religion.

Au XX°  siècle, l’Europe a dû affronter les deux totalitarismes, dont l’un des points communs était une hystérie antispirituelle. Les totalitarismes ont disparu, mais le matérialisme est resté, les Européens désenchantés, tentés par une ironie existentielle, honteux de leur identité, n’attendent plus de messie. Beaucoup ont regardé cette lente saignée avec indifférence, d’autant que la diplomatie vaticane observait avec prudence les malheurs de ce christianisme à la fois des marges et des origines.

Et pourtant : que serions-nous sans l’Orient chrétien ? Cet Orient vit en nous, parfois à notre insu, comme il avait vécu chez ceux qui nous ont précédés, qui avaient reposé leur cœur dans la consolation d’une tradition sacrée, venue de très lointain féconder une faim d’intensité et d’espérance. Le christianisme oriental forme une immense cathédrale avec de nombreuses chapelles : maronites, arméniennes, grecques orthodoxes, grecques catholiques, melkites, syriaques, chaldéennes, coptes, etc. Que nous soyons croyants – chrétiens, juifs, musulmans -, ou incroyants, nous devons nous demander quel serait le visage du monde si ceux qui se sont succédé pendant deux mille ans pour animer cette histoire invisible disparaissaient.

Les chrétiens d’Orient, souvent aux aguets, presque immobiles, habiles à traverser les épreuves, toujours priants, portent avec la mélancolie aguerrie de ceux qui savent, mais continuent d’espérer, une part de la mémoire et de la sagesse du monde. Mémoire : les églises d’Orient sont le tabernacle de la chrétienté naissante (présence de l’araméen, souvenir de l’Église de Jérusalem, longtemps oubliée, l’un des drames de la civilisation chrétienne, disait le cardinal Lustiger), mais aussi des liturgies et des cultures (araméenne, pharaonique, hébraïque, hellénistique, etc.) du Vieil Orient. Sagesse : ces chrétiens ont appris à vivre avec l’islam, sur sa frontière ou à l’intérieur de ses terres. Ils ont souvent créé chez eux les conditions d’un dialogue spirituel avec l’islam, et inventé une diplomatie de cœxistence au quotidien. La croix jette sur les cités d’Orient une ombre qui favorise les réconciliations impossibles.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Que faire ? L’intervention américaine de 2003 en Irak a engendré au nom de la démocratie une souffrance maximale, un niveau de violence inédit et un chaos qui menace le monde entier, comme notre intervention en Libye. Les démocraties s’acharnent à détruire les États qui ne leur ressemblent pas (la colonisation s’est faite elle aussi au nom des grands principes), sans se priver d’incohérence. Face au Liban rebelle, elles ont soutenu Hafez Al-Assad, maître du terrorisme international, et s’appliquent à faire tomber Bachar, qui a renoncé au terrorisme et reconnu le Liban. Elles créent des vides où prospèrent les mafias islamiques à ambition califale. Notre action au Mali se passe mieux mais laissera-t-elle la paix derrière elle ?

Il est temps d’apprendre à nous méfier des guerres pour le bien des autres. Faut-il renoncer à croire en la justice ? Non. S’il existe une politique française, c’est de vouloir faire vivre une idée de la liberté, d’exprimer une mesure et une clarté dans l’organisation du monde. Nous sommes entrés à nouveau dans un temps de déraison et de haine.

Apportons notre raison et notre fraternité. Soutenons les États et les peuples qui sont en première ligne contre les islamistes (sans ingérence), confions des mandats fermes à l’ONU et à l’Unesco, donnons une volonté à l’Europe (muette sur tous les sujets), et, sur le territoire français, résistons avec force à ceux qui veulent nous détruire. Destructions, décapitations, attentats, mais aussi tragédies en Méditerranée, migrations massives. L’Histoire frappe à notre porte, c’est le moment de faire entendre notre voix.

Daniel Rondeau. Le Monde 24 avril 2015

Parfois, je me donne la nausée quand j’observe le cauchemar des migrants ou des réfugiés – peu importe le terme – et la manière progressive dont je m’accoutume à l’enfer des autres depuis des années. Suis-je le seul à céder à cette anesthésie émotionnelle ? C’est à chacun de répondre. Mais n’est-il pas légitime de se demander où est passée notre humanité ? Notre seuil d’indignation s’élève de jour en jour. Nous fronçons les sourcils à quelques dizaines de morts et grimaçons à quelques centaines. Et encore, tout dépend de la distance qui nous sépare de la tragédie. Quoique ce qui se passe sous nos yeux, à Calais ou à Dunkerque, provoque plus de peurs que de compassion ou d’empathie.

Petit à petit, nous nous habituons à l’insoutenable, l’horreur s’immisce entre la poire et le fromage sans provoquer d’émotions. Nous zappons d’une tragédie à l’autre en espérant poser notre esprit sur une futilité dont notre société se régale pour mieux nous hypnotiser. Que suis-je devenu ? Que sommes-nous devenus ? Des consommateurs d’écrans insensibles, lobotomisés ?

L’Europe (l’Italie et la Grèce mises à part) est passée de l’indifférence à l’impuissance et offre à certains un argument de plus pour douter de son utilité. Comment ne pas céder à l’écœurement devant son immobilisme crasse face aux milliers de noyés en Méditerranée ou en mer Egée, dont 350 petits Aylan, dont la photo avait pourtant ému le monde entier ? Entre 2000 et 2014, 22 000 migrants sont morts en tentant de rejoindre l’Europe, qui est devenue, pour eux, la destination la plus dangereuse du monde.

Pour l’écologiste, notre indifférence au sort des réfugiés nourrit la haine future que les peuples voueront à une Europe et à une France où les droits de l’homme ne sont plus qu’une déclaration

Mais les autres, ceux qui ont survécu, le regrettent peut-être quand ils se retrouvent parqués et parfois matraqués avec femmes et enfants entre deux clôtures immondes.

Cinq ans de conflits en Syrie, 5  millions de réfugiés dans les pays voisins, 7  millions de personnes déplacées à l’intérieur de la Syrie, 1  million de personnes ayant traversé l’Europe, et cela s’ajoute à l’inexorable exode des damnés de la terre qui fuient l’Afrique, ses conflits et la désertification. Derrière les chiffres qui effraient et qui effacent les hommes et leurs souffrances, peut-on mettre des visages et des histoires ? Peut-on surtout réaliser que cela pourrait être chacun d’entre nous si le hasard de la loterie génétique et géographique ne nous avait pas fait naître du bon côté de la barrière ?

Le pire n’est pas dans l’incapacité de l’Europe à faire face à cette tragédie ordinaire, mais dans l’absence de l’expression d’une simple volonté. Pas la moindre organisation humanitaire digne de ce nom face à des horreurs annoncées et si prévisibles. L’Europe démontre, si besoin était, sa faiblesse politique et le peu de cas que nous faisons de nos valeurs.

La France, jadis patrie des droits de l’homme, n’est-elle devenue que le pays de la Déclaration des droits de l’homme ? Face aux barbelés de Calais ou aux expulsions de Vintimille, on peut se le demander. Est-ce la perspective des prochaines échéances électorales qui nous tétanise au point d’en faire un contre-argument électoral ? Est-ce la peur légitime du terrorisme que nous reportons abusivement sur ce phénomène ? Sommes-nous prisonniers de nos amalgames ? La classe politique tout entière s’est peu exprimée sur le sort de ces familles. Il n’a été question que de tri entre les migrants économiques et les réfugiés. On a juste invoqué le contrôle aux frontières et agité le spectre de l’appel d’air.

Sommes-nous si peu nombreux à être troublés par l’accord conclu entre l’Europe et le président turc pour refouler les nouveaux arrivants en Grèce [1] vers la Turquie qui héberge déjà plus de 2 millions de réfugiés ? Est-ce démagogique de noter que le Liban abrite l’équivalent d’un quart de sa population, un million et demi de réfugiés, et que l’Europe, avec un demi-milliard d’habitants, échoue et renâcle à en accueillir quelques dizaines de milliers ? L’histoire témoigne de situations où l’Europe et la France ont su gérer l’accueil de déplacés très nombreux sans provoquer de chaos. Je pense notamment aux conséquences de la guerre au Vietnam (en  1979, au moment de la crise des boat people, nous avons accueilli 150 000 personnes) ou de l’indépendance algérienne.

Et nous mégotons sur des quotas sordides, la France peinant à proposer d’accueillir 30 000  réfugiés dans les deux années qui viennent. Cette arithmétique glaciale est juste un déni de réalité. Toutes les barrières du monde ne pourront endiguer cette vague de détresse. Il en est du désespoir comme de l’eau : rien ne l’arrête, elle finit toujours par trouver son chemin.

L’histoire n’est jamais amnésique et mettra en relief où nous auront mené cette lâcheté collective et nos petits reniements. Nul doute qu’elle nourrira à brève échéance la haine de demain à notre égard. Mettons-nous une seconde dans la peau de ces pauvres damnés qui ont fui la barbarie et la mort, ont rejoint l’Europe ou ses frontières au terme d’une odyssée inhumaine pour échouer ici ou là dans un nouvel enfer, parqués comme des pestiférés. Le Parlement danois a même décidé de confisquer aux arrivants leurs maigres biens en gage de leur hébergement, sous l’œil à peine choqué de la communauté européenne.

J’ai conscience qu’on ne répond pas aux crises avec de bons sentiments. Plus encore, j’ai conscience de l’extrême complexité, de la gravité de la situation et d’être incapable d’esquisser un scénario de résolution. Mais peut-on distinguer dans cet entrelacs ce qui procède du traitement au long terme, notamment la fin du conflit syrien, et de la misère en Afrique, de l’urgence humanitaire pure, et s’y concentrer prioritairement ?

Ce qu’a fait Damien Carême, le maire de Grande-Synthe, sur sa seule volonté et contre l’avis de l’État, avec l’aide de Médecins sans frontières pour transformer un cloaque en camp digne de ce nom, n’est-il pas un exemple reproductible ? Ce qu’a décidé la commune de Cancale (Ille-et-Vilaine) en mettant à disposition un hôpital désaffecté pour des dizaines de familles ne peut-il pas être une initiative qui inspire un plan national ? Au passage, soulignons que, dans ces deux cas, tout s’est fait avec le soutien de la population et sans le moindre incident. Précisons aussi qu’à Grande-Synthe, une permanence humanitaire est assurée entre autres par des bénévoles bretons qui, d’habitude, organisent le festival des Vieilles Charrues.

Juste pour dire qu’heureusement, dans l’ombre et sans soif de reconnaissance, il y a une belle citoyenneté qui agit, des héros invisibles. Oui, il y a de nombreux exemples où l’on résiste à la résignation, qui doivent inspirer une mobilisation et un plan d’action. Dans le même esprit, notons la magnifique initiative civile et européenne de l’ONG SOS Méditerranée – associée à Médecins du monde – qui, avec son bateau Aquarius, est la seule à assurer une veille permanente en haute mer pour secourir les naufragés. C’est en creux une honte pour l’Europe… Comment 28 États n’ont-ils pas été capables de réunir une flotte humanitaire pour sauver des vies que l’on sait à l’avance en péril ? On peut et on doit encore le faire.

Nous devons aussi, à court terme, réduire les délais de traitement des demandes d’asile (environ seize mois). Nous devons ouvrir des couloirs humanitaires pour substituer aux voies irrégulières massives de passage des voies régulières à la hauteur. Et un corridor pour réinstaller en Europe les réfugiés directement depuis les pays voisins de la Syrie. Il faut aussi un appui beaucoup plus massif aux pays voisins de la Syrie pour les aider à faire face à l’afflux. Tout cela n’exonère pas la maîtrise des frontières et la lutte contre les passeurs. Mais surtout ne peut-on organiser une coordination État, régions, territoires, communes pour évaluer les capacités de chacun à se partager l’accueil ? Et, à plus grande échelle, un sommet international pour répartir les obligations de solidarité et d’assistance face à la crise des migrants me semble une nécessité première.

J’entends déjà la remarque sur nos sans-abri qui ne sont pas mieux lotis. Mais nous devons avoir un sursaut de conscience, pour eux aussi. Où sont les Aron et Sartre qui, en  1979, avaient traversé la cour de l’Elysée pour demander à Giscard d’accueillir les boat people ? Où sont les concerts des artistes pour les enfants syriens, les collectes dans les écoles comme dans les années 1980 pour l’Éthiopie ? Et que dit la jeunesse face à la plus grande crise humanitaire depuis la seconde guerre mondiale ?

Maudits soient nos yeux fermés ! Ce qui nous fait défaut, ce ne sont pas les moyens, c’est la compassion. Je sais que les gens heureux – ni les autres d’ailleurs – n’aiment qu’on leur parle de choses tristes. La douleur des faibles se renforce de la faiblesse et de l’indifférence des nantis.

 Nicolas Hulot. Le Monde  du 16 04 2016

 11 05 2015   

Esclavagistes et assassins

Pendant plusieurs mois, la police italienne a écouté 24 membres d’une filière de passeurs de migrants entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Un réseau très structuré qui brasse des millions de dollars

Hommes et femmes sont devenus des matricules anonymes au sein d’une comptabilité occulte qui brasse l’argent déboursé par les migrants en échange d’un ultime espoir, d’une terre d’accueil, et cet argent-là représente des millions de dollars : le périple part souvent du Soudan, mais se termine pour beaucoup – de plus en plus nombreux – au fond de la mer. Des milliers d’entre eux gisent désormais en Méditerranée, engloutis quelque part entre la Libye et la Sicile. Voilà l’affreuse réalité qui ressort des écoutes téléphoniques transcrites dans les 526 pages de l’enquête du parquet de Palerme sur le réseau international qui relie le cœur de l’Afrique subsaharienne à l’Europe. Aux yeux des trafiquants, ces êtres humains sans nom, sans visage et sans identité ne sont qu’une marchandise numérotée.

En  2014, 219 000 personnes ont traversé la Méditerranée, dix fois plus qu’en  2012. Et cette incessante transhumance entre la Corne de l’Afrique et les plages de Sicile a logiquement multiplié le nombre des victimes. Le tragique naufrage d’un chalutier, dans la nuit du samedi  18 au dimanche 19  avril, à 120 kilomètres des côtes libyennes, a fait 850 morts. La pire hécatombe jamais vue en Méditerranée, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Le 12  avril, voilà tout juste un mois, un autre drame avait provoqué la noyade de 400  personnes. Selon la direction antimafia de Catane, en Sicile, l’équipage de ce navire, dont deux membres ont été incarcérés, appartenait à un groupe criminel organisé. À bord, les marins disposaient de téléphones satellite cryptés leur assurant un contact permanent avec leur organisation basée en Libye. De mai à décembre  2014, le service central opérationnel du ministère de l’intérieur italien, l’unité d’élite de la police chargée de poursuivre les mafieux, a intercepté les communications de vingt-quatre trafiquants. Quatorze ont été arrêtés, dix sont toujours en fuite.

La filière était bien organisée. D’après l’enquête du parquet de Palerme, le réseau comportait une cellule soudanaise de départ, composée d’une dizaine d’hommes chargés de l’accueil des clandestins qui avaient pour la plupart fui l’Afrique de l’Est, en charge du transport en Libye. Une cellule libyenne prenait ensuite le relais pour les transferts maritimes vers l’Europe. Puis un groupe d’hommes, à Catane, était chargé d’organiser, si nécessaire, la fuite des migrants placés dans des centres d’accueil et de les acheminer à Rome ou, le plus souvent, à Milan. De là, une dernière bande devait leur faire gagner la Suède, la Norvège, l’Allemagne ou un autre pays européen.

Dans la Libye chaotique de l’après-Kadhafi, le climat se montrait propice à tous les trafics, et un puissant réseau a pu se constituer. Yehdego Medhane, un Erythréen de 34  ans, est le chef de la cellule libyenne qui est au cœur du dispositif, coordonnant les autres groupes. L’homme, toujours en fuite, s’est octroyé le grade de général. Appelle-moi toujours général, dit-il au bout du fil à son interlocuteur en Suède, en juin  2014, tandis qu’il vante l’efficacité de sa filière de passeurs. J’ai la classe de Kadhafi, personne dans l’organisation n’est plus fort que moi, se vante-t-il. Yehdego Medhane maintenait les contacts avec la cellule soudanaise et organisait le départ des bateaux vers la Sicile.

Il faisait également sortir les migrants des prisons libyennes en corrompant la police locale. Sur l’une des bandes, il déclare avoir versé 40 000  dollars – environ 37 000  euros – aux policiers pour faire libérer ces personnes. Un autre membre de cette cellule libyenne, Ermias Ghermay, également visé par l’enquête, est un Éthiopien qui, depuis Zouara, en Libye, a coordonné les voyages des migrants vers l’île italienne de Lampedusa entre 2013 et 2014. Au téléphone, il se présente à ses complices comme un entrepreneur…

Yehdego Medhane disposait d’un groupe très actif au Soudan, composé de sept personnes : Sami, le transporteur, Nahom, Kiros, Mera-Merawi, Abraham, Wedi et Fachie. Ce réseau a un représentant financier aux États-Unis, Wedi Areb, capable de transférer de l’argent dans le monde entier. Dans une conversation interceptée entre Yehdego Medhane et un jeune homme nommé Miki, l’homme assure qu’il est avantageux d’investir en Amérique, car personne ne demande d’où vient l’argent. Il confie que le trafic de migrants lui a déjà rapporté 170 000, sans préciser la monnaie, et dit vouloir désormais placer de l’argent au Canada. Une montagne de billets, 80 000 dollars par bateau, selon Asghedom Ghermay, responsable de la cellule sicilienne, circule donc en toute impunité.

La Sicile, qui apparaît après vingt ou trente heures de traversée aux yeux de ceux qui ont erré des années durant pour fuir les guerres civiles, n’est que la première étape d’un long voyage. D’autres passeurs sont déjà là, prêts à faire rapidement sortir les migrants des centres d’accueil siciliens. Direction Milan, qui n’est qu’une halte provisoire. La capitale lombarde, carrefour des trafics, est l’avant-poste de l’Europe du Nord, cet eldorado auquel des milliers d’immigrés aspirent. La cellule de Milan a pour mission d’organiser le départ d’Italie, à bord d’une voiture, d’un fourgon ou d’un train. Tout dépend du nombre de passagers et de la somme qu’ils sont disposés à payer. Cette dernière partie du voyage peut coûter de 400 à 1 500  € / personne.

Les trafiquants qui opèrent en Lombardie sont des hommes de toute confiance d’Asghedom Ghermay : Efrem, Mudeser, Michael. Ils se déplacent sans entraves dans toute l’Italie du Nord et organisent les transferts d’immigrés en Suisse, en Allemagne et en France. Un court texto suffit : Région : Vénétie ; lieu : Montebelluna.  Depuis la Sicile, Asghedom Ghermay notifie quand et où les chargements doivent être effectués. C’est Efrem qui décide des moyens de transport, recharge les portables, achète les billets – dont il majorera le prix d’au moins 20  euros – et qui explique comment éviter les contrôles. Selon la police transalpine, la gare centrale de Milan est le nœud stratégique de l’organisation. C’est dans ses environs que Mudeser reçoit les migrants, empoche le paiement et fait partir ses clients vers les terres promises du Nord.

Le transfert de cet argent sale est une véritable obsession du groupe, soucieux de maquiller au mieux, par le biais d’un circuit financier parallèle, le flux ininterrompu d’euros et de dollars qui passe entre ses mains. La police italienne a écouté les conversations de l’homme chargé de la gestion des comptes. Elle comprend que Medhane s’informe sur la manière d’administrer ces gains. Abdou lui signale que le gouvernement suédois contrôle toutes les opérations bancaires et, tatillon, questionne sur tout. Medhane demande s’il est possible, lorsqu’il aura les papiers, de se rendre à Dubaï, de déposer l’argent dans une banque pour regagner ensuite l’Europe. Abdou lui répond qu’il n’y a aucun problème parce qu’il suffit d’avoir un compte dans une banque internationale. Les sommes en jeu sont colossales. Le seul voyage entre la Corne de l’Afrique et la Libye rapporte en moyenne 2 300  dollars par personne à l’organisation. Il faut ensuite ajouter le prix de la traversée, le transit en Italie à Catane, le transport à Milan et, enfin, le dernier transfert vers l’Europe du Nord.

Il n’existe pas de tarif fixe pour le passage : il s’agit de déposséder les migrants du plus d’argent possible. Leurs parents collectent la somme nécessaire auprès de la diaspora africaine installée en Europe et aux États-Unis, contactent les trafiquants, guettent avec angoisse les arrivées et suivent, minute par minute, la chronique des naufrages. La cellule libyenne leur indique le code de paiement et le nom du voyageur : Wedi Areb appelle Medhane, consignent les policiers italiens, et l’informe que les personnes qui ont payé pour le code 37 correspondent à Kidane, que le code 38 correspond à Simon, 1 750  dollars.

La traçabilité des paiements est quasi impossible. En Italie, par exemple, les transferts d’argent entre les membres de la cellule sicilienne et celle de Milan sont répartis en une multitude de versements réalisés par carte de crédit prépayée ou en utilisant le circuit de la Western Union. De même, pour ne pas attirer l’attention, lorsque l’argent doit passer les frontières entre l’Europe et l’Afrique, les trafiquants utilisent le système de l’hawala – un mot arabe signifiant transfert. Déjà cité dans les textes du VIII°  siècle, il repose sur la confiance entre les intermédiaires financiers et permet de faire circuler d’importants capitaux à l’abri des regards. C’est l’un des principaux circuits de financement du terrorisme.

Le risque économique semble nul pour les passeurs. Même si l’embarcation sombre, les rentrées ont été assurées grâce aux paiements anticipés. Le 31 août 2014, un intermédiaire signifie à Medhane que seulement 4 émigrants sur 400 ont survécu ; 396 morts, donc. Au sein de l’organisation, nul ne se soucie de ce naufrage, dont personne ne semble avoir eu connaissance, ce qui prouve combien les statistiques officielles sous-estiment la dimension de cette tragédie. Quelques jours plus tard, l’activité des trafiquants reprend de plus belle. Une cargaison de 150, puis une autre de 400 et, dix jours plus tard, une troisième de 750 prennent la mer. Souvent, les embarcations restent à peine à flot tant elles sont surchargées. Si un bateau ne peut accueillir, en principe, que 500 personnes, Medhane assure – en riant au téléphone – que lui en fera tenir mille, hommes, femmes et enfants.

Les trafiquants connaissent bien les risques encourus par leurs passagers. La mer et les naufrages, mais aussi les miliciens libyens, qui engagent si besoin de véritables opérations militaires pour couler les navires de migrants. Le bateau était un peu en difficulté, rapporte-t-on à Yehdego Medhane, selon les écoutes policières, car il y avait beaucoup de monde à bord. Les navires libyens sont arrivés et ont commencé à tirer… Ils se sont approchés et alors l’équipage s’est caché. Les passagers ont convaincu les Libyens de les laisser…

Medhane raconte aussi au téléphone que les secours interviennent dès que l’embarcation atteint les eaux internationales. Mais, malgré les interventions rapides de la marine italienne, d’obscurs événements surviennent parfois. Des bateaux seraient mystérieusement coulés, et les trafiquants disent ne pas savoir par qui. Un certain John, basé à Stockholm, parle à Medhane, selon les écoutes, d’une élimination. Par qui ? demande Medhane. John déclare qu’il l’ignore…

Andrea Palladino, Andrea Tornago. Le Monde 11 mai 2015

21 05 2015   

Après une semaine de combats, Daech s’empare de Palmyre. Palmyre, c’est bien entendu un joyau de l’antiquité gréco-romaine, dont les islamistes de Daech vont s’empresser de massacrer au moins quelques mausolées, mais c’est aussi une des plus sinistres prisons du pouvoir syrien, celui de Bachar el Assad. Daech s’empresse de libérer [presque] tous les prisonniers, mais aussi de raser ces bâtiments dont il ne restera rien… sinon des témoignages à vous glacer les sangs tant l’horreur y atteint des sommets.

Notre cellule est proche du portail arrière de la prison. C’est par là qu’arrivent les repas. Un camion russe se gare à l’arrière et les municipaux viennent descendre ces immenses marmites de ravitaillement. C’est aussi par ce portail, et dans le même véhicule, que l’on emporte chaque jour les cadavres, un peu après minuit. Nous tendons l’oreille. Au bruit que font les corps jetés contre le plancher du camion, nous savons combien de prisonniers sont morts. Le jour de la visite du lieutenant-colonel, les veilleurs comptèrent vingt-trois chocs de cadavres. Grâce aux équipes de morse, d’une cellule à l’autre, tous furent identifiés et les informations jurent gardées en mémoire.

J’ouvre la bouche. Il me demande de l’ouvrir plus. Je l’ouvre plus. Il renâcle puissamment. Trois fois de suite. Sans rien voir, je devine que sa bouche est pleine de glaire. Je sens sa tête s’approcher de moi… Il crache tout le contenu de sa bouche à l’intérieur de la mienne. Réflexe naturel, elle veut se débarrasser de ça ; je suis pris d’une envie de vomir. Mais il est plus rapide que moi : il me ferme la bouche d’une main pendant que l’autre fond comme un éclair sur mes organes génitaux.

Il m’attrape les testicules et les presse violemment. La douleur qui monte de mon bas-ventre me fait presque perdre conscience. Ma respiration est coupée deux, trois secondes, cela suffit à me faire avaler son crachat quand je reprends mon souffle. Il continue à m’écraser les testicules jusqu’à ce qu’il soit bien sûr que j’ai tout avalé.

Des mois que j’épie ce qui se passe dans la cour à travers ce trou. Je connais les visages de tous les policiers. J’assiste aux exécutions… Huit potences. Les lundis et les jeudis. Je distingue parfois très clairement ce que disent les policiers. Depuis un certain temps, on se demandait pourquoi on n’entendait plus crier Allahou akbar ! au moment des exécutions ; à présent, je sais : une fois que les condamnés à mort sont sortis de la cellule, les policiers referment la porte et les bâillonnent avec un gros ruban adhésif, comme si ce cri était un défi et une provocation pour le tribunal de campagne et l’administration de la prison. Les potences ne sont pas fixes. Elles ne ressemblent pas aux potences ordinaires : d’habitude, c’est le condamné qui se hisse vers la potence ; ici, c’est elle qui descend vers lui. Les municipaux les plus costauds la penchent jusqu’à ce que la corde soit à la hauteur du cou, l’attachent bien autour, puis ramènent la potence en arrière. Le condamné s’élève avec elle, les jambes flottantes. Quand il a rendu l’âme, ils le redescendent à terre. Arrive la deuxième fournée, puis la troisième… La plupart de ceux que j’ai vu exécuter étaient calmes. J’ai vu aussi beaucoup de cas où l’amour de la vie et la faiblesse humaine transparaissaient. Chez certains, les sphincters urinaire et anal se relâchaient ; cela mettait les policiers en rage, car l’odeur était insupportable, alors ils insultaient et frappaient le coupable.

Nous sommes sortis déshabillés et pieds nus. On nous avait même fait enlever nos caleçons. On nous a mis en rangs, puis on nous a ordonné de nous écarter de deux pas les uns des autres, et de ne pas profiter du fait qu’on était nus pour se sodomiser… Il y a quelques jours, on a su par un message en morse de la cour que le sergent Espèce de Pédé avait forcé un prisonnier à sodomiser son frère ! (Pourquoi les policiers insistent-ils tant sur ce sujet ?) Les policiers, les sergents et l’adjudant portent tous des capotes militaires et ont la tête enroulée dans des écharpes de laine. L’adjudant fait les cent pas devant la colonne ; les policiers vérifient l’alignement. Tiens-toi droit ! Baisse la tête ! Le vent vient du nord. Il ne souffle pas très fort mais il est glacé. Je pense qu’il doit faire quelques degrés au-dessous de zéro. Ils nous aspergent d’eau de la tête aux pieds, nous ordonnent de ne pas bouger. Les policiers nous tournent autour et passent entre les colonnes avec leurs fouets et leurs gourdins. L’adjudant entame un long discours. Beaucoup de ses phrases, ses expressions, ses gestes ressemblent trait pour trait à ceux du directeur de la prison, et il se tient comme lui. Les trois quarts de son discours sont des injures. Il commence en reprochant aux prisonniers de l’obliger à rester ici pendant que les autres font la fête. […] Le corps… L’engourdissement qui croît et se diffuse. La douleur qui se répand et devient plus profonde. Les dents qui claquent. Un même tremblement de la langue au rectum. Le nez, les oreilles, les mains, les pieds, tout cela n’appartient plus au corps. Des larmes coulent, de froid, de pleurs. Elles se figent sur les joues et aux commissures de la bouche qui tremble. Et la question revient : Quand est-ce que je vais tomber par terre ? Quelqu’un tombe avant moi. Les policiers s’arrêtent tous de marcher. Les mains sortent des poches. Quelques-uns se précipitent pour le traîner devant la colonne, là où les sergents sont attroupés. Un sergent fait : Allez… Réchauffez-le.

Les fouets s’abattent partout sur son corps raidi. Je suis tombé… Je suis tombé sans perdre connaissance, et ils m’ont traîné devant la rangée. J’avais subi et vu subir toutes sortes de douleurs physiques. Mais se faire fouetter dans le froid, sur peau humide, est une chose qui ne se décrit pas.

Avec la lueur de l’aube, quand le dernier prisonnier fut tombé et réchauffé par les policiers, la séance a pris fin. Nous sommes rentrés dans la cellule au pas de course, à la cadence des fouets. Nous courions d’un pas leste. J’aurais cru que je ne me relèverais jamais du sol, mais aussitôt que l’ordre de rentrer a retenti et que j’ai vu s’agiter les fouets, j’ai bondi sur mes pieds. Je me suis toujours demandé d’où pouvait venir cette force. Était-ce de la résistance ? Cette fois-ci, j’ai observé sur les visages une joie réelle d’avoir réchappé à l’inconnu qu’ils avaient tant redouté. Mais derrière la joie, il y avait une nouvelle couche de haine noire, cette haine qui s’accumulait et s’épaississait à mesure que la douleur et l’avilissement augmentaient.

De la même façon, quand je lorgnais à travers mon trou dans le mur : la promenade des autres cellules, les punitions, la torture, tout était devenu banal, routinier. Je continuais pourtant à regarder chaque jour, assidûment, dans l’attente de quelque chose d’insolite, de nouveau. Or en général, il y avait du nouveau. La torture a beau être standardisée, et tous les tortionnaires ont beau avoir été formés à la même école, il reste toujours quelque chose de la personne, de l’individu… Chaque sergent, chaque policier met un peu de lui-même dans ces pratiques uniformes. On peut dire qu’il y ajoute une touche de créativité. C’était il y a plus d’un an, pendant la promenade d’une cellule. Un sergent se tenait à l’ombre du mur. Une souris est passée devant lui, alors il l’a écrasée avec sa botte. Elle s’est aplatie et elle est morte. Le sergent a sorti de sa poche un mouchoir en papier et l’a attrapée par la queue avec le mouchoir. Il s’est approché des rangées de prisonniers qui tournaient autour de la cour. Il en a pris un au hasard et l’a obligé à avaler la souris. Le prisonnier a avalé la souris. Depuis cette époque, les sergents et les policiers passent une bonne partie de leur temps à chasser les souris les cafards et les lézards puis forcent les prisonniers à les manger. Tous s’y sont mis, mais l’invention du procédé, sa création, revient au premier sergent qui l’a fait.

À sa première séance d’exécutions, le sergent Samer le Tordu – que j’observais toujours avec attention – avait vomi avec une telle violence que j’avais cru qu’il allait perdre ses entrailles. Il s’était assis par terre et avait gardé ses mains sur ses yeux jusqu’à la fin de la séance. Deux de ses collègues l’avaient aidé à se relever et l’avaient sorti de la cour en le soutenant par les aisselles. À la dernière séance à laquelle il assista, il était très actif. Il tenait à la main un bâton de plus d’un mètre de long et plaisantait avec ses collègues. Il n’arrêtait pas de sourire. Quand la première fournée a été achevée, il s’est planté devant un pendu et l’a fait balancer. Puis il a posé son bâton à terre, s’est mis en position de boxeur et a commencé à donner des coups de poing contre le cadavre comme sur un sac de sable.

Cela fait dix hivers que je suis assis au même endroit, entre les mêmes murs ; et toujours cette porte noire à côté de moi. Autour de moi, beaucoup de visages ont changé. De la brigade des fedayin, qui allaient chercher les repas et se portaient volontaires pour être punis à la place des vieux et des malades, et qui étaient déjà là quand je suis arrivé, il ne reste personne. Pendus, tués, morts de maladie, ils ont tous disparu. […]

Nous ne savons absolument rien de ce qui se passe dans le monde. Même les nouveaux venus n’arrivent pas directement de la vie normale. La plupart ont déjà passé deux, trois, voire quatre ans dans les centres des Renseignements généraux. […] Pourtant les prisonniers restent des jours entiers à leur demander ce qu’il s’est passé de neuf dans le monde : comparées à celles d’il y a dix ans, les nouvelles qui datent de deux ou quatre ans sont des nouvelles fraîches.

Le Monstre était planté devant le deuxième cadavre à partir de la gauche. Un homme corpulent. Le Monstre frappait le corps avec un énorme gourdin et les policiers le regardaient faire en rigolant. À chaque coup de gourdin, il criait d’une voix puissante :

  • Vive le président ! Notre âme, notre sang, nous te les offrons, président !

Nouveau coup de gourdin sur le cadavre.

Espèce de chien, tu complotes contre le président… Encore un coup de gourdin.

  • Sale pédé, notre président est le meilleur qui soit. Un coup de gourdin.
  • Écartez-vous connards, écartez-vous ! Un coup de gourdin.
  • Le président, nous le vénérons plus que Dieu.

Un coup de gourdin. Puis la cadence se détraque. Les coups tombent comme s’il en pleuvait. Je songe : Est-ce qu’il aurait épuisé la réserve de slogans qu’il a retenus à force de les entendre à la radio, à la télévision et dans les défilés officiels ? On dirait que c’est ça, parce qu’il passe à sa réserve personnelle : celle qu’il a ramassée dans la rue. Il s’arrête un peu de taper. Et puis un gros coup sur la tête dont j’entends vibrer les os.

  • Sale chien. Tu crois que vous faites le poids face au président.

Coup de gourdin.

  • Le président est l’homme le plus fort du monde ! Encore un coup.
  • Le président va niquer vos mères, j’te dis ! Un coup.
  • Le président a la bite la plus longue du monde. Un coup.
  • Il va vous niquer, vous et vos sœurs, un par un. Coup de gourdin. Le Monstre fait une pause. Il est à bout de souffle. Après il met un bout du gourdin entre les fesses du cadavre avec des gestes hystériques. Il le pousse. Tout le corps est propulsé vers l’avant. Le Monstre continue à pousser. Il met l’autre extrémité du gourdin, qu’il tient entre les mains, à l’emplacement de son sexe et se met à pousser de cette manière en faisant vibrer son bas-ventre. À chaque secousse il beugle :
  • Notre âme, notre sang nous te l’offrons, président.

C’est avant-hier matin que le vent s’est levé. À midi c’était déjà des tornades. La poussière a commencé à s’engouffrer par la lucarne du plafond […] Soudain, le vent a jeté contre la lucarne une pleine page de journal. Elle est restée coincée entre les barreaux. […] Aucune trace du gardien. Il a dû se réfugier dans un coin pour s’abriter du vent et de la poussière. Comme les autres, j’aimerais bien que le journal tombe à l’intérieur de la cellule. Depuis que je suis dans mon pays, je n’ai pas vu un seul mot imprimé. Nous mourons tous d’envie de voir des lettres assemblées sur du papier. C’est une page de journal. Un journal, c’est des informations, des nouvelles. Or depuis plus de deux ans, quand le dernier prisonnier est arrivé, nous ne savons rien de ce qui se passe hors de ces quatre murs. J’entends Nassim qui dit :

  • Allez, descends…

Il parle au journal. Je me tourne vers lui. Il a les yeux fixés en l’air. J’en vois qui sont dressés sur leur séant. Beaucoup sont debout. La plupart ont ôté le tissu qui leur couvrait la face. Quelques-uns sont allés se mettre spontanément sous la lucarne […] Tout d’un coup, un de ceux qui sont plantés sous la lucarne, un gars de la brigade des fedayin, se tourne vers les autres et fait d’une voix sonore :

  • Hé, si on faisait une pyramide ? Plusieurs sursautent en répétant :
  • Une pyramide !

L’opération ne prend pas plus de deux secondes. Dix secondes de terreur où nous retenons notre souffle. Plus d’un d’entre nous pourrait y laisser la vie. […] Le contenu de la page de journal était un peu décevant. Au recto, les annonces officielles ; au verso, la page sportive, avec les détails du championnat national de football. Mais cette page souleva une tempête de discussions pour les années à venir. Comme il y avait dans la cellule des gens de toutes les provinces, ils ne furent pas longs à se constituer en groupes de supporters. Jabou Hussein désigna une personne chargée d’organiser la lecture du journal par roulement : c’était le responsable du journal, que certains surnommaient le ministre de l’Information.

Je me suis assis sur la chaise derrière la table. C’était la première fois en douze ans que je m’asseyais sur une chaise.

[…] Dès le 3 juillet à 9 h 37′, j’ai remarqué quelque chose que je ne connaissais pas autrefois dans cette ville : la poussière. La poussière recouvre tout, les rues, les ruelles, les murs, tout est couvert d’une mince pellicule de fine poussière ocre. Les feuilles des arbres aussi, que je me rappelais vives et éclatantes. Même les visages des passants, des gens qui flânent sur les places ou le long des trottoirs, sont couverts de cette poussière ocre. Ils se lavent la figure, ils la sèchent, mais la poussière ne s’en va pas. Elle semble collée aux visages, à moins qu’elle n’en fasse partie. On le voit surtout quand ils sourient. Les sourires sont rares – presque absents, même, au point que je me suis demandé si les gens de ma ville avaient oublié comment on souriait – et s’accompagnent toujours de cette poussière. Ceux qui s’y essaient ont le sourire difforme et semblent avoir vieilli de plusieurs dizaines d’années.

Moustafa Khalifé. La Coquille. Sinbad / Actes Sud 2012

Certes il est inepte d’introduire dans ce genre de sujet une échelle dans l’atrocité. Cependant cela n’empêche pas de constater l’ampleur que les médias occidentaux ont donné aux horreurs de Daech et la quasi discrétion quant aux horreurs commises dans les prisons de Bachar el Assad… des fois qu’on serait bien obligé un jour ou l’autre de le reconnaître comme président légitime de la Syrie. Et la prison de Palmyre n’a pas le monopole de l’horreur :

Cinq hommes sont venus trouver Razan  au centre de documentation et lui ont raconté ce qu’ils ont vécu dans la prison de Harasta, sous la coupe du terrible lieutenant-colonel Maan surnommé Abou al-Mat (Père la Mort), qui se présente aux prisonniers sous le nom d’Azrael. Ils ont réussi à s’enfuir, échappant ainsi à une mort certaine. C’est dans cette histoire, tissée à partir de détails sordides extraits des séances de torture à la cruauté singulière, subies chaque jour par ces hommes, que Razan dit trouver une consolation. Parce qu’ils disent qu’aucun homme sain d’esprit n’aurait tenté pareille évasion, qu’il fallait être fou, avoir été rendu fou par la violence vécue et qu’il pourrait s’agir là, au fond, de l’expérience de tout le peuple syrien soulevé.

Ces hommes en ont réchappé, ils se sont assis devant elle à son bureau, lui ont raconté, ont dit même avoir trouvé dans ce récit une forme de salut. Je me souviens de ces cinq hommes qui se sont échappés et je me dis qu’il est encore temps qu’un miracle advienne, grâce auquel nous pourrions tous échapper à l’enfer du Père la Mort. L’histoire lui sert aussi à mettre en perspective la violence de l’Etat islamique, qui commence à exercer sa fascination. Les médias occidentaux ont récemment diffusé des images de groupes djihadistes pratiquant des exécutions à l’aide d’armes légères, expression suprême de la barbarie. Cependant, personne ne fait circuler les images du lieutenant-colonel Père la Mort accrochant un sac rempli d’eau au pénis d’un détenu avant de se mettre à le torturer. Personne n’a vu les photos du lieutenant-colonel Père la Mort vidant la poudre contenue dans une balle sur la poitrine d’un détenu avant d’y mettre le feu. Personne ne possède d’images du lieutenant-colonel Père la Mort mettant le feu à un sac en plastique avant de le laisser fondre sur le corps du prisonnier. Personne n’a pu capturer l’odeur de la peau écorchée du corps de celui sur lequel le lieutenant-colonel Père la Mort a vidé son Jaser. Pas de photos non plus du détenu suppliant qu’on lui donne un peu d’eau avant son exécution.

Justine Augier. De l’ardeur. Histoire de Razan Zaitouneh, avocate syrienne. Actes Sud 2017

Thomas Dandois réalisera en 2019 le documentaire Les femmes de Daech. Après de longs repérages, il les retrouvera à Raqqa, Mossoul, Der ez-Zor : Aïcha, Noor, Kadi, Ayat, Yasmine et d’autres : elles appartiennent à la hisba, la police religieuse de Daech pratiquant torture et barbarie loin du front : forcer des femmes à accoucher sous les coups, arracher des ongles au motif qu’ils sont vernis ; les mordeuses, – une spécialisation – tuent des femmes en leur arrachant les seins avec les dents : c’est l’hémorragie qui provoque la mort : leurs sœurs manipulent les ceintures d’explosifs, lapident.

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[1] Compte rendu  du livre de Jean Ziegler : Lesbos, la honte de l’Europe Le Seuil 2020

Jean Ziegler s’est rendu à Lesbos en mai 2019 et il en a fait un livre. Un texte court en forme d’indignation contre les campements insalubres des cinq îles de la mer Egée où s’entassent plus de 40 000 demandeurs d’asile, la plupart originaires d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, d’Iran et du Soudan. Lorsqu’ils ont été mis sur pied, fin 2015, les hot spots devaient permettre de confiner les gens afin d’examiner rapidement leur demande d’asile. Ils devaient être associés, notamment, à un mécanisme de relocalisation des réfugiés dans les autres Etats d’Europe, mécanisme qui, pour des raisons techniques autant que politiques, n’a pas été respecté. Le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, est aujourd’hui le plus grand camp d’Europe et le symbole de l’échec de cette solidarité. [il brûlera dans l’été 2020 ndlr] Conseiller du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Jean Ziegler décrit l’attente des gens, des années durant, au milieu des rats, des immondices. Il rappelle que plus de 35 % des réfugiés emprisonnés sont des enfants et que les tentatives de suicide ne les épargnent pas. Alors que j’exerçais comme rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, j’ai parcouru la Rocinha, la plus grande favela de Rio de Janeiro, les slums des Smokey Mountains de Manille et les puantes shantytowns de Dacca, au Bangladesh. Mais jamais je n’ai été confronté à des habitations aussi sordides, à des familles aussi désespérées que dans les Oliveraies de Moria.  Conspiration du silence Il fustige les fonctionnaires de l’UE qui font la loi et qui ont créé ces lieux, au service d’une stratégie précise de la dissuasion et de la terreur vis à vis des migrants en quête d’Europe. L’auteur va jusqu’à comparer ces centres au ghetto de Varsovie, dans l’effroi qu’ils suscitent et parce que, écrit-il, comme d’autres ont pu le ressentir par le passé, j’avais contribué à la conspiration du silence qui rend possible ces abominations. Il épingle le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, coupable à ses yeux de ne pas affronter la bureaucratie  bruxelloise. Mais son courroux le plus violent s’abat sur l’Union européenne qui, écrit-il, coordonne et ordonne les refoulements illégaux et violents de migrants lorsqu’ils tentent de traverser les 7 kilomètres qui séparent la Turquie du rivage européen, à bord de canots pneumatiques et au péril de leur vie. Ils citent les cas de policiers de Frontex [qui] remettent aux gardes turcs les embarcations surchargées de passagers paniqués mais aussi le financement massif de la marine de guerre turque. Au-delà du cas grec, M. Ziegler décrie plus généralement l’explosion des fonds européens alloués à la surveillance des frontières et à l’acquisition toujours plus nombreuse de satellites géostationnaires, radars et autres scanners aux rayons X au frais du  contribuable. Les mots de Jean Ziegler sont durs, violents, accusatoires. Face à la tragédie en cours sur les îles grecques, en fallait-il moins ?

julia pascual. le Monde du 29 01 2020. Lesbos, la honte de l’Europe. Jean Ziegler Seuil 2020

Invité de Thinkerview en mars 2020, Jean Ziegler parlera des tentatives de suicide des enfants, en se coupant les veines du poignet. Présent à l’entrée du camp, MSF lui dira que c’est de psychiatres pour enfant qu’ils ont le plus besoin.