24 12 2024 La France part en cacahuète, sauf Notre Dame de Paris, reconstruite, restaurée, remastérisée, reine de beauté. Donald Trump de retour à la Maison Blanche : le triomphe des réseaux sociaux. Chute de Bachar el Assad. L’Europe décroche. 19028
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Publié par (l.peltier) le 16 août 2008 En savoir plus

5 09 2024

Emmanuel Macron, président de la République nomme Michel Barnier, 73 ans, premier ministre, qui prend la suite de Gabriel Attal, 35 ans. Le crétin des Alpes, pour la presse de caniveau, le moniteur de ski pour Jacques Chirac … ce qui est tout de même un peu mieux. Attendons de voir ce qu’en dira Emmanuel Macron : peut-être secouriste tout terrain.

Affable, respectueux de toutes les familles politiques, même de celles que l’idéologie dominante frappe d’infréquentabilité, davantage soucieux de concertation que de radicalité, il est perçu par plusieurs, comme une paradoxale bouffée d’air frais, comme si le vieux monde, avec ses permanences tranquilles, et dont il est un représentant, pouvait redonner un peu de vie à un nouveau monde nécrosé. Dans un monde de goujats, une politesse sincère a une allure révolutionnaire. On entend, depuis jeudi, un peu partout, un soupir de soulagement.

Mathieu Bock-Côté. Le Figaro  des 7 et 8 septembre 2024

Michel Barnier aurait pu prendre pour feuille de route, l’analyse suivante de Jacques de Larosière, 94 ans, ex-patron de la Banque de France, puis du FMI ; mais encore eut-il fallu qu’elle ne porte pas une empreinte aussi marquée d’un libéralisme débridé, doctrine pour laquelle Michel Barnier éprouve les plus grandes réserves, même s’il se reconnait comme un homme de droite. Comment peut-on parler de la situation générale de la France sans toucher un mot de l’injustice la plus manifeste qu’est l’écart croissant entre les plus riches, toujours plus riches et les plus pauvres … des grandes sociétés qui font des bénéfices faramineux, essentiellement reversés aux actionnaires !

Ce sont les prétentions excessives et non les besoins nécessaires qui portent à commettre les injustices les plus graves.

Aristote

Quel est donc ce pays où des gens qui travaillent à plein temps ne peuvent trouver d’autre domicile que leur voiture ! il y a là un vice de forme, quelque chose de toxique quelque part. Et, dans le même temps un premier ministre qui, une fois à la retraite, touchera 28 000 € /mois ! Michel Barnier n’est pas en cause, mais bien ceux qui ont établi ces barèmes, à la Libération : comment ces gens-là peuvent-ils vouloir être estimés et en même temps se gaver ? Michel Barnier aurait été beaucoup plus crédible s’il avait passé le rabot aussi sur le train de vie du gouvernement, car, même si financièrement cela ne serait resté que marginal, le geste aurait eu une grande force symbolique : – voir au 5 11 2014 le tableau comparatif avec l’Allemagne -. Et ces quelque 400 Comités Théodule qui ne font que brasser de l’air, et que dire encore du train de vie accordé aux anciens premiers ministres : chauffeur voiture de fonction, secrétaire et tutti quanti, et, c’est encore mieux pour les anciens présidents. (mais il est vrai qu’ils ne sont pas 36)

Quel est donc ce pays où il faut que brûle Notre Dame de Paris pour mettre à la lumière tout ce peuple de manuels [1], avec, dans l’ordre de l’urgence, au premier rang d’entre eux, les pompiers qui surent garder leur sang froid aux limites de la fournaise ; tous intègres, d’une admirable compétence, passionnés du faire et non du dire, attachés à la pierre, au ciment, à la peinture, à la sculpture, au bois, au verre, aux alliages, aux échafaudages, aidés par des technologies qui les amènent à d’étonnants degrés de précision.

Pourquoi faut-il que brûle Notre-Dame de Paris pour qu’enfin les journalistes se mettent à parler des trains qui arrivent à l’heure, en l’occurrence la reconstruction de Notre Dame ?

Quel est donc ce pays où coexistent ce trésor de savoirs, de rigueur, d’enthousiasme dans le manuel, et cette nauséeuse médiocrité d’une classe politique qui se cramponne à ses avantages acquis sans jamais aucun souci de l’intérêt général. tout juste capable d’exposer sa vulgarité dans une assemblée nationale ravalée au rang de tribunes de l’OM ou du PSG. On a parfois des gouvernants que l’on ne mérite pas.

Quelle que soit la nature des liens entre un responsable politique et ses électeurs, dans quelqu’environnement que ce soit, degré de développement, il y a toujours dans le fonds du fond de l’humain. De l’humain, cela veut dire de la confiance ou de la défiance, et pour le cas présent, les gestes qu’il aurait fallu faire pour installer la confiance n’ont pas été faits ; l’intérêt général ? mais qui donc emploie encore ce mot ? et si le mot est tombé dans l’oubli, c’est bien que la réalité qui lui correspond est elle aussi passée aux oubliettes ! Bien gentil d’appeler tout le monde à tirer le char dans la même direction, mais dans quelle direction ? Il n’existe pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va, disait Sénèque. Et tous ceux qui, en refusant de céder quoi que ce soit de leur avantages, deviennent de ce fait spectateurs du char qui essaie d’avancer. Ces gens ne sont plus crédibles et dès lors et inévitablement la défiance prend de plus en plus de poids. Dominique Reynier, directeur de Fondapol, ne s’y trompe pas quand il déclare : on a vu des révolutions se faire pour moins que cela.

Je citerai quatre signes du déclin français. Le premier est notre perte de compétitivité économique. En près de trente ans, notre capacité industrielle a fondu d’à peu près 30 %  tandis que celle de nos voisins allemands se maintenait. La raison ? Le choix de la France pour une politique de la stimulation continue de la demande intérieure et non pas de l’investissement productif. Il en est résulté que nous fabriquons surtout des produits bas de gamme qui n’ont pu résister, lors de l’ouverture des frontières, à la concurrence des pays à faibles coûts de main d’œuvre. Notre industrie française s’est délocalisée massivement à l’étranger. Et ceci, de façon beaucoup plus prononcée qu’en Allemagne, où les syndicats ont souvent accepté de réduire leurs salaires pour renforcer les entreprises en difficulté.

Le second symptôme est la permanence et l’importance depuis vingt ans du déficit de la balance commerciale, liées à la hausse des produits importés en raison du phénomène précédent.

Troisième indice, c’est l’éducation. Les statistique de l’OCDE montrent le déclin, de manière extrêmement dangereuse de notre système éducatif depuis une vingtaine d’années. Par rapport à la France, l’Allemagne a des professeurs mieux payés et plus nombreux.

Enfin, quatrième manifestation : l’état déplorable de nos finances publiques. La dette française a plus de doublé depuis vingt ans, passant de 50 % de la production nationale (PIB) à 112 % aujourd’hui. Si elle est voisine de celle de l’Italie ou de la Belgique, elle est près du double de celle de l’Allemagne (près de 60 %). N’oublions pas que le budget, c’est d’une certaine manière la synthèse stratégique d’une nation. Si on en est arrivé là, c’est que la doxa disait, dans une période encore récente de très bas taux d’intérêt liée à la politique de la Banque centrale européenne, qu’emprunter favoriserait la croissance. État comme entreprises privées, s’en sont ainsi donnée à cœur joie. Le problème est que l’on ne peut emprunter indéfiniment parce que le montant de la dette, par définition, s’accroît. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont plus hauts qu’au temps de l’argent facile. Entre le niveau élevé de l’endettement public, qui pourrait dépasser à l’avenir 120 %, et la hausse ces dernières années des taux d’intérêt, le coût de la charge de la dette est déjà supérieur au budget de la Défense nationale.

Cette politique a comme conséquence que l’on s’est détourné de l’investissement productif au profit de placements spéculatifs dans l’immobilier et en Bourse. La hausse des bilans de la nation est due davantage à l’augmentation des valorisations du capital qu’à la valeur réelle de l’économie. C’est ce que Keynes décrivait sous le vocable de la trappe à liquidités : étant donné que la rémunération de l’épargne est nulle, les ménages privilégient les placements à court terme aux investissements productifs et ceux plus risqués à long terme, comme les projets industriels.

Résultat : aujourd’hui, la France souffre d’une économie qui s’affaisse et de comptes publics à vau-l’eau.

Il ne faut pas attribuer cette situation à l’Europe, l’entrée de la France dans la zone € en 2002, empêchant toute dévaluation. Ce sont justement les dévaluations répétées du passé du franc qui ont appauvri le pays et ont été le résultat de politiques inflationnistes. Il est temps que les dépenses de consommation, de fait subventionnées, laissent la place à l’augmentation de crédits pour la Recherche, l’Éducation nationale…

L’Europe est toutefois fautive. Elle n’a pas été capable de faire respecter le plafond de la dette fixé à 60 % du PIB de la part des pays indisciplinés, comme la France et même l’Allemagne en 2003. Depuis plus de vingt ans, pas une seule fois la règle n’a été honorée par l’ensemble des États membres. Avec un commissaire par pays, la Commission européenne est devenue une collection de représentants nationaux, soucieux de promouvoir la politique de son pays, plus qu’un exécutif véritable.

Il et possible de réduire les dépenses publiques. Je crois réaliste de trouver 200 milliards d’économies sur une période de dix ans.  Et cela, j’insiste particulièrement face aux inepties entendues, sans toucher aux dépenses sociales [1] et sans provoquer une déflagration politique. Ces économies passent par le maintien de l’allongement – modéré – de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans décidé en 2023, une révision de notre mille-feuilles  territorial, une réduction du coût exorbitant de l’apprentissage (12 milliards €) via une participation des entreprises. Elles nécessitent surtout, de s’attaquer au sureffectif de la fonction publique. Rappelons que la France compte 85 fonctionnaires pour 1 000 habitants, contre 56 en Allemagne. Une réduction graduelle des effectifs, via le non-remplacement de tous les départs à la retraite, permettrait de réduite le surcoût estimé à 75 milliards €.

En ce qui concerne les retraites, ce n’est pas parce que les gens sont prêts à descendre dans la rue que les recommandations des experts ne sont pas valables. N’oublions pas que l’espérance de vie croît et que la moyenne européenne de l’âge légal de départ à la retraite est de 67 ans. L’idée de mon livre [Le déclin français est-il réversible ? Renverser la table et sortir de la servitude, aux Éditions Odile Jacob] est d’avoir une vue à long terme et d’insister sur la nécessité pour la France de restaurer sa capacité à produire et ce que j’appelle sa compétitivité budgétaire européenne.

Oui, les Français ne sont pas friands de réformes, mais on leur a seriné pendant des années que l’argent était facile. Et, encore récemment, avec le fameux quoi qu’il en coûte. Je demande juste aux hommes politiques de raisonner juste. Sans en appeler à un de Gaulle, qui avait compris qu’une nation ne tient pas débout sans un budget raisonnable, cela ne doit pas être difficile à trouver.

Ces dernières années, les mesures les plus néfastes aux finances publiques sont l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 à  60 ans ainsi que la nationalisation – détricotée à grand frais par la suite – d’une grande partie de l’économie par François Mitterrand. Si je reconnais à Emmanuel Macron l’augmentation de l’âge de la retraite, comme l’avait déjà fait Nicolas Sarkozy avant lui, et la baisse de la pression fiscale sur le capital, je regrette la suppression de la taxe d’habitation, du coup financée par l’État, et, surtout, l’absence totale de mesures pour réduire les dépenses publiques. Puisque Michel Barnier juge important de réduire la dette publique, je recommanderai deux choses. Premièrement, arrêter de faire croire aux Français que tout peut se régler par de l’endettement supplémentaire. Deuxièmement, je me tournerais vers la cour des comptes pour lui demander une analyse systématique de tous les budgets publics. Et de s’interroger, comme le font les pays scandinaves, si les budgets doivent être automatiquement reportés d’une année sur l’autre.

Il est très regrettable que les rapports perspicaces de la cour des comptes ne soient pas suivis par les politiques. Si leurs recommandations avaient été entendues, sans doute la France se porterait-elle mieux.

Jacques de Larosière, 94 ans, ex-gouverneur de la Banque de France, ex-directeur général du Fonds monétaire international, – le FMI -, membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Il existe deux catégories de crises. Celles qui surviennent alors qu’on ne les attendait pas et celles qui sont prédictibles parce qu’elles découlent de trajectoires statistiques froides et implacables. Le vieillissement démographique appartient à la seconde catégorie. Ce phénomène mondial constitue un chamboulement majeur social et économique sur lequel Le Monde a souhaité attirer l’attention par une série d’enquêtes publiées jeudi 12 et vendredi 13 septembre sous le titre Un monde de vieux. Les conséquences de cette évolution inédite dans l’histoire de l’humanité restent pourtant insuffisamment anticipées à ce stade.

Entre l’allongement de la durée de vie grâce aux progrès de la médecine et la baisse de la natalité, la proportion des seniors augmente inexorablement, déformant de plus en plus la pyramide des âges. Cette bonne nouvelle sur le plan individuel menace néanmoins de déstabiliser les systèmes sociaux et de prévoyance tels qu’ils ont été conçus dans l’immédiat après-guerre.

Pour ne prendre que l’exemple de la France, un habitant sur cinq a aujourd’hui plus 65 ans. Il n’y en avait que 13 % en 1970. En moins d’un demi-siècle, le nombre de retraités a plus que triplé. En 2070, cette catégorie d’âge représentera près du tiers de la population française. Or, mécaniquement, un pays plus vieux peine à maintenir un niveau de croissance capable de financer son modèle social.

Sans un effort considérable sur l’innovation et l’enseignement, la productivité, qui permet la création de richesses, risque de continuer à décroître du fait d’une population active en attrition. Parallèlement, l’épargne prend le pas sur la consommation et l’investissement, tandis que le vieillissement absorbe une part croissante des ressources du pays au détriment des investissements d’avenir.

La mécanique est impitoyable. Du fait de l’essoufflement de la croissance, les recettes fiscales sont de plus en plus difficiles à lever, tandis que les dépenses sont vouées à augmenter de façon exponentielle. À la hausse du montant global des pensions s’ajoutent des frais de santé qui explosent avec l’âge et la nécessaire prise en charge de la dépendance dans les dernières années d’existence. Pour résumer, de moins en moins de gens doivent financer de plus en plus de dépenses. Alors que l’endettement est déjà une question majeure et que d’autres dépenses (transition climatique, défense…) sont urgentes, les arbitrages budgétaires deviendront impossibles.

Cette description a des allures de truisme tant elle est étayée par des centaines de rapports et de projections statistiques fiables. Pourtant, le débat politique en France sur ces enjeux fait l’objet d’une polarisation extrême qui nuit à la réflexion et paralyse l’action politique. Entre la méthode contestable de la dernière réforme des retraites et le déni systématique de la réalité de la part de ses opposants, il doit y avoir la place pour un débat qui ne tourne pas au pugilat.

Face à l’épineuse question du vieillissement, il n’y a pas de solutions faciles et populaires. Hausse des impôts, baisse du niveau des retraites, recul de l’âge de départ, arbitrages des politiques publiques entre générations, recours à l’immigration pour compenser la chute de la population active et financer les pensions : pour être actionné, chacun de ces leviers réclame réalisme et sens de l’équité. Deux dimensions que le débat national doit retrouver.

Éditorial du Monde du 15 09 2024

Je préfère prendre le risque d’être impopulaire que d’être irresponsable.

Michel Barnier

Un mois et demi-plus tard :

Ceux qui suivent de près la politique budgétaire ont l’impression ces derniers temps de marcher sur du sable. Plus rien ne semble avoir de réalité, ni les chiffres ni les discours qui les accompagnent. Mal assis et mal né, le projet de loi de finances pour 2025 n’est pas sorti en meilleure forme de la discussion en commission des finances de l’Assemblée nationale, mi-octobre : la gauche s’est fait plaisir en votant près de 60 milliards d’euros d’impôts et de taxes. Sa cible ? ! les superprofits, les superdividendes, les super-riches, les expatriés, les armateurs, les hors-bord, les permis de construire, les entrepôts, les résidences secondaires…

La gauche n’a pas pour autant marqué de point politique. Mise en minorité à force de charger la barque, elle n’a pas démontré qu’elle aurait été en situation de gouverner si Emmanuel Macron s’était résolu à nommer l’un des représentants du Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon.

La demande était-elle crédible ? Face à une dette publique et des déficits record, l’esprit de sérieux semble avoir déserté la plupart des acteurs. Le projet de loi de finances sur lequel la France est censée jouer sa crédibilité est devenu prétexte à mauvaise farce, reflet d’un dérèglement général qui n’épargne aucun acteur politique et accrédite, au contraire, l’idée d’une décomposition accélérée.

La fragilité se lit à toutes les étapes de la procédure. A peine divulgué, le projet de budget 2025, élaboré en moins de quinze jours après plusieurs semaines de vacance politique, a été montré du doigt par le Haut Conseil des finances publiques : la prévision de croissance apparaît fragile. Surtout, l’absence d’informations précises fragilise le niveau des économies budgétaires revendiquées. Cinq milliards d’euros ont été laissés au libre arbitre des parlementaires, a rétorqué le gouvernement, qui ne peut pourtant que constater le manque d’appétence des élus à freiner l’augmentation de la dépense publique.

Le poids respectif des économies budgétaires et des hausses d’impôts mobilisées pour tenter de réduire de 60 milliards d’euros la dérive du déficit public en 2025 est lui aussi sujet à caution : il y aura deux tiers d’économies, un tiers de hausses d’impôts, a affirmé l’exécutif, soucieux, contrairement à la gauche, d’éviter le procès en matraquage fiscal. Ce sera quasiment l’inverse, a constaté le Haut Conseil des finances publiques, à l’unisson de certains instituts de conjoncture qui, comme l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), estiment que les recettes supplémentaires compteront pour 60 % dans l’effort. Ce n’est certes pas la première fois qu’une dispute de ce type existe. Jamais cependant les écarts n’avaient pris de telles proportions.

Au chapitre des hausses d’impôts, le gouvernement a misé particulièrement gros sur la surtaxe d’impôt sur les sociétés qui vise les entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Il en espère 8 milliards € de recettes supplémentaires en 2025.

Mais depuis que Bercy s’est radicalement trompé dans l’évaluation des recettes fiscales des deux précédentes lois de finances, l’estimation est ouvertement taillée en pièces sur la plupart des bancs politiques. C’est la première fois qu’une administration réputée pour son savoir-faire perd autant de son crédit. Seuls les résultats de la commission d’enquête parlementaire sur la dérive des comptes publics contribueront peut-être à laver son honneur. En attendant son démarrage à la fin de l’année, le pilier est sérieusement ébranlé.

Au sein du gouvernement, la tentation de la fronde, qui avait miné le quinquennat de François Hollande mais avait jusqu’à présent épargné les gouvernements d’Emmanuel Macron, est de retour. Deux ministres, et non des moindres, le garde des sceaux, Didier Migaud, et la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, ont menacé de rendre leur tablier s’ils n’étaient pas mieux lotis. Le premier est en passe d’obtenir une réévaluation de son budget. La seconde n’est assurée de rien. Trop c’est trop.

Les parlementaires, dopés à la logique de la Ve République et rétifs à toute idée de coalition, sont happés par le jeu mortifère du court-termisme : puisque personne ne sait comment se terminera l’aventure Barnier, autant être parés pour la prochaine dissolution de l’Assemblée. Et chacun de flatter sa part de marché électoral : la gauche ne parle qu’à la gauche ; l’extrême droite souffle le chaud et le froid dans l’espoir de cultiver sa position de faiseur de rois ; les macronistes tentent de sauver ce qui peut l’être de l’héritage. Arc-boutés sur la politique de l’offre, ils contestent les hausses d’impôts en faisant mine d’ignorer leur responsabilité dans l’aggravation des déficits. [3]

La droite, au contraire, charge l’héritage dans l’espoir d’en finir au plus vite avec le en même temps, tandis que le MoDem, en phase d’autonomisation, esquisse un rapprochement avec le centre gauche. La fin bornée du second quinquennat Macron accroît la fébrilité ambiante en exacerbant les ambitions présidentielles. Complices un jour, rivaux le lendemain, déterminés dans les deux cas, Gabriel Attal et Laurent Wauquiez contribuent à transformer l’espace du centre et de la droite censé donner un minimum d’assise au premier ministre en un terrain miné.

Au milieu de cette jungle, Michel Barnier ne peut espérer tenir que par contraste. Il est l’ingénu dans un monde de fous ; celui qui n’a rien demandé mais auquel on ne pourra reprocher de n’avoir pas essayé. Dans ce Far West qu’est devenue l’Assemblée nationale, ses armes semblent en carton-pâte : le dialogue contre la surenchère, la raison contre la déraison, le bon sens populaire contre la surchauffe parisienne. Le message subliminal qu’elles façonnent, à coups de déplacements en province et de longs entretiens dans la presse écrite, est cependant plus tranchant : rien ne va, mais tout pourrait être pire. A bon entendeur, salut !

Françoise Fressoz Le Monde du 21 octobre 2024

Eric Woerth ne pourra se priver de placer  sa petite phrase : Vous allez appauvrir les milliardaires ! 

*****

Pour faire face à la crise des finances publiques, le Premier ministre a proposé de surtaxer les riches, de manière temporaire, c’est-à-dire les foyers fiscaux des Français gagnant plus de 500 000 € par an. Je fais partie de cette catégorie et je suis tout à fait favorable à cette mesure. Je trouve même indécent de s’y opposer.

L’écart de richesse ne cesse d’augmenter depuis le début des années 2000. En France, 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Près de 4 millions de nos compatriotes sont sans logement décent. Près de 20 % des étudiants ne mangent pas à leur faim et se voient contraints de sauter en moyenne plus de trois repas par semaine, faute d’argent. Près de 4 % d’entre eux se sont déjà prostitués. 15 % l’ont envisagé – pour pouvoir payer leurs études.

Ma conviction est que presque tous les maux de notre société viennent de ce déséquilibre. Nier ce constat, c’est nier la réalité. Il est sain et plus que jamais nécessaire que cet écart diminue, et c’est de notre devoir et de notre responsabilité d’y participer.

Mais rétablir un équilibre entre les plus riches et les plus démunis n’est pas du ressort des riches mais de l’État. C’est l’État qui répartit les richesses. Pas les riches. Le ruissellement est une illusion, la redistribution une obligation. Et là force est de constater que cet équilibre à atteindre ne fait pas partie des priorités des gouvernements qui se succèdent.

Cette réalité est le terreau de la violence, du séparatisme, de la haine, du racisme… Les maux de notre société naissant de ce déséquilibre qui fabrique de la pauvreté et du désespoir.

Alois oui je suis d’accord pour payer plus d’impôts, même un peu plus si nécessaire et honte à ces riches qui s’accrochent à leur magot comme une moule à son rocher.

Par contre, j’attends de l’État français qu’il respecte son devoir sa fonction et ses compatriotes, et qu’il s’occupe réellement des plus démunis d’entre nous.

Ces chiffres doivent baisser sans attendre. C’est la priorité que, je crois nous sommes nombreux à demander à nos élus, car, pour l’instant Égalité, et Fraternité sont les oubliés de note devise nationale.

Luc Besson, cinéaste et producteur. La Tribune Dimanche 3 novembre 2024

11 09 2024

À Dresde, en Allemagne une partie du pont Carola, qui enjambe l’Elbe, s’effondre sur une section de 100 mètres, signe patent du très net sous-investissement dans les  équipements publics en Allemagne.

Des habitants regardent le pont de Carola après son effondrement partiel à Dresde (Allemagne), le 11 septembre 2024. (ODD ANDERSEN / AFP)

13 09 2024

Open A.I. lance O1, une nouvelle famille d’I.A., dotée de capacités inédites de développement, premier pas vers les agents, des I.A. autonomes capables de faire plusieurs tâches à la suite.

15 et 16 09 2024

La tempête Boris sème la désolation en Europe de l’est, surtout en Roumanie – 4 morts – mais encore en Pologne, Tchèquie, Slovaquie, Autriche : inondations – souvent 1.6 m d’eaux en furie – coupures de courant, de voies de communication…

Evacuation d’une personne âgée par des habitants lors d’une crue, à Slobozia Conachi (Roumanie), le 14 septembre 2024.

17 09 2024

Israël met la technologie au service du crime : 30 gr d’explosif insérées dans les bipeurs et talkiewalkies, que l’on déclenche à la demande : trente-sept morts, plus de 3 500 blessés au Liban, surtout au sein du Hezbollah. Et, dans l’immédiat, pas moyen de savoir qui a fabriqué ces appareils : un Taïwanais renvoie à un Hongrois qui dit n’être qu’un intermédiaire… Et une nouvelle vague d’explosions sera déclenchée le lendemain. Le niveau de la technologie mise en œuvre par le Mossad – les services secrets d’Israël – est incomparable avec le niveau de ses adversaires du Hezbollah comme du Hamas. Israël ne arrêtera pas là, en bombardant Beyrouth et le sud-Liban. Six jours plus tard, la guerre monte d’un cran : un bombardement du Liban par Israël fait 558 morts.

20 09 2024

Philippine Le Noir de Carlan, étudiante de 19 ans à Paris Dauphine est retrouvée morte dans le Bois de Boulogne, voisin de l’Université. L’auteur du crime, Taha O., Marocain de 22 ans, sera retrouvé rapidement par le bornage de ses appels sur son portable, à Genève.

Condamné en 2021 pour un viol commis en 2019, Taha O. avait été libéré, en fin de peine, en juin, selon le parquet de Paris. À  sa sortie de prison, l’homme de 22 ans avait été placé en centre de rétention administrative (CRA) à Metz. Son placement a été prolongé à trois reprises, avant qu’un juge des libertés et de la détention (JLD) ne valide sa sortie du CRA. Le JLD avait motivé sa décision par le fait que l’intéressé n’a pas sollicité l’asile et ne s’est pas opposé à la mesure d’éloignement de France. Le suspect n’avait pas non plus adopté de comportement constituant un trouble à l’ordre public lors de son séjour en CRA, susceptible d’autoriser une quatrième prolongation. La mesure était assortie d’une obligation de pointer et d’une assignation à résidence dans un hôtel de l’Yonne, où Taha O. ne se rendra jamais. La veille du meurtre, le 19 septembre, il avait été inscrit au fichier des personnes recherchées parce qu’il ne respectait pas son obligation de pointer.

Des associations féministes et élus de gauche ont appelé de leur côté à penser ce crime sous le prisme des féminicides et non de l’immigration. La misogynie tue. Ne nous trompons pas de débat, a réagi la Fédération nationale de centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). Selon les dernières données de l’Observatoire des violences faites aux femmes, qui précise qu’il s’agit d’une estimation minimale, 217.000 femmes majeures ont été victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles en France en 2021.

La Croix du 27 09 2024

L’homme interpellé, arrivé en France de façon régulière à l’âge de 17 ans, a été condamné en 2021 à une peine de sept ans de prison pour viol, mais sa condamnation n’était pas pas assortie d’une OQTF puisqu’il était mineur à l’époque. Une OQTF a toutefois été prononcée au début du mois de juillet 2024, une dizaine de jours après sa sortie de prison, et le suspect a été placé en centre de rétention administratif (CRA) dans l’attente de la réception d’un laissez-passer consulaire indispensable pour le renvoyer au Maroc. C’est alors que des erreurs administratives rapportées par Le Parisien et la non-coopération des autorités marocaines retardent la délivrance du laissez-passer au-delà du délai limite de rétention dans un CRA. Une prolongation exceptionnelle a été demandée, mais rejetée par un juge des libertés et de la détention. Le suspect, remis en liberté début septembre, a été arrêté quelques semaines plus tard pour le meurtre de Philippine, dans le cadre de l’enquête pour homicide volontaire et viol.

[..] Placé en détention entre mars 2022 et juin 2024, il était visé par une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et retenu au centre de rétention administrative (CRA) de Metz après sa sortie de prison. Selon le ministère de l’Intérieur, dont RTL relaie les propos, il aurait été remis en liberté le 3 septembre, faute de laissez-passer délivré à temps pour permettre son expulsion vers le Maroc.

lintern@ute

41 % des condamnés à une peine ferme ne mettent jamais les pieds en prison.

Béatrice Brugère, magistrate. L’Obs février-mars 2024

Il y a des responsables à ce délabrement, mais ce serait sans doute aller trop vite en besogne que de pointer les juges, car, s’ils ne font qu’appliquer la loi, c’est la loi, et donc le législateur, qui est coupable, de même que c’est bien le législateur qui créé les niches fiscales qui permettent de frauder le fisc, fraude certes… mais légale et donc hors du champ judiciaire.

25 09 2024

Vague de démissions d’Open A.I. Open A.I. renonce à son statut d’entreprise non-lucrative. Mira Murati, Albanaise de 35 ans, directrice technique, fatiguée de la gestion autoritaire de Sam Altman, fait partie de la vague ; elle cherche 100 millions $ pour financer son projet : les bons connaisseurs du milieu de l’A.I. affirment que cela ne devrait lui poser aucun problème.

27 09 2024

L’armée israélienne parvient à loger dans le quartier de Dahiyé, dans le sud de Beyrouth Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, l’homme le plus puissant du Liban : donc exit Hassan Nasrallah. Ce bombardement a également provoqué la mort d’Ali Karaké, identifié comme le commandant du front sud du Hezbollah, ainsi que d’autres commandants du mouvement. Le QG souterrain d’Assan Nasrallah était surmonté de six immeubles : le missile israélien utilisé est à même de percer du béton sur 6 mètres d’épaisseur ! Les Libanais seront 60 000 à se réfugier en Syrie et quand l’Iran créera un nouveau foyer de guerre dans le nord d’Israël, en envoyant  200 missiles Fatah, d’une portée de 1 500 km,  ce sont les Israéliens du nord qui partiront se réfugier au sud.

La France ne pleurera pas la mort d’Hassan Nasrallah, car visée à de multiples reprises par le Hezbollah : le 23 octobre 1983, explosion du Drakkar, l’immeuble de Beyrouth où logeaient les 58 parachutistes français qui y sont morts, (et quasiment en même temps  les 268 Marines américains morts dans leur QG) attentats dans Paris, prises d’otages au Liban, mort de Michel Seurat, de Louis Delamarre… Le Hezbollah a du sang français sur les mains. On ne la pleurera pas davantage en Syrie, où le Parti de Dieu participe sans relâche aux basses œuvres de Bachar el-Assad.

بمناسبة ذكرى الاربعين... السيد نصرالله يتحدث عصر اليوم الجمعة

fin septembre 2024

Enfin des grands travaux qui ne sont pas à la remorque de la déesse tant vénérée depuis un demi-siècle : la Vitesse. Et il s’agit de la construction du CSNE – Canal Seine- Nord Europe de 54 mètres de large pour relier sur 107 km Compiègne à Cambrai. L’entreprise n’est pas une petite affaire : soixante ponts, trois ponts-canaux, sept écluses et 700 hectares de plantations environnementales. Date prévue de la mise en service : 2030. Nicolas Ledoux, directeur général d’Arcadis France, qui dirige le projet, a déclaré : Le canal Seine-Nord Europe permettra non seulement un report modal de la route vers le fleuve, mais créera également une valeur ajoutée économique, logistique, agricole et climatique pour les territoires traversés. Nous sommes très fiers de contribuer à la promotion du transport fluvial, un mode de transport performant, écologique et économique qui répond au défi de la transition énergétique.

Axe Seine : le gouvernement navigue à vue ! – Blog du Groupe de la Gauche combative, communiste ...

2 10 2024

Open A.I lève 66 milliards $ et se fait valoriser à 157 milliards. Malgré près de 5 milliards de pertes en 2023 pour 37 milliards de revenus, la start-up fait toujours rêver

3 10 2024

La compagnie nationale colombienne Ecopetrol et le géant pétrolier brésilien Petrobras annoncent une énorme découverte de gaz naturel offshore dans les Caraïbes colombiennes, au large de la ville de Santa Marta. Il pourrait doubler les réserves du pays. Découvert en fait en 2022, ses réserves sont désormais estimées 170 milliards de m³. La Colombie a augmenté ses importations de gaz de 2500 % entre 2022 et 2023. Le gaz naturel couvre entre 25 et 30% de la demande énergétique nationale.

Un rapport WWF nous apprend que les populations de vertébrés dans le monde ont diminué de 73 % au cours des 50 dernières années, soit depuis 1970. On aurait apprécié que les sangliers en fassent partie, mais ce n’est pas le cas.

13 10 2024

Space X, d’Elon Musk, parvient à récupérer le premier étage Super Heavy de la fusée Starship grâce au bras mécanique de sa tour de lancement de Boca Chica au Texas, au lieu de le perdre en mer comme lors des quatre tirs précédents et réussir l’amerrissage du vaisseau Starship. C’est le cinquième tir d’essai, depuis avril 2023, du plus puissant lanceur du monde, haut de 120 mètres et capable d’emporter 100 tonnes, soit dix fois plus que les fusées actuelles.

Comparatif de taille des lanceurs US

Starship Super Heavy Vs Saturn V

15 10 2024

Rachida Dati, ministre de la Culture bloque la sortie de France d’un dessus de porte du peintre Édouard Vuillard 1868-1940, peint en 1892.

Le Dessus-de-porte de Mme Desmarais signé par Vuillard, dont la sortie de France a été bloquée par Rachida Dati.

Le Dessus-de-porte de Mme Desmarais signé par Vuillard, dont la sortie de France a été bloquée par Rachida Dati. Aglileo Collection/Aurimages via AFP

29 10 2024

Des trombes d’eau s’abattent sur la région de Valence, Espagne : 224 morts et 78 disparus au 15 novembre 2024. Un épisode moindre, mais similaire avait déjà eu lieu en 1982, mais il y avait alors beaucoup moins de voitures. Cette fois-ci lorsque les propriétaires de voiture voudront les mettre à l’abri en montant sur des hauteurs, ce sera déjà trop tard et ils se retrouveront emportés dans les torrents de boue, de pierre. Un mois plus tard on en dénombrera à peu près 120 000 qui, si certaines sont apparemment en bon état, ont toute leur réseau électrique foutu. Bonnes pour la casse. Une solidarité XXXL va vite se manifester. Mais, ensauvagement aidant et colère compréhensible, on trouvera quelques dizaines d’individus pour jeter de la boue, des pierres et des insultes sur le roi Felipe, et le premier ministre Pedro Sanchez quand ils viendront à Paiporta le 3 novembre ; ils auront l’intelligence de ne pas en prendre ombrage et de ne pas prendre la fuite, continuant ailleurs à réconforter autant que faire se peut.

[…] Tous les experts s’accordent en effet sur le fait que la déviation du Turia il y a soixante-dix ans a permis de sauver le centre-ville de Valence de la catastrophe. Le Plan Sud, programme d’ingénierie hydraulique colossal mis en œuvre entre 1958 et 1969 par le régime franquiste, a modifié le cours du fleuve sur treize kilomètres, de Quart de Poblet à la mer, [proche de l’aéroport, à l’ouest de Valence.ndlr] afin de contourner la ville par le sud, et d’augmenter sa capacité de drainage. Des infrastructures construites en amont ont servi à laminer les crues ; parmi celles-ci, le barrage de Forata a permis de retenir près de 30 hectomètres cubes d’eau, le 29 octobre.

L’ancien lit du Turia, transformé en grands jardins et promenades, où se trouve notamment la Cité des arts et des sciences dessinée par l’architecte Santiago Calatrava, a été préservé, tandis que le nouveau a absorbé un débit de près de 2 000 mètres cubes par seconde (m³/s), sans déborder. La déviation du fleuve et l’augmentation de sa capacité de drainage ont fonctionné, reconnaît le géologue Antonio Aretxabala, expert en catastrophes naturelles. La canalisation du Turia, réalisée en creusant le terrain naturel sans faire barrière aux eaux provenant du sud, a sauvé la ville de Valence d’une tragédie bien plus grande. Le débit enregistré est resté très ­au-­dessous de la capacité du ­nouveau canal, qui atteint 4 500 m³/s, assure Miguel Angel Carrillo, président de l’ordre des ingénieurs civils.

Au sud du Turia, le ravin du Poyo, d’ordinaire à sec et qui ne peut, lui, canaliser que 800 m³/s en cas de crue, a au contraire été submergé par une véritable vague, formée par les pluies diluviennes tombées en amont. Son débit a atteint les 2 282 m³/s, selon la Confédération hydrographique du Júcar, avant que sa force arrache les systèmes de mesure et se déchaîne sur les communes environnantes : Paiporta, Picanya, Catarroja, Alfafar… Toutes sinistrées et endeuillées.

Alors que les secours cherchent encore des dizaines de disparus et que les habitants expriment leur colère contre les dirigeants politiques, accusés d’inaction, le parti d’extrême droite Vox a sauté sur l’occasion pour ériger la figure de Franco en sauveur.

Climatosceptique, le parti a ­toujours nié les explications scientifiques qui font du dérèglement climatique le responsable de l’aggravation et de l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, notamment du fait du réchauffement de la Méditerranée. Pour Vox, l’abandon des grands travaux hydrauliques est la cause de la tragédie. Dès le lendemain de la catastrophe, le mouvement a fait circuler sur les réseaux sociaux de fausses informations au sujet de prétendues destructions de barrages, attribuant au gouvernement du socialiste Pedro Sánchez et à l’Union européenne (UE) une responsabilité dans les crues.
Il y a des coupables… Et tu es la première, avec ta loi criminelle de destruction de barrages. Tu es l’ennemie des Espagnols, a ainsi réagi sur X le président de Vox, Santiago Abascal, aux condoléances de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. En ligne de mire, la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 qui, pour régénérer les systèmes ­fluviaux, prône le retrait des ­obstacles obsolètes et contre-­productifs empêchant la circulation de l’eau et encourage la préservation de la végétation sur les rives, essentielle à la perméabilité des terres.
Un faux débat, car, si l’Espagne a en effet retiré des petits barrages devenus obsolètes avec le temps, aucune retenue d’eau d’envergure n’a été détruite dans le pays. Et surtout pas dans la province de Valence, où les seules infrastructures démolies ces dernières décennies sont une écluse de 1,5 mètre de haut en 2017 et une autre en 2006, assure le ministère de la transition écologique. […]

Sandrine Morel Le Monde du 8 novembre 2024

DIRECT. Inondations en Espagne: au moins 95 morts, trois jours de deuil ...

Le lit de la rivière  à Chiva, commune de la province de Valence (Espagne), le 31 octobre 2024. Loyola Perez de Villegas pour le Monde.

31 10 2024

Lancement de Chat GPT Search, un moteur de recherche directement intégré au Chatbot, avec l’ambition de détrôner Google.

2 11 2024

À Téhéran, 25 mois après qu’un voile hors normes ait coûté la vie à Masha Aminie, Ahoue Daryaei, étudiante de 30 ans enlève son voile et le reste jusqu’à se retrouver en slip/soutien-gorge sur les marches de l’université Azad de Téhéran : elle est rapidement transférée dans un centre de soins spécialisés. Le lendemain Arezou Khavari, 16 ans, brimée par les responsables de son établissement scolaire pour tenue inappropriée, mettra fin à ses jours, en se jetant du toit d’un immeuble de Téhéran.

Quelques jours plus tôt, Aynaz Karimi, encore une adolescente, s’était pendue chez elle à Kazerun, dans le sud de l’Iran. Elle aimait porter du vernis à ongle et se teindre les cheveux, ce qui lui avait valu d’être convoquée et exclue par le directeur de son lycée.

4 11 2024

Les 33 000 ouvriers de Boeing affectés à la production du 737 MAX, ainsi qu’aux 767 et 777, en grève depuis le 13 septembre, réclamaient une revalorisation salariale de 40 % et le rétablissement d’un programme de pension de retraite supprimé il y a dix ans ; un nouveau projet d’accord social a été approuvé à 59 % l’accord prévoyant une hausse salariale très proche de leurs revendications, mais pas le rétablissement de l’ancien dispositif de retraite. Cet accord met fin à un débrayage de plus de sept semaines, qui a coûté plus de 10 milliards $ à l’entreprise et ses fournisseurs, et offre un répit au nouveau directeur général de Boeing, Kelly Ortberg.

6 11 2024

Donald Trump remporte les élections présidentielles des États-Unis. Il entrera en fonction en janvier 2025. Jusqu’aux dernières minutes les sondages les donnaient au coude à coude, quand au final Trump mettra dans son escarcelle 312 grands électeurs quand ils ne seront que 226 pour Kamala Harris : quelle claque pour les instituts de sondage et pour les démocrates !

Kamala Harris a fait fonctionner les réseaux classiques de campagne électorale, en s’adressant aux diverses communautés, les Noirs d’abord bien sur, les femmes pour l’IVG, les LGBT etc etc. Donald Trump s’est adressé aux Américains et ce sont les Gilets Jaunes américains qui ont voté pour lui, se concentrant sur les réseaux sociaux (comme d’ailleurs Barack Obama, en son temps), et c’est leur triomphe : démagogie, mensonge, vulgarité, grossièreté, primauté de l’individu sur le collectif ; c’est le triomphe du lynchage médiatique, hors d’atteinte de la loi. C’est le triomphe du consommateur sur le citoyen. C’est l’outrance systématique : les démocrates ont cassé ce pays ; nous allons le réparer alors que les États-Unis n’ont jamais été aussi forts. C’est la jactance du bateleur de foire : la guerre en Ukraine ? Je vais régler cela en 24 heures ! C’est la défaite de l’ADN de toutes les valeurs qui fondent la démocratie américaine. Honte à la moitié des électeurs de ce pays qui ont choisi ce mauvais génie, cet homme funeste en tout. En s’installant dans le bureau ovale, le pyromane cédera probablement la place au pompier, mais ce ne sera que calcul et non conviction et, dans son ADN il restera pyromane. Les jours suivant son élection, il commencera à composer son gouvernement faits de gens incompétents, sans expérience des domaines concernés par leur nomination, ce qui signifie qu’il veut avant tout les avoir à sa botte, les manipuler selon ses humeurs changeantes et que les États-Unis se dirigent vers un régime autoritaire, un fascisme qui restera soft on ne sait combien de temps.

Il  y a des moments d’aberration dans les multitudes, il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage les troupeaux, comme le lambeau de pourpre attire les animaux privés de raison ; eh bien, malgré cela, je n’hésite pas à me prononcer en faveur de l’élection du président par le peuple. […] Et si le peuple se trompe, s’il veut abdiquer sa sûreté, sa dignité, sa liberté entre les mains d’une réminiscence d’empire, s’il nous désavoue et se désavoue lui-même, eh bien, tant pis pour le peuple ! Ce ne sera pas nous, ce sera lui qui aura manqué de persévérance et de courage.

Alphonse de Lamartine, en 1848

Naomi Klein, figure de l’altermondialisme, autrice de No Logo (1999) et de La Stratégie du choc (2007), incarne symboliquement le Parti démocrate dans son nouveau livre. Elle est interviewée par Olivier Tesquet, de Télérama, le 17 novembre 2024. Alors que Donald Trump vient de remporter l’élection présidentielle en emportant tous les États clés, Le Double. Voyage dans le monde miroir, chez Actes Sud pose un regard critique sur les erreurs stratégiques du camp démocrate.

Quels enseignements tirer de la victoire de Donald Trump ?
Les chiffres autour du vote des jeunes, de la classe ouvrière noire et latino, doivent pousser à une profonde prise de conscience chez les libéraux. La gauche doit comprendre pourquoi elle parle un langage qui n’est plus en phase avec les travailleurs et les personnes en situation de précarité. Je pense que nous faisons désormais partie de l’élite, et cela devrait nous inquiéter au plus haut point.

L’enquête que vous menez dans votre ouvrage sur votre double est un prétexte pour un examen de conscience. Dans quelle mesure Trump est-il le reflet qu’on n’arrive pas à regarder dans le miroir ?
En 2016, j’ai écrit un livre sur Trump, No is Not Enough. Dans la conclusion, j’avançais qu’il fallait le regarder comme une œuvre de science-fiction dystopique. C’est un miroir tendu à la société, qui nous demande : est-ce que vous aimez ce que vous voyez ? C’est pour ça qu’il aurait fallu interpréter sa première élection comme un avertissement. Au lieu de cela, il est devenu un prétexte pour renforcer la polarisation, et les libéraux ont passé les huit dernières années à déverser sur la droite ce qu’ils ne supportaient plus de voir dans leur propre camp : Ils ont toutes ces idées horribles, mais nous sommes purs, nous croyons en la science et la raison, nous sommes compatissants.

La gauche s’est réfugiée dans un cocon de récits flatteurs, mais elle n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. Vous savez, Trump n’est pas seulement une figure de ce mouvement, c’est aussi et surtout une figure extrêmement américaine, au même titre que la tarte aux pommes de chez McDonald’s, les concours de beauté, les combats de catch, Hollywood et la publicité. Cela lui confère une étonnante capacité d’attraction.

Y compris auprès de ses adversaires politiques ?
À certains égards, nous lui ressemblons de plus en plus. Regardez la campagne de Kamala Harris. Sur l’immigration, elle a passé son temps à répéter qu’elle était plus dure que lui. Elle a joué selon ses règles, adopté son discours, abandonné tout principe de solidarité, d’universalisme. C’est un renoncement collectif. Maintenant que Trump promet de mener une politique qui ressemble de plus en plus au fascisme, nous allons voir qui nous sommes vraiment. Je ne peux pas regarder mon double, l’autre Naomi, [Naomi Wolf, passée du camp démocrate au Trumpiste] fréquenter Steve Bannon, voter Trump, se procurer une arme et avaliser les attaques contre les droits reproductifs en la réduisant à une altérité lointaine. Dans les prochains mois, j’ai peur que nous assistions à une grande opération de rationalisation dans laquelle certains vont s’accommoder de la politique de Trump, au nom du respect des électeurs de la classe ouvrière.

Est-ce que l’une des grandes défaites de la gauche, c’est d’avoir perdu cette bataille du langage, cette capacité à nommer les choses ?

Tant de choses auraient dû être dites dans cette campagne – sur les soins de santé, les augmentations de salaire, l’injustice économique, la domination des entreprises… -, et sont restées tues. Lorsque Bernie Sanders s’est présenté [Naomi Klein l’a activement soutenu, ndlr de Télérama], qu’il a nommé la souffrance des gens et qu’il a proposé un plan pour y remédier, le Parti démocrate a déployé une énergie folle pour le salir et le saboter. Aujourd’hui, tout le monde parle comme lui pour analyser les résultats ! Je ne pense donc pas que notre langue soit morte. Nous avons un dirigeant syndical aux États-Unis, Sean Fain, d’un genre que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Il dirige le syndicat des travailleurs de l’automobile et a lancé une grève simultanée chez les Big Three : General Motors, Ford et Stellantis (Chrysler). Il prenait la parole en portant un tee-shirt sur lequel était inscrit Eat the rich, et Donald Trump ne savait pas quoi répondre, parce qu’il ne s’agissait pas seulement d’un slogan, il organisait les travailleurs et leur obtenait de meilleures conditions de travail. En d’autres termes, il mettait réellement les riches au défi. Et redonnait leur sens aux mots.

Il y a une forme de lâcheté à utiliser un langage qui n’est pas vraiment compris pour dire des choses radicales. Si personne ne vous comprend, vous excluez les gens que vous prétendez défendre, vous signalez votre dédain. J’aime beaucoup cette phrase du regretté Mike Davis [historien et géographe, figure de l’activisme américain, décédé en 2022 ndlr de Télérama] : Parlez comme tout le monde. L’urgence morale du changement acquiert sa plus haute noblesse quand elle est dite dans un langage commun.

Et dans le monde miroir que vous décrivez, la droite radicale, elle, sait trouver les mots.

Ils traduisent ce langage abscons et universitaire, et disent aux classes populaires : Ces gens-là vous méprisent. La droite s’empare de la théorie critique de la race ou de la théorie du genre pour mentir sur ce que ces concepts signifient, mais aussi pour souligner l’hypocrisie de la gauche. Bolsonaro s’est fait élire président du Brésil en utilisant cette stratégie. Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, gouverne de cette façon. Je pense que nous n’avons pas encore mesuré à quel point le langage académique est utilisé comme une arme par la droite.

Nous assistons indéniablement à un tournant fasciste dans des pays autrefois démocratiques, en Inde, en Italie… Pour autant, ce n’est pas parce que Trump est un fasciste qu’il va réussir à introduire le fascisme aux États-Unis. Mais nous ne devrions pas avoir peur de le nommer en ces termes alors qu’il animalise ses adversaires et n’hésite pas à menacer les journalistes ou désigner des ennemis en pagaille. Il faut s’y opposer. Mais comment ? Le travail sur mon double m’a été d’une grande aide pour comprendre comment je veux naviguer dans ce monde : en me demandant constamment si mes valeurs ou mon éthique sont cohérentes et lisibles. Si nous avons peur que le fascisme s’installe dans nos sociétés et qu’il s’exprime par des formes extrêmes de contrôle de la pensée, des attaques contre l’université, des licenciements massifs et la traque d’intellectuels, peut-on raisonnablement accepter de déplateformer à discrétion quelqu’un dont on ne partage pas les idées [Donald Trump avait été banni des principaux réseaux sociaux après l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, ndlr de Télérama] ? C’est comme ça qu’Elon Musk a réussi à se présenter comme un prétendu champion de la liberté d’expression : en exploitant nos incohérences…

Donald Trump lors d’un rassemblement au Madison Square Garden de Manhattan, le 27 octobre 2024, à New York.

Donald Trump lors d’un rassemblement au Madison Square Garden de Manhattan, le 27 octobre 2024, à New York. Photo Niyi Fote/TheNEWS2 via ZUMA Press Wire.

Y a-t-il une part de grotesque dans le monde que vous décrivez ?
Dans Operation Skylock, qui met en scène son double maléfique, l’écrivain Philip Roth forge un mot à partir du nom qu’il donne à cet homonyme : le pipikisme, soit cette force anti-tragique qui transforme tout en farce, banalise et superficialise tout. Il y a de ça chez Trump. On se demande en permanence si l’on doit rire ou pleurer. Il est trop sérieux pour être tourné en ridicule, et trop ridicule pour être pris au sérieux. Car son sens du grotesque n’enlève rien au danger, à la monstruosité, à la cruauté, au fascisme. Ce n’est pas un hasard si pendant son premier mandat, les late shows humoristiques ont offert le meilleur commentaire politique sur son action.

En quoi ce second mandat sera-t-il différent, selon vous ?
Quand j’observe Trump, Musk ou Robert Kennedy Jr. [neveu de JFK et figure des antivax complotistes, que Trump vient de nommer à la Santé, ndlr de Télérama], cette triade d’hommes narcissiques coureurs de jupons, je me demande ce qu’ils vont faire. À quoi ressemblera la fusion totale de l’État et de l’algorithme ? Quelles seront les conséquences d’une culture de la conspiration au plus haut sommet de l’administration ? Je pense que la différence ne sera pas marginale, mais radicale. Toutes nos stratégies d’organisation se déploient sur des plateformes et des appareils qu’ils contrôlent ou peuvent contaminer, c’est vertigineux.

Nous allons devoir nous mobiliser davantage hors ligne, dans le monde réel, et retrouver des moyens de se trouver les uns les autres sans s’en remettre aux algorithmes de recommandation. Il va falloir se mettre au judo intellectuel, reprendre les armes qu’ils nous ont confisquées. C’est encore une raison pour porter des valeurs claires et un discours simple, même s’il peut sembler naïf : défendre l’humain, le vivant, la solidarité. Nous devons nous opposer à une machine qui transforme le monde en ruines et ne fait que broyer la vie, qu’il s’agisse de Gaza ou du climat.

Naomi Klein. Le Double. Voyage dans le monde miroir, éd. Actes Sud.
En fait, Naomi Klein n’est pas claire parce qu’elle se refuse à dire que Kamala Harris aurait du se comporter comme Donald Trump : insulter, mentir, laisser libre cours à la démagogie, à la vulgarité, au sexisme etc… Elle n’osa pas aller jusque là car elle ne voulait pas avoir un comportement contre nature. La vérité, c’est que Trump a été élu avec une confortable majorité qui se fiche du tiers comme du quart des valeurs qui fondent une démocratie ; la vérité c’est que Trump a été élu avec une confortable majorité d’ensauvagés, qui deviennent ce qu’étaient il y a encore peu nos beaufs en France et sont donc prêts à voir leur pays devenir un État voyou.
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On parle souvent de carnaval à propos des meetings de Donald Trump. C’est tout à fait juste.

Les traditions carnavalesques du Moyen Age et de la Renaissance mettaient en scène un monde social inversé qui devait rappeler à tous la nécessité d’un monde à l’endroit. Ces rites de renversement éclairent la vie politique actuelle des États-Unis, analyse, dans une tribune au Monde, l’historien américain Robert Zaretsky.

Interrogé à la mi-novembre par la chaîne Fox News sur la composition de la future administration Trump, le sénateur républicain Roger Marshall répondit dans un sourire : Trump a été élu pour mettre [Washington] sens dessus dessous.

On ne pouvait mieux dire, au sens propre comme au figuré. La rhétorique débridée de Donald Trump et de ses plus fervents partisans fait écho aux rites et traditions carnavalesques que des historiens de l’époque moderne comme Natalie Zemon Davis et Emmanuel Leroy Ladurie ont exhumé des archives françaises ces cinquante dernières années. Ces rites de renversement aident à mieux déchiffrer la vie politique actuelle des États-Unis. Par-delà les ressemblances saisissantes entre ce passé et notre présent, il existe une différence de taille laissant présager ce qui nous attend.

La vie des Européens du Moyen Age et de la Renaissance était ponctuée de fêtes, dont le carnaval, qui se succédaient au gré des saisons ou des besoins de la collectivité. La période de Noël, par exemple, était l’occasion de festoyer en famille, mais aussi de célébrer la Fête des fous. A cette occasion, ce n’était pas un haut dignitaire de l’Église qui dirigeait l’office liturgique, mais un jeune clerc placé à la tête d’un clergé qui faisait et disait les choses les plus grotesques. Ils dansent dans le chœur travestis en femmes, chantent des chansons obscènes, encensent avec le cuir fétide de vieilles savates, sautent et courent dans l’église, gesticulent et tiennent des propos impudiques, s’insurgeait, au début du XV° siècle, la faculté de théologie de l’université de Paris.

D’autres divertissements étaient organisés à Paris et ailleurs en France par des groupes informels, des corporations de métiers ou des associations connues sous le nom de sociétés joyeuses ou sociétés des sots. Natalie Zemon Davis, qui les désigne sous le terme d’abbayes de Maugouvert [mauvais gouvernement], avait repéré l’existence, à Rouen, d’une de ces confréries joyeuses : l’Abbaye des conards.

Son président, l’abbé des conards, était entouré de dignitaires qui avaient pour nom le prince de Mal-Espargne, le cardinal de Maucomble, l’évêque de Plattebourse, le duc de Frappecul et le grand patriarche des Verollez [vérolés]. Cette abbaye, comme d’autres semblables, pratiquait une parodie bouffonne de justice et frappait de la monnaie factice qu’elle distribuait aux habitants de la ville.

Ces réjouissances carnavalesques étaient, en fait, on ne peut plus sérieuses. Un renversement s’opérait dans les hiérarchies sociales, les humbles étaient propulsés dans le rôle des puissants qui, temporairement abaissés, voyaient leurs effigies humiliées et pendues sur la place publique. Les paysans paradaient en princes et les femmes obligeaient les hommes à chevaucher un âne à l’envers. Si les puissants toléraient ces débordements, c’est parce qu’ils y voyaient une soupape de sécurité. Comme le disait un sage, les tonneaux de vin crèveraient si on ne leur ouvrait quelquefois la bonde pour leur donner de l’air.

Mais, pour les historiens Le Roy Ladurie et Zemon Davis, ces rituels n’étaient pas qu’un moyen pour le peuple d’oublier, pour un instant, la rude vie qu’ils menaient. Ils avaient aussi pour fonction d’alerter le pouvoir en place sur les inégalités criantes entre les riches et les pauvres, les puissants et les humbles. De surcroît, le rire qui accompagnait ces mises en scène d’un monde renversé n’était pas seulement un exutoire, mais aussi un acte de résistance face aux lois et aux normes du monde à l’endroit.

Ces pratiques du passé éclairent notre moment de renversement actuel. Les médias parlent souvent de carnaval à propos des meetings de Donald Trump. C’est tout à fait juste. Les rites carnavalesques des abbayes de Maugouvert ont beau avoir disparu depuis longtemps, les circonstances qui ont présidé à leur naissance sont toujours d’actualité – le ressentiment de classe et le malaise économique.

Les difficultés matérielles des travailleurs américains qui se sentent méprisés ou abandonnés par Washington ne sont, en somme, pas très différentes de celles des paysans et des artisans qui, pendant le carnaval, se grimaient parfois en brebis et représentaient les percepteurs du roi en loups.

Les éclats de rire qui résonnaient à l’époque dans les villages français trouvent un écho dans les rassemblements du mouvement Make America Great Again (MAGA) qui s’accompagnent généralement de propos grossiers, de menaces à peine voilées et de gestes obscènes. Si nos élites démocratiques trouvent ce rire dérangeant, c’est pour les mêmes raisons que leurs ancêtres antidémocratiques : c’est parce qu’il est éminemment subversif. Mais il y a une différence de taille. Dans les temps anciens, les pouvoirs ecclésiastique et politique parvenaient toujours à reprendre le dessus. D’ailleurs, comme le soulignent de nombreux historiens, c’était précisément le but. Un monde à l’envers rappelait à tout un chacun la nécessité d’un monde à l’endroit. Ce n’est plus le cas.

Ces dernières semaines, le président élu a amusé ses partisans en dévoilant la composition de sa future administration, qui ressemble étrangement aux abbayes de Maugouvert. Trump entend nommer à la tête du renseignement national Tulsi Gabbard, une ancienne élue de la Chambre des représentants qui juge Vladimir Poutine plus crédible que les services qu’elle est appelée à diriger ; à la tête du ministère de la défense, Pete Hegseth, un animateur de la chaîne Fox News et ancien militaire qui n’a jamais rien eu de plus compliqué à gérer que de contrer une accusation d’agression sexuelle ; et, comme ministre de l’éducation, Linda McMahon, la copropriétaire de la fédération de catch WWE, qui a été accusée dernièrement d’avoir toléré des violences sexuelles sur des enfants au sein de son organisation.

Avec ces nominations, une dure vérité s’imposera bientôt à ceux qui ne font pas partie de l’Eglise MAGA : le monde à l’envers est un enfer. Mais une réalité tout aussi importante s’imposera à ceux qui sont effrayés par ces carnavals : la hausse des prix à la consommation et le déclassement ont persuadé suffisamment d’Américains – aussi étrangers aux politiciens de Washington que les paysans l’étaient aux seigneurs de la France médiévale – de voter pour Donald Trump. Ce qu’ils réclament, ce n’est pas un carnaval sans fin, mais qu’on mette fin à leur angoisse économique.

Reste à voir si notre abbé élu de Maugouvert pourra tenir cet engagement avec une administration peuplée d’individus enclins à la mauvaise gouvernance, à l’erreur de jugement, ou pire encore. S’il ne parvient pas à apaiser ces inquiétudes et à régler ces problèmes dans les mois qui viennent, il pourrait avoir la surprise de constater que beaucoup de ses électeurs aspireront bientôt à un monde à l’endroit.

Robert Zaretsky est historien et professeur à l’université de Houston, Texas. Traduit de l’anglais par Juliette Kopecka. Le Monde du 27 12 2024

10 11 2024

40 IMOCA 60 (pieds), – monocoque avec ou sans foils, de 18,288 mètres, 4.5 mètres de tirant d’eau, un mât de 29 mètres au maximum – quittent les Sables d’Olonne pour la dixième édition du Vendée Globe : un tour du monde en solitaire, sans escale, sans ravitaillement. IMOCA : International Monohull Open Class Association, qui a vu le jour en 1991, dans la foulée du premier Vendée Globe, avec pour objectif d’établir des règles de jauge pour ces monocoques. Les monocoques de type Imoca doivent valider plusieurs tests pour prendre le départ du Vendée Globe. Trois points sont essentiels : le voilier doit être capable de se remettre à l’endroit sans assistance extérieure, le cloisonnement intérieur doit être garanti en cas de retournement et la flottabilité doit être importante en cas de chavirage ou de voie d’eau. Les Imoca, qui pèsent généralement entre six et huit tonnes, peuvent atteindre 40 nœuds en vitesse de pointe avec vent portant. Cela équivaut à près de 74 km/h sur la mer. Détenteur du record en 2016-2017, Armel Le Cléac’h a réalisé le tour du monde en 74 jours, 3 heures, 35 minutes et 46 secondes soit une vitesse moyenne de 13,8 nœuds (25,5km/h).

Ces IMOCA sont motorisés : Hugo Boss a opté pour un moteur électrique (40 kg de moteur + 63 kg de batteries + 90 kg de générateur + 77 kg environ de gasoil = 270 kg, sans compter les 19 m² de panneaux solaires. Sur les autres IMOCA : 160 kg de moteur + 60 kg de batteries + 250 litres de gasoil (environ 210 kg) = environ 430 kg. Et il y a bien souvent des hydrogénérateurs et des panneaux solaires en plus.

Depuis 1991, la classe Imoca est représentée dans d’autres épreuves prestigieuses comme la Route du Rhum. Il faut compter à peu près 8 millions € pour un bateau : cela fait quand même pas mal d’entreprises qui ont suffisamment d’argent pour l’investir sur ce créneau.

L'Imoca de Bestaven sur le Vendée Globe 2021

L’Imoca de Bestaven sur le Vendée Globe 2021

17 11 2024

Il ne reste à Joe Biden qu’une poignée de semaines à occuper le bureau ovale de la Maison Blanche, mais il ne fait pas dans l’attentisme : sachant que Donald Trump veut contraindre l’Ukraine à négocier, il fait ce qu’il faut pour que ce soit dans les meilleures conditions en accordant à l’Ukraine des missiles longue porté jusque là refusés, à même d’atteindre une cible à 300 km : ATACMS : Army Tactical Missiles System. Et, évidemment, dès les premiers missiles anglais lancés – Storm Shadows, d’une portée d’environ 250 km, Poutine répliquera en bombardant une usine de Dnipro, dans le centre-est de l’Ukraine avec un missile hypersonique Orechnik pouvant frapper des cibles jusqu’à 5 000 km.

20 11 2024

Et la folie, comment va-t-elle ? Une santé de fer ! le Chinois Justin Sun, achète 6.2 millions $ chez Sotheby’s New-York une banane scotchée sur un mur, nommée Comedian, une réalisation d’un Italien que le milieu de l’art accepte de reconnaître comme artiste : Maurizio Cattelan. À 200 gr la banane, cela vous fait un kilo de bananes à environ 30 millions $…  et si vous voulez acheter un régime … autant acheter le régime de Vichy, ça sera moins cher.

Et on trouvera des littérateurs pour contextualiser le phénomène, usant d’un galimatias indigeste : Depuis Marcel Duchamp et sa Fontaine (1917), l’histoire de l’art a établi qu’il est possible de penser l’œuvre comme un processus ou une intention conceptuelle de la part de l’artiste, au-delà de la matérialité de l’objet.

Francine Guillou Télérama n° 3907 du 30 11 au 6 10 2024

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Comedian par Morizio Cattelan, né en 1960

3 12 2024

Michel Barnier, premier ministre prévient l’Assemblé Nationale des suites de sa probable démission, le lendemain. Gauche et Front National vont s’unir pour voter la motion de censure : c’est l’union sacrée des partisans du chaos. Mais auparavant, il tient à rendre hommage à René Couanau, député d’Île et Vilaine, maire de Saint Malo, dernièrement décédé à 88 ans, et il se fait interrompre par Elisa Martin, députée de l’Isère, professeure de français dans le civil d’un vibrionnant : on s’en fout, preuve si cela était nécessaire que l’ensauvagement de la France a gagné l’Assemblée Nationale. La professeure Elisa Martin s’est comportée comme un vulgaire voyou. L’ennuyeux avec ça, ce n’est pas qu’Elsa Martin se soit comportée comme un voyou, le problème, c’est qu’il y ait eu suffisamment d’électeurs pour l’élire députée. On a la classe politique que l’on mérite.

4 12 2024

Michel Barnier remet la démission de son gouvernement au chef de l’État.

5 12 2024

Emmanuel Macron ne peut faire autre chose grosso modo que de dire : on prend les mêmes – où est donc le premier ministre potentiel qui fera mieux que Michel Barnier ? – et on recommence, tout en fustigeant les extrêmes irresponsables.

Le vendredi 13 décembre, François Bayrou s’entretient longuement avec Emmanuel Macron à l’Élysée ; vers 10 heures on pense que ce sera lui ; puis Macron reçoit Lescure et on pense que ce sera Lescure ; mais finalement c’est Sébastien Lecornu, ex-ministre de la Défense, fidèle parmi les fidèles qui revient, mais patatras, vers 12 h, c’est François Bayrou qui réapparaît à l’Élysée et là, il pique une bonne grosse colère en lançant à Macron un Qui t’a fait roi ? [2] et part par une porte dérobée en la claquant ! laissant un Macron sidéré d’avoir vu quelqu’un d’autre que lui piquer une colère en son palais ! et en plus à son adresse.

À 13 h, communiqué de l’Élysée : François Bayrou est nommé premier ministre ! Comme quoi, une bonne colère bien placée, au bon moment, ça peut payer. Avec Michel Barnier, Jupiter avait mis un genou à terre, avec Bayrou, il y met le second genou. Jupiter n’est plus Jupiter. Dans quelle posture pourra-t-il donc bien être quand il terminera son mandat ? Le 13 décembre, c’est l’anniversaire de Henri IV, cher à François Bayrou, né à Pau, (mais ce n’était pas un vendredi), qui disait du pouvoir : les déplaisirs talonnent toujours les contentements. À bon entendeur…

Dans la nuit du 13 au 14 décembre, l’Agence Moody’s dégrade d’un cran la note souveraine de la France : les finances publiques du pays seront considérablement plus faibles au cours des trois prochaines années, en raison de la fragmentation politique plus susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative. La note souveraine de la France s’établit désormais à Aa3 avec une perspective stable.

*****

On assiste à un divorce total entre ce que veulent les Français et ce dont a besoin la France.

Jean-Louis Bourlanges, député Modem

7  12 2024

Réouverture officielle de Notre Dame de Paris. Emmanuel Macron en a fait un grand succès médiatique, – à peu près 50 chefs d’État présents – mais pour affirmer que c’est un succès diplomatique, il vaut mieux laisser couler un peu d’eau dans la Seine, le temps que tout cela se décante. Magnifique Notre-Dame. Très belle cérémonie à laquelle il manquait tout de même un grand morceau de musique qui décoiffe comme l’Alléluia du Messie de Haendel ou La Grande Toccata Ré mineur BWV 565 de Jean-Sébastien Bach.

Dès lors que l’on lance un appel au don, il est préférable de mettre sous le boisseau l’évangile de Saint Mathieu où il est dit qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, puisque évidemment ce sont les plus riches qui donnent le plus, aux premiers rangs desquels, pour la France –  Bernard Arnault LVMH  200m.€, François-Henri Pinault, Kering, 200 m.€. La famille Meyers-Bettencourt, 100 m.€. Au total, la collecte atteindra 846 m.€, plus que nécessaire, remis par 340 donateurs, du monde entier. Dans ces conditions, il devenait difficile d’appliquer au seul Elon Musk, l’homme le plus riche du monde le précepte de l’évangile en le tenant à l’écart de la cérémonie : peut-être aura-t-il du mal à entrer au paradis, mais en attendant il sera entré dans Notre-Dame sans difficulté aucune. Et il faut bien dire que ce succès, l’apparente facilité du déroulement de ce chantier tient pour beaucoup au statut bien spécial qu’Emmanuel Macron a voulu lui donner, à savoir court-circuiter les interminables processus administratifs pour que les choses puissent se faire ; d’où une simplification administrative réduite à peu de chagrin, d’où une exceptionnelle rapidité d’exécution. En creux, démonstration aura été faite de l’insupportable frein que représentent tous ces processus dans la marche habituelle d’un chantier.

[…] La renaissance de Notre-Dame, fruit à la fois d’une émotion populaire et d’une pratique verticale du pouvoir, traduit surtout l’extraordinaire puissance politique du patrimoine comme valeur refuge dans une période de crise et de panne de projet. La reconstruction à l’identique de la flèche de Viollet-le-Duc et l’incertitude qui plane sur le concours pour la conception de vitraux modernes confirment le poids du conservatisme, y compris chez un président qui prétendait enterrer l’ancien monde.

Le sublime spectacle d’une cathédrale de près de 900 ans remise à neuf en un temps record ne constitue pas en soi une réponse aux maux profonds dont souffre le pays. Mais, à l’heure où se réveille son formidable grand orgue devant une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement, y compris Donald Trump pour son premier déplacement à l’étranger depuis son élection, Notre-Dame offre à la France une magistrale démonstration d’une force trop souvent oubliée ou négligée : le soft power d’un pays qui, tout comme pendant les Jeux olympiques de Paris, est capable de faire converger les regards du monde entier sur lui, non seulement pour ses drames, ses déficits et ses poussées de fièvre, mais aussi pour ses talents, son organisation et sa résilience.

Editorial du Monde du 8 12 2024

[…] Notre génération élève de moins en moins de monuments pour l’âme, cependant elle excelle en restauration et pose ainsi sa marque sur l’interminable histoire de l’art chrétien. Quiconque entrera dans Notre-Dame entrera dans une bâtisse à la fois ancienne et nouvelle.

Notre-Dame est désormais une antiquité flambant neuve. Les pierres ont été grattées, dévoilant la pâleur délicate du calcaire d’Île de France où tant d’animaux, des escargots aux souris, ont laissé leur empreinte fossile. Adieu à un millélaire de fumées crachées par les bougies et par les encensoirs !

Notre époque ne taille ni ne sculpte mieux que les précédentes mais elle brille en un art : celui de la lumière. On ne verra pas la cathédrales telle que la virent nos ancêtres au XIV° siècle, on la verra différemment, car un savant éclairage a été installé.

Résultat ? Notre-Dame échappe brusquement à une certaine conception du Moyen-Âge. Elle est toujours gothique, certes, cependant plus gothique selon la conception du XIX° siècle. Le romancier Vicotr Hugo, puis l’architecte Eugène Viollet le Duc goutaient ses arcs, ses gargouilles, ses vitraux, le fantastique, le surnaturel, le pittoresque. Dorénavant, Notre-Dame ,’est plus mélancolique. Débarassée du filtre romantique, elle devient gothique selon le XXI° siècle. Son mystère s’éclaircit, sa spiritualité s’enjoue. Quoi de plus énigmatique et énergique que la lumière ?

Sa grandeur demeure en ne déployant pas les même atouts. Si l’édifice garde son odeur liquide de pierre fraîche, sa senteur de jeune marais, il illustre une autre foi. Pas celle qui gémit, celle qui sourit, voir celle qui rit. Personnellement je m’y retrouve.

Bientôt l’archevêque frappera le sol de sa crosse et l’orgue résonnera.

Notre-Dame se réveille, différente. Et heureusement. Renaître, c’est encore plus précieux que vivre, non ?

Et sa flèche domine de nouveau Paris. Il faut toujours planter des flèches dans le ciel : là sont nos racines.

Éric-Emmanuel Schmitt, de l’Académie Goncourt. La Tribune Dimanche du 8 décembre 2024

Devant ce concert de louanges, qui tient parfois de l’autocélébration, il est bien de se rapprocher un peu du réel en parlant aussi des grains de sable qui ne viennent pas, certes, enrayer la machine, mais qui redonnent un peu d’épaisseur humaine là où l’exaltation avait tendance à occuper tout de terrain : ainsi de cette conversion de Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, à l’anglicanisme pendant le Covid 19, ce qui ne manque pas de sel – si tu savais la haine qui coule dans mes veines, tu aurais peur, chante Clara Ysé -; il avait été exaspéré au plus haut point par l’onctuosité ecclésiastique dans la contradiction et les conflits, de tous ces monsignores de l’archevêché de Paris, quant au devenir de Notre-Dame. Chez les anglicans, le poids de la hiérarchie se fait beaucoup moins sentir. La conversion à l’anglicanisme de Philippe de Villeneuve, c’est la plus récente gargouille de Notre-Dame.

La nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris est vue alors que le président français Emmanuel Macron visite les intérieurs restaurés de la cathédrale, vendredi 29 novembre 2024, à Paris.

Image

Des personnes se promènent dans la cathédrale Notre-Dame de Paris pendant la visite du président Macron, 29.11.24

La rosace de la cathédrale Notre-Dame, photographiée le 29 novembre.

Les vitraux de Notre-Dame, photographiés le 29 novembre.

Je me tiens devant vous, avant que ne commence la liturgie, pour vous dire la gratitude de la Nation française. Gratitude à l’égard de tous ceux qui ont sauvé, aidé et rebâti Notre-Dame de Paris. Gratitude à l’égard de tous ceux qui sont présents, au moment où nous nous apprêtons à la rendre aux catholiques, à Paris, à la France et au monde entier.
Oui, ce soir, les cloches de Notre-Dame sonnent à nouveau et l’orgue dans un instant s’éveillera. Musiques d’espérance, familières aux Parisiens, à la France et au monde. Les cloches de Notre-Dame sonnent à nouveau, qui ont scandé les heures du jour, et celles de l’histoire. Elles sonnent, comme elles ont sonné pour les onze rois qui ont vu s’élever la cathédrale. Pour saint Louis rapportant d’Orient la Couronne d’épines. Pour Henri IV pansant la blessure des guerres de Religion. Pour le vœu de Louis XIII et les victoires de Louis XIV. Pour Napoléon se sacrant lui-même, un matin de décembre 1804. Pour Victor Hugo, déambulant, rêveur, cherchant les yeux levés l’ombre de Quasimodo. Pour Claudel, ployé au pied d’un pilier, revenu à l’espérance, un soir de décembre 1886.
Pour annoncer aux résistants de Paris l’arrivée du général Leclerc et des siens, puis pour célébrer la libération aux côtés du général De Gaulle [6] . Pour les adieux de la France à ses génies, à ses soldats, à ses grands hommes.  Oui, elles sonnent, elles qui ont accompagné notre histoire. Pourtant, nous aurions pu ne jamais réentendre cette voix.
Le 15 avril 2019, la nouvelle de l’incendie a couru de lèvres en lèvres. Les images de flammes dévorant le transept, la fumée noire.
La flèche qui vacille puis s’effondre, dans un fracas d’ossement. Et ces heures de combat face au feu, la décision de lui laisser sa part, et ces minutes désespérées où tout pouvait partir, où la pierre, le bois, les vitraux auraient pu disparaître. Durant ces heures, il s’est trouvé des étudiants descendus de la montagne Sainte-Geneviève, pour entonner des chants. Les promeneurs à Timesquare pour s’arrêter, en larmes, devant les premières images. Et de Rome à Moscou, des croyants de partout venus se réunir devant nos ambassades. Des chameliers au long du Niger descendus de leurs bêtes pour prier, dans leur religion, pour Notre-Dame.

Ce soir-là, heur et malheur étaient mêlés. L’enchaînement de malchance, le vent d’est qui s’est levé, au pire moment, poussant les flammes vers le beffroi nord. Et l’enchaînement de coïncidences, aussi, que certains appelleront hasard, d’autres destin, d’autres
providence. Il y eut surtout de la bravoure. Celle de ces sapeurs-pompiers, et de leurs chefs, envoyés pour une dernière tentative, plus dangereuse encore que les autres. Ces hommes, escaladant la façade, plongeant dans le feu afin d’empêcher les seize cloches de tomber, et avec elles toute la cathédrale. À 22 h 47 a retenti ce message : nous sommes maîtres du feu. Nos pompiers reprenaient l’avantage. Et il n’y eut, cette nuit-là, aucun mort. Vers minuit, nous avons ouvert le grand portail. La flèche n’était plus. Le transept effondré. Le plomb continuait de couler partout, par flammèches. L’eau. Une odeur âcre, la croix et la pietà, qui apparaissaient dans un éclat singulier. Et la Vierge au pilier, intacte, immaculée, à quelques centimètres à peine de la flèche tombée.
Notre-Dame de Paris était sauvée ; défigurée, mais sauvée par la bravoure, le courage de ces hommes. Alors commencèrent ces minutes où tout pouvait vaciller. Tristesse et désespoir devant un tel drame, incertitude et désolation de ne jamais revoir la cathédrale comme avant. Vertige de découvrir que Notre-Dame de Paris pouvait disparaître, et que nos cathédrales aussi sont
mortelles. Alors nous avons choisi le sursaut, la volonté, le cap de l’espérance. Nous avons décidé de rebâtir Notre-Dame de Paris plus belle encore, en cinq années. Le sursaut, la volonté. Et pour rendre cela possible, une fraternité inédite. Fraternité de ceux qui ont donné sur tous les continents, de toutes les religions, de toutes les fortunes. Unis par l’espérance, et réunis dans ces murs.
Fraternité des compagnons, apprentis, et de tous les métiers, ici réunis. Sous la conduite du général Georgelin, pour qui j’ai ce soir une pensée émue, puis de Philippe Jost et de leurs équipes. Fraternité des échafaudeurs, des grutiers, cordistes, électriciens, forestiers, scieurs, équarisseurs, charpentiers et taillandiers. Et puis les menuisiers d’art, parqueteurs, couvreurs, fondeurs, ferronniers d’art, serruriers, dinandiers, patineurs, lustriers, artisans de la pierre et maçons, tailleurs, carriers, sculpteurs, restaurateurs de sculptures et de peintures, maitres-verriers, facteurs d’orgues et campanistes, archéologues, ingénieurs, chercheurs, historiens, conservateurs, régisseurs d’art, architectes et tant de métiers encore.
Oui, ces femmes et ces hommes, plus de 2000 durant cinq ans, se sont inscrits dans la chaîne de ceux qui, depuis le XIII° siècle, ont bâti la cathédrale. Reconstruisant la forêt de Notre-Dame, cette charpente de 2000 chênes, puis la flèche à l’identique, et
ranimant les pierres et les peintures, redécouvrant cette blondeur. Ils ont montré que nous avions la volonté encore de bâtir de grands desseins, et de continuer la légende des siècles. Durant cinq années ici, chaque femme, chaque homme fut nécessaire pour rebâtir, chaque aide même du bout du monde fut nécessaire pour tenir, chaque geste fut nécessaire, réconciliant la grandeur de cette cathédrale et l’exigence de tous ces métiers.
Nous avons redécouvert ce que les grandes Nations pouvaient faire : réaliser l’impossible.

Cette cathédrale fut ainsi la métaphore heureuse de ce qu’est une Nation, et ce que devrait être le monde. Fraternité d’un peuple déterminé à faire de grands choix ; fraternité universelle et entraide. Notre-Dame nous dit que nos rêves, même les plus audacieux, ne sont possibles que par la volonté de chacun, et l’engagement de tous. Notre cathédrale nous rappelle que nous sommes les héritiers d’un passé plus grand que nous, qui peut chaque jour disparaître, et les acteurs d’une époque que nous avons à transmettre. Notre cathédrale nous dit combien le sens, la transcendance, nous aident à vivre dans ce monde. Transmettre, et espérer. Tel est le sens de ce travail, et de notre présence ce soir. Nous nous inscrivons à notre tour dans ce cortège de bâtisseurs, nous révélant à nous-mêmes face à l’adversité. Les cloches vont sonner, l’orgue va s’éveiller, les fidèles bientôt viendront prier. Le monde retrouvera la cathédrale rebâtie et embellie. Et nous, il nous faudra garder comme un trésor cette leçon de fragilité, d’humilité et de volonté, et n’oublier jamais combien chacun compte, et combien la grandeur de cette cathédrale est inséparable du travail de tous.

Ce soir, ensemble, nous pouvons partager la joie et la fierté. Monseigneur, notre Dame de Paris vous est redonnée. Ensemble, vous avez rendu cela possible. Soyez-en remerciés.
Vivre Notre-Dame de Paris.
Vive la République.
Vive la France.

Emmanuel Macron, président de la République [3]

8 12 2024, vers 4 h 30′

Abu Mohammad al Jolani, (c’est son nom de scène ; à l’état civil, il s’appelle Ahmed Al-Charaa) à la tête des troupes islamistes Hayat Tahrir al-Cham – HTC-  entre à Damas, après une campagne éclair, et fait fuir Bachar El Assad ; cela n’est pas sans rappeler la fuite de Téhéran du Shah, 45 ans plus tôt, sitôt atterri l’ayatollah Khomeini. Abu Mohammad al Jolani s’efforce à se présenter plus tolérant, plus ouvert que les ayatollahs… Faut y voir fini, comme disent les Savoyards. Et de fait, on verra très, trop vite, les limites de l’ouverture quand, le 3 janvier 2025, Abou Mohammed al-Joulani refusera de serrer la main d’Annalena Baerbock, ministre des Affaires étrangères allemande accompagnée de son homologue français Jean-Noël Barrot venus en visite officielle à Damas pour s’entretenir avec lui.

Mais tout de suite, HTC a ouvert toutes les prisons de Damas : finis les interrogatoires, les tortures, les exécutions, le terrorisme d’État. Mais il va falloir veiller, et de très près, à ce que les prisonniers libérés des prisons de Bachar el-Assad et des Kurdes syriens ne soient pas les terroristes qui, hier ont commis les attentats du Bataclan et tant d’autres.

Les soutiens habituels du régime syrien se sont révélés défaillants : Les Russes de Poutine, sont trop occupés en Ukraine pour s’aventurer ailleurs, et les troupes du Hezbollah libanais ont été très affaiblies par les frappes d’Israël. Seules, les troupes de Bachar-el-Assad se sont débandées, sans même combattre. De 2011 à 2024, la guerre en Syrie, surtout civile, aura fait environ 500 000 morts.

La Syrie, durant toutes ces années Bachar-al-Assad, aura financé en partie ses dépenses avec le captagon, une drogue de synthèse très prisée de la jeunesse aisée d’Arabie saoudite et dans les pétromonarchies du golfe Persique. C’est une drogue facile à fabriquer, peu coûteuse, qui donne un sentiment d’invincibilité et permet de calmer la faim et de rester éveillé tard le soir. Dans ce domaine la Syrie était le leader mondial.

Ce commerce générait environ 10 milliards $ par an pour le pays, avec 2,4 milliards $ par an directement pour le régime Assad, selon une étude de 2023 menée par l’Observatory of Political and Economical Networks (Open), une organisation à but non lucratif qui mène des recherches sur le crime organisé et la corruption en Syrie. Quand le groupe HTS a pris le contrôle de Damas, Abou Mouhammad al-Joulani a déclaré : La Syrie est devenue le plus grand producteur de captagon sur Terre, et aujourd’hui, la Syrie va être purifiée par la grâce de Dieu.

*****

On était traités comme des insectes. Les gardiens n’étaient pas humains, c’étaient des démons. Nous n’étions même pas autorisés à les regarder dans les yeux, sinon ils nous frappaient ou nous exécutaient, raconte Aouni Said Khalaf, un masque noir lui couvrant la bouche. Cet ouvrier de 45 ans du camp palestinien de Yarmouk a passé quatre ans dans la zone rouge de Saydnaya, emprisonné pour terrorisme, sur dénonciation.

On a vécu isolé du reste du monde. C’était l’enfer sur terre. On nous nourrissait juste assez pour qu’on reste en vie, poursuit l’homme, père d’un enfant de 7 ans. La nourriture était très mauvaise. Au dîner, trois ou quatre olives, au déjeuner, moins d’une poignée de blé et une demi-pomme de terre bouillie, abonde Hafez Samir Qahtina, un ancien combattant révolutionnaire de Kafr Chams, dans la province de Deraa, arrêté il y a six ans, après les accords de réconciliation entre le régime d’Al-Assad et les anciennes factions révolutionnaires.

Les exécutions étaient devenues si routinières à Saydnaya que lorsque les rebelles syriens ont libéré la prison, dimanche, l’homme de 31 ans a cru sa fin proche. Chaque mercredi, parfois deux jours par semaine, ils exécutaient 150 prisonniers. Lorsqu’on a entendu les tirs dehors et que les portes se sont ouvertes, on a pensé qu’on était tous morts, qu’ils allaient nous tuer, confie ce père de cinq enfants.

Beaucoup de leurs codétenus sont morts sous la torture. La plus petite des punitions était d’être banni, envoyé sous terre dans les égouts, sans nourriture, pour dix-huit jours. Cette punition était infligée sans raison, selon l’humeur des gardiens. Il suffisait que l’un se soit disputé avec sa femme, le matin, confie Aouni Said Khalaf. La torture était une routine. Ils sélectionnaient parmi les vingt prisonniers de notre cellule pour nous battre avec des bâtons en plastique. Ils nous brisaient les os. On devait s’allonger au sol et ils nous piétinaient avec leurs bottes. C’était tellement brutal qu’on avait 70 % de chances d’y rester, poursuit l’homme.

Sa famille a fait l’objet d’un chantage pour qu’il soit transféré à la prison civile d’Adra, où il serait mieux traité. Le gouvernement a contacté sa femme et lui a demandé cinq pièces d’or pour qu’il soit transféré à Adra. Mais on n’avait pas cet argent, regrette son frère, Mohamed. S’il n’avait pas été libéré par les rebelles, Aouni Said Khalaf aurait été exécuté, car il était condamné à mort. Il se sait psychologiquement fragile, mais il est vivant.

Assailli par des familles qui recherchent leurs proches, il regarde chaque photo, l’air contrit. Non, désolé, je ne l’ai pas connu, répète-t-il. Je ne connais le nom que de ceux qui partageaient ma cellule. Nous n’étions que des numéros. Je ne pense pas qu’il reste des vivants parmi ceux qui ont été emprisonnés avant 2016.

Hélène Sallon Le Monde du 12 décembre 2024

Khaled Badawi, libéré de la prison Saydnaya. Laurence Geai/ Myop pour Le Monde 

Syrie : bunker, voitures de luxe… Les vestiges de la vie de palace de ...

Palais de Bachar Al Assad

14 12 2024

Mayotte est ravagée par le cyclone Chido : des vents à 220 km/h, 100 mmm de pluie entre 8 et 18 h, des vagues entre 5.3 et 7.3 m.  qui désintègrent tous les bidonvilles, les tôles s’envolent comme des feuilles. Il faut remonter à 1934 pour retrouver un cyclone d’une telle puissance. C’est plus d’un tiers des 320 000 habitants de l’île qui vit dans des bidonvilles. On compte au moins 39 morts et 4 000 blessés. Tout va manquer, électricité, nourriture mais surtout l’eau. Une réunion de crise se tiendra à Paris le 16 au soir, à laquelle François Bayrou n’assistera que par visioconférence car il a jugé plus important de jouer son rôle de maire de Pau pour un conseil municipal prévu de longue date, que celui de chef du gouvernement d’un pays dont le département le plus pauvre vient d’être meurtri. Le décompte des morts va être rendu difficile car la population, à majorité musulmane a pour tradition d’enterrer rapidement ses morts. Et si ce n’est la tradition musulmane, c’est, plus simplement, l’impossibilité de payer des obsèques légales, ou la nécessité de cacher le décès d’un immigré clandestin. Les secours – sécurité civile, pompiers seront très rapidement mobilisés pour apporter aide et secours. 110 membres de la sécurité civile et pompiers avaient déjà été prépositionnées dès le vendredi avant l’arrivée du cyclone. Les six escadrons de gendarmerie sur place vont protéger du pillage les supermarchés et commerces. L’armée de terre, la marine et des transporteurs maritimes privés sont mobilisés pour acheminer des secours via la Réunion, elle-même approvisionnée depuis la métropole. À peu près dans le même temps, Alain Minc disait haut et fort qu’en dépit d’une gouvernance défaillante de la France, l’État continuait à agir, et avec efficacité : les secours apportés à Mayotte sont là pour en témoigner.

Dix jours après le passage de Chido, 80 % des baraques des bidonvilles auront été remises sur pied.

Ce qu'il faut savoir sur Mayotte, le 101e département français

Mayotte

Archipel de l’Océan indien qui a choisi de rester français en 1974, Mayotte, en proie à un mouvement de contestation depuis février, est confronté à une forte pression migratoire en provenance des Comores voisines. Situé à mi-chemin entre l’île de Madagascar et le Mozambique à l’est de l’Afrique, Mayotte est un petit ensemble d’îles faisant géographiquement partie de l’archipel des Comores. Mayotte se trouve à 1.700 km de La Réunion, 350 km de Madagascar mais à moins de 70 km d’Anjouan, l’une des trois grandes îles composant l’État indépendant des Comores. Cette proximité facilite le flux d’immigration clandestine en provenance des Comores, un des États les plus pauvres au monde.

Le plus souvent arrivés sur de grandes barques de pêches traditionnelles, les kwassa-kwassa, les immigrés comoriens composent plus de 40 % de la population du département (chiffre Insee pour 2015). Mayotte comptait en septembre 2017 256.500 habitants. Le nombre d’habitants a doublé en l’espace de vingt ans. Cet archipel est le département français avec la plus forte croissance démographique, devant la Guyane. Mayotte est aussi le département le plus jeune de France: un Mahorais sur deux a moins de 17 ans (chiffres 2012 de l’Insee) et le nombre des naissance y a bondi de 45 % entre 2013 et 2016.

Mais Mayotte est également une terre de forte émigration : 26 % des natifs de Mayotte (résidant en France) vivent hors de leur département d’origine : généralement en métropole ou à La Réunion. Enserrée dans un lagon de 1.000 km², le territoire de Mayotte a une superficie totale de 375 km², répartie principalement en deux îles : Grande-Terre (363 km²) et Petite-Terre (11 km²).

Le chef-lieu Mamoudzou est, sur Grande-Terre, la ville la plus peuplée avec plus de 71.000 habitants en 2017. Surnommée l’île aux parfums, devenue colonie française en 1843, Mayotte est la seule grande île de l’archipel des Comores à s’être prononcée pour un maintien dans la communauté française. Mayotte s’est séparée du reste des Comores en 1974, lors d’un référendum où les trois autres îles avaient choisi l’indépendance. En mars 2011, Mayotte est devenue le 101° département français après un référendum organisé en mars 2009. Le taux d’illettrisme pour les 16 à 64 ans y dépasse les 40 % et le taux de chômage y est supérieur à 25 % (25,9 % en 2017) Le PIB par habitant de Mayotte reste très éloigné de celui des autres régions françaises : en 2012 il était de 7.940 €, quatre fois moins que dans le reste de la France (31.100 €/hab) et deux fois et demi plus faible que dans les autres DOM (19.400 €).

Mais Mayotte fait figure de riche face à ses voisins immédiats. Le PIB par habitant y est 13 fois plus important que celui des Comores et 23 fois supérieur à celui de Madagascar.

Le Point. 13 03 2018

Situation dramatique en Lozère (petite leçon de bi-standard social et ...

Cyclone à Mayotte: «plusieurs centaines» voire «quelques milliers» de ...

fin 2024

L’Europe décroche.

Dans le dernier trimestre de l’année, les rapports de Mario Draghi, ancien président du Conseil italien, ancien directeur de la BCE – Banque Centrale Européenne – et de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande exposent sans détour la situation périlleuse de l’Europe face aux géants d’aujourd’hui : les États-Unis et la Chine

Mario Draghi identifie le mal : manque d’investissement dans la recherche, d’appétence pour le risque, d’écosystème financier… Mais l’Europe perd aussi en productivité et donc en capacité à croître et créer de la richesse parce qu’elle travaille moins que les Américains et les Asiatiques. Un choix de société que le monde entier nous envie mais qui a son revers, la marginalisation économique qui limite la capacité de réaction face aux défis géopolitiques et environnementaux…

Sauli Niinistö, lui, recommande à chaque foyer européen de faire des réserves d’eau et de nourriture pour tenir 72 heures en cas de crise majeure, soulignant notre totale impréparation face aux dangers sécuritaires qui nous guettent. Cruelle vérité : la Russie consacre désormais plus d’argent à sa défense que l’ensemble des pays européens réunis.

Des plans d’investissement massifs seraient nécessaires, mais ils sont aujourd’hui entravés par la situation économique de l’Allemagne qui s’enfonce dans la récession et de la France qui croule sous les déficits, avec un chômage qui repart à la hausse  – 2 400 licenciements chez Auchan, 2 000 chez Michelin -. Les entreprises qui, pendant le Covid, ont bénéficié de prêts qui leur ont permis de garder la tête hors de l’eau, doivent fin 2024 rembourser, et c’est, après deux ans de soins palliatifs,  la plongée vers la fermeture.

L’économiste Antonin Bergeaud parlera le 13 novembre au collège de France devant M.M. Macron et Draghi, du décrochage européen par rapport à l’Amérique :

En 2005, aux Etats-Unis, les cinq premières entreprises déposantes de brevets de recherche étaient les sociétés Procter & Gamble, 3M, General Electric, DuPont et Qualcomm. Du grand public, de l’électricité, de la chimie et des télécoms.

La même année, en Europe, Siemens, Bosch, Ericsson, Philips et BASF trustaient le top 5. À peu près les mêmes secteurs des deux côtés de l’Atlantique.

En 2023, les cinq premiers américains sont Microsoft, Apple, Google, IBM et Qualcomm. Du numérique à tous les étages. En Europe, on dirait un copié-collé de 2005 : Bosch, Ericsson, Philips, BASF, seul le chimiste Bayer a remplacé Siemens.

Cette comparaison montre deux choses essentielles. D’une part, la capacité étonnante du capitalisme américain à se renouveler. Et d’autre part, le basculement violent vers le secteur du numérique. C’est ce dernier à lui seul qui explique le décrochage de l’Europe. On ne peut s’empêcher de citer le cas de Mira Murati cette Albanaise de 35 ans directrice technique chez Open A.I. qui, fatiguée de la gestion autoritaire de Sam Altman, claque la porte et s’en va monter sa start-up en levant 100 millions $ sans aucune difficulté. Allez donc trouver des banquiers aussi réactifs en Europe, car il s’agit bien des banquiers et non des demandeurs : les grand talents existent aussi en Europe. En France Polytechnique cherche de l’argent car celui de l’État ne lui suffit pas : en 2013, elle a obtenu 35 millions €, en 2021 87 millions € et avec Laura Chaubard comme directrice à partir de 2022, elle espère réunir 200 millions € dans les cinq ans à venir en partant de 2024. Le constat prend soudain une actualité brûlante quand on s’aperçoit que des sociétés issues du numérique, comme l’américain Tesla ou le chinois BYD, sont devenues le pire cauchemar des constructeurs automobiles européens. Leur dernier bastion technologique attaqué par une entreprise californienne et un fabricant de batteries pour smartphones.

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Dans la rubrique on n’arrête pas le progrès, on notera que l’on trouve des mendiants qui savent s’adapter : face à la raréfaction des passants ayant sur eux de la petite monnaie, on en voit qui se munissent d’un terminal de carte bancaire : un bisou du smartphone du donateur sur la fenêtre sans contact du terminal du mendiant et emballé, c’est pesé !

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LISA, – Laser Interferometer Space Antenna – le projet fou d’un mégadétecteur spatial d’ondes gravitationnelles

Le détecteur constitué de trois satellites espacés de 2,5 millions de kilomètres les uns des autres devrait s’envoler en 2035. Il captera notamment des fréquences bien plus basses que ses homologues terrestres.

UNIVERSITY OF FLORIDA / SIMON BARKE (CC BY 4.0)

Si l’on accole l’expression projet fou à des installations scientifiques impressionnantes comme le Grand Collisionneur de hadrons – l’accélérateur de particules souterrain de 27 kilomètres de long où a été découvert le boson de Higgs – ou le Super-Kamiokande – un détecteur de neutrinos lui aussi enfoui et contenant 50 000 tonnes d’eau pure -, comment qualifier LISA ?

Piloté par l’Agence spatiale européenne (ESA), avec une participation américaine, ce premier détecteur spatial d’ondes gravitationnelles, censé partir dans l’espace vers 2035, flirte avec la folie : trois vaisseaux identiques volant de conserve et formant un triangle équilatéral de 2,5 millions de kilomètres de côté. Avec pour tâche de mesurer des déformations de l’espace-temps de quelques dizaines de picomètres. Rappelons qu’un picomètre est un milliardième de millimètre…

Pour saisir l’exploit technique que LISA représente, décrivons son principe de fonctionnement. Chaque vaisseau est une sorte de coffre-fort contenant deux lingots faits d’un alliage d’or et de platine et flottant en impesanteur. Et chacune de ces deux masses d’épreuve, pour reprendre le terme scientifique, est reliée au lingot d’un des deux autres satellites par des lasers synchronisés, permettant de mesurer la distance qui les sépare avec la précision diabolique requise.

Une partie du défi consiste à s’assurer que les changements mesurés sont dus aux ondes gravitationnelles et non au bruit ambiant comme les variations des champs magnétiques, le rayonnement solaire et les particules électriquement chargées émises par le Soleil, les vibrations du vaisseau spatial, les changements de température et un très grand nombre d’autres effets similaires, explique l’Allemand Oliver Jennrich, spécialiste des ondes gravitationnelles à l’ESA et qui travaille sur le projet. Le choix de l’or et du platine rend les masses d’épreuve très denses et minimise leur sensibilité aux champs magnétiques. La faisabilité de l’expérience a par ailleurs été testée – avec succès – par la mission LISA Pathfinder entre décembre 2015 et juillet 2017.

Pourquoi envoyer un détecteur complexe dans l’espace alors qu’il en existe déjà sur notre planète ? Parce que LISA, avec la taille gigantesque de ses bras, captera des ondes gravitationnelles à des fréquences bien plus basses que ses homologues terrestres LIGO et Virgo dont les bras ne dépassent pas les 4 kilomètres. Cette gamme de fréquences leur est inaccessible en raison des nombreuses forces perturbatrices au sol, qu’il s’agisse de bruits artificiels tels que la circulation, de bruits naturels tels que les vagues de l’océan frappant la côte, de grands phénomènes météorologiques ou de déplacements de grandes coulées de magma dans le sous-sol, précise Oliver Jennrich.

Avec LISA, les scientifiques auront accès à des phénomènes cosmiques différents, comme la fusion des trous noirs géants qui trônent au centre de nombreuses galaxies. La mission devrait aussi détecter des millions de systèmes binaires compacts, c’est-à-dire des couples d’étoiles mortes, l’une s’étant transformée en étoile à neutrons et l’autre en naine blanche. Autre espoir des astrophysiciens, attraper des ondes gravitationnelles provenant de l’Univers précoce, à l’instar du rayonnement fossile émis 380 000 ans après le Big Bang, que l’on voit dans le domaine des ondes électromagnétiques.

Un des défis de LISA consistera à faire le tri dans tout ce ramdam. Les chercheurs estiment que, tout comme on parvient à distinguer la conversation à sa table dans un restaurant bondé, les signaux les plus saillants émergeront du bruit de fond. La fusion de trous noirs massifs devrait, quant à elle, créer des signaux de forme caractéristique que l’on pourra guetter dans le flux de données.

Si LISA décolle bien en 2035, elle n’observera pas le cosmos avant 2037, le temps pour ses trois vaisseaux de se positionner à 50 millions de kilomètres de la Terre, qu’ils suivront dans sa course autour du Soleil. Prévue pour durer au moins quatre ans, mais plus probablement dix, cette ambitieuse mission coûtera 2,5 milliards €, dont environ 1,8 milliard pris en charge par l’ESA.

Pierre Barthélémy. Le Monde du 14 octobre 2024

On est tout de même en droit de s’interroger sur l’utilité de tout cela, financé pour plus de la moitié par l’argent des contribuables. Mais bon, admettons que le pékin moyen ne soit pas à même de saisir le bien-fondé de l’affaire, il reste qu’on pourrait tout de même envisager d’introduire dans ces bunkers un peu plus de démocratie, par exemple, en soumettant ce genre de projet à référendum, dont le résultat serait à coup sûr le rejet total du projet.

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État des lieux des EMR – Energies Maritimes Renouvelables – en France. En 2030, éoliennes et panneaux photovoltaïques devraient fournir 55 % de l’électricité de l’Union Européenne. Les EMR sont constitués pour le principal d’éoliennes dont les mats sont fixés sur le sol sous-marin quand il fait moins de 50 m ; au-delà pour les grandes profondeurs, jusqu’à 300 m. elles sont solidaires de quatre flotteurs sur lesquels on met en œuvre le même type d’ancrage que les navires, sinon qu’il y a quatre ancres pour avoir une bonne stabilité. Mais il existe aussi en mer des fermes de panneaux solaires photovoltaïques et encore, mais là, à titre tout à fait expérimental, des turbines posées sur le fond qui tournent grâce aux courants.

Les Chinois et plus précisément l’entreprise Dongfang Electric Corporation (DEC) a réalisé la plus grande éolienne du monde, pyramidale de Type Omega. C’est à Fuzhou, dans la province chinoise de Fujian, sur la côte du pays faisant face à Taïwan. La turbine culmine à 340 mètres de hauteur . Son moyeu s’élève à 185 mètres et chacune des trois pales dont elle dispose mesure plus de 150 mètres. Cela donne une surface de rotation gigantesque de 75 477 m², qui correspond à celle de 14 terrains de football américain tandis que l’envergure des trois pales de l’éolienne équivaut à celle de 12 Boeing 747.

Le baromètre des ENR électriques 2018 entérine le triste constat sur les énergies marines

7 01 2025

L’AMOC – Atlantic Meridional Overturning Circulation – envoie le Gulf Stream aux oubliettes.

Un système de tempêtes colossal qui gèle tout sur son passage, avec des températures chutant à – 101 °C ; d’énormes grêlons qui frappent Tokyo ; de gigantesques tornades qui détruisent Los Angeles ; New York figée dans la glace… En 2004, le film hollywoodien Le Jour d’après, du réalisateur Roland Emmerich, dépeignait les conséquences catastrophiques d’une perturbation de la circulation de l’océan Atlantique, conduisant à une nouvelle ère glaciaire.
D’un point de vue scientifique, le scénario est totalement irréaliste, tant sur l’amplitude du refroidissement que sur l’échelle de temps : en quelques jours plutôt que sur des décennies ou des centaines d’années.

Reste que le blockbuster aborde une menace qui inquiète toujours davantage les scientifiques et qui suscite de vifs débats : le risque d’un effondrement de la principale circulation océanique de l’Atlantique. Cette circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (ou AMOC, son acronyme anglais) contribue notamment à maintenir un climat doux en Europe et à réguler la température de l’Amérique du Nord.

Dans une lettre ouverte, publiée fin octobre 2024 et adressée aux dirigenats du Conseil nordique des ministres, 44 scientifiques du climat mettaient en garde contre le risque d’un effondrement de l’AMOC, aux effets irréversibles et dévastateurs, en particulier pour les pays nordiques, mais également pour l’ensemble du monde. Plusieurs études récentes, soulignent-ils, suggèrent que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a grandement sous-estimécette menace et que le franchissement d’un point de bascule est une possibilité sérieuse dès les prochaines décennies.

Il serait alors très difficile d’empêcher un effondrement complet de l’AMOC, précise l’océanographe et climatologue Stefan Rahmstorf, du Potsdam Institute for Climate Impact Research, et l’un des signataires de la lettre. Cet effondrement ne s’achèvera probablement qu’à la fin du siècle ou plus tard, mais de graves répercussions se feront déjà sentir en cours de route.

Avant d’entrer dans les projections scientifiques, il est nécessaire de plonger dans les méandres de cet ensemble complexe de courants océaniques, souvent confondus avec le Gulf Stream.

L’AMOC transporte de l’eau chaude salée de l’équateur vers les pôles, au large des côtes américaines, puis de l’Europe du Nord et de l’Ouest, jusqu’aux mers arctiques bordant le Groenland et la Scandinavie. Là, ces courants de surface se refroidissent, s’alourdissent et plongent, jusqu’à 1 000 mètres de profondeur, avant de repartir vers le sud de l’hémisphère Sud plus en profondeur encore, décrit Didier Swingedouw, chercheur (CNRS) au Laboratoire environnements et paléo-environnements océaniques et continentaux à Bordeaux, et l’un des signataires de la lettre.

Cette circulation constitue l’un des plus grands systèmes de transport de chaleur de la planète : avec un débit de 18 millions de m³ par seconde (environ cent fois l’Amazone), elle transfère de l’énergie à une puissance de 1 pétawatt, soit l’équivalent de la puissance d’un million de réacteurs nucléaires. Au-delà de réguler le climat des hautes latitudes, l’AMOC affecte également le régime des pluies dans les tropiques, contribue à stocker du CO2 en profondeur et transporte des nutriments essentiels à la biodiversité marine.

Mais cette circulation devrait ralentir, voire pourrait s’arrêter, en raison du dérèglement climatique. D’abord, parce que les eaux de surface deviennent plus chaudes, donc moins denses. Ensuite, la fonte du Groenland et la hausse des précipitations augmentent l’apport en eau douce dans l’Atlantique, ce qui réduit la salinité de l’eau, donc sa densité. La convection, c’est-à-dire le mélange des eaux, devient plus compliquée et il pourrait n’être plus possible de former des eaux denses profondes. Donc, tôt ou tard, l’AMOC ralentira, explique Julie Deshayes, directrice de recherche à l’Institut Pierre-Simon-Laplace à Paris. Dans ce cercle vicieux, un seuil pourrait être franchi au-delà duquel l’AMOC ne pourrait revenir à son état initial et finirait par s’arrêter.

Ce point de bascule aurait des conséquences désastreuses. Une catastrophe dans la catastrophe du changement climatique, résume Julie Deshayes. Les températures pourraient chuter de plusieurs degrés dans certaines zones de l’Amérique du Nord et de l’Europe du Nord, même si ce refroidissement serait atténué par le réchauffement climatique.

La France se refroidirait d’environ 1 °C au cours de la période 2075-2100, par rapport à la moyenne 2020-2025, dans le cas d’un effondrement de l’AMOC débutant en 2070 et d’une poursuite de la trajectoire actuelle de réchauffement, précise Henk Dijkstra, l’un des auteurs d’une étude récente sur l’AMOC. À l’inverse, la température augmenterait dans l’hémisphère Sud. Le contraste accru entre les températures alimentera davantage de phénomènes extrêmes, comme les pluies diluviennes, les tempêtes ou les sécheresses extrêmes, prévient Stefan Rahmstorf. La viabilité de l’agriculture dans le nord-ouest du Vieux Continent serait également menacée.

Une crise alimentaire majeure se profilerait dans les tropiques. Les moussons africaines et sud-américaines seraient déplacées vers le sud de 500 à 1 000 kilomètres, provoquant une baisse de 30 %des précipitations au Sahel affectant les cultures vivrières. Plusieurs dizaines de millions de personnes se retrouveraient en situation d’insécurité alimentaire, ce qui pourrait fortement augmenter la pression migratoire, prévient Didier Swingedouw. Les moussons asiatiques pourraient également diminuer. Enfin, un arrêt de l’AMOC réduirait l’absorption du dioxyde de carbone par les océans, ce qui aggraverait le réchauffement climatique, et augmenterait l’élévation du niveau de la mer.

Un tel scénario peut-il se produire, et surtout à quelle échéance et à quelle vitesse ? Dans son dernier rapport, publié en 2021, le GIEC conclut, avec une confiance modérée, qu’un effondrement brutal n’aura pas lieu avant 2100. Il estime en revanche qu’il est très probable que l’AMOC diminuera d’un tiers en moyenne au cours du XXIe siècle, avec une fourchette de – 3 % à – 72 %, selon les modèles et simulations, précise Didier Swingedouw.

Les scientifiques n’ont qu’une confiance faibledans l’ampleur et le rythme du ralentissement à venir, mais également dans le fait que l’AMOC aurait déjà ralenti ces dernières décennies. Cette circulation pourrait être à son niveau le plus abs depuis un millénaire. Mais les observations directes, qui mesurent la force de l’AMOC, sont peu nombreuses et n’existent que depuis 2004, une tendance trop courte pour distinguer la signature du changement climatique de la variabilité naturelle, rappelle Julie Deshayes.

Les modèles climatiques ont sous-estimé le risque, avance Stefan Rahmstorf, parce qu’ils n’incluent pas la fonte des glaces du Groenland. De sorte qu’ils ne voient pas la principale preuve, à ses yeux, d’un ralentissement de l’AMOC depuis les années 1950 : le développement d’une zone froide au sud-est du Groenland, que les Anglo-Saxons appellent cold blob. Cette région est le seul endroit du monde à s’être refroidi depuis la fin du XIXe siècle, alors que tout le reste de la planète se réchauffe, affirme-t-il.

Pour Didier Swingedouw, ce cold blob serait lié à la variabilité naturelle du climat. Et d’autres paramètres, comme le fait que l’Atlantique tropical s’avère de plus en plus salé, pourraient éviter un effondrement de l’AMOC. Stefan Rahmstorf, de son côté, estime que la variabilité interne est plausible sur quelques décennies, mais pas pour expliquer une tendance de plus d’un siècle. Il met en lumière d’autres études concluant que le cold blob est dû à nos émissions.

Les scientifiques se rejoignent, en revanche, sur les limites des modèles de climat pour réaliser des projections sur l’AMOC. La majorité des simulations des modèles s’arrêtent en 2100. On en a une dizaine qui regardent au-delà désormais et qui montrent que l’AMOC peut s’effondrer plus tard, par exemple autour de 2150, affirme le chercheur bordelais.

Face à ce sujet très complexe, Julie Deshayes, elle, préfère s’en tenir au consensus du GIEC. Elle craint également que le sujet n’alimente le climatoscepticisme, avec la perspective d’un refroidissement dans certaines régions du monde. Que l’AMOC ralentisse ou s’effondre, les conséquences seront colossales et la conclusion est toujours la même, rappelle-t-elle : Il faut arrêter d’émettre des gaz à effet de serre et faire une transition écologique urgente.

Audrey Garric Le Monde du 7 01 2025

2025

Première centrale osmotique au monde et c’est en France.

Cet article de Sciences et Avenir a été repris intégralement, car il montre bien le cheminement, le plus souvent très long, qu’il y a entre une idée et sa réalisation au stade industriel. Comme il arrive bien souvent il y en a un ou plusieurs, qui essuient les plâtres, c’est à dire qui subissent les inévitables défauts des premiers pas. Dans le cas présent, c’est la Norvège dont la centrale osmotique sortait un prix du KWh tel qu’il était impensable que cela puisse durer. Car c’est bien le prix qui fait la loi : vous sortez un produit génial mais dont le prix est tellement supérieur à ce qui existe d’à peu près équivalent sur le marché qu’il est impossible de le commercialiser. Donc il faut que le prix de vente permette d’être concurrentiel.

C’est en pleine Camargue, à Port-Saint-Louis-du-Rhône, que sera mise en fonction en cette fin 2024, la première centrale osmotique de France. Un projet unique au monde. Il aura fallu moins de dix ans à l’entreprise Sweetch Energy, en collaboration avec la Compagnie nationale du Rhône et EDF Hydro, pour mettre au point ce premier modèle de centrale reposant sur le principe de la diffusion ionique nano-osmotique. Traduit du jargon électrochimique, cela donne une centrale qui peut produire de l’électricité grâce à la rencontre entre l’eau douce du fleuve et de la mer. Cette station pilote de seulement quelques centaines de mètres carrés, construite sur l’écluse de Barcarin dans le delta du Rhône, pourra générer à elle seule près de 4 térawattheures (TWh) par an. Soit de quoi fournir de l’électricité propre et permanente pour près de 2 millions d’habitants, l’équivalent de m’agglomération de Marseille et ses environs, annonce Nicolas Heuzé, cofondateur et directeur général de la start-up. À titre de comparaison, un réacteur du parc nucléaire français a produit entre 5 et 6 TWh sur l’année 2023. Avec près de 40 millions € apportés au projet depuis 2017 pour l’ensemble des recherches et des expérimentations, c’est un investissement sans précédent dans l’histoire industrielle de l’énergie osmotique.

Pour le directeur général de Sweetch Energy, un nouvel horizon s’ouvre sur le marché des énergies renouvelables. Si nous investissons les quelques 10 000 plus gros deltas du globe, qui représentent un gisement annuel de 30 000 TWh, l’énergie osmotique peut fournir près de 15 % de l’électricité de la planète d’ici à 2050 ! Et de façon entièrement décarbonée, sans transformation d’un combustible. L’énergie osmotique résulte du simple mélange entre l’eau douce et l’eau salée au cœur des deltas et estuaires. Elle est permanente et ne nécessite aucune forme de stockage.

L’osmose est une diffusion de molécules entre deux milieux de salinités différentes, rappelle Lydéric Bocquet, physicien au CNRS et spécialiste de la mécanique des fluides. De cette rencontre peut résulter une très grande source d’énergie. Ici, elle provient du mélange des ions (atomes chargés positivement ou négativement) du sel contenu dans l’eau de la mer, le sodium (Na+) et le chlorure (Cl-) avec l’eau très peu salée du fleuve se jetant dans la mer. On parle d’entropie de mélange. 

Le procédé paraît si simple qu’on se demande pourquoi il ne s’est pas imposé depuis sa mise au point, dans les années 1950. Il y a deux raisons à cela, explique Lydéric Bosquet. La première, c’est la concurrence avec le gaz, le charbon, le pétrole, etc … alors qu’il n’y avait pas encore l’urgence écologique ; quant à nous, en France, nous avions tout misé sur le nucléaire. La deuxième, c’est le coût. En effet, le premier modèle de centrale osmotique construit en 2009 par les Norvégiens de Statkraft affichait un coût de production du mégawattheure à environ 1 000 € – contre environ 60 à 70 € pour le nucléaire. Elle ferma ses portes au bout d’à peine quatre ans. Pour baisser la facture, il fallait repenser la technologie.

C’est dans les laboratoires de Sweetch Energy à Rennes, qui font également office de micro-usine, qu’a été conçue une méthode permettant de générer directement de l’électricité à partir des interactions entre les molécules de sel et d’eau, sans passer par une turbine comme dans la solution norvégienne. Le point de départ fut un article de Lydéric Bosquet publié dans la revue Nature en 2013 : nous avons injecté de l’eau plus ou moins salée dans des nanotubes en nitrure de bore. Nous avons découvert que, selon la composition chimique du nanotube, le mélange d’eau et de sel produisait un courant ionique considérable. L’intensité de ce courant résulte des interactions entre les ions du mélange d’eau salée et le nitrure de bore.

Ces découvertes permirent d’envisager de nouvelles voies pour extraire l’énergie osmotique au sein des deltas, là où les flux de cations (les ions sodium Na+ chargés positivement) et d’anions (les ions chlorure Cl- chargés négativement) du  sel de mer rencontrent les molécules d’eau douce. Un tout nouvel univers qu’il a fallu appréhender, explique Bruno Mottet, cofondateur et directeur scientifique de Sweetch Energy : Tout l’enjeu était de savoir comment dégager suffisamment de charges positives d’un côté et de charges négatives de l’autre afin d’obtenir une différence de potentiel, comme pour une simple pile. Et donc être capable de produite de l’électricité.

Six années d’expérimentations furent nécessaires pour produire un prototype capable de générer de l’électricité. Quant au module prêt à être industrialisé, il ne fut achevé qu’en 2023. Bruno Mottet explique pourquoi le défi était si difficile à relever : Pour avoir deux pôles de charge différente et régénérer la pile, il nous fallait trouver une matière qui laisse d’abord passer les ions positifs d’un côté tout en bloquant les ions négatifs. Elle serait alors traversée d’un fort courant ionique positif. Mais elle devrait également être facilement transformée en une autre qui, cette fois-ci, laisserait passer les ions négatifs tout en bloquant les ions positifs. Celle-ci serait alors traversée d’un fort courant ionique négatif. C’était tout à fait concevable, sachant que ces deux types d’ions ne possèdent pas la même taille. 

Les ingénieurs ont alors repris l’idée d’une fine membrane semi-perméable permettant le passage de certains ions, développée pour les premières usines de dessalement dans les années 1970. Elle stoppe les molécules de sel mais laisse passer les molécules d’eau. Nous nous sommes ensuite inspirés de l’agroalimentaire où l’on utilise des membranes avec des pores de différentes tailles pour laisser passer ou non certaine bactéries et protéines, poursuit Bruno Mottet. 7 000 expériences plus tard et après avoir testé six matériaux différents, dont l’oxyde de titane et différents oxydes métalliques, la solution est enfin trouvée : un biopolymère issu des parois végétales. L’idée nous est venue en étudiant son usage dans le traitement des eaux usées de l’industrie textile. Il absorbait de façon sélective certains colorants et d’autres non. Outre le fait de présenter toutes les qualités requises, il était largement répandu dans la nature, recyclable et très peu couteux ! 

Dans la centrale du delta du Rhône seront installée plusieurs centaines de modules osmotiques. À l’intérieur de chacun, des centaines de membranes empilées, soit les milliers de mètres carrés de membranes brevetée Inod (Ionic nano osmotic diffusion). Grâce aux évolutions rapides de notre technologie et aux effets d’échelle, nous visons un coût de production du mégawattheures entre 50 et 100 € pour une électricité propre et disponible en continu affirme Nicolas Heuzé. De quoi sérieusement concurrencer le nucléaire ou l’éolien (environ 70 €/MWh). Avec quels impacts sur la nature ? Nous ne modifions pas la composition chimique du delta, assure Bruno Mottet. L’eau est intégralement restituée au milieu naturel. Le seul changement serait une baisse de température de quelques dizaines de degrés due à la récupération de l’énergie osmotique. Avec le réchauffement climatique, c’est peut-être un bénéfice supplémentaire ? À l’heure actuelle, il n’existe aucun autre projet de ce type dans le monde, sinon de futures collaborations avec la start-up française en Asie et en Amérique du Nord. Nous sommes évidemment très attentifs à la Chine, mais elle n’en est qu’au stade de la recherche universitaire, nous avons plusieurs années d’avance estime Nicolas Heuzé.

Kirill Nitkine. Sciences et Avenir N° 932. Octobre 2024

L’énergie osmotique résulte du mélange entre l’eau douce et l’eau salée au cœur des deltas et estuaires. Dans l’installation industrielle sur le Rhône, chaque module est divisé en compartiments séparés par des membranes et remplis, tour à tour, d’eau douce et d’eau de mer. Avec cette disposition alternée, on obtient d’une membrane à l’autre un courant ionique positif et un courant ionique négatif. En fixant des électrodes aux extrémités de chaque module, les membranes se chargent en électrons générés par les interactions électrochimiques d’un bout à l’autre du module. Le courant ionique devient un courant électrique. On obtient ainsi un gigantesque dispositif de piles en série.

L’énergie osmotique, une histoire déjà longue.

  1. C’est en 1954 que paraît le premier article scientifique portant sur l’énergie osmotique, signé du Britannique Richard Pattle. Le phénomène d’osmose, par lequel les molécules d’eau sont attirées par les molécules de sel de l’eau de mer, y est décrit comme un potentiel pouvant générer de l’électricité. Au même titre que le débit d’un fleuve ou une chute d’eau convertis en énergie hydraulique.
  2. En 1958, les chimistes américains Sydney Loeb et Srinivasa Sourirajan créent la première membrane semi-perméable à l’université de Californie. Un système de séparation qui, au sein d’un phénomène osmotique, s’avère très efficace pour déminéraliser l’eau de mer.
  3. En 1975, Sydney propose un premier modèle de centrale électrique osmotique dans un article très détaillé. Il ne cache pas le coût d’un tel système.
  4. Ce n’est qu’en 2009 que la première centrale osmotique voit le jour en Norvège (elle fermera en 2013 : trop cher), confirmant enfin les prévisions de Loeb.

Sciences et Avenir N° 932 Octobre 2024

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[1] Un architecte est un manuel, beaucoup plus proche d’un maçon, d’un menuisier, d’un charpentier, d’un couvreur que d’un maitre de conférence addict aux plateaux télé pour y faire au moindre prix la promo de son bouquin. Sa parole rend des comptes ; le dire est au service du faire.

[2] Le 1° juillet 987, Hugues Capet avait été élu roi par ses pairs. À l’un  d’eux qui contestait sa légitimité, il lança : Qui t’a fait comte ? Lequel comte lui renvoya la flèche avec un Qui t’a fait roi ? En 2017, sans les voix des électeurs Modem, le parti présidé par François Bayrou, Emmanuel Macron n’aurait pas pu être élu à la présidence de la République.

Mais pour une colère à l’Élysée, ce n’est pas une première : ministre des Affaires Étrangères de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé avait débarqué en juin 2011 dans son bureau pour lui dire sa colère d’avoir organisé en douce, sans lui en parler, une mission de bons offices en Lybie remplie par Bernard Henri Lévy, qui n’avait rigoureusement aucun titre pour cela, sinon son immense culot, et sa tchacht.

[3] Si l’on peut se féliciter de la bonne entente entre l’archevêché de Paris et le palais de l’Élysée, il n’en avait pas été du tout de même lors du Te Deum d’août 1944 : le général de Gaulle avait catégoriquement refusé au cardinal Suhard d’y paraître : ses sympathies envers le Maréchal Pétain avaient été beaucoup trop manifestes tout au long de l’Occupation.