À Séville, en Espagne, la demi-finale de la Coupe du Monde de foot oppose l’Allemagne à la France : C’était une parole en l’air, creuse comme un ballon de foot. Un propos de couloir, un aveu au confessionnal de la machine à café. Sauf qu’il fut fait devant un chef qui se prit illico pour un disciple de Freud. Ecris-le !, me dit le hiérarque en sa bienveillance. Et me voilà à nu devant ma bécane, livrant à un clavier réfractaire ma douleur intime, mon Œdipe : je ne me remets pas de la défaite de la France contre l’Allemagne à Séville, en 1982.
Trente-deux ans ont passé, soit sept Coupes du monde, et bientôt huit, selon le calendrier astronomique de notre temps, qui égrène le retour régulier d’une pluie d’étoiles sur notre modeste Terre, soudain résumée à un champ clos à la chaux. Trente-deux ans… Un long bail dans une vie d’homme et pourtant le chagrin, la fêlure, sont toujours là. Ce 8 juillet reste inguérissable. Un traumatisme. Une longue psychanalyse entamée depuis, allongé sur un divan, devant ma télé, à regarder l’équipe de France distiller ses victoires et ses défaites, ses matchs ciguës et ses moments de grâce, n’y a rien fait. C’est que, dans cette demi-finale au bord de la crise de nerfs, dans ce 3-3 après prolongations puis dans cette élimination de la France aux tirs au but, ne se joua pas seulement un match d’anthologie, un des plus grands de l’histoire du football, reconnu comme tel par l’universelle des amoureux de la baballe. Pour le Français en bourgeon, le Bleu que j’étais, garçon privilégié car né dans la ouate de l’après-guerre d’Algérie, cette chienne nuit fut une éducation au malheur. Cette cruauté gratuite, cette joie qu’on vous donne et qu’on escamote soudain, cette apothéose du cynisme sportif, cette défaite de la beauté, ce triomphe de l’impunité et, disons-le, du Mal…
Lors de ce match, une jeunesse découvrit l’injustice à l’état pur, raffinée dans la cornue bouillonnante du stade Ramón Sánchez Pizjuán. Elle apprit ce que frustration, rage impuissante, colère sans mur où s’user les poings pouvaient signifie. Allô! maman, bobo, comme chantait alors Souchon. Oui, ce fut une école de la vie, à la dure, en son versant noir. Les gens de raison diront que j’exagère, que ce n’était là que du foot. Oublient-ils Camus qui forgea sa philosophie sur un terrain pelé : Tout ce que je sais de la morale des hommes, je le dois au football ? Nous, à Séville, nous apprîmes justement l’immoralité. J’écris Nous, à Séville car nous y étions bien, corps et âme, télé-transportés. Au point que je ne me souviens plus où reposait ma vulgaire enveloppe charnelle à cet instant. À la maison, sans doute. Trou de mémoire. Cette amnésie doit être une séquelle du choc.
Ma génération, seule, peut me comprendre. Alors sautez cette page si vous ne savez pas qu’un short se porta court et le cheveu long. Si vous n’avez pas connu le Banga, le Bolino ou la mère Denis. Si vous n’avez jamais vu, en cet âge de pierre du foot-business, Platini dans une pub pour Fruité, aussi consternant dans cet exercice qu’il fut élégant sur un terrain. Si vous ne connaissez pas les Village People ou Boney M. Mauvais exemple : les chansons, comme les regrets, sont éternelles.
You Tube. Un extrait pour raviver le souvenir. Le premier qui sort de la méga-boule Internet est évidemment cette fatale 57e minute, agrémentée d’une musique funèbre. Passe lumineuse de Platini, vous excuserez le pléonasme, dans la course de Battiston. Il se retrouve devant Schumacher. Le gardien allemand sort, s’élève dans les airs, à pleine vitesse, arrive à hauteur de la tête de Battiston, commence à pivoter des hanches, comme un barbare fait tournoyer sa massue. Pause. Impossible d’aller plus loin.
Le match revient en un flot d’images désordonnées en même temps que remonte d’antan un pêlemêle de cris, de rires et de pleurs.
Trésor et sa reprise de volée ; Giresse boxant le ciel après son but ; Bossis accroupi sur la pelouse, le protège-tibia en déroute sortant des chaussettes tire-bouchonnées, après son penalty raté.
Et puis, surtout, surtout, la civière brinquebalante évacuant Battiston, mort peut-être, son bras pendant, inerte, saisi par Platini… Et voilà que rejaillissent des tréfonds ces sanglots avec un goût de fiel. Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes, écrivait Henri Calet. Assez ! Puisque les images sont trop fortes, plongeons-nous dans les archives du Monde. Las ! Pierre Georges est à la plume. Ses mots sont une torture, des coups de scalpel sadiques à pleine chair: Il y a des moments qui ne sont guère supportables. L’indécence d’une équipe qui clame sa joie en se roulant dans l’herbe quand toute une autre équipe pleure de rage et de déception. L’indécence d’une rencontre épuisante, comme un attentat permanent à l’équilibre nerveux. L’indécence enfin de cette loterie des penalties, roulette russe du football, facilité sordide pour abréger les duels sans vainqueur. L’anaphore fut écrite au coup de sifflet final. Elle tient toujours. Ce match reste une indécence.
Il y avait pourtant de la parodie dans l’air au moment des hymnes. L’équipe d’Allemagne, de blanc vêtue, ressemblait à un alignement de statues grecques. Des colosses marmoréens tout droit sortis de quelque spartakiade, fors le lutin Littbarski, mauvais génie qui fut notre bourreau. Les noms sonnaient massifs, rugueux, intimidants: Breitner, Briegel, Fischer, Förster, Magath, Stielike, Rummenigge. Une équipe brillante et dédaigneuse, qui adorait se faire détester de la planète entière, tirant de la haine qu’elle suscitait l’énergie pour vaincre.
A côté, l’équipe de France, elle, ressemblait à une photo de classe prise à l’époque de la puberté. Il y avait côte à côte Bossis, grand échalas poussé trop vite, et Amoros, corps d’enfant impatient de grandir. Le gardien Ettori touchait à peine la barre transversale. Genghini était une gaufrette, Tigana un désossé, épais comme un sandwich SNCF, ainsi que chantait Renaud en ces années dans Marche à l’ombre. Même avec sa moustache de Wisigoth, Janvion ne parvenait pas à faire peur. Quant aux permanentes de Rocheteau, Platini ou Six, elles leur donnaient l’air de moutons prêts pour l’abattoir. C’était un drôle de consortium, cette équipe de France, une bande de métèques avec des noms et des bouilles pas de chez nous. Mais comme elle nous représentait magnifiquement ! Comme nous étions fiers de la voir jouer ! Comme elle nous fit rêver !
Ce match, donc, c’était David contre Goliath, Giresse contre Hrubesh. À l’époque, la France ne faisait pas le poids face à la RFA. Même réduite de moitié en 1945, l’Allemagne nous étrillait avec une désespérante constance. Ce 8 juillet ne devait pas échapper à la règle d’airain. Ça sentait bon son remake de 1940, sa débâcle annoncée, l’exode derrière une charrette à bras. D’ailleurs, d’entrée de jeu, les crampons allemands tombèrent sur les chevilles françaises comme un Stuka en rase campagne. Comparaison guerrière ? Sans doute mais, avouons-le, il y avait de ça dans le sous-texte de cette rencontre, une rivalité et des clichés véhiculés dans l’imaginaire national et transmis de génération en génération. Les duos de Gaulle-Adenauer ou Giscard d’Estaing-Helmut Schmidt n’avaient pas éteint les vieilles rancunes.
La France, emmenée par un magistral Michel Platini qui devenait Jean Moulin, résista donc, para les coups dans le maquis des guibolles. L’arbitre, le Néerlandais Charles Corver, observait cette pluie de fautes avec la placidité d’un majordome anglais, sanglé dans son uniforme noir avec col pelle à tarte. Même l’agression de Schumacher contre Battiston ne parvint à le déciller. Sur cet attentat, le commentateur Thierry Roland y alla en direct d’une des saillies qui firent sa gloire : Il n’a pas fait le voyage pour rien.
Pour une fois, il usait d’euphémisme. Battiston avait deux dents cassées, la mâchoire fracturée et un traumatisme crânien. De fait, il n’avait pas fait le voyage pour rien, Schumacher, le vrai, l’unique pour nous, les gamins des années 1980, l’Harald au prénom de calamité nordique. Il ne se contenta pas de cela, on s’en souvient. Son refus de prendre des nouvelles de l’homme qu’il avait mis KO, cette manière arrogante ensuite de toiser le public français derrière sa cage, d’attendre avec une impatience non feinte que le blessé soit évacué pour reprendre le jeu… Mesure-t-il à quel point nous l’avons haï à cette minute ? D’ailleurs, un sondage commandé par un hebdomadaire le classa l’Allemand le plus détesté des Français, devant Hitler. C’était, on l’admettra, attiger un peu.
Charles Corver,censé représenter le bras de la justice, sait-il combien nous lui en avons voulu que ce bras ne brandisse pas un carton rouge et ne désigne le point de penalty comme juste réparation du forfait ? Il devint le symbole de l’iniquité, pire le complice du crime. Dans les palmarès des erreurs d’arbitrage, sa faute de jugement passe pour une des plus criantes de l’histoire de ce jeu. Il mettra pourtant vingt-huit ans avant de l’admettre publiquement. Trésor jura l’avoir vu le lendemain du match s’acoquiner avec les Allemands. Nous étions cinquante millions à le croire.
Après une telle dramaturgie, une telle acmé dans le scénario, le match aurait dû devenir insipide. Il devint magnifique. Le sentiment victimaire, si chère à notre psyché nationale, la révolte contre l’agression, transcenda les Bleus, comme si les mânes de Jeanne d’Arc flottaient soudain dans l’air andalou. Ils ne jouaient plus, ils lévitaient.
La tactique était passée cul par-dessus tête. Ce match sans rime ni raison devenait à l’image de la vie décrite par Shakespeare : une histoire racontée par un idiot pleine de bruit et de fureur. Barre d’Amoros à la dernière minute du temps réglementaire, buts somptueux de Trésor et Giresse en prolongation. 3-1 alors qu’il ne restait plus que vingt deux minutes à jouer. Ce n’est pas fini, lançait alors le consultant Larqué. Triste divination. On aurait tant aimé que les Bleus arrêtent leurs chevauchées romantiques, se cadenassent devant leurs buts. Mais ils étaient sur leur nuage, ne nous entendaient pas, voulaient nous séduire encore alors qu’ils nous avaient conquis depuis longtemps. En face, il y avait des hommes d’acier. But de Rumenigge, après deux énormes fautes allemandes, non sanctionnées une nouvelle fois. Retourné extraordinaire de Fischer qui égalise. La séance des penalties. Schumacher, petit homme mais grand gardien, qui dévie le tir à bout de nerf de Bossis, terrible défaillance qui balayait un match exemplaire. L’élimination. Sur la pelouse, Trésor abattu, Platini errant torse nu, hagard, Hidalgo sonné sur son banc. Et moi, effondré avec eux, plus qu’eux même, puisque je n’avais pas le réconfort de la fatigue, de l’exténuation.
L’affaire alla loin, trop loin. Pour mémoire, il fallut un communiqué conjoint des deux gouvernements pour calmer la fièvre belliqueuse. La poignée de main médiatisée quelques jours plus tard entre un Schumacher toujours aussi hautain et un Battiston qui gardait une distance de sécurité et arborait, souvenir de leur précédente rencontre, le menton en galoche ne suffit pas à apaiser les esprits. Deux ans plus tard, Mitterrand et Kohl se tenant la main à Verdun répondait à la boucherie de 14-18 mais sans doute aussi, un peu, au ressentiment de Séville.
Réputé le meilleur onguent, le temps a passé et pourtant ça ne passe pas. Même le triomphe de l’équipe de France en 1998 fut un baume insuffisant. Le bonheur débordant à pleines rues n’a pas effacé la tristesse de 1982. Seule la victoire est belle, dit-on. Et si justement, c’était là le grand quiproquo du football ? Si la France de Platini avait gagné ce match, l’aurait-on autant aimé ? On a oublié sa victoire à l’Euro de 1984 pour ne retenir que l’amertume de Séville. D’aucuns y verront simplement le syndrome français dit du poteau carré. Mais si, plus qu’un score, le jeu de balle au pied était une addition de sentiments extrêmes ? Que c’était à cette seule échelle d’intensité que se juge et se retient un match ? Alors, à cette aune, les joies et les peines de ce France-Allemagne, restent uniques. Et cette défaite délicieusement incurable.
Benoît Hopquin. Le Monde Magazine du 7 juin 2014
9 07 1982
Il y avait un fou qui ne savait pas que la chose était impossible ; alors, il l’a faite.
vieux proverbe anglais
En l’occurrence, le fou, c’est Michael Fagan qui s’introduit dans la chambre d’Elizabeth II, reine d’Angleterre : Il m’a été plus difficile de sortir que d’entrer. J’ai fini par trouver une porte qui donnait sur les jardins de derrière. J’ai escaladé le mur et je suis reparti en descendant le Mall.
Et il est des Anglais qui osent prétendre que le palais de Buckingham n’est pas un moulin !
Il en aurait fallu plus pour qu’elle perde son humour : un an plus tard, aux côtés de Ronald Reagan en Californie, par un jour pluvieux : Je savais que nous avions exporté beaucoup de choses aux États-Unis, mais je ne savais pas que la météo en faisait partie.
31 07 1982
Accident de Beaune : 2 cars entrent en collision : 53 morts, essentiellement des enfants.
07 1982
L’Iran et la Syrie signent une alliance militaire qui autorise les Gardiens de La Révolution iranienne à agir au Liban sous le commandement de Mohtashamipour, ambassadeur d’Iran en Syrie : c’est la naissance du Hezbollah – le parti de Dieu -. Ali Akbar Mohtashamipour est un religieux chiite, compagnon de longue date de Khomeiny – ils se sont connus à Najaf où s’était exilé Khomeiny avant que d’être accueilli par la France à Neauphle le Château -. C’est donc lui qui dirigera le Hezbollah depuis Damas, avec un budget mensuel de plusieurs millions $. La réserve que lui avait témoigné dans les premiers temps Hafez el Assad, le président de la Syrie, tombera quand Israël envahira le Liban en juin 1982.
Au vu et au su de tous, ils apportaient une assistance civile à la population chiite en créant des institutions sociales et religieuses comme des écoles et des mosquées. Ils procuraient une aide matérielle aux pauvres et à d’autres personnes dans le besoin, par exemple aux toxicomanes et aux alcooliques, et un système de santé de relativement bonne qualité. L’Iran fournissait à la société chiite libanaise tout ce que le gouvernement du Liban dominé par une majorité mixte de sunnites et de chrétiens ne leur avait jamais accordé.
Ronen Bergman. Lève-toi et tue le premier. L’histoire des assassinats ciblés commandités par Israël. Grasset 2018
9 08 1982
Attentat dans le restaurant juif Jo Goldenberg, dans la rue des Rosiers à Paris : 6 morts – Mohamad Benemmou, André Hezkia Niego, Grace Cuter, Anne Van Zanien, Denise Guerche Rossignol, Georges Demeter -, 22 blessés, dont un inspecteur, venue d’un restaurant voisin, arme au poing, blessé par un policier en civil qui le prenait pour un terroriste. Trois suspects palestiniens seront identifiés 33 ans plus tard, du groupe Abou Nidal, de son vrai nom SabriKhalil al-Banna. Le , le suspect Walid Abdulrahman Abou Zayed est extradé de Norvège et mis en examen sitôt sur le sol français, pour assassinats et tentatives d’assassinats. Dans l’attente de son procès, il est placé en détention provisoire. Plus de trente ans pour avoir des résultats :
Un ancien patron du renseignement français a reconnu devant un juge avoir négocié à l’époque un accord avec le groupe Abou Nidal : On a passé une sorte de deal verbal en leur disant : Je ne veux plus d’attentat sur le sol français et en contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu’il ne vous arrivera rien.
Sabyl Ghoussoub Beyrouth sur Seine Sotck 2022
Des juifs extrémistes ont manifesté dans les jours suivants l’attentat, contre le président François Mitterrand, qui confie l’enquête au GIGN ; le capitaine Barril en profite alors pour ficeler l’affaire des Irlandais de Vincennes : voir au 28 08 1982
21 08 1982
Les Palestiniens sont chassés du Liban.
24 08 1982
Le FLNC reprend la lutte armée. Action Directe est dissoute par décret, ce qui entraîne la libération de Jean-Marc Rouillan et de dix-sept autres militants. Cette mesure coûtera cher, très cher.
27 08 1982
La groupe islamiste de Bouyali décapite un vieux militaire de la caserne de Boufarik, en Algérie, pour s’emparer des armes. C’est le début d’une guerre civile qui va durer 18 ans entre islamistes et pouvoir militaire du FLN. Le nombre de morts restera inconnu.
28 08 1982
Les gendarmes du GIGN – Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale – interpellent à Vincennes trois terroristes d’une organisation dissidente de l’IRA, et saisissent des armes et des explosifs. Le commandant Beau, responsable territorialement de l’affaire donne son accord sans s’être rendu sur les lieux. Mitterrand félicite les gendarmes, quand, en fait, ce sont eux – capitaine Barril – qui ont apporté armes et explosifs. On n’a pas fini d’en parler.
08 1982
Mitterrand crée une cellule de lutte antiterroriste, qui sera entre autres en charge d’un système d’écoutes pour surveiller les personnes qui peuvent gêner la vie du Président : Jean-Edern Hallier, l’un des principaux bénéficiaires est un des rares français à connaître l’existence de sa fille Mazarine : ce ne sont pas moins de sept lignes téléphoniques qui seront ainsi écoutées pour surveiller l’écrivain trublion : restaurants et bars fréquentés régulièrement !
3 09 1982
Le général Carlo Alberto Dalla Chiesa, préfet plénipotentiaire anti-mafia à Palerme depuis 3 mois, meurt dans un guet-apens à la kalachnikov, dirigé par Pino Greco ; à ses cotés, Emanuela Setti Carraro, la jeune femme qu’il a épousé le 12 juillet, finché morte non vi separi : aucun des deux n’aura eu le temps d’en avoir marre de l’autre.
14 09 1982
Elle était évidemment toujours riche, mais elle était aussi restée intelligente et belle : elle ne nous aura pas dit si c’était à cause de, ou malgré, son statut de princesse : à 54 ans, Grâce de Monaco s’en va : victime d’un malaise, le malheur veut que ce fut en conduisant une voiture : sur un relief aussi accidenté que celui de la Côte d’azur, cela ne pardonne pas. L’autopsie révélera une lésion profonde à l’origine du malaise. L’estime et la sympathie qu’elle inspirait avait largement dépassé le cercle des lecteurs de Point de Vue Image du Monde : en commentant sa mort, un journaliste de la télévision publique française (Langlois) tint des propos seulement libres mais pas du tout irrespectueux : il fut licencié sur le champ par Pierre Desgraupes, au style pourtant bien républicain.
Bachir Gemayel, jeune président élu du Liban, est victime d’un attentat. Gravement atteint, on n’apprendra que le soir qu’il a succombé à ses blessures. Libération, empressé à donner une bonne nouvelle, sans faire preuve de la moindre prudence, fera sa première page du lendemain avec un LA BARAKA DE GEMAYEL, le disant avoir réchappé à l’attentat.
18 09 1982
Massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila, près de Beyrouth : les Israéliens ont laissé faire les milices chrétiennes : 1 000 morts.
L’histoire d’amour entre les maronites et l’Occident remonte à l’époque de Maître Philippe, quand, comme le rapporte Guillaume de Tyr, une race de Syriens de la province de Phénicie a retrouvé ses esprits ci renoncé à l’hérésie. Après des siècles d’isolement dans les défilés accidentés du massif du mont Liban, frappé d’anathème non seulement par les musulmans, mais aussi par les orthodoxes et les Églises monophysites, les maronites devinrent avec bonheur les meilleurs alliés des Francs, fournissant aux croisés des guides, des archers et des femmes. Quand les Français revinrent en 1920, les maronites – dont la modernité, les capacités d’organisation et l’expansion démographique faisaient la communauté la plus puissante de la région – demandèrent avec succès à avoir leur propre État. Toutefois, afin que cet État soit viable sur le plan économique (et, d’après certains, parce que les Français voulaient maintenir les maronites dans le rôle de vassaux), la République libanaise devait inclure des villes sunnites comme Tripoli, les régions chiites du Sud-Liban et de la plaine de la Bekaa, ainsi que les montagnes du Chouf, territoire des mystérieux druzes.
Les musulmans voulaient être rattachés à la Syrie, les maronites à la France. Lors du pacte national de 1943, on aboutit au compromis suivant : les maronites auraient la présidence, les sunnites désigneraient le Premier ministre et les chiites le porte-parole à la Chambre des députés, enfin le Liban serait considéré comme un pays arabe. Si la démographie avait suivi la même régularité que le goût des Arabes pour les gâteaux en forme de losange, tout aurait été parfait. Hélas, la démographie est une créature fuyante, et elle n’aime rien mieux qu’un bon chambardement : un taux de natalité explosif par ici, une pointe de migration par là, et soudain les musulmans se mirent à revendiquer une modification de la Constitution. Les maronites auraient pu accepter. Mais les seules fois où ils avaient été d’accord, c’est quand ils s’étaient alliés pour lutter contre les Ottomans et les Français. L’absence d’ennemi commun peut-être fatale à un État multiculturel.
Soudain, la fertile plaine de la Bekaa et ses cultures d’opium virent se multiplier les milices. Les factions maronites adoptèrent des noms comme les Chevaliers de la Vierge, ornèrent leurs fusils d’images chrétiennes et, comme s’ils suivaient le commandement du pape Urbain II aux premiers croisés, ils cousirent des croix sur leurs uniformes. Puis, la situation tendue tourna à la catastrophe.
En 1971, après s’être mis à dos le roi Hussein de Jordanie suite aux représailles israéliennes contre l’OLP, basée en Jordanie, qui s’était livrée à des raids et des prises d’otages, Yasser Arafat réussit à pénétrer au Liban caché sous une burqa. Des batailles rangées eurent lieu dans les mes de Beyrouth, les maronites tournant leurs armes contre les Palestiniens. Les Syriens entrèrent dans le pays, suivis des Américains et des Israéliens. Des actes terribles furent commis, avec une telle brutalité que le secrétaire d’État américain de l’époque compara le pays à une région infestée par la peste au Moyen Âge. Ce fut l’équivalent moderne le plus tragique au Moyen-Orient du chaudron de belligérants qui avait ravagé la région avant l’arrivée de Sala-din au XII° siècle. Quand Dieu est à vos côtés, vous pouvez toujours vous en tirer. Les Palestiniens massacrent les chrétiens de Damour ; les chrétiens tuent les Palestiniens de Tel al-Zaatar ; les druzes versent de l’eau bouillante sur les chrétiens à Beiteddine ; les chrétiens coupent la langue aux druzes près de Deir-el-Qamar ; les Israéliens lancent des bombes au phosphore sur Beyrouth-Ouest en espérant atteindre un terroriste. L’assassinat du président maronite Bachir Gemayel en septembre 1982 a été comparé à la crucifixion du Christ par le supérieur de l’ordre des moines maronites. Ce qui s’est passé ensuite aurait été moins familier aux premiers pères de l’Église qu’aux croisés, qui firent rôtir des enfants syriens pour les manger dans la ville de Maara en 1098. Le ministre de la Défense israélien (un certain Ariel Sharon) a en effet autorisé les milices chrétiennes libanaises à pénétrer dans le camp de réfugiés de Sabra et Chatila. Le carnage qui a suivi, au cours duquel on a tranché la gorge, éventré, fait sauter la cervelle et gravé des croix sur la poitrine à environ un millier de réfugiés, est devenu l’image publique du cercle de destruction le plus vicieux du Moyen-Orient. Et pourtant… au même moment, on faisait des pique-niques dans les montagnes du Chouf; à Jounieh, on se tartinait d’huile avant de prendre un bain de soleil : le Liban était devenu une sorte de carrefour entre une scène médiévale apocalyptique et un film de James Bond.
Nicholas Jubber. Sur les traces du Prêtre Jean. Libretto 2005
Il faut parfois attendre bien longtemps pour apprendre qu’au milieu des drames aussi la vie parvient à se glisser, et avec elle parfois la drôlerie que l’on peut trouver dans des romances d’ordinaire réservées aux lecteurs de la presse du cœur. En l’occurrence c’est le ministre syrien de la Défense, Mustapha Tlass qui, en 1998, fera quelques confidences au quotidien de Dubaï El Bayan : Au cours de l’invasion israélienne du Liban et après l’entrée de la Force Multinationale d’interposition en 1982, j’ai réuni les chefs de la résistance libanaise et je leur ai dit : Faites ce que vous voulez des forces américaines, britanniques et des autres, mais je ne veux pas qu’un seul soldat italien soit blessé. Interloqué, le chef druze Walid Joumblatt, actuel ministre libanais des personnes déplacées, avait demandé au général syrien la raison de ce régime de faveur. J’ai répondu : Pour que pas une larme ne coule des yeux de Gina Lollobrigida [6], assure le ministre syrien qui ajoute : J’ai eu de la chance, la résistance libanaise a obéi à mes ordres. Le peuple libanais a donné le meilleur accueil aux Italiens et pas un seul d’entre eux n’a été blessé. J’admire Gina Lollobrigida, a expliqué sans se démonter le général aux journalistes émiratis. J’aime qu’une femme soit belle, je me suis épris d’elle dès ma jeunesse […] Je lui envoyai des lettres du front et de partout ailleurs.
Le ministre de la Défense, né en 1932, note au détour de l’entretien qu’il ne lui avait été répondu qu’à partir de sa nomination comme chef d’état-major, en 1968… La passion platonique a eu une suite honorable, en 1984, lorsque l’actrice italienne, de cinq ans son aînée, s’est rendue à une réception du ministre à Damas. Tout le monde a été surpris lorsqu’elle est venue, raconte le général Tlass, même mon épouse Oum Firas. Elle s’est comportée comme si elle faisait partie de la famille, servant les invités, comme si elle était chez elle. Interrogée par la presse italienne, Gina Lollobrigida a confirmé en tous points l’histoire du général, qualifié de bel homme élégant. C’est une personne très cultivée et gentille. Il m’a toujours envoyé des lettres et des cadeaux de valeur comme des bijoux ou des objets antiques, a-t-elle avoué. Je suis allée le voir un jour, par surprise, il y a plusieurs années. En me reconnaissant, il s’est presque évanoui. Depuis, je ne l’ai plus revu mais lui a continué à me donner de ses nouvelles, continue l’actrice avant d’ajouter non sans forfanterie : Avec les Arabes, j’ai toujours eu du succès. Ils disent que je possède toutes les qualités et qu’avec moi on pourrait même se passer de harem. Si tous mes admirateurs étaient comme le ministre syrien et réussissaient vraiment à arrêter le terrorisme, je me mettrais tout de suite à faire le tour du monde.
Propos rapportés par Gilles Paris. Le Monde 3 Janvier 1998.
09 1982
Sékou Touré, dictateur sanguinaire de la Guinée Conakry, est en visite officielle en France : depuis la rupture radicale avec la France, qui date de 1958, c’est la deuxième fois que le chef d’État renoue avec la France, la première ayant été le fait de Valéry Giscard d’Estaing. François Mitterrand a expressément demandé à Jean-Pierre Cot, ministre délégué chargé de la Coopération et du Développement, de le recevoir à l’Hôtel Marigny, où logent les hôtes de la France. Pour Jean-Pierre Cot, cela équivalait à peu près à monter à l’échafaud. Jean Audibert, chef de cabinet de Jean-Pierre Cot, rapporte l’entretien : Nous nous trouvons face à un homme écumant de rage, dénonçant en termes belliqueux la France et ses dirigeants qui soutiennent l’opposition guinéenne. Il cherche visiblement à nous humilier […] Jean-Pierre Cot suggère que l’on parle de la coopération entre les deux pays […] Sékou Touré le coupe : Je ne m’intéresse pas à ces détails […] Mon objectif est de changer l’homme guinéen. J’y parviendrai, malgré vous, malgré les complots. J’y survivrai, car je suis immortel ! Jean-Pierre Cot se lève, mais ne partira que les bras chargés des Œuvres complètes de notre hôte.
Sekou Touré en Saint Georges terrassant le colonialisme. Est-il bien sûr qu’en empruntant le costume d’une star du christianisme, l’effet ne soit contre-productif ? Il aurait mieux fait d’aller voir du côté des héros africains…. qui ne manquent pas
8 10 1982
Régis Debray, écrivain et conseiller technique de François Mitterrand pour la culture, accuse, depuis Montréal, devant l’Union des écrivains québécois, l’émission Apostrophes de Bernard Pivot d’exercer une véritable dictature sur le marché du livre. Il faut enlever à cette émission le monopole du choix des titres et des auteurs accordé à l’arbitraire d’un seul homme, a-t-il notamment déclaré. Apostrophes est diffusée au Québec, par la télévision câblée.
Ce à quoi l’intéressé répondra : Je n’admets pas que ce mot épouvantable de dictature qualifie ce qui n’est que le libre choix des téléspectateurs et des amateurs de lecture. Il n’est pas bon qu’un philosophe, intellectuel de gauche et conseiller de l’Élysée, croie que les publics sont des choses molles et facilement influençables.
La bienséance qui sied à ce milieu finira par avoir le dessus : Régis Debray s’excusera et on redeviendra bons amis.
Toute autre sera la position de Julien Gracq qui dira en 1999, exception qui confirme la règle de bienséance : Ce que j’avais prédit dans La littérature à l’estomac (1950) s’est confirmé. C’est pourquoi j’ai toujours refusé les invitations de Bernard Pivot. La télévision ne donne que l’image de l’écrivain et elle ne peut rendre compte de la littérature.
Julien Gracq parle de la nature même d’Apostrophes pour en condamner le principe : il s’agit donc bien de littérature et de cela seulement. Régis Debray parle de l’économie du livre et non de son contenu ; ce n’est pas du tout le même sujet.
10 1982
Le Japon lance le Disque Compact ; il arrivera en mars 1983 en Europe.
11 11 1982
Le Hezbollah libanais inaugure toute une série d’attentats à la voiture suicide, bourrée d’explosifs à Tyr, contre un immeuble de sept étages qui abrite le commandement militaire israélien et les services gouvernementaux : 70 soldats israéliens sont tués et 27 Libanais.
Il est deux changements brutaux dans les stratégies au Moyen-Orient : coté Palestinien, l’attentat suicide : dès lors qu’un combattant a accepté que sa mort soit la condition de la réussite de son attaque, c’est toute la stratégie de l’adversaire qui s’en trouve désarçonnée. Comment faire pour parer à cela ? quand lorsque l’on s’aperçoit qu’il y a attaque, il est déjà trop tard pour avoir le temps d’une réaction. Et côté israélien, la mise en service des drones, d’abord d’observation, puis armés : c’est une avancée considérable dans l’économie de la vie du soldat, puisque le drone devient lui-même soldat. D’un côté l’acceptation d’une mort certaine, de l’autre l’exacte opposé : l’économie de vies humaines.
Les services secrets israéliens compte nombre de services ; le plus connu, le Mossad, les services secrets de l’État, dont dépend entre autres l’unité Césarée ; le Shin Bet, service de sécurité intérieure, en charge en autres de la sécurité des membres du gouvernement ; AMAN, les services secrets de l’Armée, dont le SIGINT (avec son unité 8200 de renseignement électromagnétique), les unités de commando Matkal, Flotille 13, Cheer/Duvdeavn, les Unité 188, 504 et 9 900.
Coté palestinien, le principal mouvement est l’OLP – Organisation de Libération de la Palestine – au sein de laquelle est majoritaire le Fatah. Le Hamas est une milice fondée en 1987, par trois Frères musulmans. Le Hezbollah – le parti de Dieu – est une création de 1982, chiite iranienne installée au Liban.
10 12 1982
Le droit de la mer se précise :
À Montego Bay, en Jamaïque, 119 pays sur 168 signent la convention du droit de la mer lors d’une troisième conférence des Nations unies, étape importante pour tout ce qui fera ensuite référence juridiquement à la mer territoriale, au régime de la haute mer ou de la zone économique exclusive (ZEE).
La conférence du droit de la mer des Nations unies boucle neuf années de travaux. Il faudra compter douze années supplémentaires avant que la convention entre en vigueur, le 16 novembre 1994. Les deux conférences précédentes s’étaient tenues en 1958 et en 1960 à Genève. Le texte de Montego Bay donne notamment une définition juridique de la ZEE et prévoit l’extension des droits d’exploitation sur le sous-sol et le sol du plateau continental, à l’exception de la colonne d’eau et des eaux de surface, et au-delà des 200 milles jusqu’à 350 milles.
Si l’accord est historique, le succès est encore bien fragile, parce que les États-Unis et ses fidèles alliés européens, Britanniques et Allemands, ont maintenu leur non ferme, tentant même de faire changer d’avis les autres alliés du monde industrialisé. La France notamment. Une commission préparatoire a ainsi vu le jour, chargée d’élaborer les mécanismes de fonctionnement de la future autorité responsable de la gestion des fonds marins (hors 200 milles), volet le plus controversé de la convention.
D’ici là, les embûches seront sans doute nombreuses tant les enjeux sur ce cinquième continent mal connu (les océans) sont énormes. Enjeux militaires. Enjeux économiques.
Le marin 17 décembre 1982
1982
Remboursement de l’IVG – Interruption Volontaire de Grossesse – par la Sécurité Sociale. Jean Loup Chrétien est le premier Français dans l’espace : à bord de Soyouz T6 ; il va séjourner une semaine dans la station orbitale Saliout 7.
Roger Patrice Pelat est ami de François Mitterrand depuis le temps de leur détention commune en Allemagne pendant la guerre. En 1954, il a fondé avec son frère, Robert Mitterrand, la société Vibrachoc, spécialisée dans les amortisseurs aéronautiques, devenue très vite prospère. Ils se sépareront en 1962, mais Roger Patrice Pelat continuera à alimenter François Mitterrand. Il souhaite vendre son affaire, qui commence à battre de l’aile, estimée par les experts à 20 millions de Francs, 10 millions par ses collaborateurs. Mais lui, en veut 180 millions. Elle est finalement vendue 110 millions à Alsthom, filiale de la CGE, dirigée par Georges Perebeau, par ailleurs président du conseil d’administration de la BNP, nationalisée. Les fonctionnaires honnêtes sont révoltés, mais l’ordre est venu du château : François Mitterrand est le chef et on ne discute pas les ordres du chef. C’est Pierre Bérégovoy, secrétaire général de l’Elysée, longtemps en charge des affaires industrielles au PS qui s’est chargé de l’exécution de l’ordre. Donc, c’est le contribuable français qui paie la différence entre la valeur réelle de Vibrachoc et son prix de vente. La république des copains est restée la république des coquins. Roger Patrice Pelat, grâce à cette belle rentrée s’offrira une propriété de 850 ha à la Ferté Saint Aubin. Elle est pas belle, la vie ?
Inauguration du plus grand barrage du monde : Itaïpu, sur le Parana, entre le Brésil et l’Uruguay : 29 milliards de m³ d’eau. Au Congo, Mobutu a fait agrandir le barrage d’Inga : de 351, il passe à 1 424 mégawatts, avec 1 800 km de ligne à haute tension pour alimenter le Shaba : il fallait 10 000 pylônes ; pour cela il fit construire à Maluku, sur les rives du Congo, une aciérie pour 182 millions $, qui, incapable de transformer le minerai de fer local, ne fera jamais que refondre la ferraille qui lui était livrée. Inga avait coûté 478 millions $, et ne produira jamais plus de 30 % de ses capacités. La ligne à haute tension vers le Shaba coûtera 850 millions $, mais ne transportera jamais plus de 10 % de sa capacité.
La production française de matériaux synthétiques dépasse pour la première fois, en volume, celle des aciers et de l’aluminium réunis.
L’américain Stanley Prusiner découvre que le prion, protéine classique impliquée dans le processus de transmission de signaux dans les tissus nerveux, peut muter en moins d’une milliseconde pour devenir infectieux : c’est une protéine classique pratiquement indestructible en raison de sa forme. On ne connaît pas l’agent infectieux ; elle résiste aux grands froids : – 82°, aux grandes chaleurs : +100°, et aux rayonnements ionisants : toutes ses qualités lui promettent un très grand avenir dans l’ESB : Encéphalite Spongiforme Bovine : Encéphalite parce que la localisation préférée de cette protéine se trouve être le cerveau, Spongiforme, parce que le prion fait des plaques amyloïdes dans le cerveau qui lui donnent un aspect d’éponge, et Bovine, car l’animal préféré du prion est le bœuf et la vache. Prusiner recevra le Prix Nobel de médecine en 1997.
Dietrich Mateschitz, autrichien, cadre dans une société de dentifrice, se balade à Bangkok où il découvre qu’une boisson locale, le Krating Deng – le taureau rouge – lui permet de vaincre les effets du décalage horaire. Créée en 1976 par Chaleo Yoovidhya, la boisson fait un tabac chez les routiers et les conducteurs de tuk-tuks. Dietrich Mateschitz, convaincu que si l’affaire marche en Thaïlande, elle doit marcher en Autriche, signe avec Chaleo Yoovidhya un contrat qui lui attribue 49 % de la société et sa direction depuis l’Autriche sous le nom de Red Bull GmbH. En Thaïlande, Chaleo Yoovidhya conserve les 51 % restant. Qu’y a-t-il là-dedans : beaucoup d’éléments naturels et la taurine, un acide aminé présent dans la majorité des tissus animaux, et pas seulement dans la bile de taureau comme on l’avait cru en la découvrant en 1950 : c’est un neurotransmetteur, qui facilite la communication entre les neurones. De fait, dans la boisson, la taurine n’est pas naturelle, mais de synthèse. En 1994, après dix ans de recherches, pour améliorer la recette, le produit est prêt à être commercialisé en Occident. Dans les ingrédients, du glucoronolactone, forme dégradée du glucose produite dans le foie humain, qui a la réputation de combattre la fatigue et d’apporter un certain bien-être. D’abord distribué en Europe centrale, les touristes en rapportent dans leur pays d’origine… trop peu à leur goût, mais c’est la stratégie de Dietrich Mateschitz qui veut attiser l’attente. En 1997, le produit débarque outre-atlantique, prioritairement dans les endroits branchés et les sports à gros budgets : il crée sa propre marque de Formule I et commence à rafler nombre de pole positions et de victoires avec Sébastien Vettel aux commandes. Le logo du taureau rouge gagne tout le monde développé, à la une de courses à l’exploit comme des concours de plongeon itinérants, la plus importante étant le grand saut de Felix Baumgartner qui va battre le record du monde du saut en chute libre le 14 octobre 2012 avec un saut de 38 969 m au cours duquel il dépassa le mur du son, exploit suivi par 8 millions d’internautes… 16 fois plus de spectateurs que l’ouverture de JO de Londres ! La France et la Norvège chercheront à résister à l’envahisseur ; l’amour de François Fillon pour les FI fera sauter les obstacles en France. En 2012, 5 milliards de canettes auront été vendues dans le monde : avec ses 300 milliards, Coca-Cola peut encore dormir tranquille. Un tiers du CA consacré à la promotion, soit 1.5 milliard € en 2012 !
14 03 1983
Libération décrit la mécanique délicate et mystérieuse de la prise de décision au sommet de l’État.
L’Histoire, avec un grand H. Il est rare qu’un cliché ait une telle force d’expression : cela tient sans doute à la consonnance tranchante de cette majuscule qui évoque ces rendez-vous exceptionnels d’hommes singuliers avec le destin d’un société. François Mitterrand est en mesure de trancher les nœuds gordiens de son septennat, et plus largement, ceux qui, selon lui entravaient l’avenir de ce pays, y compris et surtout dans les rangs de la gauche politique.
Cette épreuve ne l’a pas surpris outre mesure. Depuis des mois, il consulte de manière quasi ininterrompue des hommes aux expériences et aux horizons très différents, il lit et relit des notes et des rapports préparés à cette intention en multipliant les croisements, les sources et les éclairages divergents. Depuis une semaine, les consultations, les auditions se sont accélérées, selon un rituel à peu près immuable. Mitterrand écoute et écoute encore ; de temps en temps, il pose une question. Une confidence est un signe de confiance, mais cela ne va jamais au-delà. De telle sorte que personne n’est en mesure d’affirmer avec certitude ce que le président a décidé.
Serge July, directeur de Libération
21 03 1983
Jacques Delors, ministre de l’Economie et des Finances, met en place une politique de rigueur en réponse au déficit de confiance, à la fuite importante des capitaux et à l’augmentation du chômage qu’avaient provoqué les mesures du premier gouvernement Mauroy. Le franc avait dû être réévalué trois fois depuis 1981 : 1981, 1982, 1983.
Le tournant de la rigueur de Mitterrand en 1983, qui était en fait une volonté de redonner vigueur au fédéralisme : présidence de l’Europe en 1984, sommet européen de Fontainebleau où il passa un accord avec Helmut Kohl et Margaret Thatcher pour nommer un fédéraliste militant, Jacques Delors, à la tête de la Commission ; acte unique en 1986 qui relança l’engrenage fédéraliste avec l’extension considérable du vote à la majorité qualifiée. Mitterrand savait que, affiché, son fédéralisme susciterait de graves résistances : il a donc fait les choses sans jamais les dire. Qualifié de libéral, le tournant de 1983 fut, en réalité, un tournant fédéraliste. Une rupture pour notre pays, qui ne fut jamais débattue ni présentée de façon sincère aux Français. C’est seulement en 1992, pour la ratification du traité de Maastricht que les Français ont enfin été furent consultés, mais la construction européenne avait déjà changé de sens.
La situation économique française de mars 1983 contenterait en fait bien des gouvernements actuels. Le déficit commercial de l’époque, élevé, était bien moindre qu’aujourd’hui. Notre inflation se situait dans le milieu du peloton européen et notre taux d’endettement n’était que de 20 % ; non, la contrainte extérieure ne fut que l’habillage d’un choix politique, idéologique même, celui de la relance de l’Europe fédérale.
Après le coup de force fédéraliste de mars 1983, Delors était parvenu à la conclusion que la liberté de circulation du capital était essentielle à la création du marché intérieur. Il lui fallait aussi convaincre Kohl, pour qui, sans une entière mobilité du capital, pas de disparition du mark, et, par conséquent, pas de monnaie unique. La directive du 24 juin 1988 a donc libéralisé la finance en Europe, mais aussi imposé au reste du monde de le faire pour pouvoir commercer avec l’Union. Cette directive a lancé le mouvement de globalisation financière, rebaptisé mondialisation pour les besoins de la cause. Ce ne sont donc pas les ultra-libéraux anglo-saxons (Margaret Thatcher, Ronald Reagan), mais des Européens, des Français, des socialistes qui ont inventé le mot de globalisation.
Aquilino Morelle. Le Monde du 20 09 2021
5 04 1983
La France expulse 47 diplomates russes – en fait des espions -. Au sein des services de renseignements des pays d’Europe occidentale, c’est du jamais vu : dans leur ensemble, ces expulsions concerneront 150 personnes. Vis à vis de Ronald Reagan, cela lèvera ses craintes sur la présence de communistes au sein du gouvernement français. Cette identification a été rendue possible grâce aux très précieux documents transmis par Vladimir Vetrov – alias Farewell -, un espion du KGB révolté par la corruption, le népotisme qui sévissaient au sein de cette institution, où il n’était que lieutenant-colonel, qui avait décidé de confier à Xavier Ameil, puis à Patrick Ferrant, représentants de Thomson CSF à Moscou, des documents recueillis par les quelques 700 000 espions russes dans le monde – quand les États-Unis en comptent 25 000 – : il s’agit surtout de listes – nom, date de naissance, téléphone – des espions russes dans le monde entier, de plans concernant l’astronautique, la guerre des étoiles -, l’armement etc … tous domaines dans lesquels l’URSS accusait un retard de plus en plus important sur les Occidentaux, et en particulier les Américains. Vladimir Vetrov aimait bien la France où il avait été en poste dans les années 1970 ; il avait noué de bons contacts avec Jacques Prevost, ingénieur chez Thomson CSF qui lui avait rendu un fier service en faisant réparer discrètement et rapidement sa 404 de service qu’il avait accrochée après une soirée trop arrosée : les accidents de voiture sont très très mal vus au KGB. Et c’est au vu de ces bonnes relations avec Jacques Prévost qu’il s’était adressé au représentant de Thomson à Moscou. Le KGB découvrira sa trahison en août 1983 et il sera tué d’une balle dans la tête le 23 janvier 1985. Vladimir Vetrov aura rendu d’immenses services à la France en particulier et à l’Occident en général, en leur communiquant nombre des documents pillés par ses collègues, mais pour autant, il n’était pas une grosse pointure. C’est en voulant tuer sa maitresse le 22 février 1982 et en poignardant le milicien qui l’avait vu en action qu’il sera jeté en prison. Trop bon vivant, trop fêtard, trop voyant… il n’aura été ni un grand espion, ni un grand agent double.
18 04 1983
Attentat suicide du Hezbollah contre l’ambassade américaine de Beyrouth : 63 morts, dont quasiment tous les membres de la CIA.
25 05 1983
Le quartier de la Défense n’est encore qu’un grand désordre de tours qui rivalisent de hauteur, le tout sans aucune unité, sans aucun sens. Il y a bien longtemps qu’existe un projet pour donner du sens à tout cela : on le nomme alors Tête-Défense. Un concours a été lancé : quatre candidats ont été retenus au final et le choix ultime revient à François Mitterrand, dûment conseillé par Robert Lion, ex patron des HLM puis directeur de cabinet du Premier Ministre : c’est le projet d’un architecte danois – un cube de 100 m. de coté – qui est retenu : Otto Johan Von Spreckelsen, enseignant en temps normal, n’ayant construit jusqu’alors que quatre églises et sa maison. Il a délégué la partie technique à Erik Reitzel, ingénieur : ce que voit Mitterrand n’est guère plus qu’une esquisse. Le parti pris d’un édifice qui ne s’inscrive pas dans la course en hauteur de l’ensemble des bâtiments voisins, mais vienne en casser la logique en même temps que donner une tête – un cube : quoi de plus simple ? – à un ensemble qui en était jusqu’alors démuni, a emporté la décision. Mais au fait, que va-t-on mettre dans ce cube ? Pour le principal, un Centre International de la Communication. En ces temps de naissance de l’Internet, cela pourrait être paraître une bonne idée, mais en fait personne ne sait précisément ce que ce pourrait être… Les premières difficultés ne sont pas loin. Si le comment va s’avérer très difficile à mettre en œuvre, le pourquoi, lui, n’aura jamais de réponse.
Un étranger ne peut pas deviner qu’en se mettant à fréquenter de près la haute administration française, c’est un voyage kafkaïen qu’il entreprend, d’où il peut très bien ne pas sortir vivant et ce sera le cas. Demandez donc à Jean Nouvel ce qu’il en pense, et pourtant, il est français. Les aléas d’un pareil programme, les changements constants de l’administration auront raison de sa patience : il rendra son tablier avant la fin et mourra l’année suivante d’un cancer, dont l’origine est, plus souvent qu’on ne le dit, un choc affectif. Dans des temps anciens, on croyait qu’un monument ne pourrait rester debout que si une vie lui était sacrifiée : et donc, on sacrifiait un chat le plus souvent (ce fut encore le cas au viaduc de Garabit au XIX° siècle) ; en ce XX° siècle finissant c’est carrément l’architecte qu’on sacrifie. Peut-être eut-il mieux valu sacrifier celui qui avait choisi l’architecte…
Rapidement, l’ensemble des responsables du projet réaliseront que Spreckelsen n’était pas homme à assimiler la complexité de l’administration française et de la gestion technique d’un pareil chantier. Paul Andreu, qui avait déjà construit l’aéroport de Roissy, et plus tard construira l’opéra de Pékin, avait participé au concours : il avait une agence réputée et les arcanes françaises d’un grand chantier n’avaient pas de mystère pour lui : il va être associé à ce projet en tant que maître d’œuvre de réalisation, titre taillé sur mesure pour l’occasion, histoire de ne pas utiliser le terme de chef de chantier, et c’est lui qui terminera l’ouvrage quand Spreckelsen rendra son tablier.
La grande Arche de la Défense : 110 mètres de haut, 108 de large et 112 de profondeur, sera inaugurée en mai 1989. Fermé pendant huit ans et deux ans et demi de travaux, le toit sera de nouveau ouvert au public – restaurant, promenade belvédère de 1 000 m² – le 1° juin 2017.
Ces gens -là (les fonctionnaires) sont les pires parce qu’ils sont beaucoup plus répandus, plus invisibles, plus nocifs que les vrais monstres. Ils ont leur morale en devanture, le sens du devoir en bandoulière, et le service de l’Etat en parapluie. En un coup de tampon, ils peuvent envoyer des gens à la mort sans jamais s’interroger sur les effets de leur acte. Dans le crime administratif, la victime est sans visage. Son caractère collectif dilue le crime en faute. Quoi de plus anodin ?
Pierre Assouline. La cliente. Folio. p. 160.
Spreckelsen a eu vraiment très peur du passage à la réalité. On connaît ça, nous autres, les architectes. Le bâtiment existe dans notre tête. Il y est né, rêvé. Il est dans les papiers, pensé. Ce n’est pas un rêve au sens onirique, plutôt une construction mentale. Et puis il faut qu’il vienne. Il faut qu’il apparaisse et c’est très difficile à vivre, sauf pour ceux qui s’en foutent. Quand on ne s’en fout pas, on souffre mille morts. Parfois, c’est le bonheur – mais moi, pratiquement, je n’ai jamais connu ça. C’est dur de construire. C’est compliqué.
Paul Andreu
Laurence Cossé écrira La Grande Arche chez Gallimard en 2016
2 06 1983
Léopold Sedar Senghor, ancien président du Sénégal, entre à l’Académie Française.
18 06 1983
Premier tir réussi de la fusée Ariane IV.
21 07 1983
Peugeot Talbot présente un plan de 7 371 suppressions d’emploi.
17 08 1983
François Mitterrand était taraudé par le quid de la vue qu’on aura de la Grande Arche depuis les Champs Élysées et l’Arc de Triomphe. La finalité, le contenu du bâtiment, étaient le cadet de ses soucis. Il avait déjà reçu à l’Élysée Spreckelsen, lequel était venu … en sabots (ah ça, on s’en souviendra dans les chaumières parisiennes : on a beau être danois, comment peut-on oublier que la France est restée une monarchie). Les deux hommes s’étaient appréciés, malgré ou peut-être à cause des sabots… Mais les simulations envoyées par Sperckelsen depuis Copenhague ne le satisfaisaient pas. Reitzel suggère alors une simulation grandeur nature et construisant une réplique en bois du toit de la Grande Arche… qu’il suffira d’élever à la bonne hauteur – 100 m. – pour que le président puisse se faire une juste idée. 100 mètres ! Une seule entreprise en France a 2 grues à pareille hauteur : Ponticelli. L’une est à Bordeaux : qu’à cela ne tienne, on la fait venir dare-dare – bonjour le tournant de la rigueur -, et François Mitterrand peut voir ce que ça donne. On renouvellera l’opération le lendemain matin très tôt, avec les couleurs du lever du jour.
19 08 1983
Des voleurs comme il faut c’est rare de ce temps
Georges Brassens. 1972
Bruno Sulak a enfilé des chaussures Diadora, des chaussettes blanches et un polo Fila. Verres fumés sur le nez, il porte un grand sac en bandoulière d’où dépasse une raquette, à côté de laquelle il a glissé deux 357 Magnum et plusieurs paires de menottes. il entre au numéro 57 – une bijouterie Cartier – de la Croisette à Cannes. Il porte aussi au doigt une magnifique bague volée à la bijouterie Cartier de Paris, avenue Montaigne… Lorsqu’une vendeuse l’accoste, le faux tennisman demande à voir des solitaires. Elle lui ouvre la vitrine. Une minute après arrive le complice de Sulak, un grand type baraqué qui se fait appeler Steve. Cet ancien boxeur yougoslave a servi de garde du corps à Jean-Paul Belmondo et a même figuré dans l’un de ses films, Le Professionnel, de Georges Lautner, sorti en 1981. Steve regarde des montres avec le directeur en personne. Les les deux bandits sortent alors leurs revolvers, et poussent vendeurs et clients, sept personnes en tout, vers l’arrière-boutique. Ils les obligent à s’asseoir par terre et les menottent, deux par deux. Bruno Sulak contraint ensuite le personnel à ouvrir les coffres-forts, qui contiennent des pièces exceptionnelles. Avec Steve, il vide comptoirs et vitrines, où se trouve notamment un briquet très particulier en forme de panthère, incrusté d’émeraudes, que Sulak avait repéré avant le casse. Le duo prend son temps, près de dix minutes. Une durée incroyable pour un braquage se déroulant de jour, sur une Croisette ultra-fréquentée, en plein été. Avant de partir, il remet à une cliente la bague qu’il portait : gardez-là… elle vient de Cartier av Montaigne à Paris où je l’ai empruntée … pour vous.
La suite, c’est une fuite par la rue François-Einesy, qui longe la boutique Cartier devant l’hôtel Carlton, et un départ sans anicroche dans une Renault de location. Les braqueurs gagnent l’aéroport de Cannes-Mandelieu, où ils ont réservé un jet privé, et volent confortablement jusqu’à Paris pendant que la frontière avec l’Italie est prise d’assaut … Le préjudice se révèle colossal : 40 millions de francs (environ 12 millions €). Du jamais-vu à l’époque pour une bijouterie. Pour autant, Alain-Dominique Perrin, le PDG de Cartier, estime que les braquages de son enseigne à Cannes et à Paris constituent une excellente réclame : C’est une mémorisation visuelle du nom de Cartier comme aucune campagne de publicité ne pourrait en créer, déclare-t-il à l’époque. Les voyous ont agi à visage découvert.
Le duo de la Croisette est donc facilement identifié par les employés de Cartier. Le lendemain, le visage de Sulak s’affiche au journal de 20 heures. Alors que le jeune homme procède à de nouveaux repérages à Paris, un bijoutier le reconnaît. Le bandit préfère prendre le large, direction le Brésil. La trajectoire glamour de Sulak, braqueur original et médiatique des années 1980, s’achèvera tragiquement. Début 1984, le fugitif voudra revenir en France mais se fera pincer à la frontière espagnole au volant d’une voiture volée, avec des faux papiers. Il n’est pas identifié sur-le-champ et manque même d’être libéré, avant d’être finalement reconnu.
Incarcéré à Fleury-Mérogis (Essonne), dont on ne s’évade que très peu, il va pourtant tenter sa chance. Non pas en force, mais en séduisant par son charisme un sous-directeur et un surveillant stagiaire, auxquels il promet plusieurs millions. Le 18 mars 1985, dans la nuit, le surveillant ouvre la cellule de Sulak.
Le plan prévoit qu’il quitte la prison dans le coffre de la voiture du sous-directeur. Mais la suite est bien différente. Trahi par le son d’un talkie-walkie donné par ses complices, le détenu, caché dans un placard, est repéré par des gardiens. Il prend alors ses jambes à son cou, puis tombe d’une fenêtre du deuxième étage en tentant d’échapper aux surveillants. Huit mètres de chute, incontrôlée. Ses proches ne croiront jamais à un accident alors que le gangster, ancien parachutiste, était aguerri à ce type de cascade. A-t-il été poussé, comme le soutient sa famille ? Le mystère demeure. Bruno Sulak heurte le béton et plonge dans un coma dont il ne sortira jamais. Il n’avait pas 30 ans.
18 mars 1985, Bruno Sulak meurt en tentant de s’évader de Fleury-Mérogis. Le lendemain, les journaux en font leurs gros titres. (Titwane pour Le Parisien Magazine)
Le braquage de la bijouterie Van Gold, près de l’Opéra de Paris, en janvier 1983, c’est lui. Lui encore, le hold-up de la boutique Cartier de l’avenue Montaigne, une semaine plus tard. Un butin total qui s’élève à environ 12 millions de francs (environ 3,5 millions €). Sans le moindre coup de feu et avec un minimum de violences. Depuis des mois, le cambrioleur est devenu l’un des malfaiteurs les plus recherchés de France. Sa spécialité ? Le vol de diamants. Sans le moindre coup de feu et avec un minimum de violences. Beau brun, mince et élancé, la peau bronzée, Sulak est décrit par tous ceux qui le croisent comme un « beau gosse », un « séducteur » qui obtient ce qu’il souhaite assez facilement. Fils d’un légionnaire d’origine polonaise, il a vu le jour en 1955, en Algérie, à Sidi Bel Abbès, alors bastion de la Légion étrangère en Afrique du Nord. Comme son père, il portera lui aussi le képi blanc, à l’âge de 20 ans. Affecté chez les parachutistes, au régiment de Calvi (Haute-Corse), il déserte en 1978. Bruno Sulak commence alors à « taper » des supermarchés. Il est arrêté, s’évade en sciant les barreaux de sa cellule à la maison d’arrêt d’Albi (Tarn), et se fait reprendre à Paris en 1982. Le commissaire Georges Moréas, patron de l’Office central pour la répression du banditisme (OCRB), qui mène la chasse contre lui, se charge de sa garde à vue. Il le décrit encore aujourd’hui comme un type plutôt sympa et atypique, par rapport aux braqueurs qu’on rencontre habituellement. Il parle volontiers, de tout et de rien. Alors qu’il part pour des années de prison, Sulak le prévient : Je m’évaderai, n’ayez crainte ! Le bandit tient parole. Six mois plus tard, alors qu’il revient d’une audition chez un juge à Montpellier, il est ramené en train vers Lyon. Escorté par plusieurs gendarmes, il parvient à les neutraliser à l’aide de deux complices faisant irruption dans le wagon. Le train s’arrête et les bandits parviennent à s’enfuir en pleine gare de Nîmes, menottes aux poignets pour Bruno Sulak. De nouveau libre, il s’attaque désormais à des bijouteries des beaux quartiers parisiens. Avec un sacré toupet. Comme le prouve son coup de téléphone à Georges Moréas, après le vol commis chez Cartier, avenue Montaigne : Salut commissaire, tout va comme tu veux ? lance-t-il avant de lui proposer un rendez-vous et… une montre Cartier pour sa compagne. Mais la rencontre n’aura pas lieu, Sulak raccroche brusquement, sans donner d’adresse.
Déjà, la presse l’a affublé d’une série de sobriquets : l’Arsène Lupin des bijouteries, ou le Robin des bois du braquage. N’a-t-il pas, lors d’un hold-up, donné un solitaire à une cliente ? Et 10 000 francs (3 000 €) en billets à une personne mendiant devant une bouche de métro ?
Brendan Kemmet. Le Parisien 29 août 2017
26 08 1983
François Mitterrand est en visite privée en Arles, ce qui ne l’empêche pas d’être reçu à la mairie et d’y prononcer un discours. Pour la soirée a été prévue un spectacle de l’École d’équitation espagnole de Vienne. Depuis un peu plus de deux ans, les Arlésiens ont eu le temps de se rendre compte qu’en matière de promesses électorales, on est loin du compte et, sitôt son entrée à la tribune, il se voit sifflé, conspué sur fond sonore de Toreador, prends garde, de Carmen, de Bizet – chant qui est repris dans tous les spectacles méridionaux, tant équestres que taurains. Il ne s’attarde pas et s’en va.
1 09 1983
Un Boeing 747 sud-coréen – vol 007 Korean Airlines – reliant New-York à Séoul via Anchorage, s’égare dans l’espace aérien soviétique. Il est abattu par un Soukhoï SU-15 de la défense aérienne soviétique, piloté par le colonel Ossipovitch à proximité de l’île Moneron, à l’ouest de l’île Sakhaline : 269 morts. Le maréchal Orgakov, ministre de la défense, revendiquera le 9 septembre 1983 la responsabilité de l’opération, arguant de la confusion avec un Boeing RC-135 S, qui aurait pu être un avion espion, et qui était dans les parages au même moment. C’est Andropov qui est alors à la tête de l’URSS, même si, gravement malade des reins, il est sous dialyse permanente. Andropov, notre politicien le plus branché entend-t-on dans les rues de Moscou.
26 09 1983
Australia II remporte la Coupe América, avec 41″ d’avance sur le bateau de Dennis Conner : c’est la première fois depuis 1851 que la coupe America va à des mains étrangères.
Le lieutenant colonel Stanislav Petrov, dans un bunker proche de Moscou a pour mission d’évaluer les données d’un système d’alerte satellite et, en cas d’attaque nucléaire, d’avertir sa hiérarchie. Peu après minuit, l’alarme retentit, le système ayant détecté cinq missiles américains qui foncent sur l’URSS. Mais Stanislav Petrov se refuse à y croire, et se contente de rapporter une fausse alerte. Bien lui en prend. C’est l’homme qui avait tout juste et la machine tout faux.
27 09 1983
Une fusée Soyouz avec à son bord les cosmonautes Titov et Strekalov explose sur son pas de tir, quelques secondes avant le décollage. Mais il y a un système de sauvegarde qui va parfaitement fonctionner : au sommet de Soyouz est en place une mini-fusée qui expulse brutalement la capsule où se trouvent les cosmonautes et la fait atterrir à plusieurs kilomètres de l’explosion au bout d’un parachute. Après avoir subi une accélération de 18 g, ils étaient un peu groggy, mais ils étaient bien vivants
5 10 1983
Le Nobel de la Paix à Lech Walesa. Le pape est revenu en Pologne, encore triomphalement, faisant acclamer Solidarnosc dissous, ranimant la flamme de la résistance.
15 10 1983
Un peu moins de quarante jeunes issus de l’immigration quittent le quartier de la Cayolle à Marseille à pied ; venus du quartier des Minguettes à Lyon, ils ont à leur tête Toumi Djaïda, Christian Delorme, prêtre et un pasteur : ils seront à Paris le 3 décembre : c’était la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme, rapidement rebaptisé Marche des beurs. Leurs rangs n’ont pas énormément grossis pendant ces trois semaines de marche, mais leurs supporters, si : accueillis à Paris par 100 000 personnes ! 100 000 personnes, ça veut dire que l’on est reconnu, et, quand on avait jusque là toutes les raisons d’en douter, c’est un grand pas qui est franchi. Ils sont reçus par le Président de la République. Ils obtiendront le passage généralisé de la carte de séjour de 3 à 10 ans. Dix ans plus tard naîtra SOS Racisme, dont ils seront maintenus à l’écart. Nadia Lakhdar en fera un film : La Marche, sur les écrans en novembre 2013, sur fond de reconnaissance : Je t’embrasse comme j’embrasse la France.
Lequel président de la République, dans le fond, avait très peu changé dans sa perception des Arabes depuis la guerre d’Algérie lorsque, ministre de l’Intérieur, il disait : avec le FLN, la seule négociation, c’est la guerre. En 1983, il dit : Avec les enfants du FLN, la seule négociation, c’est la ruse. Dans ces conditions, il n’était pas nécessaire d’aller plus loin pour que tout ce qui sera entrepris foire.
23 10 1983
Double attentat à Beyrouth contre les forces multinationales de sécurité : 239 Marines américains meurent à 6 h 15, dans leur QG proche de l’aéroport et 58 parachutistes français du 1° Régiment de Parachutistes, à 6 h 30’ cantonnés dans l’immeuble Drakkar. Les Américains se vengeront, les Français, essaieront, mais sans succès. L’attentat contre la France pourrait être dû à la fourniture par la France à l’Irak d’avions Super Etendard et de missiles Exocet avec les instructeurs idoine ou à la rupture du contrat Eurodif par la France lorsque Khomeiny était arrivé au pouvoir. L’attentat contre les marines américains pourrait être la réponse du Hezbollah aux tirs de la 6° flotte américaine, en appui aux forces libanaise de Michel Aoun contre les habitants du village de Souk el-Gharb, du 15 au 25 septembre.
En représailles, le service Action de la DGSE, dirigé par le colonel Jean-Claude Lorblanchés, organise une opération homo, dans la nuit du 6 au , à l’aide d’une Jeep bourrée de 600 kilos d’explosifs devant exploser devant le mur d’enceinte de l’ambassade d’Iran de Beyrouth. L’opération, au nom de code opération Santé, ne se déroula pas comme prévu, à cause d’un problème technique, lié probablement aux retardateurs de la bombe, la Jeep n’explosa pas. La seconde riposte sera l’opération Brochet le : huit Super-Étendard de la Marine Nationale décollant du porte-avions Clemenceau effectuent un raid sur la caserne Cheikh Abdallah, une position des Gardiens de la Révolution islamique et du Hezbollah dans la plaine de la Bekaa. Ils larguent, selon les sources ouvertes, une trentaine de bombes qui tuent une dizaine de miliciens chiites et une douzaine de soldats iraniens, mais la caserne a été désertée par la majorité de ses occupants, prévenus du raid par une fuite d’un diplomate français proche du ministre des Affaires étrangères Claude Cheysson, opposé à toute riposte militaire.
Le , la CIA organise un attentat à la voiture piégée en représailles à l’attaque contre les troupes américaines. L’attentat devait principalement tuer Mohammed Hussein Fadlallah , un représentant religieux influent auprès de la population chiite libanaise, qui bien que non lié à ces événements et opposé aux attaques suicides était proche du Hezbollah. Celui-ci échappe à l’attentat, mais la puissance de l’explosion tue 80 personnes et en blesse plus de 200 autres parmi les habitants du quartier.
Wikipedia
16 11 1983
François Mitterrand est l’invité de l’émission d’Antenne 2 : L’Heure de vérité : Il y a peut être des gens, il y a sûrement des gens en Union soviétique qui veulent la paix mais pour l’instant on y développe l’armement, et à l’Ouest, on développe le pacifisme. Ce n’est pas égal.
28 12 1983
Fatigués de payer les dépenses somptuaires du directeur général de l’UNESCO, M. M’Bow, fatigués aussi de la mauvaise gestion générale, les États-Unis cessent de financer cet organisme international qui doit assurer la promotion de l’enseignement et plus globalement de la culture.
1983
Rapport Paul Schwartz sur l’état de l’Université. Naissance de ELDO : organisme européen pour la construction de propulseurs. Les financements sont ainsi répartis : France 62,5 %, RFA 20,12 %, Belgique 5 %, Angleterre 2,4 %, Espagne 2 %, Pays Bas 2 %, Italie 1,74 %, Suisse 1,2%, Suède 1 %.
La chaleur de l’été a fait 3 000 morts en France.
Muhammad Yunus, 43 ans, est professeur d’économie au Bengladesh : la pauvreté de la grande majorité de ses concitoyens le désole… mais il décide de ne pas en rester là et, contre l’avis des banquiers et des politiques, il fonde la Grameen Bank, organisme financier qui se spécialise dans le micro-crédit, accessible aux plus pauvres… une marche d’escalier pour leur permettre de rompre le cycle infernal et d’améliorer leur quotidien. 20 ans plus tard, la Grameen Bank a 1 084 agences, 12 500 employés, 2.1 millions de clients dans 37 000 villages. 94% de ces clients sont des femmes. Elle a essaimé dans 58 pays : le succès est complet.
La Guinée Conakry verra plusieurs tentatives de micro-crédit : certaines, sous le patronage du Crédit Mutuel, tourneront court, malversations aidantes, d’autres deviendront fiables et viables, telles le Crédit rural ; mais la fragilité des économies concernées restera dominante pour cette structure : en 2014, l’épidémie Ebola gèlera les marchés locaux : Gueckedou, Macenta, Kissidougou, Nzerekore qui disparaîtront pour plusieurs mois…. Les clients du Crédit rural, essentiellement des producteurs qui constituent la base des marchés, cesseront, – nécessité fait loi -, de rembourser leurs emprunts. Les caisses du Crédit rural ferment. C’est le Luxembourg qui, avec un don de 150 000 €, permettra au Crédit Rural de survivre en épongeant ainsi le manque à gagner.
Et quarante et plus tard, en août 2024, Mohammed Yunus, 84 ans, installé à Dhaka sera appelé par le président Mohammed Shahabuddin pour occuper le poste de 1° ministre d’un gouvernement provisoire, laissé vacant par la fuite à l’étranger de Sheik Hasina, à ce poste depuis 2009, chassée par des étudiants en colère fatigués de la voir faire passer des lois en faveur de son clan. Avant la nomination de Mohammed Yunus , le président du Bangladesh a dissous le Parlement.
Chicago se donne un maire noir : Harold Washington : la communauté noire a voté à 97 %, et la victoire est serrée : 46 000 voix sur 1,3 million de votants.
En France, Martine Rolland est la première femme guide de haute montagne.
16 02 1984
Les camionneurs paralysent les Alpes.
03 1984
Georges Bush demande à l’ancien ambassadeur plénipotentiaire de l’URSS aux pourparlers sur le désarmement de lui organiser un rendez-vous avec Mikhaïl Gorbatchev, alors complètement inconnu. L’ambassadeur s’étonne, et George Bush lui répond : c’est votre prochain leader. Mikhaïl Gorbatchev aurait-il été mis sur orbite par la CIA ? Gromyko – camarade niet – pour les Occidentaux, sera mis au courant, restera alors muet et c’est lui qui proposera Gorbatchev à la fonction de secrétaire général du PCUS.
Guðlaugs Friðþjófssonar, solide gaillard Islandais, est à bord du chalutier MS Hellisey qui chavire, on ne sait pas pourquoi : les cinq hommes tombent à la mer mais lui seul s’en sortira vivant : dans une eau à environ 5°, il nagera pendant près de six heures pour gagner finalement la côte des îles Vestmann, au large de la côte sud de l’Islande. Aujourd’hui, des médecins mettent cette incroyable résistance au froid au compte de ce que l’on nomme aujourd’hui une surcharge pondérale, nommée autrefois embonpoint, et, encore avant, en bon point.CQFD. Presque trente ans après, un film sera réalisé par l’Islandais Baltasar Kormakur : Jar City.
05 1984
L’Irak s’en prend au pétrole de l’Iran : 100 navires ont été détruits depuis 1980. On compte déjà 0,5 M. de morts.
21 06 1984
Mitterrand est à Moscou. Lors du dîner de gala, il interpelle Michail Gorbatchev, commissaire du peuple à l’Agriculture, assis entre Constantin Tchernenko et Andréï Gromyko, lui demandant pourquoi il n’a pas encore participé aux entretiens, et Gorbatchev lui répond qu’il était retenu en Azerbaïdjan pour une réunion sur l’agriculture. Constantin Tchernenko enchaîne : Et que se passe-t-il là-bas ?
Gorbatchev : Tout le monde dit toujours que tout va bien, mais c’est faux. D’ailleurs, l’agriculture dans toute l’URSS est un désastre…
Tchernenko : Depuis quand ?
Gorbatchev : Mais depuis 1917 ...
Deux jours plus tard, retour à la maison pour les Français ; une voix s’élève : On a perdu les Faure [Edgar et Maurice ; ce dernier parlant le russe, prend un évident plaisir à s’égarer]. Une autre voix s’élève : Bah, ils ont dû demander l’asile politique ! Éclat de rire de Mitterrand !
4 06 1984
La défense de l’école libre réunit à Versailles environ 1 M. de personnes.
12 07 1984
Mitterrand décide du retrait pur et simple de la loi Savary sur l’École.
19 07 1984
À 39 ans, Laurent Fabius devient premier ministre.
24 07 1984
Huit ans après s’être lancé de façon tout à fait artisanale dans la fabrication d’un ordinateur, Steve Jobs, patron d’Apple, lance le premier Mac Instosh, premier ordinateur intégré – écran et unité centrale – à interface graphique et souris.
4 08 1984
Succès du 1° tir d’Ariane 3 : elle emporte une charge de 2 580 kg, contre 1 825 pour Ariane I.
9 08 1984
Alain Ducasse, cuisinier déjà célèbre, 27 ans est le seul survivant du crash d’un Piper Aztec PA23, fans la forêt de l’Épine. 5 passagers/pilote se trouvait à bord. Venant de Cannes, il était en approche de Chambéry pour se rendre à Courchevel; cet accident lui vaudra treize opérations sur une année d’hôpital. Il renoncera à la nationalité française pour prendre celle de Monaco le 23 juin 2008.
08 1984
Premier marathon olympique féminin aux Jeux de Los Angeles : Les images se bousculent. L’Américaine Joan Benoit, qui enlève sa casquette dans la dernière ligne droite, salue le public et entame, après 42,195 kilomètres, un tour d’honneur sur le même rythme infernal que sa course, ou presque, la Norvégienne Grete Waitz sur les talons. Mais elle a encore tout un tour de stade à faire, l’ex-favorite, la championne du monde archibattue, et elle sourit. Le rêve passe pour Grete ; elle ne sera jamais championne olympique, car elle a réalisé depuis longtemps, depuis 20 kilomètres au moins, que l’Américaine était la plus forte.
Joan Benoit triomphe, bannière étoilée à bout de bras, tandis que Gabrielle Andersen-Schiess, la Suissesse, entre en titubant dans le stade. Pathétique. Elle ne court plus : elle marche, elle vacille, elle va tomber. Deux infirmières la suivent, pas à pas, prêtes à la secourir. Mais elle veut finir seule. Elle essaie de recourir. En vain. Alors, elle marche, en zigzag, les genoux qui se cognent, complètement déhanchée, disloquée. Quatre-vingt -dix mille spectateurs hurlent, la poussent, la portent vers la ligne.
Julie Brown, une autre Américaine, qui a essuyé une terrible défaillance après avoir mené la chasse derrière Joan Benoit, entre alors dans le stade. Foulée courte, rythme saccadé. En larmes. Elle passe la Suissesse presque arrêtée dans le dernier virage. Elle pleure, Julie. Elle s’écroule à l’arrivée, tandis qu’au bout de la dernière ligne droite, Gabrielle, à demi inconsciente, ivre de fatigue, traverse la piste sur toute sa largeur. Les infirmières l’empêchent de monter sur la pelouse. Elle marche toujours. Elle va terminer. Elle termine… à vingt-quatre minutes de la première !
C’est le marathon, le premier marathon olympique féminin de l’histoire. Et le petit bout de femme qui l’a remporté est une géante, en dépit de son 1,60 mètre et de ses 47 kg, toute mouillée de sueur. Elle a fait toute la course en tête, ou presque. Au premier ravitaillement, celui du cinquième kilomètre, elle s’est trouvée devant. Elle est partie. Et elle a continué jusqu’au bout, prenant rapidement 100, 200, 400 mètres au peloton de chasse qui l’avait en ligne de mire dans les interminables lignes droites des avenues et des freeways de Los Angeles, emmené par les Norvégiennes Waitz et Kristiansen… et par la minuscule Portugaise Rosa Mota.
Devant, Joan Benoit, casquette blanche vissée sur la tête, visage constellé de taches de rousseur, fines boucles aux oreilles, grave et concentrée, est à son affaire. À l’arrivée, 2 h 24′ 52″, à plus de deux minutes de la meilleure performance mondiale, qu’elle réussit à Boston en 1983 (2 h 22′ 43″). Mais, compte tenu de la chaleur et de la pollution… elle a laissé Grete Waitz à 1’26 », un tour. Elle aurait battu Mimoun de huit secondes, lorsque ce dernier a remporté le marathon de Melbourne, en 1956, dans des conditions de chaleur identiques. Sa performance de Los Angeles est la troisième de tous les temps.
Elle revient de loin, pourtant, Joan Benoit. Elle n’a pas été épargnée par les blessures. En 1981, après avoir été opérée des deux tendons d’Achille, elle a eu beaucoup de mal à revenir au premier plan. Très longtemps, elle a dû se contenter de faire une heure de bicyclette par jour et de la rééducation. Cette année, encore, le 17 avril dernier, elle a été opérée à un genou et ne pensait pas pouvoir participer aux Jeux.
Sa médaille d’or est quasi miraculeuse. Elle vient récompenser une jeune femme de 27 ans pour qui la course à pied est une réelle passion. Joan Benoit habite une île proche de la Côte est, dans l’Etat du Maine. Et, chaque jour, elle court en solitaire, une trentaine de kilomètres autour de son île, sous la neige ou dans le vent glacé de cette région vallonnée. Dure au mal, Joan Benoit ! Elle est son propre entraîneur, et affirme ne courir que contre elle-même.
On la croit volontiers en constatant combien elle s’est peu occupée des concurrentes pendant son marathon olympique. À voir son visage durant la course, on comprenait qu’elle n’écoutait que sa petite musique intérieure, le rythme de son souffle, et l’horloge qui égrenait les secondes dans un coin de son cerveau. Indifférente à tout ce qui n’était pas SA course… silhouette frêle et solitaire, perdue par moments sur les six voies d’une autoroute en béton.
Ce n’est qu’à l’arrivée qu’on a su qu’elle sait aussi sourire.
Christian Binder. Le Monde du 7 août 1984
13 09 1984
La Pan Am commande 91 Airbus.
12 09 1984
L’Anglais Alec Jeffreys invente la technique des empreintes génétiques qui permet d’identifier l’ADN de chacun.
22 09 1984
Mitterrand et Kohl se serrent la main à Verdun. Dans les mêmes semaines, Mitterrand a donné ordre à l’amiral Lanxade de maintenir au large de Tripoli un porte-avion, un sous-marin nucléaire, un sous-marin classique, et une frégate. Les troupes françaises stationnées au Tchad ont contenu dans les mois précédents celles de Muammar Kadhafi dans le cadre de l’opération Manta : les premières se sont maintenant repliées sur le Tchad et celles de Kadhafi en deçà de la bande d’Aouzou qui devrait rester neutre. Mais la position des troupes françaises est fragile et se trouve à la merci d’un mauvais coup possible : Mitterrand envisage de supprimer purement et simplement Khadafi par une opération commando lancée depuis les navires de la Royale : destruction des vedettes du Guide dans le port de Tripoli, bombardement des pistes de Misrata, d’où décollaient les MIG libyens. Mais finalement cela ne se fera pas. La presse n’apprendra tout cela que …30 ans plus tard !
4 10 1984
Thomas Sankara, président du Burkina Faso, est à la tribune de l’ONU :
12 10 1984
Margaret Thatcher se trouve dans un hôtel de Brighton. L’IRA y fait exploser une bombe, qui tue 4 personnes. Margaret Thatcher est sauve car elle n’est pas dans sa chambre, mais dans une pièce voisine où elle étudie ses dossiers.
16 10 1984
Gregory Villemin est retrouvé mort à 21 h 15′, dans le Barba, un bras de la Vologne, une rivière des Vosges, affluent de la Moselle, rive droite : comme l’affaire Dominici, 30 ans plus tôt, l’envie, les non dits, la dissimulation et le mensonge qui irriguent encore une bonne part de la société française reviennent en surface et ce sera pendant des années une affaire en or pour la presse à scandale. Un corbeau avait harcelé sa famille au téléphone de mai 1981 à mai 1983, puis s’était tu jusqu’à ce 16 octobre, envoyant alors une lettre à Jean Marie Villemin, le père de Grégory : j’espère que tu mourras de chagrin, le chef, ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con.
La Vologne traverse la commune de Docelles, qui vit essentiellement d’une des plus anciennes papeteries de France, puisque créée vers l’an 1500. Propriété du groupe finlandais UPM depuis 1978, malgré 26 millions d’investissements en 2006, la très forte diminution de la consommation de papier due au développement du courrier via internet va mener à se fermeture en 2014 : 165 personnes y travaillaient.
16 octobre 1984
Le corps de Grégory Villemin, trois ans est retrouvé dans la Vologne, pieds et poings liés.
17 octobre 1984
Jean-Marie et Christine Villemin, les parents de Grégory, reçoivent une lettre anonyme. Murielle Bolle affirme avoir vu l’enfant avec Bernard Laroche quelques heures avant sa disparition
5 novembre 1984
Suspecté d’être le corbeau, Bernard Laroche est inculpé d’assassinat et écroué
février 1985
Murielle Bolle est libérée. Bernard Laroche est libéré
29 mars 1985
Jean-Marie Villemin tue Bernard Laroche
5 juillet 1985
Christine Villemin, suspectée d’avoir postée la lettre anonyme, est écrouée et inculpée pendant onze jours pour la mort de son fils
septembre 1986
Le juge Jean-Michel Lambert est dessaisi de l’affaire Gregory
3 février 1993
Christine Villemin bénéficie d’un non-lieu pour absence totale de charges.
16 décembre 1993
Jean-Marie Villemin est condamnée à cinq ans de prison pour le meurtre de Bernard Laroche
2008/2013
Les époux Villemin demandent de nouvelles recherches ADN.
8 juillet 2008
Jean-Marie Beney, procureur près la cour d’appel de Montpellier, décide la réouverture de l’enquête, avec pour principal objectif, le traitement des ADN prélevés.
14-15 juin 2017
Marcel et Jacqueline Jacqueline Jacob, oncle et tante de Jean-Marie Villemin, sont mis en examen à Dijon pour enlèvement et séquestration suivis de mort
28 juin 2017
Murielle Bolle est placée en garde à vue puis mis en examen pour enlèvement de mineur suivi de mort
11 juillet 2017
Le juge Jean-Michel Lambert se suicide
9 septembre 2017
Un rapport de gendarmerie de près de 50 pages est catégorique : c’est Bernard Laroche et Muriel Bolle qui ont enlevé Grégory Villemin. Mais ce sont d’autres personnes qui l’ont assassiné, très probablement commanditées par les époux Jacob.
16 mai 2018
Annulation des mises en examen de Marcel et Jacqueline Jacob
16 janvier 2019
La justice met fin à la mise en examen de Murielle Bolle, tout en retenant ses premières déclarations faites aux gendarmes, avant sa mise en examen, par lesquelles elle affirmait que c’était Bernard Laroche qui avait enlevé Gregory Villemin.
Grâce à un logiciel récent, les policiers ont pu rassembler des faits jusqu’alors dispersés et avoir une nouvelle analyse graphologique de Jacqueline Jacob, qui pourrait être l’un des corbeaux : ainsi parleront les enquêteurs en 2017, ce qui ressemble fort à une séance d’enfumage parfaitement classique : comment donc peut-on croire qu’un logiciel soit nécessaire pour analyser l’écriture d’une très proche parente de Grégory : la seule question est de savoir où est la monumentale carence qui a fait négliger cette piste pendant 30 ans. Mais il est bien plus simple pour la police d’avancer la mise en service d’un nouveau logiciel que de reconnaître ses bourdes passées. De toutes façons, les faits retenus par la justice seront trop maigres pour justifier le maintien en cage… le couple Jacob sera remis en liberté… extrêmement surveillée, marqué à la culotte de très près.
Dans ce microcosme familial, tout le monde – ou presque – sait tout, et tout le monde se tait depuis des décennies
Une source proche de l’enquête
En décembre 2020, la justice réouvrira le dossier au vu d’un nouveau type d’analyse d’écriture – la stylométrie – mis en œuvre par une société suisse, et permettant une définition de la personnalité de l’auteur en faisant appel à l’analyse du style, des tournures utilisées etc …
Trente sept ans après les faits, le 20 septembre 2021, TF1 débutera la diffusion d’un téléfilm en 6 épisodes : Une affaire française. Laurence Lacour, reporter à Europe 1 au moment des faits, s’est imposé le silence pendant 28 ans : elle en sort dans Télérama pour donner son sentiment :
À vingt-sept ans, reporter d’Europe 1 dans la meute, je contribuais à forger l’affaire Grégory. À 36, traumatisée, je publiais Le bûcher des innocents pour tenter de redresser ce Meccano effroyablement tordu en rendant à chacun sa place, honorable ou minable. À 50, j’estimais ma dette soldée à force de témoignages sur les ravages de la fascination pour le malheur des autres. En 2017, j’en avais soixante quand la justice relança l’enquête, aussitôt happée par le tout-info et les réseaux sociaux. Les documentaires s’enchainèrent dont celui, spectaculaire, mais bancal, de Netflix : Gregory, série documentaire de Gilles Marchand. J’ai vu son impact sur les jeunes : Cette histoire est ouf… J’ai halluciné… J’ai adoré. Vertigineux ! En 2021, j’ai 64 ans et TF m’invite à revivre ce lourd passé. Invitée ? Non, car les producteurs d’Une affaire française n’ont pas daigné informer les protagonistes ni me prévenir que les 6 épisodes feraient à ce point écho, souvent mot pour mot, à mon ouvrage. Entre pillage et hommage, j’ai l’habitude d’une tel aplomb, et tant mieux si cela a induit une certaine bienveillance pour tous ces personnages toujours englués dans leur tragédie. Mais pour cette clémence, doublée de précautions pour s’éviter des procès, surgit dans la série un récit hybride écartelé entre souci du réel et arrangements avec la réalité. De l’anecdotique au gravissime, que le téléspectateur ne saura, une nouvelle fois, pas démêler. Et dont les mêmes paieront encore et toujours le prix.
La série relate les deux premières années de cette saga. D’emblée, tout plonge dans le réel ; les noms des lieux et des individus (sauf celui de la reporter radio, fil rouge du récit, et de son acolyte), les voix des présentateurs de l’époque (Ockrent, Mamère, Amar, Pivot…) ; les unes de la presse recomposées avec les photos des acteurs ; les lettres échangées par le couple Villemin ; le papier peint de la chambre de Grégory ; le médaillon en argent avec sa photo au cou de sa mère… Mais, dans ce décor qui sonne vrai, pourquoi prendre autant de libertés avec la réalité ?
Le capitaine Sesmat n’a pas annoncé la mort de l’enfant à ses parents, pas plus qu’il n’a lu la revendication du crime devant eux, ni orienté les interrogatoires sur d’éventuels litiges syndicaux, ni jamais organisé de dictées collectives pour confondre le corbeau, ni interrogé Marcel Jacob, repéré cinq ans plus tard. Il ne s’est pas vu non plus arracher son dossier par les policiers du SRPJ ou souffler la seconde enquête par ceux-ci, déjà saisis. Et non, il n’a pas appris son dessaisissement de la bouche du juge Lambert, mais tout bêtement dans la presse. Le juge Lambert, qui finira par se suicider le 11 juillet 2017, ne pourra pas s’émouvoir d’endosser encore plus d’erreurs qu’il n’en a commis. Souvent défaillant, il était pourtant bien au bout du fil le 3 novembre 1984 quand les gendarmes sollicitèrent une prolongation de la garde à vue de Murielle Bolle, belle-sœur de Bernard Laroche et témoin capital de cette affaire, pour la faire examiner par un médecin. Mais la série fait sonner son téléphone dans le vide. De même, il n’eut pas à s’énerver de découvrir dans la presse le témoignage des filles de la poste qui prétendaient avoir vu Christine Villemin poster une lettre le jour de l’assassinat de son fils – comme si Sesmat le lui avait caché – puisqu’il les avait déjà lui-même entendues trois semaines avant sa colère imaginaire. Le jour venu il n’a pas non plus inculpé Christine Villemin debout dans un couloir entre deux portes ! Et celle-ci, bien qu’ulcérée, n’a pas cherché à le gifler. Enfin, il n’a jamais été dessaisi de son dossier. Les protagonistes n’échappent pas à ce remodelage. Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin et premier suspect de l’assassinat de Grégory, n’a jamais eu à se justifier d’avoir rasé ses favoris, détail révélé bien après sa mort. Le père de Grégory n’a jamais reçu de journaliste avec un fusil et quand, au bout de six mois, il a craqué en tuant Bernard Laroche le 29 mars 1985, il ne s’est pas enfui comme un forcené, mais s’est aussitôt rendu. À cet instant tragique, Marie-Ange Laroche n’était pas en retrait mais courageusement interposée entre son époux et l’arme brandie. La police n’a pas perquisitionnée la maison des Villemin inhabitée mais vide, puisqu’ils l’avaient quitté au lendemain de l’assassinat de leur enfant – détail capital -. Et que dire quand la fiction force l’intime ? Non, Christine Villemin, enceinte, n’a pas perdu les eaux lors d’une visite au parloir de son mari. Et celui-ci n’a pas appris sa tentative de suicide par un tiers mais par RTL où le journaliste Jean-Michel Bezzina le poursuivait de sa haine. Et tant d’autres choses, affadies ou gonflées, qui tous nous malmènent. Cet inventaire, loin d’être exhaustif, m’est pénible à dresser et soulève une question de fond : qu’est-ce qu’une fiction ? Un tissage de faux et de vrai comme le personnage de la reporter radio menant d’emblée croisade au nom d’une déontologie qui ne s’imposera que bien plus tard ? Une réécriture à dessein ? Et si oui, lequel? Et quoi qu’il en soit, cela justifie-t-il de s’emparer une fois de plus du cœur de ces vivants, déjà tellement lacéré ? D’écraser aussi celui de leurs enfants ? En 2006, L’Affaire Villemin de Raoul Peck, série d’Arte en France et France 3, avait été montée pour contrer un premier projet de TF1. Une adaptation à la lettre de mon livre et de celui des Villemin (Le Seize Octobre, éd. Plon). Les noms avaient été modifiés pour amortir le choc du présent, sinon du passé. Les auteurs étaient identifiés, leur légitimité reconnue et leur responsabilité morale et juridique bien établie. Après diffusion, la série a été condamnée en diffamation en raison de ce que pouvait suggérer le regard d’une greffière sur un témoin dans un ultime plan. Une ligne avait été franchie et ce ne fut que justice. Mais en 2021, qui va répondre d’Une affaire française et de ses fantaisies ? Trente-sept ans après… Voilà un nouveau coup de talon sur les mains de ceux qui demeurent agrippés au bord du gouffre où une irresponsabilité généralisée les a précipités. De tout cela je suis fatiguée. Nous sommes fatigués.
Laurence Lacour. Télérama 3741 du 25 septembre au 1° octobre 2021
L’affaire Gregory est un fiasco médiatique et judiciaire inégalé. Le comportement des journalistes est hallucinant. Pour l’enterrement de Grégory, les caméras et les photographes sont partout, sur les murs, à un mètre des gens. Certains d’entre eux ont volé le médaillon de Grégory sur sa tombe, d’autres ont fait la raflette, le pillage des albums photos des familles, sans les rendre. Un photographe a fait venir les parents sur la tombe de leur fils, où il avait disposé des jouets partout. Et Christine et Jean-Marie Villemin avaient 24 et 26 ans à peine. Côté judiciaire, on sait que dans le dossier de sortie d’école de la magistrature de Jean-Michel Lambert il était indiqué : bon pour toute affectation, sauf juge d’instruction. On l’envoie à Épinal, où il manquait déjà un juge, et il se retrouve avec cette affaire, endossant une robe trop grande pour lui : il n’est pas à la hauteur, ni humainement ni professionnellement.
Pour moi, il est établi que ce crime était prémédité et que c’est Barnard Laroche qui a commandité l’événement. Il a été vu trois fois la semaine précédente entre le HLM de la nourrice de Gregory et l’école maternelle : il cherche l’occasion. Le 16 octobre, en voyant Gregory seul devant la maison, il tente le coup. Après, selon Murielle Bolle, il emmène l’enfant près de la Vologne et revient seul. Après, il y a deux solutions : il va lui-même jusqu’au bout ou il remet l’enfant à l’un des membres de ce clan familial. Mais dans tous les cas, il y en a qui savent. L’omerta a tenu quarante ans. […] il y a une infime chance : on a quand même neuf ADN inconnus sur la lettre de revendication et sur l’enveloppe.
Patricia Tourancheau Gregory. Points documents. Midi-Libre du 13 octobre 2024
Lettre postée le 16 octobre 1984 avant 17 h 30′ à Lépanges-sur-Vologne. Grégory a été enlevé vers 17 heures.
19 10 1984
Le père Jerzy Popieluszko, aumônier de Solidarnosc, enflamme régulièrement ses paroissiens par des sermons vibrants contre le régime lors de ses messes pour la Patrie. Il est enlevé par des policiers en civil et torturé à mort.
31 10 1984
Assassinat d’Indira Gandhi, de même que son mentor, le mahatma Gandhi : elle avait maté il y a peu une révolte sikh et ses assassins sont ses deux gardes du corps, sikhs. Pour ses obsèques, elle sera revêtue du sari de fil d’argent que Nehru, son père, avait tissé en prison
25 11 1984
Des troubles se manifestent en Nouvelle Calédonie. Le 5 décembre, il y aura 11 morts. Edgar Pisani est nommé délégué du gouvernement.
3 12 1984
Catastrophe chimique à Bhopal, en Inde, à 600 km au sud de New Delhi : l’explosion d’une usine d’une filiale de la firme américaine Union Carbide produisant des pesticides – le temik et le sevin – provoque le dégagement de 40 tonnes d’isocyanate de méthyle (CH3-N=C=O) . L’usine avait été construite en 1978 à l’économie et dans ce cas, c’est avant tout au détriment de la sécurité. Attirée par l’eau, l’électricité et les salaires offerts par l’usine, la population va affluer autour du site industriel : la population était passée de 385 000 habitants en 1971 à 671 000 en 1981, puis à près de 800 000 en 1984. Les chiffres du nombre de morts varient de 3 800 à 25 000. Plus de 300 000 personnes seront malades. Arrêté, emprisonné, le PDG Warren Anderson sera finalement expulsé aux Etats-Unis et ne sera jamais jugé par la justice indienne. Le nuage toxique s’est répandu sur 25 km². Deux procédures judiciaires distinctes seront lancées :
l’État du Madhya Pradesh contre l’UCIL, l’UCC et le gouvernement indien,
le gouvernement indien contre l’UCIL, l’UCC et le gouvernement des États-Unis.
Après d’interminables recours, appels, Union Carbide versera 470 000 000 $ mais continuera de nier sa responsabilité. Chaque victime recevra environ 500 $ ou encore 25 000 roupies correspondant à 715 €.
6 12 1984
25 000 Corses manifestent contre l’indépendance.
10 12 1984
L’évêque sud africain Desmond Tutu reçoit le prix Nobel de la Paix.
20 12 1984
Bernard Arnault, grâce à l’appui financier du gouvernement de Laurent Fabius, s’empare de l’empire Boussac. Il revendra assez vite les branches textiles qui ne l’intéressent pas pour ne garder que Christian Dior. C’est là l’origine de la fortune de celui qui, en 2020 sera la 4° fortune mondiale avec quelques 80 milliards €. Sa fille épousera Xavier Niel, le patron de Free, qui, lui, fera fortune avec le Minitel rose.
1984
Naissance du 1° bébé conçu in vitro : Zoé, à Melbourne ; il a été conservé par congélation à – 196° pendant 2 mois. 1° Mc Donald. Bernard Tapie est au sommet de sa gloire de strass : il rachètera Wonder et Mazda en 1985. Hewlett-Packard commercialise la première imprimante à jet d’encre : ils étaient au coude à coude avec Canon qui, en fait, avait commencé par avoir l’idée, en sachant tirer parti d’un geste à ranger dans l’ordinaire de la vie domestique : à la fin des années 70, Ichiro Endo, employé chez Canon, avait posé par inadvertance un fer à souder sur son stylo en plastique : quelques minutes plus tard, l’encre du stylo était éjectée, et là, Ichiro Endo a la présence d’esprit de filmer le phénomène à haute vitesse pour pouvoir ensuite en lire le ralenti : l’encre s’est tout d’abord vaporisé sous l’effet de la chaleur, augmentant ainsi la pression dans le stylo jusqu’à ce qu’elle soit propulsée hors du stylo : il ne restait plus qu’à maîtriser le jet d’encre.
Inauguration du Palais omnisports de Bercy, réalisé par Michel Andrault et Pierre Parat.
Khadafi lance son projet de Grande Rivière construite par l’homme – GMR : Great Manmade River – : il s’agit d’alimenter la côte libyenne en eau douce fossile prélevée dans le sous-sol du désert, à l’intérieur du pays. 3 850 km d’un tube de 4 mètres Ø. L’un va de Koufra à Benghazi, l’autre de Hasawina à Tripoli. Deux autres seront encore construits, près des frontières, et un dernier reliera toutes les arrivées en suivant la côte. Toutes les autres solutions s’étaient révélées incomparablement plus coûteuses : pour 1 €, ils avaient 1 m³ d’eau venue du sud de l’Europe par pipeline, 1,1 d’eau désalinisée, 1,5 d’eau transportée par bateau, et 20 m³ d’eau avec ce projet… le projet sera quasiment terminé, 25 ans plus tard, retardé par les bombardements de l’OTAN, le 22 juillet 2011, qui s’en prendra au site de Brega, dans le sud du golfe de Benghazi, persuadée qu’il s’agissait de dépôts de munitions quand ce n’était que le site de fabrication des conduites. L’ensemble du réseau des pipes distribuera 6.5 millions de m³ par jour, soit 75.2 m³/sec, ce qui est à peu près le débit moyen de l’Arve, en Haute Savoie. Ces travaux pharaoniques vont être réalisés par l’entreprise sud-coréennes Dong Ah, pour un coût de 33 milliards de $. La différence d’altitude entre les points de départ et la côte suffisent pour faire couler l’eau par gravité. La réserve serait une véritable mer souterraine, à une profondeur maximum de 800 m : on parle de 120 000 milliards de m³, qui devraient satisfaire leur consommation – 1 000 m³/hab/an, tous besoins confondus – pendant 50 ans. cette eau se répartit entre quatre bassins : Sarir et Kufra à l’est, Murzurq et Hamadah à l’ouest- soit, à 10 % près, le volume de la Mer Caspienne, près de trois fois celui du Lac Baïkal (23 000 km³), ou des Grands Lac Américains – qui s’étendrait de l’Egypte à l’Algérie. Initialement, cette eau aurait dû permettre d’étendre considérablement les surfaces agricoles pour atteindre l’autosuffisance alimentaire ; en fait plusieurs paramètres viendront réorienter cette option : la gourmandise en eau des zones urbaines sur la côte, l’épuisement des nappes aquifères traditionnelles côtières quand ce n’est leur salinisation par l’eau de mer toute proche, la vétusté des installations de désalinisation d’eau de mer qui les rend inopérantes. Dès lors l’agriculture sera mise à la portion congrue.
Arrivée de l’eau du projet de Grande rivière artificielle à Gharyan, au sud de Tripoli, en août 2007 (AFP)
Une manipulation malheureuse au musée océanographique de Monaco – vidange d’un bassin – introduit la Caulerpa taxifolia, une algue verte particulièrement prolifique, en Méditerranée : en 2010, elle occupera 20 000 ha dont 10 000 pour les seules côtes françaises.
Françoise accompagne à Alboloduy (Andalousie) sa tante, Louisa Ibañez Quadra, veuve de Gaspar, le frère de son père. Louisa a épousé Gaspard en France (les familles se regroupaient par pays d’origine, et les mariages à l’étranger d’un homme et d’une femme originaires d’un même village n’avaient rien d’étonnant) ; elle a eu 7 enfants et a aujourd’hui environ 70 ans ; elle n’est pas retournée en Espagne depuis 1935. À Alboloduy, les émotions se bousculent, contenues par la pudeur espagnole ; un tissu passablement fatigué et éclairci se reconstitue et reprend vie. Il reprend tellement vie que même les vieilles, les très vieilles blessures refont surface : invitées un soir à une réunion de petites vieilles, Françoise et Louisa s’y rendent et prennent place discrètement ; Louisa se fait alors prendre à partie par l’une d’elles, qui a eu un flirt avec Gaspard, quand celui-ci était encore à Alboloduy, il y a de cela plus de cinquante ans, mais qui, par après, en a épousé un autre, a eu des enfants etc… :
Tu es bien Louisa, celle qui a épousé Gaspard ? Oui, c’est bien moi Alors rappelles toi bien que c’était moi la première !
1 01 1985
Le pôle nord magnétique s’est déplacé de plus de 100 km au cours des 10 dernières années. Il fait très froid : durant 15 jours, les températures seront de -30° à -10°. Le plus grand téléphérique du monde se trouve à Courchevel – La Saulire : un départ toutes les 3’, 161 personnes par cabine. Il a coûté 40 M.F. Mise en circulation des premiers passeports européens.
11 01 1985
La Nouvelle Calédonie est sur le pied de guerre. L’état d’urgence a été déclaré. Edgar Pisani, haut-commissaire pour le gouvernement, est parvenu, malgré les erreurs, bêtises et fautes en tous genres, à maintenir un lien avec Jean-Marie Tjibaou, leader des Indépendantistes.
Il me fallait l’accord des Kanak et j’ai engagé des négociations avec Jean-Marie Tjibaou. Il m’invite alors dans sa tribu de Hienghène, où on déjeune à trois à table devant 60 à 70 personnes assises par terre. Tjibaou voulait une discussion en présence des siens. L’échange terminé, il me demande de le suivre. Il marche devant moi, silencieux, pendant une dizaine de minutes, puis s’arrête devant un énorme séquoia. Sans se retourner, presque au garde-à-vous, la tête inclinée, il me dit : Devant mes ancêtres, je vous réponds oui. Puis, sans un mot de plus, nous retournons vers le présent.
Edgar Pisani. Persiste et signe. Odile Jacob 1992
24 01 1985
Le film Amadeus attire 900 000 spectateurs à Paris.
René Barjavel fête ses 74 ans – il lui reste 10 mois à vivre – et il fait ce qu’il a toujours fait, son métier : écrire :
Je suis entré ce matin dans ma soixante-quinzième année. Ça commence à faire beaucoup. J’aime la vie, chaque seconde de ma vie. Je n’ai jamais été indifférent, j’ai regardé, écouté, touché, respiré, aimé. Aimé toute chose et toutes choses, belles et laides, émerveillé par les miracles qui m’entourent et dont je suis fait. Je suis un univers de miracles. Je le sais. Bonheur de sentir le stylo entre mes doigts, et la fraîcheur du papier sous ma main, et de voir le petit serpent noir de l’écriture dessiner son chemin comme je l’ai voulu et comme il le veut. Bonheur de me savoir vivant et de savoir autour de moi l’univers en marche, en rond puisque j’en suis le centre comme chaque vivant et chaque parcelle non vivante. Essayer de comprendre ? Impossible. Démesure. Mais s’émerveiller de la grandeur infinie, si bien finie en chaque poussière de poussière. Et de l’ingéniosité de chaque détail, la main, l’œil, l’oreille, le monde organisé de chaque cellule, les tourbillons vides de l’atome, le vide infranchissable du bois de mon bureau. Vide, tout est vide, disait l’Ecclésiaste. Et ce vide est méticuleusement et grandiosement ordonné qu’il emplit et construit et anime le vivant et la brique, la brique est vivante, la brique grouille et tourbillonne, la brique est vide, je suis vide, je contiens l’univers. À quoi bon écrire tout cela, à quoi bon écrire, puisque cela est et que rien ne peut empêcher d’être ce qui est, et de voir ceux qui regardent, et d’entendre ceux qui écoutent.
Je n’ai pas envie de mourir, mais je crois que j’ai assez vécu. Chaque instant est l’éternité. Je sais que ceux qui m’attendent ne m’apporteront rien de plus, j’ai atteint mes limites, je les ai bien emplies, je me suis bien nourri d’être autant que je pouvais, à ma dimension, et de savoir, et de grande joie émerveillée. Et maintenant je voudrais faire comme mon chat après son repas : m’endormir.
Si je continue, si je dure encore, je ferai mon métier aussi longtemps que je pourrai, avec application, comme je l’ai toujours fait. Bien faire ce qu’on fait, quel que soit le métier.
*****
Six ans plus tôt, à la télévision espagnole, Mercedes Sosa avait commencé à chanter Gracias a la vida, écrite par Violeta Parra. Les paroles sont différentes, mais l’inspiration est la même : plutôt que l’ingratitude, la gratitude.
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me dio dos luceros que, cuando los abro
Me donna deux étoiles que lorsque je les ouvres
Perfecto distingo, lo negro del blanco
Je perçois parfaitement le noir du blanc
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Et dans le haut ciel son fond étoilées
Y en las multitudes, el hombre que yo amo
Et dans les multitudes l’homme que j’aime
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me ha dado el oído que en todo su ancho
Elle m’a donné l’ouïe que dans toute sa grandeur
Graba noche y días, grillos y canarios
Qui enregistre nuit et jour, les criquets et canaries
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos
Marteaux, turbines, écorces, averses
Y la voz tan tierna de mi bien amado
Et là voix si douce de mon bien aimé
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me ha dado el sonido y el abecedario
Elle m’a donné le son et l’alphabet
Con él, las palabras que pienso y declaro
Avec lui, les mots que je pense et déclare
Madre, amigo, hermano y luz alumbrando
Mère, ami, frère et la lumière illuminant
La ruta del alma del que estoy amando
La route de l’âme de celui que j’aime
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me ha dado la marcha de mis pies cansados
Elle m’a donné la marche de mes pieds fatigués
Con ellos anduve, ciudades y charcos
Avec eux j’ai marché, villes et flaques d’eau
Playas y desiertos, montañas y llanos
Plages et déserts, montagnes et lacs
Y la casa tuya, tu calle y tu patio
Et ta maison, ta rue et ta coure
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me dio el corazón que agita su marco
Elle m’a donné le cœur qui agite son cadre
Cuando miro el fruto del cerebro humano
Quand je regarde le fruit du cerveau humain
Cuando miro el bueno, tan lejos del malo
Quand je regarde le bien, si loin du mal
Cuando miro el fondo de tus ojos claros
Quand je regarde le fond de tes yeux clairs
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Merci à la vie qui m’a autant donné
Me ha dado la risa y me ha dado el llanto
Elle m’a donné les rires et elle m’a donné les pleurs
La navette Challenger explose 1’30″ après le décollage : 7 morts parmi lesquels deux femmes. Le 9 juin 1986, un rapport accablant sera remis sur le fonctionnement général de la Nasa.
25 02 1985
À Forbach, en Moselle, explosion de grisou dans le puits Simon, à 1 050 mètres de profondeur : 22 mineurs sont tués et une centaine blessés.
27 02 1985
À Salzbourg, un touriste en promenade au pied de la falaise du Moenschberg, reçoit sur la tête un Autrichien qui tentait de se suicider. On ne sait pas qui s’en est sorti, ni dans quel état.
3 03 1985
Dans son bras de fer avec les syndicats des mineurs, Margaret Thatcher gagne son surnom de Dame de fer. Mais son génie politique est d’avoir pris les mesures nécessaires pour inciter les locataires de HLM à devenir propriétaires, et l’orientation politique naturelle d’un propriétaire, c’est de voter à droite.
Dans les années 1970, le Royaume Uni était l’homme malade de l’Europe. La patrie du libre-échange était devenue la citadelle de l’étatisme et le parangon du nivellement par le milieu Ministre de l’Éducation du gouvernement conservateur d’Edward Heath, Margaret Thatcher avait assisté, impuissante, à une multitude de grèves de dockers, d’électriciens, de postiers, puis à une grève nationale des mineurs en janvier 1972 qui avait duré sept semaines et s’était terminée par la démission du Premier ministre, qui avait cédé à toutes les exigences des grévistes. Un jeune et remuant syndicaliste d’extrême gauche, Arthur Scargill, avait mis au point un système nouveau de piquets de grève mobiles, très agressifs, les flying pickets, d’une efficacité redoutable et qui avaient une double particularité : les grévistes étaient payés par le syndicat pendant leurs missions et ils étaient choisis parmi les plus brutaux des adhérents.
En 1974, nouvelle grève générale des mineurs, les ouvriers les mieux payés du royaume. La livre sterling s’effondre face au dollar. L’ambitieux Arthur Scargill a fini par prendre le pouvoir dans la NUM (National Union of Mineworkers), qui regroupe l’immense majorité des mineurs.
Scargill, qui est entré très tôt aux Jeunesses communistes, est un fervent adepte de la lutte des classes et privilégie toujours le conflit à la négociation. Les mineurs sont les icônes de la classe ouvrière, comme les cheminots en France. Ils sont environ deux cent mille, durs à la tâche, volontaires et disciplinés. Les mines de charbon, toujours en déficit, sont largement subventionnées – comme la SNCF dans la France d’aujourd’hui. Les mineurs sont trop nombreux, trop bien payés avec trop de privilèges gravés dans le marbre et un statut en béton armé qui date de 1947.
Second semestre 1978 : le secteur public, cette fois, réclame les 35 heures et se met de nouveau en grève. Les usagers, comme on dit chez nous, sont pris en otages. 81 % des Britanniques estiment dans un sondage que les syndicats ont trop de pouvoirs. 29 millions de journées de travail sont perdues. Le record de Heath de 1972 est battu ! Aux élections du 3 mai 1979, les citoyens britanniques, qui n’en peuvent plus, donnent la majorité aux conservateurs de Margaret Thatcher, qui entre au 10 Downing Street avec un programme libéral qu’elle ne tarde pas à appliquer, mettant en route les privatisations qu’elle a annoncées pendant sa campagne. La mer du Nord commence à fournir du pétrole. L’économie est relancée, l’inflation calmée, la confiance rétablie. Le moral des entrepreneurs remonte. Les principaux syndicats rentrent dans le rang en assistant, presque sans réaction, entre 1980 et 1983, à la mise en place d’un arsenal juridique – l’Employment Act de 1982 – qui limite leurs possibilités d’action et prévoit des sanctions financières très lourdes en cas d’abus et de dérapages.
Les principaux syndicats, oui, mais pas la NUM d’Arthur Scargill, qui lance une nouvelle grève nationale en 1981 devant laquelle Thatcher, qui n’est pas encore prête, mange son chapeau en attendant des jours meilleurs. Ce sera la dernière victoire des mineurs. Margaret Thatcher a la conviction que, pour en finir avec ce syndicat extrémiste, elle devra être capable d’aller jusqu’au bout dans une guerre d’usure.
Elle commence par mettre des hommes solides et sûrs à la tête des ministères de l’Énergie et de l’Emploi, elle renforce la sécurisation de la production électrique – les pénuries d’électricité avaient durement frappé la population en 1972 et 1974 – et fait augmenter très fortement les stocks de charbon, placés dorénavant en dehors des zones minières. Enfin, elle renforce très sérieusement sa police – les CRS n’existent pas à Londres – en quantité et en qualité, augmentant les salaires des policiers et créant de nombreuses unités antiémeute fortement équipées.
Depuis l’Employment Act, les syndicats ne peuvent plus bloquer les mines, les usines, les ports et les bâtiments publics. Les flying pickets de Scargill sont devenus illégaux et les contrevenants prennent de gros risques. Margaret Thatcher, après sa victoire éclatante dans la guerre des Malouines en 1982, est plus populaire que jamais et se fait réélire pour un deuxième mandat de quatre ans en juin 1983. Elle est fin prête pour un éventuel face-à-face avec Scargill.
Un projet de restructuration des mines sert de chiffon rouge : Arthur Scargill tombe dans le panneau et commet une première erreur en ne faisant pas voter la grève en assemblée plénière de la NUM comme la loi l’y oblige. Leader charismatique, grande gueule médiatique, se croyant au-dessus des lois, il lance illégalement ses flying pickets. Nous sommes début mars 1984, et commence alors la grève la plus longue – une année entière -, la plus dure et la plus spectaculaire que le Royaume-Uni ait connue depuis 1926. En 1972 et 1974, cinq à sept semaines de grève avaient suffi aux mineurs pour faire plier Edward Heath. Cette fois, c’est différent. Ils ont face à eux une Dame de fer bien préparée. De plus, un tiers des deux cent mille mineurs n’acceptent pas que Scargill n’ait pas suivi les procédures légales et continuent à sortir du charbon de leurs mines du Nottinghamshire, qu’ils contrôlent.
Après de multiples escarmouches musclées, la grève atteint son paroxysme entre le 23 mai et le 18 juin 1984, au cœur du Yorkshire, le quartier général de Scargill, autour d’une usine de coke (variété de charbon obtenue par distillation de la houille) à Orgreave, qui alimente l’usine sidérurgique de Scunthorpe. Cet épisode guerrier est connu sous le nom de bataille d’Orgreav et se déroule pratiquement en direct à la télé sous les yeux des Britanniques. D’un côté, des milliers de militants de la NUM qui essaient chaque jour, pendant ces trois semaines, avec une rage brutale et une incroyable ténacité, de bloquer l’usine pour empêcher que le coke soit livré à Scunthorpe. Au total, 32 500 piquets de grève furent comptabilisés pendant cette période. En face d’eux, des milliers de policiers antiémeute, assistés de brigades à cheval, pour que force reste à la loi. Et force est restée à la loi !
L’opinion publique, effrayée par ce qu’elle voit à la télé, est majoritairement opposée aux mineurs. Et comme le pays fonctionne à peu près normalement, il n’y a pas de casse pour les usagers. L’extraordinaire résistance des mineurs, de leurs épouses et de leurs communautés ne suffit pas à les rendre sympathiques. Ils ont commis trop d’excès, trop de délits en tous genres. La direction des mines offre aux mineurs hésitants des bonus et des avantages sonnants et trébuchants pour les ramener au bercail. En janvier, on compte 10 000 défections chez les grévistes. En février encore plus, et le 3 mars, c’est la fin. Tout le monde reprend le travail. Les mineurs rouges n’ont rien obtenu, sauf des broutilles, et on n’entendra pratiquement plus jamais parler d’eux. Au Royaume-Uni, la culture de la grève est morte et enterrée, sous les applaudissements des citoyens et les hurlements indignés de l’extrême gauche européenne.
Le Parti communiste est mis au ban de la société. Les drapeaux rouges sont détruits ou rangés aux oubliettes. La classe politique britannique et l’opinion publique ont enfin compris qu’on ne peut pas négocier avec des syndicats révolutionnaires et irresponsables qui ne connaissent que la confrontation et refuse tout dialogue ou le compromis.
Quant à Margaret Thatcher, en juin 1987, elle est réélue pour la troisième fois consécutive, un événement inédit depuis 160 ans ! Dans ses Mémoires, elle devait écrire cela : La défaite des mineurs a apporté la démonstration que la Grande-Bretagne ne pouvait pas être rendue ingouvernable par la gauche fasciste. La Dame de fer écrit comme elle parle, c’est-à-dire cash ! Laissons le dernier mot à Jacques Attali (C’était François Mitterrand, Fayard, 2006) : Pour François Mitterrand, c’était un adversaire, mais [Margaret Thatcher] avait au moins une vision. L’impopularité ne lui faisait pas peur. Une vision et l’indifférence aux critiques : c’était ce à quoi il reconnaissait un chef d’État.
Raymond Las Vergnas.
11 03 1985
Mikhaïl Gorbatchev devient le patron de l’URSS. Il est significatif de donner l’énoncé de ses différentes fonctions, pour donner une idée de la turbulence institutionnelle dans laquelle va entrer la Russie, avec la perestroïka et la glasnost :
du 11 mars 1985 au 24 août 1991 : Secrétaire Général du Comité Central du Parti Communiste de l’Union Soviétique, et, à l’intérieur de cette première période, une autre fonction avec deux intitulés différents :
du 1° octobre 1988 au 25 mai 1989 : Président du Présidium du Soviet Suprême de l’URSS.
du 26 mai 1989 au 15 mars 1990 : Président du Soviet Suprême de l’URSS.
du 16 mars 1990 au 25 décembre 1991 : Président de l’URSS.
22 03 1985
Les diplomates Marcel Fontaine et Marcel Carton sont enlevés à Beyrouth par le Djihad islamique.
29 03 1985
Bernard Laroche, cousin germain de Jean Marie Villemin, en prison depuis 5 mois suite à une dénonciation de sa belle sœur comme étant l’assassin de Grégory, est abattu par Jean Marie Villemin.
10 04 1985
Instauration du contrôle technique pour les voitures de plus de 5 ans, qui deviendront 4 en 96.
4 05 1985
En France, éclipse totale de lune.
6 05 1985
Inauguration de la Géode de La Villette, due à Adrien Fainsilber.
22 05 1985
Jean Paul Kauffmann, journaliste à l’Evénement du jeudi et Michel Seurat, sociologue chercheur au CNRS, sont enlevés à leur tour au Liban, par le même Djihad islamique. Tous deux sont pères de deux enfants. Michel Seurat mourra d’une hépatite non soignée le 5 mars 1986. Jean-Paul Kauffmann sera libéré le 4 mai 1986. On aura vu Jean-François Kahn, patron de l’Événement du Jeudi se porter volontaire pour prendre la place de Jean-Paul Kauffmann en détention, ce qui ne se réalisera pas. On aura vu de la part de sa femme Joëlle, gynécologue, une débauche d’énergie sans pareil pour peser dans la libération de son mari.
29 05 1985
Drame du Heysel, stade de foot de Bruxelles : avant le début de la finale de la Coupe des clubs champions entre Liverpool et la Juventus de Turin, suite à une bousculade entre hooligans anglais et supporters italiens bloqués par des grilles d’évacuation, des tribunes s’effondrent, faisant 39 morts, 454 blessés.
J’ai une peine infinie pour les supporters de mon club victimes des fureurs de Bruxelles. Quand je dis mon club, ce possessif est sans prétention. II s’agit d’un problème de cœur, d’une réciprocité d’affection. C’est vrai autant pour les joueurs que pour les supporters. Une affaire de famille. C’est juste et normal. Quand cette harmonie est détruite par un fanatisme aveugle et imbécile, on doit s’attendre à toutes les violences d’une passion malsaine. Les loubards fauteurs de mort et de destruction sont de faux sportifs dévoyés, inspirés non par un esprit de village, de canton, de province ou par un nationalisme cocardier, même chauvin, ce qui serait encore supportable, mais par une sorte de racisme odieux. La lie des voyous de Liverpool ne doit pas être confondue avec les supporters anglais ; ils sont la pire des expressions de supériorité venues des bas-fonds d’une ville. Pourquoi les Anglais sont-ils pires que les autres… Je ne saurais répondre… J’entends parfois des explications du genre : c’est le chômage, la solitude dans les grandes cités qui suscitent la formation de bandes anarchiques, etc… Peut-être y a-t-il du vrai. Cependant, du chômage et des grandes villes, il y en a partout, autant en Italie, en France qu’en Angleterre. J’ai joué dans bien des stades de par le monde, regardé bien des matchs d’importance capitale et j’y ai vu des bagarres de supporters, pendant ou après le match, mais jamais rien de comparable à l’odieuse volonté d’agression, de saccage, qui est le fait de quelques voyous anglais avant les matches. Ils suivent partout les équipes britanniques au grand regret, il faut le préciser, des joueurs et des dirigeants.
Certes, pour un peu qu’on le provoque, qu’on l’insulte dans sa nationalité, n’importe quel supporter paisible se transforme spontanément en combattant. Mais il est impensable que ce peuple auquel on doit le football, le sport le plus populaire au monde, il est incroyable que ce pays, si fier de sa réputation de fair-play et de civilité, soit aussi celui qui compte le plus grand nombre de dangereux dépravés. Après l’incendie de Bradford, les trente-huit (39 en réalité, ndlr) morts de Bruxelles en témoignent. Alors, c’est aux Anglais de répondre ; ce n’est pas à nous de les condamner. Les clubs et les joueurs anglais ne sont en rien responsables. La décision de se retirer de la Coupe d’Europe pour un an leur appartient. II est bien qu’ils l’aient prise. Parce que les hooligans qui les suivent ne sont pas concernés par le football. Ils ne voient pas le jeu et son sens véritable leur échappe. Je l’affirme, ce sport est élégant ; bien joué, il est proche d’un art. Quand je vois un de mes équipiers ou adversaires réussir un shoot parfait, un dribble astucieux, une passe clairvoyante, je me dis : c’est beau, ce qu’il a fait là ; tout y était ; l’élégance du geste et sa précision. Le courage aussi, car il en faut au gardien, par exemple, pour se jeter dans les pieds d’un attaquant. Et de l’acharnement, à bout de souffle, pour voir se réaliser le miracle espéré : le but parfait. Tout cela, les voyous des stades ne le voient pas. Ce qui compte pour eux, c’est de s’enivrer avant, pendant, après le match et de casser la gueule à tous ceux qui ne sont pas de leur bande. Le sport n’est qu’un prétexte. Réunis en grand nombre dans l’anonymat de la foule, ils peuvent impunément frapper, détruire. L’ampleur des dégâts, voire le nombre des morts, sont leur bulletin de victoire. Ils sont les pires ennemis du football.
Mais comment pouvait-on ne pas jouer ce match maudit ? Au prix de combien de désordres plus graves encore aurait-il fallu payer sa suspension ? Pourtant, en apprenant au fil des minutes le nombre grandissant des victimes, nous étions accablés, pris d’un profond dégoût de jouer. Enfermés dans notre vestiaire, nous attendions la décision des officiels, si longue à venir… Alors nous sommes sortis, Bonini, Scirea, moi et deux ou trois autres, je ne sais plus qui dans la confusion. Nous avons couru vers les supporters de la Juve pour les supplier de se calmer. Vengeance ! criaient-ils, les Reds ont tué femmes et enfants. Vengeance ! Ils étaient fous. A ce moment, j’ai eu très peur. Ils auraient pu enfoncer le mince cordon de police qu’ils bombardaient de pierres arrachées aux murs de la tribune meurtrière. Ils n’avaient plus qu’une idée : la vengeance.
Mais si, il fallait à tout prix que la partie commence. Je comprends la noble attitude qui fait dire à certains : Jouer, c’était faire offense aux morts. En rester persuadé dénote une imagination un peu courte qui oublie l’irrésistible capacité de colère des foules. Dans l’état d’excitation hystérique où se trouvaient les supporters des deux camps ennemis, à l’annonce de l’annulation du match, tous auraient envahi la pelouse. Les combats auraient repris, encore plus sanglants. Tous ceux qui, comme moi, étaient sur le terrain – croyez-moi, c’est autre chose que dans les tribunes, là, toutes les clameurs de haine se rejoignent et sont amplifiées – comprenaient que seul le jeu pouvait leur faire oublier un instant le drame. II fallait leur donner leur match pour lequel ils étaient venus si nombreux. Ce jeu, ce sport à cause duquel tant d’entre eux venaient de mourir. Et puis aussi, il faut comprendre la décision de jouer par l’insistance du maire et de sa police imprévoyante qui, soudain, avaient peur pour leur ville.
Quand j’entends aux informations qu’un bombardement irakien sur Téhéran a fait neuf morts, alors que notre Coupe d’Europe en a fait près de quarante, j’en pleurerais de rage. Le match a commencé. Nous nous sommes à peine regardés. Les Anglais savaient notre peine. Nous comprenions leur honte. Mais nous avions tous la même volonté : réhabiliter le football par un match irréprochable. A mon avis, il l’a été, dur, mais digne. Peu à peu, nous avons retrouvé nos automatismes, notre inspiration, notre volonté de vaincre. Sur le terrain, on jouait au football vainqueur, dans les tribunes, aux passions déchaînées. Hélas ! Cela ne va plus ensemble.
De beaux esprits moralisateurs m’ont reproché d’avoir fait le geste de la victoire – le bras levé – au moment où j’ai vu le ballon entrer dans le but de Liverpool. Ceux-là n’ont jamais marqué un but de leur vie. Ils n’ont jamais senti sur leurs épaules le poids des yeux d’un stade en folie. Ils ignorent que le cri de la victoire est un réflexe libérateur impossible à refréner. Cette victoire que nous voulions tant et depuis si longtemps, nous nous étions fait un devoir de l’offrir à nos supporters d’Italie et du monde entier en hommage aux victimes. C’est pourquoi aussi, à la fin du match, nous avons couru vers les tribunes dévastées pour leur dire merci, merci de leur confiance, de leur affection et surtout combien nous partagions leur peine. Mais pas question de faire, Coupe en main, le traditionnel tour d’honneur. Provoquer, humilier davantage les voyous de Liverpool. Pas question. De toute façon, cette nuit-là, sur ce stade du Heysel, l’honneur avait sombré quelque part.
J’ai peur pour le football maintenant, toutes ces victimes étaient des gens modestes, incapables de se payer, en plus d’un long voyage, des places coûteuses dans les tribunes réservées où l’on est à l’abri de ce genre d’accident. Moi, quand j’étais jeune, j’allais dans ces tribunes populaires, où sont les vrais connaisseurs. Des gens simples et sincères dont j’apprécie le jugement. Ils sont l’âme de ce sport. Ce sont eux qu’il faut protéger, sinon, le football n’y survivra pas. Je les connais bien, mes supporters italiens de la Juve. Ils sont parfois excessifs, indiscrets, envahissants, prompts à la critique et à l’admiration. C’est une grande famille fervente et brouillonne. Mais c’est grâce à eux que nous sommes ce que nous sommes, parce qu’ils ont le sens ancestral de la beauté du travail bien fait et de la grandeur du sport. On a dit souvent que nous, les footballeurs professionnels, étions les gladiateurs des arènes modernes. Peut-être. Alors, pour l’honneur du sport, il ne faut plus que de vrais fauves soient lâchés en liberté dans les gradins.
Michel Platini, Juventus de Turin. À Paris Match.
La Hongrie est le 1° pays d’Europe de l’Est à demander son adhésion au Conseil de l’Europe.
[1] Mais quel crédit peut-on accorder à la parole de Francisco Cossiga quand on sait qu’en poste aux plus hautes responsabilités il a soutenu Gladio, le bras armé des services secrets italiens et de la CIA, premier acteur de la manipulation des Brigades Rouges ?
[2] Ambassadeur à vie de l’Académie française au Palais de l’Élysée, qui tirera sa révérence le 5 décembre 2017, devenant ainsi ambassadeur immortel de l’Académie Française au Paradis.
[3] Dans les années 1960 ou 1970, les réalisateurs qui achoppaient sur leur intrigue finissaient par se rendre en douce chez Claude Sautet, connu pour la finesse de ses diagnostics. Marcel Ophuls, Jean-Paul Rappeneau, François Truffaut ou Philippe de Broca ont eu recours à ses conseils. On le surnommait Docteur Claude quand lui préférait se qualifier d’artisan ressemeleur missionné pour resserrer un début, trouver une fin, etc. Un jour, Gabin lui a apporté un projet de film en lui disant : Il y a à manger, mais ça manque de dessert, il faudrait que tu nous trouves le dessert !
Erwan Desplanques. Télérama 3487 du 22 06 2016
[4] Peut-être le mot qui s’approche le plus de ce Sehnsucht est-il le latin taedium vitae ?
[5] C’est le nom d’un poisson volant qui atteint des vitesses faramineuses.
[6] … dont les Italiens, du temps de sa splendeur, disent que c’est la meilleure chose qui soit arrivée à l’Italie depuis l’invention des spaghettis.