27 juin 1943 à novembre 1943 Les Alliés en Italie. Le Réseau Cohors Asturies. La 2° Division Blindée de Leclerc. 10429
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Publié par (l.peltier) le 5 septembre 2008 En savoir plus

27 06 1943

La France que les Français sont en train de refaire d’avance au fond de leurs âmes blessées ne sera plus celle de naguère.

De Gaulle à Tunis

Les réformes répondaient, il est vrai, à un triple traumatisme. La crise des années 1930, tout d’abord, avait plongé le pays dans le marasme et attisé le désir de justice sociale, deux enjeux auxquels, estimaient les Français, le capitalisme libéral ne pouvait plus répondre. L’épouvantable défaite de 1940, par ailleurs, avait démontré la faillite des élites dirigeantes qui n’avait su ni gagner la guerre ni la préparer – en termes économiques notamment. La guerre et son cortège de souffrances, enfin, poussaient à définir de nouveaux horizons – une rupture par rapport à la première guerre mondiale dont les vétérans ne rêvaient que d’un retour à l’ordre idéalisé de la Belle Époque. Alors que l’omnipotence de l’État nazi poussait les Allemands à adopter des solutions libérales – l’ordo-libéralisme plaidait pour une intervention aussi limitée que possible de la puissance publique -, les Français, au vu de leur passé, prônèrent des solutions radicalement inverses jugeant, non sans raison, que c’était la faiblesse de leur État qui avait conduit au désastre.

Olivier Wieviorka. Le Monde du 11 août 2016

28 06 1943

Émile Gagnan, Georges Commeinhes et Jacques Yves Cousteau reçoivent, de Paris, un colis contenant 3 scaphandres autonomes c’est-à-dire une bouteille d’air comprimé sur laquelle un régulateur est monté. En fait, c’est Émile Gagnan qui a inventé un détendeur pour l’admission des gaz dans les moteurs qui utilisaient cet ersatz : les gazogènes. Jacques Yves Cousteau avait repris l’idée pour l’adapter à la plongée sous-marine. Il raconte : Un beau matin de juin 1943, dominant avec peine mon émotion, j’arrive à la gare de Bandol. On va me livrer une caisse expédiée de Paris par express. Elle contient le résultat de plusieurs années d’efforts et de rêves : le prototype d’un scaphandre autonome conçu par Émile Gagnan et moi…Un moment de grâce. Je glisse vers les profondeurs. Je suis conscient de vivre en harmonie avec un milieu bien différent de l’atmosphère où j’ai mes habitudes de mammifère terrestre. Je nage presque sans efforts, en haut, en bas, à gauche, à droite, comme les poissons que je rencontre. Je respire, sans y penser, un air dont la pression équilibre exactement celle de l’eau ambiante. Seul, le léger ronflement de l’appareil me rappelle que je suis sous les vagues, invité inattendu au sortilège de la mer. Je suis envoûté par cette splendeur. Ce silence. Cette harmonie.

Très vite ceux que l’on appelle déjà les Mousquemers réaliseront plus de 500 plongées et, en été 43, tournent un nouveau film, Épaves. Ce film c’est 28 minutes d’images très fortes, révélant pour la première fois, dans leur milieu naturel – le film est tourné en lumière naturelle – une douzaine d’épaves. […] C’est aussi pour le monde entier la découverte du scaphandre autonome…

Jean Paulhan a persuadé Gaston Gallimard de publier L’Être et le Néant de Jean Paul Sartre, pour le fond, pour le prestige. [Et ma foi, tant pis si ce n’est pas un succès commercial ! De fait, la première semaine, il ne s’en vendit que trois exemplaires, puis cinq, puis deux, quand soudain les ventes décolèrent : 600 en un seul jour, puis 700, 1 000, 2 000 exemplaires. Certes, sous l’Occupation, les Parisiens avaient le temps de lire, mais de là à devenir existentialistes… La maison Gallimard fît une enquête. Les femmes achetaient plus volontiers ce titre que les hommes. Qui plus est, elles l’achetaient souvent en double. Les femmes ? Pas exactement, plutôt les ménagères qui s’en servaient pour équilibrer leur balance, car L’Être et le Néant pesait tout juste un kilo. Un volume remplaçait utilement les poids en cuivre… qui avaient été fondus.

Alain Beuve-Méry. Le Monde des Livres 1 octobre 2010

1 07 1943   

Les camps de Belzec, Sobibor, et Treblinka ont été désaffectés au cours du premier semestre 1943 : l’extermination des Juifs de Pologne est alors quasiment accomplie.

Aux dernières heures de l’occupation du Rocher par les Italiens – les nazis vont prendre la relève -, naissance de Radio Monte Carlo, au son de l’hymne monégasque et de la voix de Maurice Chevalier.

2 07 1943 

Le général Giraud part aux États-Unis pour y demander des armes : il va y rester jusqu’au 31 juillet. Un mois, c’est long et c’est bien suffisant pour que de Gaulle puisse se livrer à un travail de sape : quand Giraud reviendra, le nombre de ses partisans aura fondu comme neige au soleil. Qui va à la chasse perd sa place.

5 07 1943   

Débâcle allemande de Koursk, entre Orel et Kharkov : deux millions d’hommes, 3 600 chars soviétiques, 2 700 chars allemands, sur un front de plus de 2 000 km la bataille durera jusqu’au 23 août.

10 07 1943    

Débarquement allié à Gela, proche de Syracuse, en Sicile : 160 000 hommes, 7 000 véhicules, 300 chars sont à terre en deux jours. C’est le baptême du feu pour le Landing Ship Tank, un engin porteur de chars dont la porte d’ouverture est la proue. À la guerre comme  à la guerre, les Américains, scotchés au mot d’ordre impératif  – tout sauf le communisme – se sont adjoint les services du mafieux Lucky Luciano, en prison depuis dix ans, pour préparer au mieux l’affaire ; il sera libéré par anticipation début 1946. De là date la renaissance de la Mafia, qui va déloger les maires fascistes pour placer ses hommes, piller allègrement les entrepôts d’armes et de munitions, contrôler la prostitution et le trafic des produits américains, essentiellement les cigarettes. 70 ans plus tard, le communisme sera devenu juste un souvenir, mais la mafia sera toujours opérationnelle.

Le MI6 était aussi de la partie pour détourner les forces allemandes de la Sicile en faisant croire par un leurre – un noyé porteur de fausses informations qui avaient tout l’air du vrai, échoué sur la plage de Huelva où les Alliés savaient qu’il y avait un agent de l’Abwehr – qu’un débarquement allait avoir lieu en Sardaigne et en Grèce : c’était l’opération Mincemeat – Viande Hachée – : ainsi Hitler va renforcer ses défenses côtières en Sardaigne et en Grèce, ordonner à Rommel de s’installer à Athènes, et déplacer 2 divisions de Panzer du front de l’Est, qui vont lui manquer lors de la bataille de Koursk. Londres a été prévenue du succès de la manœuvre : La pâtée a été complètement avalée.

Maurice Masson, patron du Commissariat au reclassement des prisonniers organise un grand meeting à la salle Wagram, proche de l’Étoile pour plaider en faveur de la relève des prisonniers par les ouvriers (trois ouvriers partent pour l’Allemagne qui libère alors un prisonnier). La salle est comble. Laval commence par prendre la parole, suivi de Masson et à un moment, Morland – alias François Mitterrand  – se met à crier, debout sur une chaise :  Non, vous ne représentez pas les prisonniers ! Vous n’avez pas le droit de parler en leur nom, monsieur Masson ! La relève est une escroquerie !  Mitterrand prend aussitôt la fuite par le fond de la salle et va se réfugier dans un hôtel voisin où il a réservé une chambre, rue de Montenotte : il va s’y tenir à carreau, le temps que la police se lasse de le chercher. Il y a du Fouché dans cet homme-là.

11 07 1943    

Le général Leclerc rencontre le général du Vigier, qui commande à Mascara, au sud d’Oran en Algérie la 1° division blindée en cours d’équipement américain. Leclerc le connaît depuis Saumur en 1934, où du Vigier était instructeur du cours de cavalerie. Initiateur de la mécanisation de la cavalerie, il a combattu en juin 1940 à la tête du 2° cuirassiers, un régiment de chars, et, plus récemment, en Tunisie, comme chef de la brigade légère mécanique. En matière de blindés, il est autant praticien que théoricien. Depuis mai 1940, il a suivi une voie totalement différente de celle de Leclerc : l’état-major de l’armée à Vichy où, dès juin 1940, il a commencé à camoufler du matériel aux investigations allemandes, puis il a été nommé en Afrique du Nord. S’encadrant dans la porte devant Leclerc raide, au garde à vous, le général du Vigier dit textuellement :

Avant de vous serrer la main, mon cher Hauteclocque, je veux vous dire trois choses :

1. Je considère qu’actuellement, vous êtes le seul à pouvoir faire l’union de l’armée française, qui est une nécessité impérieuse, et j’ajouterai qu’au cas où vous accepteriez cette mission, je suis tout disposé à me ranger sous vos ordres et à vous aider dans toute la mesure de mes moyens.

2. En effet, je pense que vous êtes le seul à pouvoir le faire car vous n’avez pas de sang français sur les mains.

3. Si vous voulez prendre le commandement d’une des nouvelles divisions blindées, il vous faudra accepter de prendre avec vous une très forte proportion des ceux que vous appelez des vychistes, des pétainistes, voire des traîtres. Vos réactions brutales [aux paroles antérieures de du Vigier] me montrent que la dureté de votre caractère et votre intransigeance ne sont pas émoussées. Si je peux résumer votre position actuelle, vous coupez toute l’armée en deux factions définitivement séparées, si ce n’est hostiles, en tout cas opposées de façon irrémédiable :

D’une part ceux qui ont répondu à l’appel du 18 juin […] pour vous les purs, les seuls patriotes, les seuls qui ont fait ce qu’il fallait pour continuer la lutte.

D’autre part, tous les autres, les vaincus, les opportunistes, les vichyssois, les pétainistes et maintenant les giraudistes, etc… qui sont tous des lâches, des pleutres si ce n’est des traîtres.

En ce qui me concerne, personnellement, je vous pose la simple question suivante : Mon cher Hauteclocque, je vous connais assez pour ne pas douter que si le 18 juin 1940 vous aviez été à ma place, c’est-à-dire à la tête de deux régiments revenus de Dunkerque et qui s’accrochaient à la Loire de Tours à Saumur, vous n’auriez pas abandonné vos hommes en train de se battre héroïquement pour répondre à l’appel de Londres. Comme il n’était pas possible de les y conduire tous, en troupe, vous auriez fait comme moi et vous seriez restés avec ceux dont vous aviez la charge. Qu’aurais-je fait, à votre place si, dégagé totalement des responsabilités vis-à-vis de mes subordonnés, j’avais été totalement libre ? peut-être aurais-je fait comme vous ? De plus j’ai eu une action d’une efficacité presque inespérée pour contribuer à la renaissance de la cavalerie blindée française et recréer ce merveilleux outil que vous saurez utiliser. Alors, qui mérite qu’on lui jette l’anathème ? Un lourd et long silence s’ensuivit. Le prenant pour tacite approbation, du Vigier poursuivit : J’ai en effet été contacté par les plus hauts échelons de la hiérarchie du moment pour travailler à la reconstruction de la cavalerie blindée. Compte tenu de mon expérience, j’ai estimé de mon devoir d’œuvrer dans ce sens, et aujourd’hui, je suis absolument certain d’avoir plus fait pour la mise sur pied d’une armée blindée moderne capable de nous donner la Victoire qu’en prenant je ne sais quel poste à Londres.

Le général Leclerc lui répond : Oui, mon général, votre devoir et l’intérêt supérieur de la cavalerie blindée était que vous agissiez comme vous l’avez fait. Et si j’ai tenu à venir vous saluer, sans que personne ne le sache, c’était pour vous manifester toute l’estime que je vous porte sans le moindre doute, vous présenter mes respects, écouter vos conseils et vous confirmer que mon plus grand désir est de servir sous vos ordres, ou pour le moins travailler en intime liaison avec vous.

Nous avons encore une question très importante à voir, poursuit le général du Vigier. Bien que la bravoure, le dévouement, le patriotisme, la valeur de vos compagnons au cours de votre magnifique épopée soient dignes du plus grand éloge, vous ne pouvez pas, avec eux seuls, constituer une division blindée qui vous permette de tenir votre serment de Koufra. Il vous faut deux régiments de chars, trois groupes d’artillerie, du génie, des transmissions. Il n’y a que nous qui puissions vous fournir ces éléments de valeur qui vous sont indispensables, alors au lieu de faire des campagnes d’appel à la désertion, […] travaillez en confiance avec nous, vous ne serez pas déçu et vous ne le regretterez pas. Mais je vous annonce la couleur, vous aurez les plus grandes difficultés à créer une grande unité homogène car le mépris et la méfiance pour ne pas dire la haine qu’ont vos FFI vis-à-vis des autres, sachez que ces derniers les leur rendent bien !

Se mettant alors au garde à vous, le général Leclerc dit simplement, sans autre commentaire : Faites-moi confiance, mon général.

Oui, Leclerc [c’est la première fois qu’il ne l’appelait pas Hauteclocque], je sais que je peux vous faire confiance.

Et ils se serrèrent la main. Lorsque j‘ai pris congé pour laisser les généraux dîner avec Madame du Vigier, le général Leclerc m’a retenu la main, en la serrant très fort et en me regardant droit dans les yeux. Je vous demande, Berthet, de ne jamais faire état de mes premières réactions. J’ai promis, et j’ai tenu parole.

Général Berthet, qui assistait à l’entretien ; il était alors capitaine, attaché à l’état-major du général du Vigier.

14 07 1943                         

Ce cœur qui haïssait la guerre.

Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées,
à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines
un sang brûlant de salpêtre et de haine
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas
dans la ville et la campagne
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres cœurs, de millions d’autres cœurs battant
comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l’ombre
à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme
même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

Pierre Andier, pseudonyme de Robert Desnos, paru le 14 juillet 43 dans L’honneur des Poètes aux Editions de Minuit clandestines [5].

Robert Desnos sera arrêté le 22 février 1944.

La France risque de tomber en esclavage. Aussi importe-t-il plus que jamais de reconnaître ce qu’est la Liberté, de célébrer la fête du 14 Juillet. Chaque jour, notre indépendance est humiliée par l’ennemi ; chaque jour, devant sa propagande de mensonges, notre bon sens proteste, mais notre bonne foi, désireuse de preuves qu’elle n’a pas toujours, hésite et se trouble. L’ennemi veut diminuer notre conscience morale ; il veut nous faire oublier notre devoir de révolte […]

Ceux des prisons qui attendent, en otages, pendant des mois entiers que la victoire ou la mort les délivre, connaissent le prix de la liberté. Ceux qui, sous les tortures, taisent les noms et les secrets des leurs, ont perdu pour eux-mêmes la liberté, ils veulent la conserver aux autres. Tous ces héros font de leur volonté d’être libres une révolte de la conscience du pays. Ils parlent pour tous ceux qui se taisent. Ils mènent un combat aux moyens obscurs, mais à la fin glorieuse, car leurs efforts, dont ils courent seuls les risques, sont la défense de tous. Ils ont choisi leur combat : ils sont des volontaires.

Ils savent, eux, qu’être libre, c’est se fixer un but, au regard de sa conscience, et le poursuivre malgré tous les empêchements. Ils veulent encore s’attacher à de grandes causes, et montrent à tous que la seule liberté qu’il soit possible aujourd’hui de mettre en actes, c’est la libération du pays !

Certains, dans leur indifférence ou leur éloignement de la lutte, ne voient auprès d’eux aucun martyr. Nous voulons que leurs yeux s’ouvrent enfin. C’est pour apprendre aux faibles à reconnaître le combat des forts que le 14 Juillet mérite d’être célébré.

Il faut qu’en ce jour tous les Français, entraînés par les hommes libres que le pays possède encore, décident de se rallier à la défense de la liberté. Alors, la France sera fidèle à elle-même. Nous voulons que la défense de notre nation soit celle de toutes les nations. En défendant la France, nous défendons aussi la personne humaine et sa liberté de choisir et d’oser. Il faut, plus que jamais, qu’il soit encore possible aujourd’hui de dire, comme le disait en 1790, sur le pont de Kehl, un écriteau désignant la France : Ici commence le pays de la liberté.

Vindex. Éditorial de Défense de la France

Vindex, c’est le nom dans la Résistance de Jacques Lusseyran. Il a dix-neuf ans. Un accident scolaire l’a rendu aveugle à l’âge de huit ans. Inscrit au concours d’entrée à Normale Sup, il vient d’en être éjecté par l’application d’une récente loi de Vichy qui ferme les portes de l’École à tous les handicapés. Admis au comité directeur de Défense de la France crée le 14 juillet 1941 par Philippe Vianney et Robert Salmon (où siège, entre autres, Geneviève de Gaulle), il a été désigné pour cet éditorial du numéro 36, qui tirera à 250 000 exemplaires. Celui du 15 janvier 1944, à 450 000 ! Aucun autre journal de la Résistance n’arrive à des tirages de cet ordre. Il sera arrêté six jours plus tard… Rue Lauriston, Fresne Buchenwald…

La cécité a changé mon regard, elle ne l’a pas éteint.

Jérôme Garcin lui consacrera un livre : Le Voyant Gallimard 2014

Le général Giraud lance ses flèches contre de Gaulle, sans savoir que ce sont probablement les dernières, car il va être bientôt mis sur la touche : S’il existe encore des Bastille, je crois qu’elles feraient bien d’ouvrir de bon gré leurs portes. Car, quand la lutte s’engage entre le peuple et la Bastille, c’est toujours la Bastille qui finit par avoir tort.[…] Mais les Français veulent que ce soit dans l’ordre qu’ils arrangent leurs affaires.

22 07 1943  

Un décret paru au Journal Officiel permet aux Français de contracter directement un engagement dans la Waffen-SS. Cela va aboutir à la 33°Waffen-Grenadier-Division der SS Charlemagne – plus simplement Division Charlemagne  – dont les effectifs vont provenir de :

  • 1 500 rescapés de la LVF  – Légion des Volontaires Français –
  • un millier de rescapés de la Französische SS-Freiwilligen-Sturmbrigade
  • et un autre millier encore formés à Sennheim
  • 1 800 franc-gardes de la Milice
  • 1 000 volontaires français de la Kriegsmarine
  • quelques centaines de volontaires des Schutzkommandos 
  • quelques anciens du Nationalsozialistische Kraftfahkorps (NSKK).

Ils mourront presque tous sur le front russe. Quelques centaines d’entre eux feront partie des derniers défenseurs de Berlin, même après le suicide d’Hitler. Fin avril, douze hommes se rendront aux Américains qui les remettront à Leclerc… qui les fera fusiller, après les avoir interrogés, mais sans jugement, et sans avoir informé le GPRF.

25 07 1943    

Le Grand Conseil Fasciste désavoue Mussolini : le roi met à profit cette position pour le faire arrêter, et interner dans un premier temps sur l’île de la Maddalena, puis dans la station de ski de Campo Imperatore, dans le massif du Gran Sasso, à plus de 2000 mètres d’altitude, au nord-est de Rome, et au nord de l’Aquila, dans les Abruzzes. Le maréchal Pietro Badoglio gouverne sans les fascistes.

28 07 1943  

Jan Karski, Polonais de la résistance, qui est parvenu à entrer clandestinement dans le ghetto de Varsovie ainsi que dans le camp d’extermination de Belzec, rencontre Roosevelt, après avoir vu Anthony Eden, ministre des Affaires Étrangères de l’Angleterre. Ni l’un ni l’autre ne le croient. Son rapport, envoyé par le général Sikorski, chef du gouvernement en exil de Pologne aux évêques, à la presse, aux artistes, ne rencontre lui aussi qu’incrédulité voir indifférence.

30 07 1943   

Le régime de Vichy fait exécuter à la prison de la Roquette, pour l’exemple, après jugement, Marie-Louise Giraud, née Lemperière, blanchisseuse à Cherbourg, faiseuse d’ange une fois lavé le linge – nom alors donné aux femmes qui arrondissaient les fins de mois en pratiquant les avortements clandestins -, au nombre de 37 pour Marie Louise Giraud. En 1988, Claude Chabrol mettra l’histoire à l’écran : Une affaire de femmes, avec Isabelle Huppert.

Peu après, Désiré Pioge, hongreur à Saint-Ouen-en-Belin dans la Sarthe, devra répondre de trois avortements le 12 août 1943, devant le Tribunal d’État. Condamné à mort, sa demande de grâce sera rejetée par le cabinet civil du Maréchal Pétain et il sera exécuté le 22 octobre.

Il ne suffisait pas que nombre d’entre elles risquent la stérilité, il fallait encore qu’elle encourent des amendes et des peines de prison. Le législateur de 1939, qui avait accru la répression, fut bientôt semé par celui de 1942, un champion celui-là, qui éleva l’avortement au rang de crime contre la sûreté de l’État, la peine de mort n’étant plus exclue pour les avorteurs comme en firent l’expérience Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge en 1943, tous deux guillotinés. Au cours de ces années sombres, aiguillonné par l’Alliance nationale contre la dépopulation, une association de natalistes exaltés, notre législateur, très imaginatif, imagina même de sanctionner … sans preuve ! Le fait d’avoir tenté un avortement même si l’on n’en trouvait aucune trace vous faisait délinquante. En matière de droit, il était difficile de faire mieux.

Le plus sûr moyen de réprimer l’avortement consistant à décourager ceux qui le pratiquaient, les médecins, les sages-femmes risquaient des peines de prion ferme, des amendes considérables et la suspension voire l’interdiction définitive d’exercer. Étonnamment, ce n’est pas sous le régime de Vichy que la répression de ce fléau social avait été la plus vive mais … à la Libération. En 1946, on comptait mille comparants de plus qu’en 1943.

Pierre Lemaitre Le silence et la colère. Calmann Levy 2023

07 1943  

Geneviève de Gaulle, résistante dans le réseau du musée de l’Homme, est arrêtée. Emprisonnée à Fresnes, elle passera ensuite par Compiègne avant d’être déportée à Ravensbrück. Elle y passera les 3 derniers mois, en 1945, dans une cellule, au secret : Himmler avait caressé jusqu’au bout l’espoir de négocier avec de Gaulle : elle aurait alors servi de monnaie d’échange.

1 08 1943 

Les Parisiens ont beaucoup de mal à se ravitailler, et l’octroi n’arrange rien : Laval le supprime. Il restera en vigueur dans quelques territoires d’outre-mer.

2 08 1943 

John Fitzgerald Kennedy a 26 ans : il est lieutenant et commande le PT 109, un patrouilleur lance-torpilles, alors en mission dans le Pacifique sud [1], au nord-est de l’Australie, pour intercepter un convoi japonais qui se dirige vers l’île de Kolombangara, dans les îles Salomon : leur contrôle était vital au Japon pour isoler l’Australie et la Nouvelle-Zélande des États-Unis. A 2 h 30 du matin, le PT 109 est percuté par le destroyer japonais Amagiri. La partie tribord arrière coule immédiatement. Deux des treize membres d’équipage sont tués. Les autres abandonnent le reste du navire et nagent pendant 4 heures jusqu’à l’île de Plum Pudding. Kennedy a nagé en tirant McMahon, un membre de l’équipage blessé, la sangle de son gilet de sauvetage entre les dents. Le 4 août, à cours de vivres et d’eau, les rescapés gagnent l’île Olasana, où le soir même, des natifs des îles Salomon accostent et en repartent avec un message gravé sur une noix de coco, qui parviendra au port de Rendova, d’où était parti le PT 109. Les survivants seront récupérés le 8 août. L’histoire prendra place dans les grandes heures de la vie des États-Unis, en 1960 lorsque le même Kennedy briguera puis entrera à la Maison Blanche, car, dira Tom Brokaw, il appartenait à la plus grande génération qui, dans les années 1940, libéra le monde. Il avait vécu l’épreuve fondamentale, celle qui sépare les hommes des petits garçons.

4 08 1943

400 bombardiers B17 de la NASAF – l’US Air Force d’Afrique du Nord – bombardent Naples : l’église Santa Chiara [2] et l’hôpital Santa Maria di Loreto sont détruits. La faim et la misère, – enfants vendus, les garçons pour devenir voleurs, les filles pour devenir prostituées – terreau idéal pour la Mafia, vont s’emparer de Naples pour de trop longues années. À ce jour, elle ne s’en est pas encore remise.

Monastère de Santa Chiara
Tout là-haut dans la lumière
C’est l’image familière
De ta blanche croix de pierre
Qui souvent me tend les bras

Monastère de Santa Chiara
Toi qui fais tant de prières
Toi qui sais que la Madone
Sur la terre nous pardonne
Ma peine est grande
Fait qu’elle entende
Ce soir celle que j’aime
Est partie pour toujours

Je t’en supplie fais que revienne mon amour

Ses lèvres m’avaient dites tant de phrases
Ses bras au Paradis m’ont emmené
Et pour avoir pris son cœur en échange
Dans ses yeux d’ange, je me suis donné

Monastère de Santa Chiara
Tout là-haut dans la lumière
C’est l’image familière
De ta blanche croix de pierre
Qui souvent me tend les bras

Monastère de Santa Chiara
Toi qui fais tant de prières
Toi qui sais que la Madone
Sur la terre nous pardonne
Je t’implore prie pour moi

Ma peine est grande
Fais qu’elle entende
Ce soir celle que j’aime est partie pour toujours
Je t’en supplie fais que revienne mon amour

Monastère de Santa Chiara
Si jamais un autre emporte
Le bonheur qu’elle m’apporte
Que je rentre dans ta porte
Qui pour toujours se fermera

Chanson de Pierre Malar Texte et Musique de J. Larue– A. Barberis – 1951 –

Les Allemands et les fascistes étaient de plus en plus mauvais parce que la guerre tournait mal. Le débarquement de Salerne avait réussi. Ils faisaient sauter les usines, ils saccageaient les entrepôts pour laisser le vide. Les derniers jours de septembre, la ville faisait peur, on lisait la faim et le sommeil sur le visage des gens. Ceux qui avaient gardé quelque chose le mangeaient en cachette. Les Allemands montèrent un vrai mélodrame : ils forcèrent un magasin et invitèrent ensuite les gens à le piller. Ils tirèrent en l’air sur la foule qui s’était précipitée pour prendre la marchandise et ils filmèrent la scène. Elle leur servait de propagande : le soldat allemand intervient pour empêcher le pillage. Ce sont des faits, mon garçon, qui ont eu lieu pendant un de ces belles journées de septembre.

[…] Quand ils deviennent un peuple, les gens sont impressionnants. Ainsi, un beau matin, un dimanche de la fin septembre, il se met enfin à pleuvoir et j’entends les mêmes mots dans toutes les bouches, crachés par la même pensée : mo’basta, maintenant ça suffit. C’était un vent, il ne venait pas de la mer, mais de  l’intérieur de la ville : mo’basta, mo’basta. Si je me bouchais les oreilles, j’entendais encore plus fort. La ville sortait la tête du sac. Mo’basta, mo’ basta, un tambour appelait et les jeunes arrivaient avec des armes. Le centre de la révolte s’était installé dans le lycée Sannazaro, les étudiants avaient été les premiers. Puis les hommes sortaient de leurs cachettes souterraines. Ils montaient de dessous terre comme une résurrection. Dalle ‘ncuollo, tous sur eux, les rues étaient bloquées par les barricades. Au Vomero, on sciait les platanes pour couper la route aux tanks. Nous avons fait une barricade via Foria en emboîtant une trentaine de trams. La ville se déclenchait comme un piège. Quatre jours et trois nuits, c’était comme aujourd’hui, la fin de septembre.

Les chars allemands parvinrent à franchir le barrage de la via Foria, descendirent piazza Dante et se dirigèrent vers la via Roma. Là, ils ont été arrêtés. Giuseppe Capano, âgé de quinze ans, s’est glissé sous les chenilles d’un char, a dégoupillé une grenade et a réussi à s’enfuir par-derrière avant l’explosion. Assunta Amitrano, quarante-sept ans, a lancé du quatrième étage la plaque de marbre d’une commode et a démoli la mitrailleuse du char. Luigi Mottola, cinquante et un ans, égoutier, a fait sauter une bombonne de gaz sous le ventre d’un char d’assaut, en passant par une plaque d’égout. Un étudiant du conservatoire, Ruggero Semeraro, dix-sept ans, a ouvert la fenêtre de son balcon et a joué au piano La Marseillaise, cet air qui donne encore plus de courage. Le curé Antonio La Spina, soixante-sept ans, sur la barricade devant la banque de Naples, criait le psaume 94, celui des vengeances. Le coiffeur Santo Scapece, trente-sept ans, a lancé une bassine de mousse de savon sur la fente de vision d’un tank qui est allé s’écraser contre le rideau de fer d’un fleuriste. En l’espace de trois jours, le tir des habitants était devenu infaillible. Les cocktails Molotov mettaient les chars en panne, les aveuglaient de flammes. J’étais devenu très doué pour les confectionner, je mettais des copeaux de savon à l’intérieur pour que le feu prenne mieux. Les pêcheurs de Mergellina, qui ne pouvaient aller en mer à cause du blocus du golfe et des mines, nous avaient donné du gasoil.

Six personnes au milieu d’une foule prête savaient trouver le bon geste pour mettre en difficulté un détachement cuirassé de la plus puissante armée qui avait conquis toute seule la moitié de l’Europe. Ce n’était pas la première fois que six personnes venaient à bout d’une telle entreprise. En 1799 déjà, les armées françaises, les plus fortes de l’époque, avaient été arrêtées à l’entrée de la ville par une insurrection du peuple, après la dissolution de l’armée bourbonienne. Six personnes dotées de nom, prénom, âge, métier, stoppaient la reconquête allemande de la ville. Six personnes tirées au sort par la nécessité savent résoudre la situation alors que tout autour les autres se démènent avec générosité mais imprécision. Quand six personnes surgissent, toutes à la fois, alors on gagne.

Et où est-il ce peuple maintenant, don Gaetano ?

À sa place, il n’a pas bougé et n’a pas oublié. Le peuple fait ce qu’il a à faire, puis il se disperse et redevient une foule de gens. Ils retournent vite à leurs affaires, mais plus légers, car les révoltes sont salutaires pour l’humeur de qui les fait.

Erri de Luca. Le jour avant le bonheur. Gallimard. 2009

J’adore Naples, son énergie. C’est pour moi la dernière vraie ville occidentale, qui a refusé la mondialisation – très peu de McDo là-bas – et les concessions au tourisme de masse. Elle cultive son art de vivre singulier. Dans le chaos et la beauté. À Naples, tout va vite. Au restaurant on n’attend jamais, dans la rue, les gens parlent et marchent vite. Est-ce la menace du Vésuve, tout proche ? Comme personne n’espère plus rien de l’État, dans une économie sinistrée, tout le monde se débrouille et la population dicte ses règles pour survivre. L’illégalité et la légalité se cofondent parfois, mais il règne une formidable générosité. C’est à Naples que les consommateurs paient deux cafés au bistrot pour qu’un pauvre qui passe puisse ne boire un. Et puis évidemment, le San Carlo, construit en 1737, et qu’ont dirigé au XIX° siècle de grands compositeurs d’opéra comme Rossini et Donizetti, est un des plus beaux Opéra du monde, avec une acoustique exceptionnelle dans sa salle de mille cinq cent places. Le budget y est supérieur à celui de l’Opéra de Lyon, et on y donne une douzaine de spectacles par an. C’est vivifiant à 68 ans, de commencer une nouvelle aventure, et une sorte d’hommage à la vie si chanceuse que j’ai connu dans les plus beaux lieux de création.

Stéphane Lissner, directeur de l’Opéra de Paris qui prend la direction du San Carlo de Naples le 1 juillet 2021 Interview de Télérama 3654 du 25 au 31 janvier 2020

7 08 1943

597 bombardiers Lancaster et Halifax de la RAF bombardent Peenemünde, la base allemande de fabrication des V2. Le bombardement sera cher payé : 735 morts ; 40 avions ne reviendront pas, abattus par la DCA allemande. La base ne sera pas détruite, mais les Allemands disperseront leurs usines de fabrication : l’assemblage se fera dans les immenses galeries d’une ancienne mine de gypse, Mittelwerke, dans le Harz, où ils feront d’abord travailler les prisonniers du camp de concentration de Buchenwald avant de créer à l’entrée même de l’usine le camp de Dora : on estime entre 10 000 et 30 000 le nombre de détenus ayant succombé sous cette montagne. Mais les déportés s’ingénieront à faire en sorte que les V2 aient une fiabilité des plus faibles.

9 08 1943   

Franz Jägerstätter, paysan autrichien de 36 ans, marié, 3 enfants, est guillotiné à la prison de Brandenbourg, près de Berlin. Objecteur de conscience, non seulement il refusait de porter les armes, ce qui lui aurait permis d’être employé à l’hôpital par exemple, mais il refusait sans discussion possible de prêter serment à Hitler. Il posait la question fondamentale : Si je ne veux pas pratiquer le mal, il m’est impossible de prêter serment à un chef qui le pratique en permanence. Mobilisé en mars 1943, il ira très vite en prison militaire, où les violences du personnel sont le quotidien. Il sera oublié… jusqu’en 1964, quand Gordon Zahn, un sociologue américain publiera sa biographie, qui le fera sortir de l’oubli. Le pape Benoît XVI le reconnaîtra martyr en 2007 et il sera béatifié le 26 octobre 2007 en la cathédrale de Linz, jour de la fête nationale autrichienne. Terrence Malick en fera un film poignant, grandiose, en 2019 : Une vie cachée. On est en droit de regretter que l’Église n’ait pas jugé juste et bon d’associer sa femme à cette béatification : en choisissant d’accepter les choix de son mari, elle avait fait un sacrifice sur sa propre vie qui méritait tout autant cette béatification.

19 08 1943   

Par le Quebec Agreement, Roosevelt et Churchill écartent la France de la recherche nucléaire.

23 08 1943  

Pressentant que son avenir en Italie va être difficile, le comte Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini, aurait aimé gagner l’Espagne. Mais on lui a refusé son visa et c’est vers l’Allemagne qu’il s’envole bien naïvement, par le biais de complicités : il s’y fait vite arrêter et est assigné à résidence, puis une fois le beau-père remis en selle, il est renvoyé à Vérone dans la République fantoche de Saló où l’attend un procès des membres du Grand Conseil fasciste qui a destitué Mussolini. Condamné à mort, il sera fusillé le 11 janvier 1944. Sa femme Edda [fille de Mussolini et de Rachele Guidi] parviendra à gagner la Suisse avec le journal qu’il a tenu du 1° janvier 1939 au 8 février 1943, qui sera publié chez H Gibson : Ciano diaries 1939-1943.

24 08 1943 

À Anfa, au Maroc, la Force L de Leclerc devient  la 2° Division Blindée ;  elle s’est étoffée de bon nombre de soldats impatients d’en découdre, et qui se morfondaient dans les forces de Giraud, aux ordres de Vichy.  Les Américains avaient promis de l’équiper moyennant une concession de taille : se séparer de ses soldats noirs, interdits par l’état major américain sur les blindés : ils étaient un peu moins de 2 000 sur les 6 000 hommes qui avaient quitté Sabratha pour l’Algérie et le Maroc, pour la plupart du 3° RAC, Régiment d’Artillerie de Campagne, constitué des batteries venues d’AEF. Dans une note confidentielle, Walter Bedell, major général, chef d’état-major de Eisenhower, écrivait : Il est plus que souhaitable que la division soit composée de personnel blanc.

Ce n’était pas là le caprice d’un homme : c’était la suite de la ségrégation qui continuait à peser lourd dans l’état-major américain. En 1917, 367 000 Noirs avaient été mobilisés, dont 100 000 avaient débarqué en France, affectés pour la plupart à des tâches de soutien ; en 1940 le Selective Act avait en principe interdit la ségrégation dans l’armée. 1 700 Noirs débarqueront sur les plages de Normandie le 6 juin 1944. Mais le one drop rule de 1924 était toujours en vigueur : c’était une application de la ségrégation qui voulait qu’une seule goutte de sang noir dans les veines suffise à faire de vous un negro. Ce principe fut appliqué pour les nombreuses collectes de sang effectuées aux États-Unis, nécessaires à soigner les blessés sur les nombreux fronts.

Par ailleurs, on ne peut pas faire attention à tout, et quelques maladresses marketing firent le succès du Cognac dans la communauté afro-américaine aux États-Unis, au détriment du whisky : Si, en  1930, le cognac est dégusté en long drink avec du Perrier dans les dîners huppés de Washington, son destin commercial bascule après la seconde guerre mondiale. Les GI stationnés en France y popularisent le whisky. Mais l’alcool fabriqué dans le sud des États-Unis n’est guère apprécié des soldats noirs, certains labels comme Rebel Yell – le cri des rebelles, rebelles dans le sens des anciens Etats confédérés – n’hésitant pas à afficher leur nostalgie du temps passé. À Paris, tandis que les officiers trinquent au whisky, les militaires afro-américains découvrent le cognac à la table des Frenchies. L’eau-de-vie va devenir le témoin de l’ascension sociale des Noirs face au bourbon des WASP (White Anglo-Saxon Protestant), les Blancs.

Marie Béatrice Baudet. Le Monde du 9 août 2018

28 08 1943

Paul Morand est nommé ministre de France en Roumanie [sa femme est roumaine].

29 08 1943

Les Allemands considèrent que le Danemark, qui, jusqu’à ce jour, a collaboré avec eux de façon satisfaisante, vue que partage la majorité des Danois, ont aujourd’hui des exigences qui sont devenue inacceptables et donc mettent fin à cette collaboration : le général Hermann von Hanneken, gouverneur militaire allemand, décréte la loi martiale. Le gouvernement s’était campé sur trois positions :

  • pas de législation anti-juive,
  • le Danemark ne doit pas rejoindre l’Axe Rome-Berlin auquel s’était également associé le Japon,
  • aucune unité de l’armée danoise ne doit combattre aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon.

Mais le contexte général avait évolué : les Allemands commençaient à goûter à la défaite sur le front russe, la résistance danoise se renforçait, et même le roi Christian X y avait mis du sien l’année précédente en répondant aux très longs vœux de Hitler pour son anniversaire par un laconique Meinen besten Dank. Chr. Rex, qui avait mis en rage Hitler. Apprenant que les Allemands s’apprêtaient à déporter les quelques 8 000 Juifs danois, la population les cacha jusqu’à pouvoir leur faire prendre le chemin de la Suède voisine. Ce sont seulement 450 Juifs qui seront déportés à Theresienstadt ou moururent 50 d’entre eux.

C’est à cette date que Flemming Bruun Muus sera nommé responsable de la Résistance au Danemark par le SOE. À la fin de la guerre, accusé par l’Angleterre de vol de fonds, l’accusation passera au Danemark qui le libérera vite à condition qu’il quitte le pays. Il niera ces vols tout en reconnaissant que beaucoup d’argent passait par lui.

08 1943    

André Labarthe, ami de Jean Moulin, a créé à Londres avec des financements britanniques la revue la France libre, qui, contrairement à ce que son nom indique, n’est en rien liée à La France Libre du général de Gaulle. Il y a attiré quelques belles plumes : Georges Bernanos, Albert Cohen, Ève Curie, Henri Focillon, Camille Huysmans, Jacques Maritain, Robert Marjolin, Jules Roy, Thomas Mann, John Dos Passos, ou Herbert George Wells, Raymond Aron, à qui déplaisent l’approbation inconditionnelle à de Gaulle et le culte de la personnalité. Il le fait savoir dans un article intitulé L’ombre des Bonaparte, où il réfléchit au renouveau politique qui suivra la libération de la France. Le philosophe compare la genèse des carrières, de Napoléon III et du général Boulanger, définit en cinq points la situation favorable au césarisme populaire. Il pense que la même cristallisation sentimentale et politique peut se produire autour d’un chef sans ascendance glorieuse, nul besoin d’être neveu [3] de Napoléon 1°. Le mythe du héros national naît sur le patriotisme blessé. L’article ne cite jamais le nom du général de Gaulle mais le lecteur ne peut que faire le parallèle insinué par l’auteur. Aron poursuit son analyse historique jusqu’au XX° siècle, jusqu’aux années vingt en Allemagne, aux années trente en Italie : Le bonapartisme est donc tout à la fois l’anticipation et la version française du fascisme. Le bonapartisme escamote la souveraineté du peuple dont il prétend émaner. La dernière phrase est pour Napoléon III : Comme tant de fois dans l’Histoire, l’aventure d’un homme s’acheva en tragédie d’une nation.

L’affaire va faire grand bruit dans le landernau gaulliste.

8 09 1943  

Le royaume d’Italie signe le cessez le feu avec les Alliés.  [le 8 septembre est la date où il a été rendu public, car en fait il a été signé le 3 à Cassibile, un village de Sicile]. La Gestapo, l’armée allemande, les SS se retirent, ces derniers en s’arrêtant à la Banque Nationale d’Italie d’où ils ressortent avec les réserves d’or italiennes et albanaises, soit 117 tonnes de lingots et de monnaies en or. D’abord caché à Milan, cet or le sera fin novembre à La Fortezza une citadelle du Tyrol du sud, près de Bolzano.

Les Allemands prennent la place des Italiens dans l’occupation du sud-est de la France. Cela va changer bien des choses dans le quotidien… la guerre avec l’Italie n’avait finalement jamais été qu’une guerre entre cousins… il arrivait certes qu’il y ait des morts, mais c’était plutôt à mettre au compte des accidents. Ainsi, dans la haute vallée de l’Ubaye, les gens avaient beaucoup de mal à se fournir en chaussures ; de l’autre coté du col de Larche, les Italiens manquaient dramatiquement de sel : le trafic de part et d’autre de la frontière allait bon train sitôt la nuit tombée, les Français apportant aux Italiens le sel et revenant chez eux chargés de chaussures. L’arrivée des Allemands mit bien sûr un terme à ces petits trafics qui améliorent la pénurie du quotidien.

12 09 1943   

Mussolini s’évade du Gran Sasso par les soins du capitaine Otto Skorzeny à la tête d’un commando allemand SS. Le commando a été parachuté, et un Storch [4] a atterri sur un terrain en pente qui est en fait une piste de ski, devant l’hôtel Campo Imperatore : il est très court, pierreux (une corvée de soldats allemands et italiens l’a sommairement déblayé) et se termine sur un escarpement. L’avion, retenu au point fixe par une escouade de soldats, s’élance et plonge dans le vide, après avoir arraché une roue du train sur un rocher. La chute fut longue, Mussolini malade ; le lieutenant Gerlach parvint à rétablir l’avion peu avant le sol, puis à atterrir sur une patte à Avezzano, au sud. Il va immédiatement rencontrer Hitler à son quartier général de Rastenburg où ce dernier le somme de reprendre la tête d’un nouveau gouvernement sous peine de voir anéanties Milan, Gênes, Turin. Il va diriger un gouvernement tout à la solde des Allemands à Saló, sur les rives du lac de Garde. Il fait fusiller son gendre, le comte Ciano et plusieurs dignitaires fascistes qui avaient voté contre lui au Grand Conseil. Il prend 33 tonnes d’or à La Fortezza pour en envoyer 23 à Bâle à la Banque des Règlements Internationaux et 10 à la Banque nationale Suisse. Une partie de l’or volé sera retrouvé en Thuringe à la fin de la guerre ; les Alliés en rendront 23 tonnes à l’Italie, mais au bout du compte, ce sont tout de même 50 tonnes qui auront disparu. Il se dit que nombre de grosses fortunes du Tessin sont ainsi nées…

13 09 1943  

François Beaudoin est arrêté à Tours par les Allemands, sur dénonciation [4]. Il était entré dans la Résistance au sein du réseau Cohors, crée par Jean Cavaillès ; philosophe, normalien, professeur suppléant à la Sorbonne, ce dernier sera arrêté le 28 août 1943 et fusillé le 17 février 1944 : son réseau avait été infiltré par Bernard Filoche, alias Michel, que l’Abwehr tenait et avait retourné pour une compromission dans un trafic de marché noir. (ce dernier écopera de 20 ans de travaux forcés après guerre). Titulaire d’une bourse Rockefeller, Jean Cavaillès avait passé quelques temps en Allemagne avant la guerre. Le réseau prit le nom d’Asturies à la fin de 1943.

Jean Cavaillès était professeur à l’université de Strasbourg à la veille de la guerre ; après l’armistice, celle-ci fut repliée sur Clermont-Ferrand. C’est là qu’il rencontra Lucie et Raymond Samuel, alias Aubrac, qui le mirent en contact avec Emmanuel d’Astier de la Vigerie, fondateur du mouvement qui prendra le nom de Libération. C’est encore à Clermont qu’il rencontra Christian Pineau, collaborant au journal du même nom (54 numéros, le premier en juillet 1941), mais qui n’était pas l’émanation du mouvement de d’Astier – et organisant des groupes d’action directe. De retour de Londres au début 43, il se consacre au réseau Cohors, qui avait été crée en avril 1942 par Christian Pineau sous la dépendance exclusive du BCRA de la France Libre. Cohors s’occupait de la zone occupée.

Ce professeur de logique possédait la véritable fantaisie qui est l’indépendance. Remonté à Paris, il devait tomber sur une bande de braves gens résistants mais pieds plats et madrés comme des notaires, voués à toutes attentes et à tous les doutes. Plutôt que de s’incruster dans cette compagnie, il s’en alla avec quelques copains faire sauter des trains, des usines et des transformateurs.

Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Avant que le rideau ne tombe 1945.

Cohors Asturies eut 992 agents régulièrement inscrits à la France Combattante entre 1942 et la Libération, parmi lesquels Yves Rocard, (père de Michel), et l’un des pères de la bombe atomique française. 331 agents, en grand nombre victimes de la délation, furent arrêtés, un tiers de l’effectif officiel. 16 furent fusillés, 15 moururent sous la torture, 268 furent déportés, dont 99 morts dans les camps nazis, parmi lesquels 16 femmes. François Beaudoin, d’abord incarcéré à la prison de Tours, sera transféré à Compiègne, puis déporté à Auschwitz, Buchenwald, Flossenburg et l’un de ses Kommandos : Flöha. Les kommandos étaient des camps rattachés à un camp principal, et le plus souvent affectés à un type précis de fabrication : à Flöha, une ancienne usine de textile avait été affectée à la fabrication de carlingues d’avion. Flöha est une banlieue de Chemnitz, – rebaptisée du temps de la RDA Karl Marx Stadt -, sur une ligne Leipzig – Prague.

Le général Giraud commence le transport de 8 000 combattants en Corse, essentiellement avec le sous-marin Casabianca. Bastia sera prise le 4 octobre, l’ensemble de la Corse libéré d’ici la fin du mois. C’est l’opération Vésuve. Aucune rue d’Ajaccio, aucun monument ne lui sera dédié : c’est le prix à payer lorsque l’on ose s’opposer à de Gaulle, dont la rancune n’a d’égal que l’orgueil.

16 09 1943 

Nantes est bombardée par les alliés : 1 215 morts, et la cathédrale est touchée.

28 09 1943

Devant son domicile – 18, Rue Pétrarque, dans le XVI° arrondissement -, Julius Ritter, colonel SS responsable du STO pour la France, est exécuté par un commando FTP-MOI – Francs-Tireurs et Partisans, Main d’œuvre immigrée -, d’obédience communiste. L’occupant lui fera des obsèques officielles en l’église de la Madeleine. Les fusillades d’otages, qui avaient cessé depuis l’automne 1942, reprendront. Pour cet attentat, 50 otages du camp de prisonniers du fort de Romainville seront exécutés le 2 octobre 1943 au Mont Valérien, parmi lesquels quatorze membres du réseau Alliance.

09 1943 

En 1941, le lieutenant colonel Michel Hollard a monté son réseau de résistance AGIR en free lance : il transmet ses renseignements directement au Secret Intelligence Service à Lausanne. Un des ses agents lui signale une série de grands travaux allemands en Seine Maritime : il s’y rend, parvient à entrer dans l’une des bases et communique aux Anglais ce qu’il a vu ; ordre lui est alors donné de concentrer toutes les recherches sur ces objectifs : un mois plus tard, ce seront plus de 100 sites de lancement de V1 qui auront été localisés, du Cotentin au Pas de Calais. Les Allemands avaient aussi installé une usine de montage du V1 dans une ancienne carrière de calcaire du bassin parisien, à Saint Leu d’Esserent, dans l’Oise, proche de Saint Maximin. Le bombardement systématique de ces sites va retarder de 6 mois le lancement des premiers V1. Parmi les bombardiers utilisés, certains étaient des drones – PB 4 Y-1 et B-17 – . Pour les Anglais, il deviendra l’homme qui sauva Londres.

V-1 flying bomb - Wikipedia

V 1 sur une rampe de lancement reconstruite au Val Ygot près d’Ardouval, en Seine-Maritime.

Florence Conrad, une américaine francophile – elle a vécu longtemps à Paris après avoir été infirmière pendant la 1° guerre mondiale – veut participer à la guerre dans laquelle vient de se lancer son pays. Elle sait soigner, mais elle sait aussi faire la quête, ce qui lui permet d’acheter 19 ambulances Dodge WC 54, de recruter 14 Françaises vivant à New-York et de s’embarquer sur un navire US Navy pour arriver au Maroc, où elle recrute 25 femmes de plus et parvient à se faire incorporer non sans mal dans la 2° D.B.  (pas de femmes ici, dixit Leclerc, mais c’était mal la connaître). En hommage à Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, vainqueur de la bataille de Yorktown en octobre 1781, qui marqua le basculement de la guerre d’indépendance américaine), elle les nommera Rochambelles, qui suivront dès lors la 2° D.B. jusqu’au nid d’aigle d’Hitler, via l’Angleterre en avril, Utah Beach en août. Une grande dame.

Trois Rochambelles de la Division Leclerc soignent un blessé sur un brancard.

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13 10 1943  

L’Italie déclare la guerre à l’Allemagne.

14 10 1943 

Révolte au camp de Sobibór, à la frontière avec la Biélorussie, à l’est de la Pologne : C’est à 16 h 00 que se révoltent un groupe de Juifs du camp de Sobibor. Ils sont dirigés par Léon Feldhendler et Aleksandr (Sasha) Pechersky, et suivent à la lettre le plan élaboré : certains devaient exécuter les SS présents dans le camp, d’autres étaient chargés de couper les lignes téléphonique et électrique, de manière à éviter les contacts avec l’extérieur et à rendre les clôtures électriques inoffensives pour les prisonniers. À 17 h 00, l’appel devait avoir lieu. Les révoltés avertirent les Juifs de la situation et les incitèrent à fuir. Au total, 400 prisonniers tentèrent l’évasion. 80 furent immédiatement tués par les SS et les gardes ukrainiens. Sur les 320 prisonniers qui réussirent à s’échapper du camp, 170 furent repris et assassinés.  À la fin de la guerre, il ne restera que 53 survivants des 150 prisonniers évadés.

Yehuda Lerner, l’un de ces 53 survivants, racontera la préparation de la révolte.

  • Les prisonniers ont contourné leur manque d’armes en demandant l’autorisation aux SS de créer un atelier de menuiserie pour les besoins du camp. Ainsi, ils ont pu avoir des haches qui leur ont servi d’armes.
  • Les révoltés ont également parié sur la ponctualité des Allemands en leur donnant des rendez-vous à heure fixe dans les différents ateliers, sous différents prétextes. Dans le cas de l’atelier du tailleur où se trouvait Yehuda Lerner et son compagnon le soldat russe, il s’agissait de faire essayer un uniforme aux SS. Si les SS n’avaient pas été ponctuels, la révolte n’aurait pas pu réussir.
  • Le plan élaboré par les révoltés de Sobibor consistait à tuer les SS présents dans le camp, informer les autres Juifs de ce qui se passait et les pousser à s’évader. Les SS étaient au nombre de 30 mais comme ils étaient présents par roulement, seule la moitié d’entre eux étaient présents dans le camp le jour de la révolte. Elle a été programmée car les détenus avaient été avertis que le camp allait être liquidé et qu’ils allaient donc être tués.

À 15 heures, le 14 octobre 1943, Yehuda et son compagnon (le soldat russe) avaient pris place dans l’atelier du tailleur. Les haches bien aiguisées étaient cachées sous le manteau que Yehuda faisait semblant de coudre.
À 16 heures moins 5, le cheval d’un SS tué par un Juif revint. Cela signifiait que le premier SS convoqué dans un atelier avait été tué.
À 16 heures tapantes, le SS convoqué dans l’atelier du tailleur entra. Il enleva sa ceinture avec son fusil. C’était le soldat russe qui devait le tuer mais le SS se plaça plus près de Yehuda Lerner. Ce fut donc lui, qui n’avait jamais tué de sa vie, qui se leva, prit sa hache et l’abattit sur le SS. Son crâne fut coupé en deux. Le camarade de Yehuda Lerner prit sa hache à son tour et donna un second coup au SS. Les révoltés ne disposaient que de cinq minutes de battement pour faire disparaître le corps et tout nettoyer.
Aujourd’hui, Yehuda Lerner ne sait toujours pas comment ils ont fait tout cela. Probablement dans un état second, avec la volonté de réussir. Les Juifs qui travaillaient dans cet atelier tirèrent donc le corps du SS et le mirent sous un tas de manteau. Il y avait beaucoup de sang, les Juifs lavèrent la pièce et mirent des couvertures par terre. Yehuda et son camarade se changèrent et s’asseyèrent à nouveau comme si rien ne s’était produit.
À 16 heures 5 minutes, un autre SS devait arriver ; il avait lui aussi un rendez-vous chez le tailleur. Le SS entra, regarda autour de lui et dit que c’était sale. Alors qu’il marchait dans la pièce, il marcha sur la main du cadavre du SS mort caché sous le tas de manteau. Il comprit que ça n’était pas normal et demanda : Was ist das ? Was ist das ?  Le soldat russe prit sa hache et donna un coup au SS. Puis Yehuda fit de même. Le second SS était mort. Ils se lavèrent et se changèrent. 
Des enfants qui passaient de baraques en baraques pour dire combien de SS étaient morts apprirent à Yehuda et son camarade que onze SS étaient déjà tués.
À 16 h 55, tout s’était passé comme ils l’avaient prévu et les révoltés se regroupèrent pour parler de la suite du plan.
À 17 heures, tous étaient prêt pour l’appel. Certains camarades de Yehuda avaient pris les fusils des SS tués. Franzl, le commandant du camp, faisait l’appel des prisonniers à 17 heures. Mais ce jour-là, à 17 heures, Franzl, n’était pas là. 
Alors un soldat russe prit l’initiative de dire Hourra ! Hourra ! On a réussi !  Les prisonniers tentèrent alors de s’évader par la porte principale mais les SS et les gardes ukrainiens leur tirèrent dessus. Ils durent fuir à travers les champs de mines qui entouraient le camp. 

Ambre http://clg-jules-romains-st-avertin.tice.ac-orleans-tours.fr/php5/site_HG/spip.php?article39

Claude Lanzmann en fera un documentaire : Sobibór, 14 octobre 1943, 16 heures, dans lequel il interroge longuement Yehuda Lerner.

16 10 1943  

Rafle de juifs à Rome : ils sont 4 000 à  se réfugier au Vatican et dans les couvents romains. Cela se passait à 400 mètres des appartements de Pie XII, qui demanda l’arrêt de l’opération, en vain. 1 259 Juifs seront déportés à Auschwitz, d’où reviendront quinze survivants.

Gino Bartali, le grand coureur cycliste, très fervent catholique, accepte la proposition du cardinal Elia Dalla Costa, qui avait béni son mariage trois ans plus tôt, de mettre ses talents au service d’un réseau de résistance. C’est ainsi qu’il va acheminer de son nouveau domicile dans les Apennins jusqu’au couvent des franciscains d’Assise, soit plus de 130 km des photos, cartes d’identité, dissimulées sous la selle et dans le cadre, le guidon. Dans le même temps, il mettra l’un de ses appartements à la disposition d’une famille juive. Sa popularité est telle qu’elle le met quasiment à l’abri d’une arrestation. Arrêter Bartali, c’est quasiment provoquer une émeute. Israël lui en sera reconnaissant, le faisant Juste parmi les Justes en 2018 et lui accordant la nationalité israélienne à titre posthume.

21 10 1943

Aidée de Serge Ravanel, enceinte de six mois, Lucie Aubrac libère des griffes de la Gestapo 13 résistants, dont son mari Raymond, lors de leur transfert de l’École de Santé à la prison de Montluc. Ils vivront traqués, de refuge en refuge pendant trois mois jusqu’à ce qu’un avion les emmène à Londres le 8 février 1944. De Gaulle rétablit le décret Crémieux sur le territoire de l’Algérie : les Juifs retrouvent donc la nationalité française.

10 1943  

Les Danois protestent auprès des autorités allemandes contre le transfert dans le ghetto citadelle de Theresienstadt de 450 juifs et exigent une visite avec le CICR. Contre toute attente, Adolf Eichmann donne son feu vert, mais demande un délai de 6 mois, délai qu’il va mettre à profit pour déguiser le camp en ville coquette, avec banque, centre culturel, bibliothèque etc…, et, pour immortaliser le subterfuge, Karl Rahm, directeur du camp invite Hans Günther, directeur du bureau central de la question juive pour le protectorat de Bohême-Moravie, à tourner un film. Il sera bien aidé par un juif allemand, fraîchement arrivé au camp, Kurt Gerron, figure de la scène berlinoise, qui va réaliser l’ensemble du film… qu’il ne pourra pas voir, puisque déporté à Auschwitz le 18 octobre 1944, quand le film ne sera terminé qu’en avril 1945 : il sera alors projeté à des membres du CICR et au Suisse Benoît Musy.

2 11 1943

En Chine, les Japonais prennent la ville de Changde. Les Chinois commandés par Xue Yue et Sun Lien Chung parvinrent à la leur reprendre au cours de presque deux mois de bataille. Les Japonais se replieront le 20 décembre.

7 11 1943 

L’Argentin Vito Dumas boucle à Buenos Aires le premier tour du monde en solitaire à la voile sur un ketch Marconi de 9.5 mètres de long : Lehg II – Lucha, Entereza, Hombría, Grandeza, soit en français : lutte, fermeté, honnêteté, grandeur. Il était parti le 27 juin 1942. En quatre grandes étapes, complétées par trois petites de un et deux jours, il a doublé les trois grands caps : Bonne Espérance, Horn, Leeuwin.

  • Montevideo – Le Cap en doublant le cap de Bonne Espérance : 4 200 nautiques (7 800 km) en 55 jours.
  • Le Cap – Wellington en contournant l’Australie et la Tasmanie par le sud : 7 400 nautiques (13 700 km) en 104 jours.
  • Wellington – Valparaiso : 5 200 nautiques (9 600 km) en 72 jours.
  • Valparaíso – Mar del Plata en doublant du premier coup le cap Horn : 3 200 nautiques (5 900 km) en 37 jours.

Soit au total 20 420 milles nautiques (37 800 km) parcourus en 272 jours. La distance parcourue est inférieure à la circonférence de la Terre qui est d’environ 40 000 km : en raison de la nature sphérique de la terre, le 40° parallèle qu’a suivi le Lehg 2 mesure environ 31 000 km et le considérable détour inévitable par le cap Horn complète la distance.

Vito Dumas (1900-1965) - Find A Grave Memorial

Vito Dumas, en el Lehg II, el velero con el que dio la vuelta al mundo

9 11 1943   

Giraud quitte la coprésidence du CFNL.

11 11 1943  

À Grenoble, 450 manifestants sont arrêtés et déportés en Allemagne.

22 au 26 11 1943

À la conférence du Caire, Roosevelt, en accord avec Chiang Kai Shek, prend en charge la constitution de 90 nouvelle divisions destinées à l’armée nationaliste chinoise, et la mise à disposition dès la fin de la guerre d’un contingent pour assurer la sécurité de la Chine jusqu’au rétablissement de la République. En échange, Chiang Kai Skek s’engage à former un gouvernement de coalition incluant les communistes.

27 11 1943  

Michael Trotobas, alias capitaine Michel, représentant du SOE – Special Operation Executive- une branche des services secrets anglais, trahi par son adjoint, est tué par les Allemands à son domicile à Lille. Il était à la tête d’un réseau de 1 200 hommes, ayant pris une très grande part aux actions de résistance en France, surtout en sabotage des lignes ferroviaires et des gares. Le soin que de Gaulle mettra à construire le mythe de la Résistance française, autour d’action certes bien réelles mais aussi limitées, fera passer cette participation anglaise quasiment sous silence.

28 11 1943   

Au sommet de Téhéran, Staline, Roosevelt et Churchill décident de l’ouverture sans délai – pas plus de six mois – d’un second front sur l’ouest de l’Europe, et ce par un débarquement sur les côtes françaises. Churchill est arrivé fatigué et malade, mais n’a pas cédé facilement aux pressions de Staline qui voulait à tout prix soulager le front de l’est en obligeant Hitler à le dégarnir au profit d’un front sur l’ouest ; ce n’est que lorsque Roosevelt s’est rallié à la position de Staline que Churchill a cédé.

Sur la Chine, Staline a aussi évoqué l’engagement possible de l’URSS en Extrême Orient après la capitulation de l’Allemagne nazie, proposition qui reçoit l’assentiment de Roosevelt, conscient que la meilleure façon d’éviter une guerre civile en Chine est de faire pression sur toutes les parties. Par ailleurs Staline préférerait voir en Chine un pouvoir communiste certes, mais plus faible que celui que dirigerait Mao Zedong.

La Conferencia de Teherán, el principio del fin de la Segunda Guerra ...

 

Sous le pseudonyme de Jean Mahan, Albert Cohen, romancier exilé à Londres, publie dix neuf chants en l’honneur de Churchill :

Je le regarde en ses soixante huit années. Je le regarde. Vieux comme un prophète, jeune comme un génie et grave comme un enfant. […] Je le regarde. Grand, gros, solide, voûté, menaçant et bonasse, il fonce, lourd de pouvoir et de devoir, en étrange chapeau de notaire élégant, un cigare passe-temps à la bouche entêtée. […] Majestueux, sérieux, rieur, l’œil vif et inventif et frais et malicieux et loyal, […] patriarcal et alerte, soudain presque rigolo, soudain bougon et décidé, aristo, familier, méprisant, tout vital, quasiment furieux puis affable et nonchalant. […]

Tout homme naît et se forme pour une grande heure de sa vie. C’est la plus belle heure de Churchill que je dirai. Et sa plus belle heure a été la plus belle heure d’Angleterre. Ce sera sa gloire. Dans le granit des âges et l’amour des générations, il apparaîtra prophète d’Angleterre, prophète de la plus belle heure d’Angleterre, Churchill d’Angleterre.

11 1943   

Robert Crozier, pilote américain de 23 ans est aux commandes d’un B 24 quadrimoteur, avec un équipage de quatre autres jeunes – tous dans la vingtaine -. Ils amènent de l’Inde à la Chine des armes pour Tchang Kaï Chek. Ce voyage est un retour à vide vers l’Inde ; ils n’en sont pas à leur premier vol et ont déjà maintes fois survolé l’Himalaya. Mais cette fois-ci, ils essuient un typhon dont la vitesse les fait dévier de leur plan de vol. Les instruments de bord deviennent inopérants, la radio ne marche plus, et tout à coup, dans une trouée de nuages, ils voient devant, et plus haut qu’eux, un sommet tout blanc. Ils l’évitent de justesse, et comprenant qu’ils sont perdus en plein Himalaya, Robert Crozier décide de descendre à vue jusqu’à trouver des reliefs moins escarpés, de sauter en parachute, et d’abandonner l’avion à son sort. La chance leur sourit : ils voient les lumières d’une ville, cherchent le terrain d’aviation qu’ils ne trouvent pas puisqu’il n’y en a pas – c’est Lhassa –  et mettent leur plan à exécution : ils sautent et l’avion va s’écraser contre une montagne. Au sol, ils mettent un moment avant de tous se retrouver, mais ils sont très chaleureusement recueillis par des villageois qui ont entendu le crash de l’avion. Emmenés à Lhassa quelques jours plus tard – ils en étaient tout de même à trois jours de marche -, ils furent très bien reçus par les autorités chinoises, alors alliées des anglais et des américains, et s’apprêtaient à gueuletonner aux frais de la princesse quand ils s’aperçurent qu’au dehors une foule de Tibétains les conspuaient : ils reçurent quelques cailloux et durent s’enfuir jusqu’à la mission britannique à l’intérieur de laquelle on leur expliqua de quoi il retournait : le Dalaï lama  est un dieu vivant, au-dessus de tout le monde dans son Potala, et en survolant Lhassa vous avez vu le Dalaï lama de haut, vous avez été au-dessus de lui, et ça, c’est un sacrilège ! Ils quitteront Lhassa à cheval le 19 décembre.

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[1] Il avait été envoyé là-bas, bien loin de chez lui, par les bons soins de Edgar Hoover qui ne pouvait laisser passer sa liaison avec Inga Arvad, journaliste, miss Danemark en 1931, mais aussi espionne.

[2] Sainte Claire, – Chiara Sciffi – fondatrice de l’ordre des Clarisses, de spiritualité franciscaine.

[3] Dans les années 2010, l’ADN révélateur des petits et grands secrets montrera que s’il était fils d’Hortense de Beauharnais, son père n’était pas le frère de Napoléon I° mais un berger basque ou un nobliau hollandais.

[4] Le Storch – Fi 156, Fi pour Fieseler, son constructeur – est un avion aux performances étonnantes : il peut atterrir sur moins de 25 m. décoller sur moins de 50 m. Il a une vitesse de décrochage (en-deçà de laquelle il tombe) de 50 km/h.

[5] nul ne saura jamais combien les postiers résistants sauvèrent de vies en ouvrant des courriers de dénonciation et en les détruisant. La délation était omniprésente, quotidienne, certes… mais il faut tout de même savoir qu’elle avait des limites : Les récompenses pour la dénonciation de pilotes abattus et d’agents secrets avaient grimpé de quelques centaines de francs à un million : de quoi vivre confortablement le restant de ses jours. En dépit de ces offres alléchantes, des milliers de patriotes anonymes apportèrent leur concours au retour en Angleterre de 1975 aviateurs du Commonwealth et de 2962 membres d’équipage américains abattus au-dessus de l’Europe occidentale. Paul et Marcella Webster Voyage sur la ligne de démarcation.  Le cherche Midi 2004