juin 1906 à 1907. Crise viticole en Languedoc. Maria Montessori. 22960
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Publié par (l.peltier) le 24 septembre 2008 En savoir plus

06 1906   

Le Midi viticole voit arriver la crise : dans trois mois commenceront les vendanges, et les cuves sont encore pleines du vin de l’année précédente. L’oïdium en 1847, le phylloxéra en 1860, le mildiou en 1878, trois maladies importées des États-Unis, avaient laissé exsangue le vignoble français, et l’on ne produisait pratiquement plus de vin à la fin du XIX° siècle.

Ce n’était pas la première fois que le vignoble français rencontrait des problèmes ; dans des époques déjà lointaines où l’aide de l’État était hors de question, agenais et bordelais étaient entrés en concurrence, c’était vers 1350, le bordelais parvenant à exiger de l’agenais qu’il cesse de cultiver la vigne pour ne pas gêner sa propre production, et c’est ainsi qu’Agen s’était mis à faire du pruneau.

Mais à la fin du XIX°, on pensa plus vite à frauder qu’à se reconvertir, et les fraudeurs s’étaient engouffrés dans la niche, fabriquant un très mauvais produit synthétique à base de sucre, d’acide et d’eau plus que de raisin. Mais c’est aussi le vin d’Algérie – où le vignoble était en plein développement – qui se tailla en France de grandes parts de marché si bien que, lorsque le vignoble fût à peu près reconstitué, les marchés étaient très souvent pris et le vin du Languedoc ne trouvait plus preneur, d’où une surproduction.

Ces deux facteurs servirent de bannière à la révolte. Selon certains, ils auraient été largement surestimés, car en fait, les vins artificiels n’auraient alors représenté pas plus de 5 % de la production nationale ; d’autre part, l’importation des vins d’Algérie, via Sète et Marseille atteindront leur maximum entre 1909 et 1913, donc, les quantités antérieures ne peuvent être tenues responsables de l’effondrement des prix.

En fait, ce seraient tout simplement les conditions climatiques des années antérieures les premières responsables de cette surproduction et donc de l’effondrement des cours. C’est en France, où l’augmentation de la production est de 96 %, que le phénomène est le plus grave, mais on le retrouve aussi chez nos voisins : 48 % en Espagne, 16 % en Italie

Il n’est pas simple de démêler le vrai du faux, dans ce débat qui a énormément de mal à quitter le stade passionnel : Les Radicaux sont solidement installées au pouvoir ; ils s’efforcent, à quelques exceptions près, de démontrer que la véritable cause de la mévente des vins du Midi réside dans la surproduction, non dans diverses manipulations frauduleuses. Sans doute faudrait-il s’entendre sur ce que signifie fraude ; il est évident que si le terme recouvre les seules importations interlopes et fabrications hors-sol, les productions visées restent faibles ; mais si le terme est étendu à toute manipulation qui dénature le vin jusqu’à ruiner le vigneron, alors oui, le vin fraudé circule abondamment entre Rhône et Pyrénées.

Geneviève Gavignaud Fontaine. Vignerons du Midi. Nouvelles de la Révolte 1907-2007. Cap Béar Editions 2007

C’est toute une région qui va vivre pendant des mois au rythme de manifestations de plus en plus importantes. Le cocasse y côtoiera le drame : Marcelin Albert, le meneur des vignerons se faisant emmener sur les lieux de la manifestation dans la voiture de luxe d’un des plus gros propriétaires ! il y avait de quoi jeter le trouble dans la tête des responsables nationaux du socialisme ! C’était l’union sacrée des félibres rouges, des blancs royalistes et des socialistes, pour le salut de la viticulture.

Au cœur de la révolte donc, Marcelin Albert, petit viticulteur d’Argeliers, qui avait abandonné le travail de sa vigne pour tenir un bistrot, – qu’il avait d’ailleurs fermé l’année précédente -. Un goût marqué pour le théâtre l’avait mis sur les rails d’une éloquence à laquelle rien de son passé familial ne l’avait préparé. Doté d’une charisme certain, son refus de se faire récupérer par la politique avait très vite grossi ses rangs : les tripatouillages électoraux étaient courants et détournait de la politique nombre de citoyens : il avait lui-même claqué la porte du conseil municipal d’Argeliers pour cette raison, et le bon docteur Ernest Ferroul, maire de Narbonne traînait une casserole de fraude électorale en 1898. Ce dernier, en fin politicien laissera Marcelin Albert à la manœuvre tout le temps du soulèvement pour rafler finalement la mise à la fin de la partie.

L’homme était certainement d’une grande rectitude. On ne peut probablement pas en dire autant de la cousine de sa femme, Lucie Marty, fille de grand propriétaire, veuve plutôt joyeuse qui menait grande vie à Paris, où elle avait été dame de compagnie chez Clemenceau, et qui débarqua aux cotés d’Albert dès le début des événements sans le quitter d’une semelle jusqu’à son retour de Paris : sous-marin de Clemenceau ? ambassadrice des grands propriétaires ? À ce jour, nul ne connaît bien précisément son rôle, mais l’oie n’était pas blanche, c’est sûr.

Capestang, le 10 juin 1906

Mon cher enfant

J’ai une bien triste nouvelle à t’annoncer, ton grand-père Justin est mort ce matin. Il est mort dans son sommeil, apparemment sans souffrance. Il ne faut pas pleurer, mon petit, tu sais la vie qu’a eue ton grand-père, une vie pleine et riche, une vraie vie d’homme, de travail et de larmes mais aussi de joies et de réussite, il ne faut pas pleurer mais il faut garder son souvenir dans nos mémoires, Justin qui a travaillé toute sa vie pour nous donner cette propriété qui aujourd’hui nous fait vivre.

Voilà, je n’ai pas le cœur à te parler davantage mais tu connais la situation, je t’en ai déjà parlé dans ma précédente lettre, les choses se compliquent de plus en plus, nous allons vendanger dans trois mois et les cuves sont encore pleines. Nous ne savons plus que faire, ton père a beau se démener, ça devient de plus en plus difficile de vendre le vin.

Écris-moi vite, je t’en prie, raconte moi comment ça se passe pour toi, là-bas, les gens, les paysages, je me languis de toi.

Ta mère qui t’aime

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

11 06 1906  

1° ligne d’autobus à essence entre Montmartre et St Germain.

26 06 1906  

Premier Grand Prix du Mans : sur un circuit de 103 km, seules 17 voitures sur les 32 engagées franchirent la ligne d’arrivée : le vainqueur : Ferenc Szisz, un ancien mécanicien de Louis Renault, établit une moyenne de 101 km/h sur les deux étapes de six tours. L’invention de la jante amovible par Michelin fut un élément prépondérant dans la victoire : les crevaisons étaient alors fréquentes.

06 1906

Pogrom contre les Juifs à Bialystock : 80 morts. Entre 1903 et 1906, les violences contre juifs et arméniens auront fait en Russie plus de 3 000 morts et 10 000 blessés.

8 07 1906 

À la Douma, Stolypine annonce qu’en six mois, 286 fonctionnaires d’État ont été tués et 156 tentatives de coup d’État déjouées. 10 000 personnes ont été fusillées et pendues de 1905 à 1908 après verdicts de tribunaux civils et militaires. Pour la première fois on exécute des civils.

13 07 1906 

Réhabilitation de Dreyfus, par arrêt de la Cour de Cassation, attendu que de toute l’accusation rien ne reste debout, que rien ne subsiste à la charge de Dreyfus pouvant être qualifié crime ou délit.… Il sera réintégré dans les cadres de l’armée le lendemain, avec rang de chef d’escadron, démissionnera l’année suivante et y reviendra pour la guerre. Le repos hebdomadaire devient obligatoire.

6 08 1906

L’Iran sort d’années bien agités contre la domination britannique au sud et russe au nord, et c’est pour déboucher sur la proclamation d’une monarchie constitutionnelle que la dynastie Pahlavi dévoiera à son profit dans les années suivantes.

10 08 1906   

Encyclique Gravissimo officii : Pie X interdit aux catholiques de constituer les associations cultuelles prévues par la loi de séparation. Giuseppe Melchiorre Sarto, était né à Riese en Vénétie, et de plus, avait été nonce à Venise avant d’être élu pape : Mgr Duchesne, directeur de l’École française de Rome, ricanera : C’est un gondolier vénitien dans la barque de saint Pierre : il est naturel qu’il la conduise à la gaffe

Capestang, le 18 août 1906

Mon cher fils,

Je savais combien tu aimais ton grand-père, les larmes que tu as versées ne sont que la marque de cet amour. Maintenant nous allons devoir apprendre à vivre sans lui, même si je sais déjà, comme tu le sais aussi, j’en suis sûre, qu’on ne pourra jamais s’habituer à son absence. Mais ton grand-père avait fait sa route, il est mort aimé et respecté de tous, sans avoir eu à rougir d’aucun de ses actes, la probité de sa vie rejaillit sur toute notre famille. Tu vas me dire que c’est une maigre consolation à sa perte et que cela n’enlève rien au poids du deuil, au moins pourrons-nous garder de lui une image d’honnêteté et de droiture.

Tu me réponds aussi que cela te fait enrager de savoir les cuves pleines à la veille des vendanges. Enrager est bien le mot, même si pour nous la situation a un peu changé depuis ma dernière lettre. Ton père a rompu le contrat qui nous liait au négociant véreux que tu sais et ton frère Lucien, est parti hier tenter de vendre directement notre vin à Clermont Ferrand. Pourquoi Clermont-Ferrand, vas-tu me dire, simplement parce que ce n’est pas une région très viticole et qu’il faut bien commencer quelque part. Et puis tu connais Justin, il a un ami qui connaît quelqu’un dont le frère etc. Bref, il s’est finalement plutôt bien débrouillé, il a réussi à en placer plus de la moitié à trois francs cinquante l’hecto. Tu vois, aujourd’hui le vin du Midi n’a plus de prix, il ne vaut plus rien. Trois francs cinquante. Ce chiffre a dû te faire bondir, et à ce prix-là, vas-tu me dire, autant valait-il le jeter au ruisseau. Mais non mon cher fils, tu sais comme moi que ce vin est le résultat de notre travail d’une année, le jeter, ce serait comme se cracher à la figure, il n y a rien de pire que cela. Pas un homme ici ne pourrait ouvrir ses foudres au ruisseau sans penser qu’il se vide de son sang, et je crains beaucoup la réaction de ton père s’il devait un jour en arriver là pour rentrer la vendange. Trois francs cinquante, oui, quand le cours est à sept francs, le plus bas depuis qu’on a replanté, mais sept francs à trois mois des vendanges, il ne faut pas rêver, les gens ne sont pas bêtes tu sais, même les gens honnêtes, et ceux qui nous acheté le vin sont des gens honnêtes, ils savaient que dans quelques semaines à peine ils pourraient le toucher à un franc, peut-être même cinquante centimes…

Comme tu le vois, ta rage est justifiée, elle est ici partagée par beaucoup de monde, ton père et tes frères en tête. En même temps, il faut bien le dire, nous avons aussi un sentiment d’impuissance, avec l’impression que la terre entière se ligue contre nous pour nous empêcher de vivre de notre travail. Ce n’est pas la première fois que je te dis ça, je dois sans doute me répéter, mais ici, les choses sont de plus en plus difficiles, comme si on vivait un retour en arrière. Les ouvriers, certains de nos amis, s’ils trouvent de quoi manger le lundi, ne sont pas sûrs d’en trouver le mardi. Beaucoup en sont là.

Je t’en dirai plus dans une prochaine lettre.

Ta mère qui t’aime.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

16 09 1906

Un édit de l’Empereur de Chine déclare la guerre à l’opium.

L’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon, les Pays Bas, la Perse, le Portugal, la Russie et le Siam participeront à la commission Internationale de l’opium à Shanghai, en 1909. À défaut de décision concrète, cette conférence internationale a aidé à sensibiliser les états sur cette question. Les États-Unis prirent ensuite l’initiative d’organiser une 2° conférence en 1912 à La Haye, où des mesures plus précises furent prises, bien que la Chine ne fût pas en mesure de prouver l’abandon complet de la culture du pavot sur son territoire. En Indochine, des mesures commencèrent à être prises, bien qu’il soit difficile d’en préciser la sincère portée, les enjeux financiers étant considérables. Ainsi, dès le mois de juin 1907, un arrêté interdisait l’ouverture de nouvelles fumeries. La hausse des prix constatée sur les années suivantes profita néanmoins largement aux finances publiques. Le commerce des stupéfiants fut ensuite réglementé en 1915, d’abord en métropole puis en Indochine. Concernant l’Indochine, il semble que l’arrêt de la production ne fut réel qu’en 1954.

www.cambodgemag.com/post/l-opium-en-indochine

13 10 1906 

Par la Charte d’Amiens, les syndicats s’engagent à rester indépendants des partis politiques.

À l’entrée de l’École publique du Faubourg de Noyon, rue Rigollot, à Amiens.

30 10 1906

Le Professeur Poiré demande la création d’un Institut du Cancer.

15 11 1906 

Exposition coloniale à Marseille.

3 12 1906  

Henri Moissan obtient le prix Nobel de chimie, pour être parvenu à isoler le fluor et le silicium et à développer l’usage du four électrique.

8 12 1906    

Aurel Stein, en route pour la cité perdue de Loulan, dans le Turkestan chinois, sur la bordure ouest du désert du Taklamakane, découvre un stupa, seul vestige à l’air libre de la cité morte de Mirane, découverte deux ans plus tôt par Ellsworth Huntington : il découvre des fresques qu’il met en sécurité dans les parages, puis qu’il réenterre trois mois plus tard, face à la polémique qui enfle sur le comportement prédateur des archéologues occidentaux : Ce fut une affaire bien mélancolique que de contempler ces gracieuses peintures, tandis qu’elles disparaissaient lentement sous le sable. L’enterrement de vraies créatures animées n’aurait pas été pire.

Aurel Stein. Ruins of desert Cathay 1912

Face aux tentatives de vandalisme qu’il sera amené plus tard à constater sur son essai de maintien sur place, il emmènera une bonne partie de ces fresques au British Museum, s’attirant les foudres des Chinois pour les siècles à venir. Les Chinois découvriront à Loulan en 1980, la dépouille d’une femme en parfait état de conservation, vieille de 3 800 ans : on la nommera la beauté de Loulan. En 1998, le corps d’un enfant en bon état lui aussi, remontant à environ 4 000 ans et les restes d’un vieil homme, décédé il y a plus de 1 500 ans ont également été excavés. La ville, désertée il y a à peu près 2 000 ans, occupait environ 100 000 m².

La « Beauté de Lulan ». 3800 years old

1906- 1908 

La même année, après un premier voyage en 1901, Aurel Stein découvre des vestiges de l’ancienne oasis de Niya, 38°00’00ʺ  N, 82°41’00ʺ E, sur la bordure sud du désert de Takla-Makan, à 150 km de l’actuelle Mingfeng.

Les ombres étirées du soir rendaient les hautes dunes au nord-ouest doublement imposantes. Je parvins cependant à entraîner mon équipe à marcher trois kilomètres supplémentaires et cela avant que la tombée de nuit ne nous contraigne à faire halte. Grâce à mon plan détaillé du site, je savais que nous nous trouvions à présent près de quelques ruines que j’avais repérées le dernier jour de mon précédent séjour et que j’avais été obligé de laisser inexplorées, comme on remet quelque chose à plus tard, à l’occasion d’une prochaine visite. Tandis que l’on dressait ma tente, je partis à la recherche de ces ruines. Bientôt, je mis le pied sur des madriers enfouis sous le sable.

La distance déjà parcourue pour arriver sur le site ajoutée aux autres difficultés surmontées me donnèrent l’impression d’être un pèlerin qui atteint son but sacré après de longs mois de vagabondage. Au milieu de ces ruines, je découvris en surface un grand madrier en bois décoré et sculpté dans le style Gandhara. Je m’assis dessus et prêtais attention au profond silence qui régnait tout autour de moi. Je songeais à cette vie qui fleurissait sur ce sol, il y a mille sept cents ans de cela et qui, à présent, n’était plus soumise qu’aux forces rivales du sable et de l’érosion. Je connus alors, ce soir-là, l’un des plus heureux moments de quiétude qui m’ai été donné.

Le lendemain matin, je divisais mon équipe. Ram Singh, le topographe, fut dépêché vers le nord-est avec trois chameaux et une provision suffisante d’eau potable. Il avait pour mission de chercher les ruines qu’Islam Akhun, un villageois de Niya, avait proposé de nous faire découvrir, situées à une courte distance de marche depuis le site où nous nous trouvions. Il devait ensuite se diriger en direction du nord jusqu’au désert, progressant autant que possible en une journée sans épuiser les chameaux. Avec le reste de mon équipe, je poursuivais la route indiquée par Ibrahim, sur les hauts plateaux de sable vers le nord nord-ouest, à la recherche des habitations en ruines sur lesquelles mon ancien guide était tombé lors de ses propres vagabondages, deux ans auparavant. Nous avancions très lentement sur les dunes abruptes, enserrées dans un labyrinthe de monticules de sable recouverts de tamaris. Je n’atteignis la plus proche de ces ruines qu’après une heure entière de marche. Il s’agissait des ruines d’une habitation de bois, à demi-recouverte par une grande dune, un peu au-delà de la limite à partir de laquelle s’étendait le tamaris vivant.

Poursuivant ma route plus de trois kilomètres durant sur des dunes absolument désertiques, je passai, l’une après l’autre, les anciennes maisons déjà signalées. Elles suivaient une ligne à côté de ce qui avait dû être le prolongement au nord-ouest d’un canal autrefois alimenté par la rivière Niya. Cette ligne était située à seulement trois kilomètres au nord nord-ouest de la ligne la plus au nord que nous avions pu découvrir en 1901. Les dénivellations accentuées par l’entassement du sable avaient alors dissimulé ces anciennes maisons. Pour établir mon campement, je choisis une parcelle de terre érodée près de la limite nord des ruines. Sans perdre une minute, j’entrepris le travail de la journée en me rendant sur le site de la plus éloignée de toutes les maisons en ruines que nous pûmes repérer.

Il s’agissait d’une habitation de dimension relativement étroite, recouverte d’un mètre de sable seulement, et qui fournissait à Naik Ram Singh et à ses hommes une parfaite leçon de fouilles. Elle était située sur le prolongement étroit de ce qui semblait être une terre surélevée, compte tenu de la dépression produite tout autour par l’érosion du vent, s’étendant sur la ligne d’un petit canal d’irrigation encore signalé par des rangs de peupliers morts, jonchant le sol. Dès que le parterre de la pièce, à l’angle ouest de l’habitation, fût mis au jour, nous découvrîmes un grand nombre de documents en kharoshti [1] sur bois. Outre la satisfaction de cette première trouvaille d’un takhta que je récompensai avec quelques pièces chinoises en argent, j’eus la très grande joie de voir apparaître, dans chacun des trois salons de cette maison, morceau après morceau, cet ancien document rédigé en langue indienne, que l’on devait probablement au dernier locataire des lieux – sans aucun doute, un officiel mineur du milieu du troisième siècle de notre ère -, qui avait laissé là ses documents au rebut. Des tablettes rectangulaires du type officiel, avec des couvertures serrées en bois faisaient office d’enveloppes ; des tablettes doubles, en forme de coin, communément utilisées pour de brèves correspondances quasi-officielles ; des planches de bois rectangulaires contenant des rapports de toutes sortes – tout cela était contenu dans les vestiges de la première ruine.

Les hommes de l’équipe apprirent sous peu à gratter le sable qui se trouve à la surface du sol et cela de manière convenable. Ravis d’annoncer leurs trouvailles, ils venaient me prévenir pour que je puisse achever ce travail délicat. Bien que mes explorations précédentes m’aient familiarisé avec les formes apparentes de ces documents, je ne pus m’empêcher de ressentir une certaine émotion lorsque, après avoir enlevé le sable fin qui collait à la surface, je fus convaincu que plusieurs tablettes en coin possédaient encore leurs attaches de fil et même, sur quelques-unes, des sceaux en argile. Comme j’étais heureux d’y découvrir des représentations d’Eros et une autre qui probablement figurait Hermès, laissées là par l’impact des gravures en creux classiques.

Les outils ménagers qui se trouvaient sur ce site m’étaient également familiers. Les débris d’une chaise en bois agrémentés de motifs sculptés élaborés dans le style gréco-bouddhiste, des instruments de tissage, une forme de botte, un grand plateau, une souricière, etc., tels furent les objets que je pus reconnaître au premier regard en raison de ma précédente expérience. Je pus également expliquer tout de suite les différentes méthodes employées dans la construction des murs de plâtre et de bois afin d’instruire Naik Ram Singh. En dépit de l’érosion provoquée par le vent qui avait dénivelé le terrain attenant jusqu’à une profondeur d’environ quatre mètres et demi en dessous du niveau original, détruisant ainsi une partie de la charpente, la cuisine et les lieux communs ainsi que les enclos aux murs tressés de jonc étaient encore apparents.

Dans l’après-midi, encombrés par les objets découverts durant ces premières heures de travail, nous retournâmes en direction des plus imposantes ruines qui se trouvaient près de notre campement. Là, les murs comme les objets qu’on aurait pu y trouver avaient été entièrement détruits sous les effets de l’érosion, alors que les madriers massifs, blanchis, réduits à l’état d’échardes se dressaient encore très haut, marquant ainsi l’emplacement de l’ancienne charpente. Cependant, lorsque j’examinais le sol en dessous de ce qui me paraissait avoir été un lieu d’aisance extérieur ou encore une étable d’une surface d’environ quatre mètres carrés et demi, je compris aussitôt qu’il s’agissait des couches successives d’un énorme tas d’ordures. Mes expériences passées me donnèrent toutes les raisons de fouiller dans cette carrière peu attirante ; les odeurs nauséabondes qu’émettaient pourtant les ordures, et cela même après dix-sept siècles, étaient doublement pénibles, à cause du vent frais de l’est qui agitait une poussière fine remplie de microbes, la renvoyant directement au visage, dans la gorge et dans le nez.

Notre persévérance à découper au travers des différentes couches d’ordures amassées sur l’emplacement de l’étable fut enfin récompensée lorsque nous rencontrâmes, à plus de deux mètres sous la surface, un petit enclos en bois qui mesurait deux mètres et demi par un mètre de côté, le tout sur plus d’un mètre de hauteur. Cet enclos avait probablement fait office de réceptacle à ordures pour une ancienne habitation. Au milieu des ordures plus volumineuses, mélangées à différentes sortes de graines et semences, nous découvrîmes de curieux fragments d’espèces les plus diverses – des torchons de tissu aussi variés que la soie, la laine, le coton ou le feutre, les éléments d’un tapis en laine ; du cuir et du feutre brodés ; des cordes tressées, des pointes de flèche en bronze et en fer ; des fragments de beaux bois laqués ; ainsi que des instruments brisés en bois et en corne. Plus gratifiante encore était cette trouvaille de plus d’une douzaine d’étroites bandes de bois, pareilles à des étiquettes, sur lesquelles étaient inscrits des caractères chinois exquisément tracés et que l’interprétation donnée ultérieurement par Chaing-ssu-yeh confirma comme étant des notes accompagnant des cadeaux.

Toutefois, ce ne fut qu’au travers d’une analyse et d’une traduction toutes deux très savantes, livrées par mon collaborateur sinologue M. Chavannes plusieurs années plus tard, que je compris tout l’intérêt qui s’attachait à ces petites archives. Chavannes montra que pas moins de huit de ces étiquettes avaient été fixée à des cadeaux de bijoux que des membres de la famille royale s’offrirent ou reçurent de leurs sujets, peut-être à l’occasion du Nouvel An. Sur une face de l’étroite bande de bois, le donateur inscrivait son nom, faisant mention du cadeau et de ses bons vœux ; tandis que sur l’autre face était indiqué le nom ou le titre du destinataire. Dans un cas, c’était la mère du roi offrant un cadeau et ses salutations à son fils ; dans un autre, c’était la femme du prince héréditaire qui adressait ces cadeaux à l’une des épouses du roi, et…

La plupart de ces personnages royaux sont désignés par leur nom. Toutefois, compte tenu du fait qu’ils appartenaient à la famille d’un petit chef local qui régnait sur quelques oasis, il semble peu probable que ces personnages soient jamais un jour identifiés par les archives historiques chinoises. Et cependant, il était intéressant de trouver que l’une des épouses royales était décrite comme la princesse de Chümo, c’est-à-dire du territoire qui correspond au Charchan actuel, situé à dix jours de marche en direction du nord-est. Ces reliques charmantes qui avaient appartenu à une royauté jusque-là ignorée par l’histoire et découvertes dans ce réceptacle à ordures, provenaient-elles de la grande demeure, aujourd’hui détruite par l’érosion, qui se trouvait à quelque distance de là ? Ou bien encore, cette boîte, avant d’être enterrée sous les ordures de l’étable, avait-elle appartenu à une maison plus importante et d’une période plus ancienne, aujourd’hui complètement disparue ?

Tout au fond de l’enclos se trouvait un petit tas de maïs, encore dans leur gerbe et parfaitement préservés. Tout à côté il y avait deux souris momifiées que la mort avait surprises alors qu’elles grignotaient ces graines.

Le dégagement de ces dépôts d’ordures se poursuivit durant une partie du second jour, mais avant même qu’il ne fut terminé, le nombre d’hommes disponibles m’avait permis d’entamer, sous la supervision de Naïk Ram Singh, les fouilles de la chine des petites ruines qui s’étendaient dans la direction du sud. Lorsque je pus regrouper tous mes hommes à cette tâche, les progrès furent aussi rapides que j’aurais pu souhaiter. Quelques-unes des habitations avaient subi de véritables dégâts à la suite de l’érosion si bien qu’il ne restait derrière les murs qu’un peu de sable. D’autres habitations avaient été mieux protégées. Dégager le sable qui s’était entassé dans les pièces (dans une ou deux pièces, jusqu’à hauteur du plafond), exigea de la part des hommes des efforts considérables. Pourtant les hommes maniaient leur ketmans – à la fois pelle et piocheavec une persévérance surprenante et les exhortations amusantes et quelquefois sévères d’Ibrahin Beg, ainsi que l’encouragement fourni par de petites récompenses payées contre les premières trouvailles de valeur, suffirent pour les faire bien travailler dix à onze heures par jour. Je travaillais moi-même plus longuement encore à faire des plans précis et à enregistrer toutes les observations et les découvertes. 

Des archives kharoshti en bois, – qu’il s’agisse de lettres, de comptes, de projets ou de mémorandums – furent trouvées dans presque chacune de ces habitations et cela, sans compter les sculptures de bois d’architecture, des objets ménagers et des instruments en bois, tous révélateurs de la vie quotidienne et des travaux domestiques comme, par exemple, des instruments de tissage et de cordonnerie. Bien que les derniers habitants de ce modeste Pompéi n’aient rien laissé de réellement précieux, le nombre de pièces individuelles, aménagées d’une cheminée et de bancs fournissait la preuve du confort dans lequel ces gens-là vécurent. Invariablement, ou presque, on pouvait retrouver près des maisons des débris de jardins clôturés et d’avenues de peupliers ou encore de fruitiers. Dans certains endroits, là où les dunes les avaient protégés, les troncs blanchis et décharnés de ces vergers, des mûriers pour la plupart, se dressaient encore à une hauteur de plus de trois mètres. Ailleurs, ils jonchaient le sol ou parfois encore, il ne restait que les souches comme dans le cas des grands peupliers bordant autrefois un réservoir à la limite sud de ces habitations – habitations dont je pus retracer avec précision les emplacements au pied d’un grand cône de tamaris.

Avec une partie si considérable de ces habitations anciennes dans un état de préservation presque parfait, il fut bientôt facile de s’y sentir chez soi. De grands efforts d’imagination n’étaient pas nécessaires pour se figurer l’allure originale, si bien qu’il n’y eut aucun effet de véritable surprise pour nous impressionner. Pensant constamment aux traits similaires que l’on retrouve aujourd’hui dans les habitations modernes du Turkestan, je trouvai par moment que je manquai pour le moins de déférence à l’égard de l’ancienneté de ces reliques d’un passé enterré voilà dix-sept siècles.

J’étais d’abord fasciné par la stérilité absolue et les larges vistas du désert qui m’entouraient. Les ruines à l’extrémité nord du site continuaient au-delà de la zone des tamaris vivants. Comme la mer ouverte au large, les dunes jaunes s’étendaient devant moi, avec rien pour rompre leur monotonie onduleuse à l’exception du tronc blanchi des arbres ou les rangs de poteaux brisés, marquant les maisons, s’élevant ça et là au-dessus des crêtes de sable. La sensation d’être en mer était constante et, plus d’une fois, les vestiges observés à une certaine distance évoquaient curieusement l’image d’un naufrage dont on ne voyait plus que les épaves. Il y avait aussi, pour accompagner cette sensation, le vent frais et le grand silence qu’on rencontre en mer.

Pendant les premiers jours, je trouvai difficile de limiter mes pensées aux diverses tâches qui me réclamaient sans écouter l’appel des sirènes du désert qui m’attirait vers le nord. Comme j’aurai aimé être libre et pouvoir avancer de plus en plus loin dans cette vaste contrée inconnue et déserte, au-delà des dernières dunes qui se profilaient à l’horizon ! Bien qu’un certain nombre d’observations pratiques m’aient interdit archéologiquement parlant, de rêver à des cités enterrées éloignées au nord, je désirais par-dessus tout laisser tous soucis de côté pour mieux plonger dans cet océan de sable.

Je ressentis cette tentation plus que jamais lors des marches guidées par Ibrahim sur les dunes vers le sud-est, tandis que nous nous dirigions vers les ruines situées les plus au nord et qui avaient été explorées en 1901. Le soir était d’une superbe clarté et les effets de couleur produits par les teintes rouges du crépuscule, diffusées sur les demi-lunes de sable jaune étaient hypnotisants. Je venais d’atteindre mon but lorsque les yeux perçants de mon guide aperçurent les chameaux du topographe se dirigeant vers nous. Dans cette vaste étendue de dunes uniformément hautes, même la silhouette d’un homme debout sur une crête constitue un point aussi facilement repérable qu’un monument. Lorsque Ram Singh arriva à notre hauteur, j’appris avec regret que l’expédition guidée par Islam Akhun, le villageois du Niya qui avait proposé de nous montrer des ruines récemment découvertes à l’est, avait été un échec total.

Il avait persisté dans la direction du nord et cela malgré ses propres indications antérieures. Après une longue journée de marche sans avoir rencontré la moindre ruine, il avoua qu’il s’était perdu. Le lendemain il tenta de reprendre son trajet, cherchant des points de repères vers le sud-est. Mais sa confusion devint si manifeste à la fin que le topographe jugea plus prudent de retourner vers mon campement avant que les chameaux, qui révélaient des signes d’épuisement, ne s’écroulent. Lors de cette odyssée, Ram Singh avait atteint un point à vingt kilomètres plus au nord par rapport à mon dernier campement de 1901. Son témoignage relativement à l’absence totale de vestiges d’habitations anciennes m’aida grandement à me concentrer sur des tâches plus concrètes et plus pressantes. Curieusement, quoique les dunes fussent perpétuellement en mouvement, le topographe avait trouvé à son campement, dans la direction du nord, un groupe de toghraks – des peupliers sauvages – vivants – signe, peut-être, que l’eau du sous-sol de la rivière Niya était plus près de la surface à cet endroit que dans la plus grande partie du site ancien.

Il paraissait probable que Islam Akhun, comme son homonyme, le faux monnayeur Khotan [2], s’était permis d’exagérer quelque peu la valeur de ses connaissances de la région. Cependant, son témoignage quant aux ruines qui auraient dû se trouver à l’est du site que nous avions déjà exploré ne pouvait demeurer invérifié, simplement parce qu’il s’était trompé dans ses repères de direction. Le lendemain matin, Ibrahim, avec deux compagnons entreprenants et une gourde d’eau, fut envoyé pour faire une reconnaissance en éclaireur dans la direction de l’est. Quant à moi, j’avais si bien avancé dans le dégagement des ruines du groupe nord-ouest, que je pus me permettre d’utiliser les chameaux qui transportent la nouvelle provision d’eau pour aménager mon camp un peu plus vers le sud, et cela dès le quatrième jour. Trois chameaux ne suffirent pas pour transporter l’ensemble des bagages et des provisions. Heureusement, l’équipe d’ouvriers était disponible pour nous prêter main forte. Ils prirent alors tout ce que les chameaux n’avaient pu transporter jusqu’au site des ruines. Le soir, une fois les fouilles terminées, les ouvriers rechargèrent tout l’équipement sans émettre la moindre protestation. Il faisait très sombre lorsque nous atteignîmes l’emplacement du nouveau camp. Je restai longtemps assis à côté du feu nourri de vieux bois avant que tous les hommes n’arrivent et que ma tente ne soit dressée.

Aurel Stein. Ruins of desert Cathay, Mac Millan ans C°, Londres, 1912 Traduit par Denis Beneich

ruines de Niya lors des fouilles d’Aurel Stein, vers 1901

Image dans Infobox.

Batik textile de Niya, Chine, environ 200 ans ap. J.C.

13 12 1906   

À l’expiration du délai fixé par l’État, les protestants ont constitué 902 associations cultuelles, les juifs 78 et les catholiques 80, malgré l’interdiction qui leur en a été faite par le pape Pie X. Le 17, le cardinal Richard doit quitter l’évêché de Paris qui, après 2 ans de travaux, deviendra le Ministère du Travail. Le 21, 193 établissements appartenant à l’État ou à des communes auront été évacués après intervention de la police.

1906 

Santos Dumont effectue le premier vol à Bagatelle, sur l’Oiseau de proie, équipé d’un moteur en V de Léon Levassor. En 1904, il s’était plaint à son ami Louis Cartier de ne pouvoir lire l’heure en pilotant, car sa position ne lui permettait pas d’extraire la montre-gousset de la poche ; avec l’aide d’Hans Wilsdorf, un ami allemand, Louis Cartier avait donc crée la montre à bracelet, commercialisée à partir de 1911 sous le nom de Santos.

Première poudre à laver française : Persil. Au Simplon, les Suisses inaugurent le plus long – 19,8 km – tunnel ferroviaire du monde ; les travaux ont commencé en 1898, les vies humaines n’ont pas été épargnées et les difficultés ont été innombrables.

L’américain L. de Forest invente la triode qui permet le redressement et l’amplification du courant : c’est la naissance de l’électronique. Un autre américain, R.A. Fessenden réalise la première émission radio avec paroles et musique, dans une station du Massachusetts.

Gertude Stein, d’une famille juive américaine dotée d’un flair sans pareil pour dénicher les peintres talentueux,  – ils se sont installés à Paris en 1903 – s’est prise d’amitié pour Pablo Picasso, alors fauché. Elle va endurer 90 séances de pause dans l’atelier glacial du bateau-lavoir, distraite par la lecture des Fables de La Fontaine par Fernande Olivier, la compagne du peintre. Picasso efface à la fin tout ce qu’il a fait puis, le refait de mémoire. Gertrude est étonnée et Picasso enchaîne : Vous verrez, vous finirez par lui ressembler.

La vie de Picasso a été un roman continu, où des figures de femmes qui conviennent à sa recherche paraissent au moment opportun. Les femmes surgissent au moment même où le peintre les attendait. À ce moment-là, Picasso dit : j’ai déjà fait votre portrait avant de vous connaître. C’est exactement le contraire de ce qui est acceptable dans la vie sociale organisée, on est dans une aventure permanente.

Philippe Sollers. Fugues. Gallimard 2012

L’amiante, un minéral dont la molécule est composée d’atomes de silicium et d’oxygène, est soupçonnée de provoquer des fibroses chez les ouvriers des filatures. On va mettre beaucoup de temps à en tirer les leçons. On en fait usage depuis l’Antiquité. Son principal intérêt est sa grande résistance au feu, une faible conductivité thermique, une bonne résistance aux agressions chimiques, une facilité certaine de tissage et un faible coût : autant d’atouts pour rendre aveugles fabricants et constructeurs !

Les Esquimaux aiment l’aventure : si elle ne vient à eux, ils vont la chercher. Cette année là, Peary a embarqué pour l’une de ses missions d’exploration 8 familles d’Esquimaux qui s’ennuient ferme à bord, et saisissent le premier prétexte pour s’escamper ; ils hivernent sur les pourtours du lac Hazen, à l’ouest de Fort Conger, dans le nord de l’île Ellesmere, puis se mettent en tête de rejoindre Etah, cap le plus ouest du Groenland : cela leur prendra 8 mois, 8 mois à se nourrir de produits de leur chasse, 8 mois d’une expédition totalement improvisée, 8 mois au bout desquels il ne leur restait plus que quelques chiens faméliques, au bout desquels les femmes enceintes sa traînaient péniblement, les mères tenaient leurs petits par la main. Mais ils arrivèrent à Etah, tous ; le bateau, lui, aurait mis 22 jours. C’est au cours de cette expédition que Peary atteindra le point le plus nord jamais atteint : 87°6’N, soit à 289 km du pôle.

De 1906 à 1917, l’anthropologue canadien Vilhjamur Stefansson alterne les raids de reconnaissance et les hivernages dans toute la partie de l’archipel nord américain qui touche directement à la mer Arctique : Il y a deux sortes de problèmes arctiques, les problèmes imaginaires et les problèmes réels. Des deux, les imaginaires sont les plus réels, car l’homme trouve plus aisé de changer la nature des choses que de changer ses propres idées. (dans The Arctic in fact and fable)

Stefansson démontre que l’on peut vivre n’importe où dans le Nord, et il le doit à son habileté dans l’utilisation des techniques eskimos. C’était surtout un fabuleux chasseur : j’ai tué 13 ours dans des endroits où nous n’en avions pas vu un seul, et 16 lièvres là où nous n’avions pas relevé une seule empreinte – la région arctique est déserte si l’on excepte quelques millions de caribous et de renards, des dizaines de milliers de loups et de bœufs musqués, des milliers d’ours polaires, des millions d’oiseaux et des milliards d’insectes.

*****

Des régions inconnues de terres et de mers appartenant au monde arctique, Stefansson en a fait connaître une étendue de 260 000 km² (c’est plus de la moitié de la France)

Général Greely.

La Terre est le berceau de l’humanité, mais nul ne reste au berceau toute sa vie.

Konstantin Edouardovitch Tsiolkovski, savant russe [1857-1935]

Avec cette bien belle phrase, Tsiolkovski allait devenir le gourou de l’aventure spatiale pour les fans de vols habités destinés à l’exploration de notre système solaire et de bien d’autres. Les premiers membres, hormis les précurseurs comme Jules Verne, furent les auteurs de science fiction, mais il n’y a jusque là rien à redire : on achète du rêve pour le prix d’un bouquin… le rêve n’est pas cher payé. Le problème va devenir susceptible d’être condamné dès lors que les progrès de l’astronautique rendront possible les vols habités, d’abord quelques petits tours tout autour de la terre, puis un petit pas pour l’homme, mais un grand pas pour l’humanité en marchant sur la lune, puis des séjours sur ces meccanos géants que seront les stations MIR, SKYLAB, ISS.

Condamnable, car il s’avérera que les vols habités n’apportent quasiment rien à l’homme, mais creusent des trous fabuleux dans les budgets publics, contrairement à tous les vols automatiques, les sondes, engins motorisés, aux incontestables et abondantes moissons scientifiques ; le télescope Hubble, conçu pour être entretenu par l’homme, est une exception, mais aussi un modèle unique car son successeur sera automatisé. Et en dépit des fantastiques capacités d’intervention sur les engins lancés dans l’espace depuis la terre : modification des logiciels de trajectoire, etc etc. les partisans des vols habités continuent à demander, et obtenir des milliards pour leurs jouets inutiles. Inutiles… car la vie humaine, sortie de son contexte normal, devient quelques chose de tellement fragile, complexe qu’elle requiert quasiment toute l’attention, ne laissant pratiquement pas de place à l’observation, à la recherche. Il s’agit bien là du plus grand hold-up de toute l’histoire perpétré sur l’argent public des communautés nationales comme internationales, et le hold-up se fait avec le consentement des politiques qui estiment nécessaire cet entretien ruineux du rêve par la fabrication de jouets inutiles… panem et circenses.

La Serbie a pour première ressource ses cochons qu’elle exporte jusque là essentiellement sur l’empire d’Autriche Hongrie. Mal lui en prend de vouloir diversifier ses exportations vers la Bulgarie et la France : l’Autriche prend très mal l’affaire et bloque des frontières avec la Serbie : on va nommer cet affrontement de trois ans guerre des cochons, à laquelle les Serbes préféreront guerre des frontières. Ce n’est pas là une affaire négligeable car elle va se révéler faire partie des éléments qui vont amener 8 ans plus tard l’Europe entière dans une boucherie sans nom. Ce rapprochement avec la France n’est pas une nouveauté : il y avait des dizaines d’années qu’elle prêtait de l’argent à la Serbie : Il faut examiner l’ampleur de la signification de ce prêt français. Comme tous les États émergents des Balkans, la Serbie était un emprunteur invétéré qui dépendait intégralement des crédits internationaux, en majeure partie utilisés pour financer l’expansion militaire et les projets d’infrastructure. Pendant le règne du roi Milan, les Autrichiens étaient tout disposés à octroyer des prêts à Belgrade. Mais puisque ces prêts outrepassaient les capacités de remboursement de l’État débiteur, ils devaient être adossés à des hypothèques : chaque emprunt était gagé sur une recette fiscale précise, ou sur une concession ferroviaire. Il était convenu que les recettes gagées provenant des chemins de fer, des taxes sur l’alcool et des timbres fiscaux seraient versées sur un compte spécial, contrôlé conjointement par des représentants du gouvernement serbe et des prêteurs. Cet arrangement, qui permet à l’État serbe de se maintenir à flot pendant les années 1880 et 1890, ne fait rien pour restreindre la prodigalité financière du gouvernement de Belgrade : en 1895, il a accumulé une dette de plus de trois cent cinquante millions de francs. Menacé de banqueroute, il négocie un nouveau prêt permettant de consolider la quasi-totalité des dettes précédentes à un taux d’intérêt plus bas. Les revenus gagés sont confiés à une administration indépendante, contrôlée en partie par les représentants des créditeurs.

En d’autres termes, des créditeurs fragiles comme la Serbie (cela est également vrai pour les autres États des Balkans et l’Empire ottoman) ne pouvaient obtenir de prêts à des conditions avantageuses que s’ils acceptaient de faire des concessions sur le contrôle de leur politique fiscale, ce qui revenait à hypothéquer partiellement les fonctions régaliennes de l’État. C’est une des raisons pour lesquelles les prêts internationaux sont, à l’époque, un enjeu politique de la plus haute importance, inextricablement lié à la question de l’équilibre des pouvoirs et à la diplomatie. Les prêts français, en particulier, constituent des leviers d’action politique : Paris refuse d’accorder des prêts aux gouvernements dont la politique est alors jugée défavorable aux intérêts de la France, et favorise ceux consentis en échange de contreparties politiques ou économiques. À l’occasion, elle accepte à contrecœur d’accorder un prêt à des clients peu solvables, mais stratégiques, pour les empêcher d’aller chercher du soutien ailleurs, et démarche ses clients potentiels avec agressivité. Dans le cas de la Serbie, Paris fait comprendre aux membres du gouvernement serbe que s’ils ne donnent pas la préférence à la France, les marchés financiers parisiens leur seront complètement fermés. Signe de cette imbrication de la stratégie et de la finance, le ministère des Affaires étrangères français fusionnera son département commercial et son département politique en 1907.

Dans ce contexte, l’emprunt serbe de 1906 marque un tournant important. Les relations financières entre la France et la Serbie deviennent, selon les termes d’un des premiers analystes américains de la haute finance d’avant-guerre, de plus en plus intimes et dominatrices. Les Français finiront par détenir plus des trois quarts de la dette serbe. Pour le gouvernement serbe, il s’agit d’engagements très importants : les échéanciers calculés à l’époque courent jusqu’en 1967. En fait, Belgrade fera défaut sur la plupart de ses obligations après 1918. Ces sommes sont en majeure partie utilisées pour acheter du matériel militaire (en particulier de l’artillerie légère) principalement en France, au grand dam non seulement de l’Autriche, mais également des diplomates et des marchands d’armes britanniques. Le prêt de 1906 permet aussi à la Serbie de ne pas céder à la pression commerciale de Vienne et de mener une longue guerre douanière. La résistance indéniablement victorieuse de M. Pasic aux exigences autrichiennes, rapporte l’ambassadeur britannique à Belgrade en 1906, marque une étape décisive de l’émancipation politique et économique de la Serbie.

Ces succès financiers ne doivent pas dissimuler la situation alarmante de l’économie serbe dans son ensemble. Celle-ci est bien moins due à la politique douanière de l’Autriche qu’à un processus de déclin économique profondément enraciné dans l’histoire et la structure agraire de ce pays. L’émergence et l’expansion territoriale ultérieure de la Serbie s’accompagnent d’un mouvement dramatique de désurbanisation, au fur et à mesure que les villes, majoritairement peuplées de musulmans, se vident de leurs habitants, chassés par des décennies de harcèlement et d’expulsions. Les structures sociales relativement urbanisées et cosmopolites de cette région périphérique de l’Empire ottoman sont remplacées par une société et une économie entièrement dominées par de petits propriétaires terriens chrétiens. Cette situation résulte d’une part de l’absence d’une aristocratie serbe autochtone, et d’autre part des efforts de la dynastie régnante pour empêcher l’émergence d’une telle classe dirigeante en s’opposant au remembrement des propriétés latifundiaires. Tandis que les villes décroissent, la population augmente à un rythme impressionnant. Des centaines de milliers d’hectares de terres à faibles rendements sont distribués à de jeunes familles, ce qui relâche les contraintes sociales sur le mariage et la fécondité. Mais cette croissance galopante de la population ne fait rien pour inverser la sous-productivité et le déclin qui paralysent l’économie serbe entre le milieu du XIX° siècle et le déclenchement de la Première Guerre mondiale. La production agricole par habitant chute de 27,5 % entre le début des années 1870 et 1910-1912, en partie parce que l’augmentation des surfaces arables entraîne une déforestation massive qui détruit les surfaces boisées nécessaires à l’élevage intensif du porc, traditionnellement l’activité la plus rentable de la production agricole serbe. Dans les années 1880, les vastes et magnifiques forêts de la Sumadija ont pratiquement disparu.

Le bilan aurait pu être moins négatif si l’industrie et le commerce avaient connu un véritable développement, mais là encore, le tableau est sombre, même comparé à la situation d’autres pays balkaniques. La population rurale a peu accès aux marchés, et il n’y a pas d’industries de base comme les usines textiles qui contribuent au développement de l’industrie en Bulgarie voisine. Dans ces conditions, le développement économique de la Serbie dépend des investissements étrangers. La première entreprise industrielle de conditionnement de confiture de prune est lancée par des employés d’une entreprise similaire à Budapest. De la même manière, des entrepreneurs étrangers sont à l’origine de l’essor de la production de soie et de vin à la fin du XIX° siècle. Mais les investissements étrangers stagnent, en partie parce que les entreprises sont rebutées par la xénophobie, la corruption des fonctionnaires et le peu d’éthique auxquels elles se heurtent quand elles tentent de s’installer en Serbie. Même dans des domaines où la politique gouvernementale encourage l’investissement, les autorités locales harcèlent les entreprises étrangères, ce qui demeure un problème sérieux.

L’investissement en capital humain est tout aussi médiocre : en 1900, il n’y a encore que quatre écoles normales pour toute la Serbie, où la moitié des instituteurs n’ont reçu aucune formation pédagogique ; la plupart des cours ne se déroulent pas dans des bâtiments conçus à cet effet, et seul un tiers des enfants sont effectivement scolarisés. Tous ces obstacles reflètent les préjugés d’une population rurale qui ne se soucie guère d’éducation et ne considère pas l’école, imposée par le gouvernement, comme une institution familière. En 1905, pressée de trouver de nouvelles recettes fiscales, la Skupstina, dominée par la paysannerie, choisit de taxer les livres d’école plutôt que l’eau-de-vie artisanale. Tout cela explique un taux d’alphabétisation extrêmement faible, variant de 27 % dans les régions du nord de la Serbie à seulement 12 % dans le sud-est.

Ce sombre tableau d’une croissance sans développement pèse de diverses manières sur l’histoire que nous racontons. La société serbe avait gardé une homogénéité inhabituelle tant sur le plan socio-économique que sur le plan culturel ; le lien entre vie urbaine et traditions d’une culture paysanne orale façonnée par de puissants récits mythiques n’a jamais été rompu. Même Belgrade – où le taux d’alphabétisation n’est que de 21 % en 1900 – demeure une ville d’immigrants ruraux, un monde de  citadins paysans profondément influencé par la culture et les structures familiales de la société rurale traditionnelle. Dans cet environnement, le développement de la conscience moderne est vécu non comme l’évolution d’un mode antérieur de compréhension du monde, mais plutôt comme la superposition discordante d’attitudes modernes sur un mode de vie encore empreint des valeurs et des croyances traditionnelles.

Cette conjoncture économique et culturelle très particulière permet d’expliquer plusieurs traits saillants de la Serbie d’avant-guerre. Dans une économie offrant si peu de débouchés aux jeunes gens ambitieux et talentueux, la carrière militaire apparaît particulièrement attractive. Ce qui, à son tour, explique la fragilité des autorités civiles devant faire face aux défis lancés par la hiérarchie militaire – il s’agira là d’un facteur crucial dans la crise qui submergera la Serbie pendant l’été 1914. Cependant, il est également vrai que la tradition de guérillas menées par des milices d’irréguliers et des groupes de partisans, thème central de l’histoire de la naissance de la Serbie en tant que nation indépendante, demeure vivace dans la mentalité des paysans, très méfiants vis-à-vis de l’armée régulière. Pour un gouvernement confronté à une culture militaire de plus en plus arrogante, et qui ne peut pas compter sur le soutien d’une classe sociale éduquée et prospère suffisamment nombreuse – à l’inverse de tous les autres systèmes parlementaires au XIX° siècle -, le nationalisme représente un instrument politique et une force culturelle uniques et des plus puissants. L’enthousiasme quasi unanime en faveur de l’annexion des terres serbes encore opprimées se nourrit non seulement des passions mythifiées de la culture populaire, mais également de la faim de terre d’une classe paysanne dont les propriétés deviennent plus petites et moins productives. Dans ces conditions, les discours rendant les droits de douanes autrichiens ou l’étau financier austro-hongrois responsables des difficultés économiques des Serbes, bien que fallacieux, ne peuvent manquer de soulever l’approbation la plus enthousiaste. Ces contraintes renforcent également l’obsession de Belgrade d’obtenir un débouché sur la mer qui lui permettrait, pense-t-on, de briser le carcan de son retard. Le faible développement industriel et commercial de la Serbie signifie que les dirigeants serbes demeurent dépendants des capitaux étrangers pour les dépenses militaires indispensables à la poursuite d’une politique étrangère active. Réciproquement, cela explique l’intégration croissante de la Serbie, à partir de 1905, au réseau d’alliances scellées par la France, où se mêlent impératifs financiers et géopolitiques.

Christopher Clark. Les somnambules. Flammarion    2013

3 01 1907   

Colette, qui affiche alors 34 printemps et traverse une période d’amours féminines, s’est entichée de Mathilde de Morny, fille du demi-frère de Napoléon III. Et les deux femmes, sur scène pour jouer Rêve d’Egypte, ne font preuve d’aucune retenue pour échanger un long, tendre et langoureux baiser. Aïe Aïe Aïe, l’ex de Colette était dans la salle et se démena alors pour faire interrompre la pièce. À force de tapage, il parvint finalement à ce que le préfet Lépine interdise la poursuite des représentations.

« Colette ,MARCEL VERTES | «Musée Daubigny

6 01 1907  

Clemenceau, souverainement agacé par les lenteurs des milieux de la peinture pour donner à Édouard Manet (1832-1883) la place qui lui revient [il appréciait beaucoup le peintre qu’il avait bien connu : ils étaient en phase sur bien des choses] ordonne le transfert au Louvre et en fiacre s’il vous plait, d’Olympia, le nu qui avait fait scandale au Salon de 1865, – un nu… avec un chat noir !

Quand, lasse de songer, Olympia s’éveille
Le printemps entre au bras du doux messager noir ;
C’est l’esclave, à la nuit amoureuse pareille,
Qui vient fleurir le jour délicieux à voir ;
L’auguste jeune fille en qui la flamme veille… 

Zacharie Astruc.  Ces vers accompagnaient le titre Olympia au Salon de 1865

Le tableau avant d’être accroché finalement à Orsay aura eu une vie plutôt mouvementée : après le scandale de 1865, Manet l’avait gardé chez lui jusqu’à sa mort en 1883. En 1889, Claude Monet, craignant une vente à l’étranger, lancera une souscription pour son acquisition et la donation à l’État, les 19 415 F de la vente revenant à Suzanne Manet, la veuve. Mais le Louvre ne se montrant pas chaud pour recevoir Olympia, c’est le Luxembourg qui va la recevoir. Il fera partie des œuvres de Manet à l’Exposition universelle de 1889. Transféré du Louvre où il se trouvait donc depuis 1907, à la galerie du Jeu de Paume en 1947, il sera finalement affecté au Musée d’Orsay en 1986.

Le Musée d'Orsay loue l'«Olympia» de Manet à Venise | Tribune de Genève

Maria Montessori inaugure la Casa dei Bambini dans le quartier San Lorenzo à Rome.

Née le 31 août 1870 à Chiaravalle, dans les Marches, près d’Ancône, médecin en 1896, elle travaille ensuite à la clinique psychiatrique de l’université de Rome, où, en étudiant le comportement de jeunes retardés mentaux, elle découvre qu’ils n’ont aucun jeu à leur disposition, alors qu’ils ont besoin d’actions pour progresser et ont besoin de leurs mains pour développer leur intelligence. Un enfant – Mario – lui naît le 31 mai 1898 de Giuseppe Montesano, directeur adjoint d’un hôpital romain, qu’elle confie à une famille de paysans de Vicovaro, une village du Latium à 40 km de Rome. Elle ne reverra jamais le père. Elle découvre à l’Institut Bourneville à Paris les recherches de Jean Itard [1774-1838], médecin, inventeur de l’oto-rhino-laryngologie, qui travaille auprès de sourds-muets et notamment ses écrits sur Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron [voir à 03 1797], ainsi que ceux d’Édouard Seguin [1812-1880], pédagogue français auprès d’enfants idiots, à Bicêtre, auteur de Hygiène et éducation des idiots publié en 1846, qui quittera la France en 1850 et deviendra médecin aux États-Unis. Maria traduira leurs livres.

J’eus l’intuition que le problème de ces déficients était moins d’ordre médical que pédagogique.
Le premier chemin que l’enfant doit trouver est celui de la concentration et la conséquence de la concentration est le développement du sens social

Elle recommande aux enseignants d’observer et non de juger. Déjà connue, elle donne de nombreuses conférences, d’abord en Italie, puis à l’étranger : États-Unis, Inde, Hollande etc…En 1906, après avoir fait des études de psychologie et de philosophie, elle se tourne vers les enfants normaux et c’est alors qu’elle ouvre cette Casa dei Bambini, avec deux objectifs :

  • regrouper tous ces enfants et les empêcher d’errer, de semer le désordre,
  • procurer une meilleure hygiène et instaurer une harmonie familiale.

On offre aux enfants une petite maison dans une grande maison pour y vivre la journée. Les parents ont libre accès à l’école. En contrepartie, ils doivent veiller à la propreté et à la bonne tenue (vestimentaire) des enfants. L’institutrice a l’obligation d’habiter dans l’immeuble pour mieux collaborer avec les parents, dans l’optique commune d’éduquer les enfants. La Casa dei Bambini devient une base de recherche, un laboratoire d’expérimentation où Maria Montessori construit et éprouve sa méthode.

En 1929, elle fonde l’Association Montessori Internationale avec pour objectif sont de préserver, propager et promouvoir les principes pédagogiques et pratiques qu’elle a formulés pour le plein développement de l’être humain.

Sa pédagogie repose sur :

  • l’observation de l’enfant,
  • l’enfant comme une personne non seulement digne d’intérêt mais surtout comme l’avenir de la société,
  • l’importance de l’éducation et de l’instruction avant l’âge de 6 ans.

Maria Montessori définit l’éducation non pas comme une transmission de savoirs, mais comme l’accompagnement du développement naturel de l’enfant, via un environnement préparé adapté aux caractéristiques et aux besoins de son âge.

En 1936, le gouvernement italien fasciste condamnera et proscrira les principes montessoriens (comment accepter que l’on forme des hommes et des femmes libres quand on ne veut gouverner que des esclaves ?] : s’ensuit la fermeture de toutes les écoles Montessori. Maria quittera l’Italie et s’installera en Espagne où, rebelote, l’arrivée au pouvoir de Franco l’amènera à changer de nouveau de lieu de résidence : elle s’installe alors aux Pays-Bas, où elle mourra en 1952.  Une très grande dame… elle avait dans le regard la même étincelle de bienveillance que Françoise Dolto. Les Italiens ne s’y tromperont pas, qui la choisiront pour figurer sur leur dernier billet de 1 000 Lires.

Aujourd’hui il y a plus de 22 000 écoles Montessori dans le monde, sur tous les continents. Quelques noms très connus en viennent : Sergey Brin et Larry Page les fondateurs de Google, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, le musicien Jeff Buckley. Anne Frank avait aussi suivi une éducation Montessori, à partir de 1934.

De septembre 2011 à juin 2014, Céline Alvarez appliquera ses méthodes éducatives  à l’école Jean Lurçat de Gennevilliers, classe REP : Réseau d’éducation prioritaire. Titulaire d’un Master en sciences du langage, elle s’inspirera beaucoup de la pédagogie Montessori, sa connaissance de l’état actuel des neurosciences venant confirmer les intuitions de Maria Montessori. Clef de voûte de son enseignement : l’encouragement de l’autonomie de l’enfant.  [Blog : La maternelle des enfants, et aussi Ted X]

Donc, dès le début du XIX° siècle existèrent des pédagogues, médecins, psychologues, dont les conceptions de l’éducation avaient un très important tronc commun : Itard, Steiner, Montessori, Piaget… aujourd’hui Céline Alvarez, dont les résultats viennent éclairer l’inanité, la sottise des pédagogies traditionnelles ; et notre Mammouth [l’Éducation Nationale en France] continue sa route imperturbablement, avec ses grèves immuables en début d’année, toute occupée à son souci primordial qui est d’assurer sa propre survie. Mais il tout de même bien possible qu’aujourd’hui, nombre d’écoles maternelles de l’Éducation Nationale ressemblent, de près ou de loin, à une école Montessori et que, si les jeux pédagogiques ne sont pas utilisés à l’école, ils le soient à la maison.

|…] La dottoressa, qui exècre l’oisiveté, profite de l’été 1910 pour coucher par écrit les enseignements de son expérience. La Méthode Montessori, imprimée chez un typographe du Latium, est un best-seller instantané, traduit dans une vingtaine de langues. Si bien que Maria abandonne son poste de médecin pour se consacrer à temps plein à la promotion de ses écoles et de son matériel pédagogique qu’elle a fait breveter à son nom dès qu’elle en a perçu le potentiel.

Pareille histoire ne pouvait échapper aux Américains. Surtout pas à un certain Samuel S. McClure. Ce publiciste chevronné, propriétaire d’un magazine qui porte son nom, aime dénicher et promouvoir des histoires vendeuses. À l’hiver 1911, il commande un premier article sur la fameuse dottoressa. Tout y est : l’héroïne au caractère bien trempé, le décorum italien… En 19 pages très illustrées, le reportage publié dans McClure’s magazine fait sensation. Le courrier des lecteurs – surtout des lectrices – est saturé de messages enthousiastes. Alors McClure voit plus grand : et s’il devenait lui-même l’imprésario américain de cette Italienne ? Il y aurait, pressent-il, un joli pactole à la clef… Il faut dire que la traduction américaine du livre s’arrache à 5 000 exemplaires en quatre jours, et qu’une forme de Montessori-mania enfièvre la bourgeoisie progressiste. Des Américaines se rendent même à Rome pour consulter la dottoressa.

Alors qu’elle vient d’emménager dans un vaste appartement avec vue sur la Piazza del Popolo, Maria Montessori donne un premier séminaire à destination d’un public étranger. Une session organisée par son comité de soutien américain, où siègent Alexander Bell, l’inventeur du téléphone, Margaret Wilson, la fille du président, et l’inévitable McClure ; 87 étudiants venus du monde entier – dont 67 des États-Unis – se regroupent dans son immense salon. Maria commence par leur distribuer la photo de sa mère Renilde, tout juste décédée, à l’âge de 72 ans. En souvenir de cette femme qui a toujours cru en elle et lui a appris l’art de la liberté, elle portera à jamais le deuil et ne se vêtira plus que de noir. Son père, au rôle tout aussi essentiel dans son parcours, est désormais veuf. À plus de 80 ans, il se déplace en chaise roulante et vit auprès d’elle, très fier de sa réussite.

Devant son public anglophone, Maria Montessori rôde le modèle de ses conférences. Debout dans un coin de la salle, surélevée sur une estrade, elle s’exprime en italien, posément, ne quittant jamais son auditoire des yeux. Chaque phrase, appuyée d’une gestuelle de chef d’orchestre, est répétée par sa traductrice. Ce que doit savoir l’enseignant, c’est comment observer, martèle la maîtresse de maison.

Au retour, ses disciples dissémineront la méthode sur tous les continents. Mais Maria rechigne encore à traverser l’Atlantique. Comment le pourrait-elle alors qu’à proximité de Rome grandit son fils Mario ? Cet enfant né hors mariage, qu’elle fut contrainte de cacher et de placer dans une famille d’accueil pour préserver sa carrière aura bientôt besoin d’elle. Devenu adolescent, il se doute que cette mystérieuse et si bienveillante signora qui lui a parfois rendu visite, n’est pas n’importe qui… Un jour de février 1913, il l’appelle pour la première fois maman. Maria décide de le ramener à Rome. Personne n’osera lui demander qui est cet ado omniprésent auprès d’elle.

McClure, de son côté, ne ménage pas ses efforts pour la convaincre de se rendre aux États-Unis. En novembre 1913, l’imprésario lui présente son plan d’attaque : un circuit promotionnel avec visites d’écoles, supervision de la distribution de son matériel pédagogique, et de multiples conférences sur la Côte est. Montessori superstar, ni plus ni moins. Un deal qui rapporterait à Maria 1 000 $ et 60 % des recettes de ses shows. La dottoressa accepte le défi. Elle embrasse Mario et part à la conquête de l’Amérique.

[…] La Montessori, comme on l’appelle en Italie, sait aussi que ce voyage aux États-Unis lui offrira l’occasion de répandre sa bonne parole dans ce pays continent déjà si réceptif à ses méthodes d’éducation avant-gardistes, rôdées dans son pays. La traduction de sa Méthode est un best-seller en Amérique. Chez les pédagogues progressistes, le voyage à Rome pour observer ses écoles et écouter ses préceptes est un must.

Grenouillant entre le pont principal et la salle de dîner, son imprésario, Samuel S. McClure, a déjà entamé le travail promotionnel : aucun passager n’ignore la présence de sa vedette, psychiatre devenue pédagogue, si douée pour aider les enfants en difficulté. Une pétition, signée par l’ensemble de la première classe, obtient même une conférence privée. À mesure que s’approche la statue de la Liberté, les télégrammes de bienvenue affluent. Le New York Tribune annonce ni plus ni moins la femme la plus intéressante d’Europe.

Le Cincinnati accoste à Brooklyn le 3 décembre 1913, par une matinée de froid sec. Drapée de fourrure, la quadragénaire est encerclée par une horde de reporters. Les flashes crépitent. L’essaim envahira bientôt son hôtel, un palace de la cinquième avenue. Dès le lendemain, direction Washington, et Kalorama Road, l’école tenue par l’inventeur du téléphone, Alexander Bell, et son épouse Mabel, pionnière de l’enseignement aux sourds et muets. Il s’agit du premier établissement montessorien que Maria visite à l’étranger. Margaret Wilson, la fille du président, s’improvise ensuite guide touristique pour lui présenter la capitale fédérale.

Le 6 décembre, le temple maçonnique de Washington a des airs d’ambassade un soir de réception. Diplomates et secrétaires d’État, accompagnés de leurs épouses, écoutent Maria Montessori, puis visionnent les vidéos de sa Maison des enfants de San Lorenzo, à Rome. Maria paonne en habits noirs. Mais ce n’est qu’un avant-goût de la pièce de résistance : le Carnegie Hall.

Cette scène déjà mythique, où tant de virtuoses se sont produits, est décorée de drapeaux italiens et américains et d’une bannière America Welcomes Maria Montessori. Décidément, McClure a bien fait les choses. Un millier de personnes piétine dans la rue sans ticket. L’imprésario présente sa championne à une salle déjà acquise à sa cause…

La pédagogue arpente la scène à petits pas. Désormais âgée de 43 ans, la dottoressa a gagné en maturité et en charisme. Ses cheveux sont striés de mèches argentées. Sa panoplie noire est égayée du brillant des pampilles qui s’entrechoquent quand elle tend les bras pour recevoir les bouquets. Le show peut commencer. Deux heures, sans une note, le tout traduit phrase à phrase. Tout y est : sa philosophie, ses objectifs scientifiques, les prouesses des enfants – film à l’appui. Un triomphe.

La tournée s’enchaîne. Boston, Providence, Pittsburgh, Chicago, Philadelphie… Et même un second Carnegie Hall à guichets fermés. Maria répond de bonne grâce aux questions des reporters. Elle détaille ses théories, l’air professoral, mais s’exprime aussi, dans un demi-sourire, sur la mode des jupes fendues. Ah, ce pays l’amuse et la fascine… Elle apprécie le ton badin des discussions, les poignées de mains chaleureuses, les gratte-ciel, et bien sûr ses écoles si soignées, quelques dizaines de petits établissements privés, dans des quartiers résidentiels. Après un week-end de détente dans la propriété du magnat du petit-déjeuner J.H. Kellogg, elle repart vers l’Italie, le 24 décembre 1914, à bord du paquebot Lusitania. La mission est accomplie : l’Amérique est sous le charme.

[Maria repart sur la côte est en 1915] À San Francisco, la Panama Pacific Exposition, célébrant l’ouverture du canal de Panama, est un barnum à l’américaine mêlant, neuf mois durant, grand huit, démonstrations technologiques et célébrations carnavalesques (journée de l’ananas hawaïen, compétitions de nourriture…). Dans la zone du Palais de l’éducation, où 15 000 instituteurs tiennent congrès, a été construite une école Montessori d’un genre particulier. Le public, assis sur des banquettes semblables à celles d’un stade de baseball de campagne, observe la classe de vingt enfants, de 9 heures à 12 heures, derrière une paroi vitrée. Cette sorte de vivarium pédagogique devient l’attraction à ne pas rater, surtout à l’heure du déjeuner, pour la scène désormais fameuse du restaurant miniature.

L’enthousiasme initial de Maria vire bientôt au malaise. Voilà ces petits Américains devenus des bêtes de foire, des singes savants derrière une vitre, et l’apprentissage un show théâtral. Ne parlant pas anglais, elle est contrainte de laisser à sa jeune collaboratrice américaine, Helen Parkhurst, la gestion de la classe au quotidien. En retrait, la mammolina se laisse gagner par le stress. Cette classe de verre est pourtant un tel succès qu’elle reçoit une invitation officielle à la Maison Blanche.

[…] Puis arrivera Mussolini est son fascisme. Maria Montessori n’avait aucune pratique politique et ne sut, dans un premier temps que voir là une formidable opportunité pour donner un développement national à ses principes, à ses écoles. Elle déchantera plus tard quand elle aura compris qu’elle avait été manipulée.

[…] C’est un tête-à-tête dont on sait peu de chose, une entrevue contre-nature qui garde sa part de mystère. Benito Mussolini et Maria Montessori. Lui, le Duce brutal, rêvant d’une nation sous contrôle. Elle, la mammolina pacifiste, promotrice du développement harmonieux des enfants… À bien des égards, cette rencontre aurait pu sembler inconcevable. Et pourtant, en 1924, ce duo vêtu de noir va entamer un pas de deux vertigineux.

Les maigres indices sur leur premier rendez-vous sont publiés dans la presse fasciste. Ils dépeignent une discussion enthousiaste, le prélude, paraît-il, à de grands desseins. Faro io ! (Je m’en occupe !), lance le Duce lorsque Maria Montessori plaide pour l’établissement de sa pédagogie dans toute l’Italie. À bientôt 60 ans, la dottoressa a déjà rencontré bien des puissants, parcouru l’Europe et les États-Unis, donné des conférences sur ses méthodes d’enseignement, fondées sur les réactions sensorielles, l’autocorrection et la coopération. L’ancienne psychiatre des hôpitaux romains, devenue une pédagogue de renommée internationale, sait que cet homme peut l’aider.

Nommé président du conseil après son coup de force de 1922, Benito Mussolini, 39 ans, veut utiliser la réforme de l’instruction comme socle du régime fasciste. Les défis de l’enseignement primaire ne lui sont pas étrangers : durant ses jeunes années, il fut instituteur dans le nord du pays.

Depuis la guerre, et son installation à Barcelone, la dottoressa ne fait plus la une en Italie. Sa méthode a disparu des best-sellers. Seule une audience papale, à l’automne 1918, puis une session de formation à Naples, ont rappelé le souvenir de la pédagogue nomade, plus célébrée à l’étranger que dans sa mère patrie.

Mussolini, lui, connaît la réputation de cette franc-tireuse. Il a commandé à chaque consulat italien un rapport sur les écoles Montessori. Son ministre de l’instruction, le philosophe Giovanni Gentile, estime aussi que celle qui a transfiguré les enfants rebelles du quartier romain de San Lorenzo en 1907 pourrait rééditer ses prouesses au bénéfice du fascisme.

Au fond, chacun semble trouver son compte dans cette collaboration. Le Duce imagine une usine à fabriquer des petits fascistes, une jeunesse propre et obéissante. Maria Montessori, après bien des déconvenues, peut enfin avoir accès aux financements, bâtiments et matériels adéquats pour appliquer sa méthode à une nation tout entière. Quitte à s’acoquiner avec ce leader qui ne lui correspond en rien.

Faro io ! , a donc promis le Duce. L’éducation à l’italienne sera montessorienne. En avril 1924, le gouvernement labellise une poignée d’écoles. La production des accessoires pédagogiques (lettres rugueuses, cartes de formes géométriques…) devient aussi stratégique que celle de la poudre à canon, la formation des enseignants aussi impérieuse que celle des généraux. Mussolini lui-même est proclamé président de l’Œuvre nationale Montessori, l’institution coordonnant les activités pédagogiques. Maria, pour sa part, est nommée membre d’honneur du Parti fasciste en 1926.

[…] La Montessori, ainsi qu’on l’appelle en Italie, s’impose comme une fervente pacifiste. L’humanité ressemble aujourd’hui à un enfant abandonné qui se retrouve dans une forêt la nuit, effrayé par les ombres et les forces mystérieuses qui amènent vers la guerre, déclarait-elle devant la Société des Nations, à Genève, dès 1926. Un sombre constat, dissonant au regard de ce qui se trame dans ses écoles italiennes. Ou, plutôt, dans celles du Duce… Car le fascisme s’instille peu à peu dans les 70 établissements publics Montessori que compte l’Italie en 1929. L’hymne Giovinezza (Jeunesse) introduit les leçons, les blouses et la carte du parti s’imposent dans la panoplie des enseignants. Bientôt, le bras tendu sera de rigueur.

Le 15° congrès Montessori, le premier sous patronage étatique, est conçu comme l’apogée de cet intenable partenariat. Le 30 janvier 1930, le régime organise une fête somptueuse sous les ors du Palais sénatorial. Maria prend la pose devant les statues musculeuses inspirées de l’Empire romain… Le retour au pays de la célèbre pédagogue est un coup publicitaire pour amadouer l’opinion internationale. Mais la confiance s’effiloche. L’ingérence du parti, le militarisme forcené, les uniformes pour les enfants… Maria enrage. Elle s’est fait duper. Chaque jour, sa méthode est un peu plus dévoyée au profit du dictateur.

À leurs correspondances des années 1920, débordantes d’admiration mutuelle, succèdent des échanges âcres. En 1931, son fils Mario écrit lui-même au leader fasciste : Excellence ! Encore une fois je me tourne vers vous, tant la situation dans laquelle se trouve notre œuvre en Italie est plus difficile que jamais. (…) L’école Montessori de Rome a été créée pour l’intérêt personnel de votre Excellence. (…) Elle fonctionne (…) avec beaucoup moins qu’une école communale. Mario et Maria démissionnent de l’Œuvre Montessori en janvier 1933. Cette Montessori m’a quand même l’air d’une grande casse-pieds, réagit Mussolini dans une note à son secrétaire. Dès lors, ses espions ne la lâcheront plus. Le Duce sait qu’en Allemagne Adolf Hitler a ordonné la fermeture des 34 écoles Montessori du pays. Une effigie de l’Italienne a même été brûlée…

Au printemps 1934, au lendemain d’un ultime congrès romain en forme de mascarade, Maria et Mario, sous la menace des sbires du régime fasciste, quittent l’Italie. À peine se sont-ils réfugiés à Barcelone que toute trace de l’influence de Montessori est effacée du système éducatif national.

Pour eux, la détente sera de courte durée. Les troubles politiques n’épargnent pas non plus l’Espagne. La capitale catalane est le théâtre d’un conflit entre franquistes et partisans communistes. La menace arrive même jusqu’à l’appartement de la dottoressa. Un petit groupe d’anarchistes s’arrête sur le palier. Ils dessinent une faucille sur sa porte, mais laissent la vie sauve aux occupants. L’avertissement est clair. La famille Montessori doit fuir. Maria, qui n’a jamais été propriétaire, n’a plus de biens matériels, nulle part où vivre. À 60 ans, l’inlassable avocate d’une paix qui apparaît chaque jour plus fragile, fait de nouveau ses valises.

[…] Nous sommes le 4 novembre 1939. L’armée nazie, déjà victorieuse en Pologne, s’apprête à fondre sur l’Europe occidentale. À des milliers de kilomètres de là, Maria Montessori et son fils Mario répondent à une invitation lancée il y a plus de vingt ans par les dirigeants de la Société théosophique – une organisation internationale humaniste prônant le syncrétisme religieux pour accéder à la vérité.
Le voyage fut une expédition aérienne de cinq jours : Naples, Athènes, Alexandrie, Bagdad, Bassora, Jask, Karachi, Bombay… Puis ce dernier vol, en sauts de puce, piloté par le Louis Blériot indien en personne. L’Inde, enfin… Le pays du poète Tagore et du guide spirituel Gandhi. Ces maîtres à penser sont aussi des admirateurs de l’Italienne, connue pour avoir développé dans le monde entier une révolution éducative, laissant aux enfants la liberté d’apprendre à faire seul, au moyen de matériel pédagogique ludique conçu par ses soins… Maria Montessori rêvait de confronter ses théories à ce pays mastodonte de 300 millions d’habitants et au taux d’analphabétisation de 90 %. Le moment est venu. Bannie de Rome par les fascistes en 1934, chassée de Barcelone en 1936, la famille Montessori (Maria, son fils Mario, son épouse Helen et leurs quatre enfants) avait finalement trouvé refuge à Laren, une coquette bourgade des environs d’Amsterdam, hébergée par la famille Pierson, des amis de confiance. Mario, ce fils né hors mariage que la dottoressa Montessori avait abandonné à la naissance jusqu’à ses 15 ans, est désormais son meilleur allié, son alter ego protecteur, chef d’orchestre du mouvement Montessori  et de l’emploi du temps maternel. Comme si la douleur de l’éloignement avait cimenté entre eux un lien d’une puissance infinie.
A Laren, non loin du siège de l’Association Montessori internationale (AMI), Maria enseignait dans une petite école, organisait ses stages. Au
programme figurait même un séminaire intitulé Propagande, destiné à promouvoir sa méthode éducative. […]
Maria, le cœur tiraillé, a laissé ses petits­ enfants aux bons soins des Pierson. L’appel de l’Inde et d’un programme de formation de trois mois
était trop fort… Même son imagination débordante n’aurait pu se figurer un tel dépaysement. Lovés entre le fleuve Adyar et les plages du golfe du Bengale, les jardins d’Huddelston, siège de la Société théosophique, composent une oasis luxuriante, déployée autour d’un banian géant de 500 ans d’âge, peuplé d’oiseaux et de singes. Un village de huttes a été construit pour l’occasion : 300 étudiants, venus de tout le pays, se sont inscrits à la formation que doit assurer l’Italienne. Madam Montessori est accueillie avec la déférence due à une reine. Le Docteur George S. Arundale, président de la Société théosophique, et sa jeune épouse Rukmini Devi, une danseuse de talent, s’assurent du bien-être de leur invitée, logée, avec son fils, dans une maison dissimulée parmi les frondaisons.
Lorsque la dottoressa se présente à eux pour sa première leçon, un élément vestimentaire surprend ses hôtes : elle a abandonné sa traditionnelle robe noire, qu’elle portait depuis la mort de sa mère adorée, en 1912, pour revêtir un sari.
Le bonheur simple de la transmission L’atmosphère est studieuse, il règne en ces lieux une harmonie apaisante. Maria Montessori s’assoit derrière une table posée sur une dalle, en surplomb. Mario, qui officie comme traducteur de l’italien vers l’anglais prend place à côté d’elle. Face à eux, les élèves sont assis en tailleur, pieds nus, sur des nattes. Certains ont économisé pendant des mois, placé leurs bijoux en gage, parcouru des milliers de kilomètres pour rencontrer la pédagogue. Dans un pays où bruisse un souffle d’indépendance, suivre la formation Montessori ne signifie pas simplement trouver un emploi dans l’éducation : les élèves – brahmanes comme intouchables − préparent aussi la révolution.
Jour après jour, la dottoressa retrouve le bonheur simple de la transmission. Loin de la politique et de l’Europe en guerre, elle est comme sur une autre planète, à vivre selon un nouveau tempo. Tilaka rouge collé entre les yeux, elle aime parcourir, à la tombée du jour, le front de mer, tantôt calme, tantôt tempétueux. Dans le monde qu’elle a quitté, l’horreur nazie s’étend, les alliances se nouent. L’Italie, sa patrie, entre en guerre au côté de l’Allemagne le 10 juillet 1940. Mécaniquement, Maria et Mario sont donc considérés comme sujets d’un pays ennemi sur le territoire indien, colonie britannique. La police vient briser l’harmonie d’Adyar : Mario est interné dans le camp de civils d’Ahmednagar, à l’autre bout du pays ; Maria, pour sa part, est assignée à résidence. Si elle continue tant bien que mal son travail de conférencière, il n’est pas rare de la voir errer, sans but, dans les jardins ; elle qui est d’ordinaire si enjouée, si bavarde, a perdu son sourire. Les années passant, elle comptait toujours plus sur son Mario, tant pour son travail que pour son équilibre personnel. Toujours impeccable, avec ses cravates et ses costumes croisés, son collaborateur, désormais quadragénaire, avait accepté de vivre dans l’ombre de sa mère. Il s’épanouissait à son  contact, formant avec elle un inséparable duo de globe­-trotteurs animés par la mission commune de révolutionner l’éducation. Le 31 août 1940, jour de son 70° anniversaire, Maria Montessori reçoit, en guise de présent, un télégramme signé du vice-­roi des Indes : Nous avons pensé que le meilleur cadeau à vous offrir est de vous rendre votre fils. Pour la première fois, un document officiel présente Mario comme son fils. Alors qu’ils sont de nouveau réunis à Adyar, le temps s’étire, les semaines deviennent des mois, les mois des années. Les moussons rincent la terre ; la chaleur la craquelle. En 1942, le duo rejoint la station d’altitude de Kodaikanal, au climat plus frais. Ils emménagent au premier étage d’une demeure coloniale. Au rez-­de-­chaussée, une école accueille des enfants de ce repaire d’expatriés européens.
Une philosophe aux pieds nus Répondant aux invitations de maharajas ou de philanthropes, Maria et Mario parcourent ensuite le pays, du Gujarat au Cachemire, en passant par Ceylan – le pays de Simbad le marin, comme en rêvait Maria. Partout, elle reçoit la même ferveur, celle due aux divinités. Elle est devenue une gourou, expliquera sa collaboratrice autrichienne Elise Brown, elle­-même réfugiée en Inde durant la guerre. Il est vrai que sa seule présence électrise son auditoire ; bercé ensuite par son débit chantant. L’Italienne parle maintenant de cosmos, d’âme, de karma. Les bébés qu’elle a pu observer auprès de leurs mères (étudiantes, voisines…) lui ont permis d’étendre ses recherches aux premiers mois de la vie. Parmi ses écrits indiens, L’Esprit absorbant de l’enfant, publié en 1949, décrit l’importance des échanges sensoriels entre une mère et son bébé. Plus holistique, plus sensible, l’ex­-psychiatre des hôpitaux romains est devenue une philosophe aux pieds nus.  Lorsqu’elle avait bouclé ses valises, en octobre 1939, elle imaginait revenir aux Pays­-Bas dès le printemps 1940, pour assurer ses cours à Laren et vite revoir ses petits­-enfants. Six ans plus tard, elle s’apprête à repartir vers un continent en ruines, usé par la guerre et ses traumatismes. À 70 ans, quel rôle pourra-t-­elle encore y jouer ? 

[Elle rentrera en Europe en 1946, résidant principalement en Hollande où ses quatre petits enfants étaient restés. Le 8° congrès international Montessori le 28 août 1949 rassemblera à San Remo une foule bien cosmopolite : Indiens, quakers, prélats catholiques, psychologues, journalistes. En décembre 1949, elle sera décorée de la légion d’honneur à la Sorbonne et Léon Blum lui glissera à l’oreille :  Vous m’avez appris la signification de la liberté.  Elle mourra, à 81 ans, le 6 mai 1952 à Noordvijk am Zee, sur les bords de la Mer du Nord, léguant tout à Mario, il mio figlio : c’est la première, (et la dernière) fois qu’elle le reconnaissait ainsi]

Thomas Saintourens. Le Monde des 5, 6, 7, 8 août 2020

La Nouvelle femme sortira sur les écrans en mars 2024, de Léa Todorov où Jasmine Trinca joue Maria Montessori

Maria Montessori, en 1931.

Maria Montessori, en 1931.

25 01 1907 

Sous la pression du député Emmanuel Brousse, la Chambre crée une commission d’enquête sur la crise viticole du Midi, présidée par le député de la Gironde Cazeaux-Cazalet, spécialiste de la vigne. Elle se rendra dans les grandes villes de la région.

2 02 1907

Une avalanche atteint Barèges, dans les Pyrénées, faisant 3 morts.

Capestang, le 2 février 1907

Mon cher fils,

Il y a bien longtemps que je ne t’ai pas écrit, c’est que, vois-tu, ici, le désespoir a gagné tout le monde, les choses se sont encore aggravées. La plupart des gens n’ont pas réussi à vendre leur vin et les propriétaires, petits ou gros ne peuvent plus payer leurs ouvriers. Alors tu vois , nous assistons à ce spectacle presque tous les matins, des ouvriers qui s’en retournent chez eux avec des bras devenus inutiles. Et ce n’est pas qu’une image tu sais, hier soir la Tourounette est venue me demander du pain. Avetz pas un paux de pan ? Avem pas res manjat dempui aqueste matin – Vous n’avez pas un peu de pain ? Nous n’avons rien mangé depuis ce matin.

Les gens n’ont même plus de quoi manger. Revoilà le spectre de la misère qui traîne dans les rues. Je t’ai déjà parlé d’un retour en arrière mais c’est pire que cela.

Certains disent qu’il y a trop de vin, trop de vignes, mais qu’est-ce qu’on pourrait faire ? On ne va quand même pas arracher, et pour faire quoi ? Cette terre ne sait pas faire pousser autre chose que de la vigne. Mais la vraie raison de tout cela tu la connais, c’est la fraude. Il est plus facile, n’est-ce pas, de faire du vin avec de l’eau et du sucre qu’avec du vrai raisin… Si le gouvernement ne fait rien pour changer la situation, si on n’interdit pas la fabrication de ce que je n’ose appeler du vin, je crains bien que la situation ne se dégrade encore, tu sais à quelles extrémités peut entraîner la misère,… L’autre jour le maire de Poilhes a dû aller porter secours au boulanger, les gens voulaient lui mettre la tête dans son four parce qu’il ne voulait plus donner de pain à crédit. Eh oui, mon cher fils, nous en sommes là.

Je suis heureuse de te savoir en pleine santé mais ton absence me pèse. Marinette demande parfois de tes nouvelles. Quand pourrais-je te revoir ?

Ton père et tes frères se joignent à moi pour t’embrasser.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

11 02 1907     

Trotski a quitté la prison de Moscou le 5 janvier, direction le versant est de l’Oural, pas loin du cercle arctique, dans le district d’Obdorsk : le trajet s’est effectué en train, puis en traîneau à cheval. Lors d’une halte dans la prison de Berezov, où leur fut servi un repas sur une table avec nappe et chandeliers [!] Trotski décide de s’évader, et pour ce faire, commence par se faire porter malade : une soi-disant sciatique : on le transfert à l’hôpital où il élabore son plan, qu’il met à exécution le 20 février, accompagné d’un Zyriane, de la population locale : tout se passa très bien, sinon qu’il n’avait pas prévu que le guide serait saoul… et le resterait ; mais les autorités mettront plus de deux jours à réaliser que l’oiseau s’était envolé, et ayant choisi de partir plein ouest  en traversant l’Oural, plutôt que la route la plus pratiquée plein sud, ils furent tranquilles jusqu’à avoir atteint la province d’Arkhangelsk, où il parvint à contacter sa femme et lui donner rendez-vous à Samino sur la ligne de chemin de fer Viatka-Kotlas. De là ils prirent un peu de bon temps en Finlande, dans le petit village d’Ogilbyu, proche d’Helsinki.

02 1907 

L’agriculture du nord de la France n’a pas grand-chose à voir avec celle du midi, où domine la viticulture : l’aisance y est certaine.

Ferme de La Tourelle, dans le Pas de Calais : dix bœufs, vingt-cinq chevaux, boulonnais et percherons : tout ce monde va labourer. Au premier plan, le régisseur monte un demi-sang. Au fond à gauche, les deux calèches disent le niveau de vie des propriétaires.

6 03 1907

Loi sur la liberté des cultes

7 03 1907   

Émeutes de la faim à Saint Pétersbourg.

11 03 1907  

La commission d’enquête sur la crise viticole rencontre à Narbonne le Comité de Défense Viticole, – 87 membres – du village d’Argeliers emmené par Marcelin Albert, au grand dam de Ferroul. Les mots d’ordre ne varieront guère : Pas de politique, Mort aux fraudeurs, Vive le vin naturel, Le sucre, c’est l’ennemi.

12 03 1907       

Wang Yuanlu, le moine taoïste qui a découvert la richesse culturelle des grottes de Dunhuang et s’en est fait le gardien, fait connaissance avec la voracité occidentale : À peine arrivé, le 12 mars 1907, l’explorateur anglais, Aurel Stein entend courir le bruit selon lequel un certain Wang Yuanlu, petit paysan devenu soldat, puis moine taoïste, serait tombé par hasard sur un trésor. Il balayait l’une des innombrables grottes (quatre cent quatre-vingt douze) creusée dans la montagne voisine de Mogao. Selon l’usage, elle avaient été peintes et ornées de sculptures. Et voici qu’un morceau de fresque s’était détaché, révélant un mur. Wang déplace les pierres. Et découvre un réduit où s’entassent des milliers de manuscrits.

  • Où est ce Wang ? demande Stein.
  • Parti mendier pour financer les restaurations qu’il mène.
  • Quand reviendra-t-il ?
  • Peut-être d’ici trois semaines, peut-être bien davantage.

Pour tuer le temps, l’infatigable Stein met à jour des tours de guet. Enfin Wang paraît. Comment convaincre le petit homme de montrer ses merveilles ? Stein appelle à son secours un personnage considérable, mort douze siècles plus tôt, le Grand Voyageur mythique Xuanzang, celui qui réussit à faire sortir de l’Inde, sur le dos de vingt poneys, les manuscrits bouddhiques les plus précieux. Mis en confiance par cette vénération commune, Wang accepte de montrer un manuscrit. Chiang, l’assistant de Stein, l’étudie durant la nuit. C’est un lettré de grand savoir. Il arrive au matin, l’air illuminé : 

  • Ce texte, je pourrait en jurer a été traduit par … Xuazang lui-même.

Wang titube, Stein enchaîne :

  • Voici la preuve que, de sa tombe, le Grand Voyageur a choisi le moment de la Révélation et celui (moi, Stein!) qui doit la porter !

Devant de tels présages, Wang n’a plus d’autre choix que de céder. Il conduit les deux hommes dans son sanctuaire. […] À la hâte et dans la plus grande discrétion, Stein et Chang sélectionnent. Il faut faire vite car le vice-roi local a ordonné le transfert à Lanzou de la bibliothèque.

Wang accepterai-il que certains de ses textes soient transférés dans la lointaine Angleterre, où se trouve un Grand Temple de l’Étude ?

Le petit moine n’hésita pas longtemps. Stein vient de lui proposer une somme énorme qui lui permettra de mener à bien ses travaux de restauration.

Plus tard, quand après mille péripéties, vingt-quatre caisses pleines de manuscrits arrivèrent saines et sauves au British Museum accompagnée de cinq autres contenant des peintures et des dizaines de sculptures, vases, bijoux et broderies, Stein déclara, tout fier, à la reine, qu’il n’en avait coûté aux finances de sa Majesté que 130 livres sterling. La Français Paul Pelliot arrive l’année suivante (1908) à Dunhuang. On lui doit un premier inventaire… de ce qui restait. Car son érudition est largement supérieure à celle de Stein. Il parle treize langues orientales, dont… le chinois. C’est lui qui déduit de savants recoupements la date probable de ce mur élevé pour protéger un tel trésor: l’an 1000, peu ou prou.

D’autres explorateurs se présenteront, au fil des années. Un Japonais, Yoshikawa Koïshiro (1911), un Russe, Oldenburg (1915), un Américain, Langdon Warner (1924)… Tous ils découpèrent des fresques, tous ils emportèrent des statues et d’autres milliers de manuscrits.

Ainsi furent dispersés aux quatre coins du monde la bibliothèque restée unie et cachée mille ans. Ainsi fut-elle en partie préservée d’autres détériorations diverses : durant les années 1920, des soldats russes blancs furent emprisonnés dans ces grottes, avec les dégradations qu’on imagine. Le vandalisme ne cessa vraiment qu’en 1943, avec la création par les autorités chinoises d’un Institut national de recherche ou fut rassemblé tout ce qui demeurait.

Erik Orsenna. Sur la route du papier. Petit précis de mondialisation III . Stock 2012

Sanctuaire de Yueyaquan, près de Dunhuang.

Le cuirassé Iéna explose dans le bassin de Missiessy à Toulon, faisant 118 morts. L’accident est dû à un mauvais état des poudres : la portée de l’obus était fonction de la quantité de poudre : le stockage de la poudre en doses permettait donc de moduler chaque lancement en fonction de la distance recherchée.

Capestang, le 5 avril 1907

Mon cher enfant

Depuis ma dernière lettre la colère est encore montée d’un cran. La semaine dernière des gens sont venus, ils ont fait le tour du village avec le maire accompagnés d’un tambour et d’un clairon, ils ont tapé à toutes les portes, ils voulaient que les hommes se rendent sur la place pour leur parler de la crise. Beaucoup du village sont venus, de toute façon plus personne ici n’a rien à perdre. Ils se disaient, ces gens, les défenseurs de la viticulture honnête. Moi, tu me connais, je ne suis pas femme à rester à la maison quand il arrive quelque chose d’aussi important

C’était des gens d’Argeliers, ils ont crée un comité de défense viticole, là-bas, et je n’avais encore jamais entendu personne parler de nos problèmes aussi bien que cet homme, juché sur des demi-muids pour que tout le monde le voit. Des mots justes, portés par une colère et une fougue... et puis un art de la parole ; tu peux y aller. Marcelin Albert, il s’appelle, je ne sais pas si tu as entendu parler de lui, mais je peux te dire que lui, il sait parler de nous. Ce qu’il a dit était très simple mais il le dit si bien que quand il a terminé on se sent plus fort. La cause de tous nos maux c’est la fraude, il y a assez de vin honnête, on n’a pas besoin d’en fabriquer en plus avec du sucre. Et ce qu’il veut cet homme c’est pousser le gouvernement à voter une loi contre les fraudeurs. Il va lever le Midi, a-t-il encore dit, une armée de gueux, mais une armée calme et déterminée. Je ne te dis pas comment il a été acclamé. Il nous a ensuite demandé à tous de venir à Bize le dimanche suivant pour un grand meeting. Ton frère Célestin y est allé, à ce meeting. Six cents personnes. Tu te rends compte, six cents personnes un dimanche, à Bize ! Et Albert a été encore plus fougueux qu’ici.

Vraiment il était temps que quelqu’un prenne les choses en main, car vois-tu, mon cher fils, nous sommes au bord de la ruine, de nos économies, du peu qu’on avait mis de côté, il n’existe plus rien. Je verse des larmes sur l’argent que tu nous a envoyé, c’est pour nous un petit miracle.

Je laisse un peu de place à ton père, il veut te parler.

Mon filh, la vergonha m’estofa de deure acœptar ton argentper poder viure, mas si o fau anem totes crevar. Aquest argent, te o disi, te lo tornarai.

Ton paire que t’aima.

– Mon fils, la honte m’étouffe de devoir accepter ton argent, mais si je ne le fais pas, nous allons tous crever. Cet argent, je te le dis, je te le rendrai, Ton père qui t’aime.-.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux.  2007

21 04 1907  

[…] le moment n’est plus aux grands discours. Il est temps de passer aux actes. La fédération de tous les comités locaux d’abord, puis celle des départements s’impose. La viticulture méridionale agonise. Unissons-nous tous sans distinction de parti, sans distinction de classe.

Appel de Marcelin Albert aux vignerons, ouvriers, commerçants

Les seuls chiffres du nombre de manifestants ont de quoi donner du souci à Paris :

  • 300 le 24 mars à Sallèles d’Aude
  • 600 le 31 mars à Bize
  • 1 000 le 7 avril à Ouveillan
  • 5 000 le 14 avril à Coursan
  • plus de 10 000 le 21 avril à Capestang
  • 20 000 le 28 avril à Lézignan
  • 80 000 le 5 mai à Narbonne, où Ferroul rejoint le mouvement
  • 160 000 le 12 mai à Béziers
  • 170 000 le 19 mai à Perpignan
  • 250 000 le 26 mai à Carcassonne
  • 300 000 le 2 juin à Nîmes
  • plus de 500 000 le 9 juin à Montpellier

Capestang le 6 mai 1907

Mon cher fils,

C’est extraordinaire ! Le Midi s’est levé, enfin ! Les discours d’Albert enflamment de plus en plus les foules et chaque dimanche il y a un nouveau meeting. Dimanche dernier nous étions peut-être cent mille ! Tu te rends compte ! Cent mille hommes et femmes dans les rues de Narbonne. Je n’avais jamais vu ça. Les Barques noires de monde. Des gens de partout, du Gard, des Pyrénées Orientales, tous les villages, même les plus lointains sont venus, avec leurs pancartes. Albert est en train de réussir ce qu’il avait annoncé au tout début, mais tu sais, ça n’a pas été sans mal, ton frère Célestin, qui va de plus en plus souvent à Argeliers, nous a dit qu’au début on l’a souvent pris pour un illuminé, tu vois, une espèce de Don Quichotte qui partirait pour un combat perdu d’avance. Eh bien maintenant ils y sont, ceux-là. Cent mille ! Les moulins parisiens n’ont qu’à bien se tenir. Et ce qui est vraiment extraordinaire là-dedans c’est que Albert a bien prévenu tout le monde, ici on ne fait pas de politique, on veut simplement sauver la viticulture honnête. On ne veut pas faire la révolution, on ne veut pas faire tomber la République, on veut mettre fin à la fraude et pouvoir vivre de notre travail. Et surtout, pouvoir à nouveau manger à notre faim. Alors du coup dans les mêmes meetings on voit marcher ensemble les ouvriers et les propriétaires, et même, même, ça tu ne vas pas me croire mais c’est pourtant vrai, je l’ai vu de mes yeux, j’ai vu marcher Tisseyre et Pidou côte à côte dans la rue ! Si. Oh ils ne se tenaient pas la main mais ils se parlaient, et ça tu vois, arriver à faire que le plus ardent socialiste du village parle au plus chevronné des royalistes, c’est le plus bel exploit d’Albert.

Bon je dois te laisser, il faut commencer à préparer le meeting de dimanche à Béziers.

Au fait, je t’envoie aussi le premier numéro du Tocsin, c’est le journal du Comité d’Argeliers. Ce sera pour toi plus clair que mes lettres. Tu vois, on a même un journal, maintenant, et les gens qui écrivent là-dedans arrivent en quelques lignes à bien exposer la situation. Chapeau.

Ta mère qui t’aime.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

04 1907      

Nombreuses révocations dans le conflit entre fonctionnaires et gouvernement : les inscrits maritimes se mettent en grève.

Capestang, le 31 mai 1907

Mon cher fils,

Cent soixante mille à Béziers, cent soixante dix mille à Perpignan, deux cent cinquante mille à Carcassonne avant-hier. Chaque meeting voit gonfler nos rangs. Une mer humaine. Tu ne peux pas imaginer une ville envahie par nos meetings… Maintenant nos villages le dimanche sont aussi vides que nos portefeuilles. Et il y a de plus en plus de femmes, ça aussi, c’est extraordinaire, non ? Tout cela dans le calme. Au début j’avais un peu peur de ces foules mais maintenant je trouve dans ces rassemblements une exaltation et une ferveur qui me donnent à penser que nous ne pouvons pas perdre. Non mon cher fils, nous ne pouvons pas perdre, non pas parce que nous sommes nombreux, mais parce que nous sommes du coté de la justice.

Je ne t’en ai pas parlé dans ma dernière lettre parce que les choses se précipitent sous ma plume quand je t’écris, et forcément j’en oublie, mais Ferroul est avec nous. Au meeting du 5 mai à Narbonne il a fait un discours dans lequel il s’est clairement affirmé de notre côté. Quand même ! Le maire de Narbonne. Et puis une semaine après il a défié Clemenceau. Depuis Béziers, du fin fond de notre Languedoc il s’est permis d’envoyer un ultimatum au gouvernement !

Si le 10 juin il n’a pas pris les mesures nécessaires nous ferons la grève de l’impôt ! Et si cela ne suffit pas toutes ces municipalités démissionneront. Et ce ne sont pas, je peux te l’affirmer, des paroles en l’air. Maintenant toute la France parle de nous, même les grands journaux, le Figaro, l’Aurore, le Petit Parisien, Le Petit Journal, tous, tu vois quand je te disais que les moulins n’avaient qu’à bien se tenir.

J’essaierai de t’écrire après le 10 pour te tenir au courant.

Ta mère et ton, père qui t’aiment.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

9 06 1907 

Par un beau dimanche de juin, plus de 500 000 personnes participent à la manifestation de Montpellier, point d’orgue du mouvement des viticulteurs du Midi. La démission des maires est annoncée.

Marcelin Albert, à l’origine du mouvement 3 mois plus tôt avec les 87 d’Argeliers, y fait un discours lyrique et inspiré, alors que le mouvement en appelle à la désobéissance civique. Et comme à chaque fois, il achève son discours en cristallisant l’opposition à la fraude :

Marcelin Albert — Wikipédia

 

Le village d'ARGELIERS et la crise viticole de 1907 - www ...

Grèves et émeutes – LA GUERRE DE CENT ANS ET NOUS

Fichier:1907 Crise viticole.jpg — Wikipédia

Haro sur le buveur d’eau claire

Ce n’est pas sans une indicible émotion et après l’inoubliable cortège qui vient de se dérouler dans cette ville admirable de Montpellier, que je me trouve en face de tous mes frères de misère qui, depuis les points les plus extrêmes de notre Midi malheureux, sont venus se presser jusqu’au pied de cette tribune. Il y a trois mois, trois mois à peine, j’étais seul, seul, entendez-vous bien, à n’attendre notre salut que d’un soulèvement général de la conscience méridionale ; j’étais seul à rêver d’un Midi qui se lèverait comme un seul homme pour dire à la France entière : Nous ne sommes pas des parias, il faut que cela finisse. (…)

Huit cent mille hommes sont là. C’est l’armée du travail la plus formidable qui se soit jamais vue. Elle est pacifique, certes, mais résolue à tout. C’est une armée de gueux : elle n’a qu’un drapeau, celui de la misère ; elle n’a qu’un but, la conquête du pain. Plus que jamais, restons unis sans distinction de parti et sans distinction de classe. Pas de jalousie ! Pas de haine ! Pas de politique ! Tous au drapeau de la Défense viticole !

Le Midi si florissant, le Midi si fertile se meurt. Au secours ! Camarades, unissons-nous tous, que le sang gaulois circule dans nos veines et dans un même élan fraternel écrivons une belle page d’histoire méridionale.

Toutes les générations futures viendront s’y retremper pour la défense de leurs droits, de leur indépendance, de leur liberté. Êtes-vous d’avis qu’il faut prendre des mesures énergiques? Êtes-vous résolus à ne plus payer d’impôts ? Qu’on ne vienne donc plus dans nos communes chercher ce que vous n’avez pas.

Il me reste à faire devant vous un second geste : vous avez décidé à la réunion de Béziers, par un ultimatum qui, aujourd’hui, vient à échéance, que toutes les municipalités des départements fédérés devront démissionner dans trois jours, si nous n’avons pas satisfaction. L’heure est venue. Le citoyen Ferroul vous donne l’exemple. La démission de toutes les municipalités est proclamée. Vive à jamais le Midi ! Vive le vin naturel !

10 06 1907   

Le Comité d’Argeliers obtient la démission de 442 conseils municipaux du Midi viticole : Hérault, Aude, Pyrénées orientales, toutes appartenances politiques confondues.

Erich Heinrich Victor Steinschneider, né en Bohème dans une famille aisée de juristes et d’industriels d’origine juive, arrivé en France quatre ans plus tôt, s’est installé à Saint Claude dans le Jura où il dirige une entreprise de pipes. Il obtient de la Lieutenance générale impériale et royale du Royaume de Bohême l’autorisation de changer son nom en Éric Victor. Soucieux de s’intégrer dans sa nouvelle patrie, cette francisation, en choisissant son troisième prénom, lui permet de masquer la consonance germanique de son nom dans un pays marqué encore par la guerre de 1870. Lui naîtra un fils à Genève, Paul Émile le 28 juin suivant, déclaré de nationalité tchèque : Paul Émile Victor. La francisation de son nom ne lui évitera pas de graves ennuis en 1915 quand des industriels de Saint Claude, concurrents, l’accuseront d’espionnage du fait de sa nationalité autrichienne, ce qui le contraindra à déménager à Lons le Saunier, même s’il avait été blanchi.

13 06 1907

Deux fourgons puissamment armés arrivent sur la place d’Erevan, à Tiflis, en Géorgie. Il viennent approvisionner la banque avec un peu plus d’un million de roubles. La pègre locale guette la bonne affaire mais elle n’est pas la seule, car les révolutionnaires bolcheviks ont besoin de beaucoup d’argent pour financer les différents journaux de propagande mais surtout pour assurer la vie des militants en exil ou des clandestins à l’intérieur de la Russie ; parmi eux, un jeune de 28 ans Joseph Djougachvili, qui se fait alors appeler Koba : ce n’est que bien plus tard qu’il laissera Koba pour Staline. Pour le moment il se déguise en officier et participe activement au braquage, avec force de bombes qui font au bas mot six morts et plus de quarante blessée. Le butin se monte à 340 000 roubles – 3.4 millions € -.

Né en 1878, Iossif Vissarionovitch Djougatchivili était entré au séminaire orthodoxe de Tiflis à 16 ans et en était sorti à 20 ans. Il avait donc eu huit ans pour se former au braquage, tout cela évidement pour la cause du parti bolchévique.

Staline, chef de gang | Les Echos

d’abord séminariste, puis braqueur de banques… mais pour la bonne cause, avant que de devenir chef d’Etat … les voies de la Providence sont impénétrables

17 06 1907                

Albert Sarraut, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, démissionne pour marquer son soutien au mouvement.

19 06 1907  

Quand on aura supprimé ces freins modérateurs, [Ferroul] les populations soulevées resteront à la discrétion des éléments de désordre qui attendent leur heure. Ne vous y trompez pas, c’est un pays à reconquérir comme au temps de Simon de Montfort.

Vicomte de Vogüé. Le Figaro

La police et l’armée arrêtent les dirigeants du mouvement, y compris Ernest Ferroul . Marcelin Albert s’est caché dans le clocher.

Capestang, le 20 juin 1907

Je vois, mon cher fils que tu t’inquiètes pour nous, mais il ne le faut pas, je t’assure que ces meetings, même s’ils sont très impressionnants n’ont rien de révolutionnaire

Les gens sont là, toujours de plus en plus nombreux, mais ils ne sont là que pour affirmer notre détermination, nous ne lâcherons pas tant que le gouvernement n’aura pas cédé sur la question de la fraude. Alors bien sûr on voit des cercueils noirs, comme si nous étions là pour la grande sépulture du Midi viticole, mais c’est bien justement pour montrer notre colère, et l’abandon  et l’oubli dans lequel nous étions tombé jusqu’à ce que Marcelin, le Rédempteur, comme on l’appelle maintenant, se lève. Et puis, tu sais, les socialistes ont bien compris qu’ils ne pouvaient pas trop se mettre en avant s’ils voulaient préserver l’unité du mouvement.

Je vois aussi que les nouvelles de France arrivent jusqu’à l’autre bout du monde. Enfin on nous entend. Nous étions peut-être le million à Montpellier, au moins huit cent mille. Qu’on ne vienne pas vous chercher ce que vous n’avez pas dit Marcelin Albert, il faut être résolu à faire la grève de l’impôt ; de toute façon, je me demande bien avec quoi on pourrait le payer.

Mais le gouvernement, lui, ne nous a pas écouté, depuis le début, il a pris ça à la légère. Jusqu’à ce que les démissions de maires arrivent nous n’étions que des méridionaux excités tu vois, pour Clemenceau, tout ça n’était qu’un coup de colère qui devait se dégonfler en quelques jours, un feu de paille. Entre parenthèses, tu dois savoir que la municipalité de Capestang a été une des premières à démissionner

Maintenant Clemenceau a changé d’attitude. Il se dit que de plus en plus de soldats arrivent vers le Midi, et hier ils ont arrêté Ferroul et les gens du Comité d’Argeliers. Comme si ça pouvait. changer quelque chose d’arrêter les dirigeants. D’autres dirigeants vont prendre leur place, c’est tout. L’effet risque même d’être l’inverse de ce qu’ils espèrent. En tout cas ils n’ont pas eu Marcelin Albert, et je suis certaine, moi, que rien de tout cela ne pourra éteindre le feu de paille.

Ta mère qui t’embrasse.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

Capestang, le 21 juin 1907

Aujourd’hui mon cher fils, nous pleurons nos morts.

Hier à l’heure où je t’écrivais le drame s’est produit à Narbonne. L’armée a tiré sur la foule devant l’hôtel de ville. Il y a eu cinq morts. La veille, on venait d’arrêter Ferroul, et les Narbonnais en colère se sont regroupés sur la place. On ne sait pas très bien ce qui s’est passé [3] mais toujours est-il que les soldats se sont énervés, peut-être aussi ont-ils eu peur de cette masse humaine devant eux et lors d’un mouvement de foule, ils ont tiré.

Le sang a coulé…

Voliem pas d’acò mas ara, i a de sang sus la plaça de Narbona .- Nous ne voulions pas de ça mais il y a maintenant du sang sur la place de Narbonne.-.

Nous ne voulions pas de ça, non, Célestin nous l’a assez dit et répété. Nous voulions juste dire que nous étions en train de mourir de faim, que le Midi était en train de mourir.

L’émotion m’étouffe mon petit, je ne peux pas t’écrire plus longtemps.

Ta mère qui t’aime

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

1907 - 2017 : la révolte des vignerons / Episode 4 : la fusillade de Narbonne - lindependant.fr

22 06 1907  

On en veut encore à l’annexion de la Savoie à la France : Le 14 a eu lieu le certificat d’études. À cette occasion, il est permis une réflexion. On sait qu’Arèches possède 4 écoles et près de cent élèves. Pas un seul n’a été présenté. C’est peu. Où est le motif de cette abstention ? Les parents sont mécontents, ce qui est naturel. D’autant que l’éducation laisse à désirer, autant que l’instruction. Notre village était dans de bien meilleures conditions aux temps passés. Le progrès consisterait-il à marcher à reculons ?

Journal Le Libéral. Albertville.

Capestang, le 22 juin 1907

Mon cher fils,

Comme tu peux le constater je suis maintenant obligée de t’écrire presque tous les jours tant les choses se précipitent. Hier l’armée, même si elle n’a pas lavé le sang de Narbonne, a sauvé son honneur. Les soldats du 17° se sont mutinés. D’Agde, ils sont allés à Béziers à pied et se sont installées sur les Allées. La nouvelle a couru le pays en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. C’est un acte d’une bravoure exceptionnelle, un défi au gouvernement. Tu imagines ça, un régiment entier qui se mutine !  Et comment auraient-ils pu tirer sur nous, ceux-là, il y a leurs pères, leurs frères, leurs mères, dans la foule, des amis de leur village, tirer sur nous aurait été comme tirer sur eux-mêmes. Célestin et ton père sont allés à Béziers avec la voiture de Pech, il y avait une ambiance en ville, je ne te dis pas. Les gens venaient parler avec les soldats, leur porter à manger, du vin, le temps de quelques heures, tout le monde a cru que nous étions redevenus les maîtres du pays…

Mais que faire, après, pour ces soldats ? Ils ne pourraient pas non plus rester là éternellement, alors, sur les conseils du Comité ils ont accepté de se rendre à condition qu’il n’y ait pas de punition individuelle. On sait pourtant que quelques uns ont refusé, ils ont laissé là armes et bagages et sont partis, ils ont quitté Béziers pour partir Dieu sait où, certainement vers leurs villages. Je n’ose pas imaginer ce qu’il adviendra d’eux si les gendarmes les reprennent.

Ton père et Célestin sont restés avec les mutins jusqu’à la fin, il y avait là le fils Tarbouriech, de la Croisade, qui leur a dit que l’armée avait voulu les empêcher de rejoindre Béziers mais qu’au dernier moment les autres soldats les avaient laissé passer.

Quoi qu’il en soit c’est peut-être un acte sans suite, mais ce qu’ont fait ces soldats à Béziers restera dans nos mémoires autant que les morts de Narbonne, ces soldats ont fait ce geste sans peur et en sachant les risques qu’ils prenaient, ils sont des héros.

Je continue à te tenir au courant.

Ta mère qui t’aime.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

 

Patrimoine - 1907 La révolte des vignerons du Midi - Communauté de Communes Sud Hérault

La fraternisation des soldats du 17e et des Biterrois sur les allées Paul-Riquet.

Un siècle avant les Gilets jaunes : Quand le Midi s'enflammait - Dis-leur !

 

Gloire au XVII° Paroles de Montehus

Musique de Roger Chantegrelet et Pierre Doubis.

Légitime était votre colère,
Le refus était un grand devoir ;
On ne doit pas tuer ses pères et mères
Pour les grands qui sont au pouvoir.
Soldats, votre conscience est nette :
On n’se tue pas entre Français ;
Refusant d’rougir vos baïonnettes,
Petits soldats, oui, vous avez bien fait !

Salut, salut à vous !
Braves soldats du dix-septième.
Salut ! braves piou-pious,
Chacun vous admire et vous aime.
Salut, salut à vous !
À votre geste magnifique ;
Vous auriez, en tirant sur nous,
Assassiné la République !

Comme les autres, vous aimez la France,
J’en suis sûr, même vous l’aimez bien.
Mais sous votre pantalon garance,
Vous êtes restés des citoyens.
La patrie, c’est d’abord sa mère,
Celle qui vous a donné le sein,
Et vaut mieux même aller aux galères
Que d’accepter d’être son assassin.

Espérons qu’un jour viendra, en France,
Où la paix, la concorde régnera.
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra.
Vous avez jeté la première graine
Dans le sillon de l’humanité ;
La récolte sera prochaine
Et, ce jour-là, vous serez tous fêtés.

24 06 1907 

Les écoles congréganistes ferment leurs portes.

26 06 1907 

De retour de Paris, Marcellin Albert se constitue prisonnier à Montpellier.

29 06 1907   

Loi tendant à prévenir le mouillage des vins et les abus du sucrage :

  • Déclaration de récolte et de stocks
  • Contrôle des ventes et des achats des moûts et de vendanges fraîches
  • Interdiction de fabrication et de vente de vins fabriqués
  • Surtaxe de 40 francs sur le sucre
  • Déclaration par les commerçants des ventes de sucre supérieures à 25 kg.
  • Droit pour les syndicats viticoles de se porter partie civile dans les affaires de fraude.

10 07 1907  

Metz, alors allemande, reçoit le Tour de France. Les Allemands ne renouvelleront pas l’expérience. La ville avait pris des allures bien allemandes, dont l’exemple le plus manifeste est la très germanique gare.

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à l’arrière plan, en blanc, le Centre Pompidou-Metz, ouvert en 2010. Construite de 1905 à 1908 par Kröger ; son surdimensionnement tient à sa première fonction, militaire : pouvoir transporter 25 000 soldats et 75 000 chevaux et canons en un seul jour.

13 07 1907  

À La Ciotat, naissance de la pétanque, place Béraud, sur le terrain d’Ernest Petiot. Le jeu provençal se pratiquait alors avec trois pas d’élan sur une aire balisée de 15 à 20 mètres. Mais un jour s’improvisa une variante afin de permettre à Jules Le Noir, un joueur cloué sur une chaise par des rhumatismes, de participer à la partie. Le terrain fût raccourci et le lancer se fit les deux pieds au sol. Les ped tancos – pieds tanqués en provençal, marquaient leur premier point. À La Ciotat a éclos un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais… Marius plus fort qu’Alexandre Le Grand ! Et quand la France aura cessé de briller dans ses entreprises politiques, économiques, culturelles et sportives, elle sera encore la première à la pétanque. Treize des seize derniers titres mondiaux sont tombés dans l’escarcelle bleue blanc rouge.

15 07 1907  

Seconde loi contre la fraude sur les vins.

07 1907

À Paris, Picasso montre à ses amis Le Bordel d’Avignon – 244 x 234 – qui représente une scène de maison close de Barcelone, située carrer d’Avinyo, près de laquelle avait habité Picasso. Il y a aussi un Avinyo près de Barcelone.

Les demoiselles d'Avignon de Pablo Picasso © 1848-1914 Toute une Histoire

La toile ne sera exposé qu’en 1916, et sera alors renommée, sur l’insistance d’André Salmon Les Demoiselles d’Avignon. Acheté par le couturier et collectionneur Jacques Doucet, celui-ci avait demandé qu’il soit donné après sa mort – 1929 – au Louvre, pour qu’il ne parte pas aux États-Unis. Mais en 1929, le Louvre le refusera, trop transgressive, Picasso trop à l’avant-garde, et donc, c’est le MoMA  – musée d’art moderne de New-York- qui l’aura.

Le tableau des Demoiselles est un tableau de transition, un laboratoire ou mieux, un champ de bataille où essais et tentatives livrent combat ; mais c’est aussi un tableau d’un dynamisme et d’une puissance formidables, jamais dépassés dans l’art européen de l’époque.

Alfred H. Barr

On peut ne pas aimer, avec pour argument cette brève de comptoir qui dit l’essentiel : Picasso n’aime pas les femmes, bon, c’est son droit après tout, mais au moins qu’il n’en dégoûte pas les autres.

4 08 1907  

Aux Ponts de Cé, sur la Loire au sud d’Angers, le pont métallique, s’effondre au passage du train, faisant environ 30 morts. Libéré de prison, Marcelin Albert rentre chez lui à Argeliers, où il échappe de justesse au lynchage. L’homme ne méritait sans doute ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

Capestang, le 8 août 1907

Mon cher fils,

Voilà ils ont gagné. Tout le monde est allé en prison, Ferroul, Albert, tout le Comité d’Argeliers, tous sont passés par la prison, au même titre que des criminels. Vous êtes dans l’illégalité, ont-ils dit, il faut que la République fasse régner l’ordre. Nous sommes dans l’illégalité oui, mais au regard de la loi seulement, pas au regard de la raison.

On dirait bien que nous aussi, nous avons gagné. Mais on dirait seulement. Il y a bien une loi de surtaxe du sucre qui va être votée, ou qui l’est déjà, je ne sais plus, mais c’est une victoire au goût bien amer. Il y a toujours des militaires partout, nos villes en sont pleines, comme si d’un coup nous étions devenus un danger terrible. Mais tout cela n’est rien, mon cher enfant, à côté de l’immense déception causée par le plus grand d’entre nous, celui par qui tout est arrivé, je veux parler de Marcelin Albert. Contre l’avis du Comité, après avoir échappé à son arrestation, il est allé seul à Paris voir Clemenceau. Et voilà le résultat, voilà ce que toute la France va penser de lui, et donc, par la force des choses, de nous. Albert est allé à Paris pour se faire gronder par Clemenceau, c’est dans tous les journaux de France et de Navarre, Albert est allé à Paris pour recevoir de vagues promesses en échange de l’interruption du mouvement. Mais, comme si cela ne suffisait pas, il y a encore pire, Clemenceau a donné de l’argent à Albert, c’est lui-même qui l’a dit au Comité, parce qu’il n’avait plus un sou pour reprendre le train. Qui, je te le demande, qui à sa place aurait accepté ce billet de cent francs des mains de Clemenceau ? Plutôt rentrer à pied ! Eh bien lui il l’a accepté. En toute innocence, comme un service d’un ami et sans penser à mal, mais le mal, tu comprends bien, était déjà fait. Et le Comité n’a pas pu accepter ça, il a désavoué Albert. C’est peut-être normal, c’est peut-être ce qu’il fallait faire, je ne sais pas, moi je n’arrive pas à m’y faire, sans lui il ne se serait rien passé et nous serions toujours dans l’indifférence de ces messieurs de Paris.

Oui bien sûr, il aurait mieux valu qu’il fut arrêté en même temps que le Comité d’Argeliers, nous n’aurions pas perdu la face devant la France.

Alors oui, nous avons gagné, mais il n’est pas certain que demain nous vendrons mieux notre vin, il n’est pas certain que la misère disparaîtra comme par enchantement... Célestin sait aussi de façon certaine que Ferroul va être à la tête d’une sorte de comité permanent de défense viticole, ce serait là la garantie d’une meilleure considération à notre égard, dans l’avenir. Mais la victoire éclatante que nous attendions, la mise hors la loi des fraudeurs, n’est pas venue.

Alors Cécile Bourrel et les autres, les morts de Narbonne, est-ce qu’ils sont morts pour quelque chose ?

Ta mère qui t’embrasse.

Gilles Moraton 1907, la saison des gueux. 2007

22 09 1907  

Naissance de la Confédération générales des vignerons du Midi : Ernest Ferroul en est le président. Marcelin Albert n’a pas été consulté. Les maires reprennent leur fonction. Le professionnel douteux de la politique a balayé l’amateur intègre. On ne peut s’empêcher de penser que l’affaire du billet de 100 francs donné par Clemenceau à Marcelin Albert paraît vraiment bien maigrichonne pour suffire à retourner les vignerons contre leur meneur : cela sent la manœuvre de déstabilisation en sous-main, plutôt bien orchestrée. La révolte vigneronne du Midi est terminée, mais pas la crise viticole qui, pour revenir à une situation normale, attendra… la grande guerre : la surproduction sera épongée par les 0,25 litres en 1914 qui deviendront 0,75 litre de vin par jour et par soldat commandés par l’armée… et par des hectolitres à n’en plus finir d’eau de vie : toutes les attaques de la guerre 14-18 seront faites par des soldats réglementairement drogués à l’eau de vie ! Quant aux régions qui étaient jusqu’alors restées imperméables au vin, telles la Bretagne (abonnée au cidre et au calva) là encore c’est la guerre qui se chargera de donner l’habitude du vin, rapportée par les soldats rescapés.

29 09 1907 

Louis Breguet réalise un gyrophare, ancêtre de l’hélicoptère.

Juin à Octobre 1907    

Conférence internationale à La Haye : création de la Cour Internationale de Justice, et des premiers éléments du droit de la guerre.

2 09 1907 

Les frères des écoles chrétiennes quittent Megève pour 28 ans.

29 09 1907 

Huit jeunes Juifs tous émigrants récents de l’Empire russe,  se réunissent à Jaffa. La Palestine fait alors partie de l’empire ottoman.

Ben-Zvi [futur président d’Israël de 1952 à 1963] et ses sept camarades, comme la plupart des autres Juifs russes, étaient des sionistes pragmatiques. Au lieu d’attendre que le reste du monde leur octroi un foyer, ils croyaient en l’idée d’en créer un par eux-mêmes, en se rendant en Palestine, en travaillant la terre, en faisant fleurir le désert. Ils se saisirent de ce qu’ils considéraient comme leur propriété légitime, et ils défendraient leur prise.

Cela plaçait ces sionistes pragmatiques en conflit ouvert avec la majorité des Juifs qui vivaient déjà en Palestine. En tant que petite minorité en terre arabe – nombre d’entre eux, sous le régime ottoman, étaient colporteurs, théologiens et fonctionnaires -, ils préféraient rester discrets. À force de servilité, de compromis et de subornation, ces Juifs palestiniens bien installés avaient réussi à s’acheter une paix relative et une certaine sécurité.

De leur côté, Ben-Zvi et les autres nouveaux venus étaient atterrés des conditions de vie que toléraient leurs frères. Ils étaient nombreux à vivre dans une pauvreté absolue et, n’ayant aucun moyen de se défendre, ils se trouvaient à l’entière merci de la majorité arabe et des fonctionnaires vénaux d’un Empire ottoman corrompu. La masse arabe attaquait et pillait les colonies juives, le plus souvent en toute impunité. Pire, Ben-Zvi et les autres l’avaient constaté, ces mêmes colonies avaient confié leur défense à des gardes arabes qui, à leur tour, prêtaient parfois main forte à la meute des agresseurs.

Ben-Zvi et ses amis jugeaient cette situation intolérable. Certains d’entre eux étaient d’anciens membres du mouvement de la gauche révolutionnaire russe inspirés par La Volonté du Peuple (Narodnaya Volya), une organisation de lutte armée anti tsariste très virulente qui recourait à des actions terroristes, y compris l’assassinat.

Déçus par l’échec de la révolution russe de 1905, qui ne produisit finalement que des réformes constitutionnelles a minima, certains de ces socialistes révolutionnaires, sociaux-démocrates et libéraux partirent restaurer un État juif en Palestine ottomane.

Ronen Bergman. Lève-toi et tue le premier. Grasset 2018

5 10 1907    

89 accusés lors de la révolte du Midi passent en cour d’assise. Les membres du mouvement se pourvoient en cassation pour bénéficier d’un procès autre que celui des émeutiers : ils seront amnistiés en mars 1908, avant le procès, à l’exception de la mutinerie du 17° régiment, dont les meneurs seront envoyés à Gafsa, en Tunisie. Le gouvernement décide de ne pas réclamer les impôts de 1905 et d’accorder une réduction sur ceux de 1906.

C’est le lot de tous les événements collectifs puissants de se transformer en mythe, c’est-à-dire transmis sous forme idéalisée. Les personnages de Marcelin Albert et d’Ernest Ferroul sont devenus des personnages emblématiques, mais encore aujourd’hui, il est difficile de les honorer ensemble et également.

[…] Or la référence à 1907 a été constante dans les combats viticoles du XX° siècle comme une région victime d’une politique nationale. Il faut aussi évoquer le chant à la gloire du 17° de Montheus, qui accrédite l’idée que les mutins avaient refusé de tirer sur les manifestants, alors qu’on ne leur a jamais donné un tel ordre. De même, contrairement à une idée reçue, Gafsa, où ils furent envoyés, n’était pas un bagne militaire et ses soldats n’ont pas été plus exposés que d’autres au moment de la guerre 14-18. Enfin, alors qu’il s’est agi en 1907 d’un mouvement rouge et blanc, le mythe de 1907 comme l’expression d’un seul Midi rouge a pu triompher car les royalistes n’ont pas eu de véritable postérité politique, au contraire des Rouges.

Jean Sagnes, historien à l’Université de Perpignan. Interview de 2007.

31 10 1907 

À Grenoble, création du Ski Dauphinois, ancêtre de la FFS : Fédération Française de Ski.

10 1907

Adolf Hitler n’est pas admis à l’École des Beaux Arts de Vienne. En décembre, sa mère meurt d’un cancer. Un an plus tard, il est à nouveau recalé à la même école. Quand on est solide, on peut traverser cela sans casse, mais si on ne l’est pas, cela laisse des traces…

Charles de Gaulle, 17 ans, jusqu’alors parisien au collège de l’Immaculée Conception, suit les pères Jésuites dans leur déménagement pour aller finir sa scolarité à Antoing, en Belgique.

13 11 1907  

Paul Cornu décolle de quelques mètres à Coquainvilliers, près de Lisieux avec un hélicoptère.

Lisieux. En novembre 1907, Paul Cornu fait voler le premier hélicoptère

1 12 1907 

Sur la place du château des Templiers de La Villedieu, dans le Tarn et Garonne, 12 soldats du régiment de Zouaves d’Agen fusillent Punch. Punch, c’est un éléphant d’Asie de 3 167 kg, exhibé par le cirque Pinder, cornaqué encore quelques mois plus tôt par Fred Atkins, un Anglais qui se fait nommer capitaine Curley pour les affiches.

Mais pourquoi donc a -t-on fusillé Punch à la demande d’Arthur Pinder ? Parce que Punch était devenu très agressif – attaque de villageois venus le nourrir, éventration d’autres éléphants etc … – . Pourquoi Punch était-il devenu agressif ? Parce que son cornac anglais avait quitté le cirque Pinder pour partir au Canada et qu’il ne s’était pas du tout habitué au nouveau cornac, allemand. Et pourquoi Fred Atkins était-il parti au Canada ? Parce que, en entrant chez lui pour des congés il avait découvert que sa femme le trompait. Pourquoi le trompait-elle ? Que voulez-vous, si l’on a pas la vertu des femmes de marin, et que votre homme est absent près de onze mois par an, eh bien on va voir dans le pré à côté si l’herbe y est plus verte.

La morale de cette histoire, c’est si vous devez être absent onze mois sur douze du domicile conjugal, il vaut mieux épouser une veuve de marin : elle aura déjà l’expérience. La morale de cette morale, c’est que si cette femme est vraiment amarinée, lorsque vous manifesterez de la compassion pour la brièveté des congés de son homme par rapport à la longueur de l’absence, elle vous répondra : Bah ! vous savez, un mois, c’est vite passé ! 

3 12 1907  

Par décret, le vin connaît une énième définition, comme résultant exclusivement de la fermentation alcoolique du raisin frais ou du jus de raisin.

Théodore Roosevelt, président des États-Unis, adresse un message à ses concitoyens sur ce que l’on nomme alors la conservation, aujourd’hui le développement durable. On peut être tenté de croire qu’il ne s’agit que d’un programme, mais en fait, l’action de Roosevelt en faveur de la sauvegarde de la wilderness fût essentielle : il rattacha le service des forêts dirigé par Gifford Pinchot au ministère de l’Agriculture, fit passer une centaine de millions d’hectares de l’Ouest et de l’Alaska dans le domaine public, pour qu’en soit rationalisé l’exploitation et pas seulement la conservation, il crée cinq nouveaux parcs nationaux etc, etc …

Conserver nos ressources  naturelles et les utiliser de manière appropriée, voilà qui constitue le problème fondamental dont dépendent presque tous les autres problèmes de notre vie nationale […] Nous devons comprendre que gaspiller ou détruire nos ressources naturelles, dépecer et épuiser le sol au lieu de l’utiliser pour accroître son utilité, cela détruira la richesse de nos enfants, alors que nous devons contribuer à la développer. Dans les quelques années qui viennent de s’écouler, le gouvernement s’est efforcé, par l’intermédiaire de plusieurs agences, de faire voir plus loin à notre peuple et de substituer à l’anarchie et au profit immédiat le développement ordonné de nos ressources.

Nos grands cours d’eau doivent devenir des voies d’eau nationales, en premier lieu le Mississipi et ses affluents, en second lieu la Columbia, et bien d’autres encore qui se jettent dans le Pacifique dans l’Atlantique ou dans le golfe du Mexique.[…] Des grands lacs jusqu’à l’embouchure du Mississipi, il devrait exister une voie d’eau profonde d’où partiraient d’autres voies vers l’est et l’ouest. Un tel système reviendrait pratiquement à étendre nos côtes jusqu’au cœur même de notre pays. Si nous le réalisons immédiatement, il pourra être terminé dans peu de temps et décongestionner les grandes voies ferrées qui assurent le transport des marchandises. […] Ainsi le territoire qui longe le cours inférieur du Mississipi deviendra l’un des plus prospères, l’un des plus peuplés, comme il est déjà aujourd’hui l’un des plus fertiles au monde. […]

Il faudrait étendre beaucoup plus qu’actuellement l’irrigation, non seulement dans les États des Grandes Plaines et des Rocheuses, mais dans bien d’autres encore, par exemple dans les États du Golfe et de l’Atlantique Sud ; là, l’irrigation irait de pair avec l’assainissement des marais. Le gouvernement fédéral devrait s’employer sérieusement à cette tâche, avec la conscience que l’utilisation des cours d’eau et de la force hydraulique, des forêts, l‘irrigation et l’assainissement des terres menacées d’inondation constituent les éléments indépendants d’un même problème. […]

L’optimisme est un trait de caractère positif ; s’il est excessif, il devient stupide. Nous parlons volontiers des ressources inépuisables de notre pays ; c’est une erreur. La richesse minière du pays, le charbon, le fer, le pétrole, le gaz naturel, ne se reproduisent pas ; à long terme, ils s’épuiseront. Le gaspillage d’aujourd’hui prépare l’épuisement de demain, dont nos descendants souffriront une ou deux années plus tôt. Mais il faut arrêter complètement d’autres formes de gaspillage – le gaspillage du sol par le délavage, par exemple, qui figure au nombre des gaspillages les plus dangereux que connaissent les États-Unis, est évitable, et l’énorme perte de fertilité n’est pas nécessaire. La préservation ou le remplacement des forêts est l’un des principaux moyens pour empêcher cette perte. […] La consommation annuelle de bois est aujourd’hui trois fois plus grande que la croissance annuelle ; si l’une et l’autre ne changent pas, tout notre bois sera épuisé dans une génération et bien avant que l’épuisement complet ne soit atteint, la rareté croissante se fera sentir, de bien cruelle manière, sur notre richesse nationale.

12 1907

Henri Rousseau, à qui un poste d’employé aux écritures à l’octroi de Paris avait valu le surnom de douanier Rousseau – une idée d’Alfred Jarry – est en prison où l’a envoyé un escroc qui l’a abusé ; il montre ses toiles au directeur de la prison, qui intervient auprès du juge pour le faire libérer : motif : irresponsable.

1907

Depuis plusieurs années, les industries d’armement tournent à plein dans toute l’Europe : Allemagne d’abord, autant pour la marine que pour l’armée de terre, Autriche-Hongrie, Angleterre, Russie et France ; l’Angleterre et la France, qui contrôlent la moitié de l’économie russe par le biais des emprunts, la pousseront 7 ans plus tard à déclarer la guerre à l’Allemagne. Les tensions se sont manifestées principalement sur l’extension des empires coloniaux de chacun : Maroc, Cameroun ; les rumeurs de guerre alimentent les potins de toutes les chancelleries… il existe bien quelques tentatives de sauver la paix, mais le vocabulaire utilisé dit lui-même ce qu’il en est : les États-Unis organisent une conférence à La Haye pour réduire les chances de guerre.

Ce sont les craintes suscitées par la puissance montante de l’Allemagne qui poussent l’Angleterre à affirmer sa suprématie mondiale. C’est le traumatisme de la perte de l’Alsace-Lorraine qui incite la France à chercher des compensations dans la conquête d’un empire. C’est parce qu’il est parti plus tard dans la course que le nationalisme allemand se fait plus menaçant. Issue d’une tendance nationaliste, l’expansion coloniale glisse vers l’impérialisme économique : les mobiles économiques et financiers découlent directement de la nécessité pour la croissance industrielle de disposer de toujours plus de matières premières et de débouchés. Chaque métropole se constitue une chasse gardée qui lui fournit ses matières premières et achète ses produits industriels.

Tous les pays industrialisés sont à la fin du XIX° siècle à la recherche de débouchés, recherche qui est portée à son paroxysme par les crises économiques récurrentes. Face à cette question lancinante, les colonies constituent des marchés privilégiés réservés à chaque métropole. Les colonies permettent d’absorber tant les biens de consommation de l’industrie textile que les biens d’équipement produits par les métallurgistes pour les constructions, les ports, les chemins de fer.

Yves Carsalade Les grandes étapes de l’histoire économique. Les éditions de l’Ecole polytechnique. 2009

Les frères Lumière sortent les premières photos en couleur. La loi autorise les femmes mariées à disposer librement de leur salaire. Pour répondre aux besoins des immigrés dans le Nouveau Monde, pauvres par définition, au moins pour la plupart d’entre eux, l’Union postale internationale invente le CRI : Coupon Réponse International : un particulier qui écrit à sa famille trop pauvre pour lui répondre peut inclure dans l’enveloppe un CRI, que le destinataire va échanger dans le premier bureau de poste contre un timbre. Fort bien… sauf que cela a été conçu pour fonctionner dans un système de monnaies stables… mais une guerre mondiale va passer là-dessus, génératrice d’un fonctionnement non stop de la planche à billets, et donc d’inflation ; les écarts entre les monnaies vont se creuser et les aigrefins s’engouffrer dans la brèche : ainsi Charles Ponzi se construira une fortune en exploitant l’affaire : il ristournait aux petits épargnants un intérêt astronomique de 50 % en trois mois, et pendant ce temps-là lui-même engrangeait un bénéfice de 400 % ! Il se fera pincer en 1920, fera trois ans de prison et mourra pauvre en Amérique du Sud. La postérité a gardé le nom de chaîne de Ponzi, inspiratrice de Bernard Madoff, mais encore de nombreux émules plutôt louches qui s’en inspirent aujourd’hui, totalement en marge du système bancaire.

L’Anglais Arnold Lunn organise à Davos la première descente à ski. Le Club Alpin Français organise à Montgenèvre un premier concours international de ski.

En glissant, je demeure, dit-on, superficiel. Cela n’est pas exact : certes, j’affleure seulement la surface et cet effleurement en lui-même, vaut toute une étude. Mais je n’en réalise pas moins une synthèse en profondeur : je sens la couche de neige s’organiser jusqu’au plus profond d’elle-même pour me supporter ; le glissement est action à distance, il assure ma maîtrise sur la matière sans que j’aie besoin de m’enfoncer dans cette matière et de m’engluer en elle pour la dompter. Glisser, c’est le contraire de s’enraciner.

Jean-Paul Sartre

Robert Baden Powell, officier anglais, héros de la guerre des Boers, ayant bien ferraillé chez les Ashanti en Côte d’Or, – l’actuel Ghana – fonde le scoutisme en organisant le premier camp scout sur l’île anglais de Brownsea : le succès est immédiat, dépassant les frontières du monde anglo-saxon ; Scouting for boys est traduit en russe et en norvégien.

À Voiron, Abel Rossignol fonde sa société de fabrication de skis.

Pour limiter l’exode en pays bigouden en permettant aux agriculteurs de vendre localement leur production, Jean Hénaff, paysan breton de Pouldreuzic, un peu en retrait de la côte, dans la baie d’Audierne, fait construire une conserverie réservée à la production locale de petits pois et de haricots verts. 7 ans plus tard, pour combler l’inactivité en basse saison, il se lance dans la production de pâté : en associant les morceaux les plus nobles du porc (jambons et filets) à un savant mélange d’épices, le paysan-conserveur, crée une recette gourmande inédite. Le pâté Hénaff était né, déjà dans sa boîte bleue et jaune, sous la protection de Notre Dame de Penhors, la Vierge glorieuse : 100 ans plus tard, la Vierge de Penhors aura disparu, mais le pâté sera toujours le roi des pique-niques, avec un rapport qualité prix imbattable.  Pour la suite, dans l’utilisation commerciale des gloires d’antan, c’est Nestlé qui prendra la suite avec la reproduction sur ses produits La Laitière de La Laitière de Jan Vermeer peinte en 1658 [ça coûte beaucoup moins cher qu’une reproduction de Picasso …] Jean-Baptiste et Anaïs Ferrero montent un atelier de graines de coucous à Alger ; la semoule de blé dur est alors roulée à la main et cuite dans des couscoussiers. Les établissements prospéreront en Provence.

En Bretagne encore, l’abbé Adolphe Julien Fouéré – il s’est renommé Fouré – paralysé et atteint par des difficultés d’élocution, doit mettre fin à  ses travaux de sculpture des granits côtiers de Rotheneuf, à cinq kilomètres de Saint Malo, entrepris depuis fin 1894 : plus de 300 sculptures ;  à 53 ans, atteint d’une dureté d’oreille, son évêque l’avait envoyé se reposer comme prêtre habitué [sans charge, équivalent aujourd’hui de second vicaire].

Il ne faudrait pas faire de mauvais procès à André Malraux pour avoir distingué Le Palais Idéal du facteur Cheval en le classant monument historique et avoir ignoré l’œuvre de l’abbé Fouré, par anticléricalisme primaire. En fait Malraux savait très bien que sur une côte bretonne, une telle œuvre était vouée à disparaître tôt ou tard, mangée par l’érosion marine ; les humains ne sont pas seuls à subir les outrages du temps ; les sculptures de l’abbé Fouré sont plus que centenaires… et ça se voit ! on ne peut non plus reprocher à l’abbé Fouré d’avoir ignoré cette érosion qu’il connaissait évidemment fort bien ; mais pour lui, ce n’était pas un problème, il avait baigné dès sa plus tendre enfance dans la devise des cimetières : – memento homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris – souviens-toi, homme que tu as été poussière et que tu retourneras à la poussière- . Mon âme, elle,  est éternelle, c’est bien là le principal….

Bretagne : les rochers sculptés de Rothéneuf - Les voyages de Balladine

Les Rochers Sculptés de l'Abbé Fouré, musée de granit au pays des flots

Цветы под стеклом / Flowers under Glass: Искусство посторонних ...

De 1907 à 1909, le Brésilien Candido Rondon installe, pour la surveillance des frontières, 5 666 km de lignes télégraphiques dans la forêt amazonienne : entièrement acquis aux idées d’Auguste Comte, dont la devise Ordre et progrès, était devenue celle du Brésil, il parvient à gagner la confiance des tribus indiennes : ordre formel avait été donné à ses hommes : Mourez si vous ne pouvez faire autrement, mais ne tuez jamais. Quand il achève sa mission, on commence à mettre au point en Europe le télégraphe sans fil… Trente ans plus tard, Claude Levi-Strauss marchera sur ses pas. L’Uruguay proclame l’abolition de la peine de mort.

Narcisse Janot, prospecteur belge ramasse dans le Kasaï, au sud du Congo, un cristal qui lui semble intéressant ; n’ayant pas d’instrument pétrographique sous la main, il l’emmène à Bruxelles où il l’oublie pendant… quelques années. Puis le ressort et le fait analyser : c’est du diamant : la fièvre du diamant brûlera bien des têtes ; les meilleures qualités partiront en joaillerie, les moins bonnes à l’industrie.

Le Congo belge aura toujours la chance de voir ses productions vedettes sur le déclin relayées par d’autres : au nord, l’ivoire sera remplacé par le caoutchouc, au sud, le diamant sera remplacé par le cuivre, lequel sera remplacé par l’uranium, lequel sera remplacé par le coltan dont nos portables et autres smartphones sont friands.

Battabang et Angkor ont été réintégrés dans le territoire du Cambodge ; l’Union indochinoise est constituée avec un gouverneur tout puissant. Trois produits représentent plus de 70 % de la valeur des exportations : riz, caoutchouc et maïs.

Dans les autres colonies voisines, surtout anglaises, le schéma est identique : riz, pétrole et teck pour la Birmanie, riz, étain et caoutchouc pour le Siam ; sucre, produit du coco et chanvre de Manille pour les Philippines.

Pour les Anglais, l’utilitarisme demeure le principe de l’entreprise coloniale. En dehors de cette règle vitale, pas de solutions théoriques, pas de vestes plans préconçus : un empirisme résolu qui varie au possible les formules de commandement, une souplesse à toute épreuve qui suggère, selon les besoins du moment, une attitude oppressive où les plus simples concessions. Pas de sentiment non plus : ni attendrissement ni rancune, une égale horreur des faiblesses et des duretés inutiles : un orgueil tranquille qui repose sur la conscience d’une supériorité indiscutable et qui maintient naturellement les distances entre le maître d’œuvre et les exécutants. Du même coup, une solide indifférence à l’égard des idées et des coutumes locales, une singulière facilité à se contenter d’administration indirecte, le dédain du rapprochement humain et du rayonnement moral. Mais une vigilance extrême, une énergie tenace, une continuité d’action qui permet de corriger les excès ou les erreurs et qui, sous d’apparentes contradictions, attache à la même œuvre les partis les plus opposés […]

Hardy La politique coloniale et le partage de la terre aux XIX° et XX° siècles. Paris 1937

Le Chinois est voleur et le Japonais assassin ; l’Annamite, l’un et l’autre. Cela posé, je reconnais hautement que les trois races ont des vertus que l’Europe ne connotât pas, et des civilisations plus avancées que nos civilisations occidentales. Il conviendrait donc à nous, maîtres de ces gens qui devraient être nos maîtres, de l’emporter au moins sur eux par notre moralité sociale. Il conviendrait que nous ne fussions, nous, les colonisateurs, ni assassins ni voleurs. Mais cela est une utopie. […]

Pourquoi ? interroge quelqu’un.

Parce que, aux yeux unanimes de la nation française, les colonies ont la réputation d’être la dernière ressource et le suprême asile des déclassés de toutes les classes et des repris de toutes les justices. En foi de quoi la métropole garde pour elle, soigneusement, toutes ses recrues de valeur, et n’exporte jamais que le rebut de son contingent. Nous hébergeons ici les malfaisants et les inutiles, les pique-assiette et les vide-goussets – ceux qui défrichent en Indochine n’ont pas su labourer en France ; ceux qui trafiquent ont fait banqueroute ; ceux qui commandent aux mandarins lettrés sont fruits secs de collège ; et ceux qui jugent et qui condamnent ont été quelquefois jugés et condamnés. Après cela, il ne faut point s’étonner qu’en ce pays l’Occidental soit moralement inférieur à l’Asiatique, comme il l’est intellectuellement en tous pays…

[…] La fumerie de Torral était obscure, parce que les abat-jour à grandes lattes excluaient le soleil de deux heures. La lampe à opium jaunissait seule le plafond, et des volutes brunes roulaient pesamment dans l’air imprégné de la drogue. Le grésillement menu des pipes alternait avec du silence. Torral fumait, ses boys assoupis à ses pieds.

L’heure torride de la sieste abrutie, sans rêve. Saigon dort, et le soleil meurtrier règne dans les rues vides. Les fumeurs seuls continuent de vivre au fond des fumeries closes, et le fil de leur pensée, miraculeusement assoupli par l’opium, s’étire au-delà du monde humain, s’allonge jusqu’aux régions bienveillantes et lucides que Kouong-Ibsen voulut jadis ouvrir à ses disciples.

Claude Farrère, Les Civilisés, prix Goncourt 1906

L’homme ne faisait aucun mystère de son opiomanie : L’opium réellement, est une patrie, une religion, un lien fort et jaloux qui resserre les hommes. L’Européen et l’Asiatique sont pareils – nivelés – devant son sortilège tout puissant.

[…] Le soir, à l’heure où les Européens somnolent au club ou flirtent dans les salons, je feins de rentrer, blasé sur la vie mondaine. Et mon rickshaw m’emporte tout de suite le long des rues qui mènent au centre de la concession internationale. Les fumeries abondent, toutes accueillantes. J’entre au hasard de ma fantaisie, je m’étends près d’une lampe inoccupée, et tout de suite un boy à la face figée s’approche et prépare la pipe.

[…] Dans le petit pot plein d’opium gluant, le boy plonge l’aiguille. Puis, au-dessus de la lampe, il cuit la goutte perlée. La goutte s’enfle et bourgeonne. Il la pétrit et la malaxe contre le fourneau de la pipe ; il la roule, l’étire, l’assouplit – et finalement la colle d’une pression brusque au centre du fourneau, contre l’orifice du tuyau mince. Et moi, je n’ai plus qu’à sucer d’une longue haleine la fumée fade et têtue tandis qu’il maintient sur la flamme la pilule noire qui grésille, diminue et s’évapore.

[…] Lorsque se dissipe le voluptueux vertige, je soulève lourdement ma nuque et tends mes lèvres à la seconde pipe.

Claude Farrère. Fumée d’opium

Par la grâce des lettres, il devint importateur de mauvaises habitudes. L’opium, muse noire, le disputera, dans l’imaginaire des romanciers et de leur public, jusques dans les années vingt, à sa sœur verte, l’absinthe. Il en prend le relais, comme substance fabuleuse, danger tentateur, adjuvant poétique obligé – paré des séductions troubles et lointaines d’une Indochine et d’un continent extrême-oriental encore porteurs de toutes les séductions complexes de la fable et du désir.

Pierre Emmanuel Prouvost d’Agostino Les plus beaux récits de voyage. La Martinière 2002

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[1] Le kharoshti est un alphabet dérivé de l’araméen, probablement introduit dans le nord-ouest de l’Inde à l’époque d’Alexandre le Grand (vers ~326) et utilisé jusque vers 400 dans le nord-ouest de l’Inde et plus tard dans l’Asie Centrale.

[2] Aurel Stein fait ici allusion à Islam Akhoun, faussaire, qui réussit à vendre des documents en langue inconnue, soit disant trouvés dans les cités enfouies du désert, qui intriguèrent les orientalistes à la fin du siècle dernier, Stein démasqua l’imposture en 1901. (Michel Jan)

[3] À la suite d’une fusillade au café Paincourt, la Sureté avait dépêché des inspecteurs  : l’un d’eux, Grossot, est reconnu par des manifestants qui le molestent et le jettent dans le canal de la Robine : des Narbonnais l’en sortent et il se réfugie au poste de police de l’Hôtel de Ville : les soldats craignent une agression et tirent.