1755 à 1767 Le grand dérangement. Les esclaves de « l’Utile », et aussi du New Hampshire. La Bête du Gévaudan. 19980
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Publié par (l.peltier) le 5 novembre 2008 En savoir plus

1755  

L’Acadie, au sud de l’embouchure du Saint Laurent a été colonisée par des Français à partir de 1632. En 1713, les aléas de la politique internationale les font basculer dans le giron de la couronne anglaise : l’Acadie devient Nova Scotia : la Nouvelle Écosse. Jusque-là, moyennant une promesse de neutralité de leur part – on les nommait les French Neutrals – , promesse relativement bien tenue, ils prospérèrent sous la coupe anglaise : l’abbé Raynal pouvait écrire que c’était la plus heureuse peuplade de l’Amérique. Mais une série d’accrocs cassa l’harmonie : un certain abbé Le Loutre, se coiffa d’une autre casquette en devenant espion, dressant contre les Anglais les Indiens Micmacs ; la reprise des hostilités entre Canada français et Anglais fit sortir les Acadiens de leur neutralité et les Anglais découvrirent d’importantes caches d’armes : des mesures radicales furent prises et, le 11 août 1755, commença Le Grand Dérangement, c’est à dire la déportation d’environ 10 000 Acadiens : elle dura jusqu’en 1762 : ils furent installés majoritairement dans les 13 colonies anglaises d’Amérique – à la Nouvelle Orléans, les Acadiens vont s’angliciser en cajuns ; ceux qui parvinrent à s’échapper partirent au Québec ou sur l’île Saint Jean (entre l’Acadie et Terre-Neuve). Les derniers 3 500 partirent pour la France… où bien peu arrivèrent : tempêtes et variole firent des ravages pendant la traversée. M Perrot, gouverneur français de l’Acadie, capturé par les Anglais et emmené en Angleterre eut la chance de croiser Le Picard, figure de la flibuste française qui prit à l’abordage l’anglais et donc libéra le gouverneur.

28 juillet 1755 - Le Grand Dérangement des Acadiens - Herodote.net

The Deportation of the Acadians - The Canadian Encyclopedia

Déportation des Acadiens : un nouvel ouvrage explique la liste de John Winslow

début du grand dérangement : 1755

Emmanuel Kant avance qu’il doit exister des nébuleuses et des galaxies hors de la Voie lactée.

Construction de l’École Royale Militaire, qui s’adjoindra l’année suivante un manège de chevaux, dont le statut évoluera avec le temps pour devenir en 1964 la Société Hippique Nationale de l’École militaire, avec ses 90 chevaux, en plein cœur de Paris, qui se mettent à galoper les rares fois où on les sort de là pour aller, par exemple à Fontainebleau, désarçonnant ainsi les cavaliers qui n’ont pas été mis au parfum !

L'Ecole Militaire à Paris

17 02 1756

La terre tremblotte à Paris.

28 06 1756 

Le cuisinier du Maréchal de Richelieu, qui vient de prendre Port Mahon, à Minorque, une des îles Baléares, invente une sauce pour accompagner les viandes froides : de mahonnaise, elle deviendra mayonnaise. La prise de Minorque sera perçue en Angleterre comme une catastrophe nationale : l’amiral Byng, qui commandait la flotte de Méditerranée, fût condamné à mort et exécuté, le ministère renversé. Ce succès français fût l’exception qui venait confirmer la règle : une supériorité navale anglaise incontestable : 120 vaisseaux, autant en chantier contre 40 vaisseaux pour la France.

Les années passées ont mis en évidence un important changement politique en Europe : le roi de Prusse s’est révélé comme un fédérateur possible des Allemagnes, tandis que la maison d’Autriche prouve son déclin : le gouvernement de Louis XV en prend acte , et c’est le fameux renversement des alliances par lequel l’Autriche, ennemi héréditaire de la France devient un allié.

En Prusse, Frédéric II succéda en 1740 à Frédéric Guillaume I°. Traité avec une sévérité barbare par son père, il s’étoit formé à l’école du malheur ; Frédéric Guillaume lui laissoit en mourant une belle armée, des généraux pleins d’expérience, et des trésors considérables. Un nouveau principe vivifiant anima tout à coup un pays qui n’étoit qu’un point presque imperceptible en Europe, et le plaça hors de la sphère commune : à peine l’esprit eut-il le loisir de suivre les progrès de cette croissance, tant ils furent rapides. Mais la monarchie prussienne, en s’élevant, est une de celles qui renferma, à son origine, le plus de symptômes de décadence et de mort.

Le génie de Frédéric, surnommé le Grand, créa cette puissance redoutable : il avoit en tête, des ennemis exercés, qui lui disputèrent vaillamment la victoire. À la journée de Molwiiz, il dut la liberté, l’honneur et le triomphe à la rare présence d’esprit ainsi qu’à la bravoure de son général Schewerin : l’année suivante, il défait complètement, à la journée de Czalslaw en Bohême, le prince Charles de Lorraine, frère de l’empereur François I°. Frédéric conclut une paix glorieuse qu’il rompt en 1744 ; il envahit la Bohême, et subjugue d’abord une grande partie de cet État, d’où le prince Charles vient à bout de le chasser. Le monarque prussien porte ses armes en Silésie, et bat l’armée autrichienne, peu de temps après que les Français eurent battu, sous les ordres du maréchal de Saxe, l’armée combinée de Hollande et d’Angleterre. Frédéric écrivit à Louis XV : J’ai acquitté à Friedberg la lettre de change que vous avez tirée sur moi à Fontenoi. Tour à tour, l’allié ou l’ennemi de Marie-Thérèse, il quitte ou prend les armes suivant les intérêts de la monarchie prussienne : le gain de la bataille de Prague en 1757 coûta la vie à Schewerin et aux meilleurs officiers du monarque prussien. Son étoile pâlit à la fin devant celle de Marie-Thérèse ; Daun, aussi habile, aussi fertile en ruses que Frédéric, bat l’armée prussienne à Gholemitz, fait mordre la poussière à dix mille Prussiens, et, au bout de quelques mois, remporte une seconde victoire non moins éclatante, à Hoch-Rirchen. Laudon, autre général autrichien, presse Frédéric, le serre de près, et n’obtient pas des avantages moins glorieux. On ne voit plus dans la vie du roi, qu’un enchaînement de malheurs ; les Russes et les Autrichiens lui portent des coups redoublés. Il étoit perdu, sans la mort d‘Élisabeth, impératrice de Russie en 1762, et sans l’avènement, au trône de Pierre III qui, admirateur du génie de Frédéric, au lieu de combattre ce rival, le secourt, et lui donne les moyens de faire face au danger et de repousser les Autrichiens. La paix de 1765 permit à la monarchie prussienne de respirer, et de réparer ses nombreuses pertes ; paix honorable pour Frédéric, puisqu’elle lui assura la possession de la Silésie, et le replaça au même point qu’avant cette fameuse guerre de sept années.

Les Prussiens, aujourd’hui encore si peu recommandables sous le rapport religieux, furent la nation qui se convertit la dernière au christianisme, et qui embrassa, une des premières, la réforme de Luther. Depuis le meurtre de S. Adalbert en 1161, envoyé par Boleslas, roi de Pologne, pour dissiper dans ce pays les ténèbres de l’idolâtrie, jusqu’en 1300 la Prusse devint un théâtre de carnage : les chevaliers de l’ordre teutonique, ou porte-glaives, firent aux Prussiens une guerre d’extermination, et ces terribles missionnaires poussèrent leurs conquêtes jusque dans le grand duché de Lithuanie ; l’ambition, plus que le zèle de l’Évangile, conduisit leurs pas en tous lieux. Une partie de ces militaires périrent dans les combats, et, sous Albert de Brandebourg, la Prusse se trouva réduite à de très foibles ressources. De quelles étonnantes révolutions les peuples sont témoins depuis un demi-siècle ! Durant la longue et sanglante guerre de trente ans, à peine les Suédois, si foibles maintenant, daignèrent-ils faire attention à ce petit État de la Prusse, qui resta si longtemps sous la dépendance de lordre teutonique : certes, Louis XIV s’inquiétoit fort peu de compter l’électeur de Brandebourg au nombre de ses ennemis.

Un seul homme métamorphosa toute une nation, l’échauffa, en quelque sorte, du feu de son courage, de son génie, la fit briller de l’éclat des plus glorieuses victoires, et changea les destinées de la Prusse qui, seule d’entre les monarchies modernes, s’éleva subitement au faîte de la puissance et de la grandeur. Frédéric, marchant sur les traces des conquérans de l’antiquité, fondateurs d’empires, força la victoire de couronner ses glorieux travaux, et ce général roi, portant le sceptre sous les drapeaux, songea plus à conquérir des provinces, qu’à y jeter les bases d’un gouvernement sage et réglé sur la saine politique : le premier d’entre les souverains, il ne rougit point d’arborer l’étendard de l’athéisme, et de corrompre, par des écrits indignes d’un grand monarque, sa famille, son armée et ses sujets.

Depuis cette mémorable révolution, les puissances européennes ont mis sur pied des armées plus nombreuses, et le régime militaire a changé la forme de la plupart des gouvernemens, parce que la Prusse elle-même en avoit donné l’exemple : alors, dans ce royaume, tout présentoit un aspect guerrier, et le roi n’en étoit réellement que le premier soldat.

Écrire la vie de Frédéric, c’est, pour ainsi parler, tracer l’histoire du royaume de Prusse. Général habile, ce roi savoit pénétrer les vues de ses ennemis, et se rendre impénétrable dans les siennes. Réduit à ses propres forces, il fit face de toutes parts aux Russes, aux Saxons, aux Français, aux Autrichiens et il vint à bout, par son génie, son courage, son habileté, de dissiper celle ligue formidable qui, selon toutes les apparences, devoit l’écraser. Hardi pour les coups décisifs, il ne laissoit jamais échapper une occasion favorable de vaincre ; quelquefois, cependant, son audace fut mal combinée. Aucun prince ne sut mieux profiter d’une victoire, ni se relever plus promptement d’une défaite : on le croyoit perdu sans ressource, et peu de jours après il reparoissoit sur le théâtre de la guerre avec une armée nouvelle : aujourd’hui battu, et forcé de se tenir sur la défensive, demain il reprenoit l’offensive, pour harceler un ennemi bien supérieur en forces. Vif ou lent, selon les circonstances, campé dans la plaine, ou retranché sur des hauteurs inaccessibles, on le voyoit fondre comme l’aigle sur sa proie, ou fatiguer l’ennemi par des mouvemens continuels de campemens et de décampemens, et, à la tête de moins de quarante mille hommes, en lasser plus de cent mille : c’est principalement dans ces ruses de guerre que Frédéric excella.

Quoique vainqueur à Breslaw, Lissa, Rosbach, Lowositz, etc, la victoire lui fit pourtant de fréquentes et de cruelles infidélités, surtout à Chotsmitz, à Hockinchurn, à Cunnerdof. Son heureuse étoile pâlit constamment devant les Russes qui, dans presque toutes les rencontres, défirent ses généraux, et le battirent lui-même complètement à la journée de Francfort. Mille fois ce monarque eût été accablé, s’il avoit eu sur les bras des ennemis aussi actifs qu’ils étoient braves ; mais au lieu de marcher droit à Berlin, ils s’amusèrent à former des sièges, et finirent par se consumer ; la jalousie secrète qui régnoit entre leurs généraux, le servit merveilleusement : nul doute que les Russes et les Autrichiens confédérés, n’eussent étouffé dans son berceau la monarchie prussienne avec son roi victorieux. Si les Français avoient eu à leur tête un roi entreprenant, si le courage de cette nation eût été exalté au point où nous le voyons aujourd’hui, Frédéric n’eût pas joué un rôle aussi distingué. Ce que la postérité lui reprochera toujours, c’est de s’être trop aveuglément fié à la fortune, et de s’être exposé, avec une témérité inouïe, à des dangers auxquels il n’échappa que par une espèce de miracle.

Si l’on peut attaquer la gloire de Frédéric comme général, on peut également attaquer sa gloire comme monarque. On connoît ses liaisons avec les hommes qui propageoient alors dans toutes les cours de l’Europe, de fausses doctrines ; il aimoit, il caressoit les novateurs qui ont ébranlé tous les trônes. Il cultiva le double laurier de Mars et d’Apollon, et se montra beaucoup trop jaloux, pour un souverain, d’obtenir une réputation littéraire. Le laurier d’Apollon s’est déjà flétri ; on estime fort peu ses poésies franco-germaniques : ce n’est pas le poète que la postérité admire dans Frédéric, c’est le guerrier, le tacticien, le héros qui disciplina, avec tout l’art des anciens généraux romains, une nombreuse armée; le héros qui fit de si beaux exploits militaires, qui déconcerta ses ennemis par la hardiesse, la rapidité de ses marches, et qui plaça un peuple, jusqu’alors inconnu, au rang des nations les plus puissantes ; c’est le héros qui, dans l’une et dans l’autre fortune, déploya toutes les ressources d’un génie aussi actif qu’inépuisable. Voilà les véritables titres de Frédéric, ceux qui lui garantissent le surnom de Grand.

M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808

L’étude des mouvements de l’opinion publique au XVIII° siècle montre avec une éblouissante clarté que le désaccord qui s’esquissait en 1740, qui se précisa en 1756, sur la direction qu’il convenait de donner à la politique de la France au dehors, a été l’origine certaine de la séparation qui devait se produire quelques années plus tard entre le peuple et les Bourbons. On a cherché souvent la cause profonde de ce divorce entre une dynastie et une nation qui, pendant huit siècles, avaient été intimement unies, au point que c’était toujours dans l’élément populaire que les Capétiens avaient trouvé leur appui, tandis que les plus graves difficultés leur étaient venues des grands. Eh bien, du renversement des alliances date l’origine la plus certaine de la Révolution, qui devait aller jusqu’au régicide après avoir commencé par le simple désir de réformes dans la législation, l’économie rurale, les finances et l’administration. C’est sur une question d’intérêt national où, comme la suite des choses l’a prouvé, la monarchie avait raison, que naquit un malentendu destiné à s’aggraver jusqu’à la rupture.

[] c’est un bien singulier phénomène qu’une opération diplomatique conçue et exécutée par des esprits aussi calculateurs et aussi froids ait pris dans l’imagination populaire le caractère d’une conjuration entre les ténébreuses puissances du fanatisme, de la corruption et de l’immoralité. La monarchie française, en adaptant son système de politique extérieure à des conditions nouvelles, se montrait manœuvrière et novatrice. Le grand public ne la suivit pas, resta paresseusement dans l’ornière, attaché à un passé mort. Peut-être eût-elle fini par comprendre et par suivre le pouvoir si les conducteurs de l’opinion (c’étaient les philosophes) avaient été capables de l’éclairer. Mais ils se trouvaient engagés dans la même erreur par leurs idées, par l’amour-propre et par la position qu’ils avaient adoptée. Fut-ce rencontre ou calcul ? Il se trouva que le Hohenzollern, dont la politique tendait à la destruction du système européen établi par le XVII° siècle, fut un ami et un protecteur pour les adeptes d’idées qui elles-mêmes tendaient à renverser l’ordre des choses existant. L’ambition des rois de Prusse ne pouvait être satisfaite qu’au prix d’un bouleversement total de l’Europe. L’alliance de leur politique avec le mouvement philosophique d’où la Révolution devait sortir s’explique par là. Dès qu’un calculateur aussi pénétrant que Frédéric eut compris les avantages que comportaient pour lui les sympathies du libéralisme français, il les cultiva assidûment par des avances, des flatteries, où des arguments trébuchants et sonnants ne manquaient pas de renforcer la doctrine. En outre protestants, grand titre auprès des adversaires de l’Église, les Hohenzollern devinrent ainsi les champions du libéralisme européen. C’est plus qu’une grande ironie, c’est le scandale de notre histoire que le militarisme et l’absolutisme prussiens aient été adulés en France pendant cent cinquante années comme l’organe et l’expression de la liberté et des idées modernes avant d’être proposées à l’horreur et à l’exécration du monde civilisé au nom des mêmes idées.

Ce culte insensé de la Prusse grandit encore quand les principes un peu secs de l’Encyclopédie se furent mouillés de ceux de Rousseau. L’idée du droit naturel présentait les constructions de la politique, les modestes abris de la diplomatie comme autant d’entraves monstrueuses à la souveraine bonté de l’homme tel qu’il vient au monde, encore pur des corruptions de la société. C’étaient les traités, les combinaisons, les inventions des rois et des aristocrates qui entretenaient les conflits, engendraient les guerres détestables : ainsi parlait le Contrat social et la doctrine roussienne, dont Voltaire disait qu’elle donnait envie de marcher à quatre pattes. Qu’on laissât faire les peuples, les races se former en nations dans les limites fixées par la nature, et l’humanité connaîtrait enfin la paix. Frédéric, qui avait bénéficié de la vogue de l’Encyclopédie comme champion des lumières, bénéficia de la vogue du Contrat social comme champion du germanisme. Des contemporains, des disciples de Rousseau, Raynal, Mably, dont les livres eurent un succès immense, (Napoléon I° devait s’en nourrir), répandirent le principe qui allait devenir fameux sous le nom de principe des nationalités. Dès lors, en France et hors de France, la cause du libéralisme et de la révolution et la cause des Hohenzollern étaient liées. Et ainsi les philosophes flattaient la passion misonéiste et la simplicité de la foule. Ils paraissaient avancés, ils figuraient le progrès en face des formes réactionnaires (Bourbons, Habsbourg) alors qu’en servant la cause de la Prusse leur pensée enfantine et sommaire préparait un retour de la barbarie et ménageait à la civilisation et aux générations à naître les plus sombres destinées.

Jacques Bainville. Histoire de deux peuples, continuée jusqu’à Hitler. 1933

Le mythe du bon sauvage attribué à Jean Jacques Rousseau a sans doute quelques raisons d’être, mais il n’en a pas moins écrit : De l’état civil

Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la loi du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit, à l’appétit, l’homme, qui jusque là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants […]

Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces comparaisons, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile, qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété, qui ne peut être fondée que sur un titre positif.

On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté.

Jean Jacques Rousseau. Du Contrat social, chap.8

En matière artistique, le siècle des Lumières – ce siècle qui éclaire tout et ne devine rien, dit Julien Gracq – se maintint en droite ligne derrière les prises de position de la Renaissance : le Moyen Âge et son art gothique sont méprisables :

Dans son poème sur le dôme du Val de Grâce, Molière parle du fade goût des ornements gothiques.

La Bruyère, dans les Ouvrages de l’esprit : On a entièrement abandonné l’ordre gothique, que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples : on a rappelé le dorique, l’ionique et le corinthien

Pour Fénelon, l’architecture gothique est une invention des Arabes [1], un amas de colifichets

Montesquieu, dans son Essai sur le goût : La confusion des ornements fatigue par leur petitesse : ce qui fait qu’il n’y en a aucun sur lequel l’œil puisse s’arrêter. Un bâtiment gothique est une espèce d’énigme

Voltaire : On passa au XIII° siècle de l’ignorance sauvage à l’ignorance scolastique

Jean Jacques Rousseau : les portails de nos églises gothiques ne subsistent que pour la honte de ceux qui ont eu la patience de les faire.

L’Église a fondé la fraternité entre les hommes sur un père commun. Voltaire, soucieux d’écraser l’Infâme, peint sans état d’âme une humanité classée par ordre de races : on juge aujourd’hui cela primaire… à l’époque il ne faisait en cela preuve d’aucune originalité : Il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les blancs, les nègres, les albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Amériques ne soient des races entièrement différentes… les albinos sont au-dessous des nègres pour la force du corps et de l’entendement, et la nature les a peut-être placés après les nègres et les Hottentots au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de l’homme à l’animal…

La race des nègres est une espèce d’homme différente de la nôtre..

Essai sur les mœurs et l’esprit des nations.

Si l’on s’éloigne de l’équateur vers le pôle antarctique, le noir s’éclaircit, mais la laideur demeure.

L’encyclopédie, à l’article Nègre

Et même Montesquieu qui y va de son oui, mais L’esclavage est contre nature… quoi que… dans certains pays, il soit fondé sur une raison naturelle

En matière de race, c’est Buffon qui, à cette époque, est le plus proche de ce que nous en dit la science aujourd’hui : Dans l’espèce humaine, l’influence du climat ne se marque que par des variétés assez légères, parce que cette espèce est une, et qu’elle est très distinctement séparée de toutes les autres espèces. L’homme, blanc en Europe, noir en Afrique, jaune en Asie et rouge en Amérique, n’est que le même homme teint de la couleur du climat. Comme  il est fait pour régner sur la terre, que le globe entier est son domaine, il semble que sa nature se soit prêtée à toutes les situations, sous les feux de midi, dans les glaces du nord ;  il vit, il multiplie, il se trouve partout si anciennement répandu, qu’il ne parait affecter aucun climat particulier.

Qu’en est-il de fait de la couleur de la peau ?

Le soleil réalise deux opérations sur l’épiderme : il détruit l’acide folique [vitamine B] et c’est la mélanine – un pigment brun à noir – qui s’oppose à cette destruction ; par ailleurs il synthétise la vitamine D, qui évite le rachitisme : fragilisation et réduction des os, du bassin notamment pour les femmes, ce qui peut les empêcher de féconder. Il y a donc corrélation entre la mélanine et les rayons ultra violets. On connaît des exceptions à ces règles, dans des populations qui ne voient pratiquement pas le soleil, ce qui est le cas des Inuits : mais c’est parce que ceux-ci trouvent dans leur alimentation (foie de morue ou autre) la vitamine D qu’ils ne peuvent synthétiser par manque de soleil. Il en a été probablement de même pour l’homme de Cro-magnon qui, foncé de peau, trouvait dans son alimentation la vitamine D. Il faut plusieurs milliers d’années pour que la peau s’adapte au rayonnement solaire. Ainsi, les Noirs américains souffrent de leur inadaptation à un faible ensoleillement, qui se manifeste par des carences en vitamine D, et les immigrés australiens d’origine anglaise connaissent le plus fort taux de cancer de la peau. Les scandinaves du bassin de la Baltique sont devenus blonds il y a seulement 5 000 ans.

1756 

Une tempête endommage le pignon de la Sainte Chapelle, que le duc de Berry a fait construire à Bourges en 1391 et le chapitre refuse de prendre à sa charge la réparation. François de la Rochefoucauld, archevêque, la fait raser. Un peu plus grande que celle de Paris, elle avait une relique de la Vraie Croix, donnée au duc de Berry par son neveu, le roi Charles VI.

Après la cathédrale, la sainte chapelle tient le premier rang dans la ville de Bourges. Je ne sais pas si on peut voir plus bel édifice. Les ornements de la sacristie sont les plus riches que j’aie jamais vus : la matière et le travail surpassent l’imagination

Dom Martène, bénédictin. 1724

À l’extrémité de la rive gauche de l’estuaire de la Gironde, la basilique romane de Notre Dame de la Fin des Terres, sur la commune de Soulac, est ensevelie sous les sables d’une dune mouvante. Le vent qui l’avait ensablé la sortira de là au milieu du XIX° siècle. Plus au sud, à l’entrée du bassin d’Arcachon, c’est aussi vers 1850 que commence à se former la dune du Pilat, qui atteint alors 35 m. de haut, quand elle est aujourd’hui à 116 m.

Les Anglais s’emparent au cours de cette seule année de 300 navires de commerce français : ainsi commence la guerre de sept ans.

5 01 1757 

Robert François Damiens égratigne Louis XV avec un petit couteau destiné à plumer la volaille ! Il faisait très froid et le roi était bien couvert : la lame ne put qu’égratigner le dos royal. Il sera néanmoins écartelé vif.

4 03 1757 

Les Anglais sont les premiers à chronométrer une course à pieds : c’est entre deux marchands londoniens sur 100 yards, sur un terrain de cricket : le premier est chronométré à 11″ [soit 12″03 sur 100 mètres]. Le 30 septembre 1844, l’Américain George Seward un joueur de baseball sera crédité de 10″2 [soit 11″15 sur 100 mètres]. De 1910 à 2010, la vitesse moyenne sur 100 mètres progressera de 33.96 à 37.58 km/h.

23 06 1757   

Commandés par Robert Clive, les Anglais livrent une bataille rangée contre les nawabs du Bengale, alliés des Français à Plassey, 150 km au nord de Calcutta ; la bataille prendra grand place dans l’histoire de l’Inde comme marquant le début de la suprématie britannique : ainsi se construit l’histoire officielle, mais en fait il n’y eut pas de bataille : Robert Clive, avait payé les nawabs  pour qu’ils ne sortent pas leurs armes.

6 08 1757 

La terre tremble à Syracuse, en Sicile : on comptera 2 000 morts.

5 11 1757

Par la grâce de Madame de Pompadour, le général Charles de Soubise aux cotés du duc de Saxe-Hildburgausen se retrouve devant Rossbach à la tête d’une coalition franco saxonne forte de 64 000 hommes face aux 21 000 hommes de Frédéric II de Prusse : ce dernier va manœuvrer de main de maître et l’affaire sera entendue en moins d’une heure : un désastre, laissant sur le terrain des milliers de morts, les autres, pour la plupart estropiés regagnant la France clopin clopant en ruminant leur rage :

Les reproches de la Tulipe à Madame de Pompadour

Si vous vous contentiez, Madame,
De rendre le roi fou de vous,
L’amour étant l’affaire des femmes,
Nous n’en aurions aucun courroux,
Comprenez-vous ?

Mais depuis quelque temps, Marquise,
Vous voulez gouverner en tout ;
Laisse-moi dire avec franchise
Que ce n’est pas de notre goût,
Comprenez-vous ?

Que vous nommiez deux éminences
Et des abbés tout votre saoul,
Que vous régentiez les finances,
Après tout le soldat s’en fout,
Comprenez-vous ?

Mais quand vous nommez, pour la guerre,
Certain général archifou,
Il est normal que le militaire
Vienne un peu vous chercher des poux,
Comprenez-vous ?

Parce qu’un beau soir, à Versailles,
Vous avez joué les touche à tout,
Nous avons perdu la bataille
Et moi je n’ai plus qu’un genou,
Comprenez-vous ?

Je ne suis pas méchant, Marquise,
Mais vous savez, j’aimais beaucoup
Tous ces amis qui, sous la bise,
Ce soir ne craignent plus le loup,
Comprenez-vous ?

Je l’aimais bien, mon capitaine :
Il est tombé percé de coups ;
C’était un bon gars de Touraine,
Il ne rira plus avec nous,
Comprenez-vous ?

Tous ces amis, chère Marquise,
Seraient aujourd’hui parmi nous,
Si vous n’aviez nommé Soubise,
Cet incapable ! Ce filou !
Comprenez-vous ?

Car ce n’est pas un jeu la guerre,
Madame, il s’en faut de beaucoup !
On peut y perdre, comme mon frère,
Ses entrailles sur le caillou,
Comprenez-vous ?

Mais je ne fais pas de manière,
Et si je pleure devant vous,
C’est que mon père est dans la terre
Et que ma sœur n’a plus d’époux
Comprenez-vous ?

Du sang de mes chers camarades,
Un ruisseau rougit tout à coup ;
Aucun poisson ne fût malade,
Car les poissons avalent tout 
[2]
Comprenez-vous ?

Mais quand nous n’aurons plus de larmes,
Quand nous serons à bout de tout,
Nous saurons bien à qui, Madame,
Il nous faudra tordre le cou,
Comprenez-vous ?

Ceux qui n’étaient pas touchés directement se contentaient de brocarder :

Soubise dit, la lanterne à la main :
J’ai beau chercher, où diable est mon armée ? 
Elle était là pourtant, hier matin. 
Me l’a-t-on prise ou l’aurais-je égaré ? 
Prodige heureux ! La voilà, la voilà !
Ô ciel, que mon âme est ravie ! 
Mais non, qu’est-ce donc que cela ? 
Ma foi, c’est l’armée ennemie.

19 11 1757

Dans le nord, fondation de la Compagnie des Mines d’Anzin : 30 ans plus tard, elle emploiera plus de 4 000 mineurs.

5 03 1758

Contre une taxe de deux sols, le courrier est distribué neuf fois par jour à Paris et dans sa banlieue : c’est la petite poste.

16 03 1758 

Les Comanches envahissent la mission de San Saba – près de l’actuel Menard, au Texas – ; après une brève prise de contact pacifique, ils se livrent au massacre et au pillage : dix morts. L’affaire n’était que la conclusion d’un piège initialement tendu aux missionnaires espagnols par les Apaches, neuf ans plus tôt, à l’occasion de la signature d’un des innombrables traités de paix, à San Antonio : les Apaches avaient alors assuré des missionnaires de leur sincère désir de devenir sujets du roi d’Espagne et d’avoir leur propres missions, sur leurs terres d’origine, à proximité de la San Saba River. Et les missionnaires, suivis avec pas mal de méfiance des autorités civiles, avaient entrepris la construction de la mission de San Saba, laquelle en fait se trouvait en territoire comanche. Les Apaches, poussés vers le sud par les Comanches avaient concocté une très  astucieuse stratégie pour attirer les Espagnols sur le territoire des Comanches et ainsi se servir d’eux pour régler leur compte  aux Comanches. Les Espagnols ne se savaient pas en territoire comanche à San Saba, mais pour les Comanches, cette occupation d’une partie de leur territoire était une déclaration de guerre.

25 12 1758 

La comète de Halley est en vue de la Terre comme l’avait prévu Edmund Halley (1646 – 1742). Nombreux sont les hommes et les femmes qui, au sein de l’Observatoire de Paris, ont contribué à confirmer cette date, tout comme les calculs pour établir l’éphéméride, grâce auquel est déterminée la position quotidienne des astres. Et, parmi ces femmes Nicole Reine Étable de la Brière, épouse Lepaute, horloger du roi et concepteur de pendules astronomiques.

De 1735 à 1785, la production industrielle française, largement dominée par les manufactures royales, a connu une croissance plus rapide que la production anglaise. Mais l’innovation et la qualité ne suivent pas aussi vite : Trudaine, intendant général des finances, membre du conseil du commerce, fondateur de l’École des Ponts et Chaussées et membre de l’Académie des sciences, est bien placé pour s’en rendre compte et va mettre en place les prémices de l’espionnage industriel : sa meilleure recrue sera Gabriel Jars, ingénieur métallurgiste que Trudaine va envoyer sillonner l’Europe de l’Est et l’Angleterre pendant onze ans, de 1758 à 1769 ; muni de lettres de recommandation, bénéficiant du prestige encore intact de la Grande Nation, jouant le voyageur curieux mais désintéressé, ses hôtes s’empresseront de lui ouvrir les portes de leurs ateliers ; le soir, le bonhomme rédigeait son rapport. Malgré le déploiement de quelques ruses supplémentaires de la part des Anglais, bien conscients de leur avance, notre gaillard parvint à être utile à son pays. Autre recrue de choix : un catholique anglais, John Holker, qui visa surtout le secteur du textile, organisa le départ vers la France de dizaines de tisserands anglais très qualifiés. On estime aujourd’hui que les succès de la coutellerie de Thiers, ceux des soies moirées de Lyon, viennent directement de ces premiers pas de l’espionnage industriel.

Le marquis Louis Joseph de Montcalm a quitté son très bel hôtel de la rue des Messagers à Montpellier – aujourd’hui rue de l’Ancien Courrier – le 6 février 1756 avec le titre de lieutenant général des armées en Nouvelle France, commandant les troupes françaises en Amérique du Nord ; il ne peut empêcher la prise de Louisbourg, qui commande l’embouchure du Saint Laurent : la colonie française ne pouvait désormais plus être sauvée. Québec sera prise le 13 septembre 1759 après la victoire anglaise des plaines d’Abraham -, aujourd’hui intégrées au parc des champs de Bataille, au cœur de la ville de Québec -.  Il ne pouvait en être autrement : le déséquilibre démographique entre Anglais et Français y était trop favorable aux Anglais : un million et demi de colons entre les Alleghanies et la mer, et 60 000 Français qui pouvaient chevaucher librement des bouches du Saint Laurent aux Montagnes Rocheuses et des Grands Lacs au Golfe du Mexique. En 1754, un parlementaire français, Jumonville, avait été tué : les Français avaient alors riposté en attaquant des anglais commandés par Washington… les Anglais attaquèrent par la suite un convoi de renforts français au Canada, puis saisirent en Atlantique plus de 300 vaisseaux français. Et en France, Voltaire, dans Candide, flattait, plus qu’il ne la contrariait, l’opinion générale : Vous savez que deux nations font la guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada et qu’elles dépensent pour cette belle guerre plus que le Canada ne vaut.

Les colons d’Amérique n’avaient pas trop de choix économiques à faire, au moins pour ceux des États du nord (ceux du sud avaient leurs plantations de tabac, de riz, puis de coton, riches des esclaves que l’on continuait de faire venir d’Afrique) : à l’ouest les indiens occupaient tout de même l’espace, et vers l’est, dans l’Atlantique, les Anglais s’opposaient physiquement à toute exportation vers l’Europe de produits qu’ils auraient pu fabriquer : c’était l’exclusif colonial ; ils se tournèrent vers la mer, occupant toute la gamme de ce qui concerne un navire : chantiers de construction navale – le bois était tout proche, et abondant dans les immenses forêts -, comptoirs, navigation au long cours et grande pêche. À Baltimore, New-York, Philadelphie, Boston, ils rivalisèrent pour améliorer les vieux modèles anglais, recherchant avant tout la vitesse, sauvegarde des contrebandiers et des marchands d’esclaves, garantie d’un bon prix pour les pêcheurs et de prises assurées pour les corsaires. La nouveauté était surtout dans l’architecture, pas dans le matériau utilisé : l’abondance de bois était telle qu’elle ne suscitait aucune recherche pour envisager un autre matériau.

16 09 1759   

Première étape de la mise à mort de l’ordre des Jésuites, dont le titre pourrait n’être que la reprise du vieux proverbe Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.

Sebastiao José de Carvalho e Melo, premier ministre du roi du Portugal Joseph I°, – qui va devenir marquis de Pombal – s’est donné de nombreuses bonnes raisons pour haïr les Jésuites. L’affaire des réductions en Amérique du Sud n’est pas encore terminée ; les Portugais ont eu à souffrir des Guaranis, armés par les soins de l’Espagne ; ces sauvages se refusent à devenir esclaves des mamelus, de plus on est persuadé à Lisbonne que les territoires de ces réductions recèlent d’immenses gisements d’or. Un attentat récent et manqué contre le roi aurait été monté en sous-main par des Jésuites ; il ne lui en faut pas plus pour donner l’ordre d’expulser les quelques 400 jésuites du Portugal vers les États Pontificaux. Ceux d’Amérique du sud se trouvant en territoire portugais sont incarcérés sans jugement dans les cachots de Belem et de Saint Julien. Pour autant, les Jésuites n’étaient pas ses seules têtes de Turc : il aura fait emprisonner, pour des durées variables, pas moins de 4 000 opposants !

18 09 1759  

Les Anglais s’emparent de Québec : Montcalm, qui leur a taillé bien des croupières depuis trois ans – prise de fort William Henry, bataille de Ticonderoga –  est mortellement blessé dans les combats du 13 septembre : il en va de même de Wolfe, le commandant anglais. Montcalm avait alors 3 500 hommes à ses cotés, Wolfe 1 000 de plus. Mais, globalement la disproportion entre les troupes françaises et anglaises était encore beaucoup plus importante : 23 000 militaires chez les Anglais, avec une importante marine de guerre, 6 800 militaires et marins chez les Français et 10 000 miliciens.

11 1759

Georges Washington a déjà été candidat à la présidence de la colonie de Virginie en 1755 et il a perdu. Il remet le couvert quatre ans plus tard, mais cette fois-ci prend la précaution d’étancher la soif des électeurs en les approvisionnant en cidre et en punch, ce qui lui coûte 195 $, somme alors conséquente. Peu de temps après, la nouvelle assemblée votera une loi interdisant aux candidats ou à quiconque en leur nom, d’offrir aux électeurs de l’argent, de la viande, des boissons, des divertissements, des provisions ou n’importe quel cadeau, présent ou récompense, afin d’être élu. 

20 11 1759 

La bataille navale des Cardinaux, proche de Quiberon, met aux prises les forces navales françaises et anglaises et voient la flotte française essuyer une sévère défaite : entre autres navires est pris le Formidable : tout son équipage est donc prisonnier : parmi eux, un jeunot de 18 ans Jean François Galaup de Lapérouse, servant comme garde marine. Il sera échangé.  Durant toutes ces années passées à Brest, il prendra le temps d’être initié à la Franc Maçonnerie.

1759     

En France, levée de la prohibition sur les calicots et les indiennes, ces cotons aux couleurs rutilantes fabriqués en Asie : les amateurs de soieries commencent à bouder leurs anciennes préférences ; les soyeux de Lyon vont dès lors perdre petit à petit leur rôle de leader dans le monde changeant de la mode ; mais dans le même temps, l’allemand Christophe Philippe Oberkampf créait une manufacture de toiles imprimées à Jouy en Josas, en utilisant des planches de cuivre gravées : l’entreprise vivra jusqu’en 1843.

Si le marché des calicots et des indiennes a donné lieu à quelques pratiques parfaitement odieuses des Anglais sur les tisserands indiens, dans l’ensemble, c’est tout de même le consommateur final qui a établi le marché : longtemps, les tours de main, les secrets de fabrication auront tourné à l’avantage des Indiens, ces derniers parvenant à une qualité finale que les Anglais comme les Français ne parvenaient pas à atteindre, donnant lieu à un véritable espionnage industriel :  en 1734, le lieutenant Beaulieu avait été envoyé par la Compagnie Française des Indes Orientales pour observer à Pondichéry la méthode de fabrication des indiennes : Il mit quatre livres de raye de chaye [une racine qui donne le rouge] pulvérisée dans quatre pots d’eau, et y ayant plongé la toile il la fit bouillir à très petit feu pendant quatre heures, ayant attention de remuer la toile qu’il laissa dans le vase retiré du feu, jusqu’à ce que la liqueur fut refroidie. Alors il la pressa entre ses mains la fit sécher, la lava et la fit sécher de nouveau. Comme il se trouva quelques tâches sur la toile, il les fit enlever avec du citron ou du fruit de jambelon. Ici je coupai mon neuvième morceau.

Ce n’est qu’avec les nouveautés techniques – la spinning jenny de James Hargreaves en filature, le métier d’Arkwright en tissage que les Occidentaux parviendront à l’emporter sur les indiennes et les calicots. Gandhi tentera de redonner du lustre à cette activité avec son rouet, en vain.

Accusés de complicité dans un attentat contre le roi du Portugal, 82 jésuites sont exécutés.

24 01 1760 

Arthur Dobbs, riche propriétaire terrien en Caroline du Nord, dont, accessoirement, il est gouverneur, écrit à Peter Collinson, un botaniste anglais de la Royal Society : La grande merveille du règne végétal est une espèce sensitive inconnue et très curieuse. Il s’agit d’une plante naine dont les feuilles ressemblent au segment précis d’une sphère et sont formés de deux moitiés semblables à un gousset ; leurs parties concaves sont tournées vers l’extérieur et chacune d’elles a un bord replié à marges dentelées, comme un piège à renard. Et elles se referment justement comme un piège dès que quelque chose les touche ou tombe entre elles ; c’est ainsi qu’elles emprisonnent tout insecte ou objet à leur portée ; cette plante surprenante produit une fleur blanche et je l’ai baptisée du nom de Fly Trap Sensitive (dionée attrape-mouches). Peter Collinson transmettra le courrier à John Ellis qui la nommera Dionaea muscipula, première fleur carnivore connue, qui la transmettre à Linné.

L’aspect remarquable de l’affaire réside dans le fait que c’est la première fois qu’une découverte vient remettre en question la représentation que l’on s’est jusqu’à présent faite de l’ordre immuable des choses : le sommet de la pyramide est occupé par l’homme, roi de l’univers, ensuite vient le règne animal, puis ensuite le règne végétal (qui représente en poids entre 99.05 % et 99.95 % du vivant). Comment pourrait-on donc accepter qu’un végétal parvienne à vivre en devenant prédateur du monde animal ?

Ellis estimait affirmait donc que cette plante chassait dans le monde animal, en était donc une prédatrice quand Linné s’y refusait en la classant dans les fleurs sensitives : les fleurs qui répondent à un stimuli. Ce faisant, ce dernier faisait donc le moins de vagues possibles, tout en s’éloignant de la réalité des caractères de cette fleur, tandis qu’Ellis avait pour lui la rectitude du scientifique. Mais Linné était plus connu qu’Ellis, et c’est donc le classement du premier  qui l’emporta. Il faudra attendre 1875 quand Darwin publiera Insectivorous Plants pour que justice soit rendue à Ellis. Et il faudra encore attendre beaucoup plus longtemps pour que l’on s’explique cette fonction qui existe chez les plantes qui sont dans un milieu trop rare en azote, indispensable au développement des protéines, pour assurer leur développement, et qui le trouvent ainsi dans les insectes qu’elles capturent.

05 1760 

Joseph Kempf habite Schlierbach, un ville alsacien du sud de Mulhouse proche de la frontière suisse. L’activité principale du village est la contrebande de … chiffons, oui, des chiffons avec la Suisse, (tout comme l’Allemagne) qui les achète à un prix bien supérieur au prix français : le chiffon est jusqu’alors un des composants principaux de la fabrication du papier. Et ce jour-là, le sieur Kempf surprend seize hommes bien chargés de chiffons ; il les prévient que d’autres hommes sont sur leur piste et leur indique une grange où déposer leur charge, pour y revenir plus tard, une fois le danger éloigné, excellent moyen pour le sieur Kempf de s’emparer du butin pour le revendre à son compte. Mais les seize lascars ont deviné de quoi il retournait et reviendront chez le sieur Kempf lui-même, pour tout casser. Ah ! qu’il est dur d’être contrebandier ! Schlierbach n’était pas un cas d’espèce et la contrebande était généralisée, au point de provoquer une vive et bien maladroite réaction des représentant de l’État : il est fait défense à toutes personnes, de quelques état qu’elles soient, de faire, dans l’étendue de la haute et basse Alsace, aucun amas de vieux linge, vieux drapeaux, drilles et pattes, rognures de peaux et de parchemins, et autres semblables matières, servant à la fabrication du papier, pour les faire sortir du royaume, et à tous les voituriers, bateliers et colporteurs de les charger pour les enlever, voiturer et transporter hors des limites de ladite province d’Alsace, du côté de l’étranger, sous peine de confiscation des dites matières, ensemble de chevaux, charrettes et bateaux qui auront servi ou serviront audit transport, et de trois mille livres d’amendes, dont un  quart applicable au profit du dénonciateur.

Lequel texte ne fera que renforcer la contrebande ! Et ainsi nous est donné l’origine de l’expression se battre comme des chiffonniers. Ce n’est que bien plus tard que le chiffon cédera le pas au bois dans la fabrication du papier, améliorant ainsi considérablement le rendement et faisant baisser le coût, mais ce sera au détriment de la qualité. La Banque de France conserve toujours une part importante de chiffons dans la fabrication du papier des billets de banque.

1760

Horace Bénédicte de Saussure est au sommet du Brévent, dans les Aiguilles Rouges, en face du Mont Blanc, où il ira plus tard en compagnie de Jacques Balmat, cristallier de son état. Solignac invente le pétrisseur mécanique pour la boulangerie et Charles Michel, abbé de l’Épée, fonde l’Institution des sourds et muets. Des Juifs espagnols se sont réfugiés dans le sud de la France pour fuir l’Inquisition : nombre d’entre eux sont maîtres chocolatiers et se sont installés à Bayonne où on les nomme les Portugais : ils vont faire de Bayonne un haut lieu du chocolat en France.

Le sultan alaouite Muhammad III ibn Abd Allah commande à l’architecte français Théodore Cornut la reconstruction de Mogador, – aujourd’hui Essaouira, au nord d’Agadir -, ancien port fortifié par les Portugais. Mogador se trouve à l’arrivée des caravanes du Soudan qui s’approvisionnent à Tombouctou en esclaves, plumes d’autruche et poudre d’or. Le Maroc est alors la seule région du Maghreb qui ne dépend pas d’Istanbul.

Les édiles de la Sérénissime – c’est ainsi que l’on nommait alors Venise – voient plus loin que le bout de leur nez : il s’agit de pêche, l’une des principales ressources de la ville : La grave affaire qu’est l’épuisement des ressources devrait intéresser les pêcheurs […]; pourtant, par malveillance et cupidité, certains d’entre eux, agissant contre la volonté des organisations publiques et contre le bien commun, ne suivant que leur propre intérêt servi par un libertinage incorrigible et scandaleux, se sont permis de pêcher en tous lieux et en tous temps, usant d’outils très dangereux et universellement interdits […], causant la destruction totale du petit poisson.

Loi qui régule la pêche lagunaire promulguée par la Giustizia Vecchia, 1760 (Archivio di Stato di Venezia, Compilazione delle Leggi, série 1, busta 302, folio 538)

Pesce – Poisson – désigne alors l’ensemble des produits de la mer consommés frais, où l’on distingue le poisson blanc (dorade, esturgeon, thon) vendu sur les marchés, du poisson noir ou poisson-peuple (coquillages, huîtres, gobie, palourde, rouget, poulpe, sardine), vendu par des ambulants. Le poisson conditionné (salé, fumé ou mariné) très souvent importé d’Europe du Nord, forme la catégorie des salumi, vendu dans des boutiques spécialisées. Certains bassins de la lagune sont aménagés en zone d’élevage, appelée valli da pesca. On estime la consommation de poisson de 25 à 32 kg/personne/an, quand elle est aujourd’hui de 20 kg/personne/an.

31 07 1761 

L’Utile, capitaine La Fargue, une frégate négrière de la Compagnie française des Indes a appareillé huit jours plus tôt de Foulpointe, un port de Madagascar avec à son bord 160 esclaves malgaches, embarqués frauduleusement, qu’il doit débarquer sur l’île Rodrigues, une des trois îles Mascareignes, comptoir portugais, 560 km à l’est de l’île Maurice.

Mais il ne peut pas savoir que la carte dont il dispose est fausse, depuis que le capitaine Briand de la Feuillée, commandant la Diane a découvert en août 1722 l’île de Sable, un îlot d’à peine un km², plat comme la main, tout juste fréquenté par des tortues vertes et des fous masqués (un oiseau), cinq cent kilomètres à l’est de Madagascar, et a fait une erreur en la positionnant sur la carte. L’Utile se fracasse sur le récif corallien de la toute petite île. La mer nous a pris de travers. […] Enfin, on s’est déterminé à jeter la mâture à la mer. […] Mais les coups de talon ont continué, le vaisseau tombait sur le tribord à faire frémir. Dubouisson de Keraudic, écrivain du bord

L’équipage gagne la terre ferme à la nage : vingt d’entre eux n’y parviendront pas. Nul n’a songé à déclouer les panneaux de cale qui emprisonnent les esclaves : une lame va s’en charger, libérant les esclaves tant hommes que femmes : 88 d’entre eux atteindront le rivage, mais 20 mourront peu après d’épuisement, de soif ou de suites de blessures.

Deux mois plus tard, les cent vingt naufragés français qui constituaient l’équipage sont parvenus à construire une embarcation de fortune avec les bois de l’épave : on regagne Madagascar, mais ne vous inquiétez pas, dès que ce sera fait, on vient vous chercher, disent-ils aux esclaves qu’ils laissent sur l’île. Ils ne reviendront jamais : Castellan, le second devenu commandant de fait, en dépit de son évidente volonté de tenir promesse, ne parviendra pas à décider ses supérieurs à affréter un nouveau navire pour aller chercher des esclaves : tous étaient partie prenante, de près ou de loin, de ce trafic. Les esclaves s’organiseront de leur mieux : ils avaient déjà trouvé quand les Blancs étaient encore présents, de l’eau potable [en fait saûmatre] en creusant un puits, se nourrissant de fous, de tortues et des œufs de celles qui restent. Mais cela ne pouvait suffire, – les ressources d’une île d’un km² sont très limitées, – et s’installa vite un régime plus proche de la survie que de la vie. Deux ans plus tard, dix-huit d’entre eux tenteront leur chance sur un radeau de fortune.

Quatorze ans plus tard, en 1775, un navire tentera de secourir les naufragés, mais ne parviendra à débarquer qu’un homme qu’il abandonnera car la tempête rendait impossible son retour à bord. Le marin construit un radeau de fortune, embarque trois femmes et les trois derniers hommes, qui vont disparaître à leur tour. Et encore un an plus tard, le 28 novembre 1776, l’enseigne de vaisseau Tromelin, commandant la corvette La Dauphine, mettant pied à terre sur l’île, y découvrira huit survivants : sept femmes et un bébé de huit mois, qui sera nommé Moïse : déclarées libres et baptisées, elles seront débarquées sur l’île de France. L’île prendra le nom du commandant de La Dauphine. Par son ami Bernardin de Saint Pierre, Condorcet aura vent de l’affaire et l’insérera dans ses Réflexions sur l’esclavage des Nègres en 1781, qui sera un des éléments qui mèneront à l’abolition de l’esclavage le 4 février 1793 : Tous les hommes sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. 

Max Guérout, ancien officier de marine, vice-président du Groupe de Recherche en Archéologie Navale, redécouvrira [3] l’affaire avec une expédition nommée Esclaves oubliés fin 2006. Irène Frain écrira Les Naufragés de l’île Tromelin, en 2009, Chez Michel Lafon. Une exposition se tiendra en 2015/2016 au château des Ducs de Bretagne, à Nantes. Une BD, Les esclaves oubliés de Tromelin, par Sylvain Savoia, Chez Dupuis. Un site : www.lesnaufragesdeliletromelin.fr. Mas Guérout entreprendra plusieurs campagnes de fouilles pour savoir comment ces esclaves malgaches avaient pu organiser leur survie dans cet environnement hostile et il mettra à jour nombre de restes d’habitat en dur, à base de coraux arrachés à la mer, témoins d’une inventivité et d’un savoir-faire certains. Les morts avaient disparu en mer faute d’embarcation fiable et sans doute aussi faute de compétences nautiques, mais sur l’île peu étaient morts de malnutrition, voire de faim. Une plaque sera apposée sur l’île : À la mémoire des 80 esclaves malgaches de l’Utile (31 juillet 1761) qui furent abandonnés durant 15 années sur cette île déserte. Seuls sept femmes et un enfant survécurent et furent secourus le 29 novembre 1776 par l’enseigne de vaisseau Jacques-Marie Le Tromelin qui donna son nom à l’île.

Plaque apposée par Victorin Lurel, ministre des outre-mer le 16 avril 2013.

[Fig.2] Vue aérienne de l’île de Tromelin depuis le nord-est.

On aperçoit les bâtiments de la station météo construits plus tard sur le point haut de l’île, la piste d’atterrissage. La flèche indique l’emplacement des restes de l’épave.

Les esclaves oubliés de Tromelin - 20000 lieues sur le net

1 700 mètres de long, 700 mètres de large, 3.7 km de côte.

1761

Marc Bonifas, dit Du Carla, propose de faire figurer les hauteurs sur les cartes : la mesure sera officialisé en 1802, en prenant comme point zéro le niveau de la mer.

20 01 1762  

Le servage personnel existait encore en Savoie plus qu’en France certainement parce que les mœurs l’avaient rendu tolérable : il tenait tout entier dans le droit de main-morte. En vertu de ce droit, le seigneur reprenait les biens du serf mourant sans héritier mâle, autrement dit, les biens faisaient échute au seigneur. (La taillabilité personnelle astreignait le taillable ou mainmortable au droit d’échute qui, dans certaines paroisses n’était pas appliqué s’il existait une fille comme héritière.)

Manuscrit de P. J. Morand.

Le précédent souverain, Victor Amédée II, décédé en 1730, avait tenté de porter remède à cela. Charles Emmanuel III le tenta à nouveau par un édit du 20 janvier 1762 : La taillabilité personnelle qui subsiste dans notre duché de Savoye sous des règles et dénominations différentes a toujours été regardée comme contraire au bien public tant par l’inégalité odieuse qu’elle met dans l’état personnel de Nos Sujets que par les divers inconvénients qu’elle produit. Nous avons à l’exemple de nos Roïaux Prédécesseurs cherché avec soin les moïens les plus propres à anéantir cette espèce de servitude en procurant néanmoins à nos Vassaux et autres intéressés un dédommagement convenable & comme les mesures prises à ce sujet par les anciens édits n’ont pas eu le succès désiré, soit par rapport à la taxe déterminée par iceux, soit à cause du Tot Quot (droit perçu par le fisc ducal sur le prix d’un affranchissement et en approchant de la moitié), dû à nos finances… Nous sommes en même temps déterminés en préférant la liberté de Nos Sujets à l’avantage de Nos Finances à nous départir par un effet de nos bontés du Droit de Tot Quot dans tous les affranchissements qui se feront à l’avenir & à affranchir même tous les Taillables de Notre Domaine sans paiement d’aucune finance…

Article 4 : Nous autorisons et invitons même toutes les communautés à traiter avec les seigneurs de l’affranchissement général de tous les Taillables ou Liege de leur Paroisse respective moïennant le paiement d’une somme qui sera entre eux convenue.

Charles Emmanuel III. Édit du 20 Janvier 1762. Archives communales de Megève.

17 06 1762 

Voltaire assassine Jean-Jacques Rousseau : L’excès de l’orgueil et de l’envie a perdu Jean-Jacques, mon illustre philosophe. Ce monstre ose parler d’éducation ! lui qui n’a voulu élever aucun de ses fils, et qui les a mis tous aux Enfants-trouvés. Il a abandonné ses enfants et la gueuse à qui il les avait faits. Il ne lui a manqué que d’écrire contre sa gueuse, comme il a écrit contre ses amis. Je la plaindrai s’il est pendu, mais par pure humanité, car je ne la regarde personnellement que comme le chien de Diogène, ou plutôt que comme un chien descendu d’un bâtard de ce chien.

Je ne sais s’il est abhorré à Paris comme il l’est par tous les honnêtes gens de Genève. Soyez sûr que quiconque abandonnera les philosophes fera une fin malheureuse. […]

Je vous embrasse avec la plus grande chaleur.

V. Lettre à d’Alembert

28 06 1762

Le tzar Pierre III est parvenu à se mettre à dos le Sénat, la Cour et la Garde impériale, qui soutiennent sa femme, née Sophie d’Anhalt-Zerbst, princesse allemande, devenue Catherine depuis sa conversion à l’orthodoxie : la garde force le tzar à abdiquer et Alexis Orlov, ami de Catherine, se charge de le liquider : annonçant alors que son mari avait succombé à une colique hémorroïdale compliquée d’un transport au cerveau, elle prit le pouvoir, devenant Catherine II… Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites. Pouchkine, qui ne parvint pas à prendre au sérieux sa volonté de réformes, parla de Tartuffe en jupons, opinion que ne partageait sans doute pas Diderot, qui préférait parler de Sémiramis du Nord,  l’âme de Brutus au corps de Cléopâtre. Elle-même préférait se nommer la sentinelle qu’on ne relève jamais.

La princesse Catherine Vorontsov Dashkov, l’une de ses dames de compagnie, fut impliquée dans l’assassinat de Pierre III. Mais comme les assassins étaient les vainqueurs, on en resta à des rumeurs de salon. Cette même princesse fit montre de son grand courage patriotique plus tard lors d’un séjour à l’hôtel de Russie de Dantzig, où elle fût choquée par la vue, dans le grand salon, des peintures de deux batailles perdues par les soldats russes, blessés, mourants ou agenouillés devant les Prussiens. Le chargé d’affaires russe n’étant pas disposé à demander la destruction de ces peintures à l’huile, Dashkov et quelques amis russes se procurèrent des tubes de peinture à l’huile, s’enfermèrent dans la pièce, et firent échanger aux troupes leur uniforme. Les Prussiens, – censés être vainqueurs dans les deux batailles – devinrent des Russes, tandis que les vaincus revêtirent des uniformes prussiens.

(… il n’est pas sur que de simples potaches des Beaux Arts auraient osé faire une blague aussi bête ; eh bien, les aristocrates russes, eux, l’ont faite !)

En Russie, Catherine I° étant descendue au tombeau en 1727, Pierre II, petit-fils de Pierre-le-Grand, encore en bas âge, lui succéda. Le prince Menzicoff exerça la principale autorité durant la minorité du czar, et porta ses vues jusque sur le trône : il étoit à la veille de marier une de ses filles avec Pierre II, lorsque le prince Dolgorouski trama habilement la perte de ce rival qui, ayant été saisi, fut revêtu d’un habit de paysan, et relégué, avec toute sa famille, dans les déserts de la Sibérie, où bientôt Dolgorouski même, dépouillé à son tour, également triste jouet de la fortune, ne tarda point à le suivre, pour y traîner une misérable vie.

Pierre II étant mort à l’âge de seize ans, les grands reconnurent pour impératrice, Anne Iwanowa ; la cour de Pétersbourg devint un foyer d’intrigues et de petites révolutions. Biren, d’une extraction aussi basse que celle de Menzicoff, gouvernoit le cœur et l’esprit de cette souveraine qui le fit nommer duc de Courlande. Les Russes n’eurent point à se plaindre d’avoir une femme à leur tête ; les grands seuls eurent à souffrir des persécutions du favori qui, du reste, ne manquoit ni d’intelligence dans l’administration, ni de vues sages et utiles à la prospérité publique. Anne Iwanowa s’éteignit en 1740, et laissa le trône à Ivan VI, encore enfant, sous la tutelle d’Anne de Mecklembourg sa mère, princesse qui, sans expérience, fut gouvernée par une favorite : une fille de Pierre-le-Grand vivoit encore ; c’étoit Elisabeth Pétrowna.

En Russie, un jour, une nuit bornent le cours des événemens les plus terribles ; le lendemain tout est en repos, et les mœurs nationales n’en paroissent nullement altérées ; on peut dire que les révolutions s’opèrent paisiblement dans le silence et dans l’ombre du mystère. Quand Ivan VI fut précipité du trône, en 1741, des gardes respectant le sommeil de l’innocence, dit le savant historien Lévesque, attendirent, autour de son berceau, les premiers rayons du jour. Cet enfant qui s’étoit couché souverain, à son réveil n’étoit plus qu’une tendre victime de l’ambition ; on l’enleva du palais impérial pour le renfermer dans une citadelle : la grande duchesse Anne fut également arrêtée dans son lit, renfermée, et ensuite conduite hors de l’empire, avec son époux.

Durant dix-sept années de règne, Élisabeth, aussi prudente dans sa conduite politique, que douce et affable à ses sujets, rendit encore plus respectable la puissance des Russes, et prit une part active aux affaires de l’Europe ; elle avoit les sentimens, l’élévation d’âme de Catherine, sa mère, et tout le génie de Pierre-le-Grand.

Cette souveraine eût renversé le nouveau royaume de Frédéric-le-Grand, si la mort ne l’eût enlevée en 1762. Elle avoit désigné pour lui succéder, Pierre de Holstein, son neveu, depuis quelques années, uni par les liens du mariage, avec la célèbre Catherine d’Anhall-Zerbst. Le czar, admirateur des évolutions prussiennes et du Code Frédéric, n’eut que les inclinations, les passions et les goûts d’un soldat : il parut ridicule aux yeux des grands qui lui entendoient parler sans cesse de réforme. La crainte que ces discours inspiroient opéra une révolution ; l’impératrice, dédaignée par son époux bizarre, se mit à la tête des nobles conjurés, dirigés par Orlof, amant de Catherine, et par le comte Panin : celle conspiration fut conduite avec une effrayante dextérité. Pierre III régnoit depuis six mois, lorsque, le 8 juillet, Catherine gagna, pendant la nuit, les soldats, et le lendemain se fit proclamer czarine.

Pierre III avoit encore les moyens de châtier les auteurs de la révolte, s’il eût voulu suivre les avis du général Munich ; mais l’empereur délibéra au lieu d’agir, et tout fut perdu : abandonné des troupes, il se rendit auprès de son épouse qui le fit renfermer dans une forteresse, où, peu de jours après, le traître Orlof, suivi de quelques complices, étrangla le czar, forfait dont l’histoire ne sauroit parler sans flétrir le nom de l’impératrice, pour l’intérêt de laquelle des scélérats le commirent, et que depuis elle honora des plus grandes faveurs.

Catherine étoit née pour gouverner un grand empire : les Russes, encore une fois, n’eurent point à rougir d’avoir une femme pour souveraine ; sa vigilance s’étendit sur toutes les parties de l’administration civile et militaire ; elle sut faire un habile choix de ses ministres et de ses généraux ; ses talens politiques égaloient la vigueur de son esprit. En peu d’années, les Russes, sous un tel guide, acquirent une prépondérance marquée en Europe ; leurs armées devinrent la terreur des autres nations, et de rapides conquêtes inspirèrent un effroi presque universel : on commença à craindre, pour un court avenir, que le nord de l’Europe n’écrasât le midi ; tout prit un aspect nouveau en Russie, l’industrie, le commerce, la navigation et les lettres.

M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808

Âgée de trente-trois ans lors de son avènement, Catherine aime le pouvoir, les hommes, l’intelligence, et plus encore les hommes intelligents qui aiment travailler avec elle à l’agrandissement de son Empire : Orlov, âme de la conjuration de 1762, qu’elle épouse secrètement à deux reprises, Stanislas Poniatowski, qu’elle fait élire roi de Pologne, Potemkine qu’elle épouse également en secret, ou Platon Zoubov, son dernier favori. Etrange junte érotico-politique où Choderlos de Laclos se greffe sur Machiavel, où les anciens amants, une fois délaissés, restent des collaborateurs privilégiés, et où les jeux de la guerre et de la diplomatie semblent continuer ceux du lit. Les finances sont rétablies, l’armée réorganisée. La Russie, dès lors, peut exécuter point par point le testament de Pierre. Simple affaire de masse et de gravité.

La Pologne est dépecée en trois fois : annexion de Vitebsk et de Moguilev en 1772, conquête de la Russie Blanche, de la Volhynie et de l’Ukraine polonaise en 1793, et enfin, deux ans plus tard, en 1795, de tous les territoires qui s’étendent, selon un axe nord-sud, de la Courlande à la Podolie. Fort subtilement, Catherine et ses conseillers veillent toujours à associer d’autres prédateurs à chacune de ces opérations: l’Autriche et la Prusse, la Prusse seule, puis à nouveau l’Autriche et la Prusse. Ce qui dilue la responsabilité de chacun et limite les réaction au sein du concert européen.

Même tactique avec les Turcs. Catherine se contente en 1774, après une première victoire, de la Chersonide, l’étroite région comprise entre l’embouchure du Boug et celle du Dniepr. Plutôt que d’annexer la Crimée, ce qui relancerait immédiatement la guerre avec le sultan et provoquerait peut-être une alliance à revers entre Turcs et Autrichiens, elle propose de l’ériger en khanat tatare indépendant, ce qui revient, en termes stratégiques, à une annexion de fait, mais sauve les apparences. En 1783, les choses ayant suffisamment évolué en sa faveur, elle s’en empare. Une nouvelle victoire sur la Turquie, en 1791, lui livre les territoires sis entre le Boug et le Dniestr.

À sa mort, en 1796, le Russie d’Europe – cisouralienne – s’est accrue d’un tiers en superficie (de deux mille à trois mille kilomètres carrés) et d’un autre tiers en population (de vingt-cinq millions d’habitants à trente-cinq). Elle dispose de larges façades sur les mers chaudes, Baltique au nord, mer Noire au sud. Elle a désormais accès au cœur même de l’Europe, ce qu’elle ne manquera pas de faire sentir pendant cent cinquante ans, de l’offensive de Souvorov à travers l’Italie et la Suisse, en 1799, à celle de Joukov à travers l’Allemagne, en 1945.

La Pologne survit en tant que nationalité ou culture, mais disparaît en tant qu’État. La noblesse, dans les territoires conquis, obtient les mêmes privilèges que la noblesse russe, pour peu qu’elle fasse allégeance au tsar. Pour les paysans, comme naguère en Ukraine, le servage. Quant aux Juifs, ils tombaient entre les mains du gouvernement qui, de toute l’Europe, leur était le plus hostile.

Michel Gurfinkiel Le Roman d’Odessa. Ukraine, utopie russe et génie juif. Éditions du Rocher 2005

Les rapides conquêtes de Catherine permirent, entre autres,  de reprendre à peu près 500 000 km² aux Turcs, essentiellement en Ukraine. Ces terres n’avaient été que peu, et lentement, colonisées par les populations russes et n’étaient donc pas assez habitées ni cultivées : Catherine II va publier un manifeste en juillet 1763, invitant les populations d’Europe de l’Ouest, notamment ses anciens compatriotes allemands, à émigrer en Russie en échange de privilèges, tels que l’exonération d’impôts pendant trente ans, l’abolition du service militaire, la liberté de culte, une bonne collection de Jésuites chassés d’Europe occidentale et la possibilité de vivre en autogestion totale – ils étaient relativement indépendants du gouvernement russe. Cent soixante ans plus tard, en 1924, ce territoire va devenir la République autonome des Allemands de la Volga, avec une durée de vie assez courte : 17 ans, jusqu’en 1941.

6 08 1762                   

Le père La Valette, supérieur jésuite des Missions des îles d’Amérique avait acheté en Martinique une plantation sucrière adossée à une société de négoce pour mette un peu de beurre dans les épinards de son activité apostolique. Une épidémie s’ajouta aux traités consécutifs à la Guerre de 7 ans pour faire péricliter son affaire. Des commerçants portèrent l’affaire devant les tribunaux, réclamant leur dû à la Compagnie de Jésus, qui renvoie l’affaire sur le parlement d’Aix-en-Provence, et se pourvoient en appel au Parlement de Paris, lequel, confirme le jugement d’Aix et les condamne comme étant par nature inadmissible dans tout État policé et ordonne la dispersion des 4 000 jésuites de France. Leurs biens, églises, bibliothèques sont spoliés. Il leur est interdit d’obéir à leur règle, de vivre en communauté, de porter leur habit. Comment en est-on arrivé là ?

La querelle fondamentale entre gallicanisme et ultramontanisme avait été durcie par l’ossification de l’État national centralisateur. Puis, sur ces contradictions, était venue se greffer la bataille de la Contre Réforme, puis celle du jansénisme. La destruction de Port Royal puis l’application brutale de la bulle Unigenitus avec son cortège de répression des appelants avait donné à la fin du règne de Louis XIV un tour tragique.

Or, les Jésuites étaient réputés responsables de l’Unigenitus. S’ils n’avaient joué qu’un rôle mineur au sein de la commission de rédaction à Rome (un représentant sur neuf), ils passaient en France pour de fermes tenants de son application : leurs casuistes, du coup, se faisaient intraitables. Et c’est là que fut distillé le venin qui allait causer leur perte. Mis à mal par l’auteur des Provinciales pour laxisme, pourchassés et chassés pour rigorisme.

La sympathie qu’avaient conservé les Jansénistes se nourrissait de la corruption latente de la cour et leur parti était fort représenté au parlement. La Marquise de Pompadour y alla de son grain de sel, le duc de Choiseul du sien, on voulut voir dans l’attentat manqué contre le roi par Damiens la main des jésuites, le père La Valette s’était enrichi dans les Antilles : il sera sanctionné normalement,… mais le mal était fait. Et surtout, le roi était bien en peine de s’opposer au parlement qui votait les crédits pour la guerre : sa parole ne manque pas de sincérité, malheureusement, elle n’est pas la parole d’un roi : Je n’aime point cordialement les Jésuites, mais toutes les hérésies les ont toujours détestés ; ce qui est leur triomphe. Je n’en dis pas plus. Pour la paix de mon royaume, si je les renvoie contre mon gré, du moins ne veux-je pas qu’on croie que j’ai adhéré à tout ce que les Parlements ont dit et fait contre eux.
Je persiste dans mon sentiment, qu’en les chassant, il faudrait casser tout ce que le Parlement a fait contre eux.
En me rendant à l’avis des autres pour la tranquillité de mon royaume, il faut changer ce que je propose, sans quoi je ne ferai rien. Je me tais, car je parlerais trop.

Courrier de Louis XV au duc de Choiseul

Cinq ans plus tard, ce sera l’expulsion des Jésuites.

1762   

Première école vétérinaire à Lyon, une seconde, quatre ans plus tard, à Alfort, toutes deux à l’initiative de Henri Bertin, ministre chargé des questions agricoles et contrôleur général des Finances. Il favorise aussi la création des Sociétés d’agriculture : 19 s’ouvrent de 1760 à 1786. Début de la législation sur les brevets d’invention.

L’obsession de l’hygiène  peut déboucher sur des modes, pour le moins surprenantes à l’aune de notre XXI° siècle : l’huile de chien parfumée ; pour ceux que l’expérience tenterait… prendre des petits chiens récemment nés ; on les coupe en morceaux ; on les met dans une bassine avec l’huile et le vin blanc ; on les fait cuire à petit feu jusqu’à ce qu’ils soient frits, en ayant soin d’agiter le mélange avec une spatule de bois, afin que les petits chiens ne s’attachent pas au fond. L’huile obtenue, après expression, est versée sur des plantes aromatiques. Excellent contre les rhumatismes…

Carlo Goldoni, auteur vénitien de 55 ans, comique plus que dramatique, fatigué des critiques de ses confrères comme de tirer le diable par la queue s’installe à Paris où on lui offre rapidement la direction du Théâtre italien, avec une pension royale, à laquelle mettra fin la Révolution. Il mourra quasiment dans la misère le 6 février 1793. André Chénier parviendra à la faire rétablir pour sa veuve.

10 02 1763

Le Traité de Paris met fin à 7 ans de guerre de l’Angleterre. French and Indian war, ainsi nommée outre Atlantique. La France cède aux Anglais l’Inde, Saint Louis du Sénégal, le Canada et ses dépendances, et les territoires à l’est du Mississipi. L’Angleterre rend à la France Guadeloupe et Martinique, Saint Pierre et Miquelon et les comptoirs de Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé, Yanaon. L’Espagne cède à l’Angleterre la Floride et reçoit de la France la partie occidentale de la Louisiane et la Nouvelle Orléans.

Quel beau pays le Canada ne serait-il pas devenu, si on n’y eut pas introduit les seigneuries, si un quart n’eut point été concédé à un corps d’ecclésiastiques – le Séminaire de Saint Sulpice – et l’autre quart à la Société des Jésuites, excellents prédicateurs de l’évangile, mais mauvais législateurs ! Ces bons prêtres, croyant bien faire, sans doute, obligeaient les émigrants qui arrivaient, de souscrire à un grand nombre d’articles de foi ; sans quoi, ils ne pouvaient pas les admettre, ou les chassaient vers les colonies anglaises. Vous avouerez que ce n’était pas là le moyen de peupler un pays où il ne manquait que des bras. N’auraient-ils pas dû, au contraire, comme Guillaume Penn, comme Locke, comme lord Baltimore, y inviter tous les hommes qui auraient voulu souscrire, dans leurs registres, la promesse suivante : Nous promettons d’abattre autant d’arbres, de cultiver autant d’acres de terre, et de procréer autant d’enfants qu’il nous sera possible. Ce pays dur, mais fertile et sain, bien plus étendu que la province de Massachusetts, aurait produit, comme cette dernière, une population de six cent mille habitants dans le même espace de temps, au lieu de quatre-vingt dix mille que les Anglais y trouvèrent à la conquête : à bien des égards, ce fut une colonie plutôt ecclésiastique que royale.

Crèvecœur. Lettres d’un fermier américain

 À la fin du règne de Louis XVI, 12 000 hommes montaient les 360 terre-neuviers français. La politique maritime française pendant des siècles a été déterminée par le souci de garder son puissant armement morutier, pourvoyeur de marins pour la Royale, dont dépendrait la libre circulation sur les mers contestée par l’Angleterre. Si Saint Pierre et Miquelon a été si âprement gardée par nos diplomates, moins concernés par le Canada continental, quelques arpents de neige, c’est qu’elle répondait à cette volonté.

Si le Canada continental a été d’un cœur léger abandonné par les négociateurs français au XVIII° siècle, c’est bien parce qu’ils savaient qu’en conservant Saint Pierre et Miquelon et ses riches bancs de morue, ils gardaient des équipages de morutiers, futurs marins de la Royale qui permettraient la revanche avec une marine rénovée.

Charles de la Morandière au Congrès international de l’industrie morutière Janvier 1966. Propos rapportés par Jean Recher, dans Le Grand Métier Terre Humaine Plon 1977.

Saint Pierre et Miquelon a commencé par être portugaise le 21 octobre 1520 avec Joas Alvarez Fagundes qui la baptisa  archipel des onze mille vierges [onze compagnes de Saint Ursule, devenues par la grâce d’une erreur de typographie onze mille : le Moyen Âge raffolait de ces outrances : il y a aussi un cap des onze mille vierges à l’entrée ouest du détroit de Magellan]. En 1536 Jacques Cartier la donna à la France en la rebaptisant Saint Pierre et Miquelon. Elle devint anglaise en 1713, à nouveau française en 1763, à nouveau anglaise en 1778 et définitivement française en 1815.

L’Angleterre confirme sa suprématie maritime : ses adversaires lui ont détruit, coulé 3 ou 4 000 navires, mais cela n’a pas empêché son commerce maritime de passer de 660 000 tonneaux en 1749 à 800 000 en 1763. C’est la naissance de l’empire anglais. Et les comportements impérialistes ne concernent pas que la géopolitique : le déni de justice peut atteindre le petit colon de base : ainsi, dans un petit coin du New Hampshire, elle importait le meilleur terreau qui fut pour emmener l’insurrection à maturité : Le district d’Imsdale fût donné par Mandamus, à ***, capitaine dans les gardes. C’est un endroit charmant, de dix mille en carré, une rivière poissonneuse le traverse en entier ; elle est bordée des deux cotés de prairies étendues et fertiles, et les plantations sont construites plus haut, sur un sol dont la fécondité ne s’est pas démentie depuis quarante sept ans. Nous en avons peu, dans la Pennsylvanie, plus productif, plus agréable à voir, mieux cultivé ou plus peuplé ; c’était un présent d’au moins vingt sept mille acres d’excellente terre accordés, par un trait de plume, à un homme qui n’en avait jamais abattu un arbre. C’était dépouiller entièrement plus de quatre cents familles de leur patrimoine gagné à la sueur de leur front, ainsi que de ceux de leurs pères, ou les assujettir à des rentes onéreuses et injustes, auxquelles vraisemblablement ils se seraient soumis, plutôt que d’abandonner leurs foyers.

Les habitants d’Imsdale, informés de ce procédé cruel, ainsi que de l’arrivée de leur nouveau seigneur propriétaire, s’armèrent et furent à sa rencontre : ils se rendirent aisément maîtres de sa personne. Je ne sais lequel admirer le plus, ou la conduite de ces braves gens armés pour soutenir le droit de la nature le plus sacré, ou celle de ce généreux officier anglais :

–  Pourquoi m’arrêtez-vous, leur demanda-t-il ?

– Crainte que vous ne cherchiez, par des actes de loi, à vous rendre maître d’un terrain qui n’appartient pas au roi qui vous l’a donné, encore moins à vous qui venez pour nous en déposséder. Ne savez-vous pas qu’il y a quarante sept ans que nous sommes ici ? Ignorez-vous quels sont les titres de notre possession ?

 – J’ignore tout cela, mes amis ; on nous a dit à Londres que, depuis la paix, il se trouvait, par les nouvelles limites des provinces, un terrain immense à concéder. J’en ai demandé la partie qui m’a été désignée sous le nom de la Patente d’Imsdale ; je l’ai obtenue et j’étais venu à dessein de la voir et d’en tirer parti.

 – Ainsi les meilleurs rois sont trompés, répondirent-ils. Nos pères acquirent de ce même gouvernement qui aujourd’hui, nous traite comme des nègres, les terres de cette patente, pour la somme ordinaire et usitée. Les premiers propriétaires l’ont divisée entre eux ; ils y ont, depuis, épuisé leur petite fortune et leurs forces ; la plupart sont morts, et ont laissé tous ces héritages à leurs enfants, qui n’ont cessé de travailler jusqu’à ce que tout ait été défriché. Nous avons toujours payé nos taxes, et obéi au gouvernement de New Hampshire ; nous avons contribué, comme les autres, à la guerre du Canada ; et, sans avoir commis aucun crime, sans être entendu, sans savoir  même quels en sont les motifs, la Grande Bretagne veut nous placer sous la juridiction de New York, trop éloignée de nous, et prétend que les patentes de son ancien gouverneur sont illégales, et nos concessions nulles. Puisque l’Angleterre est la plus forte, qu’elle se ressaisisse des terres incultes, pour en remplir les poches de ses avides gouverneurs ; mais qu’elle ne ravisse point de nos mains industrieuses et honnêtes, l’héritage que nos pères ont acheté et péniblement défriché.

Crèvecœur. Lettres d’un fermier américain

Le capitaine, homme de bonne composition se montra sensible à la solidité des arguments développés, et abandonna toute prétention à faire valoir ses droits ; il reste que le procédé était inique.

07 1763                      

Le duc de Choiseul, secrétaire à la Marine et aux Colonies, protégé de Mme de Pompadour s’est mis en tête de coloniser La Guyane de façon conséquente, pour retrouver en Amérique une place perdue lors de la guerre de sept ans, et qui permettra, le jour venu, de soutenir les colons anglais des colonies d’Amérique qui ne manqueront pas de se soulever un jour ou l’autre contre l’Angleterre. En février, Louis XV a nommé gouverneur Étienne François Turgot, frère de l’intendant du Limousin. Et ce ne sont pas moins de 10 000 colons qui arrivent de France, en 37 convois, jusqu’en juin 1765 : ils ont été recrutés en Rhénanie Palatinat, région rurale très peuplée. Mais la logistique est défaillante, les médicaments manquent, les pluies retardent les mises en culture, et last but not least, la petite vérole vient couronner le tout, envoyant à la mort 60 % des colons : c’est un fiasco. L’intendant de l’expédition, Jean Baptiste de Chanvalon et le frère de Turgot, seront réduits au silence en étant bannis…

1763 

Le médecin écossais Tobias Smollett séjourne sur la côte française méditerranéenne ; écossais et donc original, lui prend l’envie de se baigner, ce qui lui procure un grand plaisir dont il parle une fois revenu en Grande Bretagne : et les touriste anglais de commencer à affluer : c’est le début du succès de la Côte d’Azur.

À son retour, il publie un ouvrage en deux volumes intitulé Travels through France and Italy, écrit avec un regard acerbe. […] Hommes et femmes se réunissent dans les plus beaux habits et dansent au son du fifre et du tambour. Des étalages ambulants offrent de la pacotille, des bibelots à offrir, des gâteaux, du pain, des liqueurs, du vin. Toute la société de Nice s’y rend. J’ai vu toute une noblesse à l’un de ces festins, qui se tenait sur la grande route en été, mêlée à une foule immense de paysans, de mules et d’ânes. Elle était couverte de poussière et transpirait de tous ses pores dans la chaleur excessive de l’été. Je serai fort ennuyé de savoir d’où peut naître leur plaisir dans ces occasions ou bien d’expliquer pourquoi ils vont tous à ces rendez-vous, à moins que cela ne leur soit prescrit comme une pénitence ou comme un avant goût du purgatoire. […] Les roses et les œillets sont envoyés à Turin, Paris et même Londres. On les emballe dans une boîte de bois, pressés les uns contre les autres, sans aucune préparation. Qui les reçoit coupe le bout des tiges et les plonge pendant deux heures dans de l’eau vinaigrée, redonnant leur fraîcheur et leur beauté. (Nice 1764)

Son récit de voyages connaît un succès important. Il attire alors les toutes premières familles anglaises fortunées et les artistes en mal d’inspiration. En dépit de sa mauvaise humeur et de son caractère difficile, il se révèle un reporter curieux, avisé, original d’esprit et doté d’un regard aiguisé sur les choses. Il décrit les ombres et les lumières de cette contrée, les désagréments du climat et la beauté des fleurs et sa douceur hivernale. 

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Sur ordre du général anglais Jeffrey Amherst, le colonel Henry Bouquet, commandant de Fort Pitts, dans la région de l’Ohio, négocie une reddition auprès des Indiens et leur offre deux couvertures et un mouchoir qui, indique un témoin, venaient de l’hôpital de la variole, ajoutant : j’espère que cela aura l’effet désiré. Effectivement, les Indiens furent atteints par une épidémie de variole.

Au cours de ces conflits où les changements d’alliance étaient fréquents, des enfants français étaient parfois capturés par les Indiens, et les commentaires qu’en fait Crèvecœur laissent à penser que le bon sauvage cher à Jean Jacques Rousseau n’est pas du tout un mythe, n’en déplaise à tous ses détracteurs, et même si les exemples venant illustrer le contraire sont eux aussi, nombreux.

Les deux garçons furent rachetés à la paix ; mais, habitués à la vie sauvage, ils ne voulurent point rester avec leur mère ; plusieurs fois ils essayèrent de s’échapper : elle fut enfin obligée de les envoyer aux îles, où le second mourut : l’aîné occupe aujourd’hui la plantation de son père. Toutes les prières, toutes les sollicitations des parents de la fille n’ont jamais pu la persuader de revenir : elle a épousé un sauvage ; elle dit qu’elle est heureuse et qu’elle n’a besoin de rien. Tout extraordinaire que cela puisse vous paraître, nous en avons mille exemples. Quelle peut-être la cause d’un goût, d’une apostasie si singulière ? Le progrès ordinaire de l’espèce humaine est de l’état sauvage à l’état civilisé : ici, nous voyons cet ordre inversé.

[…] Je sais que nous allons vivre sans sel, sans épices, sans linge et peut-être sans vêtements. Je sais qu’il faudra apprendre l’art de la chasse, nous conformer aux mœurs de nos compatriotes, adopter un langage nouveau, et trouver enfin quelques remèdes aux dangers presque inévitables de l’éducation que mes deux enfants pourront recevoir. Mais peut-être que la plupart de ces changements me paraissent plus terribles, lorsque je les considère dans une perspective encore éloignée, que lorsqu’ils nous seront devenus plus familiers par la pratique. En effet, que cela nous peut-il faire ? Quelle différence y a t il entre du bœuf rôti et de la viande de cerf fumé ? qu’importe au bonheur, pourvu que nous jouissions de la santé, d’être vêtus d’habits bien filés, bien teints, ou de bonnes peaux de castors ; de coucher sur des lits de plumes ou sur une peau d’ours ; tout devient aisé par l’habitude. Mais la difficulté du langage, les mauvaises conséquences qui peuvent naître de l’ivresse de nos nouveaux hôtes, le danger de livrer mes plus jeunes enfants à l’infection, ou plutôt au charme singulièrement puissant de l’éducation sauvage, voilà les seules considérations qui m’arrêtent et m’effraient. Ne vous êtes-vous jamais informé de ce que je vais vous dire ? N’avez-vous jamais su pourquoi des enfants européens adoptés par les sauvages, ont conservé toute leur vie (après même leur échange) les mœurs et les coutumes adoptives de ces sauvages, et surtout une prédilection irrésistible pour la vie errante ? J’ai connu plusieurs familles désolées, dont les enfants avaient été enlevés dans la dernière guerre, qui, au retour de la paix, furent aux villages sauvages où ils savaient que ces enfants avaient été menés en captivité. Mais quel fût leur chagrin et quelle fût leur surprise ? Ils les trouvèrent si parfaitement métamorphosés, que la plupart ne reconnurent plus leurs parents, et ceux dont l’âge plus avancé leur en retraçait encore les traits, refusèrent absolument de les suivre, et se réfugièrent sous la protection de leurs nouveaux amis, pour se soustraire aux effusions de l’amour paternel. J’en connais qui, depuis leur retour ne cessent encore de gémir sur la perte qu’ils ont faites, et n’en parlent jamais sans verser des larmes de douleur. Je dis plus, ces mêmes goûts ont séduit des personnes d’un âge avancé. Dans le village de **, où je me propose de résider, j’ai connu il y a à peu près quinze ans, un suédois et un français, dont l’histoire, si j’avais le temps de vous la raconter, vous paraîtrait touchante. Ils avaient l’un et l’autre au moins trente ans quand ils furent faits prisonniers : heureusement ils échappèrent au supplice qui les attendait par l’adoption de deux femmes sauvages qu’ils furent obligés d’épouser : vingt mois après ils reçurent de leurs amis une somme d’argent pour leur rançon ; les sauvages, leurs anciens maîtres, devenus leurs amis, loin de les considérer comme captifs, leur dirent qu’ils étaient aussi libres qu’eux ; que depuis longtemps ils avaient chassé avec eux et participé, comme membres de la société, à toutes les immunités du village, et qu’ils avaient par conséquent le choix de les quitter ou de rester. Ils prirent le dernier parti.

– Où irons-nous, dirent-ils, pour être plus libres que nous le sommes ici ? Nous étions soldats avant notre captivité, et que deviendrons-nous à notre retour ? Tandis que nous n’avons plus de chaîne, irons-nous rentrer dans l’esclavage pour six sols par jour ? Ici, nous vivons bien et avec peu de travail ; nous ne connaissons plus cette foule de soins et de désirs perpétuels que font naître les besoins qui se renouvellent chaque jour ; nous nous souvenons trop encore de ces sollicitudes affligeantes que nous avons tant de fois essuyées ; de ses craintes de châtiment ; châtiment souvent terrible, cruel et destructeur de l’espèce humaine, de ce respect éternel que nous devions à tout le monde, de cette gradation de supérieurs qui ne finit point, de cette contraction perpétuelle de volonté qui nous empêche à chaque minute de parler ou d’agir. Eh ! qu’il est dur de ressentir cette foule de mouvements intérieurs qu’une contradiction perpétuelle étouffe ! Ici nous sommes véritablement hommes, la terre que nous habitons est fertile au-delà de nos besoins et nos rivières sont fécondes en poisson, nos bois abondent en gibier ; enfin, un pays où nous sommes libres et tranquilles et heureux, doit être notre patrie, et nous n’en voulons point d’autre.

Telles sont en raccourci les réflexions qui leur firent préférer la vie sauvage à celle qu’ils auraient pu se procurer. Genre de vie dont vous semblez cependant entretenir une opinion si effrayante. Il y a donc dans leur système social quelque chose de singulièrement captivant, quelque chose de supérieur aux charmes de nos mœurs et de nos coutumes, puisque des milliers d’européens sont devenus volontairement sauvages, et que depuis la découverte de l’Amérique, nous n’avons pas un seul exemple qu’aucun de ces aborigènes ait par goût et par choix adopté nos lois et nos usages ? On y trouve donc quelque chose de plus conforme aux inclinations naturelles que dans la société améliorée, au milieu de laquelle nous vivons, et que vainement peut-être nous croyons supérieure à tout autre. Ce que j’avance sera bien moins prouvé par mes raisonnements que par ce grand nombre d’enfants, de jeunes gens, d’hommes et de femmes qui, dans un espace de temps très court, sont devenus invinciblement attaché à ce nouveau genre de vie. En effet, prenez un jeune sauvage, donnez-lui la meilleure éducation européenne qu’il soit possible, accablez-le de bontés, de présents, de richesses même, je soutiens qu’il conservera toujours une inclination pour ses bois, et qu’arrivé au terme de la vie où il pourra prendre des informations et un parti, vous le verrez, volontairement et avec joie, tout abandonner pour retourner au village, y coucher sur la natte de ses pères.

Un volume ne suffirait pas  pour vous apprendre tout ce que j’ai vu, tous les faits publics de ces métamorphoses d’européens en aborigènes. Informez-vous de la réponse que la garnison d’Oswego (prise en 1756 par le marquis de Montcalm) fit au général Pierre Schuyler, après avoir été répartie dans les différents villages sauvages du Canada ? La plus grande partie s’y établit. Il y a quelques année que M** reçut d’un vieillard des aborigènes un enfant de neuf ans, qui était son petit fils. Il prit de cet enfant les mêmes soins, il eut pour lui la même attention que s’il eut été son propre fils, par respect pour la mémoire du grand-père, qui était mort dans sa maison : l’intention de M** était de lui faire apprendre un métier aisé et facile. Un jour, lorsque toute la famille était dans les bois à faire (comme cela se pratique annuellement) leur sucre d’érable, il disparut soudainement, et ce ne fut que dix-sept mois après que M** apprit qu’il était allé au village de Bad Eagle, sur une des branches occidentales de la rivière de la Susquehannah, où il avait fixé sa demeure… Disons ce que nous voudrons de ces gens-là, de leurs organes inférieurs, ou de leur manque de barbe, c’est une race forte et bien faite. Nous avons beau les mépriser, ils nous méprisent encore bien plus souverainement, et ils ont peut-être raison : nous nous appelons des hommes vertueux, habiles, savants, etc. Hélas ! quelles idées peuvent-ils avoir de nos sublimes lois, de nos facultés supérieures ? Dans presque toutes les provinces, nous n’avons droit d’y être connus que comme des bandits, sans foi et sans loi. Partout on les a trompés ; partout nous nous sommes montrés, en fait d’honnêteté, bien inférieurs à eux. On a voulu leur prêcher une religion, sainte à la vérité, mais que nous démentons à chaque moment pour la plus petite cause. Ils ne voient parmi nous que dissensions et procès, quand ils nous observent individuellement. Quand ils nous examinent nationalement, ils nous appellent des méchants et des voleurs. Observez-les, dans leurs villages, vous les verrez vivre en paix, sans temples, sans prêtres, sans lois écrites et sans Rois. Ils sont nos supérieurs dans plusieurs branches d’industrie, et sont plus heureux que nous, puisqu’ils ont moins de besoins. Sans entrer avec vous dans de plus longs détails, finissons ces observations imparfaites, en prouvant ce que j’ai avancé. Voyez-les parler à un général, ou à un gouverneur, qui est tout ce que nous avons de plus élevé parmi nous ; examinez cette audace mâle. Ils leur parlent avec la même contenance qu’ils parleraient à un de nous. Insensibles à tout ce que nous appelons pouvoir, dédaignant tout de que nous appelons pompe et grandeur, choses dont toutes les explications possibles ne peuvent leur donner aucune idée, et dont ils ne peuvent pas même s’instruire ; ils vivent sans soucis et sans chagrin ; ils dorment au pied d’un arbre, seuls et au milieu des forêts, aussi tranquilles que dans leur cabanes de bouleau. Ils prennent la vie telle qu’elle est ; ils en supportent toutes les peines et toutes les aspérités, avec la patience la plus étonnante. Ils souffrent sans se plaindre ; ils meurent sans terreur et sans inquiétude, ni pour ce qu’ils ont fait, ni pour leur sort futur. Quel est le système de philosophie qui nous a jamais procuré tant de qualités nécessaires ? Ils sont certainement moins éloignés que nous de la grande souche originelle. Ils sont plus près de la nature, dont ils sont l’immédiate progéniture ; car c’est dans nos bois qu’il faut voir ses enfants, et y contempler ses habitants primitifs tels qu’ils sont sortis de ses mains.

Crèvecœur. Lettres d’un fermier américain

Le dernier sursaut des indiens alliés des Français sera mené par leur chef Pontiac, dans la région des Grands Lacs.

1763 – 1764

Séjour de Mozart à Paris, à l’âge de 8 ans. Il s’y installera de septembre 1777 à janvier 1779, accompagné de sa mère.

16 10 1764  

Sur les rives de la Meurthe, création de la verrerie de Baccarat, qui deviendra cristallerie en 1819.

11 1764 

Louis XV, tout en confirmant l’édit de suppression des Jésuites de 1762, leur accorde l’autorisation de vivre dans leur patrie en tant que prêtres séculiers, sous l’autorité des évêques diocésains ; le parlement sortira de cette tolérance l’évêché de Paris, et précisera que les ci-devant soi-disant jésuites devraient résider dans leur province d’origine, hormis, bien sur, les Parisiens.

1764

Première inoculation de la variole en France, sur Mademoiselle de Montcalm, à Montpellier, 23 ans après celle effectuée à Chambéry par le docteur Fleury. Le prussien Johann Joachim Winckelmann publie son Histoire de l’art de l’Antiquité qui fait de lui le fondateur de l’archéologie moderne. Création de la manufacture d’armes de Saint Etienne. Catherine installe sur le trône de Pologne l’un de ses favoris : Stanislas-Auguste Poniatowski.

Le marquis piémontais Cesare Beccaria publie Dei delitti e delle pene – Des délits et des peines -. On a là la première déclaration écrite pour la suppression de la peine de mort. Toute l’Europe en parle ; le livre est traduit dans toutes les langues, et bien sûr, il est mis à l’index par Rome. L’inutile profusion de supplices, qui n’a jamais rendu meilleurs les hommes, m’a conduit à examiner si la mort est vraiment utile et juste dans un gouvernement bien organisé. […] Pour que la peine soit juste ; elle n’aura que les seuls degrés d’intensité qui détourneront les hommes des délits ; or, personne, en y réfléchissant ne peut choisir la perte totale et perpétuelle de sa liberté, si avantageux que puisse être le crime : en conséquence, l’intensité de la peine d’esclavage perpétuel [travaux forcés] substituée à la peine de mort suffit pour dissuader toute âme déterminée. […] La peine de mort est inutile en raison de l’atrocité exemplaire qu’elle offre aux hommes. […] Il me semble absurde que les lois – expression de la volonté publique – qui haïssent et punissent l’homicide en commettent un elles-mêmes, et que, pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public.

7 01 1765 

Le pape Clément XIII, très favorable aux jésuites ne peut guère qu’élever une protestation à l’injure grave faite à l’Église : c’est la bulle Apostolicum : La compagnie de Jésus respire au plus haut degré la piété et la sainteté, bien qu’il se rencontre des hommes qui, après l’avoir défiguré par de méchantes interprétations, n’aient pas craint de la qualifier d’irreligieuse et d’impie, insultant ainsi de la manière la plus outrageante l’Eglise de Dieu.

27 06 1765 

Voilà des années que les corsaires marocains pillent les navires marchands français. Des négociations sont bien en cours pour essayer d’y mettre bon ordre mais la mauvaise foi du sultan Mohammed ben Abdallah est telle que les autorités françaises se décident à recourir à la force pour faire pencher la balance en faveur d’un règlement rapide de cette négociation : après être intervenus sur plusieurs ports marocains devant lesquels les conditions météorologiques n’ont pas permis d’agir, les forces navales françaises  avec à leur tête Louis Charles Duchaffault de Besné s’en prennent à Larache, – un peu moins de 100 km au sud de Tanger – pour y brûler les navires corsaires. Leur tirant d’eau étant trop important pour entrer dans la rivière Loukkos, ce sont les chaloupes qui transportent les hommes, qui parviennent à détruire quelques navires marocains, mais ces derniers reprennent le dessus et s’emparent de plusieurs chaloupes et canots ; finalement, au bout de trois jours de combat, ce sont 200 hommes, dont 30 officiers qui sont noyés et 49 retenus prisonniers. Parmi ces derniers, François Cornut, ingénieur originaire de Toulon auquel Mohammed ben Abdallah confiera la construction dans la baie de Mogador dans le sud du pays du port d’Essaouira !

1765   

À Montpellier, aqueduc du Peyrou, de Pitot.

Photo à Montpellier (34000) : Aqueduc du Peyrou ...

Longueur totale de 17,5 km, pour aller capter l’eau de la fontaine de Saint Clément. Il se compose de 51 arceaux de 8 mètres d’ouverture, surmontés de 182 petits dont 14 reposent directement sur le sol.

Le château d’eau qui reçoit les eaux de l’aqueduc

La guerre de 7 ans, si elle a fait des Anglais les grands vainqueurs, a tout de même mis à mal leur trésor : ils décident alors de faire supporter l’effort fiscal aux premiers bénéficiaires de cette victoire : les colons américains, par le biais de taxes – Stamp Act – sur tous les produits entrant dans ces 13 colonies : le ver est dans le fruit : ces taxes seront très mal acceptées, le mécontentement ne fera que grandir, les colons ne supportant pas ce qu’aujourd’hui on nomme le paie et tais-toi, que Patrick Henry nommait alors : l’irrégularité des impositions sans la représentation : les colons n’étaient pas représentés au parlement britannique. C’était là une intolérable atteinte au vieux principe que la Grande Charte de 1215 et le Bill Of Rights de 1689 avaient proclamé, et que la métropole avait jusqu’alors respecté : No taxation without representation – Pas d’imposition sans le consentement des imposés. L’intransigeance du roi fit le reste : on vit se créer des Comités de correspondance, les Fils de la liberté, autant d’initiatives collectives destinés à propager la révolte. Les 13 colonies constataient que, de jour en jour, l’aide du colonisateur devenait fardeau.

L’East Indies Company s’installe en Inde : les Grands Mogols qui y régnaient jusque là vont perdre leur rôle.

mars 1766 

Les prétentions des parlementaires parisiens à oser seuls parler au roi au nom de la Nation amènent Louis XV à recadrer les relations entre les différents pouvoirs : Le Roi ne peut souffrir qu’il se forme dans son royaume une association qui ferait dégénérer en une confédération de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes ; ni qu’il s’introduise dans une monarchie un corps imaginaire, qui ne pourrait qu’en troubler l’harmonie. […] Les droits et intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les siens.

Louis XV. Discours de la flagellation

En expulsant, en 1767, les Jésuites, corps étranger inféodé à Rome et à l’universalisme catholique, en ramenant, en 1766, à leur subordination judiciaire et à leur relativité politique les magistrats des cours souveraines contre l’idée qu’ils se faisaient de représenter le royaume en s’émancipant du corps unique du roi, en abandonnant, en 1763, l’idée impériale pour choisir de préserver le système colonial des plantations esclavagistes, la France de Louis XV, en ce milieu du XVIII° siècle, est comme traversée par l’obsession – qu’il faut entendre aussi dans son sens militaire – d’un régime d’identités politiques et culturelles qui se délite et qu’il faut, comme un corps blessé se contractant sur sa vulnérabilité afin d’en assourdir la douleur, rappeler à l’ordre. Un ordre, justement, ramené à des frontières imperméables et au simple corps du souverain : un ordre national.

Yann Lignereux. Histoire Mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron et 132 auteurs encadrés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou. Seuil 2018

1766

Réunion des duchés de Lorraine et du Barrois à la France, après la mort de Stanislas Leszczynski, roi déchu de Pologne, duc de Lorraine en viager, beau père de Louis XV.

La Sologne [rive gauche de la Loire, au sud d’un triangle délimité par Giens, Orléans, Blois] ressemble beaucoup à la Gascogne, et plus précisément aux Landes : 72 % du territoire en landes et étangs ; une population misérable affaiblie par la fièvre des marais, qui désignait aussi bien le paludisme que la dysenterie. Le charbon de bois commençait à être concurrencé par la houille, le charbon de terre. Les propriétaires, pressentant d’inéluctables changements, se mirent à enrésiner leurs parcelles. Les premiers semis de pin maritime se font à Saint Cyr-en-Val, puis, vingt ans plus tard, à Argent-sur-Sauldre. Mais il faudra attendre cinquante ans pour que le secteur privé prenne le relais des pouvoirs publics, en pratiquant l’enclosure sur les parcelles pour que les jeunes pousses ne soient pas avalées par les moutons et le gibier. Mais, le temps et surtout les grands froids de 1879 et de 1893 élimineront le pin maritime qui sera remplacé par le pin sylvestre, choisi surtout pour sa croissance particulièrement rapide. Ces pineraies changeront le paysage et l’économie, entraînant la création d’usines : scieries, artisanat, briqueteries : le nombre des châteaux quadrupla de 1800 à 1890. Entre 1890 et 1910, on en bâtira autant que dans les 90 ans précédents. Et, c’est bien connu, quand le bâtiment va, tout va.

Athée, Jean François Lefebvre, chevalier de la Barre, est accusé de ne pas s’être découvert lors du passage d’une procession et d’avoir mutilé un crucifix. Il est condamné à avoir le poing coupé et la langue arrachée, puis à être brûlé vif. Seul adoucissement au verdict :  le parlement de Paris auquel il a fait appel, a permis que, en tant que noble, il soit décapité avant de subir sa peine. Il avait 19 ans. Les philosophes, Voltaire en tête s’insurgeront mais n’y pourront rien. Il faudra attendre la Convention pour que sa réhabilitation soit prononcée.

L’almanach des corps de métier présente Mathurin Roze de Chantoiseau, comme premier restaurateur, établi rue Saint-Honoré, hôtel d’Aligre. M. Roze propose dans sa maison de santé des bouillons de viande, des ragoûts et autres plats cuisinés demeurant l’apanage des traiteurs. Il ne sert pas de vin, non plus, pour les mêmes raisons, mais des eaux thermales aux vertus thérapeutiques. Fait nouveau, ses clients mangent à l’heure de leur choix, à une table individuelle, et peuvent choisir leur menu sur une carte, selon leurs envies et leurs impératifs de santé. L’addition est individualisée. Jean-François Vacossin, second restaurateur, établi rue de Grenelle, présente sur son enseigne une expression latine : accurite ad me omnes qui stomacho laboratis et ego vos restaurabo (Venez à moi, vous tous qui souffrez de la faim, et je vous restaurerai). D’où l’appellation restaurant  qui va connaître un succès planétaire. Avec la Révolution, ces initiatives vont se multiplier avec les chefs de cuisine, abandonnés par une noblesse en exil ou persécutée, qui vulgarisent leurs recettes à travers un repas à la carte. Plus question de se limiter aux bouillons : on sert des plats raffinés. C’est la naissance de la cuisine bourgeoise.

Hâtons-nous de succomber à la tentation, avant qu’elle ne s’éloigne.

Épicure

En septembre 2021, Eric Besnard sortira Délicieux, avec Gregory Gadebois et une Isabelle Carré au sommet de son art. S’il prendra des libertés avec la lettre du déroulé historique en mettant le restaurant au cœur d’une nature somptueuse plutôt qu’au pied d’un immeuble parisien, il sera d’une fidélité complète avec l’esprit de cet important changement social. Un régal.

Il est des éditeurs qui ont à cœur de mettre à la disposition des voyageurs des documents à même de les renseigner sur les voyages qu’ils entreprennent en France et même en Europe en leur donnant les distances, en lieues communes depuis Paris : ainsi on peut savoir combien de lieues séparent Paris de Saint Tropez…déjà…, de Venise – 280, soit 1120 km en prenant 4 km pour une lieue, de Montpellier 152, soit 608 km -. Cet éditeur se nomme Louis-Charles Desnos, il nomme son ouvrage : Indicateur fidèle. Dans les marges figurent les tableaux des voitures publiques (carrosses, coches ou messageries). Les coches d’eau, plus sûrs et plus confortables sont aussi signalés. Génériquement, on nomme cela une carte odographique.

Pour zoomer à volonté, voir David Rumsey Map Collection.

 

 

carte odographique5

2 04 1767  

2 746 Jésuites d’Espagne sont arrêtés et embarqués pour l’Italie : il en va de même pour leurs collègues du Nouveau Monde.

Comment Charles III, le roi très catholique d’Espagne a-t-il pu lui aussi se faire ainsi piéger par la simple calomnie… une histoire pourrie comme savent en broder les pervers : on trouva un jour dans les bagages de deux jésuites une lettre soit disant attribuée à un jésuite, où les recherches sur les origines du roi Charles III concluaient qu’il était bâtard. Le salopard qui avait posé ce piège savait qu’il serait efficace : Un homme de la trempe de Charles III ne modifie pas en un seul jour les opinions de toute sa vie. Restant chrétien plein de ferveur, il ne va pas briser un Institut qui, répandu dans chaque province de son empire, avait conquis plus de peuples à la monarchie espagnole que Christophe Colomb, Cortez et Pizarre. Pour décider Charles III à cet acte de sévérité inouïe, il a fallu des motifs extraordinaires. Le plus plausible, le seul qui sut allumer son courroux, c’était de jeter sur son royal écusson le stigmate de la bâtardise. On avait étudié à fond son caractère, on le croyait incapable de céder à des suggestions philosophiques, on le saisit par le point vulnérable.

Crétineau-Joly

L’affaire sera tenue secrète de bout en bout : Il est très peu d’exemples dans l’histoire d’une mesure aussi considérable (l’abolition de la Compagnie au pays de Loyola et sur toute l’étendue de l’immense Empire espagnol) qui ait laissé moins de traces. À l’exception du roi, quatre hommes seulement – le Premier ministre Aranda, les diplomates Roda et Monino et le juriste Campomanès – furent dans la confidence et manièrent le dossier. Seuls quelques pages et de très jeunes secrétaires inconscients servirent de scribes. Tous les ordres en vue de la proscription furent enfermés dans des enveloppes scellées adressés aux fonctionnaires de la Securidad dans toutes les possessions espagnoles au-delà des mers, avec cette mention : Sous peine de mort, à n’ouvrir que le 2 avril 1767, au déclin du jour.

Jean Lacouture. Jésuites. Les Conquérants. Seuil 1991

Le contenu de la lettre reflétait à merveille toute la douceur et la componction chers aux Espagnols ; qu’on en juge : Je vous revêts de toute mon autorité et de toute ma puissance royale pour sur-le-champ vous transporter avec main-forte à la maison des Jésuites. Vous ferez saisir tous les Religieux, et vous les ferez conduire comme prisonniers au port indiqué dans les vingt-quatre heures. Là ils seront embarqués sur des vaisseaux à ce destinés. Au moment même de l’exécution, vous ferez apposer les scellés sur les archives de la maison et sur les papiers des individus, sans permettre à aucun d’emporter avec soi autre chose que ses livres de prières et le linge strictement nécessaire pour la traversée. Si, après l’embarquement, il existait encore un seul Jésuite, même malade ou moribond, dans votre département, vous serez puni de mort.

Moi, le Roi

17 06 1767  

L’Anglais Samuel Wallis découvre Otaneite, rebaptisée Tahiti, qu’il quittera à regret. L’accueil avait été chaleureux, puis les indigènes, découvrant la signification d’un drapeau anglais planté sur leur sol, avaient attaqué les marins, lesquels avaient fait donner le canon. Mais on était finalement parvenu à une trêve, Wallis rencontrant la Reine pour lui offrir… des clous, inconnus sur l’archipel. C’est en quittant Tahiti qu’il découvrira l’archipel de Wallis et Futuna.

19 06 1767

La Bête du Gévaudan défie les meilleures troupes royales… curieux animal, qui, de 1764 à 1767, attaqua 168 fois, tua 81 personnes, en blessa 27, mais sans jamais s’attaquer à aucun mouton… en février 1765, plus de 20 000 paysans battent la campagne, avec le capitaine Duhamel et ses dragons ; en septembre 1765, le lieutenant de chasse de Louis XV, François Antoine, tue un loup de 130 livres, mais les attaques se poursuivront.

La bête, entre deux faits d’armes avait coutume de se réfugier au fond d’une forêt du domaine du marquis d’Apcher, où vivait avec ses deux fils un vieux garde-chasse, Jean Chastel, entouré de molosses, sans doute des chiens redevenus sauvages, dont l’un était un hybride de chien et de loup probablement dressé à tuer. Le 16 mai 1767, une fillette, amie de Jean Chastel meurt, attaquée par la bête. Le vieil homme, fou de douleur, décide de tuer l’animal, ce qu’il fait ce 19 juin… avec des balles faites de médailles fondues. La dépouille fût ramenée à Paris… en vain, car Louis XV ne daigna pas la voir.

Bien évidemment, l’évêque de Mende, en bon maquignon des affaires de l’Église, exploita l’affaire, brandissant les foudres de la vengeance divine : Pères et mères qui avez la douleur de voir vos enfants égorgés par ce monstre que Dieu a armé contre leurs vies, n’avez-vous pas lieu de craindre d’avoir mérité par vos dérèglements que Dieu les frappe d’un fléau terrible ?
Souffrez que nous vous demandions un compte de la manière dont vous les élevez ; quelle négligence à les instruire des principes de la religion et des devoirs du christianisme ! Quel soin prenez-vous de leur éducation ?

Pareille star ne pouvait qu’engendrer des chansons :

Voici comment on dépeint
Cette bête farouche
Que tout le monde craint.
Elle est longue et grosse,
Très formidable,
La tête comme un cheval,
L’oreille en corne,
Et le poil roux comme un veau…

Les yeux étincelants
D’un regard redoutable
Sont deux brasiers ardents.
Tout est épouvantable
Dans cette bête
Que le monde craint si fort,
Car, des pieds à la tête,
Elle présage la mort.

Cet animal subtil, 
Que l’on suit à la piste,
Ne craint point le fusil.
Chacun a le cœur triste.
Les coups qu’on tire
Ne font qu’effleurer sa peau.
Dans le cœur, chacun désire
De la voir dans le tombeau. […]

Par son agilité
Il fait huit lieues à l’heure.
Sa grande activité
Fait donc qu’il ne demeure
Sur une terre jamais que très peu de temps.
Cette effroyable bête
Fait trembler nos habitants

Une bonne centaine d’années plus tard, l’Écossais Robert Louis Stevenson, traversant la région, en entendra évidemment parler ; mais, comme il aura été plus qu’importuné par les enfants de sexe masculin qui ne cessaient de lui manifester leur imbécile méchanceté, il tiendra à l’égard de la Bête du Gévaudan des propos pas très éloignés de la provocation, bien que se voulant seulement d’humour british : La Bête du Gévaudan a dévoré environ une centaine d’enfants de ce canton. Elle commençait à me devenir sympathique. (dans Voyage avec un âne dans les Cévennes. 1879)

*****

Ce jour de juin 1764, Jeanne Boulet, bergère âgée de quatorze ans, garde un troupeau dans les vallées boisées du pays du Gévaudan où coule l’Allier. Quelques heures plus tard, on retrouve son corps gravement mutilé. Une attaque de loup, semble-t-il. Sa mort n’a rien d’extraordinaire à l’époque, car il n’est pas rare que les enfants conduisent moutons et bestiaux par eux-mêmes, et on sait bien que les loups font partie des périls de la vie pastorale.

Mais les victimes comme Jeanne Boulet s’accumulent. On les retrouve gravement blessées, démembrées et même décapitées. Quelle que soit la nature du fléau, on a affaire là à un animal bien plus féroce qu’un loup ordinaire. La rumeur d’un loup-garou commence à circuler, et très vite on se met à l’appeler la Bête.

Celle-ci terrorisa le Gévaudan pendant trois années et tua une centaine de personnes (bien que selon certaines sources, elle aurait fait 300 victimes). Entre 1764 et 1767, on abattit plus d’une centaine de loups dans le Gévaudan. Mais les spécialistes n’arrivent toujours pas à savoir si la bête meurtrière se trouvait ou non dans le lot.

The beast lead

Sur cette gravure du 18e siècle, le garde du corps du roi, François Antoine, abat un loup qu’on croit être la bête, le 21 septembre 1765. Deux mois plus tard, elle reparaît et terrorise la France à nouveau.

Le comté historique du Gévaudan, niché dans les hauteurs sauvages du Massif Central, est à cheval entre l’Auvergne et le Languedoc. C’est une terre spectaculaire et hostile, aux forêts denses et aux plateaux rincés par la pluie. Le Gévaudan a connu la prospérité mais les guerres du 16° siècle ont mis ravagé son économie rurale. Dans le coin, les gens sont extrêmement pauvres et survivent en rassemblant les troupeaux.

Après la mort de Jeanne Boulet, une demi-douzaine de cas surviennent et de jeunes bergers forment des groupes et ne se séparent plus. Mais leur nombre ne décourage pas la bête. Les attaques brutales se poursuivent et ôtent la vie de femmes et d’enfants principalement. À l’automne 1764, le bruit se répand bien au-delà des limites du Gévaudan et gagne la France entière.

La bête devient une obsession nationale grâce au feuilliste en chef du Courrier d’Avignon, François Morénas. Après la fin de la guerre de Sept Ans contre la Grande-Bretagne en 1763, il n’a plus rien à se mettre sous la dent. Doué pour colporter des ragots sensationnalistes, François Morénas fait imprimer des articles sur la Bête du Gévaudan pour relancer les ventes de son journal et pour que la nation entière soit au courant.

Wooded slopes

Les flancs boisés du mont Mouchet, où Jean Chastel aurait tué la bête le 17 juin 1767. À son pied, on voit son village natal de La Besseyre-Saint-Mary.

Ces attaques suscitent un effroi que les correspondants du journal attisent avec des articles exagérés. L’un d’eux affirme que la bête est douée d’une vélocité stupéfiante. Un autre assure qu’elle a le regard du diable. D’autres soutiennent qu’elle a l’intelligence d’un gladiateur rusé, gaillard et habile. Fin 1764, la publication de François Morénas compare la bête au lion de Némée et à d’autres monstres terrifiants.

En plus des descriptions horrifiques de la bête elle-même, le journal fait imprimer les témoignages des rescapés après leur face-à-face. En janvier 1765, un groupe de préadolescents a réussi à tenir la créature à distance à l’aide de bâtons. En mars, Jeanne Jouve a dû lutter pour protéger ses trois enfants ; l’un d’eux, âgé de six ans, a succombé à ses blessures. Mais l’un des plus célèbres témoignages est celui de Marie-Jeanne Vallet, la pucelle du Gévaudan, qui a mis la bête en fuite après l’avoir blessé au poitrail avec une baïonnette. 

Pour certains, la perspective d’attraper la bête est un bon plan de carrière et aussi l’espoir d’une rédemption. À l’automne 1764, Jean-Baptiste Duhamel, capitaine aide-major de l’armée, originaire de la région, recrute des milliers d’habitants du coin pour l’aider à traquer la bête. Selon certains témoignages, la bête aurait une longue bande noire filant jusqu’en bas du dos. Le capitaine Duhamel émet l’hypothèse qu’il ne s’agit pas vraiment d’un loup mais plutôt d’un gros chat : Cet animal est un monstre dont le père est un lion ; reste à savoir quelle en est la mère. Malgré ses tentatives répétées, il ne parviendra pas à arrêter le monstre.

A local hero

Selon les légendes de la région, Jean Chastel, qu’on reconnaît comme tueur de la bête, aurait emmené son trophée jusqu’à Paris mais aurait été snobé par le roi qui avait perdu tout intérêt pour l’affaire du Gévaudan. On ne sait pas si cette rencontre a vraiment eu lieu mais on l’a en tous cas incluse dans un récit qui oppose les héros braves du pays aux gens de l’extérieur. Ce monument à l’effigie de Jean Chastel se trouve à La Besseyre-Saint-Mary, en Haute-Loire.

Début 1765, l’affaire du Gévaudan a pris tant d’ampleur que Louis XV s’en mêle. Il récompense le groupe de garçons qui a repoussé la bête avec des bâtons et offre une instruction à titre gracieux au chef de bande. En mars, le roi envoie ses propres chasseurs afin de piéger la bête. Un chasseur de loups normand, le renommé Jean-Charles Vaumesle d’Enneval, est nommé pour mener l’expédition. Mais il échoue lui aussi.

Irrité par l’échec de son chasseur, Louis XV envoie son propre garde du corps, le vétéran François Antoine. Le 21 septembre 1765, ses hommes tuent un grand loup qu’ils pensent être la bête. On envoie la dépouille à Paris, François Antoine est récompensé.

Mais deux mois plus tard, les attaques reprennent. Entre décembre 1765 et juin 1767, on comptera trente victimes supplémentaires. La peur règne à nouveau sur le Gévaudan, sauf que cette fois-ci, les habitants sont livrés à eux-mêmes. Dans l’embarras après leur échec, les autorités n’y font plus vraiment attention et les journaux aussi s’en sont détournés.

Le 19 juin 1767, un chasseur de la région du nom de Jean Chastel tire sur un gros animal et le tue. À partir de là, les attaques cessent. À en croire les témoins, la créature abattue a quelque chose du loup, mais pas tout à fait : elle a une tête hideuse et un manteau rouge, blanc et gris que les chasseurs n’avaient jamais observé sur un loup auparavant.

Dans les siècles qui suivent, on investigue plusieurs hypothèses quant aux causes de ces morts horribles dans le Gévaudan. Une des plus populaires est l’explication surnaturelle : le loup-garou. La science aura beau l’exclure, cette légende subsistera pendant des années. Peut-être parce que selon la rumeur, Jean Chastel aurait tué la Bête du Gévaudan avec une balle en argent.

Des théoriciens ont plus récemment émis l’hypothèse que cela aurait pu être l’œuvre d’un tueur en série accompagné d’un animal ; mais c’est bien trop tiré par les cheveux pour la plupart des experts.

Des théoriciens ont plus récemment émis l’hypothèse que cela aurait pu être l’œuvre d’un tueur en série accompagné d’un animal ; mais c’est bien trop tiré par les cheveux pour la plupart des experts. 

Les explications les plus généralement acceptées viennent du monde animal. Certains suggèrent que la bête était une créature non endémique et égarée, une hyène par exemple. Le biologiste Karl-Hans Taake a récemment avancé l’idée que la bête était en fait un jeune lion qui s’était échappé et dont la crinière immature a pu sembler étrange à des habitants de la France rurale d’alors. Selon lui, le lion aurait fini par mourir après avoir ingéré un des appâts empoisonnés qu’on avait posés dans tout le Gévaudan.

The beast engraving

Les attaques répétées de la bête représentées sur une gravure du 18e siècle.

L’historien Jay M. Smith propose une théorie moins exotique et plus vraisemblable : la Bête du Gévaudan aurait en fait été un groupe de grands loups. Le prisme déformant de la presse et l’hystérie nationale auraient créé de toute pièce la Bête du Gévaudan et le battage qui a suivi.

Plus d’un siècle après la dernière attaque, un Robert Louis Stevenson en voyage (il n’avait alors pas encore écrit L’Île au trésor) traverse le Gévaudan et fait part de son désarroi face aux changements du monde : C’était le pays de l’insigne Bête, le Napoléon Bonaparte des loups. Maintenant que le train arrivait, on n’y [connaîtrait] point une aventure digne de ce nom.

La modernité a beau s’être immiscée dans le Gévaudan, elle ne permettra jamais d’identifier assez précisément la bête pour satisfaire qui que ce soit. Ainsi planent sur le Massif Central les brumes d’un mystère qui peinent à se dissiper.

National Geographic Magazine 11 juillet 2024

 

« La Bête de Gévaudan », estampe.

Truyền thuyết có thật về những con quái thú khát máu vùng Gévaudan

à Auvers.

 

27 06 1767 

Alexis Bouvard naît dans un alpage des Contamines-Montjoie, en Haute Savoie. Il deviendra astronome reconnu, ayant été le premier à supposer l’existence de Neptune, par les irrégularités constatées dans le mouvement d’Uranus. Neptune, à 4 milliards de kilomètres de la terre, sera découverte par l’anglais Adams en 1843 et le Français Le Verrier en 1846.

1767    

Selon un vieil adage, il y aurait deux choses auxquelles il faille prêter beaucoup d’attention lors de leur choix : le lit et les chaussures, car, lorsque l’on n’est pas dans l’un, on est dans l’autre. Muni de ce constat, on est en droit de penser que, dès la plus haute antiquité, l’homme s’est soucié de mettre les pieds dans un environnement confortable : non point… [à l’exception des sandales de l’antiquité] il a fallu attendre jusqu’à cette seconde moitié du XVIII° siècle pour voir quelques mots consacrés à la chaussure : Dans les formes ordinaires [de souliers masculins], les renflements et rétrécissements du contour de la plante du pied sont égaux à droit [sic] et à gauche, de façon que le dessous de la semelle […] représente une figure régulière ; cela n’est cependant pas dans la nature […]

François-Alexandre de Garsault (1693-1778) L’Art du Cordonnier 1767

La différenciation entre pied gauche et pied droit, naît en Amérique vers 1801. Un début de vulgarisation de ce système verra le jour en 1822. En 1792, à Norwich en Angleterre, John Smith oblige les manufacturiers à indiquer la taille des chaussures. Les semelles sont ainsi parfaitement identiques, tout à fait inconfortable dans l’usage. […] Cela oblige notamment à changer régulièrement les chaussures de pied, afin de préserver l’équilibre de la forme : C’est pourquoi on est communément dans la nécessité, pour peu qu’on soit marcheur, de changer tous les jours ses souliers de pied, afin de faire revenir en leurs places les semelles que le pied avait poussées en dehors la veille, moyennant quoi, on leur rend perpétuellement leur régularité […]. Ce système a de nombreux inconvénients : ce mouvement journalier doit les corrompre et les user plutôt ; et le pied qui, pour ainsi dire, les remet toujours en forme, a un office qui, quand les souliers sont neufs, ne laisse point de le gêne.

Mais, quels que soient les inconforts, Garsault se plie à la mode, et classe dans la catégorie des originaux celui qui se fait faire des chaussures adaptées à chaque pied : […] quoique cette personne soit grand chasseur, et qu’il marche souvent  depuis le matin jusqu’au soir, il ne change point ses souliers de pieds, et le soulier neuf ne le gêne ni ne le blesse jamais ; il est vrai que le dessous de ses semelles ne satisfait pas la vue par leurs biaisements.

L’Anglais William Feetham, fabricant de fours et de fourneaux fait breveter le premier modèle de douche mécanique : en bas, une cuvette, en haut un petit réservoir d’où l’eau coule en traversant une pièce perforée de petits trous. Les deux parties sont assemblés par des bambous, que l’on peut entourer d’un voile pour … éviter d’être vu ou plus simplement pour éviter de mettre de l’eau partout.

Un journal du monde » Blog Archive » 1767 à 1772. La bête du Gévaudan. Cook. Bougainville. Crèvecœur. 17478

Manoir d’Erddig Pays de Galles début XIX°

James Watt, ingénieur écossais, fabricant d’instruments scientifiques, perfectionne considérablement la première machine à vapeur de Newcomen et Savery : c’est son nom qui passera à la postérité ; deux ans plus tard, il déposera un brevet pour l’invention du condenseur séparé, qui évite de refroidir inutilement le cylindre à pistons. En fait, il lui faudra attendre l’été 1776 pour faire fonctionner avec un total succès deux machines à vapeur, le mouvement rectiligne du piston étant transformé en mouvement circulaire par la bielle et la manivelle. Aujourd’hui, l’ancienne usine sidérurgique de Fumel, dans le Lot-et-Garonne abrite l’une des deux machines de Watt encore en état de marche : 15 mètres de long, 10 mètres de large, 12 mètres de hauteur.

Pierre Joseph Laurent est mécanicien – ingénieur aujourd’hui – ; c’est un homme de ressource, qui a déjà su se faire apprécier : Il assèche les marais, découvrant les terres où l’on pourra faire pousser du blé et élever du beau bétail. Il ouvre les canaux par où se répandent les grains, les vins et les charbons, des routes où circuleront les engrais et les idées. Il donne à boire de l’eau pure, là où elle était polluée. Il permet aux mineurs d’aller chercher plus profond les richesses de la terre, le métal qui conduit l’eau, le charbon qui chauffe les masures, travaille le fer, cuit les briques, les vitres, les bouteilles et les vaisselles saines. […]. Dans les jardins des riches, il crée des jeux d’eau pour le plaisir des yeux et d’immenses bassins sous les grands arbres qu’on illumine la nuit pour les fêtes du rêve. Il invente  […] l’espoir.

                   Louis Thibaut. Le mécanicien anobli, Pierre Joseph Laurent Arno Press 1981

Il a obtenu le soutien de Choiseul pour entreprendre la construction d’un souterrain de 14 km de long qui permettra de relier par un canal le bassin de la Somme à celui de l’Escaut, c’est-à-dire avoir ainsi un accès direct aux Pays Bas. Personne n’a encore réalisé pareille longueur en souterrain. Ce sera le souterrain de Riqueval, 17 km au nord de Saint Quentin ; haut et large de 6 m., il aura un parapet de chaque coté permettant la traction par l’homme ; tous les 200 m, il fait creuser des puits d’accès direct au tunnel, permettant l’extraction des déblais avec un treuil. Au cours de ces trois premières années, il emploie 12 000 à 15 000 personnes, payées à la tâche. Mais c’est son principal soutien qui disparaît avec Choiseul. Celui de Voltaire, enthousiaste, ne lui est pas d’un grand secours ; il se bat, fait visiter son ouvrage, promène les visiteurs en barque sur le canal, leur montre des maquettes ; mais il meurt en 1773 : 10 km avaient été réalisés. Ce qui deviendra le canal de Saint Quentin sera la reprise par Napoléon du projet beaucoup plus ancien de l’ingénieur militaire de Vicq.

L’audace de l’entreprise représentera un seuil à partir duquel on osera entreprendre les grandes réalisations du XIX° siècle.

En Norvège, le commandement militaire décide de distinguer les meilleurs skieurs en pente raide et sur terrain plat, le tir le plus précis en pente et la plus rapide évolution entre les arbres ; ce sont les ancêtres des compétitions de descente, de fond, de biathlon et de slalom, spécial et géant.

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[1] Fénelon ne dit là rien d’original : dans le langage des archéologues de cette époque, arabe est synonyme de gothique

[2] Madame de Pompadour était née Jeanne Antoinette Poisson.  Quant à Soubise, il aurait mieux fait de continuer à s’occuper de ses oignons en créant  une autre sauce  plutôt que d’envoyer au casse-pipe des milliers d’hommes.

[3] L’affaire avait été alors suffisamment connue pour que Savigny, chirurgien rescapé du radeau de La Méduse, en fasse mention dans son rapport de 1816 sur le naufrage de La Méduse.