1735 à 1750. Carl von Linné. Vaucanson. Venise. 14571

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Publié par (l.peltier) le 6 novembre 2008 En savoir plus

1735

Début de l’exploitation industrielle du pétrole à Pechelbronn (Alsace). Une société d’extraction des sables bitumineux sera créée le 1° mai 1741. D’abord en Angleterre, puis dans toute l’Europe, le bois, principal fournisseur d’énergie combustible, ne suffit plus à alimenter les usines à fer et il faut se tourner vers d’autres sources énergétiques. La houille, ou charbon de terre, est sollicitée pour remplacer le charbon de bois dans les hauts fourneaux avec l’introduction de la fonte au coke. Elle le remplacera de plus en plus pour l’alimentation des machines à vapeur naissantes et deviendra le principal combustible au cours du XIX° siècle. Abraham Darby utilise ce coke dans un haut fourneau, le mélangeant avec le minerai de fer pour donner les premiers aciers.

Le Kremlin peut s’enorgueillir d’un maître bourdon, la tsar Kolokol, de 200 tonnes pour 6 mètres de haut.

Le botaniste suédois Carl von Linné publie le Système de la Nature, dans lequel il appelle l’homme, Homo Sapiens, espèce parmi les autres espèces animales. Il distingue différentes variétés [1] :

  • Homme sauvage : Quadrupède, muet, velu.
  • Américain : Teint cuivré, cholérique, debout. Cheveux noirs, droits, épais ; narines larges, visage dur, barbe clairsemée ; obstiné ; vide d’esprit. Se badigeonne de traits rouges et fins. Régi par des coutumes.
  • Européen : Teint clair, sanguin, musclé. Chevelure blonde ou brune tombante ; yeux bleus ; doux, fin, inventif. Habillé de vêtements serrés. Gouverné par des lois.
  • Asiatique : Teint fuligineux, atrabilaire, rigide. Chevelure noire ; yeux sombres ; sévère, hautain, avide. Habillé de vêtements amples. Gouverné par des opinions.
  • Africain : Noir, flegmatique, détendu. Chevelure noire ; crépue ; peau soyeuse ; nez épaté, lèvres bouffies, habile, indolent, négligent. S’enduit de graisse. Gouverné par des caprices.

Mais c’est bien par son système de classement des plantes qu’il innova le plus : jusqu’alors, peu ou prou, tout le monde botanique avalisait une vison fixiste de l’univers, admettant qu’il existait autant d’espèces diverses que Dieu créa de formes diverses à l’origine des choses. Linné lui, se demande si le milieu ne pourrait pas avoir diversifié les espèces. C’est-à-dire qu’une même fleur deviendrait autre, évoluerait, se diversifierait seule, jusqu’à se présenter tout à fait différemment ailleurs. Le transformisme était né. Fils de pasteur, il restera toute sa vie profondément croyant, en quête d’un ordre se rapprochant le plus possible de l’ordre divin : Je vis le dos de Dieu, infini, omniprésent et tout-puissant, alors qu’il marchait et je fus stupéfait ! J’ai marché dans ses traces dans la nature et j’ai observé dans chacune, même dans celles que je pouvais à peine discerner, une sagesse et un pouvoir infini, une perfection inexplorée. J’ai alors vu comment les animaux sont nourris par les plantes, les plantes sont nourries par le sol, le sol par la terre, comment la terre tourne jour et nuit autour du soleil qui lui donne vie ; comment le soleil tourne sur son axe avec les Planètes et les Étoiles fixes, incomparables en nombre et infinies en étendue, et contenues dans son vide par le premier mouvement insondable, le Premier responsable (Aristote), la source et le timonier de toutes les causes, le Seigneur et Maître du monde. L’appeler Destinée ne serait pas erroné car toutes choses dépend de son doigt ; l’appeler Nature ne serait pas erroné non plus, car il est la source de toute chose ; l’appeler Providence serait également vrai puisque tout s’accomplit selon son souhait et sa volonté.

Carl von Linné. Systema Naturae

Dans l’élaboration de sa classification, la sexualité des plantes – pistil et étamines – était l’une des principales caractéristiques retenues : Linné était profondément croyant mais certainement pas bigot et n’entendait pas brider ses élaborations scientifiques par une pruderie, que l’on estime aujourd’hui déplacée, mais qui était alors fort répandue : Le professeur Siegesbeck, né en Allemagne et travaillant à Saint Pétersbourg, considérait le système sexuel comme immoral. Il était choqué que Linné déclare que les Suédois apprendraient que l’accouplement des herbes se produisait grâce à des hommes et à des femmes parmi les plantes et ceci, exactement comme chez les animaux, sans euphémismes métaphoriques. Le propos du botaniste suédois sur les suites nuptiales et les lits matrimoniaux était trop charnel. Linné rassemblait des hommes et des femmes de la façon la plus inconvenante et les hommes étaient souvent plus nombreux que les femmes ! Qui, se demandait Siegesbeck, imaginerait que le Dieu tout puissant, instaurerait une telle confusion – ou plutôt, une telle prostitution honteuse – dans la propagation des plantes ? Qui enseignerait à de jeunes étudiants un tel système obscène sans choquer ? Le système sexuel ne pouvait être à la fois qu’inapproprié, et une mauvaise base pour la systématique botanique.

Nils Uddenberg. Linné, le rêve de l’ordre dans la nature. Belin 2007

Le cachez-moi ce sein que je ne saurais voir, avait certes encore quelques décennies à vivre, mais, et cela est probablement encore plus vrai chez les scientifiques, la force de l’honnêteté intellectuelle, de l’exigence scientifique l’emportèrent  et ces prises de position, qui font aujourd’hui sourire, n’empêchèrent point l’adoption généralisé du système de classification de Linné.

Il se faisait une haute idée de lui-même : Deus creavit, Linnaeus deposuit : – Dieu, créa, Linné classa -. Il avait voyagé dans les jeunes années mais finit par rester à Uppsala, où l’occupait sa chaire de professeur. C’est à ses étudiants qu’il demanda d’élargir sa collection en les envoyant de par le monde : ses importantes et nombreuses relations lui permettaient de leur obtenir une place au sein des explorations de l’époque. Nombreux furent ceux qui ne revinrent jamais, emportés par le scorbut ou autre carence des gens de mer. Mais ceux qui s’en retournèrent enrichirent grandement ses collections. À sa mort, sa veuve dans le besoin vendit le tout (ou presque) en 1784 à un naturaliste fortuné de Londres, ami de Banks, James Edward Smith, de quoi donner un solide fonds de documentation à la Linnean Society of London, crée quatre ans plus tard.

de 1735 à 1771

Joseph Jussieu botanise en Amérique du sud : il retrouve l’arbre à quinine – le chinchona – dont les jésuites du Pérou n’ont pas voulu révéler l’existence, 30 ans plus tôt : il deviendra la panacée des colons ; il décrit encore l’arbre à coca, qui calme la souffrance des mineurs indiens, mais on attendra 1865 pour mettre au point la cocaïne. Envoûté par le Pérou, il y laissera santé physique comme mentale, réalisant parfois quelques exploits notables comme l’ascension du volcan Tunguragua, à 5 087 m. Il mourra à Paris, épuisé et ruiné, ayant perdu l’essentiel de ses herbiers et écrits.

Charles Marie La Condamine l’a accompagné sur la première partie de l’expédition : dans le bassin de l’Amazone, dont il dresse une carte, il observe l’hévéa [2], dont la sève appelée cahuchu sert aux Indiens à colmater leurs pirogues : Il croît dans la province d’Esmeraldas un arbre appelé par les Naturels Hheve. Il en découle par la seule incision une liqueur blanche comme du lait, qui se durcit et noircit peu à peu à l’air […]. Le même arbre croît, dit-on, le long des bords de la rivière des Amazones. Les Indiens maïpas nomment la résine qu’ils en tirent Cahuchu, ce qui se prononce caoutchouc. Ils en font des bottes d’une seule pièce, qui ne prennent point l’eau et qui, lorsqu’elles sont passées par la fumée, ont tout l’air de véritable cuir.

[…]  quand elle est fraîche, on lui donne avec des moules la forme qu’on veut ; elle est impénétrable à la pluie, mais ce qui est plus remarquable, c’est sa grande élasticité. On en fait des bouteilles qui ne sont pas fragiles, des boules creuses qui s’aplatissent quand on les presse, et qui, dès qu’elles ne sont plus gênées, reprennent leur première figure.

Charles-Marie de La Condamine. Note à l’Académie des sciences de Paris, 1736

Immédiatement intéressé, La Condamine protège de l’humidité ses instruments de physique dans des toiles enduites de caoutchouc et rendues résistantes par exposition à la chaleur. De retour en France, il présente à l’Académie des sciences le Mémoire sur une résine élastique nouvellement découverte à Cayenne par M. Fresneau (Paris, 1751). Vers la même époque, le chimiste anglais Joseph Priestley constate qu’il peut effacer un texte au crayon par frottement, à l’aide d’un fragment de caoutchouc : la gomme était née et, pour les Anglais, l’Arbre à caoutchouc gardera le nom de Rubber Tree (to rub out : effacer).

Francis Hallé. Plaidoyer pour l’arbre. Actes Sud. 2005

Une dizaine d’années plus tôt, c’est un jésuite se trouvant en Guyane qui avait observé : C’est une espèce de poire creuse et fort maniable qui sert de seringue : elle est faite d’une gomme, laquelle a une vertu de ressort si surprenante qu’elle fait autant de bonds qu’une balle de paume. Elle ne fond point, quelque chaude que soit l’eau dont on remplit la poire […]. Nos Indiens font des anneaux de la même gomme, lesquels se métamorphosent en bracelets, en jarretières, en colliers, en ceintures et redeviennent des anneaux. Ils serrent exactement le doigt, sans égard à la petitesse et à la grosseur : tirez l’anneau du doigt, il se prêtera, si vous le voulez, à tous les doigts réunis et passera au bras comme bracelet ; tirez-le derechef pour le porter à la tête, il s’augmentera sans effort pour la couronner et se rétrécira lorsque vous l’aurez fait descendre sur le cou en guise de collier : il s’allongera encore pour embrasser tout le corps et passer du cou et des épaules à la ceinture ; enfin, descendu jusqu’en bas, il reprendra sa forme naturelle pour servir d’anneau comme auparavant, sans avoir perdu de sa mollesse et de son ressort. […]

J’ai vu un Indien qui donnait à cet anneau un usage encore plus extraordinaire et qui montre bien le ressort infini de cette gomme, et s’en servait comme de corde à son arc.

Anne-Joseph de la Neuville, jésuite. Les mémoires de Trévoux, 1723

L’inclinaison pour la mélancolie n’était pas encore à la mode et la volonté de vivre et d’aimer pouvait se faire farouche, et surmonter tous les obstacles : La Condamine rentra à Paris en Janvier 1745. Bouguer l’avait précédé et les deux savants se disputèrent la priorité de leurs découvertes au Pérou. Son compagnon, Jean Godin des Odonais, et Isabella, sa jeune femme péruvienne, restés en Amérique, y vécurent mille aventures. Ils durent quitter leur résidence de Lima à la suite d’un tremblement de terre. Se rendant en France pour régler des affaires de famille à la suite de la mort de son père, Godin se mit en route en mars 1749 ; sa femme, enceinte devait le rejoindre à Cayenne après avoir accouché. Elle partirait de Quito, en descendant l’Amazone. Elle ne put se mettre en route qu’en octobre 1749, avec une escorte de 30 Indiens qui l’abandonnèrent rapidement. Restée seule avec ses frères et quelques fidèles, elle aurait du retrouver des vivres stockées à Canelos, mais la ville avait été ravagée par la variole. Deux indiens survivants les aidèrent à fabriquer un canoë qu’ils menèrent quelques jours puis disparurent. Personne n’étant à même de piloter cette embarcation, ils suivirent le cours du fleuve en se frayant un chemin à la machette. Ils construisirent un radeau qui se fracassa sur un arbre ; ils poursuivirent à pied ; la fièvre et l’épuisement eurent raison de tous, sauf d’Isabella. La jeune femme parvint enfin, seule, vêtue de loques enlevées aux morts, à être embarquée sur la pirogue de deux Indiens qui l’amenèrent à la mission de la Laguna, d’où elle put gagner Cayenne par mer. Cette héroïne de l’amour conjugal avait parcouru mille lieues. On raconte qu’elle commença par dire à son homme : ce que j’ai fait, aucun homme ne l’aurait fait, puis elle s’endormit dans ses bras.

La belle avait inauguré une série des grandes heures de l’homme, [étant entendu qu’on ne peut parler des exploits et prouesses antérieures, qu’on ne connaît pas] qui se poursuivra en Amérique du Sud avec Henri Guillaumet en 1930 dans la Cordillère des Andes, avec Walter Bonatti, dans le pilier central du Mont Blanc en 1961, avec Joe Simpson au Siula Grande, encore dans la Cordillère des Andes en 1985, et tant d’autres… tant d’autres dont l’histoire n’a pas retenu les noms, bagnards oubliés de tous dans les mines de sel de Mauritanie, déportés acharnés à vivre en enfer, envers et contre tout, sous la botte de fous, nazis ou communistes, et plus simplement tous ceux qui avec leur chaînes, pour pas que ça nous gêne, font un bruit de grelot [Anne Sylvestre].

5 04 1736 

Theodor Neuhoff, aristocrate allemand  doté d’une expérience certaine de l’espionnage, surfe sur la vague antigénoise pour se faire proclamer roi de Corse, sous le nom de Theodor I : il réussira tout de même à rester sur son trône jusqu’au 13 novembre. C’est la propagande française et génoise qui en fit un roi d’opérette, ce qu’il n’était pas.

1736  

Le cheval du marquis de Rocozel, un village du Languedoc est atteint d’un prurit tenace dont ne viennent à bout que des bains répétés dans l’eau de la source d’Avène. C’est le début d’une renommée qui ne tarira pas plus que la source, bienfaisante contre les inflammations, les irritations cutanées, brûlures. Au XX° siècle, c’est encore le cheval – de course – qui sera le premier à bénéficier d’un Synovial, excellent remède en infiltration contre les problèmes de ménisques…. Du cheval, il passera à l’homme.

En Guadeloupe, des nègres marrons de Basse-Terre commandés par Bordebois, associés à des Moutong, originaires du Congo, marrons de la Grande Terre, s’allient d’un bout à l’autre de l’île pour tuer les colons. Des fuites permirent aux colons de se mettre en chasse, capturant une trentaine de nègre marrons qu’ils tuent ou mettent au supplice : corps rompu sur la roue, fouet, carcan. Un an plus tard, les marrons capturent Wonche, un garçon qu’ils mangent en rituel de sacrifice. L’affaire va faire grand bruit.

4 11 1737

Inauguration du théâtre San Carlo de Naples : 6 étages de loges, une  capacité de 3 000 spectateurs, un parterre de 35 m. Demandé par Charles de Bourbon, il a été réalisé par Giovanni Antonio Medrano. La salle du San Carlo est or et argent, et les loges bleu de ciel foncé. Les ornements de la cloison qui sert de parapet aux loges sont en saillie : de là la magnificence. Ce sont des torches d’or groupées et entremêlées de grosses fleurs de lis. De temps en temps cet ornement qui est la plus grande richesse, est coupé par des bas-reliefs d’argent. J’en ai compté, je crois, trente [sic]. Les loges n’ont pas de rideaux et sont fort grandes. Je vois partout cinq ou six personnes sur le devant. Il y a un lustre superbe, étincelant de lumière, qui fait resplendir de partout ces ornements d’air et d’argent. Rien de plus majestueux et de plus magnifique que la grande loge du roi, au-dessus de la porte du milieu : elle repose sur deux palmiers d’or de grandeur naturelle. La draperie est en feuilles de métal, d’un rouge pâle. La couronne, ornement suranné, n’est pas trop ridicule. Par contraste avec la magnificence de la grande loge, il n’y a rien de plus frais et de plus élégant que les petites loges incognito, placées au second, contre le théâtre. Le satin bleu, les ornements d’or et les glaces sont distribuées avec un goût que je n’ai vu nulle part ailleurs en Italie. La lumière étincelante qui pénètre dans tous les coins de la salle permet de jouir des moindres détails.

Stendhal Rome, Naples et Florence

La merveille brûlera en 1816. Reconstruite, le rouge y remplacera le bleu, et elle s’attachera de prestigieux chanteurs et musiciens comme Rossini, Donnizetti. C’est sur sa scène que naîtra l’opéra-bouffe : tout d’abord simple intermède entre les actes des tragédies de l’opéra, où aristocrates et bourgeois étaient moqués aux dépens de leurs serviteurs à la langue pointue et à l’intelligence pétillante, ces intermezzos connaîtront un tel succès qu’ils deviendront un genre propre, donnant ses représentations en se libérant de la tutelle de l’opéra. Le San Carlo sera intégralement restauré dans les années 2000.

Teatro San Carlo – Naples | Forum Opéra

Opera House San Carlo, Napoli | San carlo, Opera house, Isle of capri

1737

En provenance d’Angleterre, apparition des cabinets à soupape, munis d’un siège et d’un couvercle, dits aussi lieux à l’anglaise ; améliorés ils deviendront les Water Closets.

8 02 1738 

À la demande de Gênes, débarquement de troupes françaises à Bastia pour combattre la révolte des Corses qui dure depuis 9 ans. Elle ne prendra fin qu’en 1768.

28 04 1738  

Le pape Clément XII publie la bulle In eminenti apostolatus specula contre la Franc-maçonnerie. Quoique prononcée comme définitive – constitution valable à perpétuité –, cette condamnation n’est que la première d’une longue série, puisque pendant plus de deux siècles, pratiquement tous les successeurs de Clément XII la reformuleront. Le ton de cette bulle est véhément et empressé, comme si le pape savait que son action arrivait déjà trop tard pour arrêter la marche triomphante des Lumières qui allait culminer dans la Révolution française.

 À tous les fidèles de Jésus-Christ, salut et Bénédiction Apostolique.

Élevé par la divine Providence au plus haut degré de l’apostolat, tout indigne que Nous en sommes, selon le devoir de la surveillance pastorale qui Nous est confiée, Nous avons, constamment secouru par la grâce divine, porté notre attention avec tout le zèle de notre sollicitude, sur ce qui, en fermant l’entrée aux erreurs et aux vices, peut servir à conserver avant tout l’intégrité de la religion orthodoxe, et à bannir du monde catholique, dans ces temps si difficiles, les risques de troubles.

Nous avons appris, par la rumeur publique, qu’il se répand à l’étranger, faisant chaque jour de nouveaux progrès, certaines sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules, appelés communément du nom de Francs-Maçons ou d’autres noms selon la variété des langues, dans lesquels des hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence d’honnêteté naturelle, se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu’impénétrable, d’après des lois et des statuts qu’ils se sont faits, et s’engagent par serment prêté sur la Bible, et sous les peines les plus graves, à couvrir d’un silence inviolable tout ce qu’ils font dans l’obscurité du secret.

Mais comme telle est la nature du crime qu’il se trahit lui-même en poussant des cris qui le font découvrir et le dénoncent, les sociétés ou conventicules susdits ont fait naître de si forts soupçons dans l’esprit des fidèles, que s’enrôler dans ces sociétés c’est, auprès des personnes de probité et de prudence, s’entacher de la marque de perversion et de méchanceté; car s’ils ne faisaient point de mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière; et ce soupçon s’est tellement accru que, dans plusieurs États, ces dites sociétés ont été, depuis longtemps déjà, proscrites et bannies comme contraires à la sûreté des royaumes.

C’est pourquoi, Nous, réfléchissant sur les grands maux qui résultent ordinairement de ces sortes de sociétés ou conventicules, non seulement pour la tranquillité des États temporels, mais encore pour le salut des âmes, et voyant que par là elles ne peuvent nullement s’accorder avec les lois civiles et canoniques; et comme les oracles divins Nous font un devoir de veiller nuit et jour en fidèle et prudent serviteur de la famille du Seigneur pour que ce genre d’hommes, tels des voleurs, ne percent la maison, et tels des renards, ne travaillent à démolir la vigne, ne pervertissent le cœur des simples et ne le transpercent dans le secret de leurs dards envenimés; pour fermer la voie très large qui de là pourrait s’ouvrir aux iniquités qui se commettraient impunément, et pour d’autres causes justes et raisonnables de Nous connues, de l’avis de plusieurs de nos vénérables frères Cardinaux de la Sainte Église Romaine, et de Notre propre mouvement, de science certaine, après mûre délibération et de Notre plein pouvoir apostolique,

Nous avons conclu et décrété de condamner et d’interdire ces dites sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules appelés du nom de Francs-Maçons, ou connus sous toute autre dénomination, comme Nous les condamnons et les défendons par Notre présente constitution, valable à perpétuité.

C’est pourquoi Nous défendons sévèrement et en vertu de la sainte obéissance, à tous et à chacun des fidèles de Jésus-Christ, de quelque état, grade, condition, rang, dignité et prééminence qu’ils soient, laïcs ou clercs, séculiers ou réguliers méritant même une mention particulière, d’oser ou de présumer, sous quelque prétexte, sous quelque couleur que ce soit, d’entrer dans les dites sociétés de Francs-Maçons ou autrement appelées, ni de les propager, les entretenir, les recevoir chez soi; ni de leur donner asile ou protection, y être inscrits, affiliés, y assister ni leur donner le pouvoir ou les moyens de s’assembler, leur fournir quelque chose, leur donner conseil, secours ou faveur ouvertement ou secrètement, directement ou indirectement, par soi ou par d’autres, de quelque manière que ce soit, comme aussi d’exhorter les autres, les provoquer, les engager à se faire inscrire à ces sortes de sociétés, à s’en faire membres, à y assister, à les aider et entretenir de quelque manière que ce soit, ou les conseiller : et Nous leur ordonnons absolument de se tenir strictement à l’écart de ces sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules, et cela sous peine d’excommunication à encourir par tous les contrevenants désignés ci-dessus, ipso facto et sans autre déclaration, excommunication de laquelle nul ne peut recevoir le bienfait de l’absolution par nul autre que Nous, ou le Pontife Romain qui nous succédera, si ce n’est à l’article de la mort.

Nous voulons de plus et mandons que les Évêques comme les Prélats supérieurs et autres Ordinaires des lieux, que tous les Inquisiteurs de l’hérésie fassent information et procèdent contre les transgresseurs, de quelque état, grade, condition, rang, dignité ou prééminence qu’ils soient, les répriment et les punissent des peines méritées, comme fortement suspects d’hérésie; car Nous leur donnons, et à chacun d’eux, la libre faculté d’instruire et de procéder contre lesdits transgresseurs, de les réprimer et punir des peines qu’ils méritent, en invoquant même à cet effet, s’il le faut, le secours du bras séculier.

Nous voulons aussi qu’on ajoute aux copies des présentes, même imprimées, signées de la main d’un notaire public, et scellées du sceau d’une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même foi que l’on ajouterait aux présentes, si elles étaient représentées ou montrées en original.

Qu’il ne soit permis à aucun homme d’enfreindre ou de contrarier, par une entreprise téméraire, cette Bulle de notre déclaration, condamnation, mandement, prohibition et interdiction. Si quelqu’un ose y attenter, qu’il sache qu’il encourra l’indignation du Dieu Tout-Puissant, et des bienheureux apôtres S. Pierre et S. Paul.

Donné à Rome, près Sainte-Marie Majeure, l’an de l’Incarnation de Notre Seigneur MDCCXXXVIII, le IV des Calendes de Mai (28 avril), la VIII° année de Notre Pontificat.

  Clément, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu.

13 06 1738   

Un arrêté royal de Louis XV lance un programme de réfection et construction de routes qui va être à l’origine d’une extraordinaire progression de l’état du réseau routier du royaume ; en 50 ans de travaux, la vitesse moyenne des voitures va être multipliée par deux sur un réseau de 30 000 km de routes pavées et entretenues, couvrant principalement la moitié nord-est du territoire. Dans la moitié sud-ouest, il n’y a guère que le Languedoc qui ait un réseau convenable. Pour l’exécution des travaux, les paysans ont été réquisitionnés avec leur voitures, bœufs et chevaux pour mettre en place les remblais, évacuer les déblais et transporter les matériaux – la corvée -. Les travaux plus complexes sont effectués par une main d’œuvre spécialisée.

À telle enseigne que l’on lira sous la plume d’Arthur Young, grand voyageur britannique : La route française est la plus belle du monde, établie de la façon la plus parfaite. Au XXI° siècle, quoiqu’en disent les râleurs impénitents, ce sera encore vrai.

Quid de cette corvée, impôt en nature, un travail non rémunéré ? Elle a été créée pour répondre à la nécessité de l’entretien des routes. Selon une instruction de 1738, les nobles, les ecclésiastiques et leurs domestiques, les habitants des villes, les septuagénaires, les instituteurs, les bergers de grands troupeaux en sont exemptés… Cela fait tout de même pas mal de monde… Restent corvéables les ruraux : ils doivent résider à moins de 2, 3 ou 4 lieues des chantiers, les plus éloignés en sont dispensés. Ceux qui n’ont que des bœufs seront désavantagés par rapport à ceux qui ont des chevaux, plus puissants, plus rapides et plus intelligents. La durée varie de 6 à 30 jours. On dénoncera le détournement de travail néfaste à l’agriculture et le coût exorbitant au vu des travaux réalisés. De nombreux intendants comme Turgot à Limoges y substitueront un impôt en argent.

Des routes… cela implique aussi des ponts. On en avait construit bien sûr au Moyen Âge, qui reprenaient les caractéristiques des ponts romains – plein cintre, grand appareil, mais aussi légèreté des fondations, inégalité des ouvertures et faible largeur des ouvrages -. Cela donnait malgré tout des ensembles bien résistants à l’usure des siècles comme à Vaison la Romaine le 22 septembre 1992, où le pont romain fut le seul ouvrage à résister aux colères de l’Ouvèze. Quelques nouveautés parfois, comme la voûte en arc brisé et les avant-bec au pied des piles côté amont. Bien souvent, ces ponts étaient réalisés par des œuvriers, qui appartenaient à des communautés à mi-chemin entre la communauté religieuse régulière et la simple confrérie : ils prenaient tout à leur charge, y compris au départ du projet le financement jusqu’à l’entretien, une fois terminée l’ouvrage. Ces Frères pontifes ne cédaient pas de gaieté de cœur la gestion de ces ouvrages aux communes sur le territoire desquels ils avaient été construits : point de passage obligé, ils donnaient lieu à un péage, source de revenus qui étaient loin d’être négligeables.

Le corps des Ponts et Chaussées crée dès 1716 avait eu pour premier ingénieur Jacques V Gabriel [le V signifiant le 5° dans la lignée des Jacques Gabriel] qui lancera dès son arrivée le Pont de Blois de 300 mètres de long sur la Loire qui sera terminé en 1724 : symétrie dans l’ordonnancement des 11 arches, la plus grande, au centre,  recevant l’écusson aux armes royales surmontée d’une pyramide sculptée.

Plusieurs écoles se développeront alors :

  • Ecole Perronet : les piles s’amincissent, les arcs s’aplatissent en anse de panier – c’est le Pont de la Concorde à Paris, le Pont de Nemours ou le Pont Fouchard à Saumur.
  • Ecole Emiland Gauthey, élève de Peronnet, ou encore Ecole de Bourgogne.
  • Ecole Languedocienne ou école des Garripuy.

1738

Une manufacture de porcelaine est créée à Vincennes, qui se transportera à Sèvres en 1756, où elle deviendra royale en 1760. En Allemagne, Johann Friedrich Böttger, en avait découvert la formule dès 1709 et avait identifié un gisement de kaolin, qui donna naissance à la manufacture de Meissen, en Saxe. En France, grâce à l’espionnage du père jésuite François Xavier d’Entrecolles à Jingdezhen, on en connaissait la formule dès 1712, mais il faudra attendre 1769 pour découvrir le premier gisement de kaolin [de la localité chinoise, Kao-Ling où commença à être exploité un gisement, il y très longtemps]- à Saint Yrieix la Perche, où les femmes l’utilisaient comme lessive, près de Limoges. Ce kaolin est indispensable pour obtenir de la porcelaine dite dure, ou royale que le fer ne peut rayer, produite par Sèvres à partir de 1771. Donc, jusqu’à cette date, on ne savait fabriquer que de la porcelaine dite tendre, ou porcelaine de France, rayable par le fer.

Au XVI° siècle, l’Europe avait vu arriver des quantités sans précédent de porcelaine chinoise, importée d’abord par les Portugais, ensuite par les Hollandais, une porcelaine bleu et blanc à l’émail transparent que toutes les villes élégantes d’Europe recherchèrent avec admiration. Les Hollandais terminèrent ce qu’avaient commencé les Portugais. En effet, dès 1614, ils mirent sur le marché des imitations des porcelaines Ming bleu-blanc, en particulier à Deft. Ils ne réussirent pas, ce qui n’a rien d’étonnant, à les exporter dans les pays d’Orient mais les Japonais copièrent certains motifs hollandais originaux. Un chimiste attaché à la cour d’Auguste II de Saxe, Johann Friedrich Böttger, trouva le secret de ces merveilles de Chine en 1709, à Meissen, et les copia exactement. La manufacture de Sèvres, en France, appliqua aussi la technique chinoise à partir de 1768. L’Angleterre se lança dans la copie à son tour, dans les poteries du Staffordshire, région à laquelle la porcelaine translucide de John Astbury apporta la fortune en ouvrant le marché de masse à la porcelaine. Vers 1750, l’emploi de la double cuisson donna naissance à la porcelaine caractéristique du Staffordshire. En 1759, Josiah Wedgwood, une relation d’affaires d’Astbury, fonda son affaire de Burslem ; dix ans plus tard, il créait son usine Etruria, non loin de Burslem, faisant venir l’argile de Cornouailles et d’ailleurs par le grand Trunk Canal, au financement duquel il avait participé. (Les découvertes que l’on venait de faire à Pompéi impressionnèrent et inspirèrent Wedgwood.) On eut vite recours aux machines à vapeur pour mixer l’argile et broyer la pierre. En 1797, dans son usine de Stoke-on-Trent, Josiah Spode imagina d’ajouter de la cendre d’os à la pâte. La porcelaine produite dans ces importantes fabriques, et dans celles fondées sur le continent et aux États-Unis, révolutionna les habitudes de table du monde entier : la porcelaine se nettoie, en effet, bien plus facilement que le bois ou l’étain.

Le résultat fut que, dès 1850, ces derniers avaient complètement disparu, sauf dans les foyers les plus pauvres. La porcelaine à bon marché, en général de la faïence, les avait remplacés, ce qui représentait une immense victoire pour l’hygiène, même si les maîtres potiers anglais continuèrent d’employer des enfants bien après que les autres entreprises y eurent renoncé. Le modelage des pièces fut parachevé à la main jusque dans les années 1840, et le tour de potier ne bénéficia de la vapeur qu’à partir de 1870.

Hugh Thomas. Histoire inachevée du monde. Robert Laffont 1986

13 08 1739

Charles de Brosses est gentilhomme de Bourgogne ; à trente ans,  il est déjà conseiller au parlement et ami de Buffon. Plus tard, il deviendra président du parlement de Bourgogne. Il voyage pendant deux ans en Italie et en rendra compte dans Lettres historiques et critiques écrites d’Italie qui ne sera publié qu’en 1799. Il arrive à Venise pour en tomber amoureux :

Il n’y a rien de si plaisant que de voir une jeune et jolie religieuse, en habit blanc, avec un bouquet de grenades sur l’oreille, conduire l’orchestre et battre la mesure avec toute la grâce et toute la précision imaginables…

Venise est une ville ouverte de tous côtés, sans portes, sans fortifications, et sans un seul soldat de garnison, imprenable par mer ainsi que par terre, car les vaisseaux de guerre n’en peuvent nullement approcher à cause des lagunes trop basses pour le porter. En un mot, cette ville est si singulière par sa disposition, ses façons, ses manières de vivre à faire mourir de rire, la liberté qui y règne et la tranquillité qu’on y goûte, que je n’hésite pas à la regarder comme la seconde ville d’Europe, et je ne sais si Rome me fera revenir de cette prévention

[…] Il n’y a pas de lieu au monde où la liberté et la licence règnent plus souverainement qu’ici. Ne vous mêlez pas du gouvernement, et faites d’ailleurs tout ce que vous voudrez. Je ne parle pas de la chose dont nos plaisirs et nous tirons notre origine, de la chose proprement dite et par excellence. On ne s’en choque pas plus ici de que toute autre opération naturelle. C’est une bonne police qui devrait être reçue partout. Mais pour tout ce qui, en saine morale, doit s’appeler mauvaise action, l’impunité y est entière. Cependant, le sang est si doux, ici, que malgré la facilité que donnent les masques, les allures de la nuit, les rues étroites, et surtout les ponts sans garde-fous, d’où l’on peut pousser un homme dans la mer sans qu’il s’en aperçoive, il n’arrive pas quatre accidents en mer : encore n’est ce qu’entre étrangers. Vous pouvez juger, par là, combien les idées qu’on a sur les stylets vénitiens sont mal fondées aujourd’hui.

[…] Lorsque deux personnes s’entendent, il n’est pas impossible de faire un coup fourré à la faveur des gondoles, où les dames entrent toujours seules sans surveillants; c’est un asile sacré. Il est inouï qu’un gondolier de Madame se soit laissé gagner par Monsieur ; il serait noyé le lendemain par ses camarades. Cette pratique actuelle des dames a beaucoup diminué les profits des religieuses, qui étaient jadis en possession de la galanterie.

Cependant, il y en a encore bon nombre qui s’en tirent aujourd’hui avec, je pourrais dire avec émulation, puisque, actuellement que je vous parle, il y a une furieuse brigue entre trois couvents de la ville pour savoir lequel aura l’avantage de donner une maîtresse au nouveau nonce qui vient d’arriver. En vérité, ce serait du côté des religieuses que je me tournerais le plus volontiers si j’avais un long séjour à faire ici. Toutes celle que j’ai vues à la messe, au travers de la grille causer tant qu’elle durait et rire ensemble, m’ont paru jolies et mises de manière à faire bien valoir leur beauté. Elles ont une petite coiffure charmante, un habit simple mais, bien entendu, presque tout blanc, qui leur découvre les épaules et la gorge ni plus ni moins que les habits à la romaine de nos comédiennes.

[…] Pour épuiser l’article du sexe féminin, il convient ici, plus qu’ailleurs, de vous dire un mot des courtisanes. Elles composent un corps vraiment respectable par les bons procédés. Il ne faut pas croire encore, comme on le dit, que le nombre en soit si grand que l’on marche dessus ; cela n’a lieu que pendant le temps du carnaval, où l’on trouve sous les arcades des Procuraties autant de femme couchées que debout ; hors de là, leur nombre ne s’étend pas à plus du double de ce qu’il y en a à Paris ; mais aussi elles sont fort employées. Tous les jours régulièrement, à vingt quatre ou vingt-quatre heures et demi au plus tard, toutes sont occupées. Tant pis pour ceux qui viennent trop tard. À la différence de celles de Paris, toutes sont d’une douceur d’esprit et d’une politesse charmantes. Quoi que vous leur demandiez, leur réponse est toujours : Sarà servito, sono a suoi commandi. Vous serez servi, je suis à vos ordres (car il est de la civilité de ne jamais parler aux gens qu’à la troisième personne). À la vérité, vu la réputation dont elles jouissent, les demandes qu’on leur fait ordinairement, sont fort honorées ; cependant, il s’en trouve de si jolies et auxquelles il faudrait être si indécent pour ne pas se fier lorsqu’elles répondent des conséquences per la beatissima madona di Loreto.

[…] C’est demain qu’il me faudra quitter mes douces gondoles. J’y suis actuellement en robe de chambre et en pantoufles, à vous écrire au beau milieu de la grande rue (Grand Canal), bercé par intérim par une musique céleste. Qui pis est, il me faudra me séparer de mes chères Ancilla, Camilla, Faustolia, Zulietta, Angeletta, Caltina, Spina, Agatina, et de cent mille autres choses en a plus jolies les unes que les autres […] Il n’y a qu’ici l’on peut voir ce que j’ai vu : un homme ministre et prêtre, dans un spectacle public, en présence de quatre mille personnes, badiner d’une fenêtre  à l’autre avec la plus fameuse catin d’une ville, et se faire donner des coups d’éventail sur le nez. Savez-vos que je trouvais un jour à cette princesse un poignard dans sa poche !  Elle prétendit que, dans sa profession on était en droit de le porter pour manutention de la police dans la maison. Je suis moins surpris depuis que je sais que les religieuses en portent, et que j’ai appris qu’une abbesse, aujourd’hui vivante, s’était battue à coups de poignard contre une autre dame, pour l’abbé de Pomponne. L’aventure ne laissa pas de faire quelques éclat, car elle ne s’était pas passé au couvent.

Un proverbe résume tout cela : messetta, bassetta, donnetta : une petite messe le matin, une petite partie de cartes l’après-midi, une petite femme le soir. Mais le cher homme ne s’intéressait pas qu’au beau sexe : Le Bucentaure (navire de parade dont on se servait le jour de l’Ascension pour la célébration du mariage du doge avec la mer), la musique de Vivaldi, omniprésente, la construction des bateaux à l’Arsenal, la fabrication du verre à Murano retenaient aussi son attention :

La musique transcendante ici est celle des hôpitaux. Il y en a quatre, tous composés de filles bâtardes ou orphelines, et de celles que leurs parents ne sont pas en état d’élever. Elles sont élevées aux dépens de l’État, et on les exerce uniquement à exceller dans la musique. Aussi chantent-elles comme des anges, et jouent du violon, de la flûte, de l’orgue, du hautbois, du violoncelle, du basson ; bref, il n’y a si gros instrument qui puisse leur faire peur. Elles sont cloîtrées en façon de religieuses. Ce sont elles seules qui exécutent, et chaque concert est composé d’une quarantaine de filles. Je vous jure qu’il n’y a rien de si plaisant que de voir une jeune et jolie religieuse, en habit blanc, avec un bouquet de grenades sur l’oreille, conduire l’orchestre et battre la mesure avec toute la grâce et la précision imaginables. Leurs voix sont adorables pour la tournure et la légèreté ; car on ne sait ici ce que c’est que rondeur et sons filés à la française. (…) Celui des quatre hôpitaux où je vais le plus souvent et où je m’amuse le mieux, c’est l’hôpital de la Piété [Charles de Brosse fait ici une petite erreur : il s’agit de l’Ospedale della Pietà, et Pietà, ce n’est pas la Piété, mais la Pitié. ndlr] ; c’est aussi le premier pour la perfection des symphonies. 

Lettre du à M. de Blancey

C’est une des belles et curieuses choses de l’univers. C’est une grosse galéasse, ou fort grande galère, toute sculptée et dorée à fond en dehors, du meilleur goût et de la manière la plus finie. Le dedans forme une vastissime salle parquetée garnie de sofas tout autour, et d’un trône au bout, pour le doge. Elle est partagée dans la longueur par une ligne de statues dorées qui soutiennent le plafond ou pont, sculpté et doré en plein. Les embrasures des fenêtres, l’éperon des balcons de la poupe, les bancs des rameurs et le gouvernail sont du même goût, et toute la machine a pour toit une tente de velours couleur de feu, brodée d’or. Charles de Brosses.

 

Le départ du Bucentaure Antonio Stom, 1729, Pinacoteca Querini Stampalia

Le Bucentaure, 1745-1750, Museu Nacional d’Art de Catalunya.

Je reviens de Murano où j’ai été voir travailler à la manufacture de glaces. Elles ne sont pas aussi grandes ni aussi blanches que les nôtres ; mais elles sont plus transparentes et moins sujettes à avoir des défauts. On ne les coule pas sur des tables de cuivre comme les nôtres ; on les souffle comme des bouteilles. Il faut des ouvriers extrêmement grands et robustes pour travailler à cet ouvrage, surtout pour balancer en l’air ces gros globes de cristal qui tiennent à la longue verge de fer qui sert à les souffler.

L’ouvrier prend dans le creuset du fourneau une grosse quantité de matière fondue au bout de sa verge creuse : cette matière est alors gluante et en consistance de gomme. L’ouvrier, en soufflant, en fait un globe creux : puis à force de le balancer en l’air et de le présenter à tout moment à la bouche du fourneau, afin d’y entretenir un certain degré de fusion, toujours en le tournant fort vite, pour empêcher que la matière présentée au feu ne coule plus d’un côté que de l’autre, il parviet à en faire un long ovale. Alors un autre ouvrier avec la pointe d’une paire de ciseaux, fait comme des forces à tondre les moutons, c’est-à-dire qui s’élargissent en relâchant la main, perce l’ovale par son extrémité. Le premier ouvrier, qui tient la verge à laquelle le globe est attaché, le tourne fort vite, tandis que le second lâche peu à peu la main qui tient les ciseaux. De cette manière, l’ovale s’ouvre en entier par l’un des bouts, comme un marli de verre. Alors on le détache de la première verge de fer, et on le scelle de nouveau, par le bout ouvert, à une autre verge faite exprès ;  puis on l’ouvre par l’autre bout avec la même mécanique ci-dessus décrite. On le représente, en le tournant à la bouche du fourneau, pour l’amollir un peu de nouveau : et, au sortir de là, tout en un clin d’œil, d’un seul coup de ciseau, l’on coupe la glace en long, et promptement, on l’étend tout à plat sur une plaque ce cuivre. il ne faut plus après que la recuire davantage dans un autre four, puis la polir et l’étamer à l’ordinaire.

 Charles De Brosses Lettres historiques et critiques écrites d’Italie (1799)

1739

Les cinq frères Ruggieri, originaires de Bologne, créent une entreprise de feux d’artifice : elle existe toujours, fleuron du club très fermé des Henochiens, qui regroupe les entreprises plus que centenaires.

Nadir Shah, souverain d’Iran, s’empare de Delhi et va massacrer des milliers de personnes : c’est le début du déclin de l’empire moghol ; du pillage de Delhi, il rapportera en Iran, le trône du paon sur lequel était alors certi le diamant (cent quatre vingt six carats) Koh-i-Noor : il ne gardera  ce trône du paon que jusqu’à son assassinat en 1747, qui sera suivi de troubles au cours desquels il sera détruit. Les trônes du paon que l’on peut voir aujourd’hui, sont d’autre réalisations, toutes postérieures. Le Koh-i Noor, lui n’était pas perdu pour tout le monde : longtemps caché dans un mur de la prison où était enfermé un roi d’Afghanistan, il sera confisqué par les Anglais en 1848 au cours d’un des nombreux conflits que l’Afghanistan devra mener contre eux.

Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, figure dominante du monde scientifique, est nommé intendant des Jardins du Roi. Propriétaire terrien, doté d’une bonne fortune, maître de forges, c’est un touche à tout de génie : droit, médecine, mathématiques, physique. Jusqu’alors génie expectant à qui manquait un objet, dixit Sainte Beuve, il va donner sa mesure, et l’enfant le plus illustre, – mais pas le seul -, s’appellera Histoire naturelle, générale et particulière, pour laquelle il obtiendra le 4 mai 1751 l’autorisation de publication … de la Faculté de Théologie de Paris ! Il est amoureux de la nature, mais à la françaiseDans ces lieux sauvages, l’homme rebrousse chemin et dit : La Nature brute est hideuse et mourante ; c’est Moi, Moi seul qui peut la rendre agréable et vivante : desséchons ces marais, animons ces eaux mortes en les faisant couler, formons-en des ruisseaux, des canaux, employons cet élément actif et dévorant qu’on nous avait caché et que nous ne devons qu’à nous-mêmes ; mettons le feu à cette bourre superflue, à ces vieilles forêts déjà à demi-consommées ; achevons de détruire avec le fer ce que le feu n’aura pu consumer ; bientôt, au lieu du jonc, du nénuphar dont le crapaud composait son venin, nous verrons paraître le renoncule, le trèfle, les herbes douces et salutaires… Une Nature nouvelle va sortir de nos mains.

[…] Une seule forêt de plus ou de moins dans un pays suffit pour en changer la température : tant que les arbres sont sur pied, ils attirent le froid, ils diminuent par leur ombrage la chaleur du Soleil, ils produisent des vapeurs humides qui forment des nuages et retombent en pluie, d’autant plus froide qu’elle descend de plus haut ; et si ces forêts sont abandonnées à la seule nature, ces mêmes arbres tombés de vétusté pourrissent froidement sur la terre.

Il va développer le Cabinet du Roi, le futur Museum d’Histoire Naturelle, négocie avec les religieux de l’abbaye St Victor pour étendre le Jardin Royal jusqu’à la Seine : il y règnera en maître jusqu’à sa mort en 1788.

1740 

Le cours mondial du sucre s’effondre : les Indes néerlandaises sont directement touchées. La colonie chinoise de Batavia qui jusque là avait prospéré au point d’atteindre plus de 10 000 personnes dont plusieurs avaient bien, voire très bien, prospéré, est sinistrée dans son ensemble par le chômage ; la criminalité s’installe. Adriaan Valckenier, le gouverneur, donne l’ordre de déporter les Thionghoas – c’est le nom générique de ces émigrés chinois – qui s’y refusent, s’opposent et se battent contre les forces du gouverneur néerlandais ; la répression est féroce… on parle de milliers de morts. L’empereur chinois de la dynastie Qing, informé de cette décision avait répondu que les Chinois qui ont quitté l’empire ne sont pas de bons sujets… Les survivants vont se réfugier dans l’est de Java, où ils rejoignent une autre colonie chinoise, soutenus par le royaume de Mataram. Ils vont résister jusqu’à début 1742 ; les Hollandais reprendront alors le contrôle total de l’île par la force, cantonnant les Tionghoas dans un rôle de citoyens tampon entre le colonisateur et les indigènes.

17 06 1741

Chamonix voit ses deux premiers visiteurs étrangers, venus découvrir la montagne : les Anglais Richard Pococke et Windham, qui s’aventurent sur la Mer de Glace.

1741  

Première vaccination antivariolique en Savoie par le docteur Fleury, à Chambéry.

Maurepas, ministre de la Marine et des Colonies [3], voudrait bien que l’on trouve au Canada une accès vers la mer de l’Ouest pour écouler en Chine les pelleteries : ce fut le but de Pierre-Gaultier de La Vérendrye et de ses trois fils, 16, 17 et 18 ans en 1731, quand il commença ses expéditions. Son but était d’établir des relations de traite des fourrures avec les tribus stationnant à l’ouest de la baie d’Hudson, les Obibwa, les Crees ou Christianoux et les Assiniboins. Il avança lentement, méthodiquement, construisit une série de postes de traite. Un de ses fils et quelques autres de ses compagnons furent massacrés par les Sioux. Il mourut à la peine. Ses deux fils poursuivirent, parvinrent en vue des Rocheuses. En 1913, des enfants découvriront à Fort Pierre, dans le Dakota du sud, sur le Mississippi, un peu au sud de sa confluence avec la rivière Cheyenne, une plaque de plomb marquant la pointe la plus occidentale de leur avancée.

Dans une savane, de l’autre coté de la rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons : des bouleaux agités par les brises et dispersées ça et là, formaient des îles d’ombre flottantes sur cette mer immobile de lumière. Après tout aurait été silence et repos, sans la chute de quelques feuilles, le passage d’un vent subit, le gémissement de la hulotte.

Chateaubriand (qui connaissait bien le Canada) Le Génie du christianisme

1742

Sur la carte établie par le Suisse Pierre Martel, le début de changement de la perception de la montagne entraîne le déclassement de l’appellation du plus haut sommet d’Europe : le Mont Maudit – cela commençait à faire mauvais genre – émigre au nord-est sur un sommet de 4 465 m, laissant la place au Mont Blanc : la fréquentation touristique sera ainsi mieux assurée. Le suédois Anders Celsius mesure la chaleur avec sa table de 0° – point de passage de l’eau de l’état liquide à l’état solide – à 100° – passage de l’eau de l’état liquide à l’état gazeux.

17 08 1743  

Jack Broughton présente à Tottenham le premier code de la boxe : The rules to Be Observed in All Battles on the Stage. Il sera amendé en 1838 par The London Prize Ring Rules. On se bat à mains nues, et ce, jusqu’en 1891 quand les règles modernes arriveront, imposant les gants, à l’initiative du journaliste anglais John Graham Chambers, déguisé sous le nom de marquis de Queensberry.

1743   

Les Espagnols occupent la Savoie, et donc, Megève jusqu’en 1748.  Création du Concours général.

1744 

Vaucanson effectue à Lyon les premiers essais de son métier à tisser la toile et le taffetas. De 1745 à 1755, il perfectionne les métiers à tisser de Basile Bouchon et de Jean-Baptiste Falcon, en les automatisant par hydraulique et en les commandant par des cylindres analogues à ceux de ses automates. Il s’est déjà fait une célébrité avec ses automates : le premier, le Joueur de flûte, réalisé en 1738, rencontrera un grand succès lors de sa présentation à l’Académie des Sciences ; il sera suivi du Canard et du Joueur de flûte et tambourin, lesquels rencontreront le même succès lors de leur tournée européenne. Nommé par le roi inspecteur général des Manufactures de soie en 1741, il rédigera un rapport en 1742, résultat de ses voyages à Lyon et en Dauphiné : Observations que le sieur Vaucanson a faites dans sa tournée de l’année 1742 des soyes de France et de celles du Piémont et de la différence de leur fabrication. Rapport qui aura une suite sous forme de règlement pour la Communauté des fabricants de Lyon, lequel sera à l’origine d’une série d’émeutes et de grèves en 1744 :

Un certain Vocanson
Grand Garçon,
A reçu una patta (- pot-de-vin -)
De Los maîtres marchands

Gara, gara la gratta (- correction -)
Sy tombe entre nos mains
Y fait chia los canards
Et la marionnetta.

Le plaison Joquinet,
Si sort ses braies netta,
Qu’on me le cope net !

Créateur de machines outils, dont le chariot porte-outil, il développera beaucoup les progrès du tour à métaux, de la machine à percer et de la machine à fabriquer les chaînes, faisant progresser aussi ce qui deviendra plus tard le métier Jacquard.

Bien qu’admis à l’Académie des Sciences en 1748, il se plaindra du peu d’audience qu’il y rencontre : Celui qui a inventé le rouet à filer la laine ou le lin ne serait regardé par les Académiciens de nos jours que comme un artiste et serait méprisé comme un faiseur de machines. Il y aurait cependant de quoi humilier ces messieurs s’ils faisaient réflexion que ce seul mécanicien a procuré plus de bien aux hommes que n’en ont procuré tous les géomètres et tous les physiciens qui ont existé dans leur compagnie.
Et c’est encore Vaucanson qui va être à l’origine du Conservatoire national des arts et métiers.

File:Musée des Arts et Métiers - Métier à tisser les façonnés de Vaucanson (37317416980).jpg - Wikimedia Commons

Métier à tisser les façonnés de Vaucanson, 1748. Musée des arts et métiers.

Alexandre Webster et Robert Wallace, pasteurs presbytériens d’Ecosse créent un fonds d’assurance-vie qui versera des pensions aux veuves et orphelins des ecclésiastiques morts. Chaque pasteur verse au fonds une petite partie de son revenu ; le fonds place cet argent, et la veuve et l’orphelin toucheront des dividendes sur les profits réalisés par le fonds. Mais pour déterminer les montants de ces versements et des dividendes versés, il leur a fallu faire appel à Colin Mac Laurin, professeur de mathématiques de l’Université d’Edimbourg pour établir les paramètres sur lesquels seront fondés ces calculs : âge moyen de la mort des pasteurs, âge moyen des veuves bénéficiaires des dividendes etc…Pour cela le professeur de mathématiques fera appel à la loi des grands nombres établie par Jacob Bernoulli, et aussi , aux tables de mortalité que, 50 ans plus tôt, Edmond Halley avait publié, après avoir étudié les dossiers de 1 238 naissances et de 1 174 décès de la commune de Breslau en Allemagne.

Tout cela permit aux deux pasteurs d’établir qu’il y aurait en moyenne, à tout moment, 930 pasteurs écossais, presbytériens vivants. Il en mourrait une moyenne de 27 chaque année, dont 18 qui laisseraient une veuve etc…  Pour finir, ils calculèrent que la cotisation de chaque pasteur serait de 2 livres, 12 shillings et 2 pence, ce qui permettrait à leur veuve de toucher des dividendes d’au moins 10 livres par an. S’il voulait plus de dividendes pour sa veuve, il cotisait plus. Selon leurs calculs, le fonds disposerait ainsi en 1765, d’un capital de 58 348 livres. Quand arrivera 1765, le fonds sera de 58 347 livres ! chapeau les artistes ! Aujourd’hui, ce fonds Webster et Wallace sera devenu Scottish Widows, une des plus grandes compagnies d’assurance du monde. Les mathématiques auront fait une entrée plutôt fracassante dans le monde des affaires.

02 1745  

Henri Pitot, autodidacte passionné de physique, d’astronomie, d’architecture, d’hydraulique a trouvé une solution pour assainir de façon appréciable les étangs qui séparent la côte du Languedoc de la mer. Le moustique porteur du paludisme se délecte de ces eaux stagnantes. Plutôt que de se lancer dans une très aléatoire tentative d’assèchement de ces eaux, il fait tout simplement creuser des passages pour l’eau – les graus – pour assurer un brassage des eaux. L’amélioration est significative et lui vaut le poste de directeur des travaux publics dans la sénéchaussée de Nîmes-Beaucaire. La circulation des biens et des personnes entre Uzès et Remoulins a un problème avec le Gardon, rivière de la rive droite du Rhône, facilement franchissable les trois-quarts du temps, mais parfois infranchissable à l’automne lors des épisodes cévenols, où la montée des eaux peut provoquer  des ravages. Le seul pont routier existant est le pont Saint Nicolas, à Sainte Anastasie, entre Nîmes et Uzès… le détour est trop important et il choisit la solution la plus élégante, faire du Pont du Gard qui n’est jusqu’alors qu’un aqueduc un pont routier, en construisant une voie qui s’appuie directement sur les arches du niveau inférieur, arches qu’il construit de la même ouverture que celle du pont romain, avec des avant-becs et des arrières becs, en utilisant la même pierre que les Romains, celle de la carrière de Lestel, qu’il fait remettre en service. Le tout en vingt mois. Bravo l’artiste ! Il avait commencé par inventer en 1732 le tube de Pitot : la machine pour mesurer la vitesse des eaux courantes et le sillage des vaisseaux, encore en service de nos jours dans la marine et l’aviation

Le Pont du Gard มรดกโลก 2,000 ปี - นาย Pompier ช่วงนี้ ...

Puente del Gard - Wikipedia, la enciclopedia libre

11 05 1745

Les armées du maréchal Maurice de Saxe emportent la victoire à Fontenoy, dans les Pays-Bas autrichiens sur les armées d’une coalition des Pays Bas, Provinces Unies, Angleterre, Hanovre et Empire d’Autriche commandés par William Augustus, duc de Cumberland. Cela leur permet de reprendre la ville de Tournai, quelques kilomètres au nord.

1745  

Premier journal durable d’annonces publicitaires : Les Affiches de Paris.

Les abbés normands Soury et Delarue mettent au point La tisane des deux abbés. Elle deviendra par après la Jouvence de l’abbé Soury, connaîtra des années de gloire tant que les remèdes de bonne femme resteront en cour dans le secret des familles. Elle reprendra encore du service quand, dans les années 2000, la Sécurité Sociale amputera drastiquement le nombre de médicaments remboursés. On y trouve onze extraits de plante, parmi lesquelles l’anis, la cannelle, l’hamamélis, le viburnum, le calamus, le condurago, la piscidia…

Sur l’île de Java, le gouverneur hollandais van Imhof crée un important jardin botanique à Buitenzorg – aujourd’hui Bogor -. Il sera le point de départ des grandes plantations des Indes : thé, palmier à huile, quinquina, tabac, hévéa ; mais c’est le café, la canne à sucre et le riz qui constituaient la principale richesse.

L’explication la plus vraisemblable du brusque essor démographique enregistré au XVIII° siècle est l’amélioration du régime alimentaire des populations, qui se produisit pratiquement dans le monde entier. Les progrès de l’agriculture expliquent partiellement ce résultat, comme on le verra plus loin. Le changement le plus spectaculaire du XVI° siècle en matière agricole a été l’introduction en Amérique de cultures européennes et, réciproquement, de cultures américaines dans l’Ancien Monde, y compris l’Afrique et l’Asie. Comme pour la plupart des événements marquants de la Renaissance, les racines de celui-ci plongent dans le Moyen-Âge.

Par exemple, le riz a été importé de Chine en Europe par les Arabes. On en vendait dès le début du Moyen Age dans les grandes foires de Champagne. On le cultivait dans plusieurs pays méditerranéens et il était donc bien répandu en Italie au moment de la Renaissance, mais on le considérait seulement comme un aliment susceptible de remplacer le blé en cas de besoin. Le riz ne tenta jamais beaucoup ceux (c’est-à-dire les riches) qui décidaient des modes et possédaient la terre. Sa culture resta donc plutôt sporadique dans les pays méditerranéens.

Les découvertes et conquêtes faites en Amérique eurent des conséquences bien plus profondes, donnant à l’Europe le maïs, la tomate, la pomme de terre, la dinde, l’artichaut de Jérusalem et le chocolat. En échange, les nouveaux occupants des Amériques se mirent à cultiver à grande échelle la canne à sucre et le caféier, plantes respectivement originaires des mers du Sud et d‘Éthiopie. La régularité du trafic maritime entre l’Orient et l’Occident favorisa d’abord le commerce du thé de Chine, puis la culture elle-même du thé dans le reste de l’Orient. Le commerce et la culture furent tous deux encouragés par l’importation du sucre des Antilles, de Sao Tomé dans le golfe de Guinée, de Madère, des Açores et du Brésil. Le sucre passa ainsi du statut de denrée de luxe, aussi rare que la cannelle ou les clous de girofle, à celui de médicament et d’aliment indispensable.

La culture de la canne à sucre est une des plus intéressantes. La canne à sucre appartient à une vaste famille qui comprend aussi les bambous et de hautes herbes qui ont souvent servi à fabriquer des fibres ou des toitures. On l’écrasait, d’une façon ou d’une autre, pour en extraire le jus. Il est probable que l’on a découvert la possibilité de faire bouillir le jus pour obtenir du sucre cristallisé en Inde ou en Perse vers 600 ap. J.C. La canne à sucre fut apportée d’Inde en Méditerranée et acclimatée en Égypte, en Sicile et en Andalousie alors que disparaissait le monde romain. On trouve dans la Bible (Isaïe) une référence à la canne à sucre. Ezéchiel et Jérémie en parlent aussi mais, vraisemblablement, on n’en tirait pas encore de sucre au sens moderne du mot. En Chine, dans la région de Canton, on connaissait déjà la canne à sucre vers le III° siècle ap. J.C. mais il ne semble pas que, là non plus, on ait déjà su en tirer du sucre à proprement parler. Dans ces contrées, comme dans l’Europe médiévale, le miel fournissait la meilleure des substances sucrantes possibles (le vin aussi contenait un peu de sucre). Les premiers cultivateurs n’appréciaient pas la canne à sucre car elle interdit toute rotation des cultures : un plant dure au moins sept ans et on ne peut pas la faire pousser au nord de la limite du gel. Elle figurait néanmoins dans la pharmacopée de l’école de Salerne dès le X° siècle. L’Islam la réintroduisit en Espagne avec la roue à eau, la noria, associée à la poésie de la campagne médiévale, avec ses cordages, ses canaux d’irrigation et ses poulies. Les croisés cultivaient la canne à sucre à Chypre, et fabriquaient leurs pains de sucre dans des conditions proches de celles des futures grandes plantations. L’Angleterre médiévale faisait venir son sucre par Venise ou par l’Allemagne, et ses confiseurs préparaient des massepains et sucreries diverses qui coûtaient de 1 à 2 shillings la livre aux XIII° et XIV° siècle, mais seulement 10 pence au XV° siècle : l’exploitation réussie des plantations des Canaries, puis de Madère, des Açores et du Cap-Vert avait fait chuter les prix.

À partir de la Renaissance, la culture de la canne à sucre ne cessa de se développer, d’abord aux Antilles, puis dans l’intérieur de l’Amérique du Sud. La première fabrique de sucre du Nouveau Monde fut fondée en 1508 à Santo Domingo. La principale production du domaine de Cortés, à Oaxàca, était la canne à sucre. L’État espagnol offrit des avantages fiscaux à ceux qui ouvraient des moulins à broyer la canne à sucre. En 1520, on importait déjà aux Antilles des bœufs d’Espagne et des esclaves d’Afrique pour fournir l’énergie nécessaire aux moulins et pour couper les cannes. Inconnue des Amériques avant Christophe Colomb, la canne à sucre y fut ainsi solidement implantée. La côte nord-est du Brésil, entre Recife et Bahia, devint le centre des plantations de canne à sucre. Au XVII° siècle, le sucre représenta pendant un certain nombre d’années un des principaux articles du transport de marchandises dans le monde, peut-être le plus important après le commerce de blé de la Baltique, que tenaient les Hollandais.

Pendant plus de cent ans, à cette époque cruciale pour l’histoire du commerce international; le sucre resta l’élément essentiel de ce commerce. Il bouleversa les habitudes alimentaires du vieux monde, accoutumé à l’usage parcimonieux de la saccharose fournie par le miel. Les marchands qui trafiquaient à la fois du sucre et des esclaves acquirent des fortunes colossales – que ce soit à Bristol, à Liverpool, à Nantes, à Cadix ou à Lisbonne – et contribuèrent en partie au financement des grandes entreprises capitalistes du début de l’industrialisation. L’analyse démontre toutefois que les plus grosses fortunes du XVIII° siècle furent édifiées non par les planteurs de canne à sucre mais par les fournisseurs des armées.

Le sucre favorisa la consommation de café, de thé et de chocolat, mais surtout des deux premiers. Le café, originaire d’Éthiopie et que l’on n’exporta pas en tant que boisson avant 1500, fit son apparition à Constantinople vers 1600 et un café parisien en vendait en 1672. Des cafés furent ouverts à Londres dès 1652. La plus grande partie du café venait alors de Moka, en Arabie. Les Hollandais ne tardèrent pas à l’acclimater à Java. En Amérique, son implantation suivit de peu celle de la canne à sucre. On planta des caféiers à Cayenne en 1722, à la Martinique en 1723 et à la Jamaïque en 1730. De façon assez curieuse, la demande en café ne se développa réellement qu’à partir du moment où la possibilité de se procurer facilement du sucre permit à un public de plus en plus sybarite d’en atténuer l’amertume. Dominique François Valentyn se plaignait en 1724 que si les bonnes et les couturières n’ont pas leur café tous les matins, on ne peut espérer de voir une aiguille enfilée. À partir du XVIII° siècle, en somme, on trouvait du café presque dans toute l’Europe, très facilement en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, un peu moins en Espagne et en Italie. Chacune des Caraïbes en produisait un peu mais, après les années 1880, le Brésil devint le plus grand producteur. Les plantations de café de Ceylan furent en effet détruites à cette époque par une terrible épidémie de fouille et le Brésil saisit l’occasion qui s’offrait. Le café y avait été introduit en 1727, d’abord à Para, puis à Maranhao en 1732 et à Rio de Janeiro en 1762. Les premiers cultivateurs furent les frères franciscains du couvent de Saint-Antoine. De Rio, la culture du café s’étendit à Sao Paolo, et au Minas Gérais; à la fin du XIX° siècle, il avait supplanté le sucre à la première place des productions du Brésil.

Les Chinois consommaient du thé depuis de nombreuses générations. Ils s’étaient d’abord contentés de mâcher les feuilles de cet arbuste, qui pousse à l’état sauvage dans le nord de la Chine. Puis, on avait commencé à le cultiver vers 2000 av. J.C. Par la suite, on fit sécher les feuilles, soit à la chaleur artificielle (thé vert), soit au soleil (les feuilles fermentent et donnent le thé noir). Dans les deux cas, on roulait les feuilles à la main. Au moment où reprit le commerce du thé avec l’Europe, on l’expédia par bateau, enfermé dans des coffres de plomb. Il fallut attendre l’arrivée des Européens en Extrême-Orient pour qu’il soit introduit en Inde.

En 1609, la récente Compagnie hollandaise des Indes orientales ramena en Europe plusieurs cargaisons de thé de Chine. Les Anglais en obtinrent à la même source quelques années plus tard. Peu à peu, s’instaura un commerce régulier, mais ne portant toujours que sur les feuilles de thé : l’arbuste lui-même ne pouvait être acclimaté en Europe car il ne supporte pas le gel et souffre beaucoup de la sécheresse. Il se produisit, parallèlement à la brusque augmentation de la demande en thé, un accroissement de la consommation de sucre dans tous les pays d’Europe, à l’exception de la France, qui restait maîtresse des îles productrices de café et de chocolat aux Antilles.

Le thé et le café n’apparurent donc sur le marché européen qu’à partir du XVII° siècle et ne prirent de réelle importance qu’au XVIII°. En revanche, ils firent tout de suite partie des grands articles du commerce, suivis par le chocolat à une plus petite échelle. On avait commencé à boire du chocolat au Mexique vers 1450 et on l’avait présenté aux Européens comme une boisson. Même si l’Espagne du XVI° siècle consommait des tablettes de chocolat, il revint aux industriels du XIX° siècle de rendre populaire et bon marché le chocolat solide.

Ces commentaires à propos de quelques nouveautés chères aux consommateurs du XVIII° siècle ne rendent cependant pas justice aux immenses transformations suscitées dans l’agriculture et l’élevage par les conquêtes et découvertes du XVI° siècle. En effet, l’Europe ne fut pas la seule à bénéficier de ces bouleversements. Si l’on compare les aliments nouvellement introduits en Europe avec ceux qui furent apportés à l’Afrique et aux Amériques, il se pourrait bien que l’avantage aille à ces deux derniers continents. Des cultures américaines telles que la papaye, la patate douce, l’ananas et la pomme de terre, pour ne rien dire du maïs, du manioc (cassave) et de l’arachide, furent importées en Afrique tandis que l’Amérique, et même l’Australasie, découvrait le blé, les pois chiches, la canne à sucre, les haricots, la banane, le riz, les agrumes, l’igname, le café, l’arbre à pain et la noix de coco, de même que les moutons, les chevaux, la volaille et le bétail. Gilberto Freyre cite parmi les contributions de l’Afrique au développement du Brésil : le poivre de Guinée et le palmier dendê (Elaeis guineensis), qui fournit l’huile de palme, ainsi que le gombo et nombre de techniques culinaires à base d’épices et de condiments. On doit à un dominicain, le frère Tomas de Berlanga, l’introduction de la banane en Amérique dès 1516, bonne action dont il est à juste titre remercié dans toutes les républiques bananières – il fut d’ailleurs évêque de Panama. L’Inde et l’Amérique se livrèrent à un semblable échange de bons procédés, les mangues indiennes étant acclimatées en Amérique et l’ananas américain en Inde.

Le chroniqueur Bernai Diaz importa l’oranger au Mexique tandis qu’un des Noirs qui accompagnaient Cortés y semait le premier champ de blé. Le Chili se transforma en vignoble, le premier pied de vigne y étant planté quelques années seulement après la conquête. Ensuite vint le tour du saule puis – après la découverte de l’Australie – de l’eucalyptus. L’Amérique bénéficia aussi du cocotier, apporté des Philippines au Mexique par Alvaro de Mendana en 1569. En échange, le maïs et le manioc sont actuellement les principales productions du Congo et de la Guinée.

Par une curieuse ironie du sort, ces changements sont issus de voyages entrepris par des équipages qui, eux-mêmes, se nourrissaient de morue séchée, de bœuf séché au soleil (ou charqui), de porc salé, de pois séchés et de biscuits de mer souvent caloriquement enrichis de charançons. En outre, la nourriture de ces hommes, qui ont provoqué la plus grande révolution alimentaire que le monde ait connue, devait être le plus souvent imbibée d’humidité. Le bois absorbe l’eau : il était donc difficile de garder quoi que ce soit de sec à bord des anciens voiliers. Les biscuits de mer, durcis au point de ne pouvoir être cassés à la main, pouvaient rester comestibles une cinquantaine d’années si on les mélangeait à de l’eau, mais il y avait rarement assez d’eau fraîche à bord. C’est alors, vers 1600, que les médecins s’aperçurent que la consommation d’agrumes évitait le scorbut. Malheureusement, le fait ne fut pas reconnu officiellement avant le XVIII° siècle. Après quoi, les équipages reçurent quotidiennement une ration de jus de citron dès la cinquième ou sixième semaine de mer [4].

Il ne faut cependant pas exagérer l’effet immédiat de ces nouveautés sur la façon de se nourrir. Au XVIII° siècle, en Angleterre, le pain, le fromage, la viande et la bière formaient toujours l’essentiel de l’alimentation des pauvres. En France, jusqu’à la Révolution, l’ordinaire se composait de gruau ou de soupe, de pain, de cidre et de piquette, de poisson et de viande. Le sucre et la pomme de terre ne modifièrent réellement les habitudes européennes qu’à partir du XVIII° siècle, et dans quelques pays seulement. Les tomates, cultivées au Mexique avant 1492 et apportées en Europe avant 1550, se heurtèrent à la méfiance des populations pendant plusieurs siècles: on les croyait en effet vénéneuses à cause de leur appartenance à la famille de la belladone. En revanche, les conséquences du débarquement des chevaux et du bétail espagnols en Amérique furent immédiates. Les Indiens d’Amérique ne mirent pas non plus longtemps à apprécier la volaille. Quant à l’Indien d’Amérique du Nord qui s’était sédentarisé, il reprit sa vie de nomade grâce au cheval.

Hugh Thomas. Histoire inachevée du monde. Robert Laffont 1986

Mohammed Ibn Abd al-Wahhab, (1703-1792) prédicateur originaire du cœur de Arabie, scelle une alliance avec Mohammed Ibn Seoud, chef tribal ambitieux, pour mener la jihad contre tous les sunnites modérés au nom d’une interprétation à la lettre du Coran : le Wahhabisme était né. Il s’inscrivait au plus près dans la ligne du théologien damascène Ibn Taymiyya (1263-1328), s’appuyant sur la ligne la plus dure de l’islam : le hanbalisme, la plus stricte des quatre école juridiques qui ne reconnaît que le Coran et la Tradition [la Sunna] comme source de la loi [la Charia]. Les tenants de cet islam dur rejettent comme innovation blâmable [bidaa] le culte des saints qui porte atteinte à la pureté du culte de Dieu. Justifiant la mort pour ceux qui dérogeraient à cette voie qu’il estime être celle enseignée par le prophète, Abd Al-Wahhab rejette également en bloc toutes les innovations qui sont apparues depuis l’époque des salaf : le soufisme et le culte des saints, mais aussi les écoles de droit, la théologie et la philosophie.Sa pensée essaimera ensuite vers d’autres régions du monde musulman, notamment en Inde et en Turquie, portant à un niveau inédit la division de la communauté.

C’est ainsi que dans toute la péninsule arabique sera détruit tout ce qui relève de la religiosité populaire – zaouïa essentiellement -, des petits édifices religieux construits sur la tombe des saints. Pendant plus de cinquante ans, ils vont parvenir à donner une unité politique à cet ensemble de tribus jusque là très hétérogène ; les Ottomans finiront par s’inquiéter de cette puissance nouvelle et chargeront le pacha d’Égypte Mehemet Ali de les défaire. Débarqué sur le littoral de la Mer Rouge en 1811 avec 8 000 hommes, il en viendra à bout en 1818. L’émir wahhabite Abdallah sera décapité à Istanbul.

Depuis quelques années, il s’est élevé une nouvelle secte ou plutôt une nouvelle religion qui amènera peut-être avec le temps des changements considérables et dans la croyance et dans le gouvernement des Arabes.

Niebuhr

Exporté dans le monde entier, le wahhabisme s’imposera comme la plus pure expression de la Tradition sunnite, au mépris des formes locales très variées de l’Islam. Mais les véritables héritiers du wahhabisme sont les salafistes et les jihadistes. Ils supporteront très mal la richesse procurée par le pétrole aux Saoudiens, déclarés un temps ennemis puisque coupables d’avoir ouvert l’Arabie aux armées infidèles… mais on ne refuse pas éternellement les moyens que procure l’argent et aujourd’hui, leur alliance retrouvée approvisionne des islamistes comme ceux d’Ansar Dine, dans le nord Mali.

Au Québec, la succession des hivers doux et des printemps précoces appelle les commentaires de Gautier, médecin correspondant au Québec de l’Académie des Sciences : On attribuait ce changement dans la température de l’air à la quantité de bois qu’on avait abattus et à la quantité de terres qu’on cultivait maintenant.

Il n’est pas impossible qu’il s’agisse du même phénomène que celui des XV° et XVI° siècle en France où on a eu une phase de réchauffement climatique à laquelle les grands essartements du Moyen Age n’étaient pas étrangers, l’abattage des bois se traduisant par une diminution de l’humidité, et donc, une augmentation de la température.

26 06 1746

parviennent à s’échapper de la prison de Newgate, où ils croupissaient en attendant l’exécution de leur condamnation à mort. Deux mois plus tôt, soutenant Charles Edward, héritier catholique de la dynastie des Stuart, qui voulait renverser les Hanovre au pouvoir depuis 1689, ils avaient été défaits le 17 avril 1746, par l’armée hanovrienne du duc de Cumberland à Culloden. Les deux fugitifs se cacheront pendant six semaines chez une éleveuse, puis rejoindront la Hollande, et finalement la France. En 1747, il entrera dans le régiment d’Ogilvy nouvellement formé à partir d’éléments écossais. En 1749, alors qu’il est capitaine en second de ce régiment, il rencontrera à Rouen Marc Antoine Morel de la Hillaume, inspecteur des manufactures de la région. Avant de s’engager aux côtés des Stuart, Holker avait fondé avec son ami Peter Moss à Manchester une entreprise de calandrage, spécialité dans l’apprêt des tissus. La calandrage, ou apprêt, consiste à écraser les fibres par pression sur des rouleaux chauffées par des tiges métalliques rougies au feu et placées à l’intérieur, ce qui donne au tissu son aspect glacé très apprécié. Morel est séduit par ses capacités dans le domaine de l’industrie et l’encourage à monter une entreprise textile en France. Il lui garantit l’appui de Daniel-Charles Trudaine, intendant des finances du service des ponts et chaussées, auquel il prie John Holker de faire parvenir plusieurs mémoires visant la création d’une manufacture de velours de coton, un type d’établissement qui n’existe pas encore en France. Le gouvernement anglais refusant pour l’heure l’amnistie aux jacobites considérés comme des traitres, Holker quitte l’armée sans regrets et se lance dans l’aventure à Rouen, déjà devenu un centre cotonnier important. Dès lors sa carrière va connaître un succès tel que le 15 avril 1755, il sera nommé inspecteur général des manufactures par Trudaine. Bon connaisseur de l’industrie anglaise du textile, il avait fait bénéficier la France de l’ensemble des techniques mises en œuvre outre Manche, il avait aussi organisé le départ vers la France de dizaines de tisserands anglais très qualifiés ; la France avait ainsi comblé son retard.

1746   

Antoine Deparcieux publie un essai : Sur les probabilités de la durée de la vie humaine, qui lui a été demandé par l’intendant des finances de sa Majesté, M. de Boullongne : la plupart des emprunts d’État, comme des emprunts des villes, sont remboursés par le biais des rentes viagères : il s’agit donc de savoir si on ne verse pas aux prêteurs des annuités trop généreuses. L’essai de Deparcieux rompt avec le cadre théorique de ce qui se faisait jusqu’alors en la matière, beaucoup trop dogmatique : il va simplement montrer que l’affaire n’est pas simple, que cela dépend du climat, de l’alimentation, du confort de vie etc… Ses propositions seront suivies d’effets : les enquêtes locales vont se multiplier à partir de 1750, à l’initiative des savants locaux comme des assureurs ; la première société d’assurance vie, L’Equitable, va voir le jour en 1762 à Londres.

Création d’une commission pour contrôler l’accès des peintres au Salon.

Les Anglais, après avoir maté la dernière rébellion écossaise, déplacent de force les Écossais du nord vers la côte pour y développer l’élevage du mouton, ce qui, pour nombre d’entre eux, signifie pauvreté et persécution : c’est le début d’un important mouvement d’émigration des Écossais  vers les colonies d’Amérique. Et en Écosse, c’est le début des grands propriétaires terriens qui vient remplacer le système de clan.

Au Rajasthan, un royaume du nord-ouest de l’Inde, le maharadjah Udai Sing II fait construire à Udaipur, la palais du lac Pichola, tout en marbre,  sur une petite île qui sert de résidence d’été à la famille royale :

L'Inde, Udaipur : Palais De Lac Image stock - Image du prince ...

palais du lac d'udaipur - lake palace udaipur photos et images de collection

1748

Le bagne remplace les galères : le premier est à Toulon, Brest et Rochefort suivront. Moncrabeau, entre Condom et Nérac, se pique d’illustrer les promesses de Gascon en se proclamant capitale du mensonge : elle se donne des lettres patentes où l’on apprend que le village rassemble tous les hâbleurs, menteurs, nouvellistes et autres personnes qui s’exercent dans le bel art de mentir finement, sans porter préjudice à autre qu’à la Vérité dont ils font profession d’être ennemis jurés.

Les Lumières n’éclairent pas que la France : les Habsbourg qui tiennent la Lombardie entreprennent des réformes fondamentales : une part de l’impôt sera désormais prélevée sur le foncier, ce qui suppose l’existence d’un cadastre : autant de choses réellement neuves : Le despotisme éclairé – cette alliance de la philosophie et du pouvoir absolu dont le but était d’adapter les institutions traditionnelles à l’esprit nouveau – ne s’est pas manifesté avec la même intensité dans toutes les parties de la Péninsule. Les républiques oligarchiques et les États de l’Église ont été peu affectés par le vent des réformes qui a au contraire soufflé avec force dans les régions dominées par les Bourbons ou par les Habsbourg. Si bien qu’à partir de 1750-1760, un fossé a commencé à se creuser entre une Italie des Lumières, gouvernée par des princes soucieux de conjuguer autorité et progrès, et une Italie immobile et rebelle au changement.

La Lombardie autrichienne est à l’avant-garde du mouvement réformateur. Sortie sinistrée et affaiblie de la guerre de succession d’Autriche, elle a bénéficié après la paix d’Aix-la-Chapelle (1748) d’une attention particulière du gouvernement de Marie-Thérèse et du chancelier Kaunitz. Devenu corégent en 1765, le futur empereur Joseph II s’intéressa lui aussi de près aux affaires de la Péninsule. Le voyage qu’il effectua en 1769 le conforta dans ces bonnes dispositions, du moins jusqu’au moment où, ayant ceint la couronne impériale (1780), il put donner libre cours à ses tendances autoritaires et bureaucratiques : ce qui eut pour effet de braquer les élites réformistes milanaises contre une politique jugée trop brutale. Son frère Léopold, qui lui succéda en 1790, dut se montrer moins pressé de bousculer les intérêts et les privilèges des classes dirigeantes traditionnelles, tout en maintenant les réformes déjà réalisées.

Le point de départ des réformes est d’ordre financier. Pour entretenir les contingents que Vienne souhaitait maintenir en Lombardie (environ 30 000 hommes), les représentants du gouvernement impérial n’avaient d’autre choix que celui d’accroître les rentrées fiscales, ce qui supposait soit une augmentation des impôts qui ne pouvait que mécontenter les assujettis, et rendre franchement impopulaire la domination étrangère, soit une réorganisation complète du système d’imposition. C’est dans cette seconde voie que s’engagea dès 1750 le gouverneur Pallavicino. Jusqu’à cette date, les impôts indirects étaient perçus par des financiers privés qui avaient passé contrat avec l’État et étaient chargés de prélever en son nom les diverses taxations en vigueur (sur le sel, le tabac, la poudre, etc). Désormais cette tâche, au demeurant très rémunératrice pour les intéressés, était confiée à une Ferme générale, plus facilement contrôlable et dont les pouvoirs publics estimaient pouvoir tirer un meilleur rendement.

Plus importante fut la réforme du régime des impôts directs. Elle fut conduite par le Toscan Pompeo Neri, principal animateur de la commission qui présida entre 1748 et 1755 à l’établissement du cadastre de Marie-Thérèse. Le principe consistait à transférer sur la propriété foncière et les biens immobiliers une partie des impôts personnels et des prélèvements sur le commerce, donc d’alléger les charges de la bourgeoisie urbaine aux dépens de l’aristocratie terrienne et des détenteurs de biens ecclésiastiques. En échange de quoi la valeur des propriétés terriennes était fixée une fois pour toutes, ce qui garantissait les propriétaires contre une augmentation de l’impôt pesant sur leurs biens, au cas où leurs revenus augmenteraient avec le prix de la terre ou à la suite de certaines améliorations.

Même assortie de cette disposition, la réforme introduite par l’établissement du cadastre ne pouvait que soulever l’opposition de l’aristocratie et du clergé. Aussi désireux fussent-ils de rendre l’impôt à la fois plus rentable et plus équitable, le gouvernement impérial et ses représentants à Milan durent accepter des compromis avec les privilégiés. Contre l’avis de Neri, Vienne négocia en 1757 un concordat avec la papauté exonérant totalement ou partiellement d’impôts certaines propriétés ecclésiastiques. Il n’en reste pas moins que le principe de la participation de tous aux charges de l’État se trouvait posé pour la première fois : véritable brèche ouverte dans les structures de la société d’Ancien Régime.

L’instauration du cadastre s’est accompagnée d’une restructuration administrative visant à uniformiser l’organisation des communes et des provinces. Il s’agit à la fois de respecter un minimum d’autonomie locale, d’intégrer villes et campagnes dans une même unité territoriale, et de satisfaire les détenteurs de terres et d’immeubles en leur assurant le monopole des assemblées communales et provinciales, les députés siégeant dans ces diverses instances devant être choisis parmi les personnes assujetties à l’impôt foncier.

Pierre Milza. Histoire de l’Italie. Arthème Fayard. 2005

1749

Adanson, botaniste, découvre le baobab au Sénégal, puis le henné. Benjamin Franklin invente la première application des balbutiements de l’électricité : le paratonnerre. Le mot vient du grec Elektron, qui signifie ambre, dont la propriété, – pour l’ambre jaune – lorsqu’il est frotté, est d’attirer certains corps légers : c’est de l’électricité statique. Comme cette propriété ressemble à celle de l’aimant qui attire le fer, on fera pendant longtemps la confusion entre électricité statique et magnétisme. En Haïti, les colons français fondent la ville de Port au Prince.

13 01 1750

Le traité de Madrid ou traité des Limites concerne l’Espagne et le Portugal au sujet de leurs empires coloniaux, et en particulier des plantations du Brésil actuel. Par le traité de Tordesillas, les deux pays avaient établi que l’empire portugais en Amérique du sud  ne pourrait dépasser le 46° méridien. Le traité de Madrid autorise l’expansion de l’empire portugais au détriment de l’empire espagnol ; dans les faits, il s’est traduit par la formation de l’empire du Brésil.

C’est toute l’époque qui était avide de mesures des possessions coloniales : on mesurera la frontière californienne et les missions qui en assureront la charge fonderont les villes de Los Angeles, San Francisco, Monterey, San Diego. On mesurera encore la frontière entre Saint Domingue et Haïti. Et les Espagnols et les Portugais se livreront à deux expéditions importantes pour délimiter la frontière du Brésil portugais et des colonies espagnoles d’Amérique du Sud.

  • Expédition de l’Orénoque, commandée par le capitaine José de Iturriagga, arriva à Cumana, à l’est du Vénézuela, point de départ de l’expédition pour pénétrer l’intérieur du continent où des commissaires portugais, dont Francisco Xavier de Mendoça Furtado, frère du marquis de Pombal, les attendirent pendant… cinq ans… mis à profit pour explorer le pays. En avril 1750, les Espagnols parviendront à Santo Tomé de Guyane, mais devront patienter jusqu’à février 1751 pour se lancer sur les eaux dangereuses d’Atureis et Maipures.
  • L’exploration des limites du sud sera confiée au Péruvien Gaspar de Munive, marquis de Valdelirios. Le portugais Gomes Freyre de Andrade le rejoignit en novembre 1751. Vers février 1753, ils se heurteront aux Guaranis des réductions  jésuites, qui ne voulaient pas passer sous domination portugaise, ce que demandait le traité de Madrid. Les Guaranis et les jésuites seront finalement défaits lors de la bataille de Caïbaté en février 1756. Ils terminèrent leur travail par les reconnaissances des fleuves Pepiri, Iguazú, Paraguay et Paraná. Le conflit meurtrier avec les Guaranis et les jésuites laissera des traces : en février 1761, le traité de El Pardo annulera les dispositions du Traité de Madrid, laissant à nouveau place aux conflits frontaliers entre l’Espagne et le Portugal, et ce, jusqu’au traité de San Ildefonso en 1777.

1750

Emmanuel Héré commence à construire la place Stanislas à Nancy. La culture de la pomme de terre est introduite à Montbéliard. On recommence à utiliser l’eau pour se laver.

Pierre Poivre, avec la bénédiction de Buffon, crée un Jardin du Roy à l’Ile de France – future île Maurice – il l’appellera le Jardin des Pamplemousses, pour élever sur place les plantes dont il aurait recueilli les graines au bon moment, mettant ainsi fin à la sujétion de transports toujours hasardeux. Lorsque les Français débarquèrent à Maurice en 1715, la nature y avait été dévastée : les premiers colons, les Portugais, puis les Hollandais s’en étaient chargé. L’oiseau dodo avait disparu depuis 1662. La déforestation avait été suivie d’une érosion massive des sols qui colmatait peu à peu les ports. Bernardin de Saint Pierre, Philibert Commerson, avaient aidé Pierre Poivre à redonner une santé à cette île moribonde. En 1753, il parviendra à voler à la barbe des Néerlandais cinq muscadiers et quelques girofliers qu’il réussira à acclimater.

Y aurait-il eu méprise sur le dodo, ce gros oiseau officiellement nommé Dronte de Maurice ? Découvert par les navigateurs hollandais en 1598 sur cette île voisine de la Réunion, le dodo ne survivra pas longtemps à l’arrivée des Européens. Il disparaît en effet moins d’un siècle plus tard, victime de la chasse, mais surtout de l’importation d’animaux prédateurs et de la destruction de son habitat, les forêts de l’île Maurice. L’extinction définitive de l’espèce  serait ainsi actée dès 1662.

Le dodo va alors rester dans l’imaginaire collectif sous la forme d’un gros oiseau incapable de voler, lent et pas très malin. Peut-être à cause de sa docilité et de son habitude à ne pas fuir les humains. Cette espèce insulaire n’était, il est vrai, pas habituée à être confrontée à des prédateurs et ne s’est donc pas méfiée de ces nouveaux arrivants. Mal lui en a pris.

Mais une nouvelle étude publiée dans la revue Zoological Journal of the Linnean Society révèle que cette image ne serait pas du tout représentative de la réalité. En fouillant dans les anciennes descriptions du dodo et de son proche cousin, le solitaire, les chercheurs ont en effet découvert que ces oiseaux auraient au contraire été vifs et puissants. Des caractéristiques confortées par l’analyse des rares squelettes qui servent aujourd’hui de référence pour cette espèce. Avec son mètre de haut, sa vingtaine de kilos et ses pattes particulièrement puissantes, le dodo pouvait donc certainement courir très vite.

Il est probable que cet oiseau, que les chercheurs ont identifié comme faisant partie de la famille des pigeons, devait jouer un rôle très important dans l’écosystème mauricien. Un rôle qui reste à identifier et ce n’est pas une mince affaire, tant le matériel scientifique concernant le dodo est rare. Pourtant, comprendre la place de cet oiseau au sein de son environnement pourrait permettre aujourd’hui de mieux protéger les écosystèmes uniques et menacés de l’île Maurice.

Morgane Gillard Futura du 23 08 2024

Reconstruction d'un dodo, une espèce éteinte dès 1662. © alessandrozocc, Adobe Stock

Reconstitution d’un dodo, une espèce éteinte dès 1662. © alessandrozocc, Adobe Stock

Le dodo reste un animal très mystérieux du fait du peu de témoignages scientifiques qui existent sur cette espèce disparue il y a plus de 350 ans. © FantasyLand86, Adobe Stock

© FantasyLand86, Adobe Stock

Le parlement de Londres interdit l’industrie du fer aux colons américains.

Louis XV achète une extraordinaire pendule de plus de 2 m. de haut, coiffée d’une sphère reproduisant le mouvement de la terre dans le système solaire, selon Copernic. Elle indique encore les phases de la lune, et bien sur, les dates, les heures et les minutes, mais encore, ce qui est une première, les secondes. Sa réalisation a demandé à Claude Siméon Passemant, ingénieur et Louis Dauthiau, horloger, 13 ans de travail. Le roi a demandé le changement du parement, et ce sont encore 4 ans de travaux nécessaires pour les sculpteurs et bronziers Jacques et Philippe Il Caffieri. On peut encore la voir aujourd’hui dans le cabinet des horloges à Versailles. Dans une autre salle, le secrétaire à cylindre de Louis XV, où il conservait les documents qu’il voulait garder secrets : une seule clef permettait l’ouverture générale du bureau. Il avait été commandé en 1760 à l’ébéniste Jean-François Oeben ; celui-ci étant mort trois ans plus tard, il sera achevé par Jean Henri Riesener en 1768.

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[1] Les progrès en la matière seront très lents : près de 140 ans plus tard, en 1871, le grand philosophe rationaliste Ernest Renan énonçait les rôles dévolus aux différents peuples de la terre : la race chinoise est une race d’ouvriers, à la merveilleuse dextérité manuelle, mais elle n’a presqu’aucun sentiment d’honneur. Le nègre est de la race des travailleurs de la terre ; la race européenne est celle des maîtres et des soldats. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien. On n’appelle pas cela bousculer les idées reçues… en matière d’immobilisme, on ne fait pas mieux.

[2] Un bon siècle plus tôt, l’indien Tlaxcaltèque Muñoz Camargo, devinait déjà les vertus de la gomme de cet arbre : si l’on faisait des semelles avec cet uli (…) celui qui chausserait ces souliers se mettrait malgré lui à sauter en l’air partout où il irait.(uli en nahuatl et batey en caraïbe)

[3] qui avait un sens certain de l’absurde ; il disait des batailles navales : on se rencontre, on se canonne, on se sépare, et la mer reste aussi salée qu’avant.

[4] Les menus de ces marins, si l’on peut difficilement les qualifier de gastronomiques, fournissaient néanmoins de 3 385 à 3 889 calories. Il est reconnu que les capitaines et les officiers mangeaient souvent très bien alors que l’équipage souffrait. En 1560, la ration quotidienne d’un matelot espagnol se composait de : 700 g de pain, 100 g de fèves ou de pois chiches, un quart de vin, un peu d’huile d’olive et de vinaigre. Le dimanche, le mardi et le jeudi, il recevait un peu plus de 200 g de bœuf salé ; le lundi et le mercredi, 170 g de fromage; le vendredi et le samedi, 220 g de morue séchée. Il y avait  aussi des distributions fréquentes, mais non contingentées, d’olives, de noisettes, de dattes séchées, de figues, de marmelade de coings, de cannelle, de clous de girofle, de moutarde, de persil, de poivre, d’oignons, d’ail et de safran. Les repas étaient servis dans des écuelles de bois – avec des couteaux, mais sans fourchettes.