Publié par (l.peltier) le 29 décembre 2008 | En savoir plus |
1,4 m.a.
Premiers bifaces ou galets taillés, en Afrique.
Dès l’origine de l’outillage de pierre, le problème d’approvisionnement en matière première s’est posé. La matière idéale est le silex, matière faisant défaut sur d’immenses territoires qui ont offert pourtant des possibilités d’existence favorables. Le chasseur préhistorique est par conséquent contraint de séjourner à portée des sources de silex ou de recourir à des substances de remplacement très inférieures en possibilités techniques. Dans les régions périphériques dénuées de silex, la nécessité a donné naissance à des industries aberrantes et difficiles à dater comme l’outillage de quartz des Sinanthropes ou l’outillage de bois minéralisé de Birmanie. Dans les régions centrales, on perçoit dès le début le lien entre les régions à silex et les hommes, et toute l’évolution technique retrace l’effort de libération qui s’est poursuivi à travers les millénaires. Cet affranchissement progressif s’est traduit par un rapport étroit entre la longueur du tranchant utile des outils et le volume des matières nécessaires pour les confectionner. Alors que les outils tranchants les plus anciens immobilisent un kilogramme de silex pour dix centimètres de tranchant à peine, on atteint à la fin de l’âge du Renne (-10 000) un rapport qui dépasse parfois vingt mètres de tranchant au kilo de silex. L’allègement et l’amenuisement progressif de l’outillage tranchant qui frappe l’esprit le moins préparé traduit ce phénomène le plus important et le plus clair de l’histoire des civilisations préhistoriques : à mesure que croît la valeur utile d’un même poids de silex, les témoins des industries classiques se rencontrent de plus en plus loin des centres de matière première.
André Leroi-Gourhan. La Préhistoire 1956
1.2 m.a.
Des précurseurs lointains de l’Homo heidelbergensis et de l’homme de Néandertal, baptisé Homo antecessor [avec une capacité crânienne de 1 100 cm³] se sont installés aux abords de la grotte de Sima del Elefante, sur le site espagnol d’Atapuerca, à 17 km de Burgos : c’est en 2008 qu’Eudald Carbonell découvrira un morceau de mandibule et une prémolaire. Homo antecessor est anthropophage chaque fois que l’occasion s’en présente, c’est-à-dire chaque fois que l’ennemi est vaincu.
Cette découverte vient bousculer la thèse la plus communément admise qui veut que tous les hominidés soient originaires d’Afrique : l’Afrique, berceau de l’humanité… Or cette nouvelle espèce d’hominidé qu’est l’Homo antecessor vient infirmer cette thèse et cette hypothèse nouvelle prend le nom de théorie de la continuité :
En dépit des certitudes de certains, la question des origines géographiques de l’hominisation demeure entière. Si elle s’est faite uniquement en Afrique comme le soutiennent les plus nombreux, le reste de la planète aurait donc été peuplé par un mouvement diffusionniste à partir du foyer africain. Cette hypothèse dominante n’est cependant pas unanimement admise car certains chercheurs soutiennent que l’homme serait apparu simultanément en Afrique, en Asie et en Europe et que, dans ces conditions, les représentants asiatiques et européens de genre Homo ne descendraient pas de celui d’Afrique.
Bernard Lugan. Histoire de l’Afrique. Des origines à nos jours. ellipses 2011
1 m.a.
Le Groenland est au sec, libre de toute calotte glaciaire. Dans l’Hérault se mettent en place les gorges de la Vis, et le cirque dolomitique de Mourèze.
0.8 m.a.
Quelques 70 silex taillés découverts à Happisburg, dans le nord-est du Norfolk, en Angleterre, témoignent de la présence d’hominidés, probablement de la lignée d’homo antecessor, présence qui sera confirmée en février 2014, à la faveur des grandes marées qui permettront la découverte d’empreintes dans la boue d’un ancien estuaire : ces hominidés avaient une taille de 90 cm. à 1.70 m. Il existe seulement deux sites plus anciens, tous les deux en Afrique: à Laetoli en Tanzanie – 3,5 m.a. – et à Koobi Fora au Kenya -1,5 m.a.
Le sud du Groenland bénéficie d’une climat boréal : à peu près 10° en été, -17° en hiver, de quoi assurer une vie décente aux papillons, scarabées, araignées, et quelques autres.
0.78 m.a.
Une météorite de près de 10 km. Ø, après son entrée dans l’atmosphère, se brise en 5 morceaux, dont le principal arrive près du pôle sud, provoquant une fonte brutale d’environ 1 % de la calotte glaciaire. Dans le même temps, on sait qu’il y eut inversion du champs magnétique terrestre… sans que l’on puisse affirmer que ceci soit la cause de cela.
0.7 m.a
Le site du cap d’Agde connaît la dernière manifestation de volcanisme dans l’Hérault. Premiers bifaces en France.
0.6 m.a.
Début de la première période glaciaire – Günz, jusqu’à 0.54 m.a. Les ours bruns se séparent génétiquement des ours blancs.
vers 0.5 m.a.
Il y a aussi des ancêtres de l’homme – heidelbergensis ou antecessor – dans le sud-est de l’Angleterre, le long de la côte du Suffolk : ils laisseront des silex noirs de bonne qualité et de bonne coupe. Quand on dit le long de la côte du Suffolk, il faut l’entendre dans la géographie actuelle, car alors l’Angleterre était reliée au continent et bénéficiait d’un climat méditerranéen avec hippopotames, lions, rhinocéros, hyènes, daims géants et éléphants. Installés là entre deux périodes glaciaires, ils ont dû en être chassés par le retour du froid.
Dans l’abri sous roche de Tcheoukeou-tien, au nord du fleuve Jaune, en Chine un sinanthrope – homme de Chine – utilise l’os et le silex pour ses outils et connaît le feu. C’est le jésuite Pierre Teilhard de Chardin qui le découvrira en 1929. Et l’homo erectus de Trinil, sur l’île de Java, se plait à strier des coquillages
0.48 m.a.
Début de la seconde période glaciaire de Mindel, jusqu’à 0.43 m.a.
0.472 m.a.
Homo Erectus sait façonner des pièces de bois taillées pour en faire une croix : c’est dans le nord de l’actuelle Zambie. L’analyse au carbone 14 ne pouvant remonter en deçà de 50 000 ans, on utilise la datation par luminescence, une technique qui permet de dater non pas l’objet lui-même, mais les sédiments dans lesquels il est enfoui.
Celle-ci exploite la capacité qu’ont certains cristaux naturels, comme le quartz et le feldspath, à se comporter comme des dosimètres grâce à de petits défauts de structure qui jouent le rôle de pièges à électrons. Sous l’effet de la radioactivité naturelle, ces cristaux accumulent de l’énergie et ils la restituent quand on les chauffe ou quand on les éclaire au laboratoire,explique Christelle Lahaye, professeure de géochronologie à l’université Bordeaux-Montaigne et directrice du laboratoire Archéosciences, spécialisé dans l’étude des matériaux du patrimoine archéologique. A chaque fois que la lumière du soleil les frappe, ces grains de quartz ou de feldspath voient leur horloge interne remise à zéro. Elle repart et se remet à accumuler de l’énergie quand elle se trouve dans le noir, en bref quand les sédiments sont enfouis. La quantité d’énergie stockée est proportionnelle au temps passé dans l’obscurité. Ce que l’on va mesurer avec cette technique, résume Christelle Lahaye,c’est le temps qui s’est écoulé depuis la dernière exposition de ces cristaux à la lumière.
[…] Quid de cette croix ? Une hypothèse que nous avons émise s’appuie sur ce que l’on voit souvent dans les zones humides, où les humains utilisent des plates-formes pour rester au sec quand la rivière déborde. L’étude évoque également la possibilité d’une passerelle ou d’une structure liée à l’habitat. Dans tous les cas, cela remet en partie en cause l’idée de populations complètement nomades : Comme il s’agit de chasseurs-cueilleurs, soit ils structurent un habitat et ne sont pas aussi nomades qu’on le croyait, soit ils aménagent une zone où ils reviennent régulièrement, avance la préhistorienne.
En plus de l’assemblage de deux rondins, les auteurs de l’étude ont exhumé d’autres éléments ou outils en bois, un peu plus récents puisque leur datation est comprise entre 324 000 et 390 000 ans. Il y a là ce que les chercheurs interprètent comme un coin, un bâton fouisseur doté d’une pointe, une bûche et une branche entaillée. Tout cela est moins étonnant car d’autres exemples existaient déjà, comme les épieux vieux de 300 000 ans découverts à Schöningen (Allemagne) dans les années 1990. Cela enrichit néanmoins la panoplie des objets en bois tout en soulignant en creux à quel point les industries préhistoriques en matériaux périssables échappent aux archéologues.
Pour Christelle Lahaye, la découverte effectuée aux chutes du Kalambo fait passer un seuil car on est dans quelque chose qui semble être une structure. Cela s’inscrit dans la lignée d’études sur les capacités cognitives et les compétences de nos ancêtres ou de nos cousins. Cela montre des compétences et un savoir-faire qu’on n’avait pas imaginés pour des périodes aussi anciennes.
Pierre Barthelemy. Le Monde du 21 09 2023
0.45 m.a.
L’Homo Erectus découvre le feu : la cuisson des aliments va amener des repas pris en commun… et, entre deux bouchées, on peut commencer à essayer de communiquer… Le fait d’avoir jusqu’alors mangé de la viande crue lui apportait le sel dont il avait besoin. La viande perd beaucoup de sel à la cuisson : il faut peut-être remonter jusque là pour voir naître la quête de sel. Si la viande crue lui apportait le sel, elle lui apportait aussi les parasites : avec la cuisson, les parasitoses vont quasiment disparaître et l’espérance de vie progresser.
Contemporain de la glaciation de Mindel, l’Homme de Tautavel fait partie de cette famille : il a une capacité cérébrale avoisinant les 1 100 cm³.
Homo erectus fut la première espèce humaine à faire usage du feu ; la première à accorder à la chasse une place importante dans ses moyens de subsistance ; la première à pouvoir courir comme les hommes modernes ; la première à fabriquer des outils en pierre à partir d’un projet réfléchi ; et la première à étendre son domaine en dehors de l’Afrique.
Richard Leakey. L’origine de l’humanité. 1994
Voyez-vous l’humanité, cette caravane traversant le désert des siècles ? Chemin faisant, l’un trouve un caillou et s’en sert pour assommer l’iguane qui somnole sous le soleil. Cet autre voit brûler une prairie trop sèche et y découvre les restes d’une antilope exhalant une odeur excitante, nouvelle : celle de la chair cuite ! Le feu est dompté.
Un troisième tresse des brins d’osier, en fait une corbeille sommaire pour y déposer des fruits sauvages. C’est le même qui veut rendre son bol étanche, l’enduit d’argile et l’oublie auprès du brasier familial !
Quand l’osier s’est consumé, la première coupe en terre cuite est née !
Jean Paul Barbier. Civilisations disparues. Assouline 2000
Nous supposons qu’un gros cerveau, l’usage d’outils, des capacités d’apprentissage supérieures et des structures sociales complexes sont des avantages immenses. Que ceux-ci aient fait de l’espèce humaine l’animal le plus puissant sur Terre paraît aller de soi. Or, deux bons millions d’année durant, les humains ont joui de tous ces avantages en demeurant des créatures faibles et marginales. Les humains qui vivaient voici un million d’années, malgré leurs gros cerveaux et leurs outils de pierre tranchants, connaissaient le peur constante des prédateurs, du gros gibier rarement chassé, et subsistaient surtout en cueillant des plantes, en ramassant des insectes, en traquant des petits animaux et en mangeant les charognes abandonnées par d’autres carnivores plus puissants. Un des usages les plus courants des premiers outils de pierre consistait à ouvrir les os pour en extraire la moelle. Selon certains chercheurs, telle serait notre niche originelle. De même que la spécialité des pics est d’extraire les insectes des troncs d’arbre, de même les premiers hommes se spécialisèrent dans l’extraction de la moelle. Pourquoi la moelle ? Eh bien, imaginez que vous observiez une troupe de lions abattre et dévorer une girafe. Vous attendez patiemment qu’ils aient fini. Mais ce n’est pas encore votre tour à cause des chacals et des hyènes – vous n’avez aucune envie de vous frotter à eux qui récupèrent les restes. C’est seulement après que vous et votre bande oserez approcher de la carcasse, en regardant prudemment à droite et à gauche, puis fouiller les rares tissus comestibles abandonnés.
C‘est là une clé pour comprendre notre histoire et notre psychologie. Tout récemment encore, le genre Homo se situait au beau milieu de la chaîne alimentaire. Des millions d’années durant, les êtres humains ont chassé des petites créatures et ramassé ce qu’ils pouvaient, tout en étant eux-mêmes chassés par des prédateurs plus puissants. Voici 400 000 ans seulement que plusieurs espèces d‘hommes ont commencé à chasser régulièrement le gros gibier ; et 100 000 ans seulement, avec l’essor de l’Homo sapiens, que l’homme s‘est hissé au sommet de la chaîne alimentaire.
Ce bond spectaculaire du milieu au sommet a eu des conséquences considérables. Les autres animaux situés en haut de la pyramide, tels les lions ou les requins, avaient eu des millions d’années pour s’installer très progressivement dans cette position. Cela permit à l’écosystème de développer des freins et des contrepoids qui empêchaient lions et requins de faire trop de ravages. Les lions devenant plus meurtriers, les gazelles ont évolué pour courir plus vite, les hyènes pour mieux coopérer, et les rhinocéros pour devenir plus féroces. À l’opposé, l’espèce humaine s’est élevée au sommet si rapidement que l’écosystème n’a pas eu le temps de s’ajuster. De surcroît, les humains eux-mêmes ne se sont pas ajustés. La plupart des grands prédateurs de la planète sont des créatures majestueuses. Des millions d’années de domination les ont emplis d’assurance. Le Sapiens, en revanche, ressemble plus au dictateur d’une république bananière. Il n‘y a pas si longtemps, nous étions les opprimés de la savane, et nous sommes pleins de peurs et d’angoisses quant à notre position, ce qui nous rend doublement cruel et dangereux. Des guerres meurtrières aux catastrophes écologiques, maintes calamités historiques sont le fruit de ce saut précipité.
Dans cette ascension, une étape significative fut la domestication du feu. Il y a 800 000 ans, déjà, certaines espèces humaines faisaient peut-être, à l’occasion, du feu. Voici environ 300 000 ans, Homo erectus, les Neandertal et les ancêtres d’Homo sapiens faisaient quotidiennement du feu. Les humains disposaient alors d’une source de lumière et de chaleur fiable, ainsi que d’une arme redoutable contre les lions en maraude. Peu après, les hommes ont bien pu commencer à mettre délibérément le feu aux alentours de leur habitat. Un feu soigneusement maîtrisé pouvait transformer des fourrés stériles et infranchissables en pâture de choix grouillant de gibier. En outre, le feu une fois éteint, les entrepreneurs de l’Âge de pierre arpentaient les restes fumants à la recherche d’animaux carbonisés, de noix et de tubercules. Mais la meilleure chose qu’ait apportée le feu, c’est la cuisine.
Des aliments indigestes sous leurs formes naturelles – ainsi du blé, du riz et des pommes de terre – devinrent des produits de base de notre régime grâce à la cuisine. Mais le feu ne changea pas seulement la chimie des aliments, il en changea aussi la biologie. La cuisine tua des germes et des parasites qui infestaient les aliments. Il devint aussi beaucoup plus facile aux hommes de mâcher et de digérer leurs vieux aliments favoris en les cuisinant : fruits, noix, insectes et charognes. Tandis qu’un chimpanzé passe cinq heures à mâchonner de la nourriture crue, une heure suffit à un homme qui mange de la nourriture cuisinée.
L’apparition de la cuisine permit aux hommes de manger des aliments plus variés, de passer moins de temps à se nourrir, et de le faire avec des dents plus petites et des intestins plus courts. Selon certains spécialistes, il existe un lien direct entre l’apparition de la cuisine, le raccourcissement du tube digestif et la croissance du cerveau. Les longs intestins et les gros cerveaux dévorant chacun de l’énergie, il est difficile d’avoir les deux. En raccourcissant les intestins et en réduisant leur consommation d’énergie, la cuisine a sans le vouloir ouvert la voie aux jumbo-cerveaux des Neandertal et des Sapiens.
Le feu a aussi ouvert le premier gouffre significatif entre l’homme et les autres animaux. La puissance de presque tous les animaux leur vient de leur corps : la force de leurs muscles, la taille de leurs dents, l’envergure de leurs ailes. S’ils peuvent exploiter vents et courants, ils sont bien incapables de maîtriser ces forces naturelles, et sont toujours contraints par leur physique. Les aigles, par exemple, identifient les colonnes thermiques qui s’élèvent du sol, déploient leurs ailes géantes et laissent l’air chaud les porter. En revanche, ils ne sauraient maîtriser la place des colonnes, et leur capacité de portage maximale est strictement proportionnelle à leur envergure.
Domestiquant le feu, les hommes s’emparèrent d’une force obéissante et potentiellement illimitée. À la différence des aigles, ils purent choisir quand et où allumer une flamme, puis exploiter le feu pour diverses tâches. Qui plus est, la puissance du feu n’était pas limitée par la forme, la structure ou la vigueur du corps humain. Une femme seule avec un silex et un bâton à feu pouvait brûler une forêt entière en quelques heures. La domestication du feu était un signe des choses à venir.
Yuval Noah Harari. Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
0.416 m.a.
20 % de la calotte glaciaire du Groënland fond, 70 % dans certains endroits. Cette débâcle aurait provoqué une hausse du niveau de la mer d’1.4 mètre à 5.5 mètres. On sait cela grâce à l’analyse en 2021 de carottages effectués en 1966 par les Américains sur leur base de cap Century, au nord de la mer de Baffin dans la moitié nord du Groënland par 1 400 mètres de profondeur pour y cacher des missiles destinés à la Russie. La concentration en dioxyde de carbone (CO2) était bien plus basse qu’aujourd’hui – de l’ordre de 280 parties par million (ppm), contre 420 ppm actuellement. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que le Groenland a perdu 4 890 milliards de tonnes de glace entre 1990 et 2020. Cela représenterait environ 0,16 % du volume actuel de la calotte. Cette fonte a provoqué une élévation du niveau de la mer de 14 mm.
0.4 m.a. à 0.2 m.a.
Le niveau de la Méditerranée se trouve à 26 m. plus haut que le niveau actuel : des fouilles sur les Terra Amata, l’emplacement de l’actuel Nice, ont mis à jour plusieurs traces de campement – huttes en branchages fixés sur un piétement de blocs de pierre – d’Homo Erectus qui ont permis de déterminer ce niveau. En Israël, un Homo Sapiens archaïque est déjà installé : on trouvera quelques unes de ses dents en 2010.
0.335 m.a. à 0.235 m.a.
Dans des grottes proches de Johannesburg, on trouve en 2015 des restes d’une quinzaine d’homo naledi, petits bonshommes de 1.5 de haut, avec une cerveau de 600 cm³, bipède confirmé, mais aussi capable de se déplacer avec aisance dans les arbres, et adepte d’une alimentation variée et non exclusivement herbivore, comme le montraient ses petites dents. Ils sont bien proches de l’homo sapiens.
Spécificités d’Homo Naledi : 335 000 à 236 000 ans – Afrique du Sud. Taille : 1,50 m. Masse : 45 kg. Capacité crânienne : 465 cm³ à 560 cm³. Lorsque la découverte d’Homo naledi dans une grotte proche de Johannesburg (Afrique du Sud) a été annoncée en 2015, Lee Berger (université de Witwatersrand), responsable des fouilles, en aurait volontiers fait l’ancêtre de l’humanité. Depuis, la datation des quinze individus entassés au fond d’un boyau quasi inaccessible s’est affinée : environ 300 000 ans. Ses doigts recourbés en faisaient un bon grimpeur, capable de se servir d’outils, tandis que ses pieds et ses jambes étaient parfaitement adaptés à la marche. Lee Berger estime que le regroupement des fossiles pourrait témoigner de pratiques funéraires, mais l’hypothèse d’une mort accidentelle ne peut être écartée. Pour l’heure, aucun outil associé à Homo naledi n’a été retrouvé.
0.31 m.a.
Jean-Jacques Hublin, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig, crée une petite révolution dans le landerneau des anthropologues en présentant un crâne daté de 315 000 ans, attribué à un homo sapiens du Jebel Ihroud, dans le sud marocain [2]. Dans le registre fossile actuel, les plus anciens Homo sapiens connus – Omo 1 et Omo 2 – étaient éthiopiens et vieux d’environ 200 000 ans. Des petits jeunes comparés aux nouveaux doyens de notre lignée, dont les fossiles sont au moins 100 000 ans plus vieux. Cette découverte plaide pour son origine panafricaine. La découverte sur le mont Carmel en Israël d’une demi mâchoire vieille de 180 000 ans, annoncée début 2018, montre que Homo sapiens était prêt à conquérir la planète bien plus tôt qu’on ne l’avait imaginé. En 2022 sera publiée une étude vieillissant l’arrivée d’Homo Sapiens en Europe occidentale d’à peu près 14 000 ans, 54 000 ans venant remplacer 40 000, sur la base d’une dent d’un enfant dans la grotte de Mandrin, rive gauche du Rhône au niveau de Montélimar. Mais, comme dit l’astrophysicien Carl Sagan Les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves extraordinaires. La dent d’un enfant, ça peut voyager sur des milliers de kilomètres dans le fond d’une poche…
Dès 1961, les exploitants d’une mine de barytine au Jjebel Ihroud avaient découvert un crâne humain quasi complet. Plus tard, une boîte crânienne fragmentaire et une mâchoire inférieure d’enfant avaient été trouvées sur le même site. Ces fossiles étaient associés à des restes de faune et à des outils de pierre débités par la méthode Levallois, caractéristique du Paléolithique moyen. Toutefois, même s’ils rapportèrent les avoir découvert à la base du matériau remplissant la grotte, leurs découvreurs estimèrent que ces fossiles ne pouvaient dater de plus de 40 000 ans. Et, étant donné que les préhistoriens croyaient alors à l’existence d’une population néandertalienne en Afrique du Nord, ces restes humains furent attribués à cette espèce sœur de la nôtre.
Depuis, notre vision de l’évolution du genre Homo a beaucoup évolué : l’origine exclusivement européenne des néandertaliens et leur confinement à l’Eurasie ont été établis. Dès lors, il fallait réévaluer les fossiles de Jebel Ihroud, projet que Jean-Jacques Hublin a lancé en convainquant son collègue Abdelouahed Ben-Ncer, de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine à Rabat, au Maroc, de relancer l’étude du site. En 2004, de nouvelles fouilles sont entreprises dans la petite zone du site laissée de côté dans les années 1960. En analysant les strates de ce dépôt détritique solidifié, les chercheurs y ont mis au jour de nombreux restes de faune (gazelle, léopard, zèbres, bovidés, lions,…). Le fait qu’ils ne portent pas de traces de morsures de carnivores et leur association à des outils de pierre Levallois (pointes, éclats retouchés,…) suggère qu’ils ont été amenés là par l’homme. Cela semble d’autant plus plausible que les chercheurs ont aussi découvert une boîte crânienne humaine déformée par les mouvements de terrain et accompagnées de plusieurs restes de la face, une mandibule quasi complète d’adulte, plusieurs éléments post crâniens et toute une série de dents. Les fossiles trouvés dans les années 1960 provenaient sans doute de la même strate. L’ensemble de ces restes représente au moins cinq individus : trois adultes, un adolescent et un enfant. Or la datation de la strate par la méthode de la thermoluminescence indique un âge de 315 000 ans (à 30 000 ans près). Confirmée par une autre méthode (la datation par résonance de spin électronique ou ESR), cette date fait de ces restes les plus anciens fossiles d’Homo sapiens connus à ce jour.
Malgré leur caractère clairement sapiens, l’examen de ces fossiles révèle nombre de traits archaïques. Les plus évidents sont une forme de l’encéphale assez différente de celle des Homo sapiens récents et, pour l’un des crânes, des arcades sourcilières proéminentes. Toutefois, ce caractère éminemment archaïque pourrait avoir été déjà en voie de disparition, puisque, notent les chercheurs, ces arcades sont relativement petites par rapport à celles d’Homo neanderthalensis ou d’Homo heidelbergensis, l’ancêtre commun supposé des hommes modernes et des néandertaliens. Cette réduction des arcades s’accompagne d’une tendance au redressement du front qui, chez les humains du Jebel Ihroud comme chez tous les Homo sapiens, positionne la face à l’aplomb du front et non plus en avant. Plus gracile que celle d’un néandertalien, la face des hommes du Jebel Ihroud est aussi relativement courte. Ces caractéristiques et d’autres, notamment celles des dents et de la mandibule, suffisent à placer les individus du Jebel Ihroud parmi les Homo sapiens.
[…] Pour autant, les chercheurs constatent qu’une certaine diversité règne parmi les formes anciennes d’Homo sapiens en Afrique. Les fossiles du Jebel Ihroud peuvent être rapprochés de ceux d’Omo 1 et 2 (195 000 ans, Éthiopie) et de celui de Florisbad (259 000 ans, Afrique du Sud), un crâne au statut incertain, mais qui passe pour appartenir à Homo sapiens pour certains paléoanthropologues. Omo 2 vient par exemple se placer entre deux fossiles du Jebel Ihroud. Ainsi, certains des traits des fossiles de Jebel Ihroud se retrouvent en plusieurs endroits d’Afrique à des époques différentes. Ceci suggère une évolution d’Homo sapiens en mosaïque à l’échelle du continent (les différents traits sapiens ont évolué à des vitesses différentes suivant les régions). Une impression que confirme la circulation d’un bout à l’autre de l’Afrique d’un trait culturel : peu après 300 000 ans, les outils de pierre fabriqués par les hommes du Jebel Ihroud se rencontrent aussi en Afrique du sud et de l’est. Les chercheurs expliquent ce lien par un épisode climatique ayant entraîné une très forte réduction du Sahara il y a quelque 330 000 ans, rendant possible la circulation entre l’Afrique du nord et le reste du continent. Au final, les nouveaux fossiles marocains confirment que la différentiation de la forme humaine sapiens a bien eu lieu en Afrique et sur une vaste échelle de temps, puisqu’elle était déjà en marche il y a plus de 300 000 ans.
Hervé Morin. Le Monde du 9 06 2017
0.24 m.a.
Début de la troisième période glaciaire, Riss.
0.236 m.a. à 0.183 m.a.
Sur les berges de la Seine, à une quinzaine de kilomètres en amont de Rouen, à Tourville-la-Rivière, les os d’un bras d’homme seront découverts en octobre 2014. Les chercheurs parlent d’un individu pré-Néandertalien, situant les Néandertaliens plutôt entre -118 000 et -30 000.
Dans les environs immédiats, un millier de restes d’espèces animales, des grands mammifères (équidés, cerfs, aurochs), des carnivores ((loup, panthère) ainsi que de plus petites espèces (chats sauvages, lièvres, castors). Sur des ossements d’aurochs, on trouve des traces de fractures volontaires, pour récupérer la moelle. Quelque 700 outils de pierre ont été identifiés, relevant de la technique Levallois, apparue avec le lignage néandertalien.
vers 0.2 m.a.
À une date encore incertaine, mais remontant à moins de 200 000 ans, s’impose au milieu de toutes les autres une nouvelle espèce d’Homo sapiens, avec un corps, des mains, des yeux, un cerveau plus développés encore – il a la capacité d’abstraction -, et qui semble être, elle, à l’origine directe de l’homme moderne. On la nomme Homo sapiens sapiens.
En l’état actuel des connaissances, elle apparaît une fois de plus en Afrique, contrée au climat encore idéal. Étonnante coïncidence : alors que l’homme de Heidelberg qui, déjà, enterre ses morts, et qui deviendra l’Homme de Neandertal en Europe est répandu sur la planète, c’est encore sur le continent des origines qu’il évolue vers des formes plus sophistiquées. Comme si ce continent était le sélecteur naturel des progrès de l’évolution.
De fait, en tout mieux adapté, Homo sapiens sapiens occupe très rapidement l’espace par un nomadisme foudroyant ; il remplace Homo erectus, heidelbergensis et sapiens et il élimine en particulier les Néanderthaliens d’Europe. L’homme de Cro-Magnon est un sapiens sapiens.
Le plus ancien de ces Homo sapiens sapiens, l’Homo sapiens idaltu, vit une fois de plus le jour en Éthiopie, il y a 160 000 ans. On l’a retrouvé enterré à côté d’outils et d’un crâne d’enfant portant de nombreuses incisions (comme s’il avait servi de récipient).
En quelques millénaires, les Homo sapiens sapiens occupent le reste du continent africain : certains migrent vers le sud, y devenant les ancêtres des actuels Xan, ou Bochimans, de l’Afrique australe ; d’autres occupent le Sahara, et les Bantous en seraient issus. Et comme on a trouvé en Syrie des outils ressemblant à ceux de cet Homo sapiens idaltu, laissés là à la même époque, il semble que certains d’entre eux aient gagné particulièrement vite le Moyen-Orient, où le climat est tout aussi clément. Il est également possible que ces Homo sapiens sapiens du Moyen-Orient soient issus, ou au moins métissés, d’un groupe de Néandertaliens venus d’Europe quelque 200 000 ans plus tôt avec leur propre culture, et qui y auraient évolué. Ce qui est sûr, c’est que sapiens sapiens colonise ensuite à marches forcées l’Europe, l’Asie centrale, l’Inde, l’Indonésie et des territoires jusque-là vierges de toute présence d’hominidés, comme la Sibérie.
Vers 150 000 ans, quelques millions de ses descendants vivent ainsi dans de vastes espaces, transportant avec eux vêtements, chausses, outils, armes et feu, célébrant des rituels religieux là où ils enterrent leurs morts.
Jacques Attali. L’Homme nomade Fayard 2003
Aucune espèce vivante n’est aussi capable de mobilité que celle des hommes. Certes il est des animaux qui courent beaucoup plus vite ou plus longtemps, des migrateurs qui peuvent parcourir des distances énormes sans s’arrêter. Mais les hommes ont un atout dont peu disposent : ils s’adaptent à (presque) tous les milieux. Pour cela, il leur faut créer des techniques, produire de la chaleur, se protéger du milieu par des vêtements ou des logements, trouver les moyens de s’alimenter même dans des conditions de rareté biologique. Des glaces polaires aux forêts équatoriales, des sociétés ont pu trouver des genres de vie et des techniques d’encadrement propices à la vie en société.
Il ne faut pas sous-estimer, par ailleurs, les capacités de déplacement d’un groupe humain. En faisant une vingtaine de kilomètres par jour, il peut parcourir l’équivalent de la circonférence terrestre en un peu plus de cinq ans. Ce calcul tout théorique suppose néanmoins qu’il puisse se procurer quotidiennement les diverses ressources nécessaires, ce qui peut-être un frein considérable, sans compter que les changements de contextes supposent des apprentissages nouveaux. Il faut enfin rappeler un fait caractéristique de l’espèce humaine : la prématurité des nouveaux nés, conséquence de notre important développement cervical. Non seulement nos grosses têtes sont responsables d’accouchements plus délicats et douloureux que pour les autres mammifères, mais elles condamnent le nouveau né à être peu efficace pendant longtemps. Alors que la plupart des petits herbivores doivent être capables de suivre le troupeau dès leurs premières heures de vie, le bébé humain sera porté de nombreux mois et ne sera capable d’une large autonomie de déplacement qu’au terme de plusieurs années. Ce fait, essentiel sans doute pour la socialisation, représente une contrainte non négligeable à la mobilité des hommes. [il serait intéressant de savoir comment les Mongols, essentiellement nomades, se sont accommodés de cette contrainte. ndlr]
Il n’en reste pas moins que les gros mammifères que nous sommes sont capables de déplacements considérables dans le temps long et d’adaptation aux différentes contraintes rencontrées. Sans ces compétences initiales, il n’y aurait jamais eu la moindre esquisse de mondialisation.
Christian Grataloup. Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde. Armand Colin 2009
Pour la détermination de l’apparition et de la disparition de l’homme de Neandertal, il est préférable de ne pas se montrer plus royaliste que le roi en ayant le souci de ces dates, car les anthropologues eux-mêmes ne parviennent pas à se mettre d’accord là-dessus : tout le monde s’accorde sur une date limite la plus récente pour l’apparition : 150 000 ans, mais en fait on a trouvé un Néandertalien à Petralona, en Grèce, vieux de 700 000 ans ; l’homme de Tautavel, lui aussi néandertalien, a 400 000 ans. Pour la disparition, les dates se font plus précises, entre 35 000 et 24 000 ans.
L’homme commence par le face à face avec la mort, à la différence de l’animal. C’est pourquoi l’une des définitions du religieux est la non-acceptation de la contingence absolue qui caractérise l’homme vivant et éphémère. Ce serait là le seuil qui marque le passage du domaine animal à l’humain.
Claude Geffré, Dominicain. Avec ou sans Dieu ? Bayard 2006
Lorsqu’il est découvert en 1856 dans la vallée de Neander, en Allemagne, l’homme de Neandertal est le premier homme fossile à ressurgir du passé.
On est alors dans un contexte de créationnisme. Comme Neandertal n’a pas l’apparence d’un humain moderne, avec son crâne allongé vers l’arrière, son absence de menton et son bourrelet suborbital qui lui fait comme une visière, on va le traiter de pathologique et de crétin. Parmi les premières représentations de lui, on accentue les caractères simiens. Un des extrêmes est le dessin fait par l’artiste tchèque Frantisek Kupka, qui paraît dans L’illustration, en 1909, où on voit une espèce de singe velu à l’air agressif qui se tient à l’entrée d’une grotte, une massue ou un fémur à la main, avec un crâne par terre donnant l’impression qu’il a sûrement boulotté un de ses copains.
[…] L’époque est alors dominée par deux grands paradigmes qui vont se transposer dans l’image que l’on se fera de Neandertal. Il y a tout d’abord la racialisation, l’idée de classer et de hiérarchiser les races humaines. La deuxième chose, c’est une vision d’un progrès unilinéaire dans l’évolution de l’humanité. Tout ce qui est avant est forcément moins bien que tout ce qui est maintenant. Et plus vous faites des différences avec les autres, plus vous vous valorisez : il fallait donc mettre toutes les tares sur le dos de Neandertal en prétendant qu’il était cannibale, qu’il n’avait pas de langage, qu’il n’enterrait pas ses morts, que c’était un charognard qui ne chassait pas. Les découvertes postérieures ont fait tomber ou nuancé beaucoup de ces critères, mais on voit bien qu’ils avaient été posés pour faire valoir la notion de progrès.
Pascal Depaepe, directeur régional des Hauts-de-France à l’Institut national de recherches -archéologiques préventives (Inrap), et Marylène Patou-Mathis, directrice de recherches au CNRS.
Les néandertaliens n’utilisent pas les bois des rennes (ou les autres armes animales) pour fabriquer des armes et les retourner contre ces mêmes animaux, ce que pratique Homo Sapiens. Il ne s’agit pas d’un déficit de compétence : cela révèle quelque chose de leur vision de la nature.
Marylène Patou-Mathis. Sciences et Avenir 929/930 Juillet-Août 2024
Alors qu’Homo neanderthalensis et Homo sapiens sont deux lignées issues du même tronc, qui se sont séparées il y a environ 700 000 ans pour vivre leur destin chacune de son côté, la première en Eurasie, la seconde en Afrique, Neandertal est donc, dans un premier temps, considéré comme un prédécesseur de l’homme moderne et forcément plus primitif que lui… Il transportera longtemps – et continue parfois encore de transporter – l’image d’une brute épaisse, due à une -impressionnante robustesse physique. Ainsi que le souligne Ludovic Slimak, chercheur au CNRS et spécialiste des sociétés néandertaliennes, ses traits archaïques sont flagrants, et cela empêche certainement certains scientifiques de regarder Neandertal avec la plus grande objectivité.
[…] C’était il y a une douzaine d’années. Dans une de ses conférences, le paléoanthropologue américain Richard Klein, de l’université Stanford, avait mis un crâne néandertalien sur une de ses diapositives et il a dit : Si, en montant dans un avion, je voyais que le pilote a cette tête-là, je ne sais pas vous, mais moi je redescendrais de l’avion… Ludovic Slimak se remémore aussi une conversation avec un collègue russe, Pavel Pavlov, dont le jugement sur les néandertaliens se résume à un lapidaire : Ils n’ont pas d’âme.
Pourtant, au cours des dernières décennies, les découvertes scientifiques ont profondément remanié l’image que l’on se faisait de Neandertal. Marylène Patou-Mathis, qui travaille beaucoup sur les comportements de subsistance, cite ainsi ses travaux qui ont clairement mis en évidence que, même s’ils mangeaient beaucoup de viande de mammifères terrestres, les néandertaliens consommaient aussi des fruits de mer, des oiseaux, des phoques échoués, des poissons plus qu’on ne le pensait. Surtout, grâce aux recherches menées sur le tartre dentaire, on a vu de la -consommation de végétaux. C’est intéressant, parce que l’image de Neandertal en train de manger de la barbaque saignante n’est pas la même que celle de Neandertal mangeant des galettes de graminées sauvages cuites…
La préhistorienne évoque également les découvertes montrant la consommation de plantes -médicinales par des personnes souffrant de certaines pathologies, mais aussi l’utilisation de pigments, la collecte de plumes et de serres de rapaces qui ont pu servir d’ornements corporels ou vestimentaires, voire d’objets rituels. Les chercheurs ont en effet, et depuis longtemps, révélé des comportements autres que de subsistance, décrivant par exemple des dizaines de sépultures de la Charente-Maritime à l’Ouzbékistan ou des formes graphiques simples. On a également mis en évidence l’entraide et la solidarité dont les néandertaliens devaient faire preuve, que ce soit pour chasser ou pour soutenir des membres du groupe affaiblis par une blessure ou un handicap. Petit à petit, la recherche a rapproché les comportements néandertaliens de ceux des Homo sapiens vivant à la même époque. Parti d’une position extrême – l’homme-singe fruste et brutal -, le balancier s’est déplacé avec constance vers l’idée d’une ressemblance forte entre les deux groupes.
Et c’était sans compter avec la découverte majeure de ce début de XXI° siècle, la preuve génétique qu’il y a eu des croisements avec descendance fertile entre les deux populations. Une trouvaille qui pose la question suivante : Homo sapiens et Neandertal ne sont-ils pas membres de la même espèce puisqu’ils se reproduisaient entre eux ? Et si eux, c’était nous ? Pour Jean-Jacques Hublin, titulaire de la chaire de paléoanthropologie au Collège de France, savoir si Neandertal est oui ou non une autre espèce est un peu de la rhétorique : définir ce qu’est une espèce est compliqué. La spéciation est un processus et non pas un événement : on ne se réveille pas un matin en étant une autre espèce. Cela prend des centaines de milliers d’années, voire des millions d’années chez des mammifères de taille moyenne. Il faut plutôt voir ces groupes comme des espèces en formation qui n’ont jamais atteint l’isolement reproductif complet. On a d’ailleurs des soupçons sur la fécondité des hybrides mâles.
À trop vouloir réhabiliter Neandertal, déconstruire l’image déplorable qu’il traîne comme un boulet depuis le XIXe siècle, ne l’a-t-on pas trop rapproché de nous ? Le balancier est-il allé trop loin dans l’autre sens ? je pense : On est très facilement enclin à souligner les travers de nos prédécesseurs, en se moquant de la vision simiesque qu’ils avaient de l’homme de Neandertal, dont on sait maintenant que c’était un hominide à grand cerveau doté de techniques et de comportements complexes, mais je suis également sûr que, dans cinquante ans, on rira ou on sourira de la façon dont aujourd’hui on veut faire de Neandertal un être pacifique, écolo… Il y a une projection des fantasmes de chaque époque sur le passé. On l’habille des préoccupations du présent.
Neandertal nous tend un miroir. En raison de sa proximité, parler de lui, c’est aussi parler de nous, du regard que nos sociétés jettent sur la préhistoire et sur nos origines. Ce cousin éteint dit aussi des choses révélatrices sur… ceux qui l’étudient. Comme l’explique Ludovic Slimak, le débat sur Neandertal met en lumière deux courants de la paléoanthropologie : Le premier, qui est un courant plutôt latin, tend à dire et à essayer de montrer que les néandertaliens ont été victimes de leur faciès, mais qu’ils sont comme nous. L’autre courant est plutôt anglo-saxon. Il s’en tient plus à une approche biologique de Neandertal, et la notion de culture néandertalienne telle qu’on la perçoit dans la recherche française est moins développée. Il est d’ailleurs marquant que, pour les Anglo-Saxons, le mot human soit strictement réservé à Homo sapiens…
Ludovic Slimak le reconnaît volontiers : Cela fait vingt-cinq ans que je travaille sur Neandertal avec les mains dans le cambouis, quatre mois par an sur des fouilles, je connais intimement son artisanat, son mode de vie, mais je ne sais toujours pas qui il est. Pour ce chercheur, il est vain de se bagarrer sur tel ou tel type de production qui serait le propre de l’homme moderne et dont les Néandertaliens seraient incapables. A chaque fois qu’on affirme cela, on peut être sûr que, dans les années qui suivent, une équipe montrera que Neandertal le faisait aussi… Il faut l’aborder de manière structurelle et se demander s’il existait chez lui une manière de voir le monde, de se comporter, qui lui était propre.
Malheureusement, Neandertal n’a pas laissé ses Mémoires, et il faut bâtir cette éthologie à partir des vestiges qui sont parvenus jusqu’à nous, essentiellement de la pierre taillée… Mais c’est justement là que Ludovic Slimak décèle une différence structurelle entre Neandertal et Homo sapiens, lorsque les deux populations avaient des connaissances techniques similaires : Si vous regardez des outils de silex de sapiens contemporains, une fois que vous en avez vu dix, vous allez vous ennuyer pendant des années parce que les 100 000 suivants seront tous les mêmes. Ce qui n’existe pas chez Neandertal, c’est cette standardisation. Quand vous voyez un de ses produits finis, chaque objet est magnifique et unique, une création, un univers en soi. Là, on est au cœur de la bête : c’est révélateur d’un univers mental qui ne semble pas le même, d’une autre manière de s’inscrire au monde, de penser le monde. Ces divergences-là ne sont ni techniques ni culturelles, et on peut ici proposer que l’encéphale ne fonctionne pas de la même manière.
Depuis sa découverte, décrire Neandertal, c’est aussi dessiner notre portrait en creux et interroger notre rapport à l’altérité. Les hommes s’évertuent à se définir par rapport au reste du monde vivant, rappelle Jean-Jacques Hublin. Il y a une sorte de fossé mental qu’on installe entre les hommes et les animaux. Quand on est évolutionniste, on sait que c’est une fiction, que ce fossé n’existe pas vraiment puisque nous sommes issus du monde animal. La question qu’on se pose avec Neandertal, c’est : quelle est la limite de l’humain ? Qu’est-ce qu’on va appeler les hommes ? Les néandertaliens sont très près de ce fossé. Ils étaient de l’autre côté pendant longtemps, et on les a maintenant fait passer de notre côté. Du coup, tous les -attributs de l’humanité s’appliquent à eux brutalement, dans un contexte idéologique de lutte contre le racisme, la ségrégation, la discrimination, etc. La difficulté, pour nous humains, c’est de concevoir un homme qui ne soit pas comme nous. Sitôt qu’on reconnaît un être comme un homme, inexorablement on l’inclut dans notre communauté humaine et il devient comme nous, en tout.
Voilà peut-être pourquoi on met des baskets à Kinga. Pourquoi on se demande si on la remarquerait dans le métro… Il nous est pour ainsi dire impossible de ne pas essayer de nous projeter en Neandertal, tout comme il est impossible de ne pas songer à un pachyderme quand on vous -ordonne Ne pensez pas à un éléphant ! Ce rapport si particulier avec les formes humaines du passé tient peut-être au fait qu’aucun autre Homo n’a survécu. Aujourd’hui, sur Terre, rappelle Jean-Jacques Hublin, il n’existe qu’une forme humaine, qui s’est répandue sur la planète récemment à l’échelle des temps géologiques. Pour nous, c’est l’ordre naturel des choses. Mais c’est une réalité très récente. Auparavant, il y avait toujours eu plusieurs formes d’hominides en même temps. Cela fait moins de 40 000 ans que nous sommes tout seuls, et c’est pour cette raison que j’ai intitulé un de mes cours au Collège de France L’espèce orpheline. Le paléoanthropologue y voit d’ailleurs la raison de notre fascination pour Neandertal… et les extraterrestres : Ils nous permettent de nous sentir moins seuls…
Pierre Barthelemy. Le Monde du 28 03 2018
Le quelque chose de Néandertal que chacun de nous a en lui est une petite portion d’ADN. Le consortium international dirigé par Svante Pääbo (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig) analysait de l’ADN récupéré sur trois os de néandertaliens de la grotte de Vindija (Croatie). Le premier constat – le matériel génétique d’Homo neanderthalensis est similaire à 99,7 % à celui d’Homo sapiens, un chiffre à comparer avec les 98 % d’ADN que nous partageons avec les chimpanzés. Ce n’était pas une surprise, étant donné que, dans le buisson Homo, la branche néandertalienne est la dernière dont nous nous soyons séparés.
Le second résultat, en revanche, n’était pas attendu et, dans le livre qu’il a consacré à ce qui s’est apparenté à une véritable épopée scientifique (Neandertal. A la recherche des génomes perdus, Les liens qui libèrent, 2015), Svante Pääbo lui-même rappelle ne pas y avoir vraiment cru tant que les chiffres, têtus, ne l’en ont pas assuré : en moyenne, 2 % de l’ADN des humains non africains provient de Neandertal. Descendant des Homo sapiens qui n’ont pas eu de contact avec les néandertaliens, lesquels vivaient en Eurasie, les Africains ne sont pas porteurs de ce matériel génétique.
Cette découverte témoignait d’un phénomène spectaculaire : il y a quelques dizaines de millénaires, des accouplements s’étaient produits entre les deux populations, qui avaient donné une descendance fertile. L’idée d’une love story obtenait un franc succès dans les médias. Professeur d’anthropologie au Collège de France, Jean-Jacques Hublin n’hésite pas à actionner la douche froide au sujet de cette hybridation : De quel comportement découle-t-elle ? On n’en sait rien. On aimerait bien le scénario love story, mais on a des exemples plus récents sur le plan historique où les rivalités entre groupes se terminent par on tue les hommes, on prend les femmes, et c’est peut-être ce qui s’est parfois produit.
Une grande partie de l’ADN n’étant pas codant, quel est l’impact réel de ces 2 % sur notre physique et notre métabolisme ? On sait d’ores et déjà que certains gènes issus de Neandertal, intervenant dans la texture de la peau ou l’immunité, ont été conservés parce qu’ils apportaient un avantage aux Homo sapiens -arrivant en Eurasie. Néanmoins, Jean-Jacques Hublin estime probable que la sélection a purgé notre génome d’une grande partie de l’introgression néandertalienne et que ce qui reste est massivement de l’ADN sans grande influence sur le phénotype. Des gènes codants chez l’homme, il y en a à peu près 20 000 et des gènes d’origine néandertalienne positivement sélectionnés chez l’homme, si on en connaît deux douzaines, c’est formidable, ajoute-t-il. C’est peut-être cette proportion, plus que les 2 %, qu’il faut retenir de l’apport de Neandertal à notre ADN : deux douzaines sur 20 000.
Pierre Barthelemy. Le Monde du 28 03 2018
La difficulté, quand on évoque Neandertal, c’est que l’on parle d’hommes qui sont à la fois très proches de nous et différents. Différents pas dans le sens où, aujourd’hui, les habitants d’Afrique peuvent être différents de ceux du Grœnland. Ce n’est pas juste une question de couleur de peau ou de texture de cheveux. C’est une différence d’un ordre de grandeur nettement plus élevé. Pour vous donner une idée, les ours polaires et les ours bruns sont deux espèces qui se sont séparées il y a 600 000 ans : c’est le même temps de divergence qu’entre néandertaliens et hommes modernes. Du point de vue phénotypique, si je mets sur la table un crâne de Neandertal et un crâne d’homme moderne, ils sont au moins aussi différents qu’un crâne d’ours polaire et un crâne d’ours brun.
Le travers dans lequel tombent certains de mes collègues, c’est de dire que les néandertaliens sont comme nous en tout, qu’ils sont des hommes comme les autres. Je suis plus réservé. On sait qu’ils ont des comportements techniques assez complexes, des techniques de chasse et des moyens efficaces de survivre dans leur environnement ; on a aussi, récemment, commencé à dire qu’ils produisaient peut-être, non pas de l’art, mais des signes. Il est toutefois difficile de savoir ce qui se passe sur le plan social, sur le plan des relations interindividuelles ou intergroupes. On soupçonne qu’une des raisons du succès de l’homme moderne réside dans l’existence de réseaux sociaux à grande échelle et la conscience que des êtres du même peuple, avec une même identité culturelle, habitent beaucoup plus loin. On ne sait pas si Neandertal avait les mêmes réseaux.
Sur le plan cognitif, on a eu tendance à penser que les néandertaliens étaient un peu bêtes par rapport aux hommes modernes et on en est revenu. Cela dit, il y a différentes formes d’intelligence : l’intelligence technique, l’intelligence sociale, la façon dont on répertorie le monde vivant, etc. C’est difficile de les tester toutes chez les néandertaliens. On sait en revanche que leur cerveau, bien que de grande taille, est différent de celui des hommes modernes. Sur le plan anatomique, certaines zones cérébrales sont plus développées dans un groupe que dans l’autre. Pour une raison que l’on ne comprend pas bien, le cervelet s’est développé particulièrement chez les hommes modernes et pas chez les néandertaliens. Il agit dans la synchronisation et la précision des gestes, dans certains apprentissages et on pense qu’il peut jouer un rôle dans la production du langage. Il y a aussi des différences génétiques. Quand on compare les gènes des néandertaliens et ceux des hommes actuels, un certain nombre (87 répertoriés pour l’instant) portent des mutations qui se traduisent par une différence dans la protéine produite. Et, parmi eux, il y a une bonne demi-douzaine de -gènes impliqués dans la connectivité et le développement du -cerveau… Quelle différence cela fait-il au final ? Je suis incapable de vous le dire mais il y a un fort soupçon que cela joue.
La différence majeure entre lui et nous, c’est que nous sommes encore là mais plus lui… Il existe à ce fait majeur des explications plus ou moins politiquement correctes, de l’idée du génocide jusqu’à la position il ne s’est rien passé et les néandertaliens sont parmi nous puisque nous sommes en partie néandertaliens. La vérité est entre les deux. On a de nombreux exemples d’espèces invasives, des plantes, des animaux qui se retrouvent, par hasard ou à cause des hommes, catapultés dans des régions où ils ne sont pas normalement présents et où ils vont remplacer des espèces locales. Souvent, cela ne tient qu’à une petite différence. Ce n’est pas parce qu’elles sont extrêmement intelligentes que des écrevisses américaines remplacent des écrevisses européennes. On peut voir Homo sapiens comme une espèce dominante et envahissante… Certains ont essayé de démontrer que les néandertaliens avaient disparu pour des raisons climatiques ou à cause d’une méga éruption volcanique ou de rayons cosmiques, et que les hommes modernes ont débarqué au bon moment quand la place était libre. Je ne crois pas à ces histoires, parce qu’elles ne collent pas avec la chronologie des événements et, surtout, parce que ce qui est arrivé aux néandertaliens est arrivé à toutes les formes Homo non modernes. Elles ont toutes disparu. La question n’est pas pourquoi les néandertaliens ont disparu, mais pourquoi les hommes modernes ont remplacé tout le monde !
Jean-Jacques Hublin. Le Monde du 28 03 2018
0.18 m.a.
L’Homo Sapiens Sapiens se met à parler… il s’agissait probablement de sons pas trop articulés et on ne peut pas parler de langage pour l’instant. Fin de la 3° période glaciaire de Riss.
Nous avons deux cerveaux. Le premier, archaïque, constitué par le système limbique, n’a pratiquement pas évolué depuis trois millions d’années. Celui de l’Homo sapiens ne se différencie guère de celui des mammifères inférieurs. C’est un cerveau petit mais qui possède une puissance extraordinaire. Il contrôle tout ce qui se passe en matière d’émotions. Il a sauvé l’australopithèque quand celui-ci est descendu des arbres, lui permettant de faire face à la férocité du milieu et de ses agresseurs. L’autre cerveau, beaucoup plus récent, est celui des fonctions cognitives. Il est né avec le langage, et au cours des 150 0000 dernières années, il s’est développé de manière extraordinaire, en particulier grâce à la culture. Il se trouve dans le néocortex. Malheureusement, une bonne part de notre comportement est encore gouvernée par notre cerveau archaïque. Toutes les grandes tragédies – la Shoah, les guerres, le nazisme, le racisme – sont dues à la primauté de la composante émotive sur la composante cognitive. Or le cerveau archaïque est tellement habile qu’il nous porte à croire que tout est contrôlé par notre pensée, alors que ça ne se passe pas du tout ainsi.
[…] Il faudrait l’expliquer aux jeunes d’aujourd’hui, cette affaire des deux cerveaux. Quand ils s’imaginent qu’ils pensent, ils se font des illusions. Le langage et la communication leur donnent l’illusion qu’ils sont en train de raisonner. Mais le cerveau archaïque est malin, et il sait aussi tricher. Il se camoufle derrière le langage, en imitant le cerveau cognitif. Il faudrait le leur expliquer.
Rita Levi Montalcini. Interview réalisée par Paolo Giordano, auteur de La solitude des nombres premiers. Courrier International 963 du 16 au 22 avril 2009. Rita Levi Montalcini avait alors cent ans.
0.1765 m.a.
Dans la grotte de Bruniquel (aujourd’hui dans le Tarn et Garonne), des hommes de Néandertal prennent des morceaux de stalagmites et de stalactites pour se livrer aux premiers jeux de meccano. La datation a été obtenue avec la méthode qui utilise l’uranium et le thorium.
0.131 m.a.
Les paléoclimatologues font débuter à cette date l’eémien, pour une durée d’environ 15 000 ans, au cours desquels les températures de la terre ont été supérieures aux niveaux actuels – l’hippopotame prend ses aises dans la vallée du Rhin -. Le niveau moyen des mers excède de 5 mètres environ le niveau actuel. Ce sont des carottages effectués au Groenland en 2010 jusqu’à 2 500 m. sous le sol, qui apportent à la surface des témoins âgés de ~131 000 ans. C’est lors des deux dernières glaciations Riss : ~ 210 000 et Würm – ~ 70 000 que le Rhône et la Durance transportent leurs sédiments les plus lourds – de gros galets -. La fin de l’avant dernière glaciation est marquée par un réchauffement à l’équateur ; l’augmentation du rayonnement solaire amorce une fonte des glaces de l’antarctique, une augmentation du taux de CO² dans l’air et de l’effet de serre. Mais le principal composant de cet effet de serre est la vapeur d’eau, élément capital de régulation du climat :
Si Venus est devenu un enfer, si Mars est devenu un désert, c’est parce qu’elles ont perdu la plus grande partie de leur eau.
André Brahic, astrophysicien au CEA
0.130 m.a.
L’anse de Plakias, sur la côte nord de la Crête, à l’ouest d’Héraklion, voit s’installer des hommes venus probablement de Grèce ou de Turquie ; ils étaient nécessairement venus en bateau, car, quelle qu’ait été la variation du niveau de la mer lors des grandes glaciations, la Crète a toujours été une île, contrairement à l’Angleterre qui a été reliée à une certaine période au continent par la terre ferme. Néandertaliens, Sapiens ? On ne sait. Mais ils ont laissé plus de 2 000 pierres taillées, d’une taille allant de 20 cm. à moins de 1 cm., façonnées dans du quartz blanc, du quartzite ou du chert, une roche siliceuse : bifaces, hachereaux, racloirs, grattoirs, perforateurs, burins etc… tout cela sera trouvé au cours de campagnes archéologiques menées en 2008 et 2009. Un peu plus à l’est, à Krapina, en Croatie, l’homo neanderthalensis fabrique colliers et bracelets.
0.125 m.a.
Et parmi tous les outils fabriqués par Néandertal, il en est de suffisamment perfectionnés, pointus pour venir à bout de colosses tel que ce mammouth qui déambulait à Neumark-Nord, près de l’actuel Leipzig.
0.121 m.a.
L’étude de coraux fossilisés prélevés dans le Yucatan prouve qu’on assiste à une élévation de plus de 3 m. du niveau des océans, sur une échelle de temps très courte, de l’ordre du siècle, ce qui signifie probablement plusieurs centimètres par an. Et le climat d’alors ressemblait beaucoup à celui d’aujourd’hui …
0.12 m.a.
Début de la quatrième et dernière glaciation : Würm.
0.1 m.a.
Les langues font leur apparition et reflètent l’immense diversité de l’humanité : on en comptera environ 7 000, avec un milliard de nuances, et le Fujiyama naît au Japon.
90 000
Des hommes de Neandertal, probablement chassés d’Europe occidentale par le froid se mêlent au Proche Orient à des Homo sapiens sapiens déjà sortis de leur Afrique originelle. Mêlés… à telle enseigne que le patrimoine génétique des populations actuelles d’Europe et d’Asie – ce n’est pas le cas pour l’Afrique – est composé dans une fourchette de 1 % à 4 % des gênes de Neandertal. On estime à à peu près 150 000 ans la durée de leur coexistence.
Un petit rappel des faits est sans doute nécessaire : voilà 400 000 à 500 000 ans, certains des Homo ergaster peuplant l’Afrique commencent à trouver le temps long, ils choisissent alors de courir le monde. Les voyages forment la jeunesse, mais surtout les espèces. Nos touristes finissent par débarquer en Europe où ils évoluent doucement pour se transformer en hommes de Neandertal. La vie est pépère.
Pendant ce temps, les ergaster restés en Afrique continuent à évoluer pour donner naissance, il y a environ 200 000 ans, à l’Homo sapiens, appelé dorénavant homme moderne. Après 130 000 ans de félicité africaine, lui aussi a bientôt des fourmis dans les jambes. Vers – 70 000, les plus aventureux, profitant d’un réchauffement planétaire, prennent la route du Proche-Orient.
Et là, qui trouvent-ils, on vous le donne en mille ! mais les cousins Neandertal, qui, eux, venaient de refluer d’une Europe prise dans les glaces. Mazel Tov ! On échange les partenaires pour fêter ces retrouvailles. De gré ou de force, on ne le sait pas. En tout cas, c’est bien à cette époque que des gènes néandertaliens s’immiscent dans le génome de l’homme moderne.
Frédéric Lewino
80 000
Sur les écrans en 1981 La Guerre du feu sera réalisé par Jean-Jacques Annaud, inspiré du roman éponyme de J.H. Rosny Aîné, en 1909.
Au Paléolithique, la tribu des Oulhamr connaît l’usage du feu et sait le conserver mais pas le produire. Les membres de la tribu des Wagabou envahissent le territoire des Oulhamr et une bataille éclate. Les Wagabou sont représentés comme des sauvages proches de l’animalité, couverts de poils, dont rien n’indique qu’ils maîtrisent un outillage avancé ou le feu, et dont la langue est à l’évidence très rudimentaire. Malgré tout, ce sont eux qui gagnent grâce à l’avantage du nombre, leur force brutale et leurs ruses stratégiques. Une poignée d’Oulhamr réussit à s’enfuir, en laissant en chemin les blessés. Le gardien du foyer s’enfuit lui aussi avec un peu du feu (le reste a été volé par les Wagabou), mais après avoir retrouvé les survivants de la tribu, le peu de braise incandescente finit par s’éteindre. Sans feu, les voilà condamnés à mourir de froid et de faim. Les Oulhamr décident d’envoyer trois de leurs plus braves chasseurs à la recherche du feu : Naoh, Amoukar et Gaw. Au cours de leur périple, ils rencontreront plusieurs espèces de bêtes sauvages, dont des tigres à dent de sabre, ainsi que d’autres espèces humaines primitives.
Les trois Oulhamr entrent d’abord dans le territoire des Kzamm, une tribu qui ne dédaigne pas de capturer des membres de la tribu des Ivaka pour les manger et dont la présence leur est révélée par le feu autour duquel elle se rassemble. Naoh réussit à le leur voler, mais il est blessé en se battant contre deux d’entre eux. Il rejoint Gaw et Amoukar. Une jeune femme appelée Ika, une prisonnière Ivaka qui s’est enfuie avec Naoh, les rejoint, cherchant leur protection.
Chemin faisant, Ika se rend compte qu’elle est près de chez elle. Elle essaie de persuader les trois Oulhamr de l’accompagner, mais l’absence d’une langue commune ou une méfiance instinctive les poussent à poursuivre sur le chemin du retour auprès des leurs. Quand Ika les quitte le matin suivant, Naoh se sent très troublé car il ne peut s’empêcher de penser à elle. Il revient en arrière, suivi de Gaw et d’Amoukar malgré leur réticence. Naoh quitte les autres pour aller en éclaireur dans le village mais est capturé par les Ivaka.
Au début, on lui fait subir des brimades et plusieurs formes d’humiliation, mais finalement les Ivaka l’acceptent et lui montrent leurs techniques. Leur tribu est la plus avancée qui nous soit montrée. Ils sont arrivés à l’étape de l’art (peinture sur le corps, cabanes, ornements, poterie primitive) et ce qui est plus important, ils maîtrisent les techniques de production du feu. Quand on apprend à Naoh comment l’allumer, il est bouleversé puis se sent transporté de joie ; sa vie est changée pour toujours.
Inquiets, Gaw et Amoukar vont à la recherche de Naoh et sont capturés eux aussi. Pendant les épreuves qu’on leur fait subir, ils se rendent compte à leur stupéfaction qu’un de ceux qui y participent est Naoh, qu’au départ ils n’avaient pas reconnu puisque son corps est maintenant couvert de peinture comme les Ivaka. Pendant la nuit Gaw et Amoukar s’enfuient, en assommant Naoh pour l’emmener avec eux. Se rendant compte qu’elle aime Naoh, Ika suit le trio et l’aide à s’enfuir.
Sur le chemin du retour, le quatuor doit se battre contre une ourse. Gaw est sérieusement blessé dans sa lutte contre l’animal, mais il réussit à s’enfuir. Les trois autres membres du groupe le retrouvent et Amoukar le porte sur ses épaules. Puis ils doivent affronter Aghoo et ses deux frères, restés à proximité du clan dans le but de leur subtiliser le feu afin de s’attribuer le prestige de la découverte auprès du clan. Alors qu’ils ne disposent que de leurs épieux rudimentaires, Naoh et Amoukar parviennent à les tuer à distance à l’aide des propulseurs de sagaies pris chez les Ivaka.
Alors qu’ils sont sur le point de rejoindre la tribu des Oulhamr, celui qui était chargé de porter le feu tombe à l’eau, et le feu s’éteint. Naoh essaie d’en allumer un nouveau en utilisant quelques brindilles, des excréments et des herbes sèches. Plusieurs essais échouent, mais Ika prend les choses en main, en frottant soigneusement ensemble les brindilles sèches. Dès qu’une petite braise est allumée, la tribu se sent tellement submergée de joie qu’elle reste silencieuse. Finalement, Ika et Naoh découvrent qu’Ika est enceinte de leur enfant. Naoh caresse le ventre d’Ika en regardant la couleur brillante de la lune, laissant les spectateurs espérer qu’ils auront peut-être une postérité.
Wikipedia
77 000
À Blombos, en Afrique du Sud homo sapiens grave l’ocre.
75 000
La technique de taille des silex, dite de retouche par pression, pression obtenue probablement par des instruments faits d’os ou de bois de cervidés, apparaît dans la grotte de Blombos, dans l’actuelle Afrique du Sud. Elle permet d’obtenir de petits éclats et d’obtenir ainsi des objets d’une grande finesse, pointes de flèche ou de lance très aiguës et tranchantes. Il faudra attendre 50 000 ans pour la trouver en Europe occidentale, caractéristique de la culture solutréenne.
73 000
Éruption du volcan Toba, dans le nord de Sumatra, à 2°37′ N, probablement la plus puissante de l’histoire de la Terre : 2 800 km³ de roches et de cendres projetées dans l’atmosphère. La signature chimique des cendres stratifiées autour du lac Toba est identique à celle d’autres cendres dans un rayon de 9 000 km. Longtemps les scientifiques feront porter à ce volcan la responsabilité d’une extinction majeure des espèces et d’une période glaciaire de 1 000 ans jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que le goulot d’étranglement génétique que cette catastrophe aurait dû provoquer dans le monde entier, ne se retrouvait pas du tout au sein des populations africaines… [fouilles dans les sédiments du lac Malawi] ce qui signifie bien que la puissance attribuée longtemps a ce volcan a été très largement surestimée. De façon générale, plus un volcan est proche de l’équateur, plus les dégâts causés sont importants.
66 000
Homo luzonensis vit dans la grotte de Callao sur l’île de Luçon, la plus grande des Philippines.
65 000
On estime la population globale de la terre à un demi million.
60 000
La Camargue s’enfonce légèrement à l’est, modifiant ainsi les cours du Rhône et de la Durance : le lit du Rhône se rapproche de Beaucaire et Arles, celui de la Durance de l’étang de Berre.
L’ours des cavernes apparaît dans les Alpes : il y restera jusque vers – 17 000.
Les ancêtres des populations d’agriculteurs africains se séparent des pygmées, et quelques milliers d’entre eux quittent l’Afrique de l’Est, – Out of Africa – pour coloniser l’Europe, via le Proche Orient. Il est aujourd’hui des paléontologues pour dire que cette sortie s’est faite beaucoup plus tôt, vers ~125 000 ans, s’appuyant sur la découverte d’outils de pierre taillée, jusqu’à présent attribués à Sapiens, à Jebel Faya – près du cap de l’Arabie qui fait la rive sud du détroit d’Ormuz. Mais le lien entre un outillage technique et une population précise est contestable car, à ce compte-là, dans cinq mille ans, on pourra dire qu’en 2000, il n’existait qu’une seule civilisation puisqu’il y avait des télévisions partout ! On peut aussi émettre l’hypothèse que s’il y a eu vers ~125 000, tentative de sortie d’Afrique de l’Homo Sapiens, elle n’a pas eu de suite.
C’est à peu près à cette époque qu’on assiste à l’émergence d’un langage complexe, avec un registre de mots étendu, une syntaxe etc… Les premiers mots, dit-on, furent d’un homme à la vue d’une femme se baignant dans une rivière : wahoo ! que tu es belle !
Bien que des hommes d’aspects modernes soient apparus en Éthiopie il y a presque 200 000 ans, ils n’ont pas acquis de comportement moderne pendant les 150 000 années suivantes. Puis, brusquement, vers 50 000 ans avant le présent, le comportement humain moderne apparaît en Afrique pour la première fois. Nous avons vu les changements fondamentaux qui ont eu lieu à cette époque :
L’énigme à laquelle nous sommes confrontés est de savoir pourquoi tous ces bouleversements apparaissent en même temps. […] On a suggéré que leur cause sous-jacente était l’apparition de la pensée symbolique fondée sur une forme de langage pleinement moderne.
Les données génétiques indiquent que tous les hommes vivant aujourd’hui sont des descendants d’une petite population est-africaine d’environ un millier d’individus, qui a vécu il y a 50 000 ans. En dépit de son petit nombre, cette population a réussi à remplacer tous les autres êtres humains qui avaient vécus hors d’Afrique pendant plus d’un million d’années, ainsi que les autres populations qui existaient à l’époque en Afrique. La raison pour laquelle cette petite population africaine a réussi à remplacer toutes les autres est simplement qu’elle avait développé la première langue pleinement moderne, qui possédait une valeur adaptative si grande qu’elle lui a permis de conquérir le monde entier en un court laps de temps, éliminant toutes les autres populations au passage.
Merritt Ruhlen. L’origine des langues Paris, Gallimard, 1994
Les hommes, les jeunes gens courent les bois. Leur arme est d’abord la branche noueuse arrachée au chêne ou à l’orme, la pierre ramassée sur le sol. Les femmes restent cachées dans la demeure, étape improvisée ou grotte, avec les vieux, avec les petits. Dès ses premiers pas titubants, l’homme est aux prises avec un idéal, la bête qui fuit et qui représente l’avenir immédiat de la tribu, le repas du soir, dévoré pour faire des muscles aux chasseurs, du lait aux mères. La femme, au contraire, n’a devant elle que la réalité présente et proche, le repas à préparer, l’enfant à nourrir, la peau à faire sécher, plus tard le feu à entretenir. C’est elle, sans doute, qui trouve le premier outil, le premier pot, c’est elle le premier ouvrier. C’est de son rôle réaliste et conservateur que sort l’industrie humaine. Peut-être aussi assemble-t-elle en colliers des dents et des cailloux, pour attirer sur elle l’attention et plaire. Mais sa destinée positive ferme son horizon, et le premier véritable artiste, c’est l’homme. C’est l’homme explorateur des plaines, des forêts, navigateur des rivières et qui sort des cavernes pour étudier les constellations et les nuages, c’est l’homme de par sa fonction idéaliste et révolutionnaire qui va s’emparer des objets que fabrique sa compagne pour en faire peu à peu l’instrument expressif du monde des abstractions qui lui apparaît confusément. Ainsi, dès le début, les deux grandes forces humaines réalisent cet équilibre qui ne sera jamais rompu : la femme, centre de la vie immédiate, élève l’enfant et maintient la famille dans la tradition nécessaire à la continuité sociale, l’homme, foyer de la vie imaginaire, s’enfonce dans le mystère inexploré pour préserver la société de la mort en la dirigeant dans les voies d’une évolution sans arrêt.
L’idéalisme masculin, qui sera plus tard un désir de conquête morale, est d’abord un désir de conquête matérielle. Il s’agit pour le primitif, de tuer des bêtes afin d’avoir de la viande, des ossements, des peaux, il s’agit de séduire une femme afin de perpétuer l’espèce dont la voix crie dans ses veines, il s’agit d’effrayer les hommes de la tribu voisine qui veulent lui ravir sa compagne ou empiéter sur ses territoires de chasse. Créer, épancher son être, envahir la vie d’alentour, l’instinct reproducteur est le point de départ de toutes ses plus hautes conquêtes, de son besoin futur de communion morale et de sa volonté d’imaginer un instrument d’adaptation intellectuelle à la loi de son univers. Il a déjà l’arme, le silex éclaté, il lui faut l’ornement qui séduit ou épouvante, plumes d’oiseaux au chignon, colliers de griffes ou de dents, manches d’outils ciselés, tatouages, couleurs fraîches bariolant la peau.
L’art est né. L’un des hommes de la tribu est habile à tailler une forme dans un os, ou à peindre sur le torse ou le bras un oiseau aux ailes ouvertes, un mammouth, un lion, une fleur. En rentrant de la chasse, il ramasse un bout de bois pour lui donner l’apparence d’un animal, un morceau d’argile pour le pétrir en figurine, un os plat pour y graver une silhouette. Il jouit de voir vingt faces rudes et naïves penchées sur son travail. Il jouit de ce travail lui-même qui crée une entente obscure entre les autres et lui, entre lui-même et le monde infini des êtres et des plantes qu’il aime, parce qu’il est sa vie. Il obéit à quelque chose de plus positif aussi, le besoin d’arrêter quelques acquisitions de la première science humaine pour en faire profiter l’ensemble de la tribu. Le mot décrie mal aux vieillards, aux femmes assemblées, aux enfants surtout, la forme d’une bête rencontrée dans les bois et qu’il faut craindre ou retrouver. Il en fixe l’allure et la forme en quelques traits sommaires. L’art est né.
Élie Faure. Histoire de l’art. L’art antique. Première édition 1909
54 000
Sur les contreforts de la vallée du Rhône on pratique la chasse à l’arc :
L’âge des outils en pierre taillée et celui des chasseurs-cueilleurs, telle est la définition la plus commune du Paléolithique. Chasseurs, donc, mais avec quel équipement ? L’arsenal de cette époque lointaine compte des armes d’hast comme les lances (qui, contrairement à ce que leur nom insinue, ne se lancent pas), des armes de jet comme les sagaies et, enfin, des armes de trait, qui utilisent une propulsion mécanique comme le bien nommé propulseur ou l’arc. Ce dernier, attesté en Afrique il y a environ soixante-dix millénaires, n’avait jusqu’à présent laissé sur le continent européen que des traces récentes : le morceau d’arc et les flèches du site allemand de Stellmoor ont seulement 11 000 à 12 000 ans. Dans une étude publiée, mercredi 22 février, dans Science Advances, une équipe franco-américaine fait faire aux archers préhistoriques d’Europe un spectaculaire bond en arrière, en démontrant l’usage de l’archerie, en France, il y a 54 000 ans.
Il faut se représenter le contexte. Nous sommes dans ce qui est aujourd’hui le département de la Drôme, dans la grotte Mandrin, qui surplombe le Rhône et sa vallée. Ce corridor naturel où passent voitures et TGV voyait jadis défiler des troupeaux de chevaux et de bisons. À l’époque, il s’agissait d’un territoire purement néandertalien. Du moins c’est ce que l’on pensait jusqu’en février 2022, date à laquelle une étude menée par la même équipe a annoncé que, si l’on remontait à une strate vieille de 54 millénaires, on découvrait, dent à l’appui, que le site avait été investi par un groupe d’Homo sapiens, et ce pendant quelques décennies. En plus de la dent décisive, les chercheurs avaient mis au jour des outils en pierre taillée inédits, notamment de toutes petites pointes de silex, que l’on ne retrouvait dans aucune des couches néandertaliennes, qu’elles soient antérieures ou postérieures à cette incursion sapiens, la plus ancienne des humains modernes sur le continent.
Première signataire de l’article de Science Advances, Laure Metz, chercheuse associée au Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe Afrique (CNRS/université d’Aix-Marseille), a analysé près de 900 de ces pointes pour faire ce que les spécialistes appellent de la tracéologie. C’est l’étude des traces d’usure sur les outils lithiques, résume-t-elle. Même si le silex est de la pierre, il est quand même fragile. Le contact avec la matière engendre des enlèvements : de tout petits bouts de silex sautent. En faisant des expérimentations avec des outils en pierre fabriqués par des tailleurs contemporains, on construit des bases de données avec des photos pour chaque type de trace, que l’on compare avec nos objets archéologiques. On peut alors dire si l’outil a servi à découper de la viande, à écorcher l’animal, à racler les peaux, etc.
Avec les centaines de pointes de la grotte Mandrin, dont les plus petites ne dépassent pas un centimètre de largeur, Laure Metz était confrontée à des traces très particulières : des fractures. Pour beaucoup, l’extrémité avait disparu. En bonne tracéologue, la chercheuse s’est lancée dans une série de tests. D’abord vérifier que le piétinement dans la grotte n’avait pas produit ces cassures bien spécifiques. Et ensuite essayer différentes sortes d’armes. La sarbacane ne marchait pas et le propulseur n’était pas assez puissant. Ces pointes sont très légères et même quand elles sont montées sur de grands fûts, le propulseur ne leur donne pas assez d’énergie cinétique pour que l’arme soit efficace, précise Laure Metz. La flèche vrille quand on la lance et ne transperce pas la peau.
L’expérience avec des arcs et des pointes reproduits par des spécialistes de l’archerie traditionnelle a été bien plus probante. Effectuée sur deux chèvres de réforme tuées au préalable, elle a mis en évidence le même type de fractures que sur les pointes de la grotte Mandrin : Quand la pointe entre en contact avec les os de l’animal, cela détruit le bout de la pièce, qui est très fin. La conclusion des chercheurs est claire : ces nano-pointes, comme ils nomment ces minuscules outils, ne peuvent avoir servi qu’au bout d’une flèche. D’ailleurs, ajoute Laure Metz, en ethnologie, toutes les pointes inférieures ou égales à 10 millimètres sont des pointes de flèches.
Interrogé sur cette étude qui évoque les travaux qu’il a menés il y a une trentaine d’années avec son collègue tracéologue Hugues Plisson sur des outils lithiques du solutréen (22 000 ans), Jean-Michel Geneste, conservateur général du patrimoine et archéologue du Paléolithique, ne cache pas une certaine admiration : Ce travail m’impressionne et je le trouve convaincant à deux titres : ses auteurs ont tout d’abord su bien exploiter cette couche de la grotte Mandrin et, surtout, ils ont utilisé tous les moyens d’aujourd’hui pour faire des analyses d’archéométrie, avec un régime d’expérimentations extrêmement poussées et sophistiquées.
Dans le contexte actuel de la recherche, où il faut vite sortir des résultats, qu’une étude pareille soit encore possible rassure Jean-Michel Geneste : Une expérimentation de ce genre est coûteuse, surtout en temps : il faut produire des dizaines de flèches, les lancer, classer et analyser les résultats. Cela prend des années mais nous permet d’approcher les technologies du passé.
Au terme de cette étude, le site de la grotte Mandrin, dont on sait par ailleurs qu’il était occupé de manière saisonnière, se révèle comme un relais de chasse. Pour qu’il y ait autant de projectiles, il fallait que la chasse soit l’activité prépondérante, sinon elle aurait été masquée par les autres activités domestiques, explique Jean-Michel Geneste. Les gens qui étaient là démontaient et remontaient des flèches en quantité. Il faut imaginer les humains de la préhistoire revenir de la chasse. Non seulement avec le gibier tué mais aussi en ayant pris soin de récupérer leurs flèches : les pointes cassées étaient ôtées des hampes en bois – précieuses car longues à façonner –, jetées par terre et remplacées par des pointes neuves.
Une question se pose cependant. Sur ce site, les sapiens ont, pendant une quarantaine d’années, côtoyé les Néandertaliens. Mais, tout en en ayant la capacité, ces derniers n’ont jamais fabriqué des nano-pointes ni utilisé l’arc, arme pourtant redoutable. Parfois, on ne veut pas d’une innovation parce qu’elle ne correspond pas à notre identité, avance Jean-Michel Geneste.
50 000
C’est l’extinction pour l’homme de Florès, un très petit bonhomme – à peu près 1 m, Hobbit – dont on a trouvé des restes en 2003 sur l’île indonésienne de Florès, l’une des Petites îles de la Sonde. Il s’était installé là à peu près 640 000 ans plus tôt, quand l’Homo Sapiens n’existait pas encore. Lors des pics glaciaires, les bras de mer séparant les îles indonésiennes se réduisaient à quelques dizaines de kilomètres. La morphologie des dents suggère que cette lignée humaine représente une descendance naine d’Homo erectus qui, d’une façon ou d’une autre, s’est trouvée isolée sur l’île de Flores. Son cerveau est particulièrement petit : 400 cm³.
Le volume du cerveau de l’homme varie de 1 200 à 1 500 cm³, celui de l’Orang Outang ou du chimpanzé de 275 à 500 cm³, celui des gorilles de 340 à 750 cm³. La taille du cerveau a triplé en 3 millions d’années. Un cerveau humain contient 100 milliards de neurones, chacune d’elle étant munie de 1 000 à 10 000 connexions.
Les Homo erectus, présents en Asie à cette période faisaient un peu plus de 1,50 m de haut. La diminution de taille serait intervenue dans les premiers 300 000 ans de l’occupation de l’île. Ce nanisme insulaire est un cas unique au sein des primates. Homo floresiensis semble avoir ensuite relativement peu évolué du point de vue de la taille comme de celui de ses productions lithiques – objets en pierre.
L’homme de Flores est le premier exemple de nanisme insulaire affectant une espèce humaine, un phénomène de sélection naturelle bien connu pour de nombreux autres animaux. Ce mécanisme de variation de taille va dans les deux sens, explique le paléoanthropologue Antoine Balzeau (Muséum national d’histoire naturelle). Dans les îles, où il y a moins de nourriture disponible, les gros carnivores ont tendance à disparaître. Les proies des petits carnivores grandissent pour leur échapper, et les gros animaux rapetissent pour faire face à la restriction alimentaire. À Flores, qui abrite des rats géants, Homo floresiensis et ses ancêtres devaient chasser des stégodons nains, des cousins de l’éléphant.
Si le Hobbit a engendré tant de scepticisme de la part d’une frange de la communauté scientifique, qui a voulu à toute force voir en lui une anomalie médicale plutôt qu’une nouvelle espèce, c’est aussi pour des raisons culturelles, analyse Antoine Balzeau : Imaginer qu’un homme récent ait pu à ce point être influencé par son environnement était contraire à notre vision d’Homo sapiens comme maître du monde. L’idée que la taille du cerveau conditionne l’intelligence a aussi joué, certains jugeant impossible que – l’homme de Flores – ait pu fabriquer des outils.
L’origine de ces petits hommes garde pourtant encore une part de mystère. Reste à savoir par quels moyens Homo erectus est arrivé jusqu’à Flores en compagnie d’un petit nombre d’autres espèces de vertébrés, s’interroge Jean-Jacques Hublin. La fin de l’histoire semble moins énigmatique : on perd la trace du Hobbit au moment où Homo sapiens arrive dans la région, il y a environ 50 000 ans.
Hervé Morin. Le Monde du 10 06 2016
Dans le même temps, sur l’île de Luçon, la plus grande île des Philippines, vit Homo Luzonensis, tenant à la fois de l’australopithèque et de l’Homo sapiens. Petites, ses dents permettent de penser qu’il en allait de même de sa taille.
Dans une couche sédimentaire couvrant de 52 000 à 41 000 ans, sur le site ardéchois de l’abri du Maras, Marie Hélène Moncel met dans un sachet un silex sur lequel une brèche (roche qui se créé à partir de la destruction d’autres roches) était attachée, laquelle brèche porte l’empreinte d’une cordelette d’environ 6 millimètres, faite de trois torons torsadés, preuve que Néandertal savait la fabriquer : plus on le connait, et plus le bonhomme se révèle futé…
Une météorite d’environ deux millions de tonnes s’écrase en Amérique du Nord, donnant naissance au Cañon Diablo. Et au cœur de cette météorite, du diamant :
C’est une découverte d’une valeur inestimable qu’on fait des scientifiques en étudiant la météorite Diablo Canyon, qui a frappé la surface de la terre il y a 50 000 ans. À l’intérieur de cette dernière, se trouvent des diamants découverts pour la première fois en 1891. Mais c’est au cœur de ces structures cristallines en diamants que les chercheurs ont mis à jour une structure microscopique étrange et entrelacée qui n’a jamais été vue auparavant explique un article de la revue Science.
Il faut savoir que la plupart des diamants connus par les humains se sont formés à environ 150 kilomètres sous la surface de la terre, à un endroit où les températures extrêmes peuvent atteindre plus de 1093 °C. Les atomes de carbone de ces diamants sont disposés en forme cubique, alors que ceux de la météorite, appelés lonsdaleite – du nom de la cristallographe britannique Dame Kathleen Lonsdale –, ont une structure cristalline hexagonale. Même si des scientifiques ont réussi à en créer en laboratoire, une telle structure se forme uniquement lorsque des astéroïdes frappent la terre à une vitesse extrêmement élevée, provoquant des chaleurs tout aussi extrêmes et propice à la formation de ces diamants.
Mais ce qui a particulièrement intrigué les chercheurs, c’est la découverte d’excroissances d’un autre matériau à base de carbone, le graphène, imbriquées au sein de ces structures hexagonales du diamant. Ces excroissances, connues sous le nom de diaphite, suggèrent que ce matériau peut être trouvé dans d’autres matériaux carbonés et donc utilisé comme ressource.
En effet, le graphène peut faire l’objet de nombreuses applications potentielles, de par sa légèreté, sa solidité, sa transparence, sa conductivité et sa finesse, un million de fois plus fin qu’un cheveu humain. Il pourrait un jour être utilisé dans le domaine médicamenteux, pour fabriquer des appareils électroniques plus petits avec des vitesses de charge ultra rapides ou même pour inventer des technologies plus rapides et plus flexibles, ont déclaré les chercheurs.
La découverte de ce graphène au sein de la météorite va ainsi permettre aux scientifiques d’en apprendre davantage sur son processus de formation et ainsi espérer pouvoir en fabriquer en laboratoire.
Ça m’intéresse 2023
47 000
Une météorite qui devait peser 300 000 tonnes, composées essentiellement de fer, s’écrase en Arizona à une vitesse de 43 000 km/h, créant le cratère Barringer, – ou encore Meteor Cratère – d’une profondeur de 170 m. avec un diamètre de 1 200 m : plusieurs centaines de millions de mètres cubes de roches ont été pulvérisées en quelques secondes. En fait, la météorite se serait fragmenté 5 km avant le sol et l’actuel cratère ne serait que celui crée par le plus gros élément restant, d’environ 10 000 tonnes.
45 000
Sur les rives de la rivière Irtysh, dans la région d’Omsk, en Sibérie occidentale, l’homme d’Ust’-Ishim, un Homo Sapiens laisse un fragment de fémur qu’un chasseur d’ivoire trouvera en 2008. Ses ancêtres se sont croisés avec l’homme de Neandertal entre 60 000 et 50 000 ans, soit quelque 5000 et 15 000 ans plus tôt. La lignée d’Homo Sapiens à laquelle il appartient résulterait d’une première colonisation d’Homo sapiens depuis l’Afrique, la péninsule Arabique et l’actuelle Israël qui n’a pas complètement réussi, avant qu’une deuxième vague n’aboutisse à une percée définitive jusqu’en Europe occidentale, vers 43 500 ans, mais aussi vers l’Asie et l’Océanie. Il est probable que ces aurignaciens se soient croisés, eux aussi, avec Neandertal avant de l’évincer.
46 000 et 36 000
Des dents trouvées en des lieux très éloignés – la grotte de Shanidar en Irak, 46 000 ans, et la grotte de Spy en Belgique, province de Namur, 36 000 ans – recouvertes de tartre, excellent piège à particules alimentaires microscopiques, prouvent que l’homme de Neandertal avait déjà une alimentation équilibrée, dans laquelle entrait fruits et légumes, aussi bien que la viande.
La mégafaune du pléistocène s’éteint en Australie, laissant la place aux aborigènes qui vont conserver une économie de chasseurs-cueilleurs jusqu’à l’arrivée des Européens en 1788. Un jour, peut-être des milliers d’années plus tard, ils se mettront à peindre… leurs dieux, leurs créateurs, eux-mêmes, des animaux, les derniers occupants n’hésitant pas à peindre sur les peintures antérieures : on voir parfois trois figures se chevaucher, aisément distinctes car de couleurs différentes, de l’orange vif au brun presque noir. Deux expéditions de quelques semaines en dénombreront plus de 10 000 dans la seule région de Kimberley, au nord-nord-ouest de l’Australie, la plupart d’entre eux se trouvant dans des abris sous roche, parfois sur des simples escarpements, parfois dans de véritables grottes. La datation de ces peintures n’a pas encore été établie.
Contrairement à une opinion répandue, ce n’est ni à l’Europe ni aux temps glaciaires qu’appartiennent la plupart des sites d’art rupestre. Il est impossible d’avoir une évaluation précise de leur nombre dans le monde. En tout, on peut penser qu’il en existe autour de 400 000, très inégalement répartis.
En Europe, on n’en compte que quelques milliers. L’art des cavernes est faiblement représenté, avec environ 350 sites. Des traditions diverses d’art rupestre lui succéderont : art du Levant en Espagne orientale, puis art schématique plus généralement réparti dans la péninsule Ibérique ; art rupestre scandinave ; art alpin en France (mont Bego) et en Italie (Valcamonica), du Néolithique à l’âge du fer inclus ; sites gravés – plus d’un millier – de la forêt de Fontainebleau.
L’Afrique est le continent par excellence de l’art rupestre, avec plus de deux cent mille sites, dont beaucoup de très grande importance, la majeure partie dans les pays sahariens et dans le sud du continent. L’Asie est moins connue et son art rupestre est le plus souvent indaté. Ce continent si vaste doit comporter plusieurs dizaines de milliers de sites, avec plus de dix mille en Chine. Gravures et peintures sur roches sont présentes dans toute l’Océanie, y compris à Hawaï. Il doit bien y avoir en tout plus de cent mille sites ornés, pour la plupart en Australie, pays du monde le plus riche en art rupestre. L’Australie est en outre le lieu où l’on connaît la plus longue tradition artistique ininterrompue, puisqu’elle a duré jusqu’à nous. Enfin, l’art des Amériques, du Canada à la Patagonie est extrêmement important et varié.
L’art rupestre est un phénomène commun à tous les peuples de l’humanité, sur les cinq continents, depuis les dizaines de milliers d’années que l’homme moderne, notre ancêtre direct, existe. Ses chefs-d’œuvre témoignent partout de systèmes de pensée sophistiqués et, malgré sa diversité, de l’unité fondamentale de l’esprit humain.
Jean Clottes. Clio.2004
La mégafaune du pléistocène s’éteint en Australie, laissant la place aux aborigènes : il est préférable de reprendre cette phrase en italique comme la citation d’un consensus général sur le peuplement de l’Australie, jusqu’à la publication de Sapiens de Yuval Noah Harari, qui met en pièce cette gentille saynette : au revoir chers amis, nous vous cédons la place en vous souhaitant une bonne installation. Pour ce qui nous concerne, nos cycles sont terminés, car pour Harari, c’est bien Homo Sapiens qui est responsable de l’extinction de cette mégafaune, même s’il admet une part de responsabilité aux changements climatiques :
À la suite de la Révolution cognitive, Sapiens acquit la technologie, les compétences organisationnelles et peut-être même la vision nécessaire pour sortir de l’espace afro-asiatique et coloniser le Monde extérieur. Sa première réalisation fut la colonisation de l’Australie voici 45 000 ans. Les spécialistes ont du mal à expliquer cet exploit. Pour atteindre l’Australie, les hommes durent traverser un certain nombre de bras de mer, pour certains de plus de cent kilomètres de large, et, sitôt arrivés, s’adapter presque du jour au lendemain à un écosystème entièrement nouveau.
La théorie la plus raisonnable suggère que, voici environ 45 000 ans, les Sapiens de l’archipel indonésien (groupe d’îles qui ne sont séparées de l’Asie ou les unes des autres que par de modestes détroits) créèrent les premières sociétés de marins. Ils apprirent à construire et à manœuvrer des bateaux de haute mer et devinrent pêcheurs, commerçants et explorateurs. Cela aurait produit une transformation sans précédent des capacités (capabilities) humaines et des styles de vie. Tous les autres mammifères marins – phoques, vaches marines et dauphins – mirent une éternité à acquérir des organes spécialisés et un corps hydrodynamique. Les Sapiens indonésiens, descendants des singes de la savane africaine, se transformèrent en marins du Pacifique sans que leur poussent des nageoires et sans devoir attendre que leur nez migre au sommet de leur tête comme chez les baleines. Ils construisirent des embarcations et apprirent à les manœuvrer. Et ces compétences leur permirent d’atteindre l’Australie et de s’y installer.
Certes, les archéologues n’ont pas encore retrouvé de radeaux, de rames ou de villages de pêcheurs qui remontent à 45 000 ans (ce serait difficile, parce que la montée du niveau de la mer a recouvert l’ancienne côte indonésienne sous cent mètres d’océan). Il est néanmoins de nombreuses preuves indirectes pour étayer cette théorie, notamment le fait que, dans les milliers d’années qui suivirent le peuplement de l’Australie, Sapiens colonisa bon nombre d’îlots isolés au nord. Certains, comme Buka et Manus, étaient à quelque deux cents kilomètres de la terre la plus proche. On a peine à croire que quiconque ait pu atteindre et coloniser Manus sans bateaux élaborés et sans compétences de marin. On a aussi des preuves solides d’un commerce maritime régulier entre certaines de ces îles, comme la Nouvelle-Irlande et la Nouvelle-Bretagne.
Le voyage des premiers humains vers l’Australie est un des événements les plus importants de l’histoire, au moins aussi important que le voyage de Christophe Colomb vers l’Amérique ou l’expédition d’Apollo 11 vers la Lune. Pour la première fois, un humain était parvenu à quitter le système écologique afro-asiatique ; pour la première fois, en fait, un gros mammifère terrestre réussissait la traversée de l’Afro-Asie vers l’Australie. De plus d’importance encore est ce que les pionniers humains firent dans ce nouveau monde. L’instant où le premier chasseur-cueilleur posa le pied sur une plage australienne fut le moment où l’Homo sapiens se hissa à l’échelon supérieur de la chaîne alimentaire et sur un bloc continental particulier, puis devint l’espèce la plus redoutable dans les annales de la planète Terre.
Jusque-là, les hommes avaient manifesté des adaptations et des comportements novateurs, mais leur effet sur l’environnement était demeuré négligeable. Ils avaient remarquablement réussi à s’aventurer dans de nouveaux habitats et à s’y installer, mais ils ne les avaient pas radicalement changés. Les colons de l’Australie ou, plus exactement, ses conquérants ne se contentèrent pas de s’adapter : ils transformèrent l’écosystème australien au point de le rendre méconnaissable.
Les vagues effacèrent aussitôt la première empreinte de pied humain sur le sable d’une plage australienne. En revanche, avançant à l’intérieur des terres, les envahisseurs laissèrent une empreinte de pas différente, qui ne devait jamais être effacée. À mesure qu’ils progressèrent, ils découvrirent un étrange univers de créatures inconnues, dont un kangourou de deux mètres pour deux cents kilos et un lion marsupial aussi massif qu’un tigre moderne, qui était le plus gros prédateur du continent. Dans les arbres évoluaient des koalas beaucoup trop grands pour être vraiment doux et mignons, tandis que dans la plaine sprintaient des oiseaux coureurs qui avaient deux fois la taille d’une autruche. Des lézards dragons et des serpents de cinq mètres de long ondulaient dans la broussaille. Le diprotodon géant, wombat de deux tonnes et demie, écumait la forêt. Hormis les oiseaux et les reptiles, tous ces animaux étaient des marsupiaux : comme les kangourous, ils donnaient naissance à des petits minuscules et démunis, comparables à des fœtus, qu’ils nourrissaient ensuite au lait dans des poches abdominales. Quasiment inconnus en Afrique et en Asie, les mammifères marsupiaux étaient souverains en Australie.
Presque tous ces géants disparurent en quelques milliers d’années : vingt-trois des vingt-quatre espèces animales australiennes de cinquante kilos ou plus s’éteignirent. Bon nombre d’espèces plus petites disparurent également. Dans l’ensemble de l’écosystème australien, les chaînes alimentaires furent coupées et réorganisées. Cet Écosystème n’avait pas connu de transformation plus importante depuis des millions d’années. Était-ce la faute d’Homo sapiens ?
Certains chercheurs essaient d’exonérer notre espèce pour rejeter la faute sur les caprices du climat (le bouc émissaire habituel en pareil cas). On a peine à croire, pourtant, qu’Homo sapiens soit entièrement innocent. Trois types de preuve affaiblissent l’alibi du climat et impliquent nos ancêtres dans l’extinction de la mégafaune australienne.
Premièrement, même si le climat de l’Australie a changé voici 45 000 ans, ce bouleversement n’avait rien de remarquable. On voit mal comment le nouveau climat aurait pu provoquer à lui seul une extinction aussi massive. Il est courant de nos jours d’expliquer tout et n’importe quoi par le changement climatique, mais la vérité c’est que le climat de la Terre n’est jamais au repos. Il est perpétuellement en mouvement. L’histoire s’est toujours déroulée sur fond de changement climatique.
En particulier, notre planète a connu de nombreux cycles de refroidissement et de réchauffement. Au fil du dernier million d’années, on a enregistré en moyenne un âge glaciaire tous les 100 000 ans. Le dernier en date se situe entre 75 000 et 15 000 ans. Pas exceptionnellement rigoureux pour un âge glaciaire, il a connu deux pics : le premier il y a environ 70 000 ans, le second il y a environ 20 000 ans. Apparu en Australie il y a plus de 1,5 million d’années, le diprotodon géant avait résisté à au moins dix ères glaciaires antérieures. Il survécut aussi au premier pic du dernier âge glaciaire il y a environ 70 000 ans. Pourquoi a-t-il disparu il y a 45 000 ans ? Si les diprotodons avaient été les seuls gros animaux à disparaître à cette époque, on aurait naturellement pu croire à un hasard. Or, plus de 90 % de la mégafaune australienne a disparu en même temps que le diprotodon. Les preuves sont indirectes, mais on imagine mal que, par une pure coïncidence, Sapiens soit arrivé en Australie au moment précis où tous ces animaux mouraient de froid.
Deuxièmement, quand le changement climatique provoque des extinctions massives, les créatures marines sont en général aussi durement touchées que les habitants de la terre. Or il n’existe aucune preuve de quelque disparition de la faune océanique il y a 45 000 ans. Le rôle de l’homme explique sans mal que la vague d’extinction ait oblitéré la mégafaune australienne tout en épargnant celle des océans voisins. Malgré ses moyens de navigation en plein essor, Homo sapiens restait avant tout une menace terrestre.
Troisièmement, les millénaires suivants ont connu des extinctions de masse proches de l’archétype de la décimation australienne chaque fois qu’une population a colonisé une autre partie du Monde extérieur. Dans tous ces cas, la culpabilité de Sapiens est irrécusable. Par exemple, la mégafaune néo-zélandaise qui avait essuyé sans une égratignure le prétendu changement climatique d’il y a environ 45 000 ans a subi des ravages juste après le débarquement des premiers hommes sur ces îles. Les Maoris, premiers colons Sapiens de la Nouvelle-Zélande, y arrivèrent voici 800 ans. En l’espace de deux siècles disparurent la majorité de la mégafaune locale en même temps que 60 % des espèces d’oiseaux locales.
La population de mammouths de l’île Wrangel, dans l’Arctique (à 200 kilomètres au nord des côtes sibériennes), connut le même sort. Les mammouths avaient prospéré pendant des millions d’années dans la majeure partie de l’hémisphère Nord. Avec l’essor d’Homo sapiens, cependant, d’abord en Eurasie, puis en Amérique du Nord, (où il se trouve à partir de – 23 000 ans. ndlr) les mammouths ont reculé. Voici environ 10 000 ans, il n’y avait plus un seul mammouth au monde, hormis dans quelque île lointaine de l’Arctique, à commencer par Wrangel. Les mammouths de cette île continuèrent de prospérer encore pendant quelques millénaires, avant de disparaître subitement voici 4 000 ans, au moment précis où les humains y débarquèrent.
Si l’extinction australienne était un événement isolé, nous pourrions accorder aux hommes le bénéfice du doute. Or, l’histoire donne de l’Homo sapiens l’image d’un sériai killer écologique.
Les colons d’Australie n’avaient à leur disposition que la technologie de l’Âge de pierre. Comment pouvaient-ils causer une catastrophe écologique ? Il y a trois grandes explications qui s’agencent assez bien.
Les gros animaux – principales victimes de l’extinction australienne – se reproduisent lentement. Le temps de gestation est long, le nombre de petits par grossesse est réduit, et il y a de grandes pauses entre les grossesses. De ce fait, même si les hommes n’abattaient qu’un diprotodon tous les deux ou trois mois, c’était suffisant pour que les morts l’emportent sur les naissances. Quelques milliers d’années, et le dernier diprotodon solitaire disparaissait, et avec lui toute l’espèce.
En réalité, malgré leur taille, les diprotodons et autres géants d’Australie n’étaient probablement pas très difficiles à chasser, parce qu’ils durent se laisser surprendre par ces assaillants à deux pattes. Diverses espèces humaines rôdaient et évoluaient en Afro-Asie depuis deux millions d’années. Ils mûrirent lentement leurs talents de chasseurs, et se mirent à traquer les gros animaux voici environ 400 000 ans. Les grandes bêtes d’Afrique et d’Asie apprirent à éviter les humains si bien que, quand le nouveau mégaprédateur – Homo sapiens – parut sur la scène afro-asiatique, les grands animaux savaient déjà se tenir à distance des créatures qui leur ressemblaient. En revanche, les géants australiens n’eurent pas le temps d’apprendre à détaler. Les humains ne semblaient pas particulièrement dangereux. Ils n’ont ni dents longues et pointues, ni corps souples et musculeux. Quand un diprotodon, le plus gros marsupial qui ait jamais foulé la terre, posa pour la première fois les yeux sur ce singe d’apparence fragile, il lui lança donc probablement un coup d’œil puis retourna mâchonner ses feuilles. Le temps que ces animaux acquièrent la peur de l’espèce humaine, ils auraient disparu.
La deuxième explication est que, lorsqu’il atteignit l’Australie, le Sapiens maîtrisait déjà l’agriculture du bâton à feu. Face à un milieu étranger et menaçant, il brûlait délibérément de vastes zones de fourrés impénétrables et de forêts épaisses afin de créer des prairies, qui attiraient davantage le gibier facile à chasser, convenaient mieux à ses besoins. En l’espace de quelques petits millénaires, il devait ainsi changer du tout au tout l’écologie de grandes parties de l’Australie.
Les plantes fossiles sont parmi les éléments qui corroborent ce point de vue. Les eucalyptus étaient rares en Australie il y a 45 000 ans. L’arrivée de l’Homo sapiens inaugura cependant un âge d‘or pour l’espèce. Les eucalyptus étant particulièrement résistants au feu, ils se répandirent très vite quand d’autres arbres et arbustes disparaissaient.
Ces changements de végétation eurent des effets sur les animaux qui mangeaient les plantes et les carnivores qui mangeaient les végétariens. Les koalas, qui se nourrissent exclusivement de feuilles d‘eucalyptus, investirent allègrement de nouveaux territoires. La plupart des autres animaux souffrirent terriblement. Beaucoup de chaînes alimentaires australiennes s’effondrèrent, menant les maillons les plus faibles à l’extinction.
Une troisième explication admet que la chasse et l’agriculture sur brûlis jouèrent un rôle significatif dans l’extinction, mais souligne que nous ne saurions passer totalement sous silence le rôle du climat. Les changements climatiques qui assaillirent l’Australie voici 45 000 ans déstabilisèrent l’écosystème et le rendirent particulièrement vulnérable. Dans des circonstances normales, le système aurait probablement récupéré, comme cela s’était déjà produit maintes fois. Mais c’est à ce tournant critique que l’homme entra en scène et précipita dans l’abîme un écosystème fragile. Cette combinaison du changement climatique et de la chasse humaine est particulièrement dévastatrice pour les gros animaux, alors attaqués depuis des angles différents. Il est difficile de trouver une bonne stratégie de survie, efficace contre de multiples menaces.
À défaut de preuves supplémentaires, il n’y a pas moyen de trancher entre les trois scénarios. Mais on a de bonnes raisons de penser que si Homo sapiens n’était jamais venu dans cette région, elle abriterait encore des lions marsupiaux, des diprotodons et des kangourous géants.
L’extinction de la mégafaune australienne est probablement la première marque significative qu’Homo Sapiens ait laissée sur notre planète.
Yuval Noah Harari. Sapiens Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
44 000
Ces fresques sont les plus anciennes représentations thérianthropes : elles se trouvent dans la grotte Leang Bulu Sipong, dans l’île de Sulawesi, en Indonésie. Dans une salle difficilement accessible, leur vue était probablement réservée à des initiés. Découverte en 2017.
43 000
Dans le Jura souabe, au sud de l’Allemagne, le plus ancien instrument de musique identifié à ce jour : une flûte taillée dans un os de vautour : 28 cm de long et moins d’un centimètre Ø, 5 trous sur l’une des faces et une embouchure ; sa facture indique qu’elle n’est probablement pas la première : Ça parle, ce méchant bout de roseau ; ça dit ce qu’on pense ; ça montre comme avec les yeux ; ça raconte comme avec les mots ; ça aime comme avec le cœur ; ça vit ! ça existe !
George Sand. Les Maîtres sonneurs. Gallimard 1979
Les relations profondes entre les hommes et les femmes ne peuvent se tisser qu’en commençant par se saisir des fils verbaux et émotifs les plus spontanés qui précèdent la langue acquise, par remonter un à un les métiers à tisser des rituels plus anciens qui constituèrent les sociétés animales : alors on peut commencer peut-être à passer à l’humain, à penser avec le langage, à faire de la musique, à peindre, à nouer des liens d’amitié, à vivre plus profondément, à aimer. Qui veut sauter toutes les étapes d’un coup tombe, ne dit rien, vocifère, est plus bête qu’une bête, tend la main devant son visage en hurlant dans la direction du tyran.
Les bons musiciens font sonner la plus vieille maison qui soit dans le corps (la maison précédente, le résonateur, le ventre, la grotte utérine).
La musique est sans doute l’art le plus ancien. L’art qui précède tous les arts. L’art qui joue des rythmes décalés du cœur qui bat et ensanglante la chair et des poumons qui inspirent et expirent l’air sur lequel la bouche peut prélever une petite part pour parler. Puis qui les associe à ceux des jambes qui martèlent, des mains qui frappent.
Comme les tortues nidifient dans le même sable où elles furent pondues par leur mère, et leur mère par leur mère,
comme les saumons fraient dans la même source où leurs pères sont venus mourir pour leur donner naissance,
ceux qui aiment vraiment n’ont pas honte de rechercher l’ancien amour qui a précédé leur existence singulière, ou du moins autonome.
Cette honte qui s’absente chez ceux qui s’aiment prend le nom d’impudeur.
L’impudeur silencieuse est l’extrême décence de l’amour.
Pascal Quignard. Vie secrète. Gallimard 1998
40 800
Dans la grotte d’El Castillo dans le nord de l’Espagne, une peinture rupestre représente un disque rouge. Une main au pochoir trouvée sur ce même site a au moins 37 300 ans.
40 000
L’arrivée en Europe de l’Homo Sapiens Sapiens il y a quarante mille ans marque un tournant dans l’histoire de l’humanité : c’est après Cro-Magnon qu’il y a eu de grands changements alimentaires, que sont apparues les premières caries, que la population a augmenté, que les maladies se sont développées, qu’on a commencé à accumuler les richesses.
Michel Raymond. Institut des Sciences de l’évolution. Montpellier. Midi Libre 19 octobre 2008
Disparition plutôt rapide de l’homme de Neandertal : des spécialistes du champ magnétique terrestre émettent l’hypothèse que cela pourrait être lié à sa très forte diminution, concomitante : l’amoindrissement du bouclier protecteur qu’il met en place aurait alors permis aux particules solaires de pénétrer plus facilement l’atmosphère, par destruction partielle de la couche d’ozone, produisant ainsi du monoxyde d’azote, très toxique. Actuellement, le site le plus perturbé par le trou dans la couche d’ozone est la ville la plus au sud du monde, Punta Arenas, au Chili, pendant le printemps austral – octobre, novembre – quand la couche d’ozone est la plus faible : les cancers de la peau y sont particulièrement développés, on y prend un coup de soleil en quatre minutes, on y attrape des conjonctivites le temps d’aller chercher du pain si on a oublié ses lunettes, etc …
On ne sait si Giono avait eu connaissance de cela, mais il prend soin de rapporter des bruits qui courent sur la ville, plutôt amusants :
Donc, me voilà avec ces fameuses Instructions Nautiques. […] Je vais au Pérou, à la Terre de Feu, à la ville la plus au sud du monde : à Punta Arenas dont le nom ne devrait même pas être écrit dans ces pages, repoussé avec mépris de notre propos puisque c’est la seule ville du monde dont les maisons ne sont pas construites en pierre, dit-on, mais en bouteilles de whisky. C’est également, paraît-il, la ville où il y a le plus de pompiers et les plus beaux. Tous les mois, on fait une fête des pompiers [1]. Cela vient de ce que Punta Arenas a brûlé dix fois en entier (je parle par ouï-dire).
Jean Giono. Le Déserteur. La Pierre. Gallimard 1973
Le trou dans la couche d’ozone donnerait-il soif ?
39 900
Dans les grottes calcaires de Maros, sur l’île indonésienne de Sulawesi, peintures rupestres d’une main humaine en négatif avec un pochoir. Une autre œuvre, la représentation très réaliste d’un cochon babirusa, avec ses petites pattes et sa queue, peinte avec des pigments rouges dans la même caverne, est âgée d’au moins 35 400 ans. Peintures encore dans la grotte de Lubang Jeriji Saleh, sur la partie indonésienne de Bornéo, encore un peu plus anciennes : au minimum ~40 000 ans. La datation a été effectuée à l’uranium-thorium sur des échantillons de calcite. Ces coulées minérales recouvrent parfois les dessins, ou les dessins les recouvrent, ce qui permet de déduire un âge respectivement minimal et maximal. Alors qu’en Europe, l’art rupestre le plus renversant se situe le plus souvent au fond de cavités impénétrables, et semble s’être épanoui à la lueur des torches et des lampes, à Bornéo, les dessins se trouvent dans les plus hauts étages des falaises karstiques, toujours à portée de la lumière du jour, au-dessus des abris rocheux occupés par l’homme, plongés, eux, dans la pénombre de la jungle.
37 464
Peintures rupestres : lions, mammouths, bouquetins, cerfs, dans la baume Latrone [baume est un mot occitan, qui signifie grotte], à 240 mètres sous terre, sur la commune de Russan Sainte Anastasie, près de Nîmes. C’est la découverte d’un petit bout de charbon protégé par de la calcite qui a permis une datation exacte au carbone 14.
36 000
On estime la population globale de la terre à un million.
Premières peintures de la grotte Chauvet, dans l’Ardèche, jusqu’en 24 500, en deux fréquentations principales : 24 500 à 27 000 pour les mouchages de torche et un petit foyer, et 30 000 à 32 500 pour les peintures. Cette datation, longtemps sujette à discussions, est aujourd’hui acquise depuis que l’on a daté l’effondrement d’une partie de la falaise qui se trouve au-dessus de l’entrée et qui donc l’obstruait jusqu’à sa découverte le 18 décembre 1994 par Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire : 21 000 ans ; donc les peintures ne peuvent qu’être antérieures. La datation au carbone 14 ayant tendance à rajeunir les échantillons, et les dates obtenues les plus anciennes remontant à 32 500 ans, il convient de prendre ce chiffre de 36 000 ans pour la datation effective, après correction. Sans entrer dans le jeu réducteur du classement : la plus ceci, le plus cela, il est certain que ces peintures sont parmi les plus anciennes connues ; on sait que le rhinocéros aurait entre 35 300 et 38 800 ans. on en a trouvé d’à peu près contemporaines à Coliboaia, en Roumanie. A Castanet, en Périgord, des motifs gravés semblent légèrement antérieurs, et, en Espagne, la grotte du Castillo, datée à l’uranium-thorium, recèle une peinture – un disque rouge – d’environ 41 000 ans et une main au pochoir de plus de 37 000 ans.
On sait déjà que le feu peut servir à autre chose que la cuisson des aliments, puisqu’on l’utilise pour cuire les ocres ferrugineuses qui permettent d’obtenir les teintures pour ces arts rupestres. Dans la Grotte Chauvet, l’homme a utilisé surtout du noir, probablement des extrémités brulées de torche. Noir minéral à base d’oxyde de manganèse ; noir organique à base de charbon de bois, de suie, d’os ; rouge à base d’hématite (oxyde de fer de formule Fe²O³), pure ou mélangée ; jaune à partir d’un mélange d’argiles et d’oxyde de fer. Tous ces pigments étaient amalgamés par un liant organique, huile végétale, graisse animale ou lubrifiant minéral comme de la poudre de micas.
La grotte Chauvet a été rouverte en 1994 pour la première fois depuis la dernière période glaciaire. J’y verrai les peintures rupestres les plus anciennes que l’on connaisse au monde : de quinze mille ans plus anciennes que celles de Lascaux ou d’Altamira.
Pendant une phase relativement douce de la période glaciaire, il faisait ici entre trois et cinq degrés de moins que maintenant. Les seuls arbres étaient le bouleau, le pin et le genévrier. La faune comprenait beaucoup d’espèces aujourd’hui disparues : mammouths, mégacéros, lions sans crinière, aurochs, ours de trois mètres, mais aussi rennes, bouquetins, bisons, rhinocéros et chevaux sauvages. La population humaine se composait de chasseurs et de cueilleurs nomades. Elle était peu nombreuse et vivait en groupes de vingt à vingt-cinq individus. Les paléontologues appellent cette population Cro-Magnon, un terme qui met une distance entre elle et nous laquelle distance, à la réflexion, pourrait s’avérer superflue. Ni l’agriculture ni la métallurgie n’existaient alors. La musique et la joaillerie, oui. L’espérance de vie moyenne était de vingt cinq ans.
Les êtres vivants éprouvaient alors le même besoin de compagnie. Mais à la question primordiale et persistante que se posent les humains – à savoir : où sommes-nous? -, les Cro-Magnon ne répondaient pas à notre manière. Les nomades étaient profondément conscients de former une minorité par rapport aux animaux. Ils étaient nés non pas sur une planète, mais parmi la vie animale. Ils n’étaient pas gardiens de troupeaux : les animaux étaient les gardiens du monde, c’est-à-dire d’un univers qui s’étendait à l’infini. Au-delà de chaque horizon, il y avait d’autres animaux.
En même temps, les Cro-Magnon se distinguaient des animaux. Ils savaient faire du feu et pouvaient ainsi s’éclairer dans le noir. Ils savaient tuer à distance. Ils fabriquaient de nombreux objets de leurs mains. Ils se confectionnaient des tentes, retenues par des os de mammouth. Ils savaient parler. Ils savaient compter. Ils savaient transporter l’eau. Ils avaient une autre façon de mourir. Leur affranchissement du statut animal était possible parce qu’ils formaient une minorité et, du fait de leur minorité, les animaux pouvaient tolérer cet affranchissement.
Dans les gorges de l’Ardèche se dresse le pont d’Arc, soutenu par une arche quasi symétrique de trente-quatre mètres de haut, façonnée par la rivière elle-même. Sur la rive gauche s’élève une grande saillie de calcaire, dont la silhouette érodée évoque celle d’un géant, vêtu d’une cape, qui s’avance vers le pont pour le traverser. Derrière lui, sur la roche, la pluie a peint des taches jaunes et rouges – de l’oxyde d’ocre et de fer -. Si le géant se hasardait vraiment à traverser le pont, vu sa taille, il se trouverait tout de suite de l’autre côté de la rivière, contre la falaise opposée, au sommet de laquelle il ne pourrait manquer l’entrée de la grotte Chauvet.
Le pont et le géant étaient déjà là au temps des Cro-Magnon. La seule différence, c’est qu’il y a trente mille ans, quand furent réalisées les peintures rupestres, l’Ardèche serpentait encore au pied des falaises, et les animaux, toutes espèces confondues, descendaient régulièrement le sentier naturel que je grimpe en ce moment pour s’abreuver à la rivière. La situation de la grotte était stratégique et providentielle.
Les Cro-Magnon vivaient dans la peur et l’émerveillement, confrontés à de nombreux mystères. Leur culture – une culture de l’Arrivée – a duré quelque vingt mille ans. Nous vivons dans une culture de Départs et de Progrès incessants, qui dure depuis deux ou trois siècles. La culture actuelle, au lieu de se confronter aux mystères, essaie continuellement de les percer.
Silence. J’éteins la lampe frontale de mon casque. Il fait noir. Dans l’obscurité, le silence se fait encyclopédique, il condense tout ce qui s’est produit entre alors et maintenant.
Sur un rocher devant moi, j’aperçois un amas de petites taches rouges, de forme carrée. La fraîcheur du rouge est saisissante, aussi présente et immédiate qu’une odeur, ou que la couleur de certaines fleurs par un coucher de soleil en juin. Ces taches ont été réalisées en appliquant un pigment d’oxyde rouge sur une main puis en appuyant la paume de celle-ci contre le rocher. L’une des mains ayant imprimé les taches rouges a été identifiée, grâce à un auriculaire disjoint. D’autres empreintes de la même main ont été trouvées ailleurs dans la grotte.
Plus loin, sur un autre rocher, des points similaires dessinent une forme générale qui ressemble à un bison de profil. Les taches de la main remplissent le corps de l’animal.
Avant l’arrivée des hommes, des femmes et des enfants (on a repéré la marque d’un pied d’enfant d’environ onze ans dans la grotte) et après leur départ définitif, la cachette était occupée par des ours. Par des loups et d’autres animaux aussi, certainement, mais les ours étaient les maîtres des lieux, et les nomades devaient partager la grotte avec eux. Pas un mur qui ne porte une trace de griffes d’ours. Des empreintes de pattes indiquent le chemin suivi à tâtons, dans l’obscurité, par une ourse et son ourson. Dans la chambre centrale de la grotte, qui, avec ses quinze mètres de haut, est également la plus importante, le sol glaiseux comporte de nombreuses alvéoles et cavités où les ours se calfeutraient pendant leur hibernation. Cent cinquante crânes d’ours y ont été dénombrés. L’un d’entre eux avait été solennellement placé par un Cro-Magnon sur un socle naturel tout au fond de la grotte.
Dans le silence, les dimensions de la grotte prennent de l’ampleur. Elle mesure cinq cents mètres de long et, par endroits, cinquante mètres de large. Mais les évaluations métriques n’ont pas cours ici, car on a l’impression d’évoluer à l’intérieur d’un corps.
Les rochers qui s’élèvent en surplomb, les murs et leurs concrétions, les galeries et passages, les espaces creux qui se sont formés au gré du processus géologique appelé diagenèse évoquent clairement les organes et les recoins internes d’un corps humain ou animal. Corps et cavernes ont ceci en commun qu’on les croirait modelés par l’eau courante.
Les couleurs de la grotte aussi sont organiques. La roche calcaire a une teinte d’os ou de tripes ; les stalagmites sont écarlates ou d’un blanc vif, les draperies de calcite et les concrétions sont orange et pareilles à de la morve. Les surfaces brillent, comme lubrifiées par un mucus.
Une stalagmite énorme (elles grandissent d’un centimètre par siècle) s’est formée de sorte à reproduire un intestin ; une partie des tuyaux évoque les quatre pattes, la queue et la trompe d’un mammouth miniature. [ l’allusion pourrait passer inaperçue : un peintre a donc mis en relief le minuscule mammouth en lui apposant quatre traits rouges.]
Plusieurs murs qui auraient pu être peints ne l’ont pas été. Les quelque quatre cents animaux représentés ici se dispersent aussi discrètement que dans la nature. On ne traverse pas des salles d’exposition, comme à Lascaux ou Altamira. On sent davantage de vide, davantage d’intimité, peut-être davantage de complicité avec l’obscurité. Pourtant, quoique ces peintures soient de quinze mille ans plus anciennes que les autres, elles se révèlent pour la plupart aussi habiles, aussi précises et aussi gracieuses que toutes celles qui leur ont succédé. L’art, semble-t-il, est né comme un faon – tout de suite prêt à marcher. Ou, en des termes moins éclatants (tout paraît éclatant dans le noir), le savoir faire artistique accompagne l’urgence artistique : talent et besoin vont ensemble.
Je pénètre en rampant dans une annexe en forme de tasse quatre mètres de diamètre – et j’aperçois trois ours tracés en rouge sur les aspérités des parois courbes – un mâle, une femelle et un petit, comme dans le conte imaginé des millénaires plus tard. Je reste accroupi à regarder. Trois ours, et derrière eux, deux bouquetins. L’artiste a dialogué avec le rocher à la lueur de sa torche de charbon. Une protubérance a permis à la patte avant de l’ours de saillir et de balancer en relief, de tout son poids imposant. Une fissure suit exactement la ligne dorsale d’un bouquetin. L’artiste connaissait ces animaux absolument et intimement : ses mains les visualisaient dans le noir. Ce que le rocher a, pour sa part, chuchoté à l’artiste, c’est que les animaux – et tout le reste d’ailleurs – étaient contenus dans la pierre, et qu’il pouvait, lui, avec du pigment rouge sur le doigt, les persuader de monter à la surface, jusqu’à sa membrane extérieure, puis de se frotter contre cette surface, et d’y imprégner leur odeur.
Aujourd’hui, à cause de l’humidité, beaucoup des surfaces peintes sont devenues aussi sensibles qu’une membrane, précisément : un coup de chiffon et elles seraient effacées. D’où ma déférence.
Je sors de la grotte et me fais happer par la tornade du temps qui passe. Je suis à nouveau parmi les noms. À l’intérieur de la grotte, tout est présent et innommé. À l’intérieur de la grotte, la peur existe, mais elle est parfaitement équilibrée par un sentiment de protection.
Les Cro-Magnon n’habitaient pas dans la grotte. Ils y allaient pour prendre part à certains rites – dont on sait peu de chose. L’hypothèse selon laquelle ces rites auraient quelque lien avec le chamanisme paraît convaincante. Le nombre de personnes massées à l’intérieur de la grotte n’a probablement jamais excédé la trentaine.
À quel rythme venaient-ils ? Plusieurs générations d’artistes ont-elles travaillé ici ? Pas de réponse. Peut-être n’y en aura-t-il jamais. Peut-être faut-il se satisfaire de l’intuition qu’on venait ici pour expérimenter, et garder en mémoire des moments de parfait équilibre entre le danger et la survie, entre la peur et le sentiment de protection ? Est-il possible d’en espérer davantage ?
La plupart des animaux peints à Chauvet étaient féroces dans la vraie vie. Or rien, dans leur représentation, ne laisse transparaître une ombre de frayeur. Du respect, oui ; un respect fraternel, familier. C’est pourquoi chaque image animale englobe une présence humaine. Une présence révélée par le plaisir. Chaque créature, ici, se sent chez elle en l’homme, formulation étrange, je l’admets, et néanmoins incontestable.
Dans la chambre la plus profonde, je vois deux lions dessinés en noir, au charbon. Grandeur nature ou presque. Ils se tiennent côte à côte, de profil, le mâle derrière la femelle qui est collée à son flanc, parallèle à lui, mais plus proche de moi.
Ils forment une seule figure, totale quoique incomplète (leurs pattes manquent et je soupçonne qu’elles n’ont jamais été dessinées). La paroi rocheuse, déjà couleur de lion au départ, s’est carrément faite lion.
J’essaie de les dessiner à mon tour. La lionne se tient en même temps debout à côté du lion, contre lequel elle s’appuie, et à l’intérieur de lui. Cette ambivalence résulte d’une brillante élision, par laquelle les deux animaux possèdent le même contour. La ligne qui parcourt l’aine, le ventre et la poitrine leur appartient à tous deux – et ils la partagent avec une grâce tout animale.
Pour le reste, leurs profils sont distincts. Les lignes des queues, dos, cous, fronts et museaux sont indépendantes ; elles se rapprochent puis se séparent, convergent puis s’arrêtent à des endroits différents, car le lion est beaucoup plus long que la lionne.
Deux animaux debout, un mâle et une femelle, joints par la ligne unique de leurs ventres, là où ils sont naturellement le plus vulnérables et où ils possèdent le moins de fourrure.
Devant la grotte, au petit matin, quand le ciel est sans nuages, le soleil rosit la falaise et la réchauffe peu à peu. Contrairement aux animaux. les hommes étaient conscients que, pour eux, le soleil ne se lèverait peut-être pas toujours.
Je dessine sur un papier japonais très absorbant. Je l’ai choisi en me disant que la difficulté d’y utiliser de l’encre noire me rapprocherait de la difficulté d’utiliser du charbon (brûlé et préparé ici dans la grotte) sur la surface brute d’un rocher. Dans les deux cas, la ligne n’obéit pas tout à fait. Il faut jouer du coude. Il faut négocier.
Deux rennes avancent dans des directions opposées – vers l’est et l’ouest. Ils ne partagent pas le même contour, mais sont dessinés en superposition, de sorte que les pattes avant du renne supérieur traversent comme deux grosses côtes le flanc du renne inférieur. Ils sont inséparables, leurs deux corps sont délimités par le même hexagone ; la queue du plus haut rime avec les bois du plus bas ; la longue tête de l’un, tel un burin de silex, siffle une mélodie au métatarse de la patte arrière de l’autre. Ils forment un seul signe et, pour former ce signe, ils font une ronde.
Quand le dessin a été presque achevé, l’artiste a abandonné son morceau de charbon et a tracé de ses doigts une ligne noire épaisse (couleur de cheveux après la baignade) le long du ventre et du fanon du renne inférieur. Puis il a répété son geste avec l’animal supérieur, mélangeant la peinture au sédiment blanchâtre de la roche, pour que la ligne soit moins violente.
Tandis que je dessine, je me demande si ma main, qui épouse le rythme visible de la danse des rennes, ne serait pas en train de danser avec la main qui les a initialement dessinés.
Il n’est pas rare, ici, de fouler une miette de charbon tombée naguère tandis qu’une main traçait une ligne.
Ce qui rend Chauvet unique est le fait que la grotte ait été hermétiquement close. Le toit de la chambre qui servait à l’origine d’entrée – vaste. et baignée de lumière -, s’est effondré il y a environ vingt mille ans. Depuis lors, et jusqu’en 1994, l’obscurité avec laquelle les artistes avaient dû négocier à distance s’est engouffrée par-derrière pour ensevelir et protéger tout ce qu’ils avaient fait. Les stalagmites et les stalactites ont continué de grandir. Par endroits, une pellicule de calcite a recouvert certains détails comme une cataracte. L’essentiel, cependant, conserve son extraordinaire fraîcheur. Et cette immédiateté sabote toute perception linéaire du temps.
John Berger. D’ici là. Éditions de l’Olivier 2006
35 000
Maximum de la glaciation würmienne – la dernière – dans les Alpes. Le site de Grenoble est sous une épaisseur de 1 300 m. de glace : le sommet du glacier atteint St Nizier du Moucherotte, à 1 100 m. De façon générale, dans les Alpes, tout ce qui était en dessous de 1 200/1 300 m était sous la glace. Le glacier du Rhône atteignait les portes de Lyon, l’Aubrac est recouvert par 200 m. de glace. Il n’y a pas de glace à Marseille, mais tout de même des pingouins.
Ces glaces stockent d’énormes volumes d’eau : autant de moins pour les mers, dont les niveaux sont donc bas, ce qui permet à des populations du sud-est asiatique de passer en Australie, Nouvelle-Guinée et Tasmanie. On a des traces d’aborigènes [du latin ab origine] en Australie vers ~ 40 000.
À Hohle Fels, une grotte du Jura souabe, au sud de l’Allemagne, près d’Ulm, une figurine de 6 cm, sculptée dans l’ivoire d’une défense de mammouth, est exhumée en 2008 : la tête est réduite à une boucle laissant passer le lien qui permettait de la porter, les membres sont atrophiés et les formes plus que généreuses : pour l’instant, rien qui soit vraiment à même d’éveiller la libido de l’homme… Il attendra. L’historien Jean Courtin a estimé pouvoir faire naître l’amour autour de 100 000 ans av J.C. fort du constat que l’homo sapiens enterre ses morts, leur donne des soins, les décore, qu’il a le sens du beau. L’auteur de ces lignes, que ces premières représentations féminines laissent de marbre, s’est montré beaucoup plus prudent en préférant remettre cela à plus tard, vers 16 000 ans.
Ce sont les plus anciennes représentations humaines connues à ce jour (2010).
34 000
À moins de 10 km à l’ouest de l’actuel Naples, dans les Campi Flegrei – les Champs Fhlégréens – une éruption volcanique, Campagnan Ignimbrite, projette 300 km³ de cendres, qui vont se répandre sur plus de 3 millions de km², recouvrant ainsi une bonne partie de l’Europe centrale et de l’Est et provoquant un hiver volcanique qui va refroidir de 2° Celsius le climat de l’hémisphère nord pendant 3 ans.
33 000
Au nord de Montpellier, dans la plaine de St Martin de Londres, vivaient des mammouths et des rhinocéros laineux, des ours, des aurochs et des hyènes : le climat était alors à peu près celui de l’actuelle Laponie : – 20° en hiver, + 10° en été. En novembre 2012, on trouvera un squelette entier de mammouth laineux à Changy sur Marne : c’est le second trouvé en France, le premier l’avait été en 1859. En Russie, de 1902 à 2012, on en a découvert huit.
32 000
Toujours à Hohlenstein Stadl, dans le Bade Wurtemberg, cette statuette d’homme-lion en ivoire de mammouth de 29.6 cm sera découverte, pas tout à fait en mille morceaux mais presque – plus de 300 – par Robert Wetzel et Otto Völzing en 1939, mais reconstituée seulement en 1997 et 1998 et terminée en 2013. Elle a cinq traits sur le bras gauche et relèverait de la culture aurignacienne du paléolithique supérieur. Elle est au musée d’Ulm.
30 000
Dans l’actuelle Russie, à 200 km de l’actuelle Moscou, proche de Vladimir, le site de Sungir livre des tombes d’une exceptionnelle richesse : dans l’une, le squelette d’un homme d’environ 50 ans est couvert d’environ 3 000 perles en ivoire de mammouth ; sa tête est coiffée d’un chapeau orné de dents de renard, aux poignets, 25 bracelets d’ivoire. Dans une autre tombe, deux squelettes, tête à tête : un garçon de 12-13 ans, et une fillette de 9-10 ans : le squelette du garçon est recouvert de 5 000 perles d’ivoire, porte un chapeau à dents de renard et une ceinture de 250 dents [ce qui nécessite au moins 60 renards]. Le squelette de la fillette est parée de 5 250 perles d’ivoire. Les deux squelettes sont entourés de statuettes et de divers objets d’ivoire. Le façonnage des seules 10 000 perles a du représenter au bas mot 7 500 heures de travail, plus de trois ans !
28 000
Les habitants de la grotte de Dzudzuana, en Géorgie, utilisent la fibre de lin sauvage probablement pour tisser des cordes et des paniers.
27 700
Il y a quelques hommes de Cro-Magnon dans un abri sous roche des Eyzies-de-Tayac-Sireuil, en Dordogne. Ce que la nature a bien voulu conserver d’eux sera découvert en 1868 à l’occasion de la construction d’une route. Cro-Magnon est une francisation de l’occitan, Cròs signifiant creux, grotte, Magnon étant le nom du propriétaire du terrain sur lequel il a été trouvé.
L’aiguille à chas – et donc la couture – ont été inventées quelques 2 000 plus tôt, aussi Cromignonne eut-elle les moyens d’inventer la pudeur pour son Cro-Magnon en commençant par lui coudre un slip, puis un manteau : Vêtu d’un slip en peau de bison, / il allait conquérir la terre, / C’était l’homme de Cro-Magnon.
27 000 à 19 000
Peintures de la Grotte Cosquer, alors à 70 m. au-dessus du niveau de la mer, sur le versant sud de la pointe de Morgiou, dans les calanques de Marseille, à la pointe nord-ouest de la calanque de la Triperie. La mer était à 6 km. On peut y voir des chevaux, des bisons, et aussi des phoques, des pingouins, et beaucoup de mains négatives – représentées avec la technique du pochoir -. Il est peu probable qu’elle ait été habitée de façon permanente. L’entrée de l’accès à la grotte est aujourd’hui à – 37 m. ; on emprunte un tunnel de 175 m. qui remonte, jusqu’à retrouver la mer à son niveau actuel, qui occupe la partie basse de la grotte.
25 000
Sur l’actuelle commune du Buisson-de-Cadouin, en Dordogne, des hommes gravent dans la grotte de Cussac environ 150 représentations d’animaux – mammouths, chevaux, rhinocéros etc…- . Ils y trouvent aussi les ossements de six à huit individus. C’est à Marc Delluc et ses amis spéléologues que l’on doit cette découverte, faite en septembre 2000.
Les habitants de Brassempouy, en Chalosse, dans le sud du département des Landes, sculptent dans l’ivoire une belle tête de femme, que l’on peut voir aujourd’hui au musée de Saint Germain en Laye. Elle a à peu près le même âge que la déesse de Capdenac, impressionnante statue trouvée dans un campement chasséen, dans le Lot. Au premier trimestre 2013, le British Museum exposera les plupart des sculptures connues de ce paléolithique supérieur sous le titre Ice age art : près de 250 pièces… la Vénus de Willendorf [~20 000 ans], celle de Laussel ou la tête de jeune femme à la coiffure quadrillée de Brassempouy. La géométrique Vénus de Lespugue, la matrone de terre cuite de Dolni Vestonice, la sidérante statue en calcaire d’une femme enceinte trouvée à Kostienki sont aussi venues. Et, pour le bestiaire, le mammouth aux pattes jointes de Montastruc, et, du même abri, les deux fabuleux rênes couchés, le cheval sautant de la grotte des Espélugues, le bison d’ivoire en ronde-bosse de Zaraysk, la tête de lion de Vogelherd, d’autres encore.
Philippe Dagen. Le Monde du 8 mars 2013
Sur l’actuelle commune de Lespugue, en Haute Garonne, 20 km au nord de Saint Gaudens, un premier hommage sculpté est rendu à la femme : c’est la Vénus de Lespugue, peut-être la plus ancienne œuvre d’art au monde : en ivoire de mammouth, elle mesure 14,7 cm et se trouve aujourd’hui au musée de l’Homme, datée de 23 000 ans. À peu près à la même époque, celles de Willendorf, en Autriche, et de Laussel, sur la commune de Marquay, dans la vallée de la Beune, en Dordogne :
23 000
En juillet 2019, des fouilles de l’INRAP mettront à jour, 4 mètres en-dessous du sol actuel, dans le quartier Renancourt à Amiens une petite – 4 cm – Venus en trois morceaux, dite stéatopyge (formes féminines hypertrophiées) sculptée dans la craie : elle appartient à la culture dite gravettienne.
21 000
Traces de pas dans un lac asséché du Nouveau-Mexique, dans le désert de White Sands. Donc il y a des hommes dans le Nouveau Monde plus tôt que ce que l’on croyait, c’est à dire 13 000 ans.
20 380
Un mammouth de 47 ans se risque sur un pont de glace, qui casse : le mammouth est précipité dans la faille, debout, puis est recouvert rapidement de boue, qui gèle : ça se passe en Sibérie, dans la presqu’île de Taymir, à 250 km au nord-ouest de Khatanga, la petite ville de la région. Vingt deux mille ans plus tard, au printemps 1997, un chasseur nomade dolgan, découvrira ses défenses dépassant du sol gelé… il ne cède pas à son réflexe premier : s’emparer des défenses et les vendre, et informe le responsable du parc naturel du Taymir, lequel en parle à Bernard Buigues, directeur de l’association française Cercle Polaire Expéditions, qui parvient à mettre en œuvre un sauvetage original de Jarkov, du nom du chasseur qui l’a découvert : découper le permafrost – terre gelée – qui entoure le corps et transporter le tout en atmosphère froide où les analyses seront possibles : un bloc de 3 m. x 2, pesant 23 tonnes va être dégagé et transporté par hélicoptère à Khatanga, où les premières analyses de mousses, graines, fleurs, pollens et champignons pris dans les poils et la terre vont montrer que, contrairement à ce que l’on croyait jusqu’alors, ce Mammuthus Primigenius vivait dans une steppe et non dans une toundra.
Jarkov est le premier mammouth de Bernard Buigues. Douze ans plus tard, le troupeau sera au nombre de 300, se nommant Fishhook, Yukagir Lyouba … tout ce joli monde réinstallé dans de grandes caves creusées dans la glace. Y défile aussi le gotha de la paléontologie et paléogénétique mondiale, avides de pouvoir prélever de l’ADN aussi lisible :
Un fossile, en général, c’est de la pierre : avec le temps, les cellules vivantes disparaissent et toute la matière organique qui composait l’os original est remplacée par le matériau qui l’entoure. Les os agissent comme des sortes d’éponge, c’est pour ça qu’on les retrouve, sinon ils seraient putréfiés par des bactéries, par des champignons. Les restes de dinosaures que vous connaissez sont ainsi en pierre. Ici ce n’est pas le cas. Quand je vais à Khatanga et que je perce l’os pour prélever de l’ADN, j’ai de la graisse plein les mains. C’est tellement bien conservé qu’on pourrait en faire de l’os à moelle !
[…] Les techniques de décryptage du génome sont encore balbutiantes, mais tout peut aller très vite. On sait déjà bidouiller le génome d’une bactérie pathogène, on saura forcément demain manipuler le génome d’un éléphant… Personnellement, je ne me prêterais pas au jeu : ce serait une hérésie biologique. Mais il y aura toujours des gens assez riches pour le financer et d’autres assez fous pour le faire.
Régis Debruyne, paléogénéticien français, de la McMaster University, Canada. Le Monde 2 n° 268. 4 avril 2009
Faire revivre le mammouth, quelle absurdité ! Il y perdrait tout son mystère… S’il faut rêver, rêvons jusqu’au bout, clonons plutôt des animaux dont on ne connaît même pas l’apparence. Comme la hyène des cavernes, aux mâchoires tellement puissantes qu’elles pouvaient casser le tibia d’un gros ours ou d’un bœuf musqué ! Ou le lion des cavernes, dont on a tant discuté pour savoir s’il s’agissait d’un tigre ou d’un lion : sur toutes les représentations rupestres, il ne porte en effet pas de crinière et il est peu probable que Sapiens n’ait dessiné que des hommes.
[…] Tant qu’il s’agit de clonages d’animaux, cela ne me pose pas réellement de problème. Ma limite personnelle, c’est Neandertal [On attend en effet pour courant 2009 la publication du génome complet de l’homme des cavernes. Or le reconstituer à partir d’embryons humains serait sans doute plus simple encore que de fabriquer un mammouth à partir d’un éléphant] Là, je serais une farouche adversaire ! J’adore Neandertal, c’est très gentil Neandertal. Vouloir le faire revivre serait ouvrir la boite de Pandore. Le hiatus avec de nombreux chercheurs anglo-saxons, c’est qu’ils considèrent qu’avant sapiens, il ne s’agit pas d’êtres humains. Moi, je pense que Neandertal est de nos parents. Décrypter son ADN permettra sans doute de montrer que nous avons des gênes communs. Pas de le cloner.
Marylène Patou-Mathis, Institut de paléontologie humaine. Le Monde 2 n° 268. 4 avril 2009
20 000
Les glaciers du pôle nord s’étendent jusqu’à la moitié nord de l’Angleterre. Les Pygmées implantés près du lac Victoria, à l’est de l’Afrique, se séparent de leurs frères implantés dans le bassin du Congo, à l’ouest : le maximum glaciaire aurait pu contribuer à la rétractation de la bande de forêt équatoriale, allant jusqu’à créer des poches distinctes, et de ce fait isolant leurs habitants les uns des autres. Dans le Mercantour, ce qui va devenir la vallée des Merveilles est recouvert d’une épaisseur de 1 000 m. de glace. Peintures de la grotte de Lascaux, en Dordogne : on peut y voir un chaman pratiquer une séance d’hypnose. Il ne faisait pas chaud à l’époque : la température moyenne atteignait facilement -20°, la végétation était celle d’une toundra : petit arbustes, les seuls à même de s’adapter à un environnement aussi rude où les sols étaient gelées la plupart du temps. Et il fallait du courage et une grande familiarité avec les animaux pour aller peindre dans ces grottes où hibernaient souvent des ours ! En 1955, Georges Bataille parlera de ce décor pariétal comme de la naissance de l’art.
Pourquoi ces grands artistes ont-ils choisi des grottes peu accessibles, des boyaux étroits, pourquoi se sont-ils enfouis dans l’ombre, à plus de deux cents mètres de l’orifice pour cacher leurs œuvres si variées ?
Élie Massénat.1902
La Bête innommable ferme la marche du gracieux troupeau, comme un cyclope bouffe.
Huit quolibets font sa parure, divisent sa folie.
La Bête rote dévotement dans l’air rustique.
Ses flancs bourrés et tombants sont douloureux, vont se vider de leur grossesse.
De son sabot à ses vaines défenses, elle est enveloppée de fétidité.
Ainsi m’apparaît dans la frise de Lascaux, mère fantastiquement déguisée,
La Sagesse aux yeux pleins de larmes.
René Char
Un ou plusieurs artistes, des Michel-Ange, auraient travaillé il y a 17 000 ans, voire 20 000 ans, dans cette grotte spectaculaire. […] C’est plein de vie, les animaux, aurochs, chevaux, cerfs sautent, bondissent, tombent à la renverse, se croisent, traversent une rivière, la tête haute.
Jean Clottes
Jusqu’alors, le Golfe du Lion a été approvisionné en sédiments essentiellement par le Rhône. C’est maintenant les cascades d’eau en provenance de la partie continentale de l’ouest du golfe du Lion qui apportent le plus de sédiments.
vers 17 000
Dans l’abri sous roche Duruthy, des hommes du Magdalénien s’adonnent à la sculpture d’un petit cheval dans du grès ocre- rouge, long de 26 cm, et de deux tout petits chevaux, l’une de 7.4 cm en marne calcaire, l’autre de 5.6 cm en ivoire de mammouth, toutes trois exposées à l’abbaye d’Arthous, à Hastingues, dans les Landes.
La Californie actuelle connaît un épisode de sécheresse.
La température à la surface de l’eau a enregistré des hausses de 7 °C à 8 °C entre 17 000 à 12 900 avant notre ère, tandis que l’air ambiant a vu sa température grimper de 5,6 °C entre 14 000 et 13 000 avant notre ère. Les chênes et genévriers qui peuplaient la région font place à un paysage plus herbacé et sec. En somme, la faune s’adapte à cette nouvelle écologie du lieu : les chercheurs relèvent une légère augmentation de la présence de pins et de buissons, plus résistants aux températures arides.
Ces changements climatiques aboutissent à un point de bascule : jusqu’alors progressives, ces fluctuations augmentent brusquement entre 13 200 ans et 12 900 ans avant notre ère. Les feux s’intensifient alors, à tel point qu’une accumulation de charbons de bois, prélevés dans des sédiments, est constatée. Sa présence est multipliée par trente en quelques centaines d’années. Cette prolifération des feux n’est pas extérieure à la présence humaine dans la zone. Prise en exemple, la chasse d’herbivores conduit à une accumulation de nombreux combustibles végétaux inflammables puisque moins d’animaux se nourrissent de ces plantes. Le changement du climat pourrait donc avoir […] poussé l’écosystème vers un état écologique où les activités humaines peuvent déclencher des incendies de grande ampleur.
Ces modifications de l’environnement provoquent la disparition de sept des espèces étudiées par les chercheurs. La Californie du Sud entre dans un nouveau régime écologique caractérisé par une végétation de chaparral [un écosystème aride doté de broussailles que l’on retrouve encore aujourd’hui en Californie], une intensification des incendies et l’absence totale de la mégafaune du pléistocène, note l’étude. Seul le coyote se montre capable de survivre dans cet environnement instable. C’est une espèce généraliste, capable de manger beaucoup de choses, elle s’adapte donc mieux, explique Robin O’Keefe, professeur à l’université Marshall de Huntington, en Virginie-Occidentale, et principal auteur de l’étude.
En 2017 et 2018, de vastes feux de forêts se sont déclarés dans la région, favorisés par l’apport de combustibles naturels liés à l’aridité des lieux. On constate aujourd’hui une corrélation entre l’étendue des incendies et le degré d’aridité des végétaux en Californie, constate Marco Turco, chercheur à l’université de Murcie en Espagne et auteur d’une étude sur les feux californiens, publiée dans la revue américaine PNAS. L’augmentation de la température dans la région favorise directement la formation de combustibles car elle limite l’humidité des végétaux, ajoute ce dernier. Favorisés par ce climat sec, les feux sont majoritairement causés par les humains : près de 85 % des incendies de forêts sont, au pays de l’Oncle Sam, d’origine anthropique.
Jules Brion Le Monde du 19 08 2023
vers 16 000
Premières constructions de la civilisation Tiahuanaco, sur les rives du lac Titicaca, aujourd’hui à cheval sur la Bolivie et le Pérou.
Il y a dans les Andes, sur les hauts plateaux de Tiahuanaco, une porte du soleil qui ne sert évidemment à rien. Brusquement, toutefois, dans ce désert, sa vanité devient succulente. Ce sont d’énormes blocs de pierre soigneusement polis. D’où leur vient ce poli admirable ? D’un long amour de ces hommes des plateaux avec ces pierres. Autour, aucune végétation : une aire dénudée sur laquelle le soleil se foule lui-même. Sur deux blocs dressés, on a posé une lourde architrave sculptée. On se demande quels ont été les moyens employés. Encore de l’amour, mille bras lentement dressés, de la fatigue ajoutée pendant longtemps à de la fatigue. Sur ces plateaux déserts restent des traces d’une longue fidélité d’hommes simples à la pierre. Sans doute cette porte donnait-elle accès à un temple. Le temple a disparu en totalité (sauf la porte) comme escamoté ou dissous par quelques acide. Volatilisé en poussière ; peut-être est-il, pour les astronomes de Sirius, un peu de ces nuages opaques qui doivent obscurcir notre galaxie.
Jean Giono. Le Déserteur – La Pierre -. Gallimard 1973
Cooper’s Ferry, comme Gault et Friedkin au Texas, mais aussi Meadowcroft Rockshelter (Pennsylvanie) ou Page-Ladson (Floride), datés entre 17 000 et 15 000 ans, dessinent un faisceau solide en faveur d’une occupation humaine de l’Amérique du Nord plusieurs millénaires avant l’avènement de la culture Clovis. […] Les pointes taillées, dont les plus grandes mesurent environ 7 centimètres et la plus petite moins de 2 centimètres, sont faites de roches de silicate ou volcaniques, des matériaux disponibles dans un rayon de 10 kilomètres. Ces bifaces élancés n’étaient pas des pointes de flèche, car l’arc n’avait pas encore été inventé, mais probablement des pointes de sagaies lancées avec des propulseurs ou des pointes de lance. On pense généralement que les premières pointes de projectile devaient être grosses pour tuer du gros gibier ; or, les pointes de projectile plus petites montées sur des sagaies pénètrent profondément et causent d’énormes dégâts internes, indique Loren Davis. Vous pouvez chasser n’importe quel animal que nous connaissons avec des armes comme celles-ci. La forme de la plus petite de ces pointes rappelle celle d’un projectile trouvé sur le site de Gault, au Texas, daté lui aussi d’environ 16 000 ans, tandis que les plus grandes évoquent des artefacts vieux de 15 000 ans, là encore mis au jour au Texas, sur le site Friedkin – deux autres fouilles pré-Clovis.
Dès que le langage permit à un homme de dire à une femme, et réciproquement : tu me plais, le phénomène de la simple reproduction se compliqua bigrement : la grande affaire de la femme et de l’homme était partie pour durer bien longtemps. Elle est d’abord la fondation de ce que nous pensons :
La différence anatomique et physiologique entre l’homme et la femme, apparue comme irréductible dès l’aube de l’humanité pensante, est à l’origine de notre système fondamental de pensée, qui fonctionne sur le principe de la dualité : chaud/froid, lourd/léger, actif/passif, haut/bas, fort/faible… Dans le monde entier, les systèmes conceptuels et langagiers sont fondés sur ces associations binaires, qui opposent des caractères concrets ou abstraits et sont toujours marqués du sceau du masculin ou du féminin. Nous penserions sans doute autrement si nous n’étions soumis à cette forme particulière de procréation qu’est la reproduction sexuée.
Françoise Héritier
Si l’on tient à savoir comment ça marche, de quoi donc est fait le coup de foudre, on peut lire les ouvrages de Lucy Vincent [Comment devient-on amoureux ? chez Odile Jacob en 2004, La formule du désir, chez Albin Michel en 2009]. L’essentiel, étendu à l’émotionnel en général, est déterminé par 7 hormones. La croissance, l’efficacité des ces hormones est étroitement liée à l’environnement affectif du bébé, leur grand frein étant le stress, la violence [Pour une enfance heureuse. Dr Catherine Gueguen Robert Laffont 2014]
Si l’on préfère un langage moins scientifique, plus au ras des pâquerettes, cela existe, avec le mérite de dire clairement la grande difficulté de l’affaire : mais qui est donc le chef dans cette maison ? … mademoiselle, je veux rencontrer le responsable de l’établissement…
Le corps humain est un royaume ou chaque organe veut être le roi,
Il y a chez l’homme 3 leaders qui essayent d’imposer leur loi,
Cette lutte permanente est la plus grosse source d’embrouille,
Elle oppose depuis toujours la tête, le cœur et les couilles.
Que les demoiselles nous excusent si on fait des trucs chelous,
Si un jour on est des agneaux et qu’le lendemain on est des loups,
C’est à cause de c’combat qui s’agite dans notre corps,
La tête, le cœur, les couilles discutent mais ils sont jamais d’accords.
Mon cœur est une vraie éponge, toujours prêt à s’ouvrir,
Mais ma tête est un soldat qui s’laisse rarement attendrir,
Mes couilles sont motivées, elles aimeraient bien pé-cho cette brune,
Mais y’en a une qui veut pas, putain ma tête me casse les burnes.
Ma tête a dit a mon cœur qu’elle s’en battait les couilles,
Si mes couilles avaient mal au cœur et qu’ça créait des embrouilles,
Mais mes couilles ont entendu et disent à ma tête qu’elle a pas d’cœur,
Et comme mon cœur n’a pas d’couilles, ma tête n’est pas prête d’avoir peur.
Moi mes couilles sont têtes en l’air et ont un cœur d’artichot,
Et quand mon cœur perd la tête, mes couilles restent bien au chaud,
Et si ma tête part en couilles, pour mon cœur c’est la défaite,
J’connais cette histoire par cœur, elle n’a ni queue ni tête.
Moi les femmes j’les crains, autant qu’je suis fou d’elles,
Vous comprenez maintenant pourquoi chez moi c’est un sacré bordel,
J’ai pas trouvé la solution, ça fait un moment qu’je fouille,
Je resterais sous l’contrôle d’ma tête, mon cœur et mes couilles.
Grand Corps Malade (Fabien Marsaud, dans le civil). 2006
Aucune entreprise, aucune dictature, aucune catastrophe, aucune folie, vilenie, méchanceté, perversion ne viendront à bout de l’amour, qui renaîtra sur toutes ruines, sur toutes cendres. On le déclinera en tout temps et en tout lieu, il emmènera l’homme dans la mélancolie tout comme dans l’exaltation, et parfois même… dans le bonheur.
L’amour est un sentiment admirable… mais aussi une ruse de la nature pour reproduire l’espèce.
Schopenhauer
Et Régis Debray enchaîne : Que l’amour soit un attrape-nigaud à fonction démographique n’empêche pas qu’on se suicide authentiquement par amour.
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Il ne s’agit pas seulement des exigences de la chair. Non, ce n’est pas si simple. La chair, elle, se satisfait à bon compte. Mais c’est le cœur qui est insatiable, le cœur qui a besoin d’aimer, de désespérer, de brûler de n’importe quel feu… C’était cela que nous voulions. Brûler, nous consumer, dévorer nos jours comme le feu dévore les forêts.
Irène Némirovsky. Chaleur du sang. Denoël 2007
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Voilà sept jours que je n’ai vu la bien-aimée.
La langueur s’est abattue sur moi.
Mon cœur devient lourd.
J’ai oublié jusqu’à ma vie.
Même si les premiers des docteurs viennent à moi,
Mon cœur n’est point apaisé par leurs remèdes…
Ce qui me ranimera, ce sera de me dire : La voici !
C’est son nom seul qui me remettra sur pied…
Ma sœur me fait plus d’effet que tous les remèdes ;
Elle est plus, pour moi, que toutes les prescriptions réunies.
Ma guérison, c’est de la voir entrer ici :
Quand je la regarde, alors je suis à l’aise….
Quand je la baise, elle chasse de moi tous les maux !
Hélas ! depuis sept jours elle m’a quitté.
Papyrus Harris 500. Égypte vers -1350
Pour certains, la plus belle des choses, c’est une troupe de cavaliers ;
Pour d’autres, un défilé de fantassins ;
Pour d’autres enfin, une escadre en mer.
Mais pour moi, c’est de voir quelqu’un se mettre à aimer quelqu’un.
Sappho, poétesse grecque. Lesbos, vers ~ 625-580
Personne, auparavant, ne m’avait été plus cher que toi,
Et nul, ensuite, ne le fut autant.
Mon amour pour toi, le bonheur que tu me donnes, sont le souffle même de ma vie.
Il devait en être ainsi jusqu’à la fin de mes jours.
Voilà ce que je pensais : avec ma bien-aimée je vivrai
Heureux jusqu’au terme de mon existence, sans tromperie ni faux-semblant.
Seul le dieu Karman connaissait le fond de ma pensée.
Et c’est pourquoi il a semé la discorde, déchirant un cœur qui t’appartenait.
Il t’a emmenée, me séparant de toi et me plongeant dans toutes sortes de chagrin.
Cette joie que tu me procurais, il me l’a enlevée.
Poème tokharien [bassin du Tarim, dans l’actuel Turkestan chinois]. Vers 100 ap. J.C.
Il faut aller sur le chemin où toutes les soifs s’en vont.
Alors la femme tire le rêve de l’homme dans la matière.
Et l’homme tire la force de la femme dans la lumière.
Et ils marchent ensemble.
S’il ne crée pas, il la perd,
Si elle ne monte pas, elle le détruit.
Bernard Erginger, alias Satprem. Paris, 1923-2007
Bernard Erginger a été nommé Satprem le 3 mars 1957 par Mira Alfassa, alias Mère, juive de mère égyptienne, de père turc, née à Paris en 1878, fondatrice d’Auroville en Inde de 1968. Il a été son confident pendant près de 20 ans de 1953 à 1973.
Par sa joie ma dame peut guérir,
par sa colère elle peut tuer,
par elle le plus sage peut sombrer dans la folie,
le plus beau perdre sa beauté,
le plus courtois devenir un rustre,
et le plus rustre devenir courtois.
*****
Notre amour va ainsi
comme la branche d’aubépine
sur l’arbre, tremblante,
la nuit, à la pluie et au gel,
jusqu’au lendemain quand le soleil s’étire
sur le feuilles vertes et les rameaux.
Encore…
il me souvient de ce matin
où prit fin notre guerre.
Elle me fit un don si grand :
son corps aimant et son anneau.
Et encore… que Dieu me laisse vivre
tant que je peux glisser mes mains
sous son manteau.
*****
Toute la joie du monde est nôtre, dame, si tous les deux nous nous aimons.
Guillaume d’Aquitaine, comte de Poitiers 1071-1126.
Quand l’herbe pousse drue et la feuille s’étire
et la feuille pointe à la branche
et le rossignol haut et clair
lance sa vois et module son chant,
joie: lui ; joie : la fleur ;
joie : moi-même ;
joie : ma dame passe au-dessus de tout.
De toute part la joie m’enclôt et me guide,
mais elle seule est joie qui tout autre anéantit.
Quand je vois l’alouette étirer
de joie ses ailes au soleil,
s’oublier et se laisser choir
la cœur pâmé de douceur,
aïe… j’envie tellement
ceux qui se réjouissent ainsi.
C’est merveille que sur-le champ
mon cœur n’en fonde pas de désir !
En joie je commence ce poème,
en joie je continue et le finis.
Si l’homme en est la fin,
bon sera le commencement,
me vient joie, allégresse.
De la juste fin, je rends grâce.
L’acte juste ne se loue qu’un fois mené à la fin !
Bernard de Ventadour. 1125 – 1200
Je dois à Laure tout ce que je suis.
Je ne serais point arrivé à un certain degré de renommée,
si elle n’avait, par de nobles sentiments,
fait germer ces semences de vertus
que la nature avait jetées dans mon cœur.
Elle tira ma jeune pensée de toute bassesse,
et me donna des ailes pour prendre mon vol
et contempler en sa hauteur la Cause première,
puisque c’est un effet de l’amour de transformer
les amants et de les rendre semblables à l’objet aimé
Pétrarque. Dialogues avec Saint Augustin
Nous sommes les deux morceaux d’une étoile qui s’est brisée, en tombant un jour sur la terre.
Agnès Sorel à Jacques Cœur, selon Jean Christophe Rufin
L’amour de moy s’y est enclose,
dedans un joli jardinet
où croist la rose et le muguet
et aussi fait la passerose
Manuscrit de Bayeux, antérieur à 1514
Pierre de Ronsard 1524-1585
Je vous supplie d’avoir souvenance de celui qui n’a jamais aimé et n’aimera jamais que vous.
Henri II à Diane de Poitiers, 1557
Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais
Je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant
« Parce que c’était lui, parce que c’était moi »
Michel de Montaigne 1533 – 1592
Mon amant me délaisse o gué, vive la rose ! Anonyme
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment,
Chagrin d’amour dure toute la vie
Jean-Pierre Claris de Florian 1755-1794
Sous votre aimable tête, un cou blanc, délicat,
Se plie, et de la neige effacerait l’éclat
André Chénier 1762-1794
Je t’aime un peu plus de tout le temps qui s’est écoulé depuis ce matin
Victor Hugo. Cosette à Marius. Les Misérables
Ami, ne t’en vas plus si loin
D’un peu d’aide j’ai grand besoin
Quoiqu’il m’advienne
Je ne sais où va mon chemin,
Mais je marche mieux quand ma main
Serre la tienne.
Alfred de Musset. À mon frère revenant d’Italie. 1844
Tu étais pour moi la plus maternelle des femmes
tu étais un ami comme le sont les hommes,
au regard tu étais une femme,
et tu étais plus souvent encore un enfant.
Tu étais la chose la plus tendre que j’ai rencontrée,
tu étais la chose la plus dure avec laquelle j’ai lutté.
Tu étais la cime qui m’avait béni
Et tu devins l’abîme qui m’engloutit
Rainer Maria Rilke à Lou Andreas-Salomé, vers 1900
Et dans la nuit sombre nos corps enlacés
Ne faisaient qu’une ombre lorsque je t’embrassais
Nous échangions ingénument joue contre joue bien des serments
Tous deux, Lily Marlène, tous deux, Lily Marlène.
Willy Schaffers 1928 Karl Heintz Reintger 1941, Chantée entre autres par Marlène Dietrich
Quelque part, chez Romain Gary, il est deux amants qui librement pratiquent folâtrement dans les draps sans mignardise sur les hauteurs de Cannes. Au bout de quelques jours, il lui dit :
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?
J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi, comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme, au passant qui chante, on reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?
J’ai tout appris de toi, pour ce qui me concerne,
Qu’il fait jour à midi, qu’un ciel peut être bleu,
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?
Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes,
N’est-ce pas un sanglot de la déconvenue,
Une corde brisée aux doigts du guitariste ?
Et pourtant, je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues,
Terre, terre, voici ses rades inconnues
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi que ce balbutiement ?
Louis Aragon. Extrait du Roman inachevé.
Il n’y a pas d’amour heureux
Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux
Sa vie elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu’on avait habillés pour un autre destin
À quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu’on retrouve au soir désœuvrés incertains
Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes
Il n’y a pas d’amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j’ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n’y a pas d’amour heureux
Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos cœurs à l’unisson
Ce qu’il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu’il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n’y a pas d’amour heureux.
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux
Louis Aragon, ou René Tavernier, [père de Bertrand le cinéaste.] La Diane française 1944
Sur la même mélodie sera aussi chantée la Prière de Francis Jammes – 1868-1938, poète basque
Brassens a utilisé deux fois la même mélodie, d’abord sur le poème d’Aragon, Il n’y a pas d’amour heureux, puis sur celui de Francis Jammes, La Prière.
Il s’en est expliqué dans une interview où il raconte qu’au XIX° siècle circulaient des mélodies de base (un peu comme pour le blues en jazz) sur lesquels les chanteurs pouvaient faire coller les paroles qu’ils avaient composées. Ces mélodies passe-partout s’appelaient des timbres.
Les timbres ont été utilisés jusque dans les années 50 en France, notamment par les chansonniers du Grenier de Montmartre (sur Paris Inter) qui écrivaient ou même improvisaient des couplets d’actualité sur des airs standards, dont le public reprenait les refrains. [à côté du titre on lisait : se chante sur l’air de …]
Mais voyant que ce qu’il avait cherché à ressusciter était mal compris, (Qui c’est ce flemmard qui nous sert deux chansons sur le même air ?) Brassens ne renouvela pas l’expérience.
analyse Brassens
La prière
Par le petit garçon qui meurt près de sa mère
tandis que des enfants s’amusent au parterre ;
et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment
son aile tout à coup s’ensanglante et descend
par la soif et la faim et le délire ardent :
Je vous salue, Marie
Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,
par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre
et par l’humiliation de l’innocent châtié,
par la vierge vendue qu’on a déshabillée,
par le fils dont la mère a été insultée :
Je vous salue, Marie.
Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids,
s’écrie : Mon Dieu ! Par le malheureux dont les bras
ne purent s’appuyer sur une amour humaine
comme la Croix du Fils sur Simon de Cyrène ;
par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne :
Je vous salue, Marie.
Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,
par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains,
par le malade que l’on opère et qui geint
et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie.
Par la mère apprenant que son fils est guéri,
par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid,
par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée,
par le baiser perdu par l’amour redonné,
et par le mendiant retrouvant sa monnaie :
Je vous salue, Marie.
Francis Jammes, Rosaire, du recueil L’Église habillée de feuilles 1953
par Patachou (qui mettra les pieds à l’étrier de Georges Brassens pour lui ouvrir les portes du showbiz en 1952)
J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité…
J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
Robert Desnos 1900-1945
Edward Elgar pour la musique, Christine Mattei Barraud pour l’interprétation
elle est le grand soleil qui me monte à la tête quand je suis sûr de moi. Paul Eluard
Cette longue traversée du Xinjiang au Cachemire, qui se déroula le plus longtemps au fin fond de la solitude m’a paradoxalement aidée à découvrir l’importance de la personne humaine et la merveilleuse force créatrice de l’homme. Je sais maintenant que vivre en solitaire est aussi impossible que vivre sans respirer et que rien n’est plus beau ni plus satisfaisant que les rapports humains : amour, amitié, camaraderie, sympathie.
Anne Philipe, 1948
Elle était alors l’intruse dans mon voyage, elle en est à présent la boussole. L’amour est toujours une intrusion. Le hasard se fait chair, la passion se fait raison. […] L’amante, un champ de fleurs, mes doigts et mes lèvres, un essaim d’abeilles.
Amin Maalouf. Le périple de Baldassare
Only you Les Platters
Love me, love me tender, love me sweet Elvis Presley
Mon corps plein de toi ne vit que sous tes doigts fins de princesse. Julos Beaucarne
Elle avait de jolis yeux, mon guide, Nathalie. Gilbert Bécaud
Tu me fais tourner la tête,
mon manège à moi, c’est toi,
je suis toujours à la fête,
quand tu me tiens dans tes bras,
Je ferais le tour du monde,
ça ne tournerai pas plus que ça,
la Terre n’est pas assez ronde,
mon manège à moi, c’est toi .
Edith Piaf, sur un texte de Norbert Glanzberg
Pour la première fois je ressentais au contact d’une femme qu’il n’y aurait ni camaraderie ni amitié mais quelque chose de fiévreux de ténébreux d’irrésistible et de fatal. Je sus qu’il n’y avait pas de hasard. Ce qui venait de se rencontrer à travers nous nous dépassait. Tu étais cette autre part du monde qu’il me fallait rejoindre. Tu me souriais et me tendais les mains depuis l’autre rive.
Serge Rezvani Variations sur les jours et les nuits. Seuil 1985. Elle, c’est Danièle Adenot, qu’Alzheimer emportera en 2004.
L’Amandier. Marie Laforêt 1970
Madame ma voisine. Anne Sylvestre 1960
Como tù Paco Ibañez
And here’s to you, Mrs Robinson | Et à la votre, Mme Robinson |
Jesus loves you more than you will know, wo, wo, wo | Jésus vous aime plus que vous ne le saurez jamais, wo, wo, wo |
God bless you please, Mrs Robinson | Que Dieu vous bénisse, Mme Robinson |
Heaven holds a place for those who pray | Le paradis garde une place pour ceux qui prient |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
We’d like to know a little bit about you for our files | Nous aimerions en connaître un peu sur vous pour nos archives |
We’d like to help you learn to help yourself | Nous aimerions vous aider à apprendre à vous débrouiller toute seule |
Look around you, all you see are sympathetic eyes | Regardez autour de vous, tout ce que vous voyez ne sont que des yeux pleins de sympathie |
Stroll around the grounds until you feel at home | Flânez sur les terres jusqu’à ce que vous trouviez votre chez vous |
Hide it in a hiding place where no one ever goes | Dissimulez ceci dans un lieu dérobé où personne n’est jamais allé |
Put it in your pantry with your cupcakes | Rangez-le dans votre garde-manger avec vos petits gâteaux |
It’s a little secret, just the Robinsons’ affair | C’est un petit secret, ne concernant que les Robinson |
Most of all, you’ve got to hide it from the kids | Plus que tout le reste, vous devez le préserver des gosses |
Coo, coo, ca-choo, Mrs Robinson | Coo, coo, ca-choo, Mme Robinson |
Jesus loves you more than you will know, wo, wo, wo | Jésus vous aime plus que vous ne le saurez jamais, wo, wo, wo |
God bless you please, Mrs Robinson | Que Dieu vous bénisse, Mme Robinson |
Heaven holds a place for those who pray | Le paradis garde une place pour ceux qui prient |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
Sitting on a sofa on a sunday afternoon | Assise dans un sofa un dimanche après-midi |
Going to the candidates debate | Allant au débat de candidats |
Laugh about it, shout about it | Riez à ce propos, criez à ce propos |
When you’ve got to choose | Lorsque vous devez choisir |
Ev’ry way you look at it, you lose | Quelle que soit la manière dont vous le regardez, vous y renoncez |
Where have you gone, Joe Dimaggio | Où êtes vous allé, Joe Dimaggio(1) |
A nation turns its lonely eyes to you, woo, woo, woo | Une nation tourne ses yeux solitaires vers vous, woo, woo, woo |
What’s that you say, Mrs Robinson | Qu’est-ce que vous dites, Mme Robinson |
Joltin’ Joe has left and gone away | Joltin’ Joe nous a quitté et il s’en est allé |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
Hey, hey, hey… | Hé, hé, hé… |
(1) Joueur de baseball, marié neuf mois à Marilyn Monroe, d’une extrême popularité aux USA
De ses deux bras tendus, elle fait l’horizon et le ciel
Et sa tête en se balançant fait toute la course du soleil.
Julien Clerc
Tour,
Un petit tour,
Au petit jour,
Entre tes bras
Michel Delpech
J’ai un problème, je crois bien que je t’aime Johny Hallyday, Sylvie Vartan
Et la mer efface sur le sable les pas des amants désunis Yves Montand
Bien sûr nous eûmes des orages
Vingt ans d’amour, c’est l’amour fol
… Mais mon amour
Mon doux mon tendre mon merveilleux amour
De l’aube claire jusqu’à la fin des jours
Je t’aime encore tu sais je t’aime
… Finalement finalement
Il nous fallut bien du talent
Pour être vieux sans être adultes
Jacques Brel
J’ai le cœur qui bat quand tu t’approches de moi. Eva
J’avais des choses à te dire, mais je ne trouve pas les mots, il va falloir que tu lises, entre les lignes, entre les mots.
Mélina Mercouri
Elle me donne sa main et moi je sais que je ne la lui rendrai plus. Erri De Luca
Je chante un baiser. Alain Souchon
Corps, souviens-toi
Corps, souviens-toi, non seulement de combien tu fus aimé,
non pas seulement des lits où tu t’étendis,
mais aussi de ces désirs qui pour toi
brillaient dans les yeux visiblement,
et tremblaient dans la voix ― et que quelque
obstacle fortuit rendit vains.
Maintenant que tout cela plonge dans le passé,
il semble presque qu’à ces désirs
tu te sois donné. Comme ils brillaient
souviens-toi, dans les yeux qui te regardaient,
comme ils tremblaient dans la voix, pour toi ; souviens-toi, corps.
Constantin Cavafy, poète d’Alexandrie, en Égypte. Traduction du grec de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras.
Gracias a la vida Mercedes Sosa Paroles et musique de Violeta Parra. 1°mai 2009
Gracias a la vida | Merci à la vie |
Que me ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me dio dos luceros | Elle m’a donné deux étoiles |
Que cuando los abro | Qui quand je les ouvre |
Perfecto distingo | Distinguent parfaitement |
Lo negro del blanco | Le noir du blanc |
Y en el alto cielo su fondo estrellado | Et dans le ciel haut son fond étoilé |
Y en las multitudes | Et dans les multitudes |
El hombre que yo amo. | L’homme que j’aime |
Gracias a la vida | Merci à la vie |
Que me ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me ha dado el oído | Elle m’a donné l’ouïe |
Que en todo su ancho | Que dans toute sa grandeur |
Graba noche y día | Qui enregistre nuit et jour |
Grillos y canarios | Criquets et canaries |
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos | Marteaux, turbines, écorces, averses |
Y la voz tan tierna de mi bien amado. | Et la voix si douce de mon bien-aimé |
Gracias a la vida | Merci à la vie |
Que me ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me ha dado el sonido | Elle m’a donné le son |
Y el abecedario | Et l’alphabet |
Con él las palabras | Avec lui les mots |
Que pienso y declaro | Que je pense et déclare |
« madre, amigo, hermano » | »mère, ami, frère » |
Y luz alumbrando la ruta del alma del que estoy amando | La lumière illuminant la route de l’âme de celui que j’aime |
Gracias a la vida | Merci à la vie |
Que me ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me ha dado la marcha | Elle m’a donné la marche |
De mis pies cansados | De mes pieds fatigué |
Con ellos anduve | Avec eux j’ai marché |
Ciudades y charcos | Villes et flaques d’eau |
Playas y desiertos, montañas y llanos | Plages et désert, montagnes et lac |
Y la casa tuya, tu calle y tu patio. | Et ta maison, ta rue et ta cour |
Gracias a la vida | Merci à la vie |
Que ma ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me dio el corazón | Elle m’a donné le cœur |
Que agita su marco | Qui agite son cadre |
Cuando miro el fruto | Quand je regarde le fruit |
Del cerebro humano | Du cerveau humain |
Cuando miro el bueno tan lejos del malo | Quand je regarde le bien si loin du mal |
Cuando miro el fondo de tus ojos claros. | Quand je regarde le fond de tes yeux clairs |
Gracia a la vida | Merci à la vie |
Que me ha dado tanto | Qui m’a tant donné |
Me ha dado las risas | Elle m’a donné les rires |
Y me ha dado el llanto | Et m’a donné les pleurs |
Así yo distingo | Ainsi je le distingue |
Dicha de quebranto | Dite de coupure |
Los dos materiales que forman mi canto | Les deux matériaux qui forment mon chant |
El canto de todos que es el mismo canto | Le chant de tous qui est le même chant |
El canto de todos que es mi propio canto | Le chant de tous qui est mon propre chant |
Gracias a la vida ! | Merci à la vie ! |
Lettre à M. Clara Ysé 2023
Et tant d’autres encore, dans toutes les langues du monde, autant que d’étoiles dans le firmament…
14 400
Les premiers pains font leur apparition, issus de plusieurs céréales sauvages : blé einkorn, orge et avoine : c’est dans le désert noir, dans l’actuelle Jordanie, sur le site archéologique de Hubayqa 1
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[1] C’est difficile d’être pompier, surtout quand on n’a pas le feu sacré, disait Jean-Louis Trintignant.
[2] Par souci de cohérence, la datation des premiers homo sapiens a été corrigée dans les citations antérieures à cette découverte qui en étaient restées à 200 000 ans. Le but de ce site n’est pas d’établir une histoire de la paléontologie, mais de présenter un état des lieux le plus actuel possible.