Publié par (l.peltier) le 9 septembre 2008 | En savoir plus |
16 02 1936
En Espagne, victoire du Frente Popular, coalition de gauche qui réunit le PCE, le PSOE et les partis républicains de gauche : Manuel Azaña arrive au pouvoir. Anarchistes et trotskistes violent, brûlent, pillent églises et couvents, sans avoir le contrôle complet de leurs propres troupes, où se glissaient fadas et voyous.
21 02 1936
Envoyé par Pierre Lazareff, directeur de Paris-soir, Bertrand de Jouvenel interview Adolf Hitler à Berlin :
Hitler Il n’est pas bon que les peuples usent leurs forces psychologiques en haines infécondes.
Jouvenel Dans Mein Kampf, vous vous êtes pourtant montré d’une grande violence envers la France démocratique
Hitler J’ai écris cela en prison, au moment où Poincaré venait d’envahir la Ruhr. Ma pensée est désormais tout autre, il dépend de l’opinion française de se rapprocher de l’Allemagne qui, dans son écrasante majorité, fait confiance à son chef – un chef qui dit à la France : Soyons amis.
Le pacte franco-soviétique devait être discuté le 27 et 28 février à la Chambre. Otto Abetz, l’homme de Ribbentrop, vint à Paris demander que l’article sorte dès le début des débats. Impossible. Quand il sortira le 29, la chambre avait voté le pacte franco-soviétique la veille.
Ainsi la propagande allemande fut-elle à même de soutenir que le gouvernement français avait retardé la publication à dessein, preuve qu’il ne souhaitait pas une réconciliation avec l’Allemagne. Argument utilisé, quelques jours plus tard, lors de l’entrée des troupes en Rhénanie : Vous avez refusé la main tendue… Alors qu’évidemment la décision était déjà prise lors de l’entretien.
Jean Noël Jeanneney. Le Monde 13 12 2014
23 02 1936
Fehrat Abbas, 37 ans, est docteur en pharmacie depuis 1933, conseiller général en 1934, conseiller municipal de Sétif en 1935 ; il adhère à la Fédération des élus musulmans de Constantine et à ce titre écrit fréquemment dans L’Entente, dont il sera d’ailleurs directeur de la rédaction deux ans plus tard. Il nourrit de grandes sympathies pour l’Action Française de Charles Maurras, dont la démocratie décentralisatrice lui semble convenir à son pays.
Je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts ; j’ai visité les cimetières. Personne ne m’en a parlé.
Fehrat Abbas. L’Entente
Mais il est vrai qu’on avait pu lire aussi sous sa plume, publié dans une livre en 1931, Le Jeune Algérien, regroupant notamment ses articles écrits dans les années 1920, et dont la thèse se rapporte à la lutte contre la colonisation pour assurer l’entente entre les Français et musulmans : Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux.
Allez comprendre !
02 1936
Aux Jeux Olympiques de Garmisch Partenkirchen, Émile Allais, 24 ans, prend la médaille de bronze du combiné. Pour ne pas avoir à faire le salut hitlérien, il s’en tiendra sur le podium, à un strict garde à vous. Mais globalement, ce sont les Scandinaves qui sont à l’honneur – la distinction n’était pas encore faite entre ski alpin et ski nordique – avec 28 médailles sur 47. L’Allemagne en a 6. Émile Allais avait débuté en compétition internationale trois ans plus tôt à Saint Moritz, terminant 29° au slalom descente, 27° au combiné. Son job de porteur à l’Hôtel du Mont d’Arbois à Megève l’avait rapproché de l’instructeur autrichien Otto Lantschner. Avant le ski, il s’était déjà essayé avec succès au patinage, hockey sur glace, gymnastique, athlétisme et cyclisme. Peut-être cette boulimie de sports était-elle nécessaire pour oublier son immense timidité avec les filles ? La France avait alors décidé de se doter d’une équipe apte à relever les défis à l’international, en s’appuyant sur les bastions de Chamonix et de Megève. Pari tenu donc.
3 03 1936
Le magazine américain Variety n’est pas tendre pour Jean Harlow, une actrice américaine au sommet de sa carrière : On ne peut pas qualifier Jean Harlow de bonne comédienne. Elle se montre tristement suffisante, mais contribuera probablement au succès du film auprès du public masculin, grâce à la profondeur de ses décolletés et à la minceur de ses parures. Elle fête ses 25 ans avec des amis qui lui offrent des cadeaux. Elle en déballe un et quand elle le découvre, s’exclame : Un livre ! Mais… j’en ai déjà un !
7 03 1936
Hitler envahit la zone rhénane démilitarisée, large de 50 km sur la rive droite du Rhin. Les traités de Versailles et de Locarno autorisent la France à intervenir manu militari.
8 03 1936
Nous ne sommes pas disposés à laisser placer Strasbourg sous le feu des canons allemands.
Albert Sarraut, président du Conseil
Mais ces mâles rodomontades s’évanouiront dès le lendemain devant la trouille des autres ministres sur les conséquences très probablement négatives de la fermeté sur l’électorat : des élections vont avoir lieu dans six semaines.
Nous n’avons pas à marcher contre Hitler avec les Soviets.
Charles Maurras L’Action française
L’Allemagne envahit… l’Allemagne
Le Canard enchaîné
Hommes, femmes, jeunes, unissez-vous pour empêcher le fléau de la guerre de fondre à nouveau sur nous.
L’Humanité
On trouve tout de même quelques voix pour ne pas caresser dans le sens du poil :
Il y a dans le monde, en dehors de l’Allemagne, un clan qui veut la guerre et qui propage insidieusement sous couleurs de prestige et de morale internationale, les cas de guerre. C’est le clan des anciens pacifistes, des révolutionnaires et des juifs qui sont prêts à tout pour abattre Hitler et pour mettre fin aux dictatures.
Maurice Blanchot Combat d’avril 1936
Pierre Étienne Flandin, ministre des Affaires étrangères est à Londres le 12 mars 1936 pour demander au gouvernement britannique la mobilisation simultanée des forces de terre, de l’air et de mer des deux pays. Puis il va rencontrer Winston Churchill, qui n’est encore que simple député conservateur : Ayez une politique ferme, le monde vous suivra et vous pourrez éviter la guerre. C’est votre dernière chance. Si vous n’arrêtez pas l’Allemagne maintenant, tout est fini. La France ne peut garantir plus longtemps la Tchécoslovaquie, car cela va devenir géographiquement impossible. Si vous ne faites pas respecter le traité de Locarno, il ne vous restera plus qu’à attendre le réarmement de l’Allemagne… Si vous n’arrêtez pas l’Allemagne par la force aujourd’hui, la guerre est inévitable. Le même jour, il rencontrera Neville Chamberlain, chancelier de l’Échiquier, qui lui déclarera : Pas d’intervention militaire, ni même de sanctions économiques. Et comme le gouvernement français se refuse à agir sans son allié, il s’abstiendra donc. Churchill, qui n’avait pas encore endossé les habits de l’opposition radicale à Hitler, écrira le lendemain dans l’Evening Standard : Au lieu d’user de représailles par les armes, comme l’aurait fait la génération précédente, la France, en ayant recours à la Société des Nations, a suivi la ligne de conduite opportune.
Si vous aviez tout de suite fait avancer 200 000 hommes dans la zone réoccupée par les Allemands, vous auriez rendu un immense service à tout le monde.
Pie XI à l’ambassadeur Charles Roux, le 16 mars 1936.
Je vous prends à témoin du défaitisme militaire qui transparaît à travers chaque ligne, de l’indigence de pensée et – ce qui est plus grave – de volonté.
Colonel de Gaulle à Paul Reynaud, sur l’article d’un général dans le Mercure de France, le 2 avril 1936.
21 04 1936
En Palestine, combats de rue entre Juifs et Palestiniens à Jaffa et Tel Aviv : les musulmans demandent l’arrêt de l’immigration juive et l’interdiction de l’achat des terres.
3 05 1936
Front populaire en France. Les grèves ne vont pas tarder à s’étendre à l’ensemble du pays.
Dès sa formation en 1934-1935, la coalition rassemblant socialistes, communistes et radicaux, ainsi que de multiples syndicats et associations, avait pour objectif d’améliorer le sort des classes ouvrières et de protéger les libertés dans un esprit internationaliste. 1936 mettait donc à l’épreuve la capacité de la gauche à concilier patriotisme et internationalisme, défense du pouvoir d’achat et ouverture sur l’économie mondiale, réformes sociales et redressement militaire. Il revenait à Léon Blum, trente ans après la partition composée par Jean Jaurès, de mettre en musique cette délicate synthèse.
Nicolas Delalande. Histoire Mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron et 132 auteurs encadrés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou. Seuil 2018
Ne pas oublier le rôle immense que le coté kermesse aura joué dans la grève. Trente Mardi gras rentrés (il n’y en a plus eu depuis la guerre) ressortent comiquement ou sauvagement. La joie d’être autonome, d’être libre, et, par le fait de n’avoir pas, aujourd’hui, à obéir, de se sentir soudain un autre.
André Malraux
4 05 1936
En Éthiopie, Addis Abeba tombe au mains des Italiens.
9 05 1936
Mussolini proclame l’empire italien, piazza Venezia à Rome. Il parle, parle, parle et finit par conclure : Le peuple italien a crée l’empire avec son sang. Il le fécondera par son travail ou le défendra par ses armes. Dans cette certitude suprême, levez haut, légionnaires, vos fanions, vos armes et vos cœurs pour saluer, après quinze siècles, la résurrection de l’empire sur les collines sacrées de Rome.
La France n’a pas le monopole des chansons coloniales, voire colonialistes du genre Il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire ou Ma Tonquiqui, ma Tonquiqui, ma Tonquinoise ; Les Italiens s’y étaient mis eux aussi :
Facette nera, bell’abissina | Petite tête noire, belle Abyssine, |
Aspetta e spera che già l’ora si avvicina ! | Attends et espère car l’heure est déjà proche ! |
quando saremo insieme a te, | Quand nous seront auprès de toi, |
noi ti daremo un’altra legge e un altro Re. | Nous te donnerons une autre loi et un autre roi. |
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La défaite, elle est là. Est-ce que les autres ne la voient pas ? La défaite bestiale, gourmande, sans appel. Ils ne pourront pas lui échapper. Est-ce qu’il est le seul à la sentir ? Les généraux se passent et se repassent une petite paire de jumelles, comptent et recomptent les troupes italiennes et les régiments d’Erythréens. On lui tend parfois la paire pour qu’il apprécie à son tour la situation, mais il ne le fait pas. Lui, leur empereur à tous, roi des rois, lui, Haïlé Sélassié, il est sûr de la défaite mais à quoi bon leur dire ? Il garde son calme légendaire, n’exprime rien, ni peur, ni hâte. Il est le temps qui ne s’émeut pas, l’œil qui voit ce qui sera. Ses hommes le contemplent, petit, dans cet uniforme impeccable qu’il est le seul à porter. Les autres, tous les autres, sont hirsutes, avec des couvertures sur les épaules, des bijoux autour du cou, aux oreilles, aux poignets, des couteaux à la ceinture. Il ne dit rien. Il était contre cette bataille. À quoi lui servirait-il de compter et de recompter les effectifs ennemis ? Ils vont mourir aujourd’hui, il le sait. Les Italiens sont moins nombreux mais Ras Desta et Ras Kassa ont tort de s’en réjouir, d’y voir un motif quelconque d’espoir quant à l’issue de la bataille. La seule chose certaine, c’est que les Italiens vont les écraser. Il le sait depuis le blocus qu’on lui a imposé et qu’il n’a pas su casser. Ni la France ni l’Angleterre n’ont cédé. Il a tout essayé mais en vain. Et aujourd’hui, il sait qu’il n’a pas d’armes. Un seul canon de 75 que le maréchal Franchet d’Espèrey lui a offert au nom de la France hypocrite le jour de son couronnement. Un seul canon. Et aucun avion de combat. Ses hommes sont braves oui, mais ils vont à pied ou à dos de mule, alors ils vont perdre. Il a cru un temps que les armes qu’Hitler avait accepté de lui vendre suffiraient à casser le blocus, mais les fusils sont arrivés par petits lots dispersés et se sont perdus dans l’immensité du pays … Il n’a pas d’armement. La seule guerre qu’il aurait pu envisager et qui peut-être aurait mené à la victoire après des mois, des années d’épreuve, était une guérilla. Laisser l’ennemi entrer, prendre possession des lieux et le harceler ensuite, l’épuiser, le ruiner petit à petit dans une guerre du bout du monde qu’il finirait par abandonner parce qu’elle serait devenue trop chère. C’est cela qu’il aurait fallu faire. Mais il est Haïlé Sélassié, roi des rois, prisonnier de lui-même, et il ne peut pas. Ses généraux le lui ont dit : Un roi ne fait pas la guérilla comme un shifta [bandit], et cela sonnait comme une gifle. Un roi fait la guerre. Et s’il doit la perdre, le mieux qui puisse lui arriver est de mourir sur le champ de bataille. C’est ce qui les attend, tous, ses gendres, ses guerriers, ses sujets rassemblés : mourir dans une dernière grande bataille. Un choc frontal, inutile et sanglant mais dont l’Histoire se souviendra. Il ne peut en être autrement. Alors peu importent les mouvements de troupe ennemis, le nombre d’avions que Mussolini va déployer dans le ciel d’Éthiopie, il sait ce qu’il a à vivre, à présent, c’est le chaos et rien de plus.
Qui tire le premier coup de feu ? personne ne le sait, mais ils l’ont tous entendu. Là. Sur des kilomètres. Le tout premier coup de feu de ce qui va être une énorme boucherie. À cinq heures du matin, en ce jour où un pays va en tuer un autre… Haïlé Sélassié a donné l’ordre d’attaquer et les Italiens se réveillent dans l’urgence. Une phrase court de bouche en bouche : Ça y est… Ils attaquent… Et dans une heure peut-être, l’information sera parvenue jusqu’au maréchal Badoglio lui-même. Un aide de camp le réveillera avec le plus de dignité possible : Maréchal… dira-t-il en gardant le regard droit pour que ses yeux ne tombent pas sur les chaires flasques qui apparaissent entre les boutons ouverts du pyjama, maréchal… La bataille est engagée. Le premier coup de feu, et, déjà, des milliers d’hommes courent dans la plaine. Il est à l’arrière, lui, se tient droit dans son uniforme européen. Il ira jusqu’au bout. Il apportera du renfort à Ras Kassa s’il le faut..
Mais pour l’heure, il lui faut attendre, laisser le temps aux guerriers de courir, de s’approcher des lignes ennemies. La clameur monte jusqu’à lui. Il voudrait courir avec eux, les sentir tout autour de lui, et partager leur sueur.
[…] Dans la plaine de Maïchew, les Italiens se sont réveillés. En réponse aux premiers tirs, les premiers obus tombent et les premiers guerriers d’Haïlé Sélassié meurent. Les Italiens n’ont aucune raison de paniquer. Ils ont construit un mur de terre sèche pour protéger leurs lignes et ils laissent les Éthiopiens s’approcher. Le jour se lève doucement. La plaine sera bientôt couverte de sang. Les obus tombent avec régularité. C’est ainsi qu’ils vont les tuer, en les disloquant, les éparpillant en mille morceaux. La victoire triomphale des guerriers éthiopiens d’Adoua ne se rejouera pas. L’Italie veut sa vengeance. C’est même cela qu’elle est venue chercher. Et ils vont l’obtenir. Lui, Haïlé Sélassié, quelle sera sa place dans l’Histoire ? Celle d’un empereur vaincu ? Le roi des rois tué par un tir d’obus ? Les combats sont engagés et le jour entier, désormais, ne sera plus consacré qu’à se tuer. Avancer. Crier pour se donner du courage et gémir et gémir lorsque la balle vous a traversé. Oh, comme la défaite est longue… Il faut la vivre, totalement, jusqu’au bout, avec ces instants où l’on se prend à y croire encore, ces appels à l’aide auxquels on ne peut pas répondre, ces amis qui meurent, ces trouées superbes – le soleil parfois, la beauté des lieux. Comme c’est long … L’odeur de la poudre et du sang est partout. Et puis, le jour finit par décliner doucement, et après treize heures de combat durant lesquelles les Éthiopiens se ruent, torse nu parfois, sur les mitrailleuses lourdes. Soixante quinze tonne d’explosifs les disloquent sans répit. L’Italie ne compte pas. Le Duce a été parfaitement clair : il veut une victoire écrasante et rapide. Après treize heures de combat, il l’a. Et le Négus ordonne le repli. Mais c’est alors que le pire survient. Car la défaite a soif encore. Les Italiens sortent de leurs lignes et pourchassent l’ennemi. Haïlé Sélassié voit la vague brutale qui court derrière ses hommes. Les avions survolent le champ de bataille et criblent de balles les fuyards. Le gaz brule ceux qui voudraient courir. Tous explose et se tord. Ce n’est plus un repli, plus une débâcle, c’est un massacre. Ils sont anéantis. Et cela continue. Nous ne pouvons rien faire, pense-t-il. Ses hommes, il les offre au carnage. Et puis, enfin, l’obscurité qui tombe d’un coup, le ciel lui-même se met à tonner. Un nuage éclate, puissant, effrayant. Les éclairs zèbrent le ciel et font apparaître, à chaque fois, une foule de gémissements. Les mourants sont là, à même le sol, sur le champ de bataille, dans la boue, raidis et froids ou continuant à râler, la bouche ouverte, surpris de cet air qui les tue sans qu’ils comprennent comment cela est possible, et la pluie tombe dru, comme si elle avait entrepris de tout noyer. Le ciel lui-même, peut-être, est dégouté de ce qu’il voit. Des hommes retournent en arrière pour aller chercher leurs morts mais ils ne les trouvent pas et tâtonnent dans un océan de dépouilles. Tout est fini. Et les agonisants ouvrent grand les yeux pour entendre une dernière fois le tonnerre gronder et sentir encore un peu la fraîcheur de la pluie sur ces lèvres qu’ils auront bientôt froides.
Laurent Gaudé. Écoutez nos défaites. Actes Sud 2016
Haïlé Sélassié fuit en train à Djibouti, d’où il gagnera l’Angleterre. Il ne part pas sans biscuits : l’accompagnent 158 caisses remplies d’or et d’argent. L’attitude choque les Éthiopiens au point que certains d’entre eux se couchent sur la voie pour empêcher le train de passer.
27 05 1936
Paul Emile Victor entreprend la traversée du Groenland d’ouest en est. Ce n’est pas une première : pas moins de 13 expéditions s’y sont déjà frottées, dont le grand Fridtjof Nansen, le premier en 1888, Knud Rasmussen, le grand ethnologue danois, qui faillit ne pas en sortir vivant, paralysé par un lumbago à l’extrême nord du Grœnland : ses compagnons affamés ont réussi à le ramener in extremis au comptoir de Thulé. Alfred Wegener, le savant allemand qui avança l’hypothèse de la dérive des continents, à l’origine de la tectonique des plaques, est mort de faim et d’épuisement en novembre 1930 en tentant de ravitailler une station posée au centre géographique de la calotte, Eismitte. Au même moment, l’Anglais Augustine Courtauld a été sauvé de justesse, enseveli dans la tente météo où il avait passé l’hiver entièrement seul. Bref… l’histoire de cette traversée est lourde de drames.
Depuis la baie de Disko, au S-O du Groenland, il lui faudra traverser 600 km de calotte glaciaire ; il est accompagné de Robert Gessain, Michel Pérez et Eigil Knuth, un comte danois, critique d’art et sculpteur, chargé de la navigation, et 32 chiens. Knuth a emporté la boussole que Fridtjof Nansen a léguée à son grand-père après sa traversée de 1888, mais c’est sentimental : la déclinaison magnétique est telle qu’il faut corriger sans arrêt. La distance est calculée avec une roue de vélo placée à l’arrière d’un traîneau. Dès que le soleil se montre, Knuth fait le point au sextant. Mais bientôt, l’ophtalmie l’empêchera de faire ses relevés. Des tempêtes bloquent l’expédition sous la tente, l’avance est plus lente que prévu. La fatigue gagne. Les chiens, épuisés, s’arrêtent tous les vingt pas. Il faut soulever les traîneaux pour les relancer, et c’est un effort énorme. Paul-Emile Victor écrira : Je vomis sur la piste, accroché au traîneau comme à une bouée, à genoux dans la neige, aveuglé par un feu d’artifice de mille étoiles noires… . Il faudra sacrifier du matériel pour alléger les traîneaux. Victor abandonne la radio mais pas la caméra de 35 kg. Les chiens fatiguent, il faut bientôt faire deux fois la route pour les soulager, puis abattre les plus faibles. Ils arriveront sur la côte est le 6 juillet 1936, après quarante-neuf jours de traversée, y trouvant une cabane où ont été entreposés des vivres. Dans les heures qui suivent, trois chiennes mettent bas. Les Eskimo à qui ils ont donné rendez-vous arrivent en oumiak, la grande embarcation traditionnelle, pour les conduire à Ammassalik, aujourd’hui Tasiilaq, 2 000 habitants, principale ville et seul aéroport de la côte est.
4 06 1936
Léon Blum est nommé président du conseil. Sous les III° et IV° République, avec un président de la République pot de fleur, c’est le président du conseil qui est le véritable chef de l’exécutif, soumis cependant aux humeurs capricieuses de la Chambre. Il prend trois femmes dans son gouvernement : Suzanne Lacore, institutrice, sous-secrétaire d’État à la protection de l’Enfance, Cécile Brunschvicg, d’une famille d’industriels, ministre de l’Éducation, et Irène Joliot-Curie, physicienne, ministre de la Recherche.
Quelques années plus tôt, Clemenceau, le verbe bien crû, déclarait : il y a 2 organes inutiles : la prostate et le Président de la République. Tout médecin qu’il fût, il se trompait, et en plus, sans y mettre la manière, avec l’aplomb du mandarin tout imbu de sa science, car aujourd’hui, on sait que la prostate sert à quelque chose ; mais il est vrai qu’on ne sait toujours pas à quoi pouvait bien servir un président de la III° République. En fait Clémenceau aurait pu ajouter un troisième article, l’appendice, dont on croira aussi très longtemps qu’il était inutile puisqu’on ne savait pas quelle pouvait bien être sa fonction, quand, on finit par réaliser un jour du début du XXI° siècle, qu’il devait très probablement contribuer à la longévité de vie de ceux qui en étaient munis ; et de constater que les mammifères qui en étaient dépourvus ne vivaient pas longtemps.
8 06 1936
Au bout d’une nuit de négociations avec les représentants du patronat et la CGT, Léon Blum peut annoncer l’accord de Matignon : contrats collectifs de travail, liberté syndicale, augmentation de 7 à 15 % des salaires, élection de délégués du personnel, instauration des congés payés et de deux jours de repos hebdomadaire [1] : en fait Léo Lagrange n’avait fait pratiquement que ressortir un projet de loi, voté par la Chambre en 1931 et mis depuis aux oubliettes par le Sénat, projet qui ne faisait pas vraiment partie des revendications ouvrières qui avaient amené au pouvoir le Front Populaire. Pierre Gaxotte, historien directeur de Je suis partout et donc peu suspect de sympathies socialistes, fustigera cette vilaine habitude des patrons de se laisser arracher ce qu’ils pourraient accorder de bonne grâce. Mais pour tout ce qui touche à l’entreprise, c’est bien le patronat qui avait mené ces négociations avec les syndicats.
Notre but reste le pouvoir des Soviets, mais ce n’est pas pour ce soir, ni pour demain matin… Alors il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction est obtenue.
Maurice Thorez, après la signature des accords de Matignon
12 06 1936
Instauration de la semaine de 40 heures, des congés payés et des conventions collectives.
11 06 1936
Instauration des Conventions Collectives.
Ce fût un temps où les Français crurent vraiment qu’ils allaient s’aimer les uns les autres.
Jean Renoir
Ce fût aussi malheureusement un temps où l’on prit l’habitude de l’inadmissible : les accidents mortels de la route : 4 600 morts dans cette seule année, avec un parc automobile de 1.5 millions de véhicules ! Il faudra attendre des dizaines et des dizaines d’années pour qu’une volonté politique vienne faire pièce aux pitoyables et criminels arguments des lobbys de la voiture, – constructeurs en tête – en mettant en place les mesures qui feront baisser considérablement le nombre de ces hécatombes mortelles.
15 06 1936
La Fiat Topolino est présentée au salon de Turin et mise en vente dans toute l’Italie, mais aussi en France, construite par Simca – la Simca 5 – et en Allemagne par Fiat-NSU. Son prix – 8 900 lires – représente tout de même vingt mois de salaire d’un ouvrier. L’histoire veut que ce soit Mussolini qui ait convoqué dès 1930 le sénateur Giovanni Agnelli pour lui demander une petite voiture populaire de moins de 5 000 lires. Hitler copiera Mussolini avec la Volkswagen.
18 06 1936
Invité par les autorités, André Gide est en URSS depuis quatre jours. Lors des funérailles de Maxime Gorki, l’écrivain officiel de l’URSS, il prononce sur la Place Rouge son éloge funèbre. À son retour, il publiera chez Gallimard Retour de l’URSS en novembre 1936, puis, en juin 1937 Retouches à mon Retour de l’URSS. La désillusion s’y révèle dévastatrice :
Oui, dictature, évidemment ; mais celle d’un homme, non plus celle des prolétaires unis, des Soviets. Il importe de ne point se leurrer, et force est de reconnaître tout net : ce n’est point là ce qu’on voulait. Un pas de plus et nous dirons même : c’est exactement ceci que l’on ne voulait pas. […] Je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fût-ce dans l’Allemagne de Hitler, l’esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif (terrorisé), plus vassalisé.
Retour de l’URSS. Gallimard novembre 1936
Du haut en bas de l’échelle sociale reformée, les mieux notés sont les plus serviles, les plus lâches, les plus inclinés, les plus vils. Tous ceux dont le front se redresse sont fauchés ou déportés l’un après l’autre. Peut-être l’armée rouge reste-t-elle un peu à l’abri ? Espérons-le ; car bientôt, de cet héroïque et admirable peuple qui méritait si bien notre amour, il ne restera plus que des bourreaux, des profiteurs et des victimes.
Retouches à mon Retour de l’URSS. Gallimard Juin 1937
28 06 1936
Louise Weiss, ardente militante de la cause féminine, emmène dix suffragettes à l’hippodrome de Longchamp ; elles parviennent à envahir l’hippodrome, interrompant le Grand Prix de Paris… les chevaux n’eurent pas droit à l’avoine des braves, mais comme un bon rire vaut un bon beefsteak, et qu’on en vit se tenir les côtes encore longtemps après l’événement… seuls les joueurs furent frustrés…
30 06 1936
L’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié se présente à la tribune de la SDN à Genève devant les représentants de 52 nations. Il doit faire face aux sifflets et insanités des provocateurs fascistes embusqués dans les tribunes. Aujourd’hui c’est nous, demain ce sera vous, prophétise-t-il.
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Je prie l’Assemblé de m’excuser si je ne m’exprime pas en français comme je l’aurais voulu ; mais je dirais mieux ma pensée, avec toute la force de mon esprit et de mon cœur en parlant en amharique.
Moi, Haïle Sélassié I°, Empereur d’Éthiopie, je suis aujourd’hui ici pour réclamer la justice, qui est due à mon peuple, et l’assistance qui lui a été promise il y a huit mois, lorsque 50 nations affirmèrent qu’une agression avait été commise en violation des traités internationaux. Il n’y a pas de précédent pour un chef d’État de parler lui-même devant cette assemblée. Mais, il est aussi sans exemple pour un peuple d’être victime d’une telle injustice et d’être à présent menacé d’abandon à son agresseur. Par ailleurs, il n’y a jamais eu auparavant un exemple de gouvernement procédant à l’extermination systématique d’un peuple par des moyens barbares, en violation des promesses les plus solennelles faites aux nations du monde, de ne point recourir à une guerre de conquête, et de ne point user du terrible poison des gaz nocifs contre des êtres humains innocents. C’est pour défendre un peuple qui lutte pour son indépendance millénaire que le chef de l’Empire d’Éthiopie est venu à Genève pour remplir ce devoir suprême, après avoir lui-même combattu à la tête de ses armés.
Je prie Dieu Tout Puissant d’épargner aux nations les terribles supplices que mon peuple vient de subir, et dont les chefs qui m’accompagnent ici ont été les témoins horrifiés. J’ai le devoir d’informer les Gouvernements assemblés à Genève, puisqu’ils sont responsables des vies de millions d’hommes, des femmes et d’enfants, du danger mortel qui les menace, en leur décrivant le sort que l’Éthiopie a souffert.
Ce n’est pas seulement aux guerriers que le Gouvernement italien a fait la guerre ; il s’est surtout attaqué aux populations éloignées des hostilités, de manière à les terroriser et les exterminer.
Au début, vers la fin de l’année 1935, l’aviation italienne a lancé des bombes à gaz lacrymogène contre mon armée. Leurs effets n’étaient que légers. Les soldats apprirent à se disperser en attendant que le vent ait rapidement dissipé les gaz toxiques. L’aviation italienne recourut alors à l’ypérite. Des fûts de liquides furent jetés sur ces groupes armés. Mais ce moyen fut également inefficace, le liquide eu des effets sur quelques soldats seulement et les barils sur le terrain étaient eux-mêmes un avertissement du péril pour les troupes et la population.
C’est au moment de l’opération pour l’encerclement de Makalé que le commandement italien, craignant une déroute suivit la procédure que j’ai aujourd’hui le devoir de dénoncer au monde. Des pulvérisateurs spéciaux furent installés à bord des avions de sorte qu’ils pouvaient vaporiser, sur des vastes régions du territoire, une pluie fine et fatale. Des groupes de 9, 15, 18 avions se suivaient les uns les autres de manière que le brouillard émis par chacun d’eux forme une nappe continue. C’est ainsi que, dès la fin du mois de Janvier 1936, des soldats, des femmes, des enfants, du bétail, des rivières, des lacs et des pâturages furent continuellement arrosés par cette pluie mortelle ; de façon à tuer systématiquement toute créature vivante et d’empoisonner les eaux et les pâturages, le commandement italien avait fait passer ses avions au-dessus de nous à maintes reprises. C’était là sa principale méthode de guerre.
La subtilité même de la barbarie consistait à entraîner dévastation et terreur dans les endroits du territoire les plus densément peuplés et les points les plus éloignés de la scène des hostilités. Le but étant de semer l’épouvante et la mort sur une grande partie du territoire éthiopien. Ces tactiques effrayantes réussirent : des hommes et des animaux succombèrent. La pluie mortelle qui tombait des avions faisait hurler, tous ceux qu’elle atteignait, emportés par la douleur. Tous ceux qui burent de l’eau empoisonnée ou mangèrent de la nourriture infectée moururent dans d’atroces souffrances. Par dizaines de milliers, les victimes du gaz ypérite italien tombèrent. C’est pour dénoncer au monde civilisé les tortures infligées au peuple éthiopien que j’ai décidé de venir à Genève. Nul autre que moi et mes braves compagnons d’armes ne pouvaient en apporter la preuve indéniable à la Société des Nations, mes délégués n’avaient pas été témoins et leurs appels restaient sans réponse. C’est pourquoi j’ai décidé de venir moi-même pour porter témoignage des crimes perpétrés contre mon peuple et donner à l’Europe un avertissement du sort qui lui est réservé, si elle devait s’incliner devant le fait accompli. Est-il nécessaire de rappeler à l’Assemblée les diverses phases du drame éthiopien? Au cours des vingt années écoulées, soit en tant qu’Héritier Présomptif, Régent de l’Empire ou Empereur, je n’ai jamais cessé de faire tout mon possible pour amener mon pays à la civilisation, et en particulier, d’établir des relations de bon voisinage avec les puissances limitrophes.
J’ai réussi notamment à conclure avec l’Italie le Traité d’Amitié de 1928, qui interdisait absolument le recours sous aucun prétexte quel qu’il soit, au poids des armes, remplaçant par la force et la tension la conciliation et la pression ainsi que l’arbitrage sur lesquels les nations civilisés ont basé l’ordre mondial.
Dans son rapport du 5 Octobre 1935, le Comité des Treize a reconnu mes efforts et les résultats que j’avais obtenus. Les gouvernements pensaient que l’entrée de l’Éthiopie dans la Société (SDN) tout en donnant à ce pays une nouvelle garantie pour le maintien de son intégrité territoriale et de son indépendance, l’aidera à atteindre un niveau supérieur de civilisation. Il ne semble pas que, dans l’Éthiopie d’aujourd’hui il y ait plus de désordre et d’insécurité qu’en 1923. Au contraire, le pays est plus uni et le pouvoir central est mieux respecté. J’aurais dû procurer encore plus de résultat à mon peuple, si des obstacles de toute nature n’avaient pas été mis en route par le gouvernement italien, le gouvernement qui a suscité la révolte et armé les rebelles. En vérité, le gouvernement de Rome, comme il l’a ouvertement proclamé aujourd’hui, n’a jamais cessé de se préparer à la conquête de l’Éthiopie. Les traités d’amitié qu’il a signé avec moi n’étaient pas sincères, leur seul but était de me cacher sa véritable intention. Le gouvernement italien affirme que pendant 14 ans, il a préparé la conquête actuelle. Par conséquent, il reconnaît aujourd’hui que lorsqu’il a soutenu l’admission de l’Éthiopie à la Société des Nations en 1923, lorsqu’il a conclu le Traité d’amitié en 1928, lorsqu’il a signé le Pacte de Paris interdisant la guerre, il trompait le monde entier. Le gouvernement éthiopien a, dans ces traités solennels, donné des garanties supplémentaires de sécurité qui lui permettraient de réaliser de nouveaux progrès sur la voie spécifique de la réforme sur laquelle il s‘est engagé, et à laquelle il consacrait toutes ses forces et tout son cœur.
L’incident de Wal-Wal, en Décembre 1934, est venu comme un coup de tonnerre pour moi. La provocation italienne était évidente et je n’ai pas hésité à faire appel à la Société des Nations. J’ai invoqué les dispositions du traité de 1928, les principes du Pacte ; j’ai demandé la procédure de conciliation et d’arbitrage. Malheureusement pour l’Éthiopie ce fut le moment où un certain gouvernement a estimé que la situation européenne faisait qu’il était impératif à tout prix d’obtenir l’amitié de l’Italie. Le prix payé était l’abandon de l’indépendance de l’Éthiopie à la cupidité du gouvernement italien. Cet accord secret, contraire aux obligations du Pacte, a exercé une grande influence sur le cours des événements. L’Éthiopie et le monde entier ont souffert et souffrent encore aujourd’hui de ses conséquences désastreuses. Cette première violation du Pacte a été suivie par beaucoup d’autres. Se sentant lui-même encouragé dans sa politique contre l’Éthiopie, le gouvernement de Rome a fait fébrilement des préparatifs de guerre, en pensant que la pression concertée qui commençait à être exercées sur le gouvernement éthiopien, ne pourrait peut-être pas vaincre la résistance de mon peuple à la domination italienne. Le moment allait venir, et c’est ainsi que toutes sortes de difficultés ont été placées sur la voie en vue de briser la procédure de conciliation et d’arbitrage. Les gouvernements ont tenté d’empêcher le gouvernement éthiopien de trouver des arbitres parmi leurs ressortissants : une fois que le tribunal arbitral a été constitué des pressions ont été exercée afin qu’une sentence favorable à l’Italie soit accordée. Tout cela en vain : les arbitres, dont deux étaient des agents italiens, ont été forcés de reconnaître à l’unanimité que, dans l’incident Wal-Wal, ainsi que lors des incidents ultérieurs, aucune responsabilité internationale ne pouvait être attribuée à l’Éthiopie.
Suite à cette attribution, le gouvernement éthiopien pensait sincèrement que l’ère des relations amicales pourraient être ouvertes avec l’Italie. J’ai loyalement offert ma main au gouvernement romain. L’Assemblée a été informée par le rapport de la commission des Treize, en date du 5 Octobre 1935, des détails des événements qui ont eu lieu après le mois de Décembre 1934, et jusqu’au 3 Octobre 1935. Il suffira que je cite quelques-unes des conclusions de ce rapport numéros 24, 25 et 26 Le mémorandum italien (contenant les plaintes formulées par l’Italie) a été mis sur la table du Conseil le 4 Septembre 1935, alors que le premier appel de l’Éthiopie au Conseil avait été fait le 14 Décembre 1934. Dans l’intervalle, le gouvernement italien s’est opposé à l’examen de la question par le Conseil au motif que la seule procédure appropriée était celle prévue dans le traité italo-éthiopien de 1928. En outre, tout au long de cette période, des troupes italiennes ont été envoyées en Afrique orientale, présentés au Conseil par le gouvernement italien comme nécessaire pour la défense de ses colonies menacées par les préparatifs de l’Éthiopie. L’Ethiopie, au contraire, a attiré l’attention sur les déclarations officielles faites en Italie qui, à son avis, ne laissait aucun doute sur les intentions hostiles du gouvernement italien.
Dès le début du conflit, le gouvernement éthiopien a demandé un règlement par des moyens pacifiques. Il a fait appel aux procédures du Pacte. Le gouvernement italien désireux de s’en tenir strictement aux procédures du traité italo-éthiopien de 1928, a reçu l’assentiment du gouvernement éthiopien. Il a invariablement déclaré qu’il exécuterait fidèlement la sentence arbitrale, même si la décision allait contre elle. Il était convenu que la question de la propriété de Wal-Wal ne devrait pas être traitée par les arbitres, parce que le gouvernement italien ne serait pas d’accord pour un tel recours. Il a demandé au Conseil l’envoi d’observateurs neutres et offerts de se prêter à toute demande de renseignements sur lesquels le Conseil pourrait décider.
Une fois que les différends de Wal-Wal ont été réglés par arbitrage, le Gouvernement Italien a présenté son mémorandum détaillé au Conseil à l’appui de sa revendication de liberté d’action. Il a affirmé qu’un cas comme celui de l’Éthiopie ne peut être réglé par les moyens prévus par le Pacte. Il a déclaré que, cette question affectant les intérêts vitaux de l’Italie, elle est d’une importance primordiale à la sécurité et à la civilisation italienne. Ce serait manquer à son devoir le plus élémentaire, que de ne pas cesser une fois pour toutes de placer quelque confiance en l’Éthiopie, en se réservant la pleine liberté d’adopter des mesures qui pourraient s’avérer nécessaires pour assurer la sécurité de ses colonies et de préserver ses propres intérêts.
Ce sont les termes du rapport du Comité des Treize, le Conseil et l’Assemblée ont adopté à l’unanimité la conclusion que le gouvernement italien était reconnu responsable d’agression. Je n’ai pas hésité à déclarer que je n’ai pas voulu la guerre, qu’elle m’a été imposée, et je lutte uniquement pour l’indépendance et l’intégrité de mon peuple, et que dans cette lutte j’étais le défenseur de la cause de tous les petits États exposés à la convoitise d’un voisin puissant. En octobre 1935, les 52 nations qui sont à mon écoute aujourd’hui, m’ont donné l’assurance que l’agresseur ne triompherait pas, que les ressources du Pacte seraient employées afin d’assurer le règne du droit et l’échec de la violence.
Je demande aux cinquante-deux nations de ne pas oublier aujourd’hui la politique sur laquelle ils se sont engagés il y a huit mois, et sur la foi de laquelle je dirigeais la résistance de mon peuple contre l’agresseur qu’ils avaient dénoncé à la face du monde. Malgré l’infériorité de mes armes, l’absence complète d’avions, d’artillerie, de munitions, de services hospitaliers, ma confiance dans la Société (SDN) était absolue. Je pensais qu’il était impossible que cinquante-deux nations, y compris les plus puissantes du monde, soient vaincues avec succès par un agresseur unique. Ayant foi en raison des traités, je n’avais effectué aucune préparation à la guerre, et c’est le cas avec certains petits pays en Europe.
Lorsque le danger est devenu plus pressant, conscient de mes responsabilités envers mon peuple, au cours des six premiers mois de 1935, j’ai essayé d’acquérir des armements. De nombreux gouvernements ont proclamé un embargo pour empêcher mon action, alors qu’au gouvernement italien par le canal de Suez, a été donné toutes les facilités pour le transport sans interruption et sans protestation, de troupes, armes et munitions.
Le 3 Octobre 1935, les troupes italiennes ont envahi mon territoire. Quelques heures plus tard seulement je décrétais la mobilisation générale. Dans mon désir de maintenir la paix j’avais, suivant l’exemple d’un grand pays en Europe à la veille de la Grande Guerre, fais retirer mes troupes de 30 km afin d’ôter tout prétexte de provocation. La guerre a ensuite eu lieu dans les conditions atroces que j’ai exposées devant l’Assemblée. Dans ce combat inégal entre un gouvernement commandant plus de quarante-deux millions d’habitants, ayant à sa disposition des moyens financiers, industriels et techniques qui lui ont permis de créer des quantités illimitées d’armes les plus mortifères, et, d’autre part, un petit peuple de douze millions d’habitants, sans armes, sans ressources n’ayant de son côté que la justice de sa propre cause et la promesse de la Société des Nations. Quelle aide réelle a été accordée à l’Éthiopie par les cinquante-deux nations qui avaient déclaré le gouvernement de Rome coupable d’une violation du Pacte et s’étaient engagées à empêcher le triomphe de l’agresseur ? Chaque État Membre, comme c’était son devoir de le faire en vertu de la signature apposée sur l’article 15 du Pacte, aurait du considérer l’agresseur comme ayant commis un acte de guerre dirigé personnellement contre lui-même. J’avais mis tous mes espoirs dans l’exécution de ces engagements. Ma confiance a été confirmée par les déclarations répétées du Conseil sur le fait que l’agression ne doit pas être récompensée, et que la force finirait par être obligé de s’incliner devant le droit.
En Décembre 1935, le Conseil a clairement indiqué que ses sentiments étaient en harmonie avec celles de centaines de millions de personnes qui, dans toutes les régions du monde, avait protesté contre la proposition visant à démembrer l’Éthiopie. Il a été constamment répété qu’il n’y avait pas seulement un conflit entre le gouvernement italien et la Ligue des Nations, et c’est pourquoi j’ai personnellement refusé toutes les propositions à mon avantage personnel qui m’ont été faite par le gouvernement italien, si seulement je trahissais mon peuple et le Pacte de la Société des Nations. J’ai défendu la cause de tous les petits peuples qui sont menacés d’agression.
Que sont devenus les promesses m’ont été faites il y a longtemps, comme en Octobre 1935 ? J’ai noté avec tristesse, mais sans surprise que les trois puissances principales considéraient leurs engagements envers le Pacte comme absolument sans valeur. Leurs liens avec l’Italie les a poussé à refuser de prendre toutes les mesures possibles pour faire cesser l’agression italienne. Au contraire, cela a été une profonde déception pour moi d’apprendre l’attitude d’un de ces gouvernements qui, tout en protestant de son attachement le plus scrupuleux au Pacte, a utilisé sans relâche tous ses efforts pour empêcher son respect. Dès qu’une mesure qui était susceptible d’être rapidement efficace était proposé, divers prétextes ont été conçus afin de reporter l’examen de la mesure en question. Les accords secrets de Janvier 1935, prévoyaient-ils cette obstruction infatigable ? Le gouvernement éthiopien n’attendait pas des autres gouvernements qu’ils viennent verser le sang de leurs soldats pour défendre le Pacte lorsque leurs intérêts personnels immédiats n’étaient pas en jeu. Les guerriers éthiopiens demandaient uniquement les moyens de se défendre. À de nombreuses reprises, j’ai demandé une aide financière pour l’achat d’armes. Cette aide m’a été constamment refusée. Qu’est donc, en pratique, le sens de l’article 16 du Pacte et la sécurité collective ?
L’utilisation par le Gouvernement éthiopien de la voie ferrée de Djibouti à Addis-Abeba a été en pratique une situation dangereuse en ce qui concerne le transport d’armes destinées aux forces éthiopiennes. À l’heure actuelle c’est le principal, sinon le seul moyen de ravitaillement des armées d’occupation italienne. Les règles de neutralité aurait dû interdire les transports destinés aux forces italiennes, mais il n’y a même pas de neutralité, depuis que l’article 16 fixe à chaque État membre de la Société le droit de ne pas rester neutre, mais de venir en aide non pas à l’agresseur, mais à la victime d’une agression. Le Pacte a t-il été respecté ? Est-il aujourd’hui respecté ?
Enfin une déclaration vient juste d’être faite dans leurs parlements par les gouvernements de certaines puissances, parmi eux les membres les plus influents de la Société des Nations, que, depuis que l’agresseur a réussi à occuper une grande partie du territoire éthiopien ils proposent de ne pas poursuivre l’application des mesures économiques et financières qui peuvent avoir été décidé à l’encontre du gouvernement italien. Ce sont les circonstances dans lesquelles, à la demande du Gouvernement argentin, l’Assemblée de la Société des Nations se réunit pour examiner la situation créée par l’agression italienne. J’affirme que le problème soumis à l’Assemblée aujourd’hui est beaucoup plus large. Ce n’est pas simplement une question de règlement de l’agression italienne.
Il en est de la sécurité collective: c’est l’existence même de la Société des Nations. C’est la confiance que chaque État place dans les traités internationaux. C’est la valeur des promesses faites aux petits États que leur intégrité et leur indépendance doit être respecté et garanti. C’est le principe de l’égalité des États d’une part, ou l’obligation qui incombe aux petites puissances d’accepter les liens de vassalité. En un mot, c’est la morale internationale qui est en jeu. Les signatures apposées sur un traité ont-elles de la valeur que dans la mesure où les Puissances signataires ont un intérêt personnel, direct et immédiat en cause ? Aucune subtilité ne peut changer le problème ou modifier la base de la discussion. C’est en toute sincérité que je soumets ces considérations à l’Assemblée. Au moment où mon peuple est menacé d’extermination, lorsque le soutien de la Ligue peut parer le coup final, qu’il me soit permis de parler avec une entière franchise, sans réticence, en toute franchise comme cela est exigé par la règle de l’égalité entre tous les États Membres de la Ligue ?
Outre le Royaume du Seigneur, il n’est pas sur cette terre une nation qui soit supérieure à une autre. S’il arrive qu’un gouvernement fort estime qu’il peut impunément détruire un peuple faible, alors que l’heure sonne pour que les gens faibles de faire appel à la Société des Nations pour rendre son jugement en toute liberté. Dieu et l’histoire se souviendront de votre jugement.
J’ai entendu affirmer que les sanctions insuffisantes déjà appliquées n’ont pas atteint leur but. À aucun moment, et en aucun cas des sanctions intentionnellement insuffisantes, intentionnellement mal appliquées, ne pourraient arrêter un agresseur. Il ne s’agit pas d’impossibilité physique d’arrêter l’agresseur, mais du refus de le faire. Lorsque l’Éthiopie a demandé, et demande à recevoir une aide financière, la mesure était impossible à appliquer alors que l’aide financière de la Société a été accordée, même en temps de paix, à deux pays et précisément à deux pays qui ont refusé d’appliquer des sanctions contre l’agresseur ? Face à de nombreuses violations par le gouvernement italien de tous les traités internationaux qui interdisent le recours aux armes, et l’utilisation de méthode de guerre barbare, il est de mon pénible devoir de constater qu’aucune initiative n’a été prise aujourd’hui pour augmenter les sanctions. Est ce que cela ne signifie pas de fait l’abandon de l’Éthiopie à l’agresseur? À la veille même du jour où je m’apprêtais à tenter un effort suprême pour la défense de mon peuple devant cette Assemblée, n’est ce pas priver l’Éthiopie d’une de ses dernières chances de réussir à obtenir le soutien et la garantie des États membres ? Qu’est-ce que la direction de la Société des Nations et de chacun des États Membres est en droit d’attendre des grandes puissances quand ils font valoir leur droit et leur devoir de guider l’action de la Ligue ? Placé par l’agresseur face au fait accompli, les États sont-ils en train de mettre en place le précédent terrible de s’incliner devant la force ?
Votre Assemblée aura sans doute prévu auparavant des propositions pour la réforme du Pacte, pour rendre plus effective la garantie de la sécurité collective. Est-ce que le Pacte a besoin de réformes ? Quelles entreprises peuvent avoir de la valeur si la volonté de les maintenir manque ? C’est la morale internationale qui est en jeu et non les Articles du Pacte. Au nom du peuple éthiopien, membre de la Société des Nations, je demande à l’Assemblée de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le respect du Pacte. Je renouvelle ma protestation contre les violations des traités dont le peuple éthiopien a été la victime. Je déclare dans la face du monde entier que l’Empereur, le gouvernement et le peuple de l’Éthiopie ne veulent pas plier devant la force ; qu’ils maintiennent leurs revendications, qu’ils vont utiliser tous les moyens en leur pouvoir pour assurer le triomphe du droit et le respect du Pacte.
Je demande aux cinquante-deux nations, qui ont donné au peuple éthiopien leur promesse de les aider dans leur résistance à l’agresseur, ce qu’elles sont prêtes à faire pour l’Éthiopie ? Et les grandes puissances qui ont promis la garantie de la sécurité collective pour les petits États sur lesquels pèse la menace qu’ils pourraient un jour subir le sort de l’Éthiopie, je demande quelles mesures comptez-vous prendre ?
Représentants du monde, je suis venu à Genève pour m’acquitter au milieu de vous du plus pénible des devoirs d’un chef d’État. Quelle réponse dois-je ramener à mon peuple ?
Haïlé Sélassié I°, empereur d’Ethiopie
Il a attendu longtemps de pouvoir prononcer ces mots. Lorsqu’il est entré dans la grande salle du siège de la Société des Nations, sur les bords du lac de Genève, il a pensé que l’instant serait solennel et il s’y était préparé, mais il a été accueilli par des sifflets. Des Italiens lui ont crié qu’il était un singe, que l’Italie ne pouvait pas décemment siéger dans une assemblée qui accueillait de tels pays. Ils ont fait du bruit. Ils ont ri, fait des grimaces, l’ont injurié. Ils étaient quatre ou cinq, dans le carré réservé aux journalistes. Il a serré les dents, attendant patiemment que le service d’ordre intervienne, que l’on évacue ces activistes fascistes. Mais cela a été long. La défaite. Jusqu’au bout. Et l’humiliation qui va avec. Ils ne lui laisseront rien : ni la solennité, ni même le silence. Il s’est concentré sur les souvenirs de son pays pour rester impassible. Là, debout à la tribune de la Société des nations, devant la planète entière, humilié comme un vulgaire homme politique que l’on prendrait à partie sur les marchés. Il est un roi déchu, en exil. La Suisse elle-même, ne l’a autorisé à se rendre à Genève aujourd’hui qu’après qu’il a promis qu’il n’avait pas l’intention de rester sur le territoire helvétique. Il retournera à Bath dès que son discours sera terminé. À Fairfield House, un peu à l’extérieur de la ville, dans cette maison qui domine la route et qui est si humide que l’impératrice garde toute la journée, un châle sur les épaules. Et bientôt l’automne viendra, puis l’hiver. Il faudra tenir, loin de son pays. Le reverra-t-il jamais ? Il se concentre sur les souvenirs de la bataille de Maichew pour rester chargé de la colère dont il a besoin. Négrillon ! Les journalistes continuent à l’insulter. Des policiers sont là pour les ceinturer et les expulser mais ils ne se laissent pas faire et plus ils sentent qu’ils seront bientôt mis dehors, plus ils redoublent d’intensité dans leurs insultes. Lui reste droit, impassible. Il ne se départira jamais de ce calme étonnant, jusqu’à la fin de ses jours, jusque dans les turbulences des coups d’État : le calme pour ne rien offrir à l’ennemi. Il les regarde, ces quatre ou cinq journalistes, laids comme la lâcheté du plus fort. Ont-ils la moindre idée de ce qui s’est passé à Maichew ? Du courage dont ont fait preuve les Éthiopiens ? Auraient-ils tenu cinq minutes, eux, sous la mitraille, ces porcs qui font maintenant des gestes ridicules pour mieux le singer ? On lui crache au visage. Mussolini lui a envoyé ces perturbateurs pour que même la solennité lui soit enlevée. Soit. Il endurera. Il repense aux villages que l’aviation italienne a massacrés en faisant pleuvoir dessus les gaz contre lesquels on ne peut rien, il repense à la panique de ses guerriers qui comprennent que leur bravoure sera inutile ; que l’ennemi n’a même plus besoin de se montrer et qu’ils vont bientôt mourir là, sur ce champ de bataille, sans gloire, avec la laideur des combats perdus d’avance. Il repense aux cadavres gonflés comme des ballons d’hélium, aux visages défigurés de tous ceux qui ont été gazés. Il repense à tout cela et il se sent chargé de rage. De plus en plus calme. De plus en plus froid, mais il pourrait caser son pupitre en deux. Tous ceux qui l’observent aujourd’hui, ces cinquante pays-là, ceux qui rigolent du cirque des journalistes italiens ou ceux qui trouvent cela scandaleux, tous représentent des pays qui ont laissé mourir l’Éthiopie. Ils ont vendu leur âme pour acheter la paix. Et ils n’ont pas envie d’entendre ce qu’il est venu dire parce qu’ils savent que ce sera comme un reproche. Cela fait un mois seulement qu’il s’est battu à Maichew. Un mois qu’il tenait une mitrailleuse dans un indescriptible chaos de feu, de gaz et de rafales, et il est là, aujourd’hui, attendant sans bouger que les autre porcs sortent enfin et que le silence revienne, et alors seulement, en regardant bien en face tous ces pays qui se sont pas ses amis, qui applaudiront par politesse mais le laisseront retourner à l’humidité de Bath sans rien faire, alors seulement, il parle et prononce ces mots qu’il attend de pouvoir dire depuis si longtemps : Moi, Haïlé Délassié, premier empereur d’Éthiopie, je suis ici aujourd’hui pour réclamer la justice qui est due à mon peuple…
Laurent Gaudé. Écoutez nos défaites. Actes Sud 2016
5 07 1936
Hitler tient un meeting à Weimar devant 50 000 personnes. Parmi les spectateurs, un jeune suédois de 18 ans, Ingmar Bergman, fasciné comme l’immense majorité des spectateurs. Il est en séjour, dans le cadre d’échanges culturels, dans une famille protestante d’Haina, ville de Thuringe : le père est pasteur et toute la famille acquise au national-socialisme. Ingmar a un frère qui adhère au parti nazi suédois. Sans en avoir jamais été membre, lui-même restera tout de même chloroformé par le nazisme jusqu’en 1946, quand les premiers images et films de la libération des camps de concentration lui ouvriront, non sans peine, les yeux : Quand les portes des camps de concentration se sont ouvertes, je n’ai d’abord pas voulu croire à ce que je voyais. Je pensais que c’était de la propagande alliée. Quand la vérité devint évidente, ce fut un choc terrible. D’une façon brutale, j’ai été d’un coup tiré de mon innocence.
13 07 1936
En Espagne, en représailles au meurtre d’un lieutenant des gardes d’assaut, le député monarchiste Calvo Sotelo, est assassiné.
16 07 1936
Les Allemands préparent les Jeux Olympiques de Berlin, qui débuteront dans quinze jours : quelques 800 Tsiganes résidant à Berlin et dans les environs sont arrêtés et internés sous surveillance policière dans un camp de la banlieue, à Marzahn. La plupart des touristes ignoraient bien sur tout de cette rafle, ignoraient aussi que le régime nazi avait provisoirement enlevé les panneaux antisémites, ignoraient encore que les autorités nazies avaient ordonné qu’on leur évite de tomber sous le coup des poursuites pénales prévues par les lois anti-homosexuels.
17 07 1936
En poste aux Canaries, Franco a rejoint le Maroc, et débarque en Espagne. Une partie de l’armée se soulève dès le lendemain, mais ce sont encore 55 % des effectifs de l’armée qui restent loyales au gouvernement, faisant échouer l’insurrection à Madrid, Valence et Barcelone.
Millán Astray, l’un des fondateurs de la Légion étrangère, chantera les regulares maures : autant la propagande de l’autre camp donne parfois des frissons dans le dos, autant celle-là provoque le rire : Les vaillants Maures qui, hier encore, détruisaient mon corps, méritent aujourd’hui la gratitude de mon âme car ils se battent pour l’Espagne contre les Espagnols […] je veux dire les mauvais Espagnols […] car ils donnent leur vie pour la défense de la religion sacrée de l’Espagne, comme le prouve leur présence à la messe de l’armée en campagne, escortant le Caudillo et épinglant des médailles et des sacrés cœurs sur leur burnous.
Les anarchistes de Catalogne se livrent aussitôt à un massacre sur les prêtres et religieuses : on exhume des cadavres de religieuses pour les exposer à la foule.
Deux anarchistes me racontèrent une fois comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres ; on tua l’un sur place, en présence de l’autre, d’un coup de revolver, puis on dit à l’autre qu’il pouvait s’en aller. Quand il fut à vingt pas, on l’abattit. Celui qui me racontait l’histoire était très étonné de ne pas me voir rire.
Simone Weil. Lettre à Georges Bernanos
19 07 1936
L’Espagne du Frente popular inaugure des Contre jeux olympiques populaires à Barcelone, en opposition à ceux qui sont programmés onze jours plus tard à Berlin. Leur durée de vie va être bien courte : leur annulation interviendra quatre jours plus tard. Bon nombre d’athlètes présents resteront sur place et formeront, deux mois plus tard, les premiers éléments des Brigades internationales : le bataillon Thälmann. En France, seul Pierre Mendès France s’était opposé à la participation française aux Jeux de Berlin.
Les Brigades internationales compteront jusqu’à 35 000 volontaires venus de plus de 50 pays : 10 577 Français, 5 000 Allemands ou Autrichiens, 3 350 Italiens, 2 800 Américains et 2 000 Britanniques ; mais, en tenant compte des départs/arrivées, il n’y aura jamais plus de 15 000 hommes simultanément sur le sol espagnol.
À Barcelone, création du Comité central des milices antifascistes (CNT, UGT, anarchistes et communistes) qui supplantent les forces régulières.
Du balcon du ministère de l’Intérieur, à Madrid, Dolores Ibárurri, [qui s’était inventé dans les années 1920 le pseudonyme de Pasionaria, simplement parce que son premier texte avait été publié pendant la semaine de la Passion] lance sur les ondes : Face au soulèvement militaire fasciste, tous debout ! Défendons la République ! Défendons les libertés populaires et les conquêtes démocratiques du peuple ! […] Tout le pays vibre d’indignation devant ces misérables qui veulent plonger l’Espagne démocratique et populaire dans un enfer de terreur et de mort. Mais ils ne passeront pas ! L’Espagne entière s’apprête au combat. […]
Le Parti communiste vous appelle au combat. Il appelle tout spécialement les ouvriers, les paysans, les intellectuels, à occuper un poste de combat pour écraser définitivement les ennemis de la république et des libertés populaires. Vive le front populaire ! Vive l’Union des tous les antifascistes ! Vive la république du peuple ! Les fascistes de passeront pas ! Ils ne passeront pas !
Le désormais célèbre No pasaran était la même chose que le ils ne passeront pas du général Pétain à Verdun en février 1916… on peut appeler cela l’Union sacrée passant à l’international ! Mais elle n’était pas seule à être mère courage : il en fallait aussi à Federica Montseny, première femme ministre en Europe occidentale avec le maroquin de la Santé et de l’Assistance sociale, qu’elle occupera jusqu’en 1937.
Le 22 juillet, Franco répond à un journaliste :
Êtes-vous prêt à tuer la moitié des Espagnols pour assurer la victoire de votre camp ?
J’ai dit : quel que soit le prix à payer.[2]
La radio lance de véritables appels au meurtre, le général Molla érige la terreur en système.
Là bas, on fusille comme on déboise
Saint Exupéry
Dans une guerre civile, même la victoire est une défaite.
Lucain, La Pharsale, 60 ap. J.C., poème épique sur la guerre entre César et Pompée.
André Malraux n’a pas perdu de temps pour venir aux cotés des Républicains : aviateur comme Lénine était social-démocrate, cela ne l’empêcha pas d’être parachuté colonel d’aviation, à la tête de l’escadrille España, composée de coucous souffreteux qui passèrent beaucoup plus de temps au sol que dans les airs, arrachant aux Républicains des salaires plus que confortables pour ses aviateurs. Les nationalistes insurgés peuvent compter sur 130 000 officiers et soldats, dont de nombreux Marocains. Les républicains disposent d’un effectif théorique de 90 000 hommes (dont 33 000 hommes des forces paramilitaires de sécurité qui ne sont pas vraiment des soldats). Mais, pour parer au coup d’État, le gouvernement avait relevé les soldats de leur devoir d’obéissance envers leurs officiers, et donc, les dits soldats allèrent se mêler aux ouvriers et paysans pour s’armer directement en pillant les casernes ! Quand l’inconscience et une sidérante naïveté tiennent lieu de stratégie !
Le premier atout des Républicains, c’est de détenir le quatrième stock d’or du monde [3], – 635 tonnes -. En fait le joli magot va fondre comme neige au soleil : 125 tonnes [environ 130 millions $] vont partir en France, en règlement de fournitures d’armes et, le 15 septembre 1936, 10 000 caisses d’or, [510 tonnes, 518 millions $] quittent la gare d’Atocha : 2 200 caisses partent pour Marseille et 7 800 autres pour Odessa. Durant l’année 1937, c’est encore 256 millions $ qui partiront dans les coffres de l’Eurobank à Paris, à même d’opérer des transferts pour Moscou. Staline avait fait sa chattemite : la meilleure sécurité pour votre or, c’est de nous l’envoyer à Moscou ! Les Russes au final, en tripatouillant sans complexe les taux de change, finiront par dire aux Républicains Espagnols qu’ils leur ont fourni des armes pour 100 millions $ de plus que ce qu’ils ont reçu ! On verra aussi les Allemands fournir des armes aux Républicains ! mais c’était en fait en marge du régime nazi et l’argent allait dans les seules poches d’Hermann Goering, et auparavant dans celles des exécutants, des trafiquants d’armes grecs. Mais la République a aussi les grandes villes avec ses industries et main d’œuvre, les zones minières, l’essentiel de la marine de guerre et marchande, les deux tiers du territoire métropolitain ; l’exportation des agrumes de Valence représente la première source de devises étrangères du pays.
De l’autre coté, les nationalistes vont bénéficier d’aides nombreuses et très diverses : Juan March, un ancien contrebandier, leur donna 15 millions de livres sterling, le roi Alphonse XIII piocha dans sa cassette : 10 millions $, bien des capitaux partis dans les premiers mois de l’année revinrent au bénéfice des nationalistes, on collecta aussi de façon bien persuasive les alliances en or auprès des citoyens dans la zone conquise. Les riches, nouveaux comme anciens et principalement des américains, ouvriront aussi leur porte monnaie, prêts à financer quiconque s’oppose à la bolchevisation de l’Europe : Franco reçut 3 500 000 tonnes de pétrole à crédit pendant la guerre, plus du double des importations républicaines, 5 pétroliers de la Texas Oil Company furent détournés sur ordre de leur patron sur Téneriffe où il y avait une raffinerie. La Standard Oil of New Jersey fit de même à moindre échelle. Ford, Studebaker, General Motors fournirent 12 000 camions aux nationalistes, Dupont de Nemours, 40 000 bombes, qui passèrent par l’Allemagne – oui, par l’Allemagne ! – pour contourner l’acte de neutralité. En 1945, José María Doussinague, sous-secrétaire au ministères des Affaires étrangères espagnoles, admettra que sans le pétrole, les camions et les crédits américains, nous n’aurions jamais pu gagner la guerre civile. Joseph Kennedy, père de John, Edward, Robert, Joseph, à la tête des catholiques, avait été le plus acharné partisan d’une aide aux nationalistes.
Le 9 janvier 1937 Manuel de Irujo Ollo dirigeant basque, qui travailla avec Francisco Largo Caballero et Juan Negrîn, énoncera les faits concernant l’Église dans un mémorandum lu à Valence :
La situation de fait de l’Église, depuis le mois de juillet dernier, sur tout le territoire loyal, sauf le basque, est la suivante :
24 07 1936
Formée à Barcelone la colonne Durruti, se met en route pour l’Aragon :
Et au milieu de ce vacarme, une voiture de la poste klaxonnait pour attirer les regards, afin qu’on sache qu’elle se rendrait tous les jours au front pour acheminer les lettres adressées aux êtres chers, sans oublier le paquet de tabac en prime, il ne manquerait plus que ça. Et plusieurs mètres derrière, un autre autobus reconverti en bibliothèque roulante, afin que les citoyens en lutte puissent lire au front. Vous imaginez ça, vous ? Mais aucune invention ne causa autant d’admiration qu’une voiture avec une remorque qui, vérité ou mensonge, se disait être le cinématographe du Front. Ainsi, après les actualités truffées de républicanismes enflammés, les miliciens pouvaient voir le film qu’on venait de tourner aux États-Unis, avec Jeannette MacDonald gesticulant et chantonnant sur les lèvres de son amoureux, tandis qu’en arrière plan, une ville lointaine vacillait sous l’effet d’un tremblement de terre bien plus différent de ceux que nous connaissons chez nous.
Et quand l’émotion sembla à son comble, une acclamation monta spontanément et s’imposa à chacun : c’était Durruti qui arrivait. Cérémonieux, austère, simple, il apparut avec son visage peu avenant et anguleux qui provoquait une certaine peur, mais inspirait aussi une grande confiance, et je me demandais bien pourquoi.
Ah mon Dieu, cette colonne n’en finissait pas de démarrer. Aujourd’hui, on aurait dit qu’elle rencontrait des problèmes de logistique. Mais comment voulez-vous que cette bande d’acrates, [L’acratie est l’absence de caractère, de détermination pour réaliser une action qu’un individu sait indispensable dans une situation donnée] tant par le cœur que dans les actes, puisse entamer une marche pseudo-militaire ? Certains disaient qu’ils étaient quatre mille, d’autres prétendaient être plus de sept mille, commandés par des responsables de la CNT, épaulés la plupart du temps par un officier fidèle à la République. L’officier savait parfaitement que le chef anarchiste ne possédait aucune expérience dans le commandement militaire, mais il savait également que les miliciens n’obéiraient qu’à lui.
Luís Llach. Les yeux fardés Actes Sud 2015
25 07 1936
Johannes Bernhardt, allemand émigré en Espagne, puis au Maroc, à Tétouan, membre du parti nazi qu’il représente, se trouve aux premières loges pour assister au soulèvement de l’armée espagnole. Il fonctionne au culot et prends, contact le premier, – il n’est pas le seul immigré allemand – avec les putschistes pour les mettre en contact avec les autorités allemandes : il parvient à décrocher un entretien avec Franco le 23 juillet, quand celui-ci n’est encore que l’adjoint du général Mola, et parvient aussi à trouver un avion de la Lufthansa pour l’emmener à Berlin et de là en train à Munich, puis Bayreuth où Hitler se trouve sous le charme de Wagner. Il est muni d’un courrier du général Francisco Franco :
Excellence ,
Notre mouvement national et militaire a pour objectif le combat contre la démocratie corrompue de notre pays et contre les forces destructives du communisme, organisées sous le commandement de la Russie.
Je me permets d’adresser à V.E. cette lettre, qui lui sera remise par deux messieurs allemands, qui vivent avec nous les tragiques événements actuels.
Tous les bons Espagnols ont fermement décidé d’entreprendre ce grand combat, pour le bien de l’Espagne et de l’Europe.
Nous rencontrons de grandes difficultés pour acheminer rapidement vers la péninsule nos valeureuses forces militaires du Maroc, faute de la loyauté de la marine de guerre espagnole.
En tant que chef suprême de ces forces, je demande à V. E. de me fournir les moyens de transport suivants :
10 avions de transport de la plus grosse capacité possible ; je sollicite par ailleurs :
20 pièces antiaériennes de 20 mm.
6 avions de chasse Heinkel.
Le plus grand nombre de mitrailleuses et de fusils avec des munitions en abondance.
Et aussi des bombes aériennes de plusieurs sortes, jusqu’à 500 kg.
Excellence,
Tout au long de son histoire, l’Espagne a toujours respecté ses engagements.
Le lendemain Hitler donnera ordre d’envoyer à Franco, non pas dix, mais vingt avions de transport avec leurs équipages au complet, et tout le matériel de guerre qu’ils peuvent contenir. Du 29 juillet au 5 août, un pont aérien, composé pour l’essentiel des 20 Junker 52 allemands, amène 15 000 hommes du Maroc en Espagne et le 5 août, un convoi sous la protection de 2 cuirassés de poche allemands débarque entre 2 500 et 3 000 hommes en Andalousie.
Antoni Campañà, photographe catalan, immortalise une jeune milicienne anarchiste au croisement de la Rambla et de la rue de l’Hôpital à Barcelone, le 25 juillet 1936. Elle va devenir l’emblème des anarchistes. Jusqu’à sa mort, en 1989, Antoni Campañà se refusera à publier ces photos – plus de 5 000 – trop d’horreurs, trop de haine – jusqu’à ce que Toni Monné, son petit fils, les retrouve en 2018, dans deux boites de carton rouge au fond d’un garage. Elle sont alors exposées au MNAC – Musée National d’Art de Catalogne – de Barcelone où Liliane et François Gomez, qui vivent à Sérignan dans l’Hérault, découvrent les photos de leur tante Anita de Béziers, qui ne leur avait jamais parlé de sa guerre. Ils demandent le livre d’or au gardien, qui appelle Toni Monné : rencontre du petit fils de l’auteur de la photo et des neveu et nièce du modèle ; un instant que l’on n’oublie pas.
07 1936
Une expédition française dans la chaîne du Karakoram connaît l’échec dans sa tentative sur le Gasherbrum I – Hidden Peak – 8 086 m : Pierre Allain et Jean Leininger doivent s’arrêter à 6 850 m. et redescendre en raison d’une mousson prématurée.
C’était, depuis l’expédition de Jacquemart en 1830, la première expédition française qui se lançait à son tour, après tant de tentatives d’alpinistes anglais, américains, italiens, allemands, suisses et hollandais, à la conquête de la plus haute chaîne du monde.
Pierre Leprohon. Le Cinéma et la montagne, éditions Jean Susse, Paris, 1944, page 108.
Dirigée par Henry de Ségogne, [haut fonctionnaire] l’expédition française comprenait Pierre Allain, Jean Carle, Jean Charignon, Jean Deudon, Marcel Ichac (cinéaste), Jean Leininger, Louis Neltner, Jean Arlaud, Jacques Azémar. L’objectif : conquérir l’un des 14 sommets de 8 000 m du globe. Cette expédition est relatée dans le film Karakoram de Marcel Ichac
Samivel aurait du en être, mais l’argent l’en a écarté : il s’en ouvre à son amie Claire-Eliane Engel, journaliste et écrivain de montagne très connu :
Saint Paul 23 Février
Chère amie,
Nous allons demain dans le Queyras, puis à Montgenèvre et enfin â Sestrières faire une dizaine de jours de ski. Voilà deux mois que je n’ai pas quitté mon bureau et je serai heureux de retrouver la neige.
Bon voyage pour vous à Londres. On vous y questionnera probablement sur l’expédition de l’Himalaya. Que comptez-vous dire? Car vous savez que ça devient scandaleux, le mot n’est pas trop fort.
De Ségogne emmène en effet (à ma place) son beau frère [Jacques Azémar] qui n’a jamais mis les pieds en montagne et qui est chargé de la T.S.F dont il n’avait jamais entendu parler il y a trois semaines. Seulement ce monsieur donne 35 000 francs : et voilà.
À la place d’Armand Charlet [guide de Chamonix], on emmène : … Deudon [président du club de spéléologie […]
Samivel
À Lille, le Tour de France patauge dans l’eau :
1 08 1936
Léon Blum accorde 14 milliards de francs au budget de la défense pour le réarmement quand les militaires ne lui en demandaient que 9. Il adhère au pacte international de non intervention en Espagne ; en fait l’Allemagne et l’Italie soutiennent déjà Franco, d’abord en appui aérien, puis en hommes au sol : 19 000 Allemands, 73 000 Italiens, 10 000 Portugais, et 700 Irlandais de l’ultra-catholique général O’Duffy.
Ouverture à Berlin des XI° Jeux Olympiques : la délégation française, béret basque sur le chef, adresse à Hitler le salut dit de Joinville, qui a le tort de ressembler comme un frère au salut nazi, ce qui la fera ovationner par les 100 000 spectateurs présents. Mais lors d’une cérémonie pour les seuls nageurs, Alfred Nacache, plutôt que de faire le salut, baissera ostensiblement la tête. C’est Goebbels qui a soufflé aux oreilles d’Hitler l’invention du parcours de la flamme olympique depuis la Grèce, suggérant ainsi la filiation entre la Grèce antique et l’Allemagne aryenne. Il a choisi comme dernier porteur pour allumer la vasque du stade de Berlin Fritz Schilgen, un athlète aux performances de second rang mais qui présente l’avantage d’être beau, blond, les yeux bleus…. bel exemple de la race aryenne. Le vieux baron Pierre de Coubertin rend un hommage appuyé à l’Allemagne nazie, et là, il ne s’agit pas d’une méprise. Il déclarera dans L’Auto quelques mois plus tard : La grandiose réussite des Jeux de Berlin a magnifiquement servi l’idéal olympique.[…] La glorification du régime nazi a été le choc émotionnel qui a permis le développement immense qu’ils ont connu.
Autre discours d’une célébrité : Sven Hedin, suédois de 71 ans, ancien élève de l’illustre géographe allemand Ferdinand von Richthofen, explorateur audacieux dès la fin du XIX° siècle, géographe, topographe, photographe : il a cartographié avec fiabilité le Pamir, le désert de Taklamakan, le Tibet, sans jamais être parvenu à entrer à Lhassa, en dépit de plusieurs tentatives. Il ne cessera de soutenir le régime nazi tout en intervenant à de nombreuses reprises pour obtenir des diminutions de peines de juifs déportés, quand ce n’est une libération.
Et bien sûr, au premier plan du programme des festivités, l’hymne national allemand : Deutschland über alles. À côté de notre sanglante Marseillaise, à l’histoire finalement plutôt simple, l’histoire de cette hymne allemand est d’une incroyable complexité, à l’origine de quelques gaffes de taille jusque dans les années 2010. L’affaire se jouera en 1952 entre le chancelier Konrad Adenauer, conservateur, fidèle aux traditions, et le président fédéral Theodor Heuss, démocrate, partisan d’effacer les traces honteuses du passé ; c’est Konrad Adenauer qui l’emporta, en conservant donc les faux pas et risques que son maintien entraînait. Pour ce qui est de la mélodie composée en 1791, il faut mettre hors de cause l’autrichien Joseph Haydn, mort en 1809.
Pour le reste, nous nous contenterons de citer in extenso le très bon article de Wikipedia.
Das Deutschlandlied – Le Chant de l’Allemagne – ou Das Lied der Deutschen – Le Chant des Allemands – est un chant dont le troisième couplet a été l’hymne national de la République fédérale Allemande, avant de devenir depuis 1990 celui de l’Allemagne réunifiée. Les paroles en ont été composées par l’écrivain August Heinrich Hoffmann von Fallersleben en 1840 sur l’île de Heligoland, sur la partition d’un quatuor à cordes de Joseph Haydn datant de 1791. Les trois couplets ont constitué l’hymne national de la République de Weimar de 1922 à 1933. Seul le premier couplet était chanté sous l’Allemagne nazie.
La mélodie pourrait être d’origine croate : les premières mesures sont assez semblables au début du chant populaire de Croatie Jutro Rano Ja Se Stanem. Elle a été adaptée par le compositeur autrichien Joseph Haydn en 1791 comme chant d’anniversaire pour l’empereur François II du Saint Empire. Le titre est alors Gott erhalte Franz den Kaiser – Dieu sauve l’empereur François –, fondé sur le modèle de Dieu sauve le Roi/la Reine ou God save the Queen/the King. Lorsque François II devient en 1804 l’empereur François I° d’Autriche, le chant est adopté comme hymne impérial de l’Empire autrichien avec les paroles Gott erhalte, Gott beschütze/ unsern Kaiser, unser Land […] – Dieu conserve, Dieu protège/notre Empereur, notre pays […].
Il est le plus souvent connu aujourd’hui comme Chant des Allemands dans sa version de 1841, surtout pour la première ligne de son premier couplet, Deutschland, Deutschland über alles. Cependant, le troisième couplet a été défini en 1952 comme l’hymne national allemand par un échange de courriers entre le chancelier Konrad Adenauer et le président fédéral Theodor Heuss.
Le XIX° siècle marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Europe à travers le développement de l’industrialisation, l’éclosion des nationalismes et l’aspiration des peuples à plus de liberté. Sur les cendres du Saint-Empire romain germanique aboli par Napoléon en 1804, l’Allemagne est divisée. Son territoire est morcelé en une multitude d’États rivaux, royaumes et principautés jaloux de leurs privilèges. Les Allemands, vaincus puis vainqueurs en 1815, ont été humiliés par la domination française. Afin de retrouver une unité et une fierté, les penseurs germaniques mettent alors en avant la seule chose susceptible à leurs yeux de pouvoir réunir à nouveau tous les Allemands, la culture. L’exaltation du rôle historique de l’espace germanique et de ses valeurs traditionnelles se fond dans le mouvement nationaliste naissant. Dans les rues et sur le papier on se bat pour l’unité et la liberté de la patrie allemande – Einigkeit und Freiheit für das Deutsche Vaterland –. Le professeur August Heinrich Hoffmann von Fallesleben participe à ce mouvement, mais il est exilé par le royaume de Prusse conservateur qui juge ses idées politiques dangereuses. C’est durant cette période, en 1841, qu’il compose le Deutschlandlied, pour exprimer son désir d’une Allemagne forte et unie, mais aussi plus libérale.
Les mots Deutschland, Deutschland über alles, über alles in der Welt doivent dans ce contexte être compris comme un appel aux souverains allemands à mettre de côté leurs querelles et à concentrer leurs efforts sur la réunification de l’Allemagne. En allemand standard, über alles signifie par-dessus tout dans le sens de priorité et non de primauté ou supériorité, ce qui serait über allem. De plus, à l’époque de Fallersleben, ce texte avait une connotation politique libérale, car l’aspiration à une Allemagne unie allait souvent de pair avec la réclamation de plus de libertés, comme la liberté d’expression, la liberté de la presse et autres Droits de l’homme.
Ainsi, les frontières de la patrie allemande que décrivent le premier couplet ne doivent nullement être considérées comme frontières politiques, mais marquent les limites de la langue et de la civilisation allemandes de l’époque. Cependant la volonté des premiers nationalistes de réunir dans un même État tous les citoyens allemands (de culture allemande) fournira un modèle et un objectif aux pangermanistes du siècle suivant, le Groβdeutschland.
Le thème du Deutschlandlied apparaît à plusieurs reprises dans la Symphonie triomphale que Bedŕich Smetana a composée à l’occasion du mariage en 1854 de l’empereur François Joseph I° d’Autriche avec Élisabeth de Wittelsbach. Cette inclusion de l’hymne impérial dans l’œuvre d’un compositeur tchèque, évocation qui ne manquait pas d’intention politique, sera diversement appréciée selon les époques.
Trente ans plus tard, en 1871, le chancelier Bismarck réalise le rêve d’unification allemande sous l’égide autoritaire de la Prusse et crée le II° Reich. Les nécessités de la Realpolitik ont exclu de facto l’Autriche du nouvel État.
À la suite de la défaite allemande clôturant la Première Guerre mondiale, un nouveau régime plus démocratique succède à l’Empire. La République de Weimar, d’orientation sociale et libérale, fait l’expérience de la démocratie et accorde de nouveaux droits politiques et sociaux, accomplissant enfin le double souhait de Fallersleben. Les trois couplets du Deutschlandlied deviennent l’hymne national officiel en 1922. Cependant, le traité de Versailles a laissé un goût amer chez les vaincus. Dans les années suivantes se développe un sentiment d’injustice qui se transforme rapidement en désir de revanche, renforcé par la crise économiques des années trente. Le premier couplet est alors récupéré et utilisé par des partis nationalistes tel que le NSDAP et réajusté pour s’accorder avec leurs idéologies.
Ainsi Deutschland, Deutschland über alles est réinterprété par les nationaux-socialistes comme L’Allemagne doit dominer le monde, et l’idée d’une patrie unifiée pour tous les Allemands devient un dogme Heim ins Reich – retour [de territoires] au Reich –. L’idéologie nazie se réapproprie les aspirations pangermanistes dans leur forme la plus extrême pour justifier sa politique expansionniste et ses actes criminels. Sous le régime nazi, à l’occasion des cérémonies officielles, le premier couplet du Deutschlandlied est donc utilisé pour précéder le Horst Wessel Lied, hymne de la SA, ce qui n’en fait toutefois pas un hymne nazi au sens strict du terme.
Après la chute du III° Reich, l’Allemagne est occupée par les puissances alliées et n’existe plus en tant qu’État. Soviétiques à l’Est et Occidentaux à l’Ouest se partagent et occupent ses dépouilles. Les symboles nationaux allemands, hymne et drapeau, sont retirés. Pourtant les impératifs géopolitiques nés de la Guerre froide reprennent bientôt le dessus. L’affrontement Est-Ouest exige que les Allemands reprennent leur destin en main et assurent eux-mêmes leur défense. En 1949 est créée la RFA en zone occidentale, puis la RDA en zone soviétique, selon deux modèles diamétralement opposés. La question de la dénazification se pose alors avec une acuité particulière.
En Allemagne de l’Ouest, alors que se reconstruit une nouvelle nation démocratique, toutes les connotations pangermanistes qui collent désormais au Deutschlandlied interdisent de continuer à utiliser les couplets nationalistes de l’ancien hymne. L’évocation de frontières orientales qui ne sont plus de fait celles de l’Allemagne peut aussi faire apparaître la première strophe comme revancharde et cela même si la ligne Oder Neisse ne deviendra la frontière officielle de l’Allemagne qu’en 1989. Les territoires orientaux étant seulement sous administration provisoire polonaise et russe. Mais le chant conserve une grande valeur symbolique aux yeux de la population. C’est pourquoi ce sujet sensible est à la source de disputes entre le chancelier fédéral Konrad Adenauer, conservateur et fidèle aux traditions, et le président fédéral Theodor Heuss, démocrate qui préférerait tirer un trait sur les éléments honteux du passé. On décide finalement de garder le chant comme hymne national, mais épuré de ses accents guerriers et références territoriales. Pour les occasions officielles il est donc réduit à son troisième couplet. L’ordre est confirmé par Theodor Heuss le 06 mai 1952. La dernière fois que la première strophe est chantée lors d’un événement officiel est à la suite de la victoire allemande pendant la finale de la coupe du monde de football de 1954 à Berne, par le public.
En Allemagne de l’Est, pour des raisons naturelles d’incompatibilité idéologique, le Deutschlandlied ne peut être repris. Les communistes est-allemands choisissent comme hymne national Auferstanden aus Ruinen de Johannes R. Becher et Hans Eisler, dont le message est plus conforme à l’esprit soviétique.
Après la chute du mur de Berlin en 1989 et la réunification allemande en 1990, le troisième couplet, porteur de valeurs démocratiques modernes comme le respect du Droit, de la Liberté, ou la recherche du bonheur, est adopté comme hymne national de toute l’Allemagne. Il est confirmé le 19 août 1991 par une lettre du président Richard von Weizäcker au chancelier Helmut Kohl. Les deux premiers ne sont pas interdits stricto sensu, mais ils ne sont jamais prononcés lors des événements officiels. Chanter ou utiliser le premier couplet est généralement perçu comme l’expression de vues politiques très à droite, voire ouvertement néo-nazies. Pour éviter toute confusion préjudiciable, les paroles sont rarement chantées.
Hors d’Allemagne, cette distinction est moins connue et provoque régulièrement des incidents diplomatiques et des discussions. Ainsi, lors de l’Euro 2008, la chaîne suisse SRG sous-titre avec les paroles de l’hymne traditionnel (1°, 2° et 3° couplet) pendant l’hymne allemand (3° couplet uniquement), lors du match Autriche-Allemagne. L’erreur est impardonnable assure SRG. En 2011, les organisateurs des championnats du monde de canoë-kayak diffusent l’intégralité du chant après le titre d’Anne Knorr et Debora Niche. Lors de la Fed Cup de 2017 à Hawaï, cette version de l’hymne a été jouée au début de la rencontre Allemagne-USA. En dehors du monde sportif, le chanteur Pete Doherty provoque un scandale en entonnant Deutschland, Deutschland über alles lors d’un concert organisé à Munich. Hué par le public, il se fait expulser de la scène, avant de s’excuser le jour même. Cette réaction fait douter du réalisme d’une scène de la série télévisée Pan Am ; dans l’épisode 3, Escale à Berlin, diffusé pour la première fois en 2011, l’hôtesse de l’air française Colette Valois chante le fameux premier couplet lors d’une réception à Berlin-Ouest en 1963 sans provoquer de scandale. Dans le monde diplomatique, l’erreur passe encore moins bien. Le programme officiel des cérémonies du 11 novembre 2009 à Paris – dont l’invitée d’honneur est Angela Merkel mentionnait l’hymne allemand : Deutschland über alles. Le ministère de la Défense doit reconnaître l’erreur, qui est corrigée dans le programme final. L’année suivante, le président chilien Sebastian Piñera, écrit dans le livre d’or de la présidence allemande un texte en anglais puis la phrase en allemand Deutschland über alles sous les yeux du président allemand Christian Wulff. Il s’en excuse ensuite, déclarant ne pas être au courant de la signification historique que revêtait cette phrase en Allemagne.
Seul le troisième couplet du chant constitue l’actuel hymne national allemand.
Deutschlandlied (Chant d’Allemagne) |
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Premier couplet | |
Deutschland, Deutschland über alles, über alles in der Welt. Wenn es stets zu Schutz und Trutze brüderlich zusammenhält, von der Maas bis an die Memel, von der Etsch bis an den Belt. Deutschland, Deutschland über alles, über alles in der Welt. |
L’Allemagne, l’Allemagne par dessus tout, au-dessus de tout au monde. Quand constamment pour sa protection et sa défense, fraternellement elle est unie, de la Meuse (Maas) jusqu’au Niémen (Memel) de l’Adige (Etsch) jusqu’au Détroit(Belt). L’Allemagne, l’Allemagne au-dessus de tout, au-dessus de tout au monde. |
Deuxième couplet | |
Deutsche Frauen, Deutsche Treue, Deutscher Wein und Deutscher Sang sollen in der Welt behalten ihren alten schönen Klang, uns zu edler Tat begeistern unser ganzes Leben lang. Deutsche Frauen, Deutsche Treue, Deutscher Wein und Deutscher Sang. |
Femmes allemandes, fidélité allemande, Vin allemand et chant allemand doivent continuer dans le monde de résonner avec leur ancienne beauté, de nous porter à agir avec noblesse, tout au long de notre vie. Femmes allemandes, foi allemande, Vin allemand et chant allemand. |
Troisième couplet de l’hymne officiel national allemand | |
Einigkeit und Recht und Freiheit für das Deutsche Vaterland. Danach lasst uns alle streben brüderlich mit Herz und Hand. Einigkeit und Recht und Freiheit sind des Glückes Unterpfand. Blüh im Glanze dieses Glückes, blühe, Deutsches Vaterland ! (bis) |
Unité et droit et liberté pour la patrie allemande. Cela, recherchons-le en frères, du cœur et de la main. Unité et droit et liberté sont les fondations du bonheur. Fleuris, dans l’éclat de ce bonheur, Fleuris, patrie allemande ! (bis) |
Premier couplet de | l’Hymne impérial autrichien |
Gott erhalte, Gott beschütze | Dieu conserve, Dieu protège |
unsern Kaiser, unser Land ! | notre Empereur, notre pays ! |
Mächtig durch des Glaubens Stütze, | Il est puissant parce qu’il s’appuie sur la Foi |
führt Er uns mit weiser Hand. | Il nous mène d’une main sage. |
Laßt uns Seiner Väter Krone | Protégeons la couronne de Son père |
schirmen wider jeden Feind ! | contre tout ennemi ! |
Innig bleibt mit Habsburgs Throne | Le destin de l’Autriche reste |
Österreichs Geschick vereint. | intimement lié au trône des Habsbourg. |
Wikipedia
Ce détournement d’une phrase d’un chant au profit d’une idéologie tient d’une pratique courante qu’on voit mise en œuvre aussi bien chez les politiques que chez les faussaires : les nazis avaient ainsi détourné, avec la complicité de la sœur de Nietzsche son idée du surhomme.
Les Allemands empochent 89 médailles, dont 33 d’or, pour 56 aux États-Unis, dont 24 d’or. À 13 ans, l’Américaine Marjorie Gestring, devient la plus jeune médaillée des JO d’été : c’est en plongeon. Contrairement à une légende, Hitler n’a pas quitté le stade après la victoire du noir américain Jess Owens dans le 100 m [4], mais il s’est contenté de parler de la supériorité athlétique du primitif. Les sympathies marquées pour le nazisme et l’antisémitisme dominaient alors au sein du Comité olympique américain : ainsi de l’entraîneur américain, Dean Cromwell, membre de l’American First Committee, organisation pronazie. Quant au secrétaire de ce même comité, Avery Brundage, il suffit de le lire : Les Allemands ne pratiquent pas de discrimination à l’encontre des Juifs dans leurs épreuves de sélection olympique. Les Juifs sont éliminés parce qu’ils ne sont pas des athlètes d’un niveau suffisant. Il n’y a pas dans le monde dix Juifs qui soient d’un calibre olympique. Ainsi, à la veille du relais 4 x 100, Jess Owens et Ralph Metcalfe, noir lui aussi, qui n’avaient pas été sélectionnés pour cette course, reçoivent l’ordre de leur Comité Olympique, de remplacer Marty Glickman et Sam Stoller, tous deux juifs : les nazis – qui estiment qu’entre deux maux : noir ou juif , il faut choisir le moindre – ont obtenu sans difficulté aucune cette vilenie d’Avery Brundage.
Mais les prises de position officielles n’étouffent pas toujours la vie des individus : Carl Ludwig, Luz, Long, bel allemand pur jus concourt au saut en longueur. Jess Owens a mordu ses deux premiers essais ; Luz vient alors lui conseiller de changer ses marques et Jess est qualifié. Le lendemain, il gagne le concours du saut en longueur, Luz est second, et à la fin, vient prendre le bras de Jess, le lève très haut, puis les deux hommes s’enlacent et regagnent les vestiaires bras d’sus bras d’sous. La cinéaste Leni Riefensthal tourne les Dieux du stade, à bord du dirigeable Hindenburg ou du fond des piscines à l’aide d’une caméra sous-marine. On n’y verra pas la scène d’amitié entre Jess Owens et Luz Long, alors que les images existent dans les archives américaines. Par contre les références aux canons de la statuaire grecque seront nombreuses : Hitler était allé chercher des ancêtres aux Allemands chez les Doriens, des indo-européens venus d’Asie, qui, au XII° siècle av. J.C., auraient anéanti la civilisation mycénienne avant de donner naissance à la Grèce classique, et plus précisément à Sparte, la belliqueuse rivale d’Athènes.
Jess Owens est fêté comme un héros à son retour : la légende l’y a précédé et on ne manque pas de l’interroger sur le refus d’Hitler de lui serrer la main ; il répond avec beaucoup de pertinence : Le président des États-Unis ne m’a pas serré la main non plus… Puis, plus tard : quand je suis revenu dans mon pays, après toutes les histoires de racisme que j’avais entendues sur Hitler, je ne pouvais pas plus qu’auparavant monter dans le bus par la porte avant. Je devais entrer par l’arrière. Et je ne pouvais pas non plus habiter là où je le voulais.
Il se verra retirer sa licence sur des imputations mensongères, ce qui mettra fin à sa carrière internationale. La tardive réparation par Gerald Ford lui octroyant, en 1976, la plus haute distinction accordée à un civil, la Médaille présidentielle de la liberté, ne pèsera pas lourd en regard de la vie brisée. Il ne fera pas fortune et cherchera à gagner sa vie comme il pouvait, et, dans ce cas, on travaille là où l’on est compétent : il avait été le plus rapide de tous les hommes, il était amusant de voir s’il pourrait être aussi rapide qu’un cheval : la confrontation fut donc organisée et Jess Owens arriva premier ; il faut tout de même dire, à la décharge du cheval, que ce dernier, effrayé par le coup de pistolet du starter, resta scotché dans son paddock !
17 08 1936
Au Québec, les libéraux, après 39 ans de pouvoir, le cèdent à l’Union nationale, créée le 7 11 1935 par Maurice Duplessis.
19 08 1936
Près du village de Viznar, pas loin de Grenade, sur le lieu dit la Fuente Grande que les Maures appelaient la Source aux larmes, Fédérico Garcia Lorca est assassiné, sur ordre du général Valdès. Il a 38 ans. Quelques heures plus tôt c’est son beau-frère, maire de Grenade, Manuel Fernández Montesinos, qui avait été assassiné.
Un rapport de police inédit, datant de 1965, que l’écrivaine française Marcelle Auclair – auteure du livre Enfances et mort de Garcia Lorca (Seuil, 1968) – parviendra à obtenir, vient confirmer la thèse de l’assassinat politique : il y est écrit que le poète était socialiste, franc-maçon et connu pour ses pratiques homosexuelles – sic -, une aberration qui devint connue de tous. S’ensuit le récit de son arrestation et de son exécution : surpris par les phalangistes à Grenade, le poète prit peur et se réfugia dans la demeure de ses amis les frères Rosales Camacho, d’anciens phalangistes. Ces derniers tentèrent, en vain, d’intercéder en sa faveur. Arrêté et emmené dans une caserne, il fut ensuite conduit à Viznar, près de Grenade, à proximité d’un endroit connu comme Fuente Grande – la Grande Fontaine -, avec un autre détenu, et fusillé après avoir été confessé. Le document localise le lieu où il fut enterré, à fleur de terre, dans un fossé situé à environ deux kilomètres à droite de cette Fuente Grande, dans un endroit très difficile à localiser.
De 1932 à 1935, il avait consacré l’essentiel de son temps à la direction du théâtre universitaire ambulant La Baracca, faisant partager sur les routes d’Espagne à des paysans souvent analphabètes la féerie des grands classiques du siècle d’or : Cervantès, Lope de Vega, Calderon …
Je serai toujours du coté de ceux qui n’ont rien et à qui on refuse jusqu’à la tranquillité de ce rien. Nous autres – je fais allusion aux intellectuels élevés dans ce que l’on peut appeler la bourgeoisie aisée -, nous sommes appelés au sacrifice. Acceptons-le.
*****
Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime
Sa protestation ses chants et ses héros
Au dessus de ce corps et contre ses bourreaux
À Grenade aujourd’hui surgit devant le crime
Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu
Emplissant tout à coup l’univers de silence
Contre les violents tourne la violence
Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Ah je désespérais de mes frères sauvages
Je voyais je voyais l’avenir à genoux
La Bête triomphante et la pierre sur nous
Et le feu des soldats porté sur nos rivages
Quoi toujours ce serait par atroce marché
Un partage incessant que se font de la terre
Entre eux ces assassins que craignent les panthères
Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Quoi toujours ce serait la guerre la querelle
Des manières de rois et des fronts prosternés
Et l’enfant de la femme inutilement né
Les blés déchiquetés toujours des sauterelles
Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue
Le massacre toujours justifié d’idoles
Aux cadavres jeté ce manteau de paroles
Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou
Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange
Un jour de palme un jour de feuillages au front
Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
Louis Aragon
31 08 1936
Le Queen Mary traverse l’Atlantique à 30,7 nœuds.
2 09 1936
Il faut s’entendre avec quiconque veut la paix, avec quiconque offre une chance, si minime soit-elle, de sauvegarder la paix. Il faut s’entendre avec l’Italie en dépit de la dictature fasciste, il faut s’entendre même avec l’Allemagne de Hitler.
Maurice Thorez, à la Chambre des Députés
5 09 1936
Federico Borrel Garcia, milicien républicain, est tué dans les collines d’Espejo, sur le front de Cordoue : Robert Capa est tout à coté et le prend en photo au début de sa chute : la photo deviendra l’une des plus célèbres du monde.
9 09 1936
Henri Langlois fonde la Cinémathèque française.
16 09 1936
Naufrage du Pourquoi pas ?, au large de l’Islande, dans le Faxafjord : une nuit de tempête brise les instruments de navigation, les voiles de stabilisation sont en charpie : à cinq heures du matin, le beau navire s’éventre sur les rochers ; le commandant Charcot meurt avec son équipage ; seul, le timonier Le Godinec parvint à regagner la côte à la nage. Fils de Jean Martin Charcot, le célèbre médecin psychiatre de la Salpêtrière, le commandant Charcot avait entrepris plusieurs expéditions dans l’antarctique, au sud-est et au nord ouest de 1903 à 1905 puis de 1908 à 1910, et ensuite en arctique, en 1925 et 1936. Il forma Paul Émile Victor, dont le fils produira l’émission Le dessous des cartes sur Arte.
18 09 1936
Le Komintern décide la constitution de 7 brigades internationales qui combattront aux cotés des Républicains espagnols : les 25 bataillons de ces unités auront leurs cadres et leurs commissaires choisis par les partis communistes des 53 pays représentés. Le principal centre de recrutement sera Paris, où les volontaires seront encadrés par des dirigeants des partis communistes français et italiens. Le grand ordonnateur est André Marty, dirigeant du PCF et membre du comité exécutif du Komintern, qui gagnera par après le surnom de boucher d’Albacete. Les volontaires gagneront l’Espagne soit par la frontière à Port Bou, soit en prenant un bateau de Marseille à Barcelone.
28 09 1936
Les milices républicaines qui assiégeaient l’Alcazar de Tolède depuis juillet sont prises à revers par les nationalistes du général Varela, sous les ordres de Franco. Le général Móscardo, chef de l’Alcazar, l’accueille par ces mots: Sin novedad en el Alcazar : rien à signaler à l’Alcazar. En fait, le glorieux sacrifice des cadets de l’Alcazar sera un des épisodes de la guerre les mieux utilisés à des fins de propagande, et les nationalistes ne lésineront pas sur la déformation des faits pour intégrer l’affaire aux plus glorieuses heures de l’histoire de l’Espagne catholique. On était en été, et il y avait donc fort peu de cadets à l’Alcazar, pour la bonne et simple raison que la plupart d’entre eux étaient en vacances : ce sont les membres de la Guardia Civil qui assurèrent la défense de la ville. Le sacrifice héroïque du général Móscardo, acceptant la mort de son fils Luis aux mains des républicains plutôt que de céder à leur chantage ? encore un montage, car le dit fils ne fut tué qu’un mois plus tard, en représailles à un raid aérien, etc, etc
09 1936
Je n’ai pas varié : tout, tout, exactement : tout, plutôt que la guerre ! Invasion, asservissement, déshonneur, plutôt que le massacre de la population. Même le fascisme en Espagne, même le fascisme en Italie, même le fascisme en France, même Hitler.
Lettre de Roger Martin du Gard, à une amie
1 10 1936
Auréolé de la gloire de la victoire de l’Alcazar de Tolède, Franco est investi de tous les pouvoirs dans la salle du trône de la capitainerie générale de Burgos, devant les représentants des corps diplomatiques portugais, allemand et italien. La junte militaire qui avait été dirigée par Cabanellas, est immédiatement remplacée par une Junta Técnica del Estado. Le slogan phalangiste, Una Patria, Un Estado, Un Caudillo devient Una Patria : España. Un Caudillo : Franco.
Evidemment son prestige ne pénètre pas les rangs républicains : Francisco Franco n’était qu’un grassouillet militaire de pacotille, efféminé, incompétent, roué et conservateur, qui usurpa les Consignes et modes de style définies par Sánchez Mazas pour les transformer en apparat de plus en plus putride et vidé de sens, puis les livrer à une poignée de rustres pour qu’ils puissent pendant quarante années de pesanteur justifier son régime de merde.
Javier Cercas. Les soldats de Salamine. Actes sud 2002
12 10 1936
Début de la révolte arabe en Palestine.
Miguel de Unamuno, 73 ans est recteur de l’Université de Salamanque. Au Paranymphe, il participe à une fête de la Race espagnole donnée en son université à l’occasion de l’anniversaire de la découverte de l’Amérique. La salle est comble… comble de militaires uniquement. Les Républicains l’ont exaspéré et il a soutenu le mouvement nationaliste à ses débuts. Peu après le début de la cérémonie, le professeur Maldonado se lance dans une violente diatribe contre les nationalismes basque et catalan qu’il décrit comme le cancer de la nation que le scalpel du fascisme doit extirper. Au fond de la salle, quelqu’un lance Viva la muerte. Le général Millan Astray, ami de Franco et fondateur de la légion espagnole, qui avait perdu au combat un œil et un bras, véritable spectre vivant de la guerre, reprend le cri, et les fascistes font le salut devant le portrait de Franco. Viva la muerte dans la bouche de Millán Astray, il n’y avait pas lieu de s’en étonner puisque ce sont les légionnaires qui chantaient Je suis le fiancé de la mort et montaient à l’assaut en hurlant Viva la muerte.
Unamuno se lève : Tous vous attendez mes paroles. Vous me connaissez et vous savez que je ne peux rester silencieux. Parfois se taire est mentir. Car le silence peut être interprété comme une approbation. Je veux commenter le discours, nommons le ainsi, du professeur Maldonado. N’insistons pas sur l’affront personnel sous-entendu dans le flot soudain de vitupérations contre les Basques et les Catalans. Je suis moi-même, comme on le sait, né à Bilbao. L’évêque, que cela lui plaise ou non, est catalan et né à Barcelone. À l’instant, je viens d’entendre un cri mortifère et insensé : Vive la mort ! Et moi, qui ai passé ma vie à forger des paradoxes, je peux vous dire avec l’autorité d’un expert, que ce paradoxe incongru me répugne. Le général Millán Astray est un infirme. Disons le sans sous entendu offensant. C’est un invalide de guerre. Tout comme l’était Cervantes.
Malheureusement, il y a bien trop d’infirmes en Espagne aujourd’hui. Et bientôt, il y en aura plus encore si Dieu ne nous vient pas en aide. Il m’est douloureux de penser que le général Millán Astray dicte les grandes lignes de la psychologie de masse. Un infirme qui n’a pas la grandeur spirituelle de Cervantes est porté à rechercher un terrible soulagement en multipliant les mutilés autour de lui. Le général Millán Astray aimerait recréer l’Espagne de toutes pièces, une création négative à son image et à sa ressemblance ; c’est pour cette raison qu’il souhaite voir une Espagne mutilée ainsi qu’il l’a involontairement dit.
Millán Astray se mit alors à éructer : Muera la inteligencia ! Viva la muerte ! Les phalangistes reprirent le cri et sortirent les pistolets.
Miguel de Unamuno reprit : Cette université est le temple de l’intelligence, et j’en suis le grand prêtre. C’est vous qui profanez l’enceinte sacrée. Vous gagnerez parce que vous avez plus de force bestiale qu’il n’en faut mais vous ne convaincrez pas, parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la raison et le droit dans votre combat. Je juge inutile de vos exhorter à penser à l’Espagne.
[Un silence.]
J’en ai fini.
Menacé, insulté, il va quitter la salle au milieu des huées, dans la bousculade, et c’est la propre femme du généralissime Franco, Doña Carmen Polo qui lui ouvrira un chemin jusqu’à sa voiture pour le reconduire à son domicile, tout proche. Dès lors assigné à résidence, il mourra peu après, le dernier jour de l’année. Les phalangistes, après avoir assassiné Lorca n’avaient pas osé faire de même avec Miguel de Unamuno. Comble de l’ironie, ce sont des phalangistes qui porteront son cercueil lors de ses obsèques.
Mise sur pied à Albacete des Brigades Internationales : elles compteront jusqu’à 35 000 volontaires. La 14° brigade, celle des volontaires français, la Marseillaise, sera la plus souvent citée à l’ordre du jour : parmi eux, le futur colonel Fabien, le colonel Henri Tanguy, leur commissaire politique. Le nom Rol, [un combattant des BI tué en Espagne] sera son pseudonyme dans la Résistance en France : puis il deviendra Rol Tanguy, commandant des FFI. On y verra aussi Walter Ulbricht, futur président de l’Allemagne de l’Est, le socialiste italien Pietro Nenni, le communiste français Charles Tillon, mais aussi des écrivains : André Malraux, George Orwell, Arthur Koestler. Sans aller jusqu’à s’engager dans le combat, bien d’autres, pressentant l’enjeu du conflit, voulurent être témoins en y séjournant : Ernest Hemingway, John Dos Passos, Pablo Neruda, Georges Bernanos, Antoine de Saint Exupéry, Louis Aragon, Paul Éluard, etc… Le Croate Josip Broz, – le futur Tito – s’installe à Paris d’où il organise le départ des volontaires vers l’Espagne.
La nuit de Moscou
On sourira de nous comme de faux prophètes
Qui prirent l’horizon pour une immense fête
[…] Vous vantez les chemins que la prudence suit
Eh bien j’ai donc perdu ma vie et mes chaussures
Je suis dans le fossé, je compte mes blessures
Je n’arriverai pas jusqu’au bout de la nuit
Qu’importe si la nuit à la fin se déchire
Et si l’aube en surgit qui la verra blanchir
Au plus noir du malheur j’entends le coq chanter
Je porte la victoire au cœur de mon désastre
Auriez-vous crevé le cœur de tous les astres ?
Je porte le soleil de mon obscurité
Louis Aragon. Œuvres complètes t 2, Le roman inachevé. Gallimard La Pléiade 1956
6 11 1936
Le gouvernement espagnol déménage à Valence : cela va être perçu comme un stimulant par tous les anarchistes de Madrid : Vive Madrid sans gouvernement. Les fonctionnaires du ministère de la Défense oublient de dire où se trouvent les dépôts de munitions : le goût prononcé des Espagnols pour l’injure va donner lieu à un inoubliable festival de noms d’oiseaux. La presse internationale décrit déjà les dernières heures de Madrid. La grande offensive nationaliste est prévue pour le surlendemain.
7 11 1936
Le capitaine Vidal Quadras, nationaliste, a été tué la veille dans son char italien. Son corps n’a pas été récupéré et ce sont des miliciens républicains qui le trouvent, avec, dans sa vareuse les ordres opérationnels : occuper la zone, entre, et comprenant, la Cité universitaire et la Plaza de España, qui constituera la base de départ pour d’autres avancées à l’intérieur de Madrid. Dès lors, c’en est fini de l’effet de surprise, seul garant d’une victoire rapide des nationalistes : les républicains vont réorganiser leur dispositif et attendre les nationalistes là où ils vont arriver : la Bataille de Madrid sera longue.
C’était encore un endroit intact, petit, sans aucune beauté, un peu sale à cause de la misère, mais chaud, paisible et doux comme un agneau. Nous l’envahîmes avec nos hommes, notre intendance, les canons, les camions, les engins blindés et tout ce que trimbale une armée derrière elle au cours d’une campagne : la tranquille Majadahonda fut encombrée, bruyante et sale, comme un jour de marché. Le premier matin après notre départ, l’aviation ennemie commença à lâcher des bombes sur le village. Les habitants s’éparpillèrent en abandonnant tous leurs biens. Bétail, cochons, lits défaits et maisons sans surveillance. Le premier soir et le premier matin où nous étions là, il y avait encore de la vie à Majadahonda. On pouvait voir les silhouettes mystérieuses de jeunes Espagnoles derrière les fenêtres pauvrement éclairées des maisons. Le jour suivant, les fenêtres étaient déjà noires et béantes, orbites effrayantes dans le crâne des maisons. Seuls restèrent dans le village des chiens errants, des vagabonds, des oubliés et aussi une femme qui avait perdu la raison. La nuit, elle hurlait de manière épouvantable dans sa maison vide et ses cris effroyables résonnaient en écho dans les rues mortes qu’éclairait la lune.
Karl Anger, un des Serbes de la 11° brigade, décrit leur arrivée dans le village de Majadahonda, au sud sur la route de La Corogne, au nord-ouest de Madrid
Le glissement général vers la droite date à peu près d’octobre-novembre 1936, du moment que l’URSS commença de fournir des armes au gouvernement et où le pouvoir commença à passer des anarchistes aux communistes. […] Les Russes étaient donc en situation de dicter leurs conditions. On ne peut guère douter qu’elles furent, en substance : Empêchez la Révolution ou vous n’aurez pas d’armes, et que le premier coup porté aux éléments révolutionnaires, l’éviction du Poum de la Généralité de Catalogne, le fut sur les ordres de l’URSS. On a nié qu’aucune pression directe ait été exercée par le gouvernement russe, mais la question est de peu d’importance, car on peut considérer comme exécuteurs de la politique russe les partis communistes de tous les pays, et l’on ne nie pas que c’est à l’instigation du Parti communiste que fut menée l’action contre le Poum d’abord, puis contre les anarchistes, et, en général, contre toute politique révolutionnaire. À partir du moment où l’URSS commença d’intervenir, le triomphe de Parti communiste fut assuré.
George Orwell. Le catalogue libre. Gallimard 1955
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[1] des privilégiés grincheux parleront de l’encanaillement des plages par les salopards en casquette qui vont couvrir la France de papiers gras, mais Léon Blum se consolera facilement de cela avec les milliers de cartes postales qui envahiront son bureau, disant simplement merci Monsieur Blum.
[2] La période n’a pas le monopole des excès verbaux : au XIX° siècle, un prêtre demande au général Narváez sur son lit de mort s’il pardonne à ses ennemis ; et ce dernier répond : Je n’en ai pas. Je les ai tous tués.
[3] ce n’était pas un bas de laine venu du déjà lointain empire colonial, mais des très bonnes affaires réalisés par l’Espagne durant la première guerre mondiale.
[4] Il était chaussé par Adolf Dassler, qui, 12 ans plus tard, créera Adidas.