Publié par (l.peltier) le 22 décembre 2008 | En savoir plus |
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Les Grecs construisent à Athènes la plus grande clepsydre – horloge à eau – de l’époque : l’Horologion d’Andronicos, ou Tour des Vents.
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Dans ces années-là, Rome peut se faire du souci : l’Italie méridionale est secouée par les révoltes d’esclaves menées par Spartacus, un Thrace, peuple dont Kazantzakis dit qu’il a apporté aux Grecs le grain de folie qui empêche la sagesse de pourrir. Un peu avant lui, Jean Jaurès avait dit à peu près la même chose : Les progrès de l’humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous.
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Spartacus, Thrace de nation, arma les esclaves et les gladiateurs, forma une armée de cent vingt mille hommes [aujourd’hui, on parle plutôt de 70 000 hommes. ndlr ], et aussi habile, aussi actif que brave, tomba sur les généraux romains, les vainquit, et jeta la terreur dans Rome même. Crassus le défit dans une grande bataille ; quelques milliers de gladiateurs fugitifs furent rencontrés et taillés en pièces par Pompée qui eut l’effronterie de s’attribuer le principal honneur de cette mémorable victoire.
M.E. Jondot Tableau historique des nations. 1808
En Asie Mineure, Mithridate [1] relève la tête, et la Méditerranée est infestée de pirates.
En effet, l’activité des pirates, partie d’abord de Cilicie, après des débuts dont la hardiesse passa inaperçue, avait pris une assurance et une audace nouvelles pendant la guerre de Mithridate, où elle s’était mise au service de ce roi. Puis, quand les Romains lors des guerres civiles en vinrent aux mains les uns contre les autres aux portes de Rome, la mer laissée sans surveillance les attira peu à peu de plus en plus loin et ils se mirent non seulement à attaquer les navigateurs, mais à ravager les îles et les villes côtières. Déjà, des hommes puissants par leur richesse, de naissance illustre et d’une intelligence estimée supérieure s’engageaient dans la piraterie et prenaient part à de genre d’expéditions, comme si elles devaient leur rapporter honneur et gloire. Il existait en beaucoup d’endroits des mouillages pour les bateaux des pirates et des postes fortifiés de signalisation ; ils ne disposaient pas seulement pour attaquer d’escadres qui, par l’importance des équipages, l’habileté des pilotes, la rapidité et la légèreté des embarcations, étaient bien adaptés à leur tâche : ce qu’il y avait là de redoutable était encore moins affligeant que l’appareil odieusement fastueux de ces mâts dorés, de ces tapis de pourpre, de ces rames plaquées d’argent, comme si les pirates s’enorgueillissaient et étaient fiers de leur malfaisance. Sur tous les rivages, ce n’étaient que musique de flûte et d’instruments à corde, scènes d’ivresse, enlèvements de grands personnages, prises de villes et rançons exigées d’elles, à la honte de la puissance romaine. Les navires des pirates dépassèrent le nombre de mille, et les cités dont ils s’emparèrent étaient plus de quatre cents. Parmi les sanctuaires, jusqu’alors sacrés et inviolables, ils attaquèrent et pillèrent ceux de Claros, de Didymes, de Samothrace, le temple de la déesse chthonienne à Hermioné, ceux d’Asclépios à Epidaure, de Poséidon à l’Isthme, au Ténare et à Calurie, d’Apollon à Actium et à Leucade, d’Héra à Samos, à Argos et au Lacinium. Ils célébraient eux-mêmes les sacrifices étrangers d’Olympos et pratiquaient des cultes à mystères, dont celui de Mithra, qu’ils ont les premiers fait connaître et qui subsiste aujourd’hui encore. Après tant d’outrages infligés aux Romains, ils allèrent jusqu’à pratiquer le brigandage sur les routes en s’éloignant de la mer et à dévaster les propriétés situées en bordure. Ils enlevèrent même un jour deux préteurs, Sextilius et Bellienus, vêtus de leur robe bordée de pourpre, et avec eux ils emmenèrent leurs serviteurs et leurs licteurs. Ils s’emparèrent aussi de la fille d’Antoine – un homme qui avait eu les honneurs du triomphe -, alors qu’elle se rendait à la campagne, et ils ne la relâchèrent que contre une forte rançon. Mais voici quel fut le comble de leur insolence : quand un de leurs prisonniers s’écriait qu’il était romain et disait son nom, ils simulaient la stupeur et la crainte, ils se frappaient les cuisses et tombaient à ses pieds en implorant son pardon, et lui se fiait à leur posture humble et suppliante. Puis ils le chaussaient à la romaine et lui mettaient une toge, pour éviter, disaient-ils, qu’il ne fut pas reconnu une autre fois. Après s’être ainsi moqué de lui et l’avoir bafoué longtemps, finalement ils jetaient une échelle qui donnait sur la pleine mer et lui enjoignaient de descendre et de partir, accompagné de leurs bons vœux ; s’il refusait, ils le poussaient dans l’eau et le noyaient.
Plutarque. Vie de Pompée, 24. Traduction de Robert Flacelière 1973
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Un homme va mettre tout cela à profit pour satisfaire son ambition : Cnæus Pompeius Strabon, qui, de retour d’Espagne, se fait élire consul avec Marcus Licinius Crassus. Crassus, c’est d’abord sans doute la plus grosse fortune de Rome, gagnée dans l’immobilier : en cette année 70, il régale les Romains d’un repas pour lequel furent dressés 10 000 tables, et fournit à chacun des céréales pour trois mois ! les Panem et Circenses. Les nouveaux maîtres entreprennent de nombreuses réformes qui favorisent démocrates et chevaliers au détriment des nobles. Un imperium est donné à Pompée pour 3 ans sur tout le pourtour méditerranéen sur une profondeur de 80 km. On met à sa disposition 500 navires et 20 légions : 2 mois lui suffirent pour remporter un succès complet : 10 000 pirates furent tués, 20 000 capturés et installés comme cultivateurs, des milliers de captifs furent délivrés.
Au nord, c’est plus tranquille et les Romains peuvent goûter au bienfait des eaux à 68 ° d’Aquae, qui deviendra Baden Baden, entre Forêt Noire et rive droite du Rhin.
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Cicéron fustige les sacrifices humains que pratiquent les Gaulois : les fabricants de l’histoire de France ramèneront cela à une indignation rhétorique mensongère, mais des fouilles effectuées à Entremont, près d’Aix en Provence, puis au Cailar près de Nîmes, viendront confirmer la tirade, mettant à jour soit des sculptures figurant des têtes coupées, soit tout simplement les crânes eux-mêmes : Qui ignore que, jusqu’à ce jour, ils ont conservé la coutume monstrueuse et barbare d’immoler des hommes ? Quelle peut être la bonne foi, quelle peut être la piété de ceux qui estiment que les dieux immortels peuvent être calmés plus facilement par le sang humain et un tel crime.
Pro Fonteio XIII-XIV, 30-31
Mais ils devaient se livrer aussi à d’autres activités, car, en 2011, des archéologues ont découvert, à Corent, dans le Puy de Dôme, à quelques 8 km au sud-est de Gergovie, sous un petit théâtre gallo-romain du premier siècle de notre ère, un autre théâtre, exclusivement gaulois, en forme de fer à cheval, qui était probablement un lieu de réunion des notables, de délibération ou d’une sorte de tribunal. Dans La Guerre des Gaules, Jules César aura quelques lignes sur les institutions politiques gauloises fondées sur la délibération et l’élection… Il parle encore d’un personnage typiquement gaulois, le vergobret, aristocrate élu par ses pairs à la magistrature suprême, pour un mandat limité.
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Fort de son succès contre la piraterie et aidé par l’éloquence de Cicéron, Pompée prend le commandement de l’armée d’Orient : avec 60 000 hommes, il parcourt tout l’Orient, refoule Mithridate
Pompée, grâce aux efforts de Cicéron, obtint le commandement de l’armée contre Mithridate : ce général, accoutumé à recueillir les fruit des victoires des meilleurs généraux de son temps, n’avait plus à combattre que l’ombre de la puissance du roi de Pont ; Luculus avoit abattu les principales forces de ce roi. Mithridate, réduit à une poignée de soldats, fugitif, mais ferme dans le malheur, fut abandonné de Tigrane son beau-père qui se rendit aux Romains ; lâcheté inutile puisqu’ils dépouillèrent d’une partie de ses États, ce prince qui s’intitulait le roi des rois. Pompée porta la terreur des armes romaines jusqu’au pied du Caucase. Mithridate, poursuivi avec acharnement, toujours indomptable, toujours terrible, abandonné de ses troupes, et de son fils même, ne trouva d’asile que dans une mort violente, et s’y précipita volontairement.
La vie de ce prince, si célèbre sous le rapport militaire, n’offre qu’un affreux tissu de crimes ; Marius, Cinna, Sylla n’approchèrent jamais de sa férocité. Il assassina, sans éprouver de remords, ses gendres, ses femmes, ses oncles, ses fils, ses frères, sa mère, ses meilleurs serviteurs ; et pourtant Mithridate est un des noms que la postérité prononce avec le plus de plaisir et d’admiration ! Sa haine contre les Romains, sa longue résistance, son grand caractère ont ébloui les hommes, et leur ont fait oublier que ce double sentiment n’était point dû au plus exécrable des parricides. À la fin de cette guerre, qui avoit duré près de quarante ans, l’histoire romaine devient, à peu de choses près, celle de l’Univers ; les Romains n’ont plus d’autres ennemis qu’eux-mêmes à redouter.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
Dans ce premier siècle avant Jésus-Christ, les Grecs des cités reprochaient aux Juifs d’envoyer des quantités importantes d’or vers le Temple de Jérusalem (le didrachme que donnaient les Juifs de la Diaspora pour l’entretien du Temple), mais surtout de jouir de privilèges insupportables : ne pas être convoqué devant le tribunal durant le sabbat, être dispensé des cultes officiels. Alors que les Juifs sont libres de vénérer leur dieu dans tout l’empire, il n’est pas question de la présence du moindre sanctuaire païen en Judée proprement dite, et surtout pas à Jérusalem. Par ailleurs, on soupçonne les Juifs d’être puissants, répandus partout et solidaires.
Tu sais combien leur troupe est nombreuse, combien ils se tiennent entre eux, combien ils sont puissants dans les assemblées. Je plaiderai à mi-voix, juste assez haut pour que les juges m’entendent. Car il ne manque pas de personnes pour exciter ces gens contre moi et contre tous les meilleurs citoyens, et je n’ai nulle envie de leur faciliter cette tâche.
Cicéron, Pro Flacco, 28 Plaidoirie pour un gouverneur qui a fait saisir l’or destiné au Temple
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Pompée préside à Amisos un congrès de souverains amis du peuple romain où viennent siéger 14 princes orientaux. De son passage en Syrie, où il a détrôné le dernier des Séleucides, ses troupes rapporteront à Rome la lèpre
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Il s’empare de Jérusalem, viole le Saint des Saints, la partie la plus secrète du Temple, pour déclarer à la sortie qu’il était vide ! Hérode sera stratège de Galilée, puis tétrarque par la grâce de Marc Antoine. Pompée aura considérablement étendu les possessions et l’influence de Rome en Orient. Tout cela représentait certes une charge, mais aussi, butin, tributs, redevances, otages, esclaves etc …
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Triomphe de Pompée de orbe universo : le plus grandiose des 2 derniers siècles : il a revêtu la chlamyde de Mithridate, tissée jadis pour Alexandre. La rumeur dit qu’il aurait rapporté d’Égypte le chat… qui va devenir le grand maître du Forum. Il triomphe, mais, trop longtemps absent de la scène romaine et indifférent aux intrigues, il ne détient pas la réalité du pouvoir, qui est dans les mains de Crassus et de Cicéron, qui devra déployer toute son éloquence pour venir à bout du conspirateur Catilina : quo usque tandem, Catilina, abuterat patientia nostra ? – Jusqu’à quand, Catilina, vas-tu donc abuser de notre patience – ? Pendant ce temps, César, qui n’est plus un jeune homme, – il est né en ~101 – apparaît encore comme un débauché criblé de dettes, dilettante fort cultivé, puisqu’il a déjà écrit une tragédie, une épopée, des épigrammes ; il fait ses premières armes comme propréteur en Espagne, d’où il va pacifier la Lusitanie.
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Crassus conclut avec César et Pompée une alliance secrète, le premier triumvirat, pour 5 ans, qui a pour but l’élection de César au Consulat en 59. L’argent de Crassus pèsera lourd dans la réussite du plan.
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Quid de la Gaule à cette époque ? Pendant bien longtemps, on s’est contenté en matière de sources des écrits de César lui-même : La Guerre des Gaules, sans vraiment prendre les précautions nécessaires, ni avoir à l’esprit que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. César rendait des comptes à Rome : il y allait de son intérêt d’écrire une histoire à son avantage : de fait, c’est lui l’inventeur de la Gaule, qui en fait, n’existait pas, c’est lui l’inventeur d’une frontière naturelle déterminée par le Rhin pour manifester que l’arrêt de sa conquête correspondait à une frontière, quand, en fait le Rhin ne faisait pas frontière etc..
La Gaule est peuplée de Celtes [2], que l’on trouve aussi en Espagne de l’ouest, en Europe de l’est, dans la plaine du Pô, et jusqu’en Asie Mineure, avec les Galates. Le terme Gaulois vient du latin, – galli, en latin, c’est le coq – Galate du grec, mais ils désignent une même origine. Même si l’hétérogénéité de ces peuples est manifeste, ils appartiennent à un même ensemble culturel. La Gaule celtique était composée d’une quantité de peuples, Vercingétorix n’étant qu’un des chefs des Arvernes, dans le haut Allier, qui fédéra à un moment donné le mécontentement des autres contre César qui jusque là avait conquis le terrain, en jouant des nombreuses rivalités et donc en parvenant à avoir à ses cotés des troupes autochtones.
C’est un pays semble-t-il, très peuplé : on parle de 9 à 10 millions d’habitants, plus que l’Égypte et même que l’Italie. Bibracte, sur le Mont Beuvray, dans le Morvan, était sans doute l’un des plus grands oppidums, – pas loin de 10 000 habitants -. César parle d’Urbs – une ville -, pour qualifier Avaricum, qui deviendra Bourges. L’agriculture et l’élevage y sont très développés, faisant même l’objet d’exportations :
De ce peuple (les Eduens) proviennent les magnifiques pièces de porc salé exportées jusqu’à Rome.
[…] Ils sont si riches en ovins et en porcins qu’ils fournissent à profusion de leurs sayons (manteau à capuchon) et de leurs salaisons non seulement les marchés de Rome mais aussi la plupart de ceux d’Italie.
Strabon, géographe grec, I° siècle av J.C.
Sans aller jusqu’à la généralisation, on y trouve des moissonneuses : appareil composé d’une caisse à rebord denté, montée sur deux roues et poussée par un attelage, en sorte que les épis décapités tombent dans la caisse.
Pline l’Ancien
Ainsi, lorsque César envahit la Gaule, elle semblait convaincue d’impuissance pour s’organiser elle-même. Le vieil esprit de clan, l’indisciplinabilité guerrière, que le druidisme semblait devoir comprimer, avait repris vigueur ; seulement, la différence des forces avait établi une sorte de hiérarchie entre les tribus ; certaines étaient clientes des autres ; comme les Carnutes des Rhèmes, les Sénons des Édues, etc (Chartres, Reims, Sens, Autun).
Des villes s’étaient formées, espèces d’asiles au milieu de cette vie de guerre. Mais tous les cultivateurs étaient serfs, et César pouvait dire : Il n’y a que deux ordres en Gaule, les druides et les cavaliers (equites). Les druides étaient les plus faibles. C’est un druide des Édues qui appela les Romains
J’ai parlé ailleurs de ce prodigieux César et des motifs qui l’avaient décidé à quitter si longtemps Rome pour la Gaule, à s’exiler pour revenir maître. L’Italie était épuisée, l’Espagne indisciplinable ; il fallait la Gaule pour asservir le monde. J’aurais voulu voir cette blanche et pâle figure, fanée avant l’âge par les débauches de Rome, cet homme délicat et épileptique, marchant sous les pluies de la Gaule, à la tête des légions, traversant nos fleuves à la nage ; ou bien à cheval entre les litières où ses secrétaires étaient portées, dictant quatre, six lettres à la fois, remuant Rome du fond de la Belgique, exterminant sur son chemin deux millions d’hommes et domptant en six années la Gaule, le Rhin et l’Océan du Nord.
Ce chaos barbare et belliqueux de la Gaule était une superbe matière pour un tel génie. De toutes parts, les tribus gauloises appelaient alors l’étranger. Le druidisme affaibli semble avoir dominé dans les deux Bretagnes et dans les bassins de la Seine et de la Loire. Au midi, les Arvernes et toutes les populations ibériennes de l’Aquitaine étaient généralement restées fidèles à leurs chefs héréditaires.
Dans la Celtique même, les druides n’avaient pu résister au vieil esprit de clan qu’en favorisant la formation d’une population libre dans les grandes villes, dont les chefs ou patrons étaient du moins électifs, comme les druides. Ainsi deux factions partageaient tous les États gaulois : celle de l’hérédité ou des chefs de clans, celle de l’élection, ou des druides ou des chefs temporaires du peuple des villes. À la tête de la seconde se trouvaient les Édues ; à la tête de la première, les Arvernes et les Sequanes. Ainsi commençait dès lors l’opposition entre la Bourgogne (Édues) et la Franche-Comté (Sequanes). Les Sequanes, opprimés par les Édues qui leurs fermaient la Saône et arrêtaient leur grand commerce de porcs, appelèrent de la Germanie des tribus étrangères au druidisme, qu’on nommait du nom commun de Suèves. Ces barbares ne demandaient pas mieux. Ils passèrent le Rhin sous la conduite d’un Arioviste, battirent les Édues, et leur imposèrent un tribut ; mais ils traitèrent plus mal encore les Sequanes qui les avaient appelés ; ils leur prirent le tiers de leurs terres, selon l’usage des conquérants germains, et ils en voulaient encore autant. Alors, Édues et Sequanes, rapprochés par le malheur, cherchèrent d’autres secours étrangers. Deux frères étaient tout puissants parmi les Édues. Dumnorix, enrichi par les impôts et les péages dont il se faisait donner le monopole de gré ou de force, s’était rendu cher au petit peuple des villes et aspirait à la tyrannie ; il se lia avec les Gaulois helvétiens, épousa une Helvétienne, et engagea ce peuple à quitter ses vallées stériles pour les riches plaines de la Gaule. L’autre frère, qui était druide, titre vraisemblablement identique avec celui de divitiac que César lui donne comme nom propre, chercha pour son pays des libérateurs moins barbares. Il se rendit à Rome, et implora l’assistance du Sénat, qui avait appelé les Édues parents et amis du peuple romain. Mais le chef des Suèves envoya de son côté un représentant, et trouva aussi le moyen de se faire donner le titre d’ami de Rome. L’invasion imminente des Helvètes obligeait probablement le sénat à s’unir avec Arioviste.
Ces montagnards avaient fait depuis trois ans de tels préparatifs, qu’on voyait bien qu’ils voulaient s’interdire à jamais le retour. Ils avaient brûlé douze villes et leurs quatre cents villages, détruit les meubles et les provisions qu’ils ne pouvaient emporter. On disait qu’ils voulaient percer à travers toute la Gaule, et s’établir à l’occident, dans les pays des Santones (Saintes). Sans doute espéraient-ils trouver plus de repos sur les bords du grand Océan qu’en leur rude Helvétie, autour de laquelle venaient se rencontrer et se combattre toutes les nations de l’ancien monde, Galls, Cimbres, Teutons, Suèves, Romains. En comptant les femmes et les enfants, ils étaient au nombre de trois cent soixante-dix-huit mille. Ce cortège embarrassant leur faisait préserver le chemin de la province romaine. Ils y trouvèrent à l’entrée, vers Genève, César qui leur barra le chemin, et les amusa assez longtemps pour élever, du lac au Jura un mur de dix-mille pas et de seize pieds de haut [rive gauche du Rhône. ndlr]. Il leur fallut donc s’engager par les âpres vallées du Jura, traverser le pays des Sequanes, et remonter la Saône. César les atteignit comme ils passaient le fleuve, attaqua la tribu des Tigurins, isolée des autres, et l’extermina. Manquant de vivres par la mauvaise volonté de l’Édue Dumnorix et du parti qui avait appelé les Helvètes, il fût obligé de se détourner vers Bibracte (Autun). Les Helvètes crurent qu’il fuyait, et le poursuivirent à leur tour. César, ainsi placé entre des ennemis et des alliés malveillants, se tira d’affaire par une victoire sanglante. Les helvètes, atteints de nouveau dans leur fuite vers le Rhin, furent obligés de rendre les armes, et de s’engager à retourner dans leur pays. Six mille d’entre eux, qui s’enfuirent la nuit pour échapper à cette honte, furent ramenés par la cavalerie romaine, et, dit César, traités en ennemis.
Ce n’était rien d’avoir repoussé les Helvètes, si les Suèves envahissaient la Gaule. Les migrations étaient continuelles : déjà cent vingt mille guerriers étaient passés. La Gaule allait devenir Germanie. César parut céder aux prières des Sequanes et des Édues opprimés par les barbares. Le même druide qui avait sollicité les secours de Rome guida César vers Arioviste et se chargea d’explorer le chemin. Le chef des Suèves avait obtenu de César lui-même dans son consulat le titre d’allié du peuple romain : il s’étonna d’être attaqué par lui. Ceci, disait le barbare, est ma Gaule à moi ; vous avez la vôtre… si vous me laissez en repos, vous y gagnerez ; je ferai toutes les guerres que vous voudrez, sans peine ni péril pour vous. Ignorez-vous quels hommes sont les Germains ? voilà plus de quatorze ans que nous n’avons dormi sous un toit. Ces paroles ne faisaient que trop d’impression sur l’armée romaine : tout ce qu’on rapportait de la taille et de la férocité de ces géants du Nord épouvantait les petits hommes du Midi.
On ne voyait dans le camp que gens qui faisaient leur testament. César leur en fit honte : Si vous m’abandonnez, dit-il, j’irai toujours : il me suffit de la dixième légion. Il les mène ensuite à Besançon, s’en empare, pénètre jusqu’au camp des barbares non loin du Rhin, les force à combattre, quoi qu’ils eussent voulu attendre la nouvelle lune, et les détruit dans une furieuse bataille : presque tout ce qui échappa périt dans le Rhin.
Les Gaulois du Nord, Belges et autres jugèrent, non sans vraisemblance que, si les Romains avaient chassé les Suèves, ce n’était que pour leur succéder dans la domination des Gaules. Ils formèrent une vaste coalition, et César saisit ce prétexte pour pénétrer dans la Belgique. Il emmenait comme guide et interprète les divitiac des Édues ; il était appelé par les Sénons, ancien vassaux des Édues par les rhèmes, suzerains du pays druidique des Carnutes. Vraisemblablement, ces tribus vouées au druidisme, ou du moins, au parti populaire, voyaient avec plaisir arriver l’ami des druides et comptaient l’opposer aux Belges septentrionaux, leurs féroces voisins. C’est ainsi que, cinq siècles après, le clergé catholique des Gaules favorisa l’invasion des Francs contre les Visigoths et les Bourguignons ariens.
C’était pourtant une sombre et décourageante perspective pour un général moins hardi, que cette guerre dans les plaines bourbeuses, dans les forêts vierges de la Seine et de la Meuse. Comme les conquérants de l’Amérique, César était souvent obligé de se frayer une route la hache à la main, de jeter des ponts sur les marais, d’avancer avec ses légions, tantôt sur terre ferme, tantôt à gué ou à la nage. Les Belges entrelaçaient les arbres de leurs forêts, comme ceux de l’Amérique le sont naturellement par les lianes. Mais les Pizzare et les Cortez, avec une telle supériorité d’armes, faisaient la guerre à coup sûr ; et qu’étaient-ce que les Péruviens en comparaison de ces dures et colériques populations des Bellovaques et des Nerviens (Picardie, Hainaut, Flandre), qui venaient par cent mille attaquer César ? Les Bellovaques et les Suessions s’accommodèrent par l’entremise du divitiac des Édues. Mais les Nerviens, soutenus par les Atrebates et les Veromandui, surprirent l’armée romaine en marche au bord de la Sambre, dans la profondeur de leurs forêts, et se crurent au moment de la détruire. César fut obligé de saisir une enseigne et de se porter en avant : ce brave peuple fut exterminé. Leurs alliés, les Cimbres qui occupaient Aduat (Namur ?), effrayés des ouvrages dont César entourait leur ville, feignirent de se rendre, jetèrent une partie de leurs armes du haut des murs, et avec le reste attaquèrent les Romains. César en vendit comme esclaves cinquante-trois mille.
Ne cachant plus alors le projet de soumettre la Gaule, il entreprit la réduction de toutes les tribus du rivage. Il perça les forêts et les marécages des Ménapes et des Morins (Zélande et Gueldre, Gand, Bruges, Boulogne) : un de ses lieutenants soumit les Unelles, Éburoviens et Lexoviens (Coutances, Évreux, Lisieux) : une autre, le jeune Crassus, conquit l’Aquitaine, quoique les barbares eussent appelé d’Espagne les vieux compagnons de Sertorius. César lui-même attaque les Venètes et autres tribus de notre Bretagne. Ce peuple amphibie n’habitait ni sur la terre ni sur les eaux ; leurs forts, dans des presqu’îles inondées et abandonnées tout à tour par le flux, ne pouvaient être assiégées ni par terre ni par mer. Les Vénètes communiquaient sans cesse avec l’autre Bretagne, et en tiraient des secours. Pour les réduire, il fallait être maître de la mer. Rien ne rebutait César. Il fit des vaisseaux. Il fit des matelots, leur apprit à fixer les navires bretons en les accrochant avec des mains de fer et fauchant leurs cordages. Il traita durement ce peuple dur ; mais la petite Bretagne ne pouvait être vaincue que dans la grande. César résolut d’y passer.
Le monde barbare de l’occident qu’il avait entrepris de dompter était triple. La Gaule, entre la Bretagne et la Germanie, était en rapport avec l’une et l’autre. Les Cimbri se trouvaient dans les trois pays ; les Helvii et les Boii dans la Germanie et dans la Gaule ; les Parisii et les Atrebates gaulois existaient aussi en Bretagne. Dans les discordes de la Gaule, les Bretons semblent avoir été pour le parti druidique, comme les Germains pour celui des chefs de clans. César frappa les deux parties et au-dedans et au dehors ; il passa l’Océan, il passa le Rhin.
Deux grandes tribus germaniques, les Usipiens et les Teuctères, fatigués au nord par les incursions des Suèves comme les helvètes l’avaient été au midi, venaient de passer aussi dans la Gaule. César les arrêta, et, sous prétexte que, pendant les pourparlers, il avait été attaqué par leur jeunesse, il fondit sur eux à l’improviste, et les massacra tous. Pour inspirer plus de terreur aux Germains, il alla chercher ces terribles Suèves, près desquels aucune nation n’osait habiter : en dix jours, il jeta un pont sur le Rhin, non loin de Cologne, malgré la largeur et l’impétuosité de ce fleuve immense. Après avoir fouillé en vain les forêts des Suèves, il repassa le Rhin, traversa toute la Gaule, et la même année, s’embarque pour la Bretagne. Lorsqu’on apprit à Rome ces marches prodigieuses, plus étonnantes encore que des victoires, tant d’audace et une si effrayante rapidité, un cri d’admiration s’éleva. On décréta vingt jours de supplications aux dieux. Au prix des exploits de César, disait Cicéron, qu’à fait Marius ?
Lorsque César voulut passer dans la grande Bretagne, il ne put obtenir des Gaulois aucun renseignement sur l’île sacrée. L’Édue Dumnorix déclara que la religion lui défendait de suivre César ; il essaya de s’enfuir, mais le Romain, qui connaissait son génie remuant, le fit poursuivre avec ordre de le ramener mort ou vif ; il fut tué en se défendant.
La malveillance des gaulois faillit être funeste à César dans cette expédition. D’abord, ils lui laissèrent ignorer les difficultés du débarquement. Les hauts navires qu’on employait sur l’Océan, tiraient beaucoup d’eau et ne pouvaient approcher du rivage. Il fallait que le soldat se précipitât dans cette mer profonde, et qu’il se format en bataille au milieu des flots. Les barbares dont la grève était couverte avaient trop d’avantage. Mais les machines de siège vinrent au secours et nettoyèrent le rivage par une grêle de pierres et de traits. Cependant l’équinoxe approchait ; c’était la pleine lune, le moment des grandes marées. En une nuit la flotte romaine fut brisée, ou mise hors de service. Les barbares qui, dans le premier étonnement, avaient donné des otages à César, essayèrent de surprendre son camp. Vigoureusement repoussés, ils offrirent encore de se soumettre. César leur ordonna de livrer des otages deux fois plus nombreux ; mais ses vaisseaux étaient réparés, il partit la même nuit sans attendre leur réponse. Quelques jours de plus, la saison ne lui eut guère permis le retour.
L’année suivante, nous le voyons presqu’en même temps en Illyrie, à Trèves et en Bretagne. Il n’y a que les esprits de nos vieilles légendes qui aient jamais voyagé ainsi. Cette fois, il était conduit en Bretagne par un chef fugitif du pays qui avait imploré son secours. Il ne se retira pas sans avoir mis en fuite les Bretons, assiégé le roi Casswallawn dans l’enceinte marécageuse où il avait rassemblé ses hommes et ses bestiaux. Il écrivit à Rome qu’il avait imposé un tribut à la Bretagne, et y envoya en grande quantité les perles de peu de valeur que l’on recueillait sur les côtes.
Depuis cette invasion dans l’île sacrée, César n’eut plus d’amis chez les Gaulois. La nécessité d’acheter Rome aux dépens des Gaules, de gorger tant d’amis qui lui avaient fait continuer le commandement pour cinq années, avait poussé le conquérant aux mesures les plus violentes. Selon un historien, il dépouillait les lieux sacrés, mettait les villes au pillage sans qu’elles l’eussent mérité. Partout, il établissait des chefs dévoués aux Romains et renversait le gouvernement populaire. La Gaule payait cher l’union, le calme et la culture dont la domination romaine devait lui faire connaître les bienfaits.
La disette obligeant César de disperser ses troupes, l’insurrection éclate partout. Les Éburons massacrent une légion, en assiègent une autre. César, pour délivrer celle-ci, passe avec huit mille hommes à travers soixante mille Gaulois. L’année suivante, il assemble à Lutèce les états de la Gaule. Mais les Nerviens et les Trévires, les Sénonais et les Carnutes n’y paraissent pas. César les attaque séparément et les accable tous. Il passe une seconde fois le Rhin, pour intimider les Germains qui voudraient venir au secours. Puis il frappe à la fois les deux partis qui divisaient la Gaule ; il effraye les Sénonais, parti druidique et populaire ( ?), par la mort d’Acco, leur chef, qu’il fait solennellement juger et mettre à mort ; il accable les Éburons, parti barbare et ami des Germains, en chassant leur intrépide Ambiorix dans toute la forêt d’Ardennes, et les livrant tous aux tribus gauloises qui connaissaient mieux leurs retraites dans les bois et les marais, et qui vinrent, avec une lâche avidité, prendre part à cette curée. Les légions fermaient de toute part ce malheureux pays et empêchait que personne pût échapper.
En 52, ces barbaries réconcilièrent toute la Gaule contre César. Les druides et les chefs des clans se trouvèrent d’accord pour la première fois. Les Édues même étaient, au moins secrètement contre leur ancien ami. Le signal partit de la terre druidique des Carnutes, de Genabum. Répété par des cris à travers les champs et les villages, il parvint le soir-même à cent cinquante milles, chez les Arvernes, autrefois ennemis du peuple druidique et populaire, aujourd’hui ses alliés. Le vercingetorix (général en chef) de la confédération fut un jeune Arverne, intrépide et ardent. Son père, l’homme le plus puissant des Gaules dans son temps, avait été brûlé, comme coupable d’aspirer à la royauté. Héritier de sa vaste clientèle, le jeune homme repoussa toujours les avances de César et ne cessa dans les assemblées, dans les fêtes religieuses, d’animer ses compatriotes contre les Romains. Il appela aux armes jusqu’aux serfs des campagnes, et déclara que les lâches seraient brulés vifs ; les fautes moins graves devaient être punies de la perte des oreilles ou des yeux.
Le plan du général gaulois était d’attaquer à la fois la Province [3] au Midi, au nord les quartiers des légions. César, qui était en Italie, devina tout, prévint tout. Il passa les Alpes, assura la Province, franchit les Cévennes à travers six pieds de neige, et apparut tout à coup chez les Arvernes. Le chef gaulois, déjà parti pour le Nord, fut contraint de revenir : ses compatriotes avaient hâte de défendre leurs familles. C’était tout ce que voulait César ; il quitte son armée, sous prétexte de faire des levées chez les Allobroges, remonte le Rhône, la Saône, sans se faire connaître, par les frontières des Édues, rejoint et rallie ses légions. Pendant que le vercingetrorix croit l’attirer en assiégeant la ville éduenne de Gergovie (Moulins), César massacre tout dans Genabum. Les Gaulois accourent, et c’est pour assister à la prise de Noviodunum.
Alors que le vercingetorix déclare aux siens qu’il n’y a point de salut s’ils ne parviennent à affamer l’armée romaine, le seul moyen pour cela est de brûler eux-mêmes leurs villes. Ils accomplissent héroïquement cette cruelle résolution. Vingt cités des Bituriges furent brûlées par leurs habitants. Mais quand ils en vinrent à la grande Agendicum (Bourges), les habitants embrassèrent les genoux du vercingetorix, et le supplièrent de ne pas ruiner la plus belle ville des Gaules. Ces ménagements firent leur malheur. La ville périt de même, mais par César, qui la prit avec de prodigieux efforts.
Cependant, les Édues s’étaient déclarés contre César qui, se trouvant sans cavalerie par leur défection, fut obligé de faire venir des Gramains pour les remplacer. Labienus, lieutenant de César, eût été accablé dans le Nord, s’il ne s’était dégagé par une victoire (entre Lutèce et Melun). César lui-même échoua au siège de Gergovie des Arvernes. Ses affaires allaient si mal qu’il voulait gagner la Province romaine. L’armée des Gaulois le poursuivit et l’atteignit. Ils avaient juré de ne point revoir leur maison, leur famille, leurs femmes et leurs enfants, qu’ils n’eussent au moins deux fois traversé les lignes ennemies. Le combat fut terrible ; César fut obligé de payer de sa personne, il fut presque pris, et son épée resta entre les mains des ennemis. Cependant un mouvement de la cavalerie germaine au service de César jeta une terreur panique dans les rangs des Gaulois, et décida la victoire.
Ces esprits mobiles tombèrent alors dans un tel découragement que leur chef ne put se rassurer qu’en se retranchant sous les murs d’Alesia, ville forte située au haut d’une montagne (dans l’Auxois). Bientôt atteint par César, il renvoya ses cavaliers, les chargea de répandre par toute la Gaule qu’il avait des vivres pour trente jours seulement, et d’amener à son secours tous ceux qui pouvaient porter les armes. En effet, César n’hésita point d’assiéger cette grande armée. Il entoura la ville et le camp gaulois d’ouvrages prodigieux : d’abord, trois fossés, chacun de dix ou vingt pieds de large et d’autant de profondeur ; un rempart de douze pieds, huit rangs de petits fossés dont le fond était hérissé de pieux et couverts de branchages et de feuilles ; des palissades de cinq rangs d’arbres, entrelaçant leurs branches. Ces ouvrages étaient répétés du côté de la campagne, et prolongés dans un circuit de quinze milles. Tout cela fut terminé en moins de cinq semaines, et par moins de soixante mille hommes.
La Gaule entière vint s’y briser. Les efforts désespérés des assiégés réduits à une horrible famine, ceux de deux cent cinquante mille gaulois qui attaquaient les Romains du côté de la campagne, échouèrent également. Les assiégés virent avec désespoir leurs alliés, tournés par la cavalerie de César, s’enfuir et se disperser. Le vercingetorix, conservant seul une âme ferme au milieu du désespoir des siens, se désigna et se livra comme l’auteur de toute la guerre. Il monta sur son cheval de bataille, revêtit sa plus riche armure, et, après avoir tourné en cercle autour du tribunal de César, il jeta son épée, son javelot et son casque aux pieds du Romain sans dire un seul mot.
L’année suivante, tous les peuples de la Gaule essayèrent encore de résister partiellement, et d’user les forces de l’ennemi qu’ils n’avaient pu vaincre. La seule Uxellodunum (Cap-de-Nac, dans le Quercy ?) arrêta longtemps César. L’exemple était dangereux, il n’avait pas de temps à perdre en Gaule ; la guerre civile pouvait commencer à chaque instant en Italie ; il était perdu s’il fallait consumer des mois entiers devant chaque bicoque. Il fit alors, pour effrayer les Gaulois, une chose atroce, dont les Romains, du reste, n’avaient que trop souvent donné l’exemple : il fit couper le poing à tous les prisonniers.
Dès ce moment, il changea de conduite à l’égard des Gaulois : il fit montre envers eux d’une grande douceur ; il les ménagea pour les tributs au point d’exciter la jalousie de la Province. Le tribut fut même déguisé sous le nom honorable de solde militaire. Il engagea à tout prix leurs meilleurs guerriers dans les légions ; il en composa une légion tout entière, dont les soldats portaient une alouette sur leur casque, et qu’on appelait pour cette raison l’Alauda. Sous cet emblème tout national de la vigilance matinale et de la vive gaieté, ces intrépides soldats passèrent les Alpes en chantant et, jusqu’à Pharsale poursuivirent de leurs bruyants défis les taciturnes légions de Pompée. L’alouette gauloise, conduite par l’aigle romaine, prit Rome pour la seconde fois, et s’associa aux triomphes de la guerre civile. La Gaule garda, pour consolation de la liberté, l’épée que César avait perdue dans la dernière guerre. Les soldats romains voulaient l’arracher du temple où les Gaulois l’avaient suspendue : Laissez-la, dit César en souriant, elle est sacrée.
Jules Michelet. Histoire de France 1867
Il existe donc fort peu de traces évidentes de la civilisation gauloise, mais d’autres, seulement perceptibles aux esprits avertis ou curieux, sont à chercher en des domaines où on ne les attendrait pas forcément. […] À la lisière du cadre naturel, un aménagement infiniment plus vaste est largement redevable aux Gaulois, celui du paysage. Ce sont eux qui, les premiers, l’ont modelé de façon presque définitive. Les populations néolithiques avaient abondamment puisé dans les ressources naturelles, ne laissant derrière elles que jachères, brûlis, pacages en cours de reboisement, forêts à peine essartées et privées de leurs plus belles futaies. Dès le début du second âge du fer, en Gaule Celtique et en Champagne, et, un siècle plus tard, en Belgique et dans le reste de la Gaule, les Gaulois entreprennent de mettre à contribution tous les terroirs agricoles disponibles. Ils sélectionnent les forêts qui seront préservées et soigneusement utilisées pour fournir le principal matériau de construction. Ils défrichent les sols qui deviendront terres arables et pâtures mais nivellent aussi lentement le relief où se formeront terrasses et talus à l’aide de haies et de murettes. Dès les III° et II° siècles, une grande partie du territoire français acquiert ainsi une physionomie qui est celle que nous connaissons aujourd’hui, à l’exception des concentrations urbaines qui maintenant la ponctuent. À l’époque romaine, ce paysage fut largement respecté. Au Moyen Âge, friches, forêts investirent à nouveau une part des terres cultivées ou pâturées mais peu à peu, après plusieurs siècles, les paysans retrouvèrent les aménagements de leurs lointains ancêtres. La mosaïque de champs, de pâtures, de forêts et de bois, parfois encadrés comme dans un vitrail de haies épaisses, de talus abrupts et de cours d’eau maîtrisés, est probablement le plus sûr héritage que nous ont légué les Gaulois. On ne le voit pas, on l’oublie, mais il est présent. À l’image peut-être d’une civilisation qui s’est sans cesse dérobée à l’histoire.
Associés à ce paysage, et tout aussi discrets, les toponymes masquent leur lointaine origine, peut-être parce que depuis deux millénaires, ils répètent leur même mélodie devenue trop familière. Ils nous parlent pourtant de ceux qui les tirèrent de leur langue. Chacun connaît Paris, Bourges, Reims, Trêves, Amiens. Qui sait que ces noms ne sont autres que ceux des peuples qui occupaient deux mille ans plus tôt leur emplacement, Parisii, Bituriges, Rèmes, Trèvires, Ambiens ? Mais à ces noms à l’origine transparente il faut ajouter ceux encore dont la filiation est moins aisément reconnaissable : les Abrincates d’Avranches, les Andécaves d’Angers, les Ausques d’Auch, les Bellovaques de Beauvais, etc. La liste est longue. S’y ajoutent aussi les noms des régions qui tirent leur origine d’autres peuples gaulois: l’Auvergne des Arvernes, le pays de Caux des Calètes, le Périgord des Pétrocores, le Poitou des Pictons. Enfin, les tribus qui composaient ces peuples ont aussi laissé leur nom dans ceux de villes ou de pays, ces minuscules régions directement héritées des pagi gaulois. Senlis nous vient ainsi du nom des Silvanectes, tribu des Suessions, le pays de Buch des Boïates, le Médoc des Médulles.
Toute une part de notre actuelle toponymie est donc redevable à la lointaine géographie humaine des Gaulois. Ces noms, pour la plupart, se sont forgés sous l’Empire romain et au début du Moyen Âge par abréviation : ce qui permettait de distinguer les noms des chefs-lieux de cité était moins évidemment les Augusta, Augustomagus, Caesarodunum, Caesaromagus que le nom du peuple qui leur était associé. Ainsi les génitifs pluriels Suessionum, Auscorum se sont-ils substitués à celui qui les associait étroitement à l’empereur. Mais les Gaulois eux-mêmes ont donné à de simples lieux ou à des phénomènes naturels des noms encore demeurés jusqu’à nous. Les doux noms de Vivonne, Pinsonne, Bièvre, qui faisaient les délices musicales de Marcel Proust ainsi que l’objet des étymologies fantaisistes de son héros Brichot, ont gardé, comme enchâssés en eux, les mois gaulois onno (rivière) et biber (castor). Évidemment, la liste des rivières à l’identité celtique est beaucoup plus vaste: amicale Charente, Oise et Isère sacrées, Marne la Mère, divine Divonne, Doubs noir et tranquille Thève. Puis vient toute la cohorte des lieux dont le nom dérive des aménagements anciens: les Nanteuil ou clairières de la vallée, les innombrables dunum (ville ou forteresse) encore perceptibles dans Lyon (Lugdunum), Châteaudun, Verdun, les briga, les magus qui entrent dans la composition de dizaines de noms de villes et de villages. Héritages invisibles pour beaucoup et pourtant compagnons de notre vie quotidienne, ils donnent à nos lieux de vie une âme dont le mystère agréable tient certainement à leur lointaine origine et à l’usure de vingt siècles de répétitions qui ne parvient toutefois pas à effacer leurs sonorités celtiques.
La persistance de ces toponymes soulève la question de la langue. Camille Jullian, dans son Histoire de la Gaule, écrivait : De toutes les choses de la Gaule qui nous échappent, la langue est à coup sûr celle que nous ignorons le plus. Cette affirmation pessimiste n’était pas tout à fait juste, elle l’est moins encore de nos jours. La très médiocre connaissance que nous avons des parlers gaulois ne doit nullement être interprétée comme la preuve de leur totale disparition. Des mots gaulois ont persisté dans notre vocabulaire. Il est vrai qu’ils sont peu nombreux: une centaine dont l’origine est certaine auxquels s’ajoutent une cinquantaine d’autres pour lesquels elle est probable. On y trouve des mots aussi familiers que alouette, ardoise, auvent, bec, bercer, boue, bouge, bruyère, caillou, cervoise, change, char, charpente, charrue, chemin, chêne, claie, gaillard, glaise, gober, gosier, grève, if, jarret, jambe, lande, mouton, raie (au sens de sillon), ruche, souche, suie, talus, trogne, truand, truie, vanne. Beaucoup sont aujourd’hui très peu usités ou relèvent d’un vocabulaire spécialisé : alisier, alose, arpent, banne, benne, bief, bille (au sens de tronc d’arbre), bouleau, braie, combe, coule, dru, glaner, gouge, jante, lauze, lieue, marne, saie, soc, tan, tanin, tanner, tarière. Des mots tels qu’ambassadeur et vassal ont subi beaucoup de déformations et sont passés dans une langue voisine – l’italien pour le premier – avant d’être adoptés par notre langue. Mais le plus grand nombre de mots gaulois encore vivants subsistent sur un territoire restreint et perpétuellement menacé, celui des dialectes et des patois régionaux. Ainsi, à travers ce vocabulaire, les Gaulois participent encore d’une histoire inconsciente et secrète.
Jean-Louis Brunaux. Nos ancêtres les Gaulois. Le Seuil 2008
6 ~ 58
Nommé proconsul en Cisalpine, César constate qu’il n’y a plus dans l’immédiat de conflit en vue à l’est ; il va trouver matière à organiser une pacification à l’ouest : les Helvètes voulaient émigrer vers l’Aquitaine et avaient demandé à Rome pour ce faire de traverser la Narbonnaise, les Suèves du Jura regardaient du coté de la vallée de la Saône, après s’être emparé de l’Alsace, et menaçaient les Eduens. Tout cela n’était pas bien méchant, mais, le souvenir cuisant du sac de Rome par des Gaulois en ~381 était encore présent, et César se saisit de ces mouvements helvètes pour intervenir et défendre le territoire des Eduens, amis du peuple romain. Les Helvètes avaient alors décidé de contourner la Narbonnaise en passant par le nord du Massif Central : César et ses 6 légions les rejoignent et les écrasent à Montmort, dans le Morvan. En novembre, il marche contre les Suèves, qu’il défait à Cernay, en Alsace.
~ 57
Il soumet les Belges, occupe l’Armorique, et envoie à Rome les 2 premiers livres du De Bello Gallico : grand succès qui lui valent 15 jours de fêtes religieuses.
Printemps ~ 56
Il mate plusieurs révoltes en Armorique, soumet les Aquitains, et encore les Belges ; il s’autorise même quelques expéditions qui tiennent plus d’une très abondante razzia que d’une occupation : chez les Germains, en franchissant le Rhin à Bonn sur un pont construit en 10 jours, et sur l’île de Bretagne, en traversant à 2 reprises la Manche, découvrant la puissance des marées qui mirent à mal sa flotte. Pourvu de dons éblouissants, tant sur le plan militaire que politique, législatif, il mettra à profit cette conquête pour se forger une armée dévouée. Il utilisait déjà un code, dit de substitution, pour envoyer ses ordres à ses généraux, remplaçant chaque lettre pas celle placée trois rangs derrière : ainsi CESAR devenait-il FHVDU.
~ 55
Pompée est consul à Rome, où il exerce une véritable dictature sans le nom. Son prestige est immense : vainqueur des pirates et de Mithridate, il a écrasé la démagogie et l’anarchie.
César intervient dans le nord de la Gaule pour repousser une révolte des Belges, puis celle de deux peuples germains, les Usipètes et les Tenctères, qui s’étaient installé rive gauche du Rhin, près de la Meuse. Mais la cavalerie romaine fut mise en fuite par des germains pourtant très inférieurs en nombre : 800 contre 5 000 cavaliers. Usipètes et Tenctères envoient alors des ambassades, ce que César perçoit comme une ruse et se livre à un massacre sur les troupes ennemies : on parle 300 000 à 400 000 morts ! Mais Rome s’était muni d’une législation qui permettait de condamner un général qui aurait ordonné des massacres, car pour le législateur, la guerre ne pouvait être menée que pour une cause juste. César échappera finalement, mais de peu, à une condamnation.
09 ~54
Mariée à Pompée, la fille de César meurt : le dernier lien qui unissait les 2 grands hommes est rompu, seules demeurent ambitions et rivalités.
Automne ~ 54
Les légions romaines de Sabinus et Cota, prennent une raclée à Aduatuca, à l’est, nord-est de l’actuel Namur : c’est essentiellement le fait d’Ambiorix, à la tête des Eburons, expert en embuscade. Les deux légats de César, Sabinus et Cota sont tués.
9 06 ~ 53
Les 40 000 soldats romains de Crassus se sont aventurés loin de leur bases près du cours supérieur de l’Euphrate : les Parthes de Suren leur infligent une lourde défaite à Carrhes – l’actuel Harran, au sud d’Edesse, en Turquie -. Une nuée d’archers – d’où la flèche du Parthe – a eu raison de la formation en carré de l’armée de Crassus, qui est décapitée. Les flèches étaient d’autant plus redoutables que l’adversaire était aveuglé par la brillance des bannières d’un tissu étrange : la soie, qui faisait aussi se cabrer les chevaux. Les Romains ont perdu 20 000 hommes ! Les prisonniers furent envoyés dans l’est de l’empire Parthe : on ne les revit jamais. Les 10 000 restants regagnèrent avec peine la Syrie sous la conduite de Cassius, l’un des futurs assassins de César. Mais personne n’avait oublié la soie : les belles des Romains en raffoleront, et son nom sera l’étendard de cette route des produits d’Orient, mariant la magie de l’étranger à la douceur de son toucher. Mais il faudra attendre six siècles pour que parvienne en occident le secret de sa fabrication, jalousement gardé par les Chinois.
Automne ~ 53
César avait convoqué les représentants des États de la Gaule à Chartres ; il change d’avis sur le lieu : ce sera Lutèce. Les députés Bellovaques s’étaient rendus à l’assemblée, mais ceux des pays Parisiis, Sénonais, Carnutes d’Autricum, les Eburons de Belgique et Trévires avaient décliné ; César prendra cette absence pour une déclaration de guerre et marcha contre les Sénons. Puis il mettra ses troupes en quartiers d’hiver à Agedincum [Sens], et se rendra à Rome, troublée par des désordres consécutifs à la mort de Publius Claudius Pulcher.
23 01 ~ 52
La révolte généralisée contre les forces de César commence par le massacre de tous les commerçants romains de Genabum – Orléans – : ce sont les Carmutes, sous les ordres de Cotuatos et de Conconnetodumnos qui sont à leur tête.
03 ~ 52
César a rassemblé ses légions dispersées qu’il rejoint à Sens, après une chevauchée fantastique, où il échappe aux forces adverses. Il prend Avaricum – Bourges – sans représailles sur la population, et s’en va contrer Vercingétorix.
06 ~ 52
Il connaît l’échec au siège de Gergovie. Ses amis éduens lui font défection et se rangent aux cotés de Vercingétorix, confirmé dans ses fonctions de chef par une assemblée générale des peuples gaulois tenue à Bibracte. Vercingétorix tente de barrer la retraite des légions de César regroupées autour de Sens et les attaque près de Saint Jean de Losnes, sur les bords de la Saône, mais sa cavalerie se fait tailler en pièces par les cavaliers germains recrutés par César, qui poursuit les troupes gauloises jusque dans leur quartier général d’Alésia, aujourd’hui le Mont Auxois, en Côte d’Or, sur la commune d’Alise Sainte Reine.
Replié à Metlosedum [Melun] après s’être fait bousculer à Lutèce par le vieil Aulerque Camulogène, Labienus, un lieutenant de César repart sur Lutèce où il finit pas le vaincre : c’est la bataille de Lutèce. Camulogène suivait les recommandations de Vercingétorix en matière de stratégie militaire, qui considérait qu’il ne servait à rien de chercher à vaincre les Romains lors des sièges des villes, opérations où ils étaient passés maîtres ; il était préférable de pratiquer la politique de la terre brûlée pour les couper de leurs approvisionnements.
09 ~ 52
La place d’Alésia proprement dite était au sommet d’une colline escarpée, en sorte qu’elle apparaissait comme inexpugnable autrement que par un blocus. Vercingétorix s’y enferme délibérément, attendant une armée de revers que des émissaires devaient ramener ; elle arriva, faillit venir à bout des Romains, mais ceux-ci, aidés de la cavalerie germanique, et des immenses talents stratégiques de César, renversèrent in extremis la situation. César disposait d’environ 50 000 hommes. Vercingétorix en avait plus. La nécessité de communiquer pendant la bataille fixait une limite au nombre d’hommes : la communication se faisait alors par le biais des étendards, drapeaux, flammes que l’on utilisait comme on le fera plus tard des sémaphores : donc la distance maximum est celle qui permet de voir à vue d’œil, c’est-à-dire à peu près 3 kilomètres, distance que représente le front d’une armée de 50 000 hommes.
Dans la rubrique Clochemerle, une grotesque querelle prendra forme à partir du milieu du XIX° siècle quant à la localisation d’Alésia : elle prendra de l’ampleur dès lors qu’elle sera parvenue à faire croire que la localisation à Alise-Sainte-Reine ne devait son succès qu’à Napoléon III. Donc ses opposants trouvèrent un Alaise, en Franche Comté, à 150 km d’Alise Sainte Reine, où les fouilles entreprises ne donnèrent jamais rien !
~ 51
César a hiverné à Bibracte où il a écrit les derniers livres du De Bello Gallico, après quoi il écrase les dernières poches de résistance, car il y en a – Uderzo et Goscinny se sont très bien documentés – : notamment chez les Cadurques, dans le sud-ouest, où ils tiennent le réduit d’Uxellodunum – avec Lucterios, du Quercy et Drappès de Sens – c’est l’actuel Capdenac le Haut, près de Figeac -, quasiment entouré par le Lot, qui dispose d’une source, au pied de la falaise qui surplombe le Lot, leur permettant de résister aux assauts de Caninius, un des lieutenants de César, lequel va revenir lui-même sur place pour prendre l’affaire en main, construisant une tour en bois d’où ses artilleurs bombardent les assiégés de projectiles, chaque fois qu’ils vont chercher de l’eau, lesquels assiégés tentent d’incendier la tour avec des projectiles de poix enflammée. Les sapeurs romains percent la colline pour détourner la source. Les fouilles permettront de retrouver les galeries creusées par les Romains et des quantités invraisemblables, de projectiles, traits de catapulte, boulets, pointes de flèches ou balles de fronde en plomb qui fusent à 400 km/h et peuvent fracasser un crâne à plusieurs centaines de mètres de distance… La supériorité militaire des Romains était écrasante. [quelques siècle plus tard, la source servira encore à résister aux Anglais lors de la guerre de Cent ans]. À la fin de l’année, la Gaule, épuisée, était totalement annexée. On parle d’un million d’esclaves ramenés en Italie ; Vercingétorix mourra dans une prison après avoir été exhibé enchaîné, au triomphe du vainqueur.
En Gaule, non seulement dans toutes les cités, dans toutes les bourgades et dans toutes les régions, mais aussi dans presque chaque famille, il y a des partis politiques opposés. À leur tête se trouvent des chefs choisis pour leur prestige. C’est à eux que les Gaulois s’en remettent pour trancher et régler tous les problèmes. Cette coutume remontant à des temps très anciens semble destinée à assurer la protection de chacun contre un plus puissant. En effet, un chef de parti ne permet pas qu’on attaque ou qu’on trompe ses fidèles, car sinon, il n’a plus aucune autorité dans son parti. Cette même division se retrouve dans l’ensemble de la Gaule, dont tous les peuples sont divisés en deux grandes factions.
Jules César. De Bello Gallico. VI, 11.
Dans la région de l’Ohio, les Moundbuilders,- que l’on nommera indiens 15 siècles plus tard, faisant nôtres les erreurs de Christophe Colomb -, dressent des centaines de statues gigantesques en terre, représentant hommes, oiseaux, serpents, qui servent soit de sépulture soit de fortifications ; des Grands Lacs au golfe du Mexique et à l’ouest américain, on commerçait bijoux et armes. 1 200 ans plus tard, c’est encore à eux que l’on doit la ville de Cahokia, à l’est de l’actuel Saint Louis, à la confluence du Mississippi et du Missouri ; elle comptait au moins 20 000 habitants, une place centrale de 25 ha, une pyramide de plus de 30 m. de haut
12 01 ~ 49
César et son armée toute dévouée à sa personne, cantonnés dans leur quartier général de Ravenne, siège de la Gaule Cisalpine, franchissent le Rubicon [4], qui fait frontière avec l’Italie : alea jacta est – les dés sont jetés -. Pompée et ses partisans s’embarquent à Brindes – Brindisi – et vont préparer la guerre hors d’Italie. César entre à Rome le 1° avril, où il reconstitue un gouvernement légal tout à sa dévotion. La guerre civile va faire rage ; il reprend la lutte partout où se trouvent les partisans de Pompée, avec des fortunes diverses.
Cicéron qui sauva la république des fureurs de Catilina, ne put la sauver de l’ambition de Pompée et de César. Si Rome eût pu être défendue par le zèle, l’éloquence et la vertu d’un seul citoyen, l’auteur de tant de chefs-d’œuvre, objets perpétuels de notre admiration, eût été le libérateur de sa patrie ; mais les factions des Gracques, les guerres civiles de Marius et de Sylla avoient ébranlé les fondemens de la république, et ce grand homme ne pouvoit ranimer, du feu de son génie et de son patriotisme, un corps languissant qui tomboit en dissolution. La république, partagée entre Pompée et César, devoit nécessairement succomber, de quelque parti que se rangeât la victoire. L’un après avoir triomphé de l’Orient, l’autre après avoir triomphé de l‘Occident, et planté les aigles romaines jusque dans la Bretagne ; celui-là, fier de compter tant de rois asiatiques vaincus ; celui-ci, d’avoir subjugué tant de peuples, ne pouvoient se décider, entourés de tant de gloire, à se perdre dans la foule des citoyens.
Maître de son armée, César, plus favorisé de la fortune, plus actif, agit sur le champ au lieu de consulter ; Pompée, frappé d’un esprit de vertige, délibéra, et quitta ensuite honteusement l’Italie. L‘audacieux César entra dans Rome, pilla le trésor public, et passa ensuite dans l’Epire. L’activité de Pompée parut un moment se réveiller ; il battit César devant Dyrrachium, et il eût anéanti l’armée de son rival, s’il eût su profiter de cette première victoire. L’incomparable audace de César et sa fortune l’emportèrent enfin. Les Germains enrôlés sous ses étendards, devinrent les principaux instruments de son triomphe ; leur fidélité étoit aussi éprouvée que leur bravoure. Pompée, vaincu complètement dans les plaines de Pharsale en Thessalie, s’enfuit précipitamment en Égypte ; Caton s’embarqua pour l‘Afrique, résolu de défendre la liberté romaine jusqu’au dernier soupir.
Pompée fit voile vers l’Égypte où la guerre civile régnoit entre Plolémée et Cléopâlre. Le rhéteur Théodote engagea le jeune roi à une lâcheté criminelle, et Pompée fut assassiné par les ordres de ce prince qui lui devoit la couronne. César vengea la mort de son rival, non sans s’exposer aux plus grands dangers qu’il eût encore courus. Sa passion pour Cléopâtre, sa partialité contre Ptolémée, faillirent de le perdre ; les Alexandrins prirent les armes, fondirent sur les Romains qu’ils eussent infailliblement exterminés, sans la présence d’esprit de César qui apaisa un moment leur fureur ; mais elle s’enflamma de nouveau. Ptolémée parvint à s’échapper ; l’eunuque Ganymède, général égyptien, rusé, plein d’habileté et de valeur, battit les Romains, et les réduisit aux derniers abois. César alloit succomber, lorsque Mithridate de Pergame, survint à la tête d’une armée, défit celle de Ptolémée qui, en fuyant, se noya dans le Nil : la victoire de Mithridate délivra César. Après cette révolution, le général romain couronna un autre Ptolémée avec Cléopâtre, et durant quelque temps oublia la gloire dans les bras de cette reine étrangère.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
~ 49
Marseille la Phocéenne a pris le parti de Pompée et fermé ses portes à César : ses légions viennent à bout de la résistance de la cité, qui perd l’indépendance qu’elle avait jusque là au sein de la Narbonnaise, et César se chargera de lui faire payer ce mauvais choix. La culture grecque y était alors beaucoup plus prisée que la romaine : Tous les citoyens de bonne famille s’adonnent à l’art oratoire et à la philosophie, au point que leur cité servait tout récemment d’école pour les barbares, qu’elle faisait des gaulois des philhellènes et que ces derniers même ne rédigeaient plus leurs contrats qu’en grec.
Strabon, VI, 5
La Grèce conquise conquit son farouche vainqueur et porta les arts dans le Latium rustique.
Horace
9 08 ~ 48
Les 6 légions , 7 000 hommes, de César triomphent des 9 légions de Pompée à Pharsale, – aujourd’hui Larisa, en Thessalie – : c’est la débandade des républicains. Réfugié chez le roi d’Égypte, Pompée sera lâchement décapité sur ordre de ses ministres le 30 juillet. À quelques semaines près, Cléopâtre et Ptolémée XIII, son mari et frère devenu ennemi, s’affrontaient à Péluse. Cléopâtre était reine mais, selon la tradition Ptolémée, une reine ne pouvait régner seule : on l’avait donc mariée nominalement à son frère.
~ 48
César, lancé à la poursuite de Pompée, se voit offrir sa tête en arrivant à Alexandrie, 2 jours plus tard : il fait châtier les assassins et s’en console rapidement en tombant dans les bras de Cléopâtre, 21 ans. Les Égyptiens, qui n’apprécient pas que l’on séduise leur reine en s’encombrant de toute une armée, se révoltent contre César, et assiègent le palais, ce qui, vu ses occupations, ne le dérange pas outre mesure. Mais l’eau se faisant rare, il dit à ses soldats qu’en creusant des puits on pourrait trouver de l’eau douce ; car la nature avait mis des veines d’eau douce au sein de tous les rivages ; que si le littoral d’Égypte était différent de tous les autres, eh bien ! puisqu’ils étaient maîtres de la mer et que l’ennemi n’avait pas de flotte, on ne saurait les empêcher de faire venir tous les jours de l’eau douce par leurs vaisseaux, soit du Paratonium, qui était sur leur gauche, soit de l’île du Phare qu’ils avaient à droite, le vent ne pouvant jamais être contraire à la navigation de ces deux côtés à la fois.
Et encore, il ordonne que l’on mette le feu à la flotte égyptienne au mouillage, lequel se propage à un entrepôt proche de l’Arsenal où se trouvaient stockées, peut-être en attente d’embarquement pour Rome, 40 000 volumes qui partent ainsi en fumée. Mais, contrairement à ce que l’on peut lire chez Plutarque, ce n’est pas toute la Bibliothèque qui périt dans les flammes. Elle contenait, dit-on, plus de 500 000 manuscrits ! Fondée au III° siècle par les Ptolémée, elle avait une immense ambition d’universalité : ainsi une règle voulait que tout livre arrivant dans le port d’Alexandrie fût aussitôt saisi pour être copié, promesse étant faite de restituer l’original à son propriétaire.
En mai 2004, 2 ans après la mise en service de la Bibliothèque Alexandrina, une équipe d’archéologues égyptiens et polonais mettra à jour les restes : 13 salles de conférence qui pouvaient recevoir 5 000 étudiants.
Printemps ~ 47
César passe en Asie, où il écrase Pharnace II, roi du Bosphore et du Pont, fils de Mithridate, à Zela, l’un des anciens noms de l’actuelle ville turque de Zile, au nord-est de l’Anatolie.
Le jour se lève. Là-bas, à l’est, la masse du mont Kadjababa [l’énorme papa] sort de la brume. Tout autour, les ondulations de terrain permettent aux adversaires de planquer leurs troupes de réserve. Un vent d’altitude frissonne dans l’herbe courte. L’ordre est donné. La légion romaine en rangs serrés s’avance. C’est alors que Pharnace dévoile l’arme effrayante qu’il a inventée et qu’il cachait derrière un repli de terrain : des chars dont les roues sont équipées de faux. L’effet est effroyable. Les petits chevaux secs et nerveux, fouettés par leurs auriges, foncent dans les rangs des fantassins en creusant des sillons sanglants. Pendant cinq heures, la bataille est sans merci. Les hommes sont épuisés. Et puis l’ordre romain triomphe. Et César, à l’intention du Sénat, va graver sur une tablette le compte rendu de la bataille le plus court et le plus célèbre de l’histoire de la guerre. Sur ce champ où sont morts tant de ses hommes, il dicte simplement : veni, vidi, vici – je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.
Bernard Ollivier. Longue Marche I. Traverser l’Anatolie. Phébus 2001
Il place l’un de ses protégés, l’Iduméen Antipater administrateur du Temple de Jérusalem, tandis que la Judée est confiée à Jean Hyrcan et la Galatie laissée au roi Deiotaros. Il rentre à Rome à l’automne, puis repart pour l’Afrique abattre les derniers partisans de Pompée.
6 04 ~ 46
Suite à la victoire de César à Thapsus, ses ennemis se donnent la mort : Caton à Utique, Scipion sur mer et le roi Juba à Zamma.
Dès son retour à Rome, César célébrera son triomphe ; le sénat lui avait donné les prérogatives du princeps senatus : droit de présenter des candidats à toutes les magistratures, de revêtir la pourpre et le laurier des triomphateurs en permanence. Ce fût une fête d’une splendeur inouïe, avec princesse lagide, prince berbère, Vercingétorix, – qu’il fera égorger peu après dans sa prison -. Butin, banquets, spectacles donnèrent au peuple la sensation que le monde entier était aux pieds du dictateur.
Jean Remy Palanque. L’Occident et la République romaine. 1956
fin ~ 46
La présence de Cléopâtre à Rome, renforce l’influence scientifique et artistique de l’Égypte.
1 01 ~ 45
Les Romains fonctionnaient jusqu’alors avec un calendrier lunaire, soit 355 jours. Pour rattraper le décalage avec le cycle des saisons, ils ajoutaient tous les deux ans, au mois de février, un mois de 27 jours et cela avait fini par avoir de gros inconvénients, souvent politiques (allongement des magistratures des amis, raccourcissement de celles des ennemis). Aussi César avait-il fait appel à un astronome grec, Sosigène d’Alexandrie, qui avait calculé que l’année solaire durait 365.25 jours ; il avait donc adopté cette mesure (d’une exceptionnelle exactitude) en décidant d’une année de 365 jours, avec une année bissextile tous les 3 (qui deviendront 4) ans. Pour rattraper les incohérences du calendrier précédent, il fallut donner 422 jours à l’année ~ 46. Ce sera le calendrier Julien, qui restera en vigueur jusqu’en 1582 quand le pape Grégoire XIII le réformera en faisant adopter le calendrier grégorien, avec des retards plus ou moins grands chez ceux qui n’aimaient pas le pape, orthodoxes et protestants.
César conserve le cadre institutionnel de la République mais en vidant peu à peu le contenu : ne restent bientôt plus que les coquilles : dictateur pour 10 ans, consul renouvelé chaque année, préfet des mœurs – ce qui équivalait à la censure -, il réforme considérablement le sénat, le dépouillant de bien des pouvoirs : l’imperator est de fait un véritable monarque, au demeurant populaire, remettant les dettes par un moratoire des petits loyers, supprimant la contrainte par corps ; toute la législation de César est favorable aux petits : des lois somptuaires limitent le luxe insolent des riches, une loi frumentaire institue des distributions gratuites de blé, une loi agraire installe 20 000 familles sur des terres. Il met en place un statut municipal, calqué sur l’organisation de la cité romaine. Les projets pour la transformation de Rome ne manquent pas : élargissement du pomœrium au-delà de l’ancienne enceinte, destruction des murs du ~IV° siècle, détournement du cours du Tibre, reconstruction de la basilique Æmilia, de la curie, des rostres et de plusieurs temples. La royauté s’ouvre à lui ; on l’a déjà acclamé comme tel, on lui offre un diadème, qu’il refuse… sans doute simple manœuvre.
Combien savoureux les croquis de Lucien Jerphagnon et Pierre Grimal… Ils nous révèlent l’esprit supérieur de celui qui, en une seule année (45 av J.C.), réorganise l’administration des provinces et des villes alliées ou soumises et dilue le pouvoir de la noblesse romaine et des sénateurs (il en éleva le nombre à neuf cents, y incorporant même des sous-officiers ! ).
La même année, Jules César réforme le calendrier, fixant l’année à 365,25 jours (c’est le calendrier actuel, à peine modifié par Grégoire XIII en 1582). Il fonde Séville en Espagne, Bizerte en Afrique, Corinthe en Grèce. Il octroie la citoyenneté romaine aux habitants de la Gaule cisalpine (l’Italie du bassin du Pô). Mais, pour endiguer la corruption et administrer ce qui était devenu un empire, il fallait contrarier le privilège d’une élite (moins de 1 % des citoyens). Le Sénat, les nobles, peu ménagés par César, maugréent ferme.
Consul, dictateur, grand pontife, augure, on l’a plusieurs fois proclamé imperator (un titre décerné aux chefs victorieux).
On se demande toujours s’il était dans l’intention de César de confisquer tout le pouvoir et de restaurer à son profit la monarchie après quatre siècles de fierté républicaine. Il ne refusa pas la couronne tressée de blanc des rois orientaux que le consul Marc Antoine posa sur sa tête le 15 février 44, malgré la vive désapprobation de la foule. Il fit même transporter la couronne contestée sur sa statue au Capitole.
On peut considérer cette démarche comme un sondage, car le dictateur n’était pas l’homme des jeux inutiles. Ses adversaires le comprirent : un mois plus tard, le 15 mars 44, vingt-trois coups de poignard transpercèrent César, à qui Antoine fit de magnifiques funérailles, tandis que la noblesse, diminuée mais soulagée, ricanait avec Cicéron.
[…] Rien n’est plus faux que de croire que César et son héritier Octave (le futur Auguste) se comportèrent à la façon d’un Napoléon et qu’ils transformèrent une vieille démocratie en monarchie. Tout d’abord, la République romaine n’avait rien de démocratique. Les succès de la plèbe, arrachant le pouvoir bribes par bribes aux patriciens, n’avaient pas changé le caractère oligarchique du gouvernement. Certes, il était possible de sortir du rang et de s’illustrer à Rome. La recette : vous deveniez général en chef, consul, sénateur, et votre descendance faisait désormais partie des happy few, c’est-à-dire de la nobilitas dans laquelle se recrutaient tous les magistrats de rang élevé. On se trouve bien devant une oligarchie.
En s’emparant du pouvoir, en se faisant octroyer le consulat à vie par le Sénat, Octave ne renie pas les principes républicains. Dans les périodes de danger, depuis des siècles, on nommait un dictateur, possédant le droit de vie et de mort sur tous ses concitoyens et disposant des pouvoirs les plus exorbitants. Octave, après César, devient un dictateur permanent.
Le titre d’imperator que lui confèrent les sénateurs a déjà été porté par nombre de généraux victorieux. Ce mot n’a pas le sens que nous donnons à celui d’empereur. On s’en approche avec l’autre titre dont on bombarde le petit neveu de César : Auguste
Voilà qui est inédit. Grandiose. Honorifique au possible (on avait d’ailleurs hésité entre Auguste et Romulus). Mais le Sénat subsiste, et tous les magistrats et institutions de la République sont maintenus ou peu à peu rétablis : les consuls, les questeurs, les prêteurs, les tribuns, les censeurs, même si leurs fonctions sont pour la plupart confiées à Auguste, comme elles l’avaient été à César ! Octave-Auguste, donc, après avoir éliminé son rival Antoine, qu’il obligea à se suicider avec sa maîtresse Cléopâtre, prit en main les destinées de la res publica, qu’il ne faut pas non plus confondre avec ce que nous appelons république. Res publica peut se traduire par ce qui est l’affaire de tout le monde. Cette chose publique, nous l’avons vu, était gérée par un petit nombre de gens, qui devaient leurs pouvoirs à leur naissance et au talent dont la nature les avait pourvus, mais très rarement à ce seul talent. Depuis César, la chose publique est l’affaire d’un homme. Et comme cet homme-là est autoritaire et tout puissant, il a tendance à traiter chacun selon le mérite de l’intéressé ou selon sa fantaisie. La dictature va amoindrir le pouvoir des grandes familles et rendre moins humbles les humbles.
De ce qui précède, nous avons une preuve absolue : les Res Gestae rédigées par Auguste à la fin de sa vie. On y lit : Pendant mon sixième consulat, après avoir éteint la guerre civile en vertu des pouvoirs absolus que m’avait conférés le consentement de tous, j’ai fait passer la République de mon pouvoir dans celui du Sénat et du peuple romain. Et l’Empereur ajoute d’un ton modeste que cet acte méritoire a été récompensé : J’ai été nommé Auguste.
Jean-Paul Barbier. Civilisations disparues. Assouline. 2000
Devenu grand pontife malgré l’opposition du Sénat, puis consul, César réalise son coup de maître avec la constitution du triumvirat, utilisant à la fois la richesse de Crassus et la gloire de Pompée pour faire avancer ses propres affaires. Vainqueur des Gaulois après neuf années passées de l’autre côté des Alpes, il dispose pour faire aboutir ses projets d’une armée aguerrie, entièrement dévouée à son chef.
Pendant son absence, la situation s’est fortement dégradée à Rome. Crassus a été vaincu et tué en Syrie par les Parthes. L’Urbs est livrée aux bandes armées à la solde des uns ou des autres. Assassinats et procès retentissants se multiplient, tel celui de Milon, accusé d’avoir mis à mort un autre agitateur, Clodius, et défendu par Cicéron (qui ne parviendra pas à lui épargner la condamnation et l’exil). Le Sénat, affolé et impuissant à endiguer la vague de violences, remet en 51 la totalité des pouvoirs à Pompée qui, s’appuyant sur l’aristocratie d’argent des chevaliers, lui apparaît moins dangereux que César. Nommé consul unique, Pompée ne songe plus qu’à écarter son rival de la direction des affaires. En janvier 50, il obtient de la haute assemblée un décret qui retire son imperium à César et ordonne à celui-ci de licencier ses troupes installées en Cisalpine et de rentrer à Rome en simple citoyen. Après avoir longtemps tergiversé, César décide de jouer son va-tout. Le 17 décembre 50, ses légions franchissent le Rubicon, un petit fleuve côtier qui sépare la Gaule cisalpine de l’Italie péninsulaire, et entament leur marche sur Rome. Une nouvelle guerre civile commence : elle va durer près de cinq ans.
Après avoir occupé Rome, fait des distributions à la plèbe et donné la citoyenneté aux Gaulois de Cisalpine, César poursuit son adversaire en Grèce et écrase son armée à Pharsale, en Thessalie, en août 48. Réfugié en Égypte, Pompée y est mis à mort par les hommes de main du roi lagide, ce qui fournit à César le prétexte d’une intervention armée dans ce pays. Il y fait châtier les meurtriers, détrône le roi et remplace celui-ci par sa sœur, la belle Cléopâtre. Après quoi, il entreprend de briser la résistance des partisans de Pompée, encore nombreux en Asie Mineure, en Tunisie et en Espagne. Partout victorieux, il est de retour à Rome en 46 pour célébrer son quadruple triomphe.
César va désormais, par étapes, monopoliser les honneurs et les instruments du pouvoir. Grand pontife depuis 63, préfet des mœurs, cumulant les fonctions de consul et de dictateur, pour finalement être investi de la dictature à vie en 44, il peut à sa guise modifier la constitution. Détenteur de l’imperium, de l’auctoritas et de la puissance tribunicienne, il préside les comices et rédige l’album sénatorial : ce qui lui permet de combler les vides de la haute assemblée, désormais composée de 900 membres, et d’y faire élire ses partisans. Imperator à vie, il a le droit de porter en permanence le manteau de pourpre que revêt le jour du triomphe le général en chef. Autrement dit, il rassemble sur sa personne l’ensemble des pouvoirs jusqu’alors répartis entre les magistrats de la République, assortis de prérogatives qui en multiplient l’efficacité. Proclamé divus (divin), liberator, Parenspatriae (père de la patrie), il bat monnaie à son effigie et se voir reconnaître la paternité d’un mois du calendrier portant le nom de la gens patricienne dont il est issu : iulius (juillet).
Fort de ces immenses pouvoirs, César entreprend toute une série de réformes destinées à adapter les institutions de la cité aux transformations de la société romaine et au gouvernement d’un Empire dont les limites ne cessent de s’étendre. Après avoir rétabli la paix civile (sans excès de violence) et restauré les finances, il entreprend d’améliorer le fonctionnement des tribunaux, s’applique à réformer les mœurs par des lois limitant le luxe et met en œuvre à Rome d’immenses projets de restructuration urbaine. Il fait agrandir le Forum romain, édifier la basilique Julia et remplace la curie que Sylla avait fait construire par un nouvel édifice dont la situation, à l’angle inférieur du Forum de César, symbolise le rôle secondaire désormais dévolu au Sénat. D’autres projets grandioses comme le détournement du cours du Tibre et le drainage des marais Pontins ne pourront, faute de temps, être réalisés.
Mais César n’a pas complètement oublié ses liens antérieurs avec le parti populaire. Désireux de lutter contre la misère, il décide un moratoire sur les loyers mais s’applique à donner du travail aux pauvres plutôt qu’à multiplier les mesures d’assistance. Pour cela, il diminue de moitié le nombre des bénéficiaires de distributions gratuites de blé et oblige les propriétaires à employer au moins un tiers de travailleurs libres. Les terres de l’ager campanus, jusqu’alors accaparées par les possédants, sont loties en faveur des citoyens pères d’au moins trois enfants : ce qui permet d’installer une vingtaine de milliers de familles.
Mais peut-être l’essentiel de son œuvre tient-elle dans l’effort que César a accompli pour hâter l’unification du monde romain. Au principe d’exploitation pure et simple de l’Empire, qui avait jusqu’alors prévalu pour le plus grand profit de l’oligarchie sénatoriale, il opposa l’idée que Rome devait être la capitale d’un empire unifié. Il fit venir au Sénat des hommes nouveaux, originaires de diverses régions de l’Italie. Il accorda le droit de cité romain à des peuples entiers, en commençant par les habitants de la Gaule cisalpine : mesure qui parachevait l’unification politique de l’Italie, désormais soumise à un statut politique uniforme à l’intérieur de ses frontières naturelles. Il fonda des colonies hors d’Italie – notamment en Narbonnaise, en Espagne du Sud et en Afrique – pour y accueillir une partie de la plèbe romaine.
Pierre Milza. Histoire de l’Italie. Pluriel 2005
15 03 ~ 44
Marcus Brutus et Caius Cassius, chefs des républicains, assassinent César dans la Curie. Il avait 57 ans. La lutte pour le pouvoir, d’abord verbale avec Cicéron, devint armée dès l’hiver, mettant aux prises Marc Antoine, lieutenant de César, et les partisans des républicains, donc de ses assassins. Antoine commence par battre en retraite devant des forces supérieures, puis bénéficie de 2 ralliements qui vont le sauver : Lépide, proconsul de la Narbonnaise, et Octave, jeune homme effacé de 19 ans, petit neveu de César, qui va se révéler.
Rome, fondée par un fratricide, avait, sous Junius Brutus, acheté sa liberté par un parricide, et des flots de sang coulèrent sous les murs de cette ville, et sur les bords du lac Rhégilles, pour cimenter les fondemens de la république. Rome perdit, par le même crime, sa liberté sous Marcus Brutus : là , c’est un père qui fait le métier de bourreau contre ses fils ; ici, c’est un fils qui poignarde son père. Ainsi le parricide commence et termine les destinées de la république romaine, et la liberté s’éteint dans le sang des Romains.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
Il faut faire preuve de beaucoup de prudence, de circonspection quant au sens précis du mot fils selon l’époque ou le lieu où il est utilisé. Ainsi, en Afrique, on a coutume de faire préciser les mots frère ou sœur en demandant : même père, même mère ? Très souvent ce vocabulaire de parenté familiale est au sens large… toujours en Afrique, pratiquement tout le monde a tendance a nommer l’autre mon frère ou ma sœur. Ainsi de Brutus : quand César dit Tu quoque, mi fili ! il nomme ainsi celui qui est en fait son beau-fils : Brutus est fils de Servilia, laquelle est la maîtresse de César. Le père de Brutus était … Brutus, assassiné par les bons soins de Pompée. À sa mort, Brutus fils avait été élevé en Grèce où il avait été l’élève de Caton d’Utique.
19 08 ~ 43
Octave est entré dans Rome à la tête de 7 légions et s’y fait élire consul.
27 11 ~ 43
Formation d’un triumvirat : Antoine, Octave et Lépide, qui débute par un régime de terreur : affichage des listes de plus de 2 000 proscrits, parmi lesquels 100 sénateurs, condamnés sans jugement, le plus illustre d’entre eux étant Cicéron.
7 12 ~ 43
Octave fait assassiner Cicéron, qui, voyant les nervis, cherche à fuir : Ils étaient à peine sortis que les meurtriers arrivèrent : c’était un centurion nommé Herennius et Popilius, tribun de soldats, celui que Cicéron avait autrefois défendu dans une accusation de parricide… un jeune homme, nommé Philologus, que Cicéron avait lui-même instruit dans les lettres et dans les sciences, et qui était affranchi de son frère Quintus, dit au tribun qu’on portait la litière vers la mer, par des allées couvertes.[…] Cicéron, portant la main gauche à son menton, geste qui lui était ordinaire, regarda les meurtriers d’un œil fixe. Ses cheveux hérissés et poudreux, son visage pâle et défait par une suite de ses chagrins firent peine à la plupart des soldats mêmes, qui se couvrirent le visage pendant qu’Herennius l’égorgeait : il avait mis la tête hors de la litière, et présenté la gorge au meurtrier ; il était âgé de soixante-quatre ans. Avant de mourir, Cicéron déclare à son meurtrier : Il n’y a rien de propre dans ce que tu accomplis, soldat, mais essaie au moins de me tuer proprement. Alors Herrenius lui enfonce l’épée dans la poitrine avant de lui couper la tête, et les mains, avec lesquelles il avait écrit les Philippiques, ces quatorze discours écrits par Cicéron contre Marc Antoine.
Plutarque
~ 43
Lyon – Lugdunum – va connaître une ascension foudroyante et deviendra, en -13, la capitale des trois Gaules. Lieu d’affaires, siège de grandes foires, bénéficiant de nombreux monopoles, le brassage des populations y favorisera la diffusion du christianisme. Les constructions occupent d’abord la colline de Fourvière sous laquelle on creuse tout un réseau de galeries qui alimentent puits et citernes.
Octobre ~ 42
Les républicains et leurs 19 légions ont cherché à gagner à leur cause la Grèce : ils se font écraser dans les combats de Philippes, en Macédoine, où périssent Brutus, Caius et la plupart des chefs.
Les triumvirs n’ont plus d’adversaires, mais ils ont beaucoup trop de soldats : que faire de ces 62 légions – plus de 300 000 hommes – ? Trente furent démobilisées, recevant un pécule et des terres, lesquelles furent confisquées à d’autres… ce qui favorisa les troubles et la reprise de la guerre civile, entre triumvirs, cette fois. Dans la Narbonnaise, des milliers de vétérans de la VII° légion s’installent dans le Biterrois, constituant ainsi un vaste marché local pour les vins du cru…, du cru et d’ailleurs car ces goûts romains appellent des cépages romains entre autres l’Aminée, d’où sera issue la clairette d’Adissan.
6 10 ~ 40
La paix de Brindes met fin à la guerre civile : Antoine épouse Octavie, sœur d’Octave. Lépide conserve l’Afrique, Octave les autres provinces d’Occident et Antoine tout l’Orient hellénique. Il installe sur le trône de Judée l’Iduméen Hérode et renoue avec Cléopâtre qu’il avait déjà rencontré dès ~41, offrant alors à la Bibliothèque d’Alexandrie 200 000 rouleaux de la bibliothèque de Pergame ; il l’aurait solennellement épousé à Antioche : ils eurent 3 enfants : Alexandre, Cléopâtre Séléné et Ptolémée. Seule Cléopâtre Séléné survivra au triomphe d’Octave, élevée par Octavie.
Après avoir été la captive de César, toujours soucieux des intérêts romains, elle avait fait d’Antoine un instrument docile, asservi à cet Orient qui l’avait totalement captivé.
Jean Remy Palanque. L’empire universel de Rome 1956
~ 40
Première bibliothèque publique à Rome.
Les cultures grecque et romaine ne s’étaient pas toujours côtoyées aisément. Chez les Grecs, les Romains avaient depuis longtemps la réputation d’être un peuple dur et discipliné, doué pour la survie et animé d’une soif de conquête. Ils étaient aussi considérés comme des Barbares – des Barbares raffinés, d’après le point de vue modéré du scientifique d’Alexandrie Ératosthène, des Barbares brutaux et dangereux d’après la majorité. À l’époque où leurs cités-États indépendantes étaient encore prospères, les intellectuels grecs avaient préservé un peu du mystérieux savoir des Romains, comme ils l’avaient fait avec les Carthaginois et les Indiens, mais ils n’avaient rien trouvé dans la vie culturelle romaine qui leur parût vraiment digne d’intérêt.
Les Romains du début de la République ne les auraient sans doute pas démentis. Rome avait toujours eu une certaine méfiance à l’égard des poètes et des philosophes. Elle s’enorgueillissait d’être la cité de la vertu et de l’action, non pas celle des mots fleuris, des spéculations intellectuelles ni des livres. Cependant, alors même que les légions romaines établissaient progressivement leur domination militaire sur la Grèce, la culture grecque commençait à coloniser l’esprit des colonisateurs. Toujours sceptiques à l’égard des intellectuels et fiers de leur intelligence pratique, les Romains reconnaissaient avec un enthousiasme croissant le niveau d’excellence des philosophes, des scientifiques, des écrivains et des artistes grecs. Ils raillaient ce qu’ils prenaient pour les défauts du caractère grec, le côté bavard et précieux, ainsi que le goût pour la philosophie, mais les familles romaines ambitieuses envoyaient malgré tout leurs fils étudier dans les académies de philosophie qui avaient fait la réputation d’Athènes, tandis que des intellectuels grecs comme Philodème étaient invités à Rome et généreusement rémunérés pour y enseigner.
Il n’a jamais été très bien vu pour un aristocrate romain de faire montre d’un hellénisme trop fervent. Les Romains cultivés préféraient minimiser leur connaissance de la langue et de l’art grecs. Pourtant, les temples et les espaces publics romains étaient décorés de superbes statues volées dans les cités conquises en Grèce, notamment dans le Péloponnèse, et des généraux romains aguerris au combat ornaient leurs villas de vases et de sculptures grecs.
Étant donné la résistance de la pierre et de la terre cuite, il nous est facile de mesurer l’omniprésence à Rome d’objets grecs, mais ce sont surtout les livres qui permettaient de diffuser l’influence culturelle grecque. Rome était une ville à l’esprit martial, les premières grandes collections de livres furent donc importées sous forme de butin de guerre. En 167 avant Jésus-Christ, le général romain Paul Emile battit le roi Persée de Macédoine et mit un terme à une dynastie descendant d’Alexandre le Grand et de son père Philippe. Persée et ses trois fils furent envoyés à Rome, où ils défilèrent dans les rues, enchaînés, derrière le char du vainqueur. Suivant la tradition nationale, Paul Émile embarqua alors un gigantesque butin qu’il remit au Trésor romain, et se réserva un unique trophée pour lui-même et ses enfants : la bibliothèque du monarque captif. Ce geste, une preuve évidente de la fortune personnelle du général, témoigne de la valeur des livres grecs et de la culture qu’ils recelaient.
L’exemple de Paul Emile fut suivi. Chez les nobles romains, la mode des bibliothèques privées, dans leurs maisons en ville ou leurs villas à la campagne, s’imposa de plus en plus. (Au début de la Rome antique, il n’existait pas de librairies, mais on pouvait acheter des livres à des marchands dans le sud de l’Italie et en Sicile, là où les Grecs avaient fondé des villes telles Naples, Tarente et Syracuse.) Le grammairien Tyrannion passait ainsi pour posséder trente mille volumes ; Serenus Sammonicus, un médecin, expert dans l’usage de la formule magique abracadabra pour éloigner la maladie, en avait plus de soixante mille. Rome avait contracté la fièvre livresque des Grecs.
Lucrèce vivait donc au sein d’une culture de riches collectionneurs de livres, et la société dans laquelle il fit circuler son poème était sur le point d’élargir son cercle de lecteurs à un public plus large. En 40 avant Jésus-Christ, dix ans après la mort du poète, la première bibliothèque publique de Rome était fondée par Pollion, un ami de Virgile. L’idée émanait apparemment de Jules César, qui admirait les bibliothèques publiques qu’il avait vues en Grèce, en Asie Mineure et en Égypte, et avait décidé d’en offrir une au peuple romain. Hélas César fut assassiné avant d’avoir pu mener à bien le projet, et c’est Pollion, qui avait pris le parti de César contre Pompée, puis celui de Marc Antoine contre Brutus, qui s’en chargea. Commandant militaire habile, bien inspiré (ou extrêmement chanceux) quand il s’agissait de choisir ses alliés, Pollion était un homme cultivé et curieux. À part quelques fragments de discours, tous ses écrits sont aujourd’hui perdus, mais il composa des tragédies dignes de Sophocle, d’après Virgile, des récits historiques et des textes de critique littéraire, et il fut parmi les premiers auteurs romains à lire ses textes à un public d’amis.
La bibliothèque fondée par Pollion fut bâtie sur la colline Aventin et financée, à la manière romaine, par des biens saisis chez les vaincus – en l’occurrence, un peuple de la côte adriatique qui avait eu le tort de soutenir Brutus contre Marc Antoine. Peu après, l’empereur Auguste fonda deux bibliothèques, imité alors par nombre de ses successeurs. (En tout, au IV° siècle après Jésus-Christ, il existait vingt-huit bibliothèques publiques à Rome.) Ces bâtiments, qui tous furent détruits, suivaient le même plan, lequel allait nous devenir familier : une vaste salle de lecture jouxtait de plus petites pièces où étaient entreposées les collections, classées dans des rayonnages numérotés. La salle de lecture, de forme rectangulaire ou semi-circulaire, et parfois éclairée par une ouverture ronde dans le toit, était décorée de bustes ou de statues grandeur nature d’écrivains célèbres : Homère, Platon, Aristote, Épicure… Les statues étaient un hommage aux écrivains que toute personne cultivée se devait de connaître, mais à Rome, elles avaient sans doute une signification supplémentaire, proche de celle des masques d’ancêtres que les Romains conservaient chez eux et revêtaient lors de commémorations. Elles étaient le signe d’une communication avec l’esprit des morts, le symbole de ces esprits que les livres permettaient aux lecteurs de faire apparaître.
De nombreuses villes antiques allaient également s’enorgueillir de collections publiques, financées par les revenus fiscaux ou par des dons de riches mécènes à l’esprit civique. Les bibliothèques grecques disposaient de peu d’équipements, mais dans l’Empire romain des tables et des chaises confortables furent conçues pour permettre aux lecteurs de s’asseoir, de dérouler lentement les papyrus, puis d’enrouler chaque colonne de la main gauche après lecture. Le grand architecte Vitruve – l’un des auteurs antiques dont le Pogge retrouva l’œuvre – recommandait d’orienter les bibliothèques vers l’est afin de profiter de la lumière matinale et de réduire l’humidité risquant d’abîmer les livres. Des fouilles, à Pompéi et ailleurs, ont permis de retrouver des plaques en l’honneur de donateurs, des statues ou fragments de statues, des pupitres, des étagères où ranger les rouleaux de papyrus, des rayonnages numérotés qui accueillaient les volumes de parchemin reliés et les codex qui remplacèrent petit à petit les rouleaux, et des graffitis sur les murs. La ressemblance avec le plan des bibliothèques contemporaines n’est pas fortuite : la conviction que les bibliothèques sont un bien public, et l’idée de ce à quoi un tel bien devait ressembler proviennent en droite ligne d’un modèle créé à Rome il y a plusieurs millénaires.
Dans le monde romain, que ce soit sur les rives du Rhône en Gaule ou près du petit bois et du temple de Daphné dans la province de Syrie, sur l’île de Kos, près de Rhodes, ou à Dyrrachium dans ce qui est aujourd’hui l’Albanie, les demeures des hommes et des femmes cultivés possédaient des pièces particulières où lire au calme. Les rouleaux de papyrus étaient soigneusement indexés, étiquetés (avec une étiquette saillante appelée sillybos en grec) et empilés sur des étagères ou entreposés dans des paniers de cuir. Même dans les thermes raffinés dont les Romains raffolaient, des salles de lecture, décorées de bustes d’auteurs grecs ou latins, avaient été aménagées pour permettre aux citoyens éduqués d’allier soin du corps et soin de l’esprit. C’est au I° siècle après Jésus-Christ qu’apparaissent vraiment les premiers signes de ce que nous appellerions une culture littéraire. L’historien Tacite en fournit un exemple, qui un jour, pendant les jeux au Colisée, parla de littérature avec un parfait inconnu, ayant lu ses œuvres. La culture n’était plus circonscrite à de petits cercles d’amis et de connaissances : Tacite avait rencontré son public sous les traits de ce lecteur qui avait dû acheter son livre sur un étal du Forum ou le lire à la bibliothèque. Ce goût de la lecture, qui s’était enraciné dans la vie quotidienne de l’élite romaine au fil de plusieurs générations, explique la présence d’une bibliothèque si bien garnie dans une villa d’agrément comme la villa des Papyrus.
Stephen Greenblatt. Quattrocento Flammarion 2011
Je retrouve ma ville et je reste bouche bée. J’avais oublié sa beauté lascive, brunie par le soleil. Rome, ville superbe où les hommes se déplacent avec la suavité des chats. Rome, aux murs ocres et aux statues d’éternité où les bougainvilliers mangent avec harmonie les façades des palais. Rome, où tout est patiné par le temps et la douceur du ciel. Rome, où cent mille esclaves s’échangent jour et nuit, les odeurs de l’Empire. Rome, ville crasseuse de la puanteur de ses marchés et luxueuse de l’or de ses conquêtes.
Laurent Gaudé. Les oliviers du Négus. Actes Sud. 2011
~ 37
Hérode le Grand devient roi de Judée, de Samarie, de Galilée et de Gaulanitide, avec l’aval des Romains et le soutien des Esséniens. Il décide d’embellir le Temple qui sera achevé en 63 ap. J.C.
~ 35
Les accords de Tarente marquent une courte paix entre Octave et Antoine.
2 09 ~ 31
Octave et Antoine ont fourbi leurs armes pendant toute l’année ~32. La lutte s’engagea sur la côte d’Arcanie, à la limite des deux mondes ; il n’y eut réellement de bataille que navale, au large du cap d’Actium, en Épire, à l’issue incertaine ; bataille de guerre civile : les forces égyptiennes étaient quasiment symboliques du coté d’Antoine. La seule chose certaine était la peur qu’avait Cléopâtre de la victoire, qui aurait ramené à Rome son Antoine : elle s’enfuit et son homme, paniqué, la suivit ; au bout du bout, en août ~30, chacun se suicida, Antoine en se jetant sur son épée, et un peu plus tard, Cléopâtre, en se faisant porter, dixit Plutarque, un panier de figues contenant deux cobras [uræus], dont la piqûre est mortelle [et non des aspics, comme le voudrait la légende, dont la piqûre n’est pas mortelle], quasiment sous les yeux d’Octave : elle n’avait pas 40 ans.
D’un coté, César Auguste entraîne au combat l’Italie avec le Sénat et le peuple, les Pénates et les Grands Dieux. Il est debout sur une haute poupe ; ses tempes heureuses lancent une double flamme ; l’astre paternel se découvre sur sa tête. Non loin, Agrippa, que les vents et les dieux secondent, conduit de haut son armée ; il porte un superbe insigne de guerre, une couronne navale ornée de rostres d’or. De l’autre coté, avec ses forces barbares et sa confusion d’armes, Antoine, revenu vainqueur des peuples de l’Aurore et des rivages de la mer Rouge, traîne avec lui l’Égypte, les troupes de l’Orient, le fond de la Bactriane ; ô honte ! sa femme, l’Égyptienne, l’accompagne. Tous se ruent à la fois, et toute la mer déchirée écume sous l’effort des rames et sous les tridents des rostres. Ils gagnent le large ; on croirait que les Cyclades déracinées nagent sur les flots ou que des montagnes y heurtent de hautes montagnes, tant les poupes et leurs tours chargées d’hommes s’affrontent en lourdes masses. Les mains lancent l’étoupe enflammée ; les traits répandent le fer ailé ; les champs de Neptune rougissent sous ce nouveau carnage. La Reine, au milieu de sa flotte, appelle ses soldats au son du sistre égyptien et ne voit pas encore derrière elle les deux vipères. Les divinités monstrueuses du Nil et l’aboyeur Anubis combattent contre Neptune, Vénus, Minerve. La fureur de Mars au milieu de la mêlée est ciselée dans le fer, et les tristes Furies descendent du ciel. Joyeuse, la Discorde passe en robe déchirée, et Bellone la suit avec un fouet sanglant. D’en haut, Apollon d’Actium regarde et bande son arc. Saisis de terreur, tous, Égyptiens, Indiens, Arabes, Sabéens, tournaient le dos. On voyait la Reine elle-même invoquer les vents, déployer ses voiles, lâcher de plus en plus ses cordages.
Virgile. Énéide, VII
C’était la fin du riche royaume lagide, qui devient prise de guerre d’Octave, donc lui appartenant en propre. Octave est le maître de l’empire : lors de son triomphe en août ~29, il exhibe, enchaînés d’or, les trois enfants d’Antoine et de Cléopâtre, ferme le temple de Janus, signifiant ainsi la fin des guerres qui ensanglantaient l’empire depuis si longtemps. Césarion, 15 ans, fils de Cléopâtre et de César, né probablement après la mort de son père, pourrait devenir un personnage très encombrant : il le fera assassiner. C’est bien de ce moment que date le début de l’Empire romain.
Cette contrée [l’Égypte] réduite par Octave en province romaine, devint le grenier public de Rome. On peut dire que la fertilité de l’Égypte servit à rendre stérile l’Italie entière, où les soins de l’agriculture furent délaissés, et qui se couvrit de vergers, de parcs, ainsi que de maisons de plaisance. Les flottes d’Alexandrie, chargées de blés, remontoient le Tibre, et approvisionnoient abondamment la capitale de l’Univers.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
13 01 ~27
Octave vient au sénat résigner ses pouvoirs exceptionnels, mais les sénateurs insistent pour qu’il garde les provinces de Gaule, d’Espagne et de Syrie. L’empire est ainsi partagé en provinces sénatoriales et provinces impériales.
16 01 ~ 27
Par sénatus-consulte, Octave reçoit le titre nouveau d’Auguste, qui lui donne une auréole sacrée, de par la référence avec les augures. Il est désormais Imperator Cæsar Augustus, placé au-dessus de toutes les magistratures, exerçant une véritable souveraineté, sans le mot de dictature. La magistrature impériale va se superposer aux magistratures républicaines sans les supprimer.
Après la journée d’Actium, l’Univers obéit docilement à un seul maître, et respira. Octave, jusqu’à cette époque, n’avoit connu que le métier d’assassin ; maître du monde, il le devint de ses passions, reçut le nom d’Auguste, et changea de conduite en changeant de nom.
[…] Les prodiges de la valeur firent naître dans Rome, une grande puissance, et couler d’immenses richesses ; mais la valeur et les richesses lui donnèrent un souverain. Durant les beaux jours de la république, les soldats romains craignirent plus leurs généraux que les ennemis ; cette crainte salutaire enfanta les prodiges de la valeur. Rome, du temps de la république, fut insatiable de gloire ; sous les empereurs, elle ne sera plus, pour ainsi parler, qu’affamée de plaisirs. Dès le temps de Scipion l’Africain, l’amour des soldats pour les généraux vainqueurs, remplaça l’amour de la patrie, et les généraux insensiblement s’acheminèrent au pouvoir suprême.
La république reposoit uniquement sur les fondemens de la religion ; l’épicurianisme venu de la Grèce, les ébranla dans le cœur des principaux citoyens. Sans les augures, sans les vestales, les Romains n’auroient pu si longtemps maintenir leur liberté : lorsqu’ils n’écoutoient plus leurs magistrats, du moins ils écoutoient leurs prêtres ; et Jupiter tonnant du haut du capitolc, étoit, pour ce peuple républicain, un dictateur perpétuel. Du moment que la crainte des dieux cessa d’agir sur la multitude ; du moment qu’en plein sénat, on osa révoquer en doute les dogmes les plus sacrés ; du moment que deux augures ne purent se regarder, sans rire l’un de l’autre, la république ne subsistoit déjà plus réellement.
Le sénat eut, dans les premiers siècles, la politique de mettre les citoyens aux prises avec l’ennemi extérieur, afin de ne point leur donner le temps de se diviser, et de se battre entre eux. En faisant naître une guerre extérieure, il ajournoit toutes les querelles, et prévenoit la ruine de la république. L’ltalie une fois conquise, le sénat fut privé de ce moyen d’administration. Carthage est détruite ; la Grèce, le Pont, la Cappadoce, la Syrie, l’Arménie, sont conquises ; Pompée revient vainqueur de l’Orient ; César, quelques années après, de l’Occident. Le monde se taisoit en présence de ces deux illustres capitaines. Après tant de triomphes, il ne leur manquoit plus que de monter au capitole, afin de rendre des actions de grâce aux dieux immortels ; mais l’ambition n’a jamais pu réunir deux grands hommes. Si la paix règne durant quelques années sur la terre, elle ne règne pas dans leur cœur dévoré par cette passion. Rome n’a plus d’ennemis que les Parthes ; ce peuple est trop éloigné pour tenir les ambitieux en bride, et leur inspirer de la crainte.
Sous Auguste, l’histoire de l’empire romain devient celle de l’ancien continent. Tout l’Orient étoit soumis, excepté les indomptables Parthes qui défendoient courageusement leur indépendance, et servoient de contre-poids à la puissance romaine. Dans la Judée, Jésus-Christ vient au monde, et dès l’âge de douze ans, fait admirer sa sagesse divine : les peuplades du Caucase, retranchées sur des montagnes inaccessibles, osoient, du haut de ces remparts naturels, défier la puissance des maîtres du monde.
La Grèce, quoique asservie, conservoit encore l’antique forme de ses constitutions, et une ombre de liberté qui flattoit l’orgueil de ses habitans. Les Thraces, les Etoliens, les Thessaliens n’avoient nullement changé de caractère ; Rome avoit pour eux les mêmes ménagemens politiques qu’Athènes ainsi que Sparte avoient eus à l’époque de leur gloire et de leur prospérité. Les Dalmates s’étoient révoltés ; mais des légions les firent promptement rentrer dans le devoir.
En Occident, dans les Gaules, ainsi que dans l’Italie, la paix régnoit, les peuples jouissoient du bonheur ; mais les indomptables Espagnols se défendoient dans leurs montagnes : quatre mille Cantabres se précipitèrent tout armés dans l’Océan, pour ne point survivre à la perte de leur liberté. Les Germains, encore indépendans, redoutoient peu les attaques des Romains ; les Bretons, à demi-sauvages, se maintenoient dans la même indépendance. Lorsque César débarqua sur leurs côtes, cette nation pauvre, de mœurs simples et grossières, vivoit confinée sur les hauteurs, ou dispersée dans les forêts ; elle n’avoit, pour toute marine, que de frêles barques sur lesquelles les Bretons, bravoient intrépidement les lois de l’Océan : leurs guerres ressembloient à celles des sauvages de l’Amérique, c’est-à-dire, que ces insulaires recouroient plus à la ruse qu’à la force ouverte. Vers le nord de l’Europe, les nations étoient intactes ; les Sarmates, les Sauromates, les Scandinaves n’avoient aucun démêlé avec les Romains, et la liberté régnoit toute entière près du cercle polaire arctique.
En Afrique, les Romains, du côté de l’Égypte, essayèrent, sous le commandement de Çaïus Petronius, d’envahir l’Éthiopie ; mais les déserts contraignirent ces hardis conquérans de rebrousser chemin : les bornes de leur empire furent néanmoins prodigieusement reculées du côté de la Lybie, car leurs possessions s’étendirent jusque dans les royaumes de Fezzan et de Mourzouch, que nous connoissons aujourd’hui de nom seulement.
Pour nous résumer, toutes les extrémités de l’ancien continent étaient libres, et tout le centre esclave.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
~ 25
Auguste reçoit une ambassade des Indes. Juda, roi de Maurétanie, prisonnier de Rome depuis la défaite de son père par César, élevé par Octavie, puis directement aux côtés d’Auguste lors de deux campagnes militaires, retrouve le trône de son père en Maurétanie (la quasi-totalité de l’Afrique du nord) en sa capitale Césarée, l’actuelle Cherchell. Séléné, fille de Cléopâtre l’épousera en ~19. Pline l’ancien le dira plus connu pour son savoir que pour son règne, pourtant empli de sagesse et de souci démocratique.
de ~ 20 à ~2
Sous le règne du roi Hérode, reconstruction du Temple de Jérusalem.
Aqueduc de Metz, long de 22 km, dont 13 enterrés depuis le captage d’une source à Gorze, qui traverse ensuite la Moselle par un pont de 1 125 m., édifié sur plus de 100 piles : on peut en voir encore 16 à Jouy aux Arches.
Nous restent encore de cette époque les arcs d’Orange et de Glanum, la Maison Carrée en ~2 de Nîmes [Carrée, non par son plan rectangulaire mais par ses angles bien carrés ; on l’appelait encore temple des Césars, les petits fils d’Auguste, Caius et Lucius et celui de Livie à Vienne, en ~ 7, et encore le trophée de la Turbie, élevé à la gloire d’Auguste au plus haut point de la voie Aurélia, à 450 m. au-dessus de Monaco, gloire insupportable à Louis XIV qui voudra le détruire mais ne parviendra qu’à diminuer sa hauteur de 50 à 35 mètres. Ce trophée marquait la soumission des Ligures, qui permit le prolongement de Gênes à Arles de la vieille voie Aurelia, devenue Julia Augusta. Et encore le canal au lit entièrement pavé de pierres venant doubler l’Aude entre Narbonne et la mer qui permettait une rentrée rapide et facile des grands vaisseaux par le grau de Port la Nouvelle jusqu’au Port de Narbonne. Et encore, entre ~20 et ~15, à une portée de flèche de la Garonne, Lugdunum Civitas Convenarum, appelé à devenir le siège de la glorieuse cathédrale de Saint Bertrand de Comminges, dont un évêque, Bertrand de Got sera le premier pape d’Avignon ; c’est lui qui fera remplacer la première cathédrale romane par un édifice gothique. La ville romaine sera un temps la plus importante de l’Aquitaine. Près de Saint Bertrand de Comminges, au bord de la Garonne, l’abbaye romane de Valcabrère, parfait exemple de la pratique de la construction dans le haut Moyen-Âge : on récupère tout ce que l’on peut des constructions passées et voisines : éléments dépareillés de colonnes, pierres d’angle etc, etc : réemploi, réemploi.
Nombreuses sont les commentaires élogieux de la maîtrise de ces arts de la Rome antique ; plus rares pour ce qui concerne la sculpture, pour laquelle il est au contraire aisé de trouver des commentaires assassins :
Le savant et scrupuleux Ferdinand Lot, auteur, il y a un demi-siècle, d’une Fin du monde antique qui a compté dans mes lectures, marmonne au coin d’une page de son livre – sotto voce, pour ne pas trop choquer ses collègues de l’Institut – un jugement sur l’art antique qui est comme le soupir d’ennui discret de toute une vie ! monotonie lassante. Ô combien ! Ô Forums à l’instar de Pompéi ou d’Ostie, théâtres en demi-lune, frontons en triangle, colonnades écorcées, boutiquettes de briques, sempiternelles Vénus ombrageant du même geste vos toisons pubiennes, mosaïques à dauphins des thermes, culs-de-four des basiliques, et vous, légions de statues devant lesquelles on passe au musée du Capitole avec la même curiosité expansive qu’un chef d’État en visite sur le front des bidasses – comme vous m’ennuyez, comme vous m’êtes indifférents ! Huit cents ans de récidives mécaniques, huit cents ans de Lydas au cygne et de feuilles d’acanthe, quelle nausée ! Aucun printemps d’art ne vient bousculer jamais ces moutures fastidieuses, ces réduplications mornes. L’éternité figée, monolithique, de l’Égypte, qui plonge par un bout dans l’éternité des origines, est absente, elle aussi, de cet art de transition, désacralisé, qui calcule ses coûts et triche sur ses matériaux, mesquins ou médiocres : l’énorme rallonge amont qui s’est rajoutée à l’Histoire depuis un siècle a fait de l’antiquité pour nous un moyen âge, mais un moyen âge sevré du reverdissement barbare : un long, un interminable étiolement en vase clos. Jamais art plastique n’a eu moins d’âme que celui qui va de 300 avant à 400 après Jésus-Christ.
Julien Gracq. Autour des sept collines. José Corti 1988
~12
Lépide étant mort, les comices confèrent à Auguste le sacerdoce suprême du grand pontificat ; un véritable culte, instauré en Orient dès ~29, pénètre alors en Occident : aux portes de Lyon est édifié un autel commun à toutes les cités gauloises. L’affaire sera répétée à Cologne 3 ans plus tard, puis sur l’Elbe pour la Germanie, puis à Tarragone pour l’Espagne.
~ 10
La ville d’Autun, dès sa fondation devient le siège d’une université fréquentée par les enfants de la noblesse gauloise. D’autres suivront : Lyon, Vienne, Trèves, Toulouse. La plus renommée sera celle de Bordeaux, au IV° siècle.
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[1] Obsédé par les conspirations au sein de sa cour, Mithridate parvint à développer une résistance à certains poisons à force d’en consommer à petite doses. Une application médicale actuelle de la mithridatisation est la désensibilisation spécifique à un allergène, par exemple le venin des Hymenoptéra (abeilles, guêpes, fourmis, etc …)
[2] Les Chinois ont trouvé à Cherchen, dans le Xinjiang, la province la plus occidentale, des momies datant de ~1000, d’origine celte.
[3] Quand Michelet parle de Province, sans autre précision, il faut entendre la Narbonnaise, romaine depuis longtemps déjà, et qui, de ce fait, ne fit jamais partie du terrain de bataille de la guerre des Gaules.
[4] qui se jette dans l’Adriatique à Rimini.