Publié par (l.peltier) le 1 décembre 2008 | En savoir plus |
19 09 1356
Lourde défaite de Poitiers : le Prince Noir, fils d’Edouard III, capture le roi de France Jean II, qui va être prisonnier à Londres. Son fils, le dauphin Charles a préféré prendre la fuite.
Temps de douleur et de tentation
Âge de pleurs, d’envie et de tourment.
Temps de langueur et de domination,
Âge mineur, près du définement.
Eustache Deschamps
17 10 1356
Les États de Langue d’oïl s’ouvrent à Paris, forts de 800 députés des 3 ordres, mettant sur pied une réforme du gouvernement, stipulant qu’ils instituaient un Conseil de 287 membres chargés de tout faire et ordonner au royaume aussi comme le roi : c’était l’institution d’un régime parlementaire. Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris en est l’un des principaux animateurs. Les États de Langue d’oc n’allèrent pas si loin. En mars, le dauphin lâchera du lest, en acceptant le principe d’une réforme administrative, mais il n’y sera plus question de conseils issus des États pour tenir la monarchie en tutelle.
18 10 1356
Un séisme dont l’épicentre est à Bâle, où l’on compte 300 morts, fait des milliers de victimes en Alsace : on ressentit des secousses à Berne, Zurich, et même Constance en Allemagne. En France, l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, la Bourgogne, la Champagne et l’Île-de-France ont été touchées. À Dijon, les murs du Castrum romain se fissurent, les verrières du palais ducal se cassent. À Metz, Philippe de Vigneulles rapporte que le jour de la Saint Luc en hyveir, fut le tremblement de terre en Mets, tel et si grant que tout crollait en plusieurs lieux par la cité et semblait que les maisons deussent cheoir.
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Les tremblements de terre avaient été si violents que pas un seul bâtiment, notamment ceux construits en pierre, n’échappa à une destruction partielle ou totale. […] Les secousses se poursuivent dans la même journée et la nuit suivante avec une violence telle que les habitants fuirent la ville, s’installèrent dans les champs, dans les cabanes et les fermes pour de nombreux jours.
Konrad von Waltenkofen. Alphabetum Narrotionum1357
Les sismologues français estiment aujourd’hui sa magnitude à 6.2, les Suisses à 6.8 ; la France s’inspirera de ces témoignages pour concevoir sa première centrale nucléaire, Fessenheim, à 50 km de Bâle, dont les normes de sécurité devraient lui permettre de résister à un séisme de magnitude 6.7.
1356
Bertrand du Guesclin est nommé chef de la garnison du Mont Saint Michel. Il était aussi laid que brave, et c’est dire, car de la bravoure, il en avait à revendre. D’ascendance sarrasine, il était devenu si populaire que lorsqu’il fut fait prisonnier des Anglais, toutes les filles de Bretagne filèrent la laine pour payer sa rançon. On serait tenté d’en tirer un conseil : Si vous voulez plaire aux filles et que vous êtes vilain, soyez donc au moins brave. Mais à qui donc le conseil parlerait-il aujourd’hui ? À l’époque la belle Thiphaine Raguenel, astrologue à ses heures, le suivit, qui épousa Bertrand à Dinan en 1360. Il fit construire un bon logis pour sa douce fée au Mont Saint Michel, 5 ans plus tard, dont elle ne profita que 8 ans, rendant l’âme pendant que son homme guerroyait en Poitou.
Estoc d’honneur et arbre de vaillance,
Cœur de lion épris de hardiment,
La fleur des preux et la gloire de France,
Victorieux et hardi combattant,
Sage en hauts faits et bien entreprenant …
22 02 1358
Étienne Marcel et ses 3 000 hommes de la milice parisienne déclenchent l’émeute, suite à l’assassinat le 24 janvier de Jean Baillet, trésorier du duc de Normandie ; Marc Perrin, l’assassin avait été vite retrouvé par le maréchal de Normandie et les hommes du dauphin, qui l’ont fait exécuter. Étienne Marcel et ses gens investissent le Louvre où ils vont jusqu’à la chambre du Dauphin : Sire, ne vous ébahissez pas des choses que vous allez voir, car elle ont été décidées par nous et il convient qu’elles soient faites : ces choses ne sont rien d’autre que l’assassinat du maréchal de Normandie et du maréchal de Champagne, tous deux familiers du dauphin, dans l’enceinte même du palais ; le dauphin lui-même est coiffé du chaperon rouge et bleu des rebelles… Mais Étienne Marcel a mal estimé la position du Dauphin : il le croit perdu et le laisse quitter Paris : or Charles a tout le pays avec lui, y compris l’allié de circonstance d’Étienne Marcel, le roi de Navarre. La démagogie exercée auprès des Jacquets ne va pas peser lourd vis à vis de la répression qui va faire à peu près 20 000 morts en juin : Étienne Marcel lui-même sera mis à mort le 31 juillet. Le dauphin se montrera très large dans son amnistie.
Après l’annonce d’une nouvelle dévaluation de la monnaie par le dauphin, la contestation reprend de plus belle le 23 janvier. Le trésorier royal Jean Baillot est trucidé par le valet d’un changeur. Le lendemain, le meurtrier est pendu haut et court au gibet de Monfaucon. La réaction des États ne se fait pas attendre. Dès le 11 février, ils réclament l’application de l’ordonnance du 3 mars 1357 et entendent confisquer au Conseil du roi ses prérogatives financières. Onze jours plus tard, c’est le drame. Faisant irruption dans le palais même du dauphin, Etienne Marcel et une troupe de fidèles, tous coiffés du chaperon rouge et bleu, bousculent l’entourage royal dans le but d’intimider Charles. Il l’oblige à se débarrasser des anciens conseillers de son père et à appliquer les réformes décidées par les États. Joignant le geste à la parole, ils massacrent littéralement deux maréchaux sous les yeux même du dauphin. Jean de Conflans et Robert de Clermont font ainsi les frais de cette visite intempestive. Pour couronner le tout, Étienne coiffe le dauphin ainsi de son propre chaperon. L’autorité royale est définitivement bafouée. Le régent du royaume est devenu l’otage des Parisiens. Un véritable gouvernement bourgeois s’est substitué au pouvoir du dauphin. Devant cette situation intolérable, Charles prend la fuite en pleine nuit. Quelques jours plus tard, il réunit les états dévoués à sa cause à Compiègne et obtient l’argent qu’il réclame. Relatant les meurtres inexcusables de ses deux maréchaux, le dauphin dresse les députés contre la capitale et Étienne Marcel. À Paris même, des voix commencent à s’élever contre l’action du prévôt des marchands. Survient alors la révolte des paysans…
Luc Mary Les grands assassinats. Éditions TrajectoirE.
28 05 1358
Révolte des paysans affamés du Beauvaisis, emmenés par Guillaume Carle : s’émurent menues gens du Beauvaisis, des villes de Saint Leu d’Esserent, de Nointel, de Cramoisy et d’environ, et s’assemblèrent par mouvement mauvais
Grandes Chroniques
Pour la première fois les paysans à bout de misère et de tourments, las de voir des seigneurs fainéants qui ne les protégeaient plus faire la fête sur leur dos, se révoltèrent pour de bon, et brûlèrent les châteaux en égorgeant leurs habitants. La grande Jacquerie (Jacques Bonhomme était le surnom du manant pour les hommes d’armes) éclata au printemps 1358, et se répandit comme la foudre en Beauvaisis et dans l’Amiénois, puis en Champagne et en Île de France.
Claude Duneton. Histoire de la Chanson Française. Seuil 1998.
La noblesse était dans la stupeur : les animaux de proie ne seraient pas plus étonnés si les troupeaux qu’ils sont accoutumés à déchirer sans résistance se retournaient tout à coup contre eux avec furie. Presque nulle part les nobles n’essayaient de se défendre : les plus illustres familles fuyaient à dix ou vingt lieues dès qu’on signalait l’approche des Jacques, et voyaient derrière elles remparts et donjons s’écrouler dans les tourbillons de flammes.
Henri Martin. 1810 – 1883. Histoire de France
Ces méchantes gens assemblées sans chef et sans armures pillaient et brûlaient tout et tuaient, efforçaient et violaient toutes dames et pucelles sans pitié et sans merci, ainsi comme chiens enragés […] Ils tuèrent un chevalier et boutèrent en une broche, et le tournèrent au feu et le rôtirent devant la dame et ses enfants. Après ce que dix ou douze eurent la dame efforcée et violée, ils les en voulurent faire manger par force ; et puis les tuèrent et firent mourir de mauvaise mort.
Jean Froissart. Chroniques, XIV° siècle S Luce (éd) Rebouard 1874. t V p.100
1 09 1358
Boniface Rotario, natif d’Asti, arrive au sommet de Rochemelon, 3 538 m, à l’est du Mont Cenis.
1358
Sambucuccio mène la révolte des Corses contre les Génois : ces derniers n’occupent plus que Bonifacio et Calvi et acceptent que le gouverneur soit assisté d’un conseil composé d’insulaires.
5 12 1360
Le Roi Jean le Bon vient d’être libéré de sa captivité chez les Anglais moyennant deux fils et un frère laissés en otage : il se trouve donc franc des Anglais, et pour célébrer l’événement, donne ce nom à la monnaie qu’il crée : le Franc, qui aura cours jusqu’au 1°janvier 2002 : il sera alors remplacé par l’Euro. Nicolas Oresme a été l’un des principaux concepteurs d’une réforme financière reposant sur la création de cette nouvelle monnaie, dont le nom signifie aussi qu’elle ne sera pas dévaluée, qu’elle sera franche ; mais cela, c’est une autre histoire.
Il se constituera à nouveau prisonnier en janvier 1364 quand son fils, Louis d’Anjou s’enfuit. Il mourra à Londres en avril 1364, quand la moitié seulement de la rançon avait été payée. Le dauphin Charles le remplace avec le titre de lieutenant du roi.
Pétrarque visite la France : Je pouvais à peine reconnaître quelque chose de ce que je voyais. Est-ce bien la même France autrefois si riche et florissante que je viens de quitter ? On n’y voit maintenant que des champs incultes, des fermes désertes et des maisons en ruine. Le royaume le plus opulent n’est plus qu’un monceau de cendres ; il n’y a pas une seule maison debout, excepté celles qui sont protégées par les remparts des villes et des citadelles. Même dans le voisinage de Paris, l’œil ne découvre que traces de désolation et vestiges d’incendie. Les routes sont désertes, les chemins envahis par les ronces et les orties, et le pays tout entier semble un univers de solitude et de tristesse. Où donc est maintenant ce Paris qui était une si grande cité ?
1360
Le Français Nicolas de Lynn visite le Grand Nord en bateau. Les Turcs prennent Andrinople, l’actuelle Edirne.
1361
De 1357 à 1367, Pierre I° est roi du Portugal. Avant le début de son règne, fiancé à Constance de Castille, il s’éprend d’une suivante, Inès de Castro, d’une puissante famille castillane. Son père Alphonse IV et les nobles ne peuvent accepter la situation : Inès est bannie en 1340. Mais la princesse Constance meurt en 1345, et Inès revient auprès de son amant, l’épousant secrètement. Alphonse fait assassiner Inès en 1355. Lui-même meurt 2 ans plus tard : Pierre accède au trône, fait poursuivre les assassins de sa femme, leur fait arracher le cœur avant de les conduire au bûcher. En 1361, il fait exhumer le cadavre d’Inès, le pare d’une robe royale, le coiffe de la couronne, l’installe à ses cotés sur le trône… et fait défiler tous les membres de la cour pour venir baiser la main décomposée de la reine.
1362
Le français était devenu la langue officielle de l’Angleterre depuis sa conquête par Guillaume le Conquérant : c’en est terminé avec le Statute of pleading par lequel le parlement anglais demande que les procédures légales se fassent désormais en anglais, à cause de l’incompréhension du français.
Les volcans ravagent encore l’Islande : Le feu jaillit du sol en trois endroits dans le Sud. Il continua depuis les jours du déménagement [fin mai] jusqu’à l’automne, avec de si extraordinaires recrudescences qu’il détruisit tout le district de Litla [aujourd’hui Öræfi] et presque toute la région de Hornafjord ainsi que la région de Lon. Dans cette zone, environ 160 kilomètres furent dévastés. Avec cela, le glacier Knappafell fondit et s’écoula dans la mer. Là où il y avait avant une profondeur d’eau de trente brasses, la pierre, la terre et le sol inculte laissèrent place à des bancs de sable. Deux paroisses entières furent balayées, à Hof et à Raudalæk. Les cendres se déposèrent sur les plaines jusqu’à mi-jambe. Elles formaient d’immenses nuages entraînés par le vent, de sorte qu’on voyait à peine les maisons. La pluie de cendres fut emportée au nord sur la terre ; elle était si épaisse qu’on pouvait y voir des traces. Et il arriva aussi que de gros amas de pierres ponces dérivassent au large des fjords de l’Ouest, si bien que les bateaux pouvaient à peine se frayer un chemin à travers eux.
Annales de l’évêché de Skálholt
La ville marchande de Rungolt sur l’île de Strand (aujourd’hui Sudfall) est engloutie par une tempête en mer des Wadden, au large de l’Allemagne, dans la mer du Nord. Des plongeurs archéologue la retrouveront en 2023.
1363
Le Tyrol, qui faisait déjà partie depuis longtemps du Saint Empire romain germanique, fait partie désormais de l’empire autrichien des Habsbourg. Le Tyrol, c’est la région qui se trouve de part et d’autre du col du Brenner ; et donc cela signifie que cette partie sud du Brenner, l’actuelle région de Bolzano, va devenir autrichienne, et ce jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, quand elle deviendra alors italienne avec le traité de Saint Germain en Laye…. Parfaite illustration du constat que les montagnes peuvent autant unir les hommes que les séparer. Cinq siècles de culture autrichienne : si l’italien, parlé par 26 % de la population, y est aujourd’hui langue officielle, il partage ce statut avec l’allemand, parlé par 70 % de la population, et le ladin, parlé par 4 % de la population – une langue rhéto-romane, principalement parlée dans les vallées des Dolomites, à Val Gardena et Alta Badia.
1364
Philippe le Hardi, fils de Jean II le Bon, reçoit le duché de Bourgogne. Vingt ans plus tard, il épousera Marguerite de Mâle, héritière de la Flandre, de l’Artois, d’Anvers et de Malines : et le voilà à la tête de 5 à 7 millions d’habitants sur ce territoire qui va du Rhône aux côtes de la mer du nord et du Jura aux confins de l’Auvergne.
Les habitants des villes de Gand, Bruges, Bruxelles, Anvers sont sans nombre, comme leur richesse et puissance, leur habitude de la marchandise, leur abondance de tous biens […] On y voit convives et banquets plus grands et plus prodigues qu’en nul autre lieu, et toutes sortes de festoiements.
Des chroniqueurs
Quiconque a de l’argent et veut le dépenser trouvera dans la ville de Bruges tout ce que produit le monde entier. J’y ai vu des oranges et citrons de Castille qui semblaient tout juste cueillis des arbres, des fruits et du vin de Grèce aussi abondants que dans ce pays. J’y ai vu aussi des pâtisseries et des épices d’Alexandrie et de tout le Levant comme si on y était ; des fourrures de la Mer Noire comme si elles avaient été confectionnées tout près. Il y avait toute l’Italie, avec ses brocarts, ses soies, ses armures et tout ce qui se fabrique là-bas ; en fait, il n’est aucune région du monde dont on ne trouve ici les productions dans leur meilleur état.
Anonyme espagnol
Il va installer sa cour à Dijon, y attirant nombre d’artistes venus de Flandre. Son fils Philippe le Bon lui donnera un exceptionnel éclat : Il avait chevelure abondante, front large, teint coloré, regard aigu et fier sous ses sourcils dont les crins se dressaient comme corne en son ire.
Toujours vêtu de noir, très noble de sa personne, très énergique, extrêmement aimable et bien fait, grand et élégant, vif et chevaleresque.
Il faudra attendre sans doute le Versailles de Louis XIV pour retrouver de telles fêtes où la démesure atteint des sommets : Des fêtes splendides animaient cette cour des Valois de Bourgogne, aussi avides de plaisirs que tous les autres membres de la dynastie. À Marsannay-la-Côte eut lieu, en juillet-août 1443, le pas de l’arbre de Charlemagne. On avait imaginé, au XV° siècle, de renouveler le jeu des tournois en y mêlant des données historiques qui permettaient de déployer tous les fastes du décor et du vêtement : à un arbre, dit de Charlemagne, des écus armoriés avaient été suspendus ; deux lices, l’une pour les combats à pied, l’autre pour les combats à cheval, avaient été aménagées, ainsi qu’une tribune, splendidement décorée, réservée aux spectateurs et surtout aux spectatrices de marque. On y vit les meilleurs jouteurs de l’époque, entre autres ce Jacques de Lalaing qu’on rencontre dans presque tous les tournois célèbres et qui est réputé le bon chevalier : c’est un écuyer du Hainaut qui, à vingt-deux ans, anime les fêtes, joutes, tournois, danses et caroles qui se font à la cour du duc de Bourgogne. Le Livre des faits du bon chevalier Jacques de Lalaing raconte ses prouesses.
La plaine de Chalon-sur-Saône a vu un autre de ces pas d’armes : le pas de la Fontaine aux pleurs. Une image de la Vierge était dressée, au pied de laquelle fut figurée une dame fort honnêtement et richement vêtue… et faisait manière de pleurer tellement que les larmes couraient et tombaient sur le côté gauche où fut une fontaine figurée. Les tentes des chevaliers, les tribunes de ce qu’on appelait la maison des juges – un pavillon où se tenaient les arbitres – s’élevaient alentour. Des combats mémorables s’y déroulèrent, terminés par une étrange procession des jouteurs en costume d’apparat.
Les ducs donnaient aussi des festins splendides, tel celui-ci : on dîna, raconte un témoin, dans une vaste salle à cinq portes, gardées par des archers vêtus de drap gris et noir (c’était la livrée du duc de Bourgogne). Au milieu de la table s’élevait une église dont le clocher avait cloches sonnantes ; quatre chantres et des enfants de chœur chantaient une très douce chanson. Puis on voyait une grande prairie, des rochers en façon de saphirs, une fontaine. Sur une autre table plus longue et plus large paraissait un pâté dans lequel étaient vingt-huit personnes vivantes, jouant de divers instruments, chacune quand son tour venait, entre autres un berger d’une musette moult nouvelle ; puis le château de Lusignan, les fossés remplis d’eau d’orange, et Mélusine en forme de serpent ; un dessert où des tigres et des serpents se combattaient avec fureur ; un fol monté sur un ours, etc.
Et les plats de rôti étaient des chariots d’or et d’azur ; et l’on voyait quarante-huit manières de mets à chaque plat (service). Pendant le dîner, on entendit jouer l’orgue dans l’église, et, dans le pâté, on entendait jouer du cor, moult étrangement. Et toujours faisaient ainsi l’église et le pâté quelque chose entre les mets…
Mais c’est à Lille peut-être qu’eut lieu le banquet le plus splendide, celui du Vœu du Faisan où fut récitée la Complainte de Dame Église. Au cours du banquet, un faisan fut apporté sur la table, vif et orné d’un très riche collier d’or, très richement garni de pierreries et de perles, sur lequel le duc jura de partir pour la croisade. Rien ne donne mieux l’idée de ce mélange étonnant de prouesses factices, de luxe incongru et d’illusoires combats que ce vœu qui naturellement ne devait jamais être accompli et dont l’objet même, la croisade, n’était guère que pure tradition, l’Occident se trouvant bel et bien impuissant à tenter quoi que ce fut d’utile dans un Orient plus lointain que jamais.
Georges et Régine Pernoud. Le Tour de France médiéval. Stock 1983
En Espagne, les aristocrates ont aussi leurs jeux qui ressemblent à nos tournois, mais ils ont adopté d’autres règles : ce n’est pas un homme contre un homme, mais un homme armé contre un taureau : on a là l’ancêtre des corridas.
Giovanni di Dondi termine à Padoue la construction d’une extraordinaire horloge astronomique, au bout de 16 ans de travail.
Charles V commence à constituer une bibliothèque royale dans le château de Vincennes : plus de 1 000 manuscrits qui représenteront le fonds le plus ancien de notre Bibliothèque Nationale.
1367
La guilde des lainiers de Florence valide le projet de dôme de Neri di Fioravante qui, sans arcs-boutants, marque une rupture avec le gothique : La cathédrale, résultat de plusieurs concours, fit appel aux talents de multiples architectes de grand renom : le jeune Leonard de Vinci, notamment, y participa à travers la création de la boule de cuivre doré qui surmonte le lanternon au sommet du dôme. Mais la réussite de la construction de l’édifice repose sur le génie d’un homme : Filippo Brunelleschi, brillant architecte-ingénieur qui trouva le moyen de réaliser le dôme de Neri. Il inventa des machines permettant de hisser les trente sept mille tonnes de matériaux, dont quatre millions de briques, employées dans la construction du dôme. Il fallut 140 ans pour édifier la cathédrale, finalement consacrée en 1436, et quatre siècles encore pour en achever la façade. Édifice de tous les records, le Duomo était alors la plus haute cathédrale du monde, sa coupole était la plus large, son plafond le plus haut, sa nef la plus longue.
Herbert Ypma. Italie en privé. Chêne. 2018
Du Guesclin est allé guerroyer en Espagne aux côtés d’Henri de Trastamare qui dispute à Pierre le Cruel le trône de Castille. Il a déjà défait Pierre le Cruel lorsque celui-ci fait appel au Prince noir, duc de Guyenne. Il est alors défait à la bataille de Nájera, livrée à son corps défendant. Deux ans plus tard, en 1369, il prêtera la main à un combat singulier au pied du château de Montiel, entre Pierre I° de Castille et son bâtard de frère Henri de Trastamare, ce dernier finissant par tuer le premier.
1368 – 1369
Charles V réunit successivement une assemblée de 48 notables, puis une assemblée de députés des 3 ordres sur l’affaire d’Angleterre en leur demandant s’ils voient qu’il ait fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû, qu’ils le disent, et il corrigerait ce qu’il avait fait. Il recourt au vote de ses conseillers – plus de 200, c’est-à-dire en fait l’ensemble de son administration centrale – pour le choix de ses grands officiers.
La guerre de Cent ans ajoute une dimension politique au sentiment de la langue. Face aux Anglais, les Français, toutes classes confondues, naturalisent leur identité. Parler français signifie désormais pour eux être sujet du roi de France. Or le conflit ne met pas face à face deux peuples, mais des partis princiers, ceux des rois de France, d’Angleterre et de Navarre. Tous utilisent des mercenaires de toute l’Europe et ont des partisans dans la plupart des régions. Français, Anglais ou Navarrois désignent alors un lien vassalique ou un engagement partisan. Tout change quand Charles V (1364-1380) entame la reconquête du royaume après son sacre, le 16 mai 1364 : le roi entend punir les habitants du royaume qui ont pris parti contre lui pendant la guerre civile. En 1364, le duc de Bourgogne, frère de Charles V, met le siège devant Chamerolles, un château beauceron. Les assiégés se rendent à la volonté du duc : il fait prisonniers les anglophones et pend les francophones. C’est le premier cas d’une exécution de vaincus en fonction de la langue : les Anglais sont des ennemis, mais les Français sont des traîtres. Dans la première rédaction de sa Chronique (v. 1370-1373), Froissart écrit :
Si furent li Engles et li Navarrois et li saudoyer estrainge pris prisonniers, et tous li Franchois qui layens furent trouvés, mis à mort sans merchy | Ainsi les Anglais, les Navarrais et les mercenaires étrangers furent faits prisonniers, et tous les Français qui furent trouvés dedans furent mis à mort sans pitié. |
Il remanie son texte lors de la deuxième rédaction (1383-1387) :
Si furent pris à merci tous li saudoyer estrangier ; mès aucun pillars de le nation de France, qui là s’estoient boutés, furent tout mort. | Ainsi se rendirent sans conditions tous les mercenaires étrangers ; mais les pillards de nationalité française qui s’étaient retranchés là furent tous tués. |
Froissart avait d’abord évoqué des partis princiers. Puis, dans la seconde rédaction, il a opposé les étrangers, soldats ennemis protégés par les lois de la guerre, et ceux qui parlent français, qui ne peuvent être que des pillards, bons pour la corde. De même Cuvelier, le ménestrel qui chante Du Guesclin, raconte qu’après la prise de Sainte Sévère, en 1372, les faux (traîtres) Berrichons sont pendus comme François renoiés [rénégats], alors que sont épargnés les Anglais d’Angleterre nourris [nés en Angleterre]. Ceux qui sont restés fidèles sont alors appelés nos François. La guerre installe d’abord la distinction dans la pratique dans les années 1360. Vingt ans après, Cuvelier et Froissart, nous montrent que le lien, le pays et l’appartenance politique s’est établi aussi dans les esprits. La distinction entre ennemis et traîtres ne peut se faire que par la langue : les belligérants n’ont plus le choix de leur parti, ils possèdent ce qui va devenir une naturalité, ou nationalité.
À partir de 1415, les Anglais occupent à nouveau la France. Quand Charles VII reconquiert le royaume pour la seconde fois, entre 1429 et 1444, la discrimination linguistique réapparaît et l’on exécute les traîtres de la langue de France. Au même moment, le roi donne une dimension légale à la nationalité : il instaure des lettres de naturalisation pour ceux qui sont nés hors du royaume. Coté anglais, Henri VI est devenu en 1422 roi de France et d’Angleterre. La nouvelle Double monarchie fait-elle la différence entre ses sujets selon la langue ? Dans les faits, la prétention des princes anglais à régner pacifiquement sur les deux peuples ne compense pas leur méfiance envers les Français. En Normandie, les Anglais se heurtent à une résistance durable et répondent par une répression sanguinaire. Les Normands doivent prêter serment sous peine de mort, mais demeurent suspects. En 1430, il est décidé que les garnisons ne doivent pas compter plus d’une moitié de soldats de nation française. À Alençon, on n’accepte même que des soldats de la nation anglaise, c’est à dire, Anglais, Irlandais, Gallois ou Gascons.
Entre le XIII° et le XV° siècle, on assiste ainsi au triomphe identitaire du français. Cette idée ne transforme pas la langue parlée : elle fait de l’usage de la cour ou de Paris une référence. Peu à peu, les façons régionales d’écrire la langue d’oïl (les scripta) se transforment et s’alignent sur les usages de la chancellerie royale. Au XV° siècle seules quelques villes des Pays-Bas écrivent encore en picard. Mais sous le français royal qui sert de langue-toit, les dialectes demeurent à l’oral. La situation linguistique est donc riche et complexe : les Français connaissent un modèle de cour et pratiquent souvent un ou plusieurs autres états de la langue.
Léonard Dauphant. Géographies. Ce qu’ils savaient de la France (1100-1600) Champ Vallon 2018
Dans l’Extrême Orient, la conjuration de tous les Chinois pour chasser les Mongols est couronnée de succès : la dynastie des Yuan, à la tête de la Chine depuis une petite centaine d’années, cède la place aux Ming, qui vont rester au pouvoir en Chine jusqu’en 1644. Les Yuan auront été constamment trop chinois pour les Mongols, trop Mongols pour les Chinois. Des mouvements religieux avaient encadré les révoltes. Le coup de grâce est donné par Zhu Yuanzhang, un bonze fondateur de la dynastie des Ming, qui avait étudié les techniques militaires mongoles et pris la tête du mouvement des Turbans rouges, dont une des branches provenait de la secte du Lotus Blanc. On dit là-bas que le signal de l’insurrection anti-mongole fut donné le soir de la fête de la mi-automne par des messages dissimulés dans les gâteaux de lune, consommés par les seuls Hans. L’empereur Toghan Temur s’enfuit en Mongolie en continuant à se considérer comme le souverain de la Chine (Yuan du Nord), tandis que Zhu Yuanzhang proclamait de son côté l’avènement des Ming. Les armées chinoises attaqueront la Mongolie en 1380 ; Karakorum, la capitale, tombera en 1388.
Zhu Yuanzhang, devenu l’empereur Ming Hongwu tentera pendant ses 30 ans de règne d’établir une société de communautés rurales auto-suffisantes, sans impératif pour faire affaire avec la ville. La reconstruction de la base agricole chinoise et le renforcement des voies de communications à travers le système militaire des coursiers eurent pour conséquence imprévue une productivité record qui dégagea d’importants surplus agricoles pouvant être vendus sur les marchés établis tout au long des routes des coursiers : au final, cette surproduction finira par être écoulée en ville !
En Chine vers l’an 1368, les Chinois songèrent à secouer le jour de la dynastie tartare fondée par Tchin-Kis-Khan, et qui gouvernait l’empire depuis près de cent ans. Une vaste conjuration fût ourdie dans toutes les provinces ; elle devait éclater sur tous les points, le quinzième jour de la huitième lune, par le massacre des soldats mongols, établis dans chaque famille chinoise pour maintenir la conquête. Le signal fût donné de toutes parts, par un billet caché dans les gâteaux de la lune, qu’on avait coutume de s’envoyer mutuellement à pareille époque. Aussitôt les massacres commencèrent et l’armée tartare, qui était disséminée dans toutes les maisons de l’empire, fut complètement anéantie. Cette catastrophe mit fin à la domination mongole ; et maintenant les Chinois, en célébrant la fête du Yué-Ping, se préoccupent moins de superstitions de la lune, que de l’événement tragique auquel ils durent le recouvrement de leur indépendance nationale.
Père Huc, prêtre missionnaire de la congrégation de St Lazare. Souvenir d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine de 1844 à 1846
1370
Ivan Sratzimir, csar du royaume de Vidin a entrepris de moderniser la forteresse construite par les Romains à Belogradtchik, dans la pointe nord-ouest de l’actuelle Bulgarie ; à la fin du XIX° siècle, des ingénieurs français la restaureront et c’est ma fois bien beau :
1371
Les Turcs s’avancent dans les Balkans en remportant une bataille à Cernomen, sur la Maritza, un fleuve dont l’embouchure est au nord de l’île de Samothrace.
22 06 1372
Première bataille navale avec artillerie sur 12 galères castillanes, contre une flotte anglaise de 36 galères qui encadraient 14 navires de transport : c’est à quelques encablures de La Rochelle : Ambrosio Boccanegra, commandant des galères castillanes joue très habilement des différences de tirant d’eau entre ses galères et celles des Anglais, chez lesquels il était beaucoup plus important : toutes immobilisées à marée basse, les galères castillanes se trouvaient navigables beaucoup plus tôt à marée montante que les anglaises, et il leur fut facile de se placer au mieux pour incendier et donner du canon tant et plus : toute la flotte anglaise partit par le fond. Pour ce qui est des navires à voile, mal leur en prit : il n’y avait par le moindre souffle d’air, ce qui en fait une idéale pour une galère. Un tel coup de génie de stratégie navale méritait récompense. Il suffira d’attendre la marée basse suivante pour aller se servir à bord de la galère ou se trouvait un trésor de guerre : la paie de 3 000 mercenaires pendant un an. Nom de Dieu, quelle bonne et profitable journée !
Le canon ne s’est pas fait en un jour : Depuis le IX° siècle, les Chinois lançaient à l‘aide de leurs catapultes un mélange explosif de salpêtre, de soufre et de charbon de bois pulvérisé, dans le but d’effrayer les démons. L’intelligente et humaine dynastie Sung fut détrônée en 1126 quand sa capitale, K’ai-Feng, tomba aux mains d’envahisseurs venus du nord et qui, apparemment, employèrent la poudre pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. En 1232, toujours en Chine, pendant le siège de Lo-yang, on recourut à un tube capable de lancer non seulement du feu, mais des fers de lance. En 1252, un engin assez semblable à une fusée fit son apparition à Cologne. Enfin, l’armée égyptienne, à la même époque, avait recours au salpêtre, que l’on appelait la neige chinoise.
Le pas décisif en la matière fut franchi quand on eut trouvé la combinaison exacte des ingrédients nécessaires à la fabrication de la poudre à canon à proprement parler et quand on comprit que, si on la faisait exploser dans un tube, l’explosion pouvait projeter au loin une balle de pierre ou de fer. On avait construit pour le feu grégeois des tubes de cuivre assez solides pour contenir l’explosion. Les premiers canons métalliques apparurent en Chine et en Inde dès 1275 puis s’étendirent à toute l’Europe. Il est probable que les Philippines ont connu le canon avant la France.
On se servit de poudre à canon dans les Flandres en 1314, à Metz en 1324, et d’un canon de bronze, près de Florence, en 1326. Le roi Muhammad IV de Grenade attaqua Alicante avec son artillerie en 1331. Il fallut plus longtemps pour inventer le boulet de canon mais on fabriquait des balles de fer à Lucques dès 1341. En 1346, les Anglais possédaient des canons de deux calibres différents pour la grenaille de plomb et, en 1347, Toulouse produisait des boulets de canon. D’après Pétrarque, en 1355, la poudre à canon était devenue chose courante. En 1356, les Chinois équipèrent leur armée de canons qui jouèrent un rôle décisif dans la lutte des rebelles Ming contre les empereurs mongols, entre 1356 et 1382. En revanche, il semble que l’Inde n’en posséda pas avant que les Portugais n’en importent, au XVI° siècle. En Europe, les canons décidèrent pour la première fois de l’issue d’une bataille en 1389, à Kossovo, où la Serbie vaincue devint vassale des Turcs.
Ces premiers canons manquaient d’efficacité. Même à Kossovo, ils se montrèrent peu maniables et difficiles à utiliser. C’étaient des monstres de fer forgé ou de bronze, soit formés de barres soudées entre elles et renforcés par des cercles de fer, soit, pour les canons de bronze, directement coulés par des artisans qui avaient appris leur technique en fondant des cloches. Les boulets restaient de petite dimension. La poudre était mal mélangée, ce qui retardait l’explosion. Ces canons se montrèrent très utiles en mer – une conséquence de la mobilité des flottes. La première bataille navale avec artillerie eut lieu, en 1377, au large de La Rochelle: une victoire de l’Espagne sur l’Angleterre, douze galères castillanes détruisant trente-six galères anglaises. Pourtant, les Vénitiens restèrent fidèles à leur archerie comme principale arme navale jusqu’en 1450.
En réalité, jusqu’aux alentours de 1450, époque à laquelle on inventa l‘artillerie lourde mobile, les canons étant tirés par des bœufs (en Italie) ou montés sur des affûts tirés par des chevaux (en France), ces innovations eurent peu d‘effet. Les épées, les charges de cavalerie et les archers continuèrent de décider de l’issue des guerres jusqu’au milieu du XV° siècle, et les châteaux forts restèrent invulnérables.
Hugh Thomas. Histoire inachevée du monde. Robert Laffont. 1986
1372
Création de la Société des moulins du Bazacle, à Toulouse, première société par actions. L’Honor del molis del Bazacle, s’offre pour sa fondation une charte de 3 mètres de long, toujours conservée aux archives.
L’entreprise a toutes les caractéristiques institutionnelles d’une société par actions moderne et sera rapidement imitée par un second moulin toulousain. Les parts sont librement cessibles et la responsabilité des pariers ne peut être engagée au-delà de leur apport initial, dispositions décisives pour attirer les épargnants.
Des statuts succincts sont adoptés en 1417 avant une version exhaustive de 59 articles en 1531. Les pariers, parfois des femmes, exercent tout type de profession et certains sont des investisseurs institutionnels, comme des établissements religieux ou des collèges universitaires. Un collège, qui accueille les étudiants démunis grâce à une dotation notamment investie en uchaux, consacre même un article de ses statuts de 1423 à la gestion de ses parts de moulins.
Chaque année, se réunit le Cosselh general dels senhors paries am gran deliberacio pour discuter des choix importants et élire un trésorier, deux auditeurs des comptes et le conseil d’administration (régence). Composée de huit pariers élus, la régence choisit le dirigeant, les employés secondaires et contresignent tous les contrats. Les régents sont en place pour une année, sauf deux d’entre eux qui sont reconduits une année supplémentaire. En fin de mandat, chaque régent désigne trois successeurs potentiels qui sont ensuite soumis au vote de l’ensemble des pariers.
Ce fonctionnement est similaire à celui des capitouls, les consuls qui dirigent la cité. Depuis le XII° siècle, à l’image des communes italiennes, les Toulousains jouissent d’une autonomie presque complète. Le comte puis le roi ne disposent que du droit de frapper monnaie et de conscription en cas d’agression de la ville qui, jusqu’à la Révolution, est appelée République toulousaine. Les capitouls, souvent marchands, contribuent à créer un contexte institutionnel favorable à l’activité économique. En tant que tribunal, ils développent un droit local qui autorise le prêt à intérêt, organise la saisie rapide des biens d’un débiteur défaillant et garantissent la liberté contractuelle et les droits de propriété.
Pourquoi ce modèle de société par actions n’a-t-il pas été reproduit au-delà de la ville ? La fiscalité peut avoir joué un rôle. Dans le système féodal, le propriétaire d’un bien versait à son seigneur un cens annuel (comme notre taxe foncière) et un pourcentage du prix (lods) lors d’une vente (comme nos droits de mutation).
En échange de ces redevances, le seigneur (comme l’État aujourd’hui) garantit liberté et sécurité dans la jouissance du bien. Le montant du cens étant fixe, il est vite devenu dérisoire avec l’inflation monétaire (comme si votre taxe foncière était toujours du montant fixé en 1811). Variable selon les régions mais toujours fixé en pourcentage, le lods constitue vite le plus rémunérateur des droits féodaux. Dans la coutume de Paris, régissant une large part du territoire, ce droit de mutation était de 20 %, dissuadant les transactions.
À l’inverse, les uchaux n’étaient soumis qu’à un droit de lods symbolique. Dès 1192, ce droit est divisé par dix par rapport à celui fixé en 1182. Le taux tombe à 1/48 en 1248 puis 1/70 en 1474 avec pour motif explicite de faciliter le financement des travaux.
Ces compagnies ne sont pas seulement un premier cas bien documenté de sociétés par actions, elles vont aussi connaître une très longue histoire. Des institutions demeurent actionnaires durant plusieurs siècles alors que les parts des particuliers changent souvent de mains, permettant de suivre les cours des actions sur six siècles.
C’est donc dans sa partie sud et dès le Moyen Age que l’Europe a créé des institutions capables de générer le développement économique. Ces institutions sont encore absentes dans de nombreux pays, les privant d’un moteur de croissance essentiel.
Les Moulins du Bazacle se transforment en société standard puis en producteur d’électricité en 1888 avant d’être introduits à la Bourse de Paris en 1910. Ils restent cotés jusqu’en 1946, lorsque les entreprises d’électricité sont nationalisées pour créer EDF.
David Le Bris, Sébastien Pouget. Le Monde 20 septembre 2014
1373
Pétrarque est à la veille de sa mort, retiré dans la maison d’Arqua, près de Padoue ; il n’a pas oublié ce qu’est l’invective et en use envers Jean de Hesdin, maître de l’université de Paris, qui s’est attaché à démontrer la supériorité de la France sur l’Italie :
Il nous faut remercier notre cousin d’Italie d’avoir su diagnostiquer aussi tôt une maladie bien française, dont personne jusqu’à présent n’a cherché le remède, pour la bonne et simple raison qu’elle n’a jamais été perçue comme maladie. Il garde d’autres flèches dans son carquois, et c’est pour l’Église :
A la place des apôtres qui allaient nu-pieds, on voit à présent des satrapes montés sur des chevaux couverts d’or. On les prendrait pour des rois de Perse ou des Parthes qu’il faut adorer et que l’on n’oserait aborder les mains vides.
Lettres de la vieillesse
vers 1373
À la demande de Charles V, Guillaume Tirel, dit Taillevent, écrit le premier livre de cuisine français : le Viandier – du latin vivenda : alimentation en général -.
Saulce Poetevine
Broiés gingembre, girofle, graine de paradis et de vos foies, pain brullé, vin et verjus, et faites bouillir, et de gresse de rost dedans ; puis verssés dedanz vostre rost ou vous dressiés par escueilles.
1375
Abraham Cresques, cartographe et ingénieur du Roi d’Aragon, réalise à Majorque l’Atlas Catalan, qui se propose de fournir une mappemonde, c’est à dire, une image du monde et des régions qui sont sur terre, ainsi que des diverses sortes d’hommes qui l’habitent.
Il représentait l’univers alors connu sur 12 feuilles montées sur des panneaux pliants. Il ne détaillait ni l’Europe et l’Asie du Nord, ni l’Afrique Australe [1], mais faisait figurer l’Orient et le peu que l’on connaissait de l’Océan Occidental. À l’inverse des cartes chrétiennes, l’Atlas catalan est un modèle d’empirisme : il synthétise l’expérience d’innombrables individus, y compris les navigateurs arabes et les plus récents des voyageurs européens, jusqu’alors dispersées dans les différents portulans existants. Les portulans (de l’italien portolano : guide des ports), étaient les premières cartes côtières de la Méditerranée, réalisées par des marins, portatives : confrontées directement à la réalité, elles pouvaient donc être corrigées. Il est agrémenté en marge de plusieurs miniatures, dont la représentation du très grand roi du Ghana avec, dans un cartouche : Ce seigneur noir est appelé Mussa Melly, seigneur des Noirs de Guinée. Ce roi est le plus riche et le plus noble seigneur de toutes ces parties par l’abondance de l’or qui se recueille en ses terres.
Un document exceptionnel, précisément daté de 1375, connu sous le nom d’Atlas Catalan, a été conservé dans les collections royales du château du Louvre, entre 1381 et 1411. Il s’est donc trouvé sous les yeux du roi, sinon de ses conseillers. Pour quel usage ? Aucun autre que l’agrément et la contemplation n’est établi, dans la mesure où cet objet graphique est un unicum dans la bibliothèque. Texte et images y sont savamment tressés et se déploient en un polyptique de douze feuilles de vélin sur sept panneaux de bois : un écran, autant qu’une table, et qui tente, par son double sens de lecture, de matérialiser la rotondité de la terre, en lui superposant l’image des origines et de la fin du monde, c’est-à-dire des temps. Il s’agit donc de tourner autour d’un monde bordé par les mers, à mi-chemin entre le genre de la mappemonde des encyclopédies de l’âge scolastique et des portulans dont l’usage concret se développe en Méditerranée depuis le fin du XIII° siècle. Sorti des ateliers majorquins du cosmographe juif Abraham Cresque, cette quarte de mer rédigée en catalan contient le précipité des savoirs sur les espaces connus, mais aussi sur l’ordre voulu par Dieu, depuis la création jusqu’à l’Apocalypse et la venue de Gog et Magog, enfermés par les soins d’Alexandre le Grand, qui figure sur l’Atlas au pied du Christ sauveur. L’Extrême-Occident, par le biais d’un océan cruellement vide mais garni d’une des premières roses des vents représentées, rejoint le Paradis terrestre qui figure à l’autre extrémité du polyptique. À cette pointe du monde des origines s’avance le promontoire des îles Canaries et le Rio de Oro africain, précisément explorés par le marin majorquin Juame Ferrer en 1346, Jérusalem se situe bien au centre de l’orbis terrarum, mais le monde n’a plus la forme de sa propre anagramme. Pour l’Atlas Catalan, le cœur battant des peuples, des royaumes et des richesses du monde demeure l’espace des empires islamiques. Si l’Europe occidentale occupe deux volets, le Moyen-Orient au sens large, de la mer Égée jusqu’à la péninsule indienne, se déloie sur trois panneaux, les deux derniers étant réservés à l’Extrême-Orient asiatique. À l’autre bout du monde, la fin des temps est continentale, enfermée dans les montagnes situées au nord-ouest du Cathay – notre Chine -, lointain souvenir des Mongols du siècle précédent, mais prêt à donner corps aux frayeurs provoquées par la rumeur des troupes de Tamerlan, au pouvoir depuis 1369 à Samarcande.
Le monde de l’Atlas Catalan est d’abord un univers de marin : les îles bénéficient d’un traitement singulier et l’on identifie parfaitement les profils de la Méditerranée, de la mer Noire, de la Caspienne et de la mer du Nord ; si le golfe persique se dessine, l’océan Indien demeure un horizon onirique (Jacques Le Goff) absent et non connecté à la mer Rouge. Ceci explique pourquoi l’Afrique reste aplatie sur elle-même, l’Éthiopie rejoignant le Mali vers l’ouest. Car l’Atlas représente avant tout les entités géographiques, qui font l’objet en majuscules rouges et bleues, de véritables légendes : pour l’Europe, se dessinent Angleterre, Castille, Lombardie, Pologne, Suède, Allemagne, Bavière, Hongrie, etc… Mais nulle part le mot France n’apparaît. On reconnaît bien ce fameux royaume des quatre rivières, délimité à l’est par le Rhône, la Saône, la Meuse et l’Escaut, qui figurent sur la carte, mais cet espace reste désespérément innommé. Il faut donc bien admette, avec l’Atlas Catalan, qu’au regard du monde, la France n’existe pas encore tout à fait en cette fin de XIV° siècle. Elle n’est pas un être géographique, et demeure le domaine d’un prince dont les prétentions à incarner la souveraineté se développe au gré des rapports de force avec ses voisins immédiats.
Un détail graphique souligne justement une sourde logique de distinction, ou de compétition : là où les royaumes africains et les sultanats orientaux sont figurés par des personnages plus ou moins allégoriques, les territoires de ce bout du monde qu’est l’Europe occidentale sont désincarnés. Ils ne sont identifiés que par les bannières qui flottent sur ce qui se fixe peu à peu comme capitales de puissances étatiques, qui commencent cependant à peine à se disjoindre de leur souverain. Les signes héraldiques eux-mêmes semblent labiles : si les fleurs de lys flottent sur la représentation de Paris, elles ornent aussi le sceptre de l’empereur du Mali, Mansa Mussa. Une part conséquente des réseaux de signification portés par l’Atlas nous demeure donc étrangère – l’étaient-ils pour leur propriétaire ? La quarte n’est donc pas un instrument de pouvoir, et demeure une encyclopédie en images – un programme politique et eschatologique, bien davantage qu’une radioscopie du monde.
L’Atlas Catalan est d’abord un bien précieux, un objet de collection offert par un allié, le roi d’Aragon, qui, avant le Portugal, préfigure un genre d’empire maritime au XIV° siècle. Cet allié est un parent : la cousine du jeune roi Charles VI, Violante de Bar, épouse de l’infant Jean I°, a fait parvenir cet objet unique à l’occasion de l’avènement du nouveau roi. Il est possible cependant que la commande soir plus ancienne et soit le fait de Charles V lui-même, en vue de nourrir le trésor de sapience dont il a hérité et qu’il a complété par une véritable politique de la traduction et de la compilation des savoirs, à l’imitation d’Alexandre.
[…] Miroir du monde plutôt qu’instrument de son exploration, où la France n’existe que par défaut, l’Atlas Catalan prenait donc place sur les rayonnages d’un trésor encyclopédique, où le prince se persuadait de conquérir tous les savoirs du monde dans un cabinet. […] Il est depuis lors conservé sans interruption dans ce qui, sous le nom de Bibliothèque Nationale avec la Révolution, est devenu l’écrin d’une certaine prétention à la française à l’universalité.
Yann Potin. Histoire Mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron et 132 auteurs encadrés par Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou. Seuil 2018
1376
Les Vénitiens font parler la poudre : c’est la première apparition du canon en Occident, sous les remparts de Padoue, … dont les habitants, effrayés capitulent rapidement, dixit M.J. Jondot dans le Tableau des Nations, car d’autres récits en parlent déjà, trente ans plus tôt, à Crécy.
Première apparition de la franc-maçonnerie en Angleterre – freemason -. Les étymologies qui, un temps fleurirent, nombreuses, toutes aussi farfelues les unes que les autres, peuvent se ramener à deux aujourd’hui :
Cette franc-maçonnerie, dite opérative : de métier, composée d’artisans maniant truelle, équerre et compas -, s’était organisée et munie de règlements – Old Charges – qui représentent à peu près 150 manuscrits anglais du XIV° siècle au début du XVIII° siècle : on y apprend qu’on se réunissait dans des locaux – loges – près du chantier, sous l’autorité du maître maçon qui formait et soutenait les apprentis qui devaient attendre plusieurs années avant que de devenir compagnon. Loyauté, respect, honnêteté, ardeur au travail : il fallait faire preuve de tout cela si l’on ne voulait pas être mis dehors. Donc pas question alors de cooptation, seul comptait le talent professionnel. En outre, promesse de fidélité était faite au roi et à l’Église, avec obligation d’une pratique religieuse régulière. Ils s’étaient mis sous la protection de quatre saint – le quatuor coronati – quatre maçons romains qui auraient refusé, sous Dioclétien, de construire des temples aux divinités païennes, et, de ce fait auraient été mis à mort en 304 munis de couronnes fixées au crâne par leurs épines.
Ces compagnons véhiculent et maîtrisent des règles professionnelles, à une époque où les plans, tels que nous les connaissons aujourd’hui, n’existent pas, pas plus que la notion même d’échelle. Les tracés se font directement sur le sol, grâce à la connaissance de l’art du trait. Le trait relève beaucoup plus d’une science que d’un art. Il repose sur quatre principes : l’exactitude, la vue en plan, la vue en élévation et la vue en herse, c’est à dire en grandeur réelle – à l’échelle 1 -. Et la géométrie graphique du compagnonnage n’utilise que des lignes, droites ou courbes, mais pas de chiffres. C’est en 1145 que le trait est inventé, dans l’abbaye de Fontenay, en Bourgogne, par les moines de Cîteaux et les compagnons du Saint Devoir de Dieu. Cette science, dont il est important de bien remarquer qu’elle n’est pas une science de la conception mais bien une science de l’exécution, sera utilisée durant la construction de toutes les églises gothiques et plus tard à l’occasion de la construction de nombreux châteaux de la Renaissance.
Xavier Bezançon § Daniel Devillebichot. Histoire de la Construction. De la Gaule Romaine à la Révolution Française. Eyrolles 2013
La diminution des constructions religieuses en Europe entraîna celle des loges opératives, sauf en Écosse et en Angleterre, on ne sait trop pourquoi.
25 10 1379
Lassé du poids des impôts, le peuple de Montpellier prend à partie officiers et receveurs, dont plusieurs furent massacrés sur place : la Male Nuit.
1379
On ne peut pas dire Gênes et Venise ; il faut dire Gênes ou Venise : ainsi en ont décidé les deux villes : il n’y a pas de place pour deux grands ports en mer chrétienne : Carlo Zéno, un des plus grands hommes de ce siècle, se distingua dans les diverses campagnes faites contre les Génois et les Padouans ligués. Pisani, autre général non moins habile, relevant la gloire de Venise, s’empara de Cattaro, et ses belles manœuvres militaires furent admirées de toute l’Europe : les Génois animés par l’ambition, combattant pour l’honneur de leur patrie, défirent sur mer les Vénitiens qui, ayant l’injustice d’attribuer leur défaite à Pisani, le dégradèrent, et le mirent en prison.
L’audacieux Carlo Zéno, pour venger sa patrie, alla porter la guerre dans le golfe de Gênes même, et ravagea toutes les côtes de cette république ; les Génois à leur tour, secondés par les ennemis de Venise, parurent dans le golfe adriatique en 1379, assiégèrent la ville de Chiozza, et s’en rendirent maîtres. Venise eût été perdue, sans l’habileté de Pisani que le doge fit tirer de la prison, en lui disant : Oubliez une disgrâce que la loi et l’usage ont dû vous faire subir ; ne songez qu’à mettre en œuvre tout ce que le ciel vous a donné de talens et de lumières, pour prévenir la chute de cet État ; Venise met en vous toutes ses espérances. Le vertueux Pisani oubliant l’injustice de ses concitoyens, répondit avec une magnanimité vraiment romaine : Me voilà prêt à donner ma vie pour le salut de ma patrie. Les Vénitiens, un moment intimidés par le danger, reprirent courage ; tous voulurent combattre. Le doge lui-même, quoiqu’âgé de quatre-vingt ans, monta sur la flotte destinée : Mes enfans, dit ce généreux vieillard , il est temps que nous nous réunissions tous pour combattre des ennemis qui en veulent à notre liberté. Une partie du sénat s’embarqua aussi avec le doge : ce dévouement héroïque sauva Venise. L’intrépide Carlo Zéno, accouru des mers du Levant, augmenta la confiance générale, défit complètement les Génois, et les força de se rendre à discrétion dans Chiozza. Zéno, Pisani, André Contarini concoururent, avec une égale ardeur, au salut de leur patrie, et les Vénitiens donnèrent. à ces grands hommes les marques les plus touchantes de reconnoissance. Pisani étant mort, ses compatriotes assistèrent à ses obsèques, et honorèrent de leurs larmes la mémoire de cet excellent citoyen. Enfin la paix rendit en 1381 à Venise son ancienne tranquillité, son ancien lustre, mais perdit la ville de Gènes qui, un moment, s’étoit vue maîtresse des destinées de sa rivale. La puissance des Vénitiens alla toujours en croissant ; vainqueurs des Carrares, leurs plus mortels ennemis, maîtres d’un grand nombre de places de la Morée et de l’Albanie, ils reparurent plus formidables qu’auparavant.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
1380
Dmitri Donskoï, grand prince de Moscou défait l’armée tartaro-mongole à Koulikovo. Enfin les Russes commencèrent à respirer, à se reconnaître, en 1380, sous le règne de Dimitri IV, Donski (ou vainqueur sur le Don) qui ranimant le patriotisme de la nation, rassembla une armée contre les Tartares, s’affranchit de leur joug, et répandit la terreur parmi leurs hordes barbares, alors en proie aux discordes civiles : les Russes doivent regarder Dimitri IV, comme le vengeur et le restaurateur de leur empire. Quelque temps après, les Tartares revenus à la charge, en plus grand nombre, vainquirent à leur tour les Russes, s’emparèrent de la ville de Moscou, en égorgèrent les habitans, et réduisirent en cendres cette grande ville qui bientôt se repeupla.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
vers 1380
Dans la région de Liège, construction du premier [en occident] haut fourneau permettant de couler la fonte, mélange de minerai de fer, de coke métallurgique et d’un fondant.
Le sport n’est pas encore très répandu mais certains le conseillent déjà :
Exercitez-vous au matin
Si l’air est clair et entérin
Et soient vos mouvements trempés
Par les champs, es bois, es prés
Et si le temps n’est de saison
Prenez l’esbat en vos maisons
Eustache Deschamps
Et, 150 ans plus tard : se déportoient en Bracque ou es prez, § ioueoient à la balle, ou à la paulme, galentement se exercens les corps, comme ilz avoeint les ames auparavant
Rabelais. Gargantua. 1534
Lequel Gargantua, s’aventurait parfois au-delà du sport, jusque dans l’art de la guerre : La guerre faite sans bonne provision d’argent n’a qu’un soupirail de vigueur. Les nerfs des batailles sont pécunes.
Et, 350 ans plus tard : Ogul, dès le premier jour fut tout essoufflé, et crut qu’il mourrait de fatigue. Le second, il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours, il recouvra toute la force, la santé, la légèreté, et la gaieté de ses plus brillantes années. Vous avez joué au ballon et vous avez été sobre, lui dit Zadig : apprenez qu’il n’y a point de basilic dans la nature, qu’on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l’exercice, et que l’art de faire subsister ensemble l’intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l’astrologie judiciaire et la théologie des mages.
Voltaire. Zadig. 1747
Étymologie voyageuse que celle de sport : un verbe d’abord, chez Rabelais : se desporter… qui part en Angleterre pour y devenir disport, d’où il nous revient au XIX° siècle en devenant sport.
1381
De 1309 à 1376 Avignon aura été le siège de la papauté… le Palais (neuf, mitoyen du premier) des papes sera construit en 10 ans par le maître d’œuvre Jean de Louvres, venu d’Île de France, pour Pierre Roger, devenu en 1342 Clément VI. Autant le premier palais faisait preuve d’une austérité inspirée de la pauvreté évangélique, autant le second annonçait la Renaissance par son luxe systématique, omniprésent. Matteo Giovanetti et Simone Martini s’adonnèrent avec un grand bonheur à leur art de la fresque. La plus belle et plus forte maison du monde, selon Froissart. C’était plus le palais d’un prince que celui du premier des évêques ; et le palais d’un prince, c’est fait avant tout pour faire de belles et somptueuses fêtes, données pour une cour brillante et avide de plaisirs.
De façon générale, on aura assisté à une recrudescence du népotisme : le pape, les cardinaux, les évêques ont favorisé avant tout leur famille. Le Sacré Collège a été peuplé de parents du pape. Et ces cardinaux, pour la plupart issus de milieux riches, noblesse ou bourgeoisie, ont représenté une capacité financière qui a fait d’Avignon une plaque tournante des marchés financiers.
Cette papauté en Avignon était mal perçue de façon générale : on parlait de captivité de Babylone. Pour les Italiens, Rome sans le pape était une ville décapitée et la gestion temporelle des biens de la papauté, – un territoire qui représentait le tiers de la péninsule italienne, avec au sud les délicates relations avec le royaume de Naples et au nord le duché de Milan, ne pouvait se faire correctement depuis Avignon -. De là à dire que les papes étaient ainsi soumis au roi de France, c’était une généralisation hâtive faite surtout par les Italiens que l’on ne vît jamais dénoncer la mainmise sur la papauté romaine par quelques grandes familles , souvent romaines, parfois italiennes, que l’on pouvait compter sur les doigts de la main.
Pétrarque s’était placé à la tête des imprécateurs : Avignon, c’est Babylone, l’enfer des vivants, la sentine des vices, l’égout de la Terre, alors que la résidence du souverain pontife aurait du en faire le sanctuaire de la religion.
Nombreux étaient les émissaires qui s’étaient déjà pressés à la cour pour inciter le pape à regagner Rome. Urbain V, rançonné en Avignon par les grandes compagnies – des mercenaires qui n’étaient payés qu’en temps de guerre – était retourné à Rome… où une révolte populaire l’avait contraint à revenir en Avignon, pour y mourir. Sainte Brigitte de Suède avait voulu convaincre son successeur Grégoire XI de reprendre la même démarche… en vain. Seule Catherine Benincasa, 19° fille d’un couple de teinturiers, mantellate [tertiaire des Dominicains], qui va devenir Sainte Catherine de Sienne, y parvint. Accompagné du jeune poète Neri di Landoccio qui faisait partie de la bella brigata [son escorte permanente], elle entreprit le voyage en Avignon où elle fut reçue par Grégoire XI le 18 juin 1376 : elle parvint à le convaincre de regagner Rome : il s’embarqua, subit des tempêtes qui le firent relâcher d’abord à Port-Miou, une calanque voisine de Cassis, puis à Gênes où il reçut d’alarmantes nouvelles de Rome, poussa jusqu’à Sienne où Catherine le persuada de persévérer : il reprit la mer pour entrer à Rome sous les acclamations le 17 janvier 1377. Mais, trop éprouvé, il mourut rapidement.
Mais le pape, avec ses mules, avait changé de maison
Avec ses mules et ses bulles, s’est envolé en direction
D’une ville appelée Rome, où tous les chemins s’en vont
Où parfois s’en vont les cloches quand les cloches ont le bourdon.
Chanson de Jacques Douai. Paroles de G. Montassut, B. Astor
C’est un autoritaire violent qui a succédé à Grégoire XI : Bartolomeo Prignano, un Napolitain, qui va se nommer Urbain VI : les cardinaux prennent peur [ils ont bien raison d’avoir peur : il en a déjà tué sept !] au point d’annuler son élection, entachée d’indubitables violences et vices de forme ; il est notoirement très insuffisant, tant à cause de son absence de science que de son manque de sagesse et plus de conscience, dixit le cardinal Pierre Flandrin, et Dietrich von Nieheim, urbaniste, ajoute : il est seul, comme un moineau sur le toit. Ils choisissent à Fondi, le 20 septembre 1378, avec un moral rehaussé par plus de 10 quintaux de tomme envoyés par les chanoines d’Abondance, un nouveau pape, Robert de Genève qui devient Clément VII et finit par s’installer en Avignon en avril 1379, quand il réalise qu’il ne pourra occuper le trône pontifical à Rome. C’est le début du Grand Schisme qui prendra fin en 1417 :
Bientôt la Chrétienté se partagea entre urbanistes, partisans du pape de Rome, et Clémentistes, partisans de celui d’Avignon. Si l’empereur traditionnellement lié à la ville de Rome choisit Urbain VI, ses rivaux les Habsbourg se déclarèrent pour Clément VII, tout comme les Écossais, ennemis de l’Angleterre, tandis que les Flamands, contestataires obstinés dans le royaume de France, furent toujours partisans du pape de Rome. Les rivalités internationales dessinèrent la carte des deux obédiences. Le grand schisme n’est pas né d’un accident. La Chrétienté portait en elle-même les germes de ces divisions. Pourtant, aux yeux de beaucoup, Charles V en choisissant le pape français portait la responsabilité du schisme.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
Le schisme n’est pas une conséquence, l’appendice monstrueux, l’enfant dénaturé d’une papauté avignonnaise en mal des descendance. Il n’y a d’ailleurs aucune rupture fondamentale entre les mécanismes de gouvernement avignonnais et ceux de la papauté réunifiée. En revanche, et c’est là probablement son impact majeur sur l’histoire de l’Europe, le Schisme est le temps où se clôt le grand rêve médiéval d’unité chrétienne, emmenée par un pape oracle des volontés divines (une croyance qu’il était devenu bien difficile d’admettre) le délitement de ce concept ouvrait la porte aux réflexes identitaires des nations et à la compétition des Etats.
Armand Jamme. L’Histoire n° 343 Juin 2009
À Rome, nous avons un pape,
Et un autre en Avignon.
Chacun veut être le vrai,
Le monde en est tout troublé…
Mieux vaudrait n’en avoir point
Que d’en avoir deux…
Deux papes, cela ne doit pas être,
Dieu même n’en a voulu qu’un,
Il l’a manifesté dans saint Pierre,
Qui pleurait tant ses péchés,
Comme tant et tant de fois
On peut le lire dans les livres.
Le Christ a donné à saint Pierre
Pouvoir de lier et délier.
Maintenant on lie ici et là.
Vous seul pouvez nous délier, Seigneur
Pierre Sucherwirt, trouvère allemand
Il reste que ce grand schisme n’est déploré que par les hauts responsables de l’Église et les détenteurs du pouvoir politique : pour le peuple, l’important, c’est d’avoir un curé, un évêque : au-delà, c’est trop lointain pour que le paroissien de base s’en préoccupe. Le comtat Venaissin lui-même restera sous administration pontificale jusqu’à la révolution. François I° accordera à ses habitants la double nationalité (française en plus de la vaticane).
1 03 1382
Il y a des malentendus entre le jeune – 14 ans – roi Charles VI et son peuple : une ordonnance de 1380 avait fait croire à une suppression des impôts, quand il ne s’agissait que de la suppression des fouages, impôt direct sur chaque feu.
Dès son entrée à Paris le 11 novembre 1380, les choses sont allées de mal en pis entre le roi et ses sujets : agitation et refus de l’impôt dès le lendemain du sacre. Réunion houleuse d’états généraux. Révoltes enfin : révolte et trahison en Flandres, révolte aux lointains confins du Languedoc, révolte au cœur même du royaume, à Rouen, à Paris. Il fallut l’écrasement des Flamands pour que les Français rentrent dans l’obéissance.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
À la première heure, aux Halles, un percepteur veut faire payer l’impôt à une marchande des quatre saisons, qui se met à crier À bas les impôts. Ainsi démarre l’émeute des Maillotins, ainsi nommés car ils s’étaient vite munis de 2 000 maillets de plomb – une sorte de marteau que le prévôt de Paris avait fait faire pour recevoir des Anglais et qui, n’ayant pas servi, avaient été stockés à l’Hôtel de Ville -. Ils commencent par s’en prendre aux Juifs, aux fermiers des impôts. Ils mettent le feu aux registres du Châtelet, siège de la justice royale. En route pour Rouen, le roi fait demi-tour, et le duc de Bourgogne se retrouve à négocier non avec les émeutiers mais avec les bourgeois qui cherchaient à les manipuler. Les émeutiers reprennent l’assaut du Châtelet pour libérer les rares prisonniers qui s’y trouvaient et, mécontents du résultat, s’attaquent au quartier Notre Dame, siège de la prison d’Église, mieux remplie que celle du roi. Le lendemain, c’est au tour des abbayes de recevoir leur visite.
Il faudra attendre le 4 mars pour qu’un accord soit conclu : le roi pardonne, mais les fauteurs de la sédition seront immédiatement châtiés.
De ce jour, quelque chose était brisé entre Charles VI et ses sujets. Le roi avait pu pardonner le refus de l’impôt, et même le meurtre de ses Juifs et de ses officiers que protégeaient la sauvegarde royale, pire encore l’attaque du Châtelet, siège de sa justice. Mais si les Parisiens, bafouant les conditions mises à leur pardon, ne respectent pas sa grâce, aucun dialogue n’est possible. Jusqu’à la fin de l’année, il n’y eut plus entre le roi et la nation, que des paix fourrées, des ruses, de fausses promesses, en attendant qu’après l’échec de sa justice et de sa grâce le roi ne recoure à la force.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
27 11 1382
Sur le Mont d’Or, proche du village de Roosebeke, [au sud d’Ostende, à l’est de Calais] emmenés par le connétable de Clisson, les Français défont les Flamands d’Artevelde, qui meurt.
1382
John Wyclif, théologien de 52 ans, professeur à l’Université d’Oxford, termine la traduction en anglais de la Bible : c’est que mettre le livre saint à la portée de tous, cela en change, des choses :
John Wyclif avait eu une idée, oh ! une toute petite idée, une idée de rien du tout, mais qui devait faire beaucoup de bruit. John Wyclif eut l’idée qu’il existe une relation directe entre les hommes et Dieu. De cette première idée découle, logiquement, que chacun peut se guider lui-même grâce aux Écritures. Et de cette deuxième idée en découle une troisième : les prélats ne sont plus nécessaires. Conséquence : il faut traduire la Bible en anglais. Wyclif – qui n’était pas comme on le voit à court d’idées – eut encore deux ou trois autres pensées terribles : ainsi, il proposa qu’on désigne les papes par tirage au sort. Dans son élan, il n’était plus à une folie près, il déclara que l’esclavage est un péché. Puis il affirma que le clergé devait vivre désormais selon la pureté évangélique. Enfin, vraiment pour emmerder le monde, il répudia la transsubstantiation comme une aberration mentale. Et, pour finir, il eut sa plus terrible idée, et prône l’égalité des hommes.
Alors, il pleut des bulles. Le pape se fâche et, quand le pape se fâche, il pleut des bulles. Traduire la Vulgate en anglais, quelle horreur ! Aujourd’hui le moindre mode d’emploi est en anglais, on parle anglais partout, dans les gares, les grandes entreprises et les aéroports, l’anglais est la langue de la marchandise, et la marchandise, aujourd’hui, c’est Dieu. Mais en ce temps-là, c’est en latin qu’on annonçait les correspondances, l’anglais restait langue de chiffonniers, de soudards. Et voici que John traduit la Vulgate, le latin sublime de Saint Jérôme en british, dans ce sabir de gros lourdingue, et voici qu’il réfute la transsubstantiation – il est fou ! – et qu’il envoie dans les cambrousses ses disciples, les pauvres gens prêcher la doctrine. Il a trop lu Augustin et Lactance, son cerveau est dérangé. Les lollards propagent ses idées saugrenues sur la sainte pauvreté, soupe égalitariste que lapent dangereusement les petits péquenauds du Devon. Dans leurs fermes miteuses où les enfants crèvent, ça leur dit quelque chose, à eux, cette relation directe avec Dieu dont on leur parle, sans l’intermédiaire des prêtres, sans la dîme, sans tout le train de vie des cardinaux ; cette pauvreté évangélique, c’est leur vie !
Laisse tout et suis-moi ! aurait dit le Christ ; ce commandement est sans fin, il exige une humanité nouvelle. Énigmatique et nue. Il bafoue les grandeurs du monde. Une pauvreté détruit. Une autre exalte. Il y a là un grand mystère : aimer les pauvres, c’est aimer la pauvreté haïssable, ne plus la mépriser. C’est aimer l’homme. Car l’homme est pauvre. Irrémédiablement. Nous sommes la misère, nous errons entre le désir et le dégoût. À cet instant de l’Histoire, où Wyclif ouvre ce qui allait devenir la Réforme, Dieu et le peuple parlent la même langue.
Bien sûr, Rome condamna John Wyclif et, malgré sa parole profonde et sincère, il mourut isolé. Et plus de quarante ans après sa mort, condamné par le Concile de Constance, on exhuma son cadavre, on brûla ses ossements. On avait contre lui la haine tenace.
Car ses paroles émurent la misère et semèrent un grand trouble. L’un des disciples de Wyclif s’appelle John Ball, il est paysan. On ne connait pas sa date de naissance, on ne sait rien de ses parents, on ne sait presque rien de lui. Sa trace se perd dans le flot des destinées ordinaires. Vers 1370, il se met à errer dans les campagnes le long des verdoyantes vallées, entre les collines. Il va de ferme en ferme, de hameau en hameau ; il prêche contre les puissants et les riches, il s’adresse aux vagabonds, aux manants, aux gueux. Il poétise et sème ses croyances illicites sur les chemins : Si Dieu avait condamné certains hommes à vivre dans la servitude et d’autres à vivre libres, il les aurait sans doute désignés, clame-t-il, sillonnant les routes. Il erre ; et les gonds des vieilles pensées se brisent dans l’huis ; et ri sous les guirlandes de houx et ra dans la buée du matin, l’ombre absorbée par l’ombre sur la tribune de bouse. Il prêche aux hommes de trente-six métiers, aux pauvres nourrices, à la marmaille, dans le tremblement. Sa langue est cousue de proverbes ordinaires, de morale commune. Mais il sait, John Ball, qu’elle est dans le feuillu des fourrés depuis toujours, l’égalité des âmes; et il sent bien qu’elle avise, qu’elle décrète. On le surnomme l’ardent prieur des palis ; mais il fait peur.
En 1380, le Parlement vote une nouvelle poll tax et voici que brusquement les paysans se soulèvent. La révolte commence à Brentwood ; les routes sont coupées, les châteaux brûlent. Puis ça se propage dans le Kent, dans le Norfolk et le Sussex. Et John Ball fulmine, il prêche l’égalité humaine. Les auberges sont pleines de pèlerins et de fous. À Colchester, entre les ballots de laine et les chapelets d’oignons, on parle ; en Anglie de l’Est, on parle ; partout, la poll tax est contestée et les hiérarchies remises en cause. Les nobles fuient. Les soldats désertent. Les rues des villages sont encombrées d’épaves, charrettes renversées, sacs de terre. Le pouvoir est inquiet. Le duc de Lancastre donne ses ordres : il faut arrêter John Ball. Au mois de mai, on parvient à mettre la main sur le prieur et on l’emprisonne à Maidstone.
C’est alors qu’un autre homme s’éveille. Pas très loin, dans le Kent, un ancien soldat, ayant servi en France, a repris son métier de paysan. Un matin, le percepteur vient prélever la taxe. Wat Tylet n’est pas là, il est allé couper du bois dans la forêt. Sa fille ouvre la porte, et l’homme entre chez eux. Il réclame leur contribution, mais la jeune fille ne peut pas payer, ils ont à peine de quoi vivre. Le percepteur lui arrache sa robe, il la jette sur une paillasse et il se paie. Elle a quinze ans, elle est jolie. Elle est la valeur même. Ses lèvres sont bleues, à présent, elle a froid ; elle titube sur le petit sentier bordé de mûres ; de loin son père la voit. D’énormes masses de nuage rasent le sommet des arbres. Le cerf frémit dans son cuir. Wat Tylet porte sa fille à la maison, il la porte dans ses bras comme un cadavre. Il la confie aux voisins et il court, il court à travers la colline, il veut rattraper l’attelage du percepteur en coupant par le bois. Il arrive à la route et s’accroupit, essoufflé. Il se demande si l’homme est déjà passé, mais à peine se l’est-il demandé qu’il entend le martèlement d’un galop. Il entend l’alouette plaintive, et sent couler en lui une larme froide. Le cavalier arrive, Wat Tylet se jette sur la route, lève le bras et cogne ! Le marteau fend le crâne. Le cavalier tombe, le cheval frémit et fait un écart. Vlan ! un autre coup , sur le dos, dans l’éclat aride du jour. L’épaule est fracassée. L’homme n’est plus que chair morte.
Alors les paysans du Kent se soulèvent à leur tour. Wat Tyler se porte à leur tête et la troupe se dirige vers Maidstone. Là-bas, on ne sait pas trop ce qui se produisit. On suppose qu’à l’arrivée des insurgés, l’archevêque de Canterbury libéra John Ball pour apaiser la foule. Mais aussitôt libéré John Ball entraîne ses partisans vers le palais de l’archevêque, qu’ils saccagent. Puis on va à Lambeth. Sur la route, on capture l’archevêque et on se lance à l’assaut de la Tour de Londres. La pluie inonde les visages. Les paysans marchent sans ordre et ils sont nombreux, plus de cent mille ; on vient de partout ; des foules misérables se rassemblent. Un chien part en courant dans le soleil, une femme tombe folle et embrasse tout le monde, une brute tue son maître, l’eau bénite brûle le visage d’une enfant. À Londres, c’est la panique. Le roi ne sait plus quoi faire. Les bourgeois et les nobles errent comme des ombres dans les couloirs. On chuchote, on crie. Sur leur chemin, les pauvres enfoncent les portes des prisons, ils libèrent les captifs, des hommes sortent des trous, les yeux fermés, incapables de voir. Des vieillards, des fantômes. On les embrasse, on leur donne à manger et à boire. Ils meurent : c’est du moins ce que dit la fable.
Furieux, les paysans arrachent les juges à leurs lits, les traînent sur la place publique et les décapitent. Il fait beau. La foule est là, ensuée, pantelante, on n’a jamais vu tant de monde. La Tamise rayonne, l’eau scintille, des hurlements emplissent la ville, traversent les murs. Les mouettes roulent au-dessus des têtes, mais on ne les entend pas. Et Wat Tyler envoie des hommes parler à la foule, fait interdire le pillage sous peine de mort et organise le campement. En fin de journée, une ambassade est prête ; les insurgés exigent de parler au roi. Le roi ? À ce moment-là, il semble être encore au-dessus de toute égalité, grand visage informe, autorité suprême. On en appelle à lui. Il est le dernier garant sur terre de la justice, c’est ce que l’on croit. Le parlement a voté cette satanée taxe ? Le roi n’en veut pas, lui, il va écouter son peuple, il va venir les voir au bord de la vérité. Mais le roi ne vient pas ; et les insurgés pénètrent dans Londres, ils fraternisent avec la population, haranguent les places, courant par les rues. À présent, ils réclament l’abolition du servage. Autant dire qu’ils veulent détruire la société.
Les nuits sont pleines de fêtes, d’alcool et de musique, la vie passé semble se dissoudre, l’autorité s’effondre. On attaque l’hôtel de Savoie, le palais le plus prestigieux d’Angleterre, celui du duc de Lancastre, oncle du roi. On l’accuse d’avoir soutenu la taxe. Le duc échappe à la foule, mais le palais est incendié. Les meubles et les tapisseries sont arrachées, jetés à la Tamise, dans une indescriptible liesse. Tout est réduit en cendres. Le roi a quatorze ans ; il se réfugie dans la Tour de Londres. On ne sait plus que faire.
À partir de là, tout se précipite. Le 13 juin, le roi cherche à fuir. Il traverse la Tamise en bateau, à Greenwich, la foule l’empêche d’accoster. Le lendemain, il file à cheval, on l’arrête à Mile End. Là, il parlemente, enfin il accorde tout : la liberté pour les serfs, la levée des taxes, une amnistie générale pour les rebelles. Mais ça ne prend plus. Les rebelles se ruent sur la Tour de Londres et la prennent d’assaut. L’archevêque de Cantorbéry tente de s’enfuir. On le traîne aussitôt sur la colline près de la tour et on le décapite. Les maisonnettes qui bordent la place se taisent : les fenêtres sont ouvertes mais tout le monde fait silence. Ce qui était immuable se brise. Robert de Hales, le lord trésorier, est décapité à son tour, et d’autres hauts personnages. Chaque tête est accrochée sur le pont de Londres, au-dessus de la porte sud, au bout d’une pique.
Le roi provoque alors une nouvelle entrevue avec Tyler, à Smithfiels, où il renouvelle ses promesses ; les rebelles ne sont pas convaincus. Ils doutent de la sincérité du monarque. N’a-t-il pas essayé de leur échapper deux fois ? Mais le roi assure que toutes leurs revendications seront exaucées. Il porte un petit chapeau bleu, une tunique d’or et de beaux cheveux longs. Le roi est presqu’un enfant. Wat Tyler hésite. Ses camarades veulent obtenir des gages. Aux côtés du roi, les barons sont hostiles, l’ambiance est tendue. Les chevaux s’énervent. Soudain, des provocateurs insultent Tyler et tentent de le faire tomber. Son cheval fait un écart, un soldat tire une dague, et c’est la confusion. Un homme est frappé à la jambe et pisse le sang. Les chevaux tournent, écumants, on se bouscule. Des pierres volent. Le soleil ouvre les visages. Un nuage passe. Et soudain, Willy Walsworth, le lord-maire, blesse Wat Tyler d’un coup d’épée. Sa poitrine est inondée de rouge, terriblement rouge ; son œil roule sur le temps et sa carapace de tortue. Il tombe de cheval, sa hanche se brise, l’armure tinte. Un grand mouvement perturbe tout, cris, piétinements, un autre cavalier tombe, et puis un autre. Alors un écuyer s’approche de Tyler qui est à terre, ils se regardent – tous les rois de la terre soufflent leur haleine de guenon à l’oreille de l’écuyer – l’éternité veut refermer l’écluse, mais le vantail est ouvert et l’écuyer l’achève. Wat Tyler, gît à terre, éventré. Puis tout va encore plus vite. Le roi écarte les rebelles et prend encore la parole : il embrasse leur cause et les assure de son soutien : ils n’ont rien à craindre, – il le jure! – mais il faut se disperser sans attendre ! La peur et le désordre font le reste. Cette foule immense, venue à Londres pour combattre, est soudain prise d’une grande tristesse impuissante. On ne sait plus qui écouter, on se débande. Par petits groupes, on s’éloigne de Londres remplis de crainte, se méfiant des promesses du roi, ne sachant que faire.
Un capitaine du roi, Robert Knolles, se tient à l’affût, hors de la ville. Avec ses hommes, il pique sur les rebelles et les massacre. Et les représailles ne font que commencer. Le roi lui-même part pour le Kent à la tête d’une armée. Des bandes parcourent les campagnes et traquent les hommes à présent dispersés ; on les chasse comme des bêtes, on exécute sommairement des dizaines de milliers de paysans. Le roi révoque tous ses accords. La répression est froide, intraitable ; elle durera près de deux mois. John Ball sera finalement arrêté et aussitôt pendu, écartelé. Il ne sera plus jamais question d’annuler la poll tax, et le servage ne sera aboli que deux cents ans plus tard.
Et pourtant, ça recommence. John et Tyler se réincarnent en Jack Cade. En 1450, il rédige une plainte des communes pauvres du Kent, il se fait appeler Jean-demande-tout. En juillet, à la tête d’une troupe de cinq mille hommes, paysans, artisans, soldats déclassés, petits commerçants, Jack prend lui aussi la Tour de Londres. On décapite le lord trésorier, on décapite l’ancien shérif du Kent et quelques autres personnages. Les rebelles entrent de nouveau dans Londres, et, cette fois-ci, ils pillent la ville. Un soir, Jack Cade trouve refuge dans un jardin, une ombre avance, une lame brille dans l’obscurité ; le rebelle n’est plus qu’un cadavre. Mais ce n’est pas fini. Ça redémarre aussitôt dans le Sussex, John et William Merfold appellent au meurtre de la noblesse et des curés. Durant l’automne, leurs hommes armés de gourdins se rassemblent et, à Robertsbridge, ils empêchent le clergé de percevoir sa dîme, à Eastbourne, ils s’insurgent contre le loyer élevé des terres. Ils renient l’ordre social. À coup de milices, de raids et de pendaisons, leur révolte sera matée.
Éric Vuillard. La guerre des pauvres. Actes Sud 2019
28 02 1383
Jean des Marès, chevalier, avocat du roi au Parlement, conseiller très écouté de Charles V, est prisonnier de Charles VI depuis le 11 janvier. On le sort de sa tour de Vincennes, on l’emmène au Châtelet on le conduit aux Halles où il est décapité. Cette exécution est la dernière de 40 éminents personnages, bourgeois, échevins, juges etc… victimes de la répression royale depuis 40 jours pour mettre Paris au pas.
17 07 1385
Charles VI a 17 ans : il est donc plus que temps de le marier ; c’est Elisabeth, de la famille des Wittelsbach, princes de Bavière qui est l’heureuse élue ; les noces se font en la cathédrale d’Amiens et les français la nommeront Isabeau. Heureuse élue, car pour le roi, – et en cela c’est une exception qui confirme la règle des enfants royaux dont on organisait le mariage parfois avant même qu’ils fussent nés ! – il fallait qu’elle fut en sa plaisance, sans quoi tout serait rompu.
1385
Les toitures en chaume et en bois sont interdites à Chambéry, pour limiter les risques d’incendie. Annecy fera de même en 1448.
février/mars 1386
Les conférences entre la France et l’Angleterre, dans une chapelle couverte de chaume près du village en ruines de Leulinghen, entre Calais et Boulogne amènent les deux pays au bord de la paix. La chapelle a été choisie, car exactement à cheval sur la frontière : les deux portes des transepts donnent, l’une sur la France, l’autre sur l’Angleterre : cela simplifie les questions de protocole. Mais les Anglais à qui profite la guerre sauront faire ce qu’il faut pour que tout ce travail n’aboutisse pas : ils iront au plus simple en poussant Richard II vers la sortie. Dieu, que la guerre est jolie et même populaire quand on la fait sur le territoire de l’autre : pillage, rapines, vols, viols, tout cela sur le dos de l’ennemi : c’est tout bénef !
1386
Le prince lituanien Jagellon épouse Hedwige d’Anjou, se convertissant en même temps à la religion catholique : ainsi naît vraiment la Pologne, nouvelle grande puissance en Europe orientale. La dynastie sera au pouvoir jusqu’en 1572. Hedwige, morte prématurément en 1399, avait auparavant préparé la réorganisation de l’Université de Cracovie. Très populaire en Pologne, elle sera canonisée.
À Falaise en Normandie, une truie de 3 ans a mangé un nourrisson. L’extraordinaire dans cette histoire n’est pas qu’elle ait été tuée : un coup de sang bien compréhensible de la part du père de l’enfant, et la relation de cette affaire n’aurait pas franchi les limites du village où elle s’était passée. L’extraordinaire donc, c’est que les choses ne se sont pas passées ainsi : la truie a bien été tuée, mais à l’issue d’un procès en règle, avec jugement et tout et tout : condamnée à être tailladée puis pendue par les jarrets !
Les Suisses ne s’en laissent pas conter et flanquent une rossée à Léopold, duc d’Autriche à Stempach, à son fils deux ans plus tard à Naefels, et encore à Rutile : la tranquillité suisse a été chèrement payée !
Léopold, archiduc d’Autriche, résolu d’écraser la nouvelle confédération helvétique, marcha contre les cantons, à la tête d’une petite armée formée de l’élite de la noblesse allemande. Je serais, dit-il à ses soldats, vainqueur ici, sur cette terre qui m’appartient, ou je périrai avec vous en défendant mes sujets. Les Autrichiens, en bataillons carrés, présentoient à l’ennemi une forêt hérissée de piques ; les Suisses, au nombre de quatorze cents hommes seulement, retranchés à Stempach, non loin du lac de Sursee, étoient près de succomber, lorsque l’un d’eux, Arnold de Vinkelried, nouveau Décius, s’écria : Mes compagnons d’armes, ayez soin de ma femme et de mes enfans, je vais vous ouvrir un passage ; et aussitôt se jetant, tête baissée, au milieu des ennemis, il ménagea effectivement, par cet acte de dévouement, une ouverture à ses compatriotes qui, passant sur son cadavre, enfoncèrent l’armée autrichienne. Léopold aurait pu se sauver ; mais ce vaillant et généreux prince ne pouvant survivre à la perte de tant de seigneurs couchés sur le champs de bataille : puisque tant de braves sont morts, dit-il, je veux mourir comme eux avec honneur ; et aussitôt il s’élança dans les rangs des Suisses où il trouva un trépas glorieux. Les vainqueurs se défendirent avec la même valeur contre le fils de Léopold, à la journée de Naefels, et usèrent toujours de la victoire avec une modération qu’on ne saurait trop admirer. Les habitans de Glaris triomphèrent, près du mont Rutile, d’une armée autrichienne, avec une bravoure qui tient du prodige : ces hommes simples et religieux, étonnés eux-mêmes de leurs succès, en attribuèrent au ciel tout le mérite, et voulurent éterniser leur reconnaissance par de pieuses fondations qui, tous les ans, rassemblent encore les habitans de l’Helvétie. Une paix aussi avantageuse qu’honorable, leur permît bientôt de goûter les douceurs d’une liberté si glorieusement conquise.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
28 09 1388
Hostiles au comte de Provence, Louis II d’Anjou, bridés par l’importance des ports voisins de Gênes et Marseille, les Niçois transfèrent leur hommage au duc Amédée VII de Savoie. La Dédition de Nice stipule que les princes de Savoie auront à assurer la liberté de communication entre la cité et le Piémont : l’affaire est d’importance, puisqu’il s’agit du commerce du sel : à Nice arrivent les bateaux des salines provençales et languedociennes, et les éleveurs piémontais sont gros demandeurs de sel, pour les salaisons, le beurre, le fromage, l’alimentation animale et humaine, le traitement des peaux. Le col de Tende devient axe majeur, reliant les possessions des ducs de Savoie du Nord au Sud : le grand chemin ducal, décidé en 1610, sera terminé en 1614 : 1,4 m de large sur 230 km et 1 800 m de dénivelé : il verra jusqu’à 80 000 mulets par an !
1388
Charles VI a 20 ans. Il en avait 12 à la mort de son père Charles V, et ce sont ses oncles, les ducs de Bourbon, de Bourgogne, de Berry et d’Anjou qui, depuis, sont à la tête de l’État : il voyait faire à ses oncles choses qui étaient plus au profit d’eux et d’autres particuliers que du bien public, écrira Juvénal des Ursins, son chroniqueur. Il les remercie.
Le portrait suivant ne laisse rien augurer des lugubres années à venir : Philippe de Mézières écrit dans Le Songe du Vieil Pèlerin que Charles a belle forme humaine ; il est sain, bel, fort, droit et léger. Il est bien pourvu de mémoire et d’intelligence. Il ne jure pas mais laisse trop ses familiers jurer en sa présence, sans frein et sans vergogne. [cela, c’est pour Clisson, un breton qui a reçu le titre de connétable à la suite de du Guesclin]. Il ne s’intéresse guère à l’astrologie la sorcellerie, la magie, mais doit bien s’en garder. [Cela, c’est pour Louis, le frère du roi]. Son défaut, c’est de passer la nuit à la fête et à la danse, après sa dure journée de travail et de manquer de sommeil. Déjà, il souffre d’insomnies. Et puis il y a les femmes. Philippe a beau lui recommander de boire l’eau de sa propre citerne et de s’enivrer saintement des belles mamelles d’Isabeau, Charles aime trop la compagnie des autres, des belles femmes estranges et le vieux maître doit lui répéter que, dans cette délicate affaire, on ne peut mieux avoir la victoire que fuir.
Françoise Autrand. Charles VI. Fayard 1986
Vint alors le temps, 4 ans, des Marmousets – pour reprendre le surnom dont Michelet a jugé utile de les affubler -. Le mot recouvre plusieurs réalités, dont la plus commune serait un synonyme des grotesques que l’on mettait aux toits des maisons, aux meubles, dans l’orfèvrerie. Les Marmousets étaient en fait les anciens ministres de Charles V, remerciés par ses oncles à la mort du roi. Ce ne sont pas des princes, ce ne sont pas de simples fonctionnaires, ce sont des familiers de la maison du roi. Ils ont le sens de l’État, ils ont une idée précise de ce qu’il faut faire et ce sont eux qui vont mettre en place une administration rigoureuse et impartiale, et c’est à la cour d’Avignon qu’ils sont allé prendre leurs idées d’un État moderne.
Le roi n’apprécie pas du tout l’état catastrophique des rues de Paris : Les pavements des chauciées qui y sont, lesquelz sont moult empiriez et telement décheuz en ruine et dommagiez, que en plusieurs lieux l’en ne peut bonnement aller à cheval ne a charroy sanz très-grans perilz et inconveniens ; et sont les chemins des entrées des portes de notre-dicte ville si mauvaiz et telement dommagez, empiriez et affrondrez en plusieurs lieux, que à très grands périlz et paines l’en y peut admener les vivres et denrées pour le gouvernement de notre peuple… et refaire semblablement chascun en droit soy, les pavemens des chauciées de ladicte ville.
Il n’existait pas de service public pour gérer le nettoiement des rues et des places ; on s’en remettait alors à l’adage que les Anglais feront leur : Que chacun nettoie devant sa porte et la rue sera propre. Il est possible que cela marche en Angleterre, mais en France on mettra encore un bon nombre d’années à reconnaître que cela ne peut pas marcher ainsi et donc à décider de la création d’un service ad-hoc.
15 06 1389
Lazare, prince de Serbie, s’est allié à Tvartko, prince de Bosnie et aux Croates pour arrêter la marée turque ; en vain : ils sont écrasés, à Kosovo, au Champ des Merles au nord de Skoplié. 70 ans plus tard, c’en était fait du premier état serbe : la Bulgarie et la plus grande partie de la Serbie étaient aux mains des Turcs, à l’exception de la Croatie et de la Slovénie, qui appartenaient à la Hongrie, et de la Dalmatie, partagée entre Venise et la Hongrie : seule Raguse – Dubrovnik -, gardait intact l’héritage de la culture slave du sud médiéval. La défaite de Kosovo et la mort du prince Lazare prendront rapidement la première place au sein du panthéon du nationalisme serbe.
1390
L’empire de Tamerlan est à son apogée : il couvre tout l’Iran actuel et déborde largement à l’est et à l’ouest : mais cela ne représente déjà plus que le quart de l’empire de Gengis Khan et à sa mort en 1405, l’empire n’était plus qu’un souvenir. Infatigable batailleur, Temur-Leng – Temur le Boiteux, (des suites d’une blessure à la jambe droite) – ne pérennisera aucune conquête :
Bagdad, Brousse, Saraï, Qarachahr, Delhi seront par lui saccagées, mais il n’abattra ni l’empire ottoman, ni la Horde d’Or, ni le khanat de Mogholistan, ni le sultanat indien, et même les Djelair d’Iraq Arabi se relèveront chaque fois après son passage. Aussi a-t-il dû conquérir trois fois le Khârez, six ou sept fois l’Illi (sans jamais y parvenir autrement que pour la durée de la campagne), deux fois la Perse orientale, s’y reprendre à trois fois pour soumettre la Perse occidentale, faire deux campagnes de Russie, etc…
René Grousset
Il prendra tout de même le temps de faire construire dans sa capitale de Samarkand la plus grande mosquée d’Asie Centrale, Bibi Khanum : 167 mètres de long sur 109 de large, et son tombeau, le Gur-Emir, est un des plus grands monuments de l’art islamique.
La légende qui se bâtit autour de Bibi Khanum mérite d’être contée : On dit que Bibi Khanoum, princesse mongole et femme préférée de Timour, avait décidé de faire construire une splendide salle du trône pour son mari. Timour, qui guerroyait au loin, semant partout la ruine, lui envoyait à cette effet, ses prisonniers les plus capables. La princesse visitait chaque jour les travaux. Son architecte arabe, follement amoureux d’elle, faisait traîner la construction afin de la voir plus souvent. Impatiente, elle demanda :
Elle refuse. Mais on apprend que Timour revenant est déjà arrivé à Merv. Elle consent ; à la dernière seconde cependant, elle interpose sa main. Mais le baiser est si ardent qu’il brule tout de même sa joue, la marquent d’une tâche noire impossible à faire partir. Aussi ordonne-t-elle à toutes les femmes de se voiler la face. Timour, lors de son retour, s’en étonne :
Timour apprend la vérité, ordonne de murer la Khanoum vivante dans son mausolée, élevé en face de la mosquée. Comme on poursuivait l’architecte arabe, réfugié au somme d’un minaret, il lui pousse des ailes et il s’envole vers Meched. (Les uns attribuent la tache à ce que Bibi Khanoum trahit son mari, ne fut-ce qu’en paroles. D’autres, au contraire, soutiennent que la tache apparut parce que Bibi Khanoum n’avait pas tenu sa parole donnée à l’architecte amoureux. Cette tache ne resta pas longtemps sur la joue ; mais une coutume s’établit de nommer visage noir ceux qui manquent à la parole donnée ou à leur devoir.)
Ella Maillart. Des Monts célestes aux sables rouges. Paris, Grasset 1934
La chrétienté trembloit au nom de Bajazet ; ce prince était au comble de la gloire et de la prospérité, lorsqu’un autre conquérant vint lui arracher ses conquêtes, l’honneur, la liberté et la vie.
C’étoit Timur-Lenck ou le boiteux, plus connu sous le nom de Tamerlan. […] À la tête d’une armée mogole, il avoit déjà conquis la Perse, et mis fin à la dynastie fondée dans Bagdad par Holagu, un des fils de Gengis-Kan. Les rois de Perse de cette dynastie conquérante, la plupart se plongèrent dans la mollesse, et leur histoire se borne à une simple nomenclature de crimes hideux. On vit, comme au temps des Sassanides des fils égorger leur père, afin de régner plus promptement, et les parricides recevoir bientôt après, le juste prix de leur scélératesse.
Tamerlan, zélé pour la religion musulmane, animé d’un zèle barbare poursuivit les anciens Perses, adorateurs du feu, et les extermina dans tous les lieux où il put les rencontrer. Ceux de ces infortunés proscrits qui purent échapper au glaive des Tartares, allèrent chercher un asile dans l’Indostan, où l’on en trouve encore aujourd’hui un grand nombre qui, sous le nom de Guèbres, Parsis, ou Gaures, vivent méprisés universellement des Indiens idolâtres.
De tous les peuples qui lui opposèrent quelque résistance, les Géorgiens commandés par une femme non moins courageuse que criminelle, déployèrent le plus de bravoure ; mais ils furent vaincus près de Teflis, et Tamerlau fit mettre à mort deux rois de ce pays (1394). Il subjugua l’Inde, détruisit toutes les pagodes, extermina tous les fakirs païens, ordonna, en un seul jour, le massacre de cent mille Indiens ses prisonniers, et dans la ville de Delhi, fit périr tous les adorateurs des idoles, contre lesquels cet homme se sentoit une haine invétérée.
Bajazet lui-même irrita par son orgueil ce terrible conquérant qui, maître du plus puissant empire de la terre, et d’ailleurs sollicité par Manuel Paléologue, accourut à la tête d’une armée victorieuse, et se jeta sur le territoire des Turcs. Les deux peuples en vinrent aux mains dans les plaines d’Angonry (autrefois Ancyre), déjà célèbre par une grande bataille livrée du temps des Séleucides, deux siècles environ avant l’ère chrétienne. Trois cent quarante mille hommes restèrent, dit-on, sur le champ de bataille, du côté des Turcs (1402), et tous les janissaires périrent.
Les Tartares ayant fait prisonnier Bajazet I°, le conduisirent devant leur kan qui, à l’aspect du prince vaincu, se mit à rire :
Bajazet, qu’un pareil compliment égayoit fort peu, répliqua fièrement à son ennemi :
Le vainqueur fit renfermer, comme un animal, son prisonnier dans une cage de fer : l’infortuné Bajazet ne put survivre longtemps à cet excès d’humiliation, de barbarie, et se cassa la tête contre les barreaux de sa cage. On ne sait pour quelle raison des historiens essaient de révoquer en doute ce trait de férocité de la part de Tamerlan comme s’il n’eût pas déjà fait ses preuves, et donné des gages suffisans de sa cruauté.
En traversant la Phénicie, le féroce conquérant qui affectoit des sentimens religieux, voulut gravir lui- même jusqu’au sommet du Liban, et passa un jour et une nuit en prière, au pied des cèdres de Salomon, arbres révérés dans tout l’Orient, comme les plus anciens monumens du monde. Quoique ennemi déclaré des chrétiens, le kan des Tartares ne put se défendre d’un certain sentiment de vénération à la vue des solitaires d’un couvent, qui le reçurent les yeux baissés, et dans l’attitude d’hommes entièrement morts au monde. Le vainqueur de Bajazet, frappé d’une scène si nouvelle pour lui, les honora des plus grandes marques d’affection, assista à tous leurs exercices de piété, et leur prodigua tous les éloges imaginables.
Une cruauté d’un raffinement aussi rare qu’affreux, ternit les exploits de Tamerlan, et l’éclat de quelques bonnes actions. Les mamelucs circassiens d’Égypte arrêtèrent la marche de ses troupes victorieuses : heureusement pour les chrétiens et pour les Turcs, il quitta l’Asie mineure, et se dissipant comme un affreux météore, s’enfonça dans la Tartarie pour aller conquérir la Chine mais la mort le surprit en route, à l’âge de quatre-vingt ans. Avant d’expirer, il parla en ces termes à ses principaux officiers :
Me voici enfin arrivé au terme fatal où toute puissance et toute grandeur humaine doivent finir … Je n’avois désiré la vie que pour une entreprise méritoire, Dieu en dispose autrement… J’ai toujours protégé le foible contre les puissans ; j’ai puni le crime et récompensé la vertu
C’est ainsi que ce barbare, à l’approche de la mort, se déguisoit à lui-même l’horreur de ses injustes exploits et de ses massacres : c’est ainsi qu’il s’adressoit à un Dieu vengeur de tant de nations détruites par le fer et par la flamme : il étoit, quelquefois, humain par caprice. Un jour il demanda à un poète :
A quel prix me mettez-vous?
A quatre-vingts aspres,- répondit cet homme. Tamerlan reprit :
Votre estimation n’est pas juste, le linge seul dont je suis ceint en vaut autant. Ahmedi, c’étoit le nom du poète, repartit :
Je parle aussi de ce linge, car pour votre personne, elle ne vaut pas une maille.
Tamerlan étoit un fanatique, un enthousiaste, un illuminé, ou qui du moins feignoit de l’être. […] Cependant il étoit très spirituel : le même homme qui éleva des tours avec des prisonniers vivans, entassés symétriquement les uns sur les autres, composa des ouvrages remarquables pour le bon sens, la finesse, et quelquefois la délicatesse des pensées : aucun prince n’eut la repartie plus vive, ni des saillies d’esprit plus agréables ; c’étoit un tigre à demi civilisé. Les troupes de Tamerlan remuant, si je puis m’exprimer ainsi, les cendres de l’Asie, achevèrent de défigurer le tableau des merveilles que l’art, depuis tant de siècles, y avoit rassemblées.
À peine ce conquérant eut les yeux fermés, que la discorde mit les armes entre les mains de ses fils, et la guerre civile affoiblit le vaste empire formé subitement sur les ruines de l’Asie. Jehan-Ghir, l’un d’eux, fixa le séjour de l’empire dans l’Indostan.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
5 08 1392
Charles VI relève à peine d’une méchante fièvre autour de Pâques ; il emmène son armée mettre à la raison de duc de Bretagne qu’il soupçonne de protéger Craon, présumé coupable de la tentative d’assassinat de Clisson, son connétable. Il chevauche dans la forêt du Mans :
Comme il traversait ainsi la forêt, un homme de mauvaise mine sans autre vêtement qu’une cotte blanche, se jette tout à coup à la bride du cheval du roi, criant d’une voix terrible : Arrête, noble roi, ne passe pas outre, tu es trahi !
On lui fit lâcher la bride, mais on le laissa suivre le roi et crier une demi-heure.
Il était midi, et le roi sortait de la forêt pour entrer dans une plaine de sable où le soleil frappait d’aplomb. Tout le monde souffrait de la chaleur. Un page qui portait la lance royale s’endormit sur son cheval, et la lance tombant, alla frapper le casque que portait un autre page. À ce bruit d’acier, à cette lueur, le roi tressaille, tire l’épée, et, piquant des deux, il crie : Sus, sus aux traîtres ! ils veulent me livrer ! Il courait ainsi l’épée nue sur le duc d’Orléans. Le duc échappa, mais le roi eut le temps de tuer quatre hommes avant qu’on pût l’arrêter. Il fallut attendre qu’il se fut lassé ; alors un de ses chevaliers vint le saisir par derrière. On le désarma, on le descendit de cheval, on le coucha doucement par terre. Les yeux lui roulaient étrangement dans la tête, il ne reconnaissait personne et ne disait mot.
Michelet
Transporté à l’abbaye du Mans, puis au château de Creil, il va se rétablir lentement, grâce aux soins attentifs de maître Guillaume de Marcigny… de quoi s’agissait-il vraiment ? Nul ne le saura jamais. L’accident avait été sévère, et tout le pays l’avait perçu comme tel…. Sa mère Jeanne de Bourbon, avait souffert de maladie mentale, mais avait guéri…
1392
Un bourgeois parisien rédige Le Ménagier de Paris, traité de morale et d’économie domestique, y compris les premières recettes culinaires raisonnées ; il ne sera publié qu’en 1846. L’homme, beaucoup plus âgé que son épouse, s’était mis en tête de rédiger à son intention un petit traité comportant tout ce que doit savoir une maîtresse de maison ; on peut lire en sa dédicace ces mots qui sont d’un sage : ainsi l’homme que vous épouserez après moi pourra-t-il m’être reconnaissant.
Sa cuisine fait grand usage d’épices : celles de chez nous : persil, cerfeuil, fenouil, thym, romarin, sarriette, marjolaine, épinards, verjus [en place du citron, extrait de l’oseille broyée ou du bourgeon et de la tige de vigne jeune et tendre]… et celle d’orient : gingembre, cumin, girofle, poivre, muscade …
Les procédés de conservation se limitent aux pâtés, pour lesquels on fait grand usage de gelée ; pour le reste, on se nourrit au rythme des saisons, consommant ainsi beaucoup de poissons d’eau douce, en raison du nombre de jours maigres prescrits par l’Église. Dans les viandes domine le porc et le gibier : sanglier, cerf, lièvre. Il y a peu de lapin. Et parmi les volailles, surtout les cygnes, les paons et beaucoup d’oiseaux : héron, bécasse, poule d’eau, caille, grive, becfigue.
Pour un festin, il donne un exemple :
28 01 1393
Charles VI organise un bal à l’Hôtel Saint Pol, demeure royale, – aujourd’hui quai des Célestins – pour le remariage d’une demoiselle d’honneur de la reine Isabeau de Bavière. Pour mettre un peu d’animation dans ce charivari – c’est le nom de la fête donnée en cette occasion en Bavière – bien codifié, Charles VI et quatre de ses amis décident de se déguiser en sauvage lors du bal costumé : ils s’enduisent donc de plumes et de poils d’étoupe qu’ils font tenir avec de la poix, et pour en rajouter à l’authentique, ils s’enchaînent. Les farceurs dansent frénétiquement depuis un moment quand le duc d’Orléans, frère du roi et le duc de Berry, de retour d’un début de soirée déjà arrosé, s’approchent des sauvages pour essayer de voir leurs bobines à l’aide d’une torche… qui enflamme la poix qui faisait tenir tout le déguisement. Le roi déjà fragilisé par la crise de la forêt du Mans en sortira vivant grâce au réflexe de sa tante Jeanne de Boulogne, duchesse de Berry qui l’enveloppe de ses très nombreux jupons, sans dommage apparent, prenant soin d’aller tout de suite rassurer la reine, mais l’accident avait sans doute agrandi quelque peu les premières fêlures. Un autre parvient à se déchaîner et se jettera dans un cuvier, mais les trois autres mourront de leurs brûlures au bout de 3 jours.
Un charivari n’est pas affaire innocente. La mariée avait déjà usé 2, peut-être 3 maris, et l’usage était de tourner en ridicule ces énièmes noces par un charivari, qui, pour l’Église, étaient une injure au sacrement du mariage, un véritable sacrilège, faisant de l’homme une bête surgie du fond des âges. Ce ne peut être que le fait de dépravés. L’affaire passera à l’histoire sous le nom de Bal des Ardents.
Cinq mois plus tard, la folie de Charles deviendra chronique, les périodes de crises alternant avec celles de rémission pendant lesquelles ils retrouvait tous ses esprits. La folie du Roi est perçue comme un désamour de Dieu pour la France :
Par nos péchés si porte la penance
Notre bon roi qui est en maladie.
Christine de Pisan
Veuve à 26 ans, avec trois enfants à charge, la mort de son mari fit d’elle une étrangère à part entière, [née à Pisano, village proche de Bologne, elle était italienne] ne bénéficiant plus d’aucun appui à la cour, où son père avait exercé officiellement la profession de médecin, officieusement celle de devin ; bien au contraire… elle connut le dénouement au cœur de la guerre entre Armagnacs et Bourguignons, et il lui fallut vivre de ses talents littéraires, ce qui finit par lui attirer reconnaissance, surtout de la part de ceux qu’insupportait la suffisance de l’auteur à la mode : Jean de Meung avec son Roman de la Rose, qu’elle avait copieusement égratigné. Étant toute sa vie restée une étrangère, elle ne devait pas se sentir beaucoup d’atomes crochus avec les imbéciles heureux qui sont nés quelque part, pointés par Brassens, et préférais s’évader bien loin :
Je fus au pais de Brachyne
Où les gens sont bons par nature
Et ne font pechie ne leidure
Stefania Sandrelli réalisera en 2009 un très beau film avec sa fille dans le rôle de Christine, étrangement absent des écrans français.
Charles VI publiera une ordonnance par laquelle il confie la régence à son cher et très aimé frère Louis duc d’Orléans, comte de Valois et de Beaumont, tant pour le bien, sens et vaillance de lui comme pour la très singulière, parfaite loyale et vraie amour qu’il a toujours eue à nous et à nos enfants. Mais ce frère sera jugé trop jeune et la régence échoira aux oncles qu’il avait voulu évincer 5 ans plus tôt, les ducs Jean de Berry et Philippe le Hardi.
30 06 1394
L’Université de Paris veut peser dans l’arbitrage sur le choix à faire entre les deux papes : Clément VII – Robert de Genève – en Avignon, Boniface IX – Pietro Tomacelli – à Rome :
Il n’y a rien que les belles consciences n’affectionnent tant que de jouer un rôle sur le devant de la scène du monde. Dès qu’une plaie s’ouvre quelque part, elles s’y mettent aussitôt à fourmiller. C’est leur façon de briller. Leur haute autorité morale se rengorge et se nourrit de la confusion et de la faiblesse des pouvoirs constitués, en l’occurrence, cette année-là, deux papes rivaux et un roi, le malheureux roi de France Charles VI qui ne gouverne plus qu’à éclipses entre deux accès de folie. Se substituer aux pouvoirs établis et leur imposer le recours de leur propre vérité, resplendissante et infaillible, est la félicité suprême des belles consciences. Chacune d’entre elles, si médiocre soit-elle, pourvu qu’elle ait chanté sans se tromper de chorale, peut s’en gargariser de gloire. Sur la plaie ouverte et palpitante du Grand Schisme, elles vont accourir de partout et bientôt grouiller comme des mouches dans le bourdonnement incessant et infatué de doctes et solennelles sessions. Ainsi entre en scène l’Université de Paris.
L’Université de Paris offre en effet, à cette époque, la plus puissante et la plus représentative concentration de belles consciences qui puisse se trouver en Occident. Elle siège sur la montagne Sainte-Geneviève qui en restera longtemps imprégnée. Héritière du grand Sorbon, dominée par la théologie, discipline hégémonique qui régit la pensée du temps, elle est reconnue, en cette fin de siècle, comme la plus haute autorité religieuse du monde chrétien après le pape. Les deux papes s’annulant, la voilà donc au premier rang, tout au moins à ses propres yeux, complaisants et vaniteux. Au-dessus du commun, parmi tous ces savants docteurs qui se gonflent d’importance, se tiennent quelques hommes irréprochables, d’une élévation intellectuelle et morale incontestable, et qui ressentent presque dans leur chair la fracture de l’Église romaine : le chancelier de l’Université Pierre d’Ailly, futur cardinal du pape d’Avignon, Jean Gerson, qui lui succédera, surnommé le docteur très chrétien, Gilles des Champs et quelques autres. Pour le reste, le commun, précisément, un marais de cuistres discoureurs, porteurs de toges, de bonnets carrés ou pointus, de toques, de mortiers, de capes d’hermine, de hochets de toutes sortes qui sont la marque de leur conformisme, ployant de concert sous les vents dominants. Et le vent dominant, c’est le compromis. Ce que l’Université de Paris, en cette gravissime circonstance, appelle la voie de compromis, ou voie de cession. Peu importe qui est le vrai pape ! Ils doivent céder tous les deux, se démettre, abdiquer, faute de quoi on les déposera, pour permettre l’élection d’un troisième auquel chacun se rallierait. L’université de Paris n’en démordra plus. Le Grand Schisme lui devra sa survie d’au moins trente années publiques, et ensuite trente années cachées.
[…] Cependant il fallait en référer au roi et lui faire tenir un mémoire sur ce qui avait été conclu. S’y attelèrent les meilleurs latinistes de Paris. Une fois le document achevé, ce qui nécessita de longues semaines, audience fut demandée au roi. Pauvre roi. Ses périodes de lucidité s’espaçaient, entre lesquelles gouvernaient à sa place ses deux oncles, le duc de Berri et le duc de Bourgogne. Le duc de Berri tenait pour Clément VII. Quand il prit connaissance du document, il entra dans une fureur noire, saisit au collet le nouveau chancelier, Arnaud de Corbie, injuria la délégation, plus morte que vive, laquelle s’entendit traiter de ramassis de rebelles, de séditieux, et même de théologiens, ce qui, dans la bouche du prince, ressemblait curieusement à une insulte :
– Hors de ma vue, théologiens ! cria-t-il.
À la fin il appela la garde pour les faire jeter à la Seine. Se ravisant, il les fit seulement jeter dehors.
Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, tenait plutôt pour la cession. Il était plus fin diplomate et ses États jouxtaient l’Empire, qui avait choisi le camp de Boniface. L’Université de Paris, toute honte bue, s’en vient pleurer dans son giron. Elle clame son indignation. On lui a fait injure. On l’a humiliée. Philippe le Hardi écoute. Il trouve le mémoire plutôt raisonnable. Il promet sa protection. En réalité, il place ses pions. L’heure est proche où le royaume de France va tomber comme un fruit mûr. Il interviendra auprès du roi.
L’audience est accordée. Le dernier jour de juin, dans la chambre du roi, en présence des princes, des officiers de la couronne et d’une multitude de prélats, s’avance jusqu’aux pieds de Sa Majesté l’armée noire des théologiens. Ils ont soigné leur délégation. Rien que des vedettes. Tout ce que l’Université de Paris compte de plus rengorgé et de plus tordu à la fois. De la morgue enveloppée d’humilité, et quelques jeunes espoirs parmi eux pour bien montrer au souverain – il a vingt-six ans – qu’il ne s’agit pas d’un conflit de générations. C’est ainsi que Pierre Cauchon, futur évêque et futur accusateur de Jeanne d’Arc, figure dans les rangs des docteurs. Pour se faire une idée juste de ces gens-là, de leurs ambitions, de leurs arrière-pensées, de leurs façons torves et envieuses, il suffit de savoir que c’est l’Université de Paris, vendue aux Anglais et aux Bourguignons, unanime derrière son chancelier Pierre Cauchon, qui s’acharnera trente ans plus tard sur Jeanne d’Arc, menant de bout en bout le procès dans tout l’éclat des vanités. Ce 30 juin 1394, tels sont les contempteurs de Clément VII.
Jean Raspail. L’anneau du pêcheur. Albin Michel 1995
17 09 1394
Ordonnance d’expulsion des Juifs du royaume : il fallait bien trouver des boucs émissaires pour expliquer la folie du roi : et quel meilleur bouc émissaire qu’un juif ? La France n’avait pas le monopole de l’antisémitisme : l’Espagne s’y était mise depuis plusieurs années :
Ce XIV° siècle fut fatal à la race juive dans toute l’Europe ; la Mort noire qui désolait tous les pays souleva d’abord en Allemagne, puis chez les autres peuples, une fureur aveugle contre les juifs, qu’on tenait pour responsables de la peste, tragique mais significatif exemple des dangereux effets de la différence. Les efforts du Pape Clément VI pour arrêter cette explosion de fanatisme insensé furent vains. L’Espagne, où l’épidémie faisait de nombreuses victimes, connut également sa vague d’antisémitisme, qui commença par les terribles massacres de Barcelone et de Gérone. Pourtant, ces événements ne furent que les signes avant-coureurs de la persécution générale qui débuta à Séville en 1391 sous la direction du Doyen. Ce prêtre, qui avait nom Don Ferran Martinez, entêté jusqu’à en devenir rebelle et s’appuyant sur la faveur populaire, passa outre aux ordres exprès du Roi, de l’Archevêque et du Chapitre pro-juifs et entraîna la foule, contre les forces royales, au massacre et au pillage des riches quartiers juifs de la ville. Comme un feu de forêt, le pogrom prit dans beaucoup d’autres villes, avec les mêmes terribles effets. Les riches judérias des villes d’Espagne furent détruites par le pillage, leurs habitants assassinés. Le grand Chancelier, Pero Lopez de Ayala, devait écrire plus tard de son style sec, implacable : Tout cela n’était que cupidité de voler plutôt que dévotion. La perte pour la vie économique de l’Espagne fut incalculable. Sous la pression des événements, de nombreux juifs quittèrent l’Espagne. (Il est très probable que c’est vers cette époque que les ancêtres de Colon s’enfuirent à Gênes. Le tissage était un métier spécifiquement juif dans l’Espagne méditerranéenne.) Beaucoup se firent chrétiens. On avait souvent vu des conversions sur une petite échelle, individuelles ; c’était le premier mouvement de conversions en masse auquel on assistait dans la Péninsule. Le chef en était Fraï Vicente Ferrer, qui devait être canonisé sous le nom de Saint Vicente Ferrer. L’un de ses succès les plus remarquables fut la conversion de Selemoh ha-Levi, célèbre rabbin connu dans toute la juiverie espagnole pour son érudition et son talent, qui devint un Prince de l’Église non moins célèbre sous le nom de Don Pablo de Santa Maria.
Cet illustre converso, Don Pablo de Santa Maria, fut le principal chef de l’antisémitisme espagnol au XV° siècle. Également respecté pour sa science et pour sa vertu, il s’éleva rapidement dans l’Église et dans l’État et devint Évêque de Burgos, tuteur du Prince Jean (le futur Jean II de Castille) et Chancelier du royaume. Véritable père de l’Église à bien des égards, Don Pablo de Santa Maria plaça aux plus hauts postes de l’Église et de l’État sa nombreuse, et, semble-t-il, talentueuse famille. Grâce à son autorité sans rivale sur l’Église et l’État, et avec l’aide et la collaboration de ses nombreux fils, cet homme, qui était certainement droit et honnête, mais qui était animé d’une violente passion contre ses anciens frères de religion, organisa avec succès une campagne d’opinion et de législation dont le couronnement devait être non seulement l’expulsion des juifs en 1492, mais aussi l’implacable persécution des conversos par l’Inquisition, qui commença vers 1483 et qui devait durer des siècles.
Pablo de Santa Maria fut le premier à introduire une distinction entre les juifs fidèles, c’est-à-dire convertis, et les infidèles, c’est-à-dire les non-convertis. Toute sa vie, qui fut très longue, il resta un ennemi invétéré, intelligent et actif de sa race. Il inaugura ses activités officielles par l’établissement et la promulgation de l’Ordonnance sur l’Isolement des juifs et des Maures (2 janvier 1412), connue sous le nom d’Ordonnance de Santa Catalina, d’après le nom de la Reine Régente de Castille qui la signa. Les vingt-quatre articles de cette loi visaient à l’anéantissement complet de la part matérielle et morale que les juifs s’étaient taillée dans le pays.
Salvador de Madariaga. Christophe Colomb. 1951
25 09 1396
Les armées du sultan Bayézid anéantissent les Croisés du comte de Nevers et de l’armée hongroise du roi Sigismond à Nicopolis, dans l’actuelle Roumanie : Ce fut une terrible défaite, où la chevalerie française, sous le commandement du fils aîné du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, alors connu sous le nom de comte de Nevers, et l’armée hongroise du roi Sigismond avaient été, après la lutte la plus glorieuse, écrasées par les innombrables et terribles soldats [des Janissaires, pour la plupart d’entre eux] du sultan Bayézid. Le désastre de cette armée de cent mille hommes avait été complet, malgré les prodiges de valeur accoutumés. Les chevaliers français, ici, comme presque toujours, avaient été victimes de leur témérité. Presque tous ceux qui n’avaient pas succombé sur le champ de bataille furent égorgés le lendemain par centaines ou plutôt par milliers, par les ordres ou sous les yeux de Bayézid assis sous sa tente en pleine campagne, entouré du plus brillant état-major. Cette boucherie dura toute la journée.
Gustave Schlumberger
Bayézid savait hiérarchiser les ordres donnés, et il n’était donc pas question de trucider les combattants de grande valeur comme le fils du duc de Bourgogne, dont la rançon fut payée avec douze faucons gerfauts du Groenland… ce qui en dit long sur la valeur de ces oiseaux-là.
Dès la fin du XIV° siècle, les Turcs, derniers venus des envahisseurs, étaient arrivés au Danube ; Mircea le Grand, voevode de Valachie (qui s’intitulait pompeusement Maître et Prince de tous les pays de l’Ungrovalachie et, par delà les montagnes, des duchés de Fogarach et d’Amlach, duc du Banat de Severin et maître des deux rives du Danube jusqu’à la grande mer, Mircea le Grand, allié de Sigismond, roi de Hongrie, appelle à son secours l’Europe chrétienne. Venise envoie ses galères dans le delta du Danube, et Charles VI de France ses chevaliers à Nicopoli où les rejoignent leurs alliés, les chevaliers teutoniques, le Grand Maître de Rhodes, et Sigismond de Bohême. Les étendards des Burgraves, ceux de l’ordre de St Jean, ceux des Bourguignons, des Palatins, de Jean de Valois, comte de Nevers, flottent à coté de l’oriflamme de Mircea orné de la tête de bœuf à mufle carré, totem de la Valachie. Enthousiasme sans lendemain. Les chevaliers français, vêtus comme pour une fête avec leurs souliers à la poulaine dont ils étaient obligés de couper les pointes avant de commencer le combat, réclamèrent impérieusement l’honneur de l’attaque. Froissart nous a décrit le grand désastre des chrétiens, la fin de cette brillante cavalerie sous les coups des janissaires et la tragique décollation des prisonniers, ces guerriers francs en chemise et pied nus devant le bourreau. Mircea échappa au péril et obtint même du sultan un pacte d’autonomie qui sauvegardait ses droits moyennant un tribut versé à l’Osmanli. Il est curieux que cet accord soit resté jusqu’en 1816 le statut de la Roumanie.
Paul Morand. Bucarest 1935
27 10 1396
Charles VI, roi de France rencontre Richard II, roi d’Angleterre, aux champs près du moulin d’Ardres, à la frontière : les rois ont juré, en paroles de roi, sur les Saints Évangiles, que dorénavant, ils seront bons et loyaux amis ensemble, et que comme père et fils s’entr’aimeront et aideront l’un et l’autre envers et contre tous. Ils ont fait alliance perpétuelle.
Juvénal des Ursins
Charles VI est accompagné de sa fille Isabelle, 6 ans, qui suivra Richard II pour devenir son épouse en temps voulu.
1397
Marguerite la Grande, reine de Norvège car veuve du roi Haakon VI, fille du Roi du Danemark, est déjà parvenue à unir son pays au Danemark. Par l’Union de Kalmar, c’est la Suède qui rejoint les deux premiers. Cela tiendra 126 ans, jusqu’en 1523, quand le futur Gustave I° Vasa, emmènera dans la révolte les Suédois, qui reprendront alors leur indépendance.
En Danemark, Valdemar II, vivant au milieu d’un peuple affligé par la peste, par la famine et par la guerre civile, se vit obligé de s’exiler : sa fille Marguerite, à la mort de cet infortuné monarque, en 1375, saisit d’une main ferme les rênes du gouvernement, en qualité de régente du royaume et de tutrice de son fils Olaüs qui vécut seulement cinq années. Le royaume, affaibli sous les règnes précédens, sortit de cet état de langueur ; la Norvège, unie au Danemark, accrut les forces et les ressources de ce pays. Marguerite de Valdemar, aussi guerrière que reine éclairée et prudente, conquit la Suède sur Albert, et une seule victoire, celle de Falkopink, en 1389, en Vestro-Gothie, lui valût cette importante conquête. Les peuples, ravis d’avoir pour souveraine une femme de ce caractère, lui obéirent docilement.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
29 09 1399
Menés par le cousin du roi, Henri de Lancastre, les Anglais que la guerre arrange bien contraignent le roi Richard II d’Angleterre à abdiquer. Ils le tueront peu après.
1399
L’époque est traversée par deux grands courants eschatologiques, le millénium, très léger quant à ses fondements dans l’Écriture, devant surtout son succès à son contenu, et la proximité de la fin prochaine, beaucoup plus au cœur des Écritures Saintes. Les décennies précédentes n’avaient pas été avares de calamités propres à assurer le succès des annonciateurs d’apocalypse : retour de la Peste noire en 1348, interminable guerre de Cent ans, avance turque inquiétante à partir des défaites de Kosovo en 1389 et Nicopolis en 1396, les croisades contre les Hussites, et, surtout le Grand schisme – scandale des scandales – .
Les deux grandes visions eschatologiques […] – celle du millenium et celle du Jugement dernier – revêtent – au moins dans leurs formulations les plus catégoriques – des significations bien différentes. L’une peut être qualifiée d’optimiste puisqu’elle laisse apercevoir à l’horizon une longue période de paix au cours de laquelle Satan sera enchaîné en enfer. L’autre est de coloration bien plus sombre. Certes, le Jugement final place définitivement les élus en paradis ; mais qui peut dire d’avance qu’il sera compté parmi les brebis à la droite du Souverain Juge ? Celui-ci apparaît dur et sévère. Le dernier jour de l’humanité est bien celui de la colère : dies irae. Seconde distinction essentielle : la conception du millenium a eu tendance à se teinter, en Occident comme chez les adeptes mélanésiens du Cargo, [le jour de la vengeance et du salut, un bateau à vapeur, mené par les ancêtres, apporterait aux opprimés fusils, nourritures et biens terrestres] d’une coloration matérialiste, à la limite peu chrétienne, en particulier chez les chiliastes révolutionnaires. Durant les mille ans du règne des saints, souffrance, maladie, misère, inégalité, exploitation de l’homme par l’homme auront disparu de la terre. Ce sera le retour à l’âge d’or – éternelle aspiration humaine – que certains, à Tabor ou à Munster, se représentaient comme un authentique pays de cocagne.
Jean Delumeau. La peur en Occident. Arthème Fayard 1978
Les prophéties apocalyptiques étaient tout à fait familières aux contemporains. Cette époque, qui fut marquée par tant de découvertes et de conquêtes, n’eut pour ainsi dire jamais le sentiment qu’elle voyait poindre l’aube d’un temps nouveau. Obsédée par la hantise du déclin, du péché et du jugement, elle eut, au contraire, la certitude qu’elle était le point d’aboutissement de l’histoire.
Jean Lebeau
Ces grands thèmes eurent leurs prédicateurs de prédilection : P. Vieira, jésuite portugais, Savonarole, Luther, Vincent Ferrier, qui sera canonisé : ce dernier quitte Avignon en 1399, prêche d’abord en Provence, Savoie, Dauphiné, Piémont, peut-être Lombardie. De 1409 à 1416, il sera de retour en France, passera à Toulouse, traversera le Massif Central, les pays de la Loire, la Normandie et terminera son apostolat en Bretagne, où il meurt – à Vannes – en 1419 ! Ce que l’on appelle avoir la foi chevillée au corps.
05 1400
En requérant la participation corporelle des fidèles, par le chant, ou mieux par le mime, la représentation sacrée les conviait à incarner véritablement les scènes de la vie du Christ, à s’identifier un moment à leur frère Jésus. La piété médiévale avait toujours voulu adjoindre à l’inclination de l’âme, pour la fortifier, l’adhésion du corps. Dans les monastères bénédictins, la prière n’était pas silencieuse, mais lancée à pleins poumons, d’un seul jet, par la communauté rassemblée. Écrire, copier le texte sacré, parce qu’il fallait labourer le parchemin, représentait un travail de force où le poignet prenait part aussi active que l’esprit. Pas de lecture à voix basse, mais encore une participation des muscles à la proclamation du texte. Mimer la parole de Dieu paraissait donc la manière la plus pleine de se l’approprier, de vivre réellement sa foi. La nuit, dans le cloître, portant une croix, le dominicain Heinrich Suso allait d’un pilier à l’autre, jouant la passion du Christ. Et ce chemin de croix s’achevait devant le crucifix de la chapelle en dialogue avec la Vierge. Par de tels exercices, il parvenait à ces moments de ravissement qu’il évoque : il lui semblait souvent qu’il planait dans les airs et qu’il voguait entre le temps et l’éternité, dans le flot profond des merveilles insondables de Dieu. Que le peuple chrétien tout entier embrigadé, guidé par les Frères mendiants, agisse de même, il s‘avancera dans la voie mystique, vers l’irradiation qui sauve, et qui assure que la mort elle-même n’est que le détroit d’une libération. En fait toute la population d’une ville s’unissait parfois en un immense jeu collectif. Pendant les trois jours de la Pentecôte de 1400, les artisans d’Avignon montèrent à leurs frais la Passion de Notre Seigneur : Deux cents furent requis pour représenter le dit jeu, avec en plus tant d’hommes costumés et tant d’hommes armés que personne ne pourrait en dire le nombre. Sur la place du couvent des Frères prêcheurs, beaucoup d’estrades avaient été dressées où se tenaient hommes et femmes. Il ne se fit jamais de fête si royale ni qui rassemblât dix à douze mille spectateurs. Les mystères, que les confréries spécialisées, n’étaient donc pas seules à jouer, tendaient à susciter un théâtre généralisé dont tout chrétien fut un acteur, dans des représentations quotidiennes et secrètes. […] Tous les animateurs de la nouvelle pastorale pensaient en effet, comme Eustache Mercadé, auteur d’une Passion jouée vers 1430 dans le nord de la France, que
À plusieurs gens valent mieux
Qui n’entendent les Écritures
Exemples, histoires, peintures
Faites aux moûtiers et palais.
Ce sont les livres des gens laïques
Georges Duby. Le temps des cathédrales. Gallimard 1976
17 11 1400
Charles VI donne sa forme définitive à la course, nom donné à l’activité des corsaires, en créant l’obligation de la lettre de marque. L’activité existait depuis belle lurette, mais se développa surtout lors de la guerre de cent ans : la construction d’un navire coûtait alors fort cher, les caisses royales n’y suffisaient pas et il était donc plus courant de sous-traiter, en payant le propriétaire du navire au coup par coup :
Se aucun, de quelque estat qu’il soit, mestoit suz aulcune nef à ses propres despenz por porter guerre à nos ennemys, ce sera par le congié et consentement de notre dict admiral ou de son lieutenant. Lequel a ou aura, au droit de son dict office, la cognoissance, jurisdiction, correction de toz les faicts de la dicte mer et de ses dependances, criminellement et civilement.
Dans toute profession, dans tout corps de métier, il y a les gros mais aussi le menu fretin :
Trois au quatre hommes duicts à la marine, hardiz à se mettre à l’aventure, pauvres n’ayant que quelque petite barque ou frégate ou quelque brigantin mal équipé : mais au reste ont une boete de quadran à naviguer nommée bussolo, qui est le quadran de marine : et ont aussi quelque peu d’appareil de guerre, sçavoir est quelques armes légières pour combattre de plus loin. Pour eux vivre ilz ont un sac de farine et quelque peu de biscouit, un bouc d’huile, du miel, quelques liaces d’aulx et oignons et un peu de sel qui est pour la provision d’un mois. Cela faict, ilz se mettent à l’aventure. Et si le vent les contrainct de se tenir au port, ils tireront leur barque en terre, qu’ilz couvriront de rameaux d’arbres et tailleront du bois avec leurs cognées et allumeront du feu avec leur fusil… feront un tourteau de leur farine qu’ilz cuiront à la mesme manière que les soldats romains faisoient, le temps passé, en guerre.
Belon du Mans
vers 1400
Le beau Moyen Age s’en va : Le XIV° siècle, ce siècle catastrophe venant à la suite d’une des plus belles envolées de l’humanité vit l’effondrement des valeurs morales, à la traîne des gouvernements de Philippe le Bel et de ses successeurs, les premiers rois escrocs et dictateurs. La féodalité, en gros, reposait sur le fair-play, la foi jurée, le respect des serments, la réciprocité, voir l’amour de Dieu. Or, une société qui renie ses fondements s’expose à la débâcle, à la ruine, à l’horreur. Nuit et brouillard… Ce qui caractérise l’état des lieux du royaume de France, dans la majeure partie des années 1300, c’est la guerre, la division, l’anarchie sur tous les plans.
[…] Le costume masculin se différencie définitivement du costume féminin ; l’habillement de l’homme se virilise, abandonnant la cotte médiévale, la tunique se raccourcit progressivement tandis que les cuisses du mâle se couvrent d’un haut de chausse un peu bouffant, qui lui donnent des pattes de coq. Et puis, innovation capitale, on inventa la braguette : cette poche externe, taillée en présentoir pour les attributs masculins, attachés par un lacet – l’aiguillette – devant le haut de chausse. Un costume bien commode pour la guerre perpétuelle : mais un attifement de gallinacé multicolore, qui exprimait désormais la différence de celui qui portait la culotte !
Claude Duneton. Histoire de la chanson française Seuil 1998.
1400
Baldassare Cossa, seigneur de l’île de Procida, proche de Naples, secrétaire apostolique du pape et cardinal de Bologne, futur Jean XXIII, perfectionne l’indulgence pour le Jubilé, dont le précédent datait de seulement dix ans. Les fidèles qui voulaient bénéficier de l’indulgence plénière accordée aux pèlerins, sans avoir à se lancer dans l’aventure qu’était la traversée des Alpes, – c’était le cas des Allemands – pouvaient se contenter d’un pèlerinage sur certains lieux saints d’Allemagne, mais à condition de s’acquitter du prix que leur aurait coûté le long voyage à Rome. Le Jubilé était devenu une manifestation aussi juteuse que nos Jeux Olympiques, à la différence que c’était toujours la même ville qui en était bénéficiaire : Rome.
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[1] laissées en blanc sur la carte, preuve d’un esprit scientifique peu commun, à une époque où l’horreur du vide faisait préférer le mythe à la mention terra incognata.