15 juin 1992 à fin avril 1993. Embellie mondiale à Barcelone. Solide comme un pont romain. Au revoir, Samivel. 26719
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Publié par (l.peltier) le 23 août 2008 En savoir plus

15 06 1992  

Iégor Gaïdar est nommé premier ministre de la Russie, sans l’aval du Parlement dominé par les communistes conservateurs. Il y restera six mois. Auparavant il avait été ministre des finances depuis novembre 1991, et encore plus tôt, dès 1985-1986, chargé de la réforme économique auprès du premier ministre : avec Petr Aven, ils avaient alors décidé de se fonder sur un modèle économique existant, ayant fait ses preuves. Gaïdar avait proposé la Hongrie ou la Yougoslavie, Petr Aven, la Suède, ce à quoi Gaïdar avait répondu : Nous ne pouvons pas faire de l’URSS une Suède, mais on peut essayer d’en faire la Hongrie.

Il hérite de la pire des situations : effondrement complet de l’économie soviétique : pénurie généralisée, épuisement des devises, arrêt des échanges internationaux. L’hiver approche, la Russie n’a plus que deux mois de réserve de grains et les paysans refusent de vendre leur production aux prix fixés par l’État. Les magasins sont vides, l’État n’a plus que l’équivalent de 27 millions de dollars de devises – ce qui compromet le recours à l’importation de nourriture — tandis que ses dettes s’élèvent à 72 milliards de dollars. Et c’est dans ces circonstances que Iegor Gaidar abolit la régulation des prix et instaure le libre-échange.

Il mène une politique de libéralisation économique inspiré de l’enseignement de l’école de Chicago. Ainsi sont libéralisés la monnaie (le jour de l’an 1992), les prix, de nombreuses privatisations sont menées dans l’urgence. Les oligarques en bénéficient, dans le mécontentement quasi général. La libéralisation des prix fait apparaître l’évaporation des épargnes, en remettant une couche dans le mécontentement consécutif au désordre ainsi crée. L’homme n’était pas un profiteur et même porté sur la bonne chair, vivait simplement.

Les Moscovites s’essayaient encore à rire en disant que  le plus grand économiste marxiste de la Russie, c’est Iégor Gaïdar  car il a  réussi en deux ans ce que ni Lénine ni Staline n’avaient su faire : discréditer complètement le capitalisme dans ce pays.

Mais les blagues, c’est comme le reste, il y en a de tous les bords : À qui faut-il s’adresser pour entrer au Parti communiste ? À un psychiatre.

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Une commission d’inspecteurs visite un asile de fous. Les patients les accueillent en chantant : Comme il fait bon vivre en terre soviétique ! Mais la commission remarque qu’un homme reste silencieux. Pourquoi ne chantes-tu pas ? lui demandent-ils. Moi, je suis l’infirmier, je ne suis pas fou !

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Le camarade Khrouchtchev visite un élevage de cochons et il est photographié. À la Pravda, les graphistes discutent sur la légende à mettre sous l’image: Le camarade Khrouchtchev parmi les cochons, Le camarade Khrouchtchev et les cochons, Les cochons autour du camarade Khrouchtchev ? Toutes les propositions sont rejetées les une après les autres . À la fin, le directeur prend sa décision. La légende choisie est : Troisième à droite, le camarade Khroutchtchev.

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Et quand on montrait à Iégor KaÏdar qu’à la suite de son action, l’espérance de vie avait continué de plonger, les services publics continuaient à se désagréger et la production à diminuer, il répondait que les difficultés tenaient à la faiblesse du prix du pétrole pendant les années 1980, et aussi : Si tu fais des réformes et que tu attends des remerciements, cela signifie que tu ne comprends pas comment le monde est organisé.

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Les privatisations engagées en Russie au cours de la décennie 1990 représentent la plus grande réforme de la propriété jamais entreprise. Alors qu’au début de la décennie la quasi totalité de la production relevait du secteur étatique, dès 1998 environ 70 % du PIB est produit dans le secteur privé. Ce bouleversement des rapports de propriété est un élément clé de la transformation radicale. Il signe la fin et l’échec de l’expérience soviétique. Le changement systémique qui conduit à une pleine conversion au capitalisme a cependant été extrêmement coûteux. Le recul de l’activité économique est continu jusqu’en 1998. Cette grande dépression est aussi profonde que celle des Etats-Unis au début des années 1930. Outre l’explosion des inégalités, les indicateurs tels que l’espérance de vie, l’éducation des jeunes ou la croissance démographique se sont dégradés. Le choc structurel des privatisations est un élément décisif de cette crise nationale. La transition post-soviétique intervient dans un contexte idéologique marqué par l’affaiblissement des conceptions du développement qui, après 1945, ont guidé les politiques menées dans la plupart des pays. L’épuisement économique des différentes formes d’étatisme correspondant aux modèles soviétique, keynésien et tiers-mondiste est patent dès la décennie 70. Il a permis l’émergence d’une nouvelle synthèse politico-économique connue sous le nom de Consensus de Washington ou de néolibéralisme. Appliquée au cours de la décennie 1980 d’abord aux pays d’Amérique latine, ce cocktail de mesures économiques est ensuite relayé dans les pays d’Europe centrale et orientale avec la disparition des régimes de type soviétique. La question du changement des rapports de propriété est alors au centre de l’économie politique de la transition qui s’impose. La prochaine section est consacrée à l’émergence de la question des privatisations dans l’URSS finissante. Les conditions politiques de l’adoption d’une politique radicale en matière de changement des formes de propriété sont ensuite examinées. La section 4 et la section 5 présentent les deux étapes des privatisations en Russie. Les faiblesses des mobilisations sociales et la défaillance de l’Etat sont évoquées dans la sixième section. Avant de conclure, la section 7 présente succinctement le débat économique occulté sur la question de la propriété des moyens de production. Dès 1987, sous l’impulsion de Mikhaïl Gorbatchev, une série de mesures de libéralisation de l’économie soviétique sont mises en œuvre. Orientées au départ vers l’établissement d’un socialisme de marché, elles se radicalisent au fur et à mesure du mûrissement de la crise politique et de l’approfondissement des difficultés économiques, jusqu’à se stabiliser autour de positions néolibérales et monétaristes en 1992. En ce qui concerne les formes de propriété, différentes décisions interviennent dès 1987 qui autorisent le développement des coopératives puis une recombinaison de la propriété étatique. Au même moment, dans les milieux académiques, les premières propositions de désétatisation des entreprises à travers leur transformation en coopérative ou la vente de parts aux citoyens sont avancées. Les choses s’accélèrent à partir de 1989. Alors qu’en URSS la crise économique s’aggrave, la chute du mur de Berlin et le basculement des pays satellites dans le post-socialisme amplifient la demande politique de changement. Sur fond de tensions croissantes entre le secrétaire général du Parti Communiste de l’Union Soviétique, Michael Gorbatchev, et Boris Eltsine qui dirige la fédération de Russie, un programme de transformation radicale intitulé 500 jours est proposé à l’automne 1990. Élaboré par des économistes comme Stanislav Chataline, Gregori Iavlinski, Evgueni Iassin et Boris Fedorov, il avance diverses options pour engager les privatisations mais n’est finalement pas appliqué en raison des hésitations de Gorbatchev et des résistances d’une fraction importante des dirigeants du Parti. Parallèlement, de nombreuses directions d’entreprises préparent déjà leur conversion au capitalisme et profitent de la désorganisation économique pour amorcer des privatisations sauvages. En 1991, diverses dispositions concernant la création de joint-venture avec des firmes étrangères, la création de nouvelles entreprises privées et une privatisation graduelle des entreprises publiques sont adoptées tant au niveau de l’Union soviétique que des autorités russes. Mais cette année 1991 voit surtout le démantèlement de l’Union Soviétique et l’ascension de Boris Eltsine à la tête d’une Russie indépendante. Ce n’est qu’avec la chute du gouvernement soviétique et la mis en place d’une nouvelle équipe d’économiste que les mesures décisives en matière de changement des rapports de propriété vont être prises. Boris Eltsine met en place au mois de novembre 1991 une nouvelle équipe économique constituée pour l’essentiel de jeunes économistes libéraux. Yegor Gaïdar prend la tête du gouvernement tandis qu’Anatoli Tchoubaïs est désigné pour mener à bien le processus de privatisation. Ce dernier restera au gouvernement jusqu’en 1998 avec seulement une interruption de six mois en 1996. Alors que la situation économique ne cesse de se dégrader et que les forces d’opposition au processus de privatisation sont perçues comme relativement puissantes, cette équipe considère qu’elle bénéficie d’une opportunité historique qu’elle ne doit pas laisser passer. Le processus de radicalisation des réformes procède ainsi d’un calcul politique. Il faut agir vite afin de créer une structure sociale qui rende tout retour au pouvoir des communistes sinon impossible du moins très difficile. Pour cela, les nouveaux dirigeants peuvent s’appuyer sur une relative bienveillance de la population. Les mobilisations des mineurs de 1989-1991 se rapprochent de l’opposition démocratique et nationale emmenée par Boris Eltsine.

Comme ces luttes sont orientées avant tout contre l’appropriation monopolistique du pouvoir politique et économique de la Nomenklatura, des convergences apparaissent. Plus largement, l’adhésion populaire au marché est associée à l’espérance d’une élévation du niveau de vie et d’une véritable justice sociale. Dans l’opposition au contrôle des bureaucrates sur les entreprises, il y a la volonté de voir le processus de changement institutionnel radical déboucher sur un contrôle de la part des salariés eux-mêmes de l’outil de production.

Au niveau international, l’esprit de la guerre froide est encore très présent et le devenir de l’ex-URSS est pour des raisons géopolitiques évidentes l’objet de toutes les attentions. Les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, s’engagent ainsi dans un soutien inconditionnel à la nouvelle équipe et exercent une influence significative sur l’agenda des réformes. Concernant les privatisations, Hilary Appel indique quatre modalités par lesquels la communauté internationale a pu peser sur la transformation systémique en Europe de l’Est et en Russie : la conditionnalité des prêts, le financement des programmes de privatisation, la modification de l’équilibre politique et la réorientation idéologique et économique des universités et des instituts de recherche. Le moyen le plus coercitif est la conditionnalité des versements des prêts du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM) à la réalisation d’objectifs de privatisations. Ainsi, en 1997 la BM procéda à la suspension et à l’annulation de certains versements en raison des retards pris. En raison de son importance géostratégique, la Russie bénéficiait néanmoins d’un pouvoir de négociation beaucoup plus important que la plupart des autres pays d’Europe centrale et orientale et a généralement été préservée de l’arrêt des versements. En revanche, les gouvernements occidentaux et les institutions internationales sont intervenus en soutenant financièrement les programmes de privatisation. Dès 1992 des centaines de millions de dollars ont été débloqués en faveur du Russian Privatization Center sous forme de dons mais aussi de prêts de la BM, de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD), de l’agence américaine USAID, de divers gouvernements européens et du gouvernement japonais. Cette institution clé pour l’élaboration et la mise en œuvre des programmes de privatisation témoigne de la manière dont les pays occidentaux ont pu altérer l’équilibre politique en faveur des fractions favorables à la propriété privée et au libre marché.

Le Russian Privatization Center se présente légalement comme une organisation non gouvernementale fondée en 1992 sous la direction d’Anatoli Tchoubaïs – alors à la tête du Comité de la Propriété d’Etat (G.K.I) en charge des privatisations – avec la participation de l’Harvard Institute for International Development (HIID) – l’institution qui coordonna l’ensemble de la coopération économique américaine dans la période post-soviétique – et le soutien de hauts responsables de la BM. Janine Wedel montre comment, il joua un rôle décisif dans la définition des politiques économiques allant jusqu’à participer à la rédaction des décrets présidentiels de privatisations

Richard Morningstar, un officiel du Département d’Etat indique sans détours comment des organisations comme le Russian Privatization Center ont été décisives : Si nous n’avions pas été là pour financer Tchoubaïs, aurions-nous gagné la bataille des privatisations ? Probablement non. Avec quelques centaines de millions de dollars, il n’est pas possible de changer le pays, mais il est possible d’apporter une assistance ciblée pour aider Tchoubaïs. Pour les services fournis, Anatoli Tchoubaïs et ses alliés politiques ont bénéficié des largesses financières de cette institution avant de tirer profit de leur position au cours du processus de privatisation. [Il va devenir un des hommes d’affaires les plus riches de Russie]  Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. Divers Harvard Boys appointés par le gouvernement américain et parfois détenteurs de la double nationalité pratiquèrent également un lucratif mélange des genres, tantôt consultants, tantôt représentant des gouvernements, tantôt hommes d’affaires jouant pour leur propre compte.

La communauté internationale n’a donc pas eu à faire appel à des méthodes coercitives pour imposer les privatisations. En revanche, elle a joué un rôle majeur dans la promotion et le soutien moral et financier à des leaders qui embrassaient déjà l’agenda néolibéral. Cette altération de l’équilibre politique a été décisive dans l’engagement du gouvernement russe dans un processus rapide de privatisations et n’a jamais été remise en cause par le caractère faiblement démocratique d’une transition marquée par les coups de force de l’exécutif.

L’équipe d’Anatoli Tchoubaïs aurait souhaité suivre des modalités de privatisations par vente d’actifs se rapprochant de celles adoptées dans les pays occidentaux au cours des années 1980, mais elle doit faire face à des contraintes spécifiques d’ordre politique et économique.

Sur le plan économique, la faiblesse de l’épargne disponible rend quasiment impossible la vente rapide de milliers d’entreprises. Sur le plan politique, une telle option se heurte à l’opposition du Soviet Suprême de la Fédération de Russie, des dirigeants d’entreprise et risque de miner le soutien populaire aux réformes. Pour ne pas prendre le risque de retarder la désétatisation de l’économie, l’équipe de Tchoubaïs décide donc de suivre l’exemple Tchèque de la privatisation de masse.

Des coupons, les vouchers, d’une valeur faciale de 10 000 roubles sont distribués à la population qui peut les utiliser pour acheter les actions des entreprises privatisées ou les revendre. Ce mécanisme est mixé par des procédures privilégiées pour les travailleurs et les dirigeants d’entreprises. La loi adoptée le 11 juin 1992 et mise en œuvre dès l’automne offre trois variantes. Dans la première, les travailleurs peuvent obtenir gratuitement 25 % des parts de leur entreprise, mais ces parts sont dénuées de droit de vote. La seconde donne aux salariés la possibilité d’acheter à un prix privilégié 51 % de leur entreprise. La troisième permet à un groupe de managers ou de salariés d’acheter prioritairement 20 % des parts avec droit de vote. La seconde variante qui permet aux salariés d’être majoritaire dans l’actionnariat, est plébiscitée puisqu’elle est choisie par plus de 70 % des entreprises concernées par cette première vague de privatisations. En dépit de l’opposition du parlement qui voulait notamment que les insiders soient davantage favorisés, une nouvelle vague de privatisations selon des modalités à peu près identiques est lancée par décret présidentiel au printemps 1993, suivie d’une troisième en 1994 qui accorde un rôle plus important aux régions.

À la mi-1994, la désétatisation de l’économie est impressionnante : plus de 15 000 firmes ont été privatisées et un peu plus de 60 % du PIB provient du secteur privé. En revanche, le processus de privatisation de masse ne bénéficie pratiquement plus d’aucun soutien dans la population. Le gouvernement par la bouche d’Anatoli Tchoubaïs avait pronostiqué que la valeur des parts acquises par chacun allait s’apprécier significativement jusqu’à représenter l’équivalent de deux ou trois voitures neuves. En fait, si la quasi totalité des russes ont participé à cette première phase de privatisation, la plupart n’en ont retiré aucun bénéfice. Leurs actions ont été bloquées par les managers des firmes, rachetées pour une bouchée de pain alors que les travailleurs étaient victimes d’arriérés de salaires, ou ne valent plus rien, car les entreprises ont été vidées de leurs actifs. Des millions d’autres personnes qui avaient investi leurs vouchers dans des fonds d’investissement mutuels pyramidaux, le plus célèbre étant MMM, ont tout perdu lorsque ceux-ci se sont effondrés en 1994.

Sur fond de crise économique et sociale croissante, la phase de la privatisation de masse s’achève par un profond désillusionnement de la population. Les méthodes de privatisation ont sciemment interdit la mise en place de droits collectifs puisque les procédures privilégiées accordées aux employés n’étaient pas destinées à leur permettre de prendre le contrôle effectif de leur entreprise mais à rendre les privatisations socialement acceptables. Les vouchers étant librement transférables, on a assisté à une rapide redistribution des titres au détriment de la très grande majorité de la population qui ne disposait ni du temps, ni de l’information pour les utiliser dans leur intérêt. Afin d’acquérir des parts et de se préserver des outsiders, les managers ont fait de nombreuses promesses aux salariés à propos de l’emploi et des avantages sociaux. Ils ont ainsi le plus souvent réussi à conserver le contrôle sur les entreprises. Ce contrôle s’est cependant avéré instable et largement soumis à la montée en puissance d’acteurs financiers et d’intermédiaires dont les pratiques prédatrices ont contribué à la destruction d’une grande partie de l’appareil productif.

En juillet 1994, Boris Eltsine ignore une nouvelle fois l’opposition du parlement et engage une phase de privatisation monétaire à travers la mise aux enchères de participations dans des entreprises de secteurs clés comme l’énergie, les métaux ou les télécommunications. Étant donné l’ampleur des changements de propriété déjà effectués, le processus de transformation systémique apparaît comme irréversible et les priorités de l’équipe de Tchoubaïs ne sont plus les mêmes qu’en 1992. La nouvelle étape de privatisation est donc destinée à un petit cercle de personnes susceptibles de stabiliser une couche de capitalistes. Dans un premier temps, la majeure partie des revenus de ces privatisations doit servir à recapitaliser les entreprises cédées ou à alimenter les budgets des autorités locales et régionales. Cependant, dès 1995, les recettes de ces ventes d’actifs sont principalement destinées à combler le déficit du budget fédéral.

À la veille des élections parlementaires de 1995 à la Douma et de la présidentielle de juin 1996, le gouvernement a en effet absolument besoin de ressources financières pour combler les arriérés de salaires des fonctionnaires et des militaires ainsi que les pensions des retraités sans relancer l’inflation. Il compte pour cela sur les revenus des privatisations. Des objectifs de recettes sont définis mais ne sont pas atteint pour plusieurs raisons. D’abord, la diminution des revenus et l’inflation élevée des années précédentes ont érodé l’épargne disponible. Ensuite, les personnes qui se sont enrichies depuis le début des réformes ne considèrent pas les entreprises russes comme un investissement attractif et préfèrent placer leurs avoirs à l’étranger ou spéculer sur les devises comme en témoigne l’ampleur de l’évasion des capitaux. Enfin, l’essentiel du capital financier qui reste en Russie est happé par les titres de la dette publique à court terme (GKO) dont les rendements sont très élevés jusqu’au krach d’août 1998. C’est dans ce contexte que l’opération prêts contre actions est décidée avec un but double: d’abord, apporter au budget fédéral les liquidités dont le gouvernement a un besoin urgent pour obtenir la réélection de Boris Eltsine ; ensuite, acheter l’appui financier d’un groupe de riches contributeurs potentiels à la campagne électorale de Eltsine.

En mai et août 1995 deux décrets présidentiels posent les bases légales de ce schéma de privatisation inédit. Le principe qui a été initialement avancé par Vladimir Potanin, directeur d’Oneximbank, est le suivant : les banques vont accorder à l’Etat des prêts gagés sur des paquets d’actions qui leur sont laissés en gérance. Des enchères sont organisées pour répartir ces actions à la banque offrant le prêt le plus élevé. Au bout d’un an, si l’État n’a pas remboursé son prêt, la banque peut mettre en vente ces actions et reverser à l’État seulement  30 % du produit de cette vente. Dans les faits, les officiels en charge des privatisations n’ont jamais vraiment envisagé que les prêts soient remboursés. C’est ainsi que des participations élevées ou majoritaires dans des joyaux de l’industrie soviétique comme Norilsk Nickel, le principal producteur mondial de Nickel, les entreprises pétrolières Yukos, Sidanko et Lukoi ou encore le combinat métallurgique de Novolipetsk sont cédés à un groupe exclusif de banques favorisées. Formellement, il était interdit à ces banques dépositaires des paquets d’actions d’en prendre possession. Cependant, elles-mêmes étant organisatrices des enchères, elles n’hésitèrent pas à écarter des offres plus élevées et à prendre le contrôle définitif des actions mises en vente par le biais des sociétés-écran. Le manque à gagner pour le budget public est considérable. L’exemple de Norilsk Nickel est édifiant : les quelques centaines de millions de dollars offerts pour le contrôle d’une participation de 38 % sont ridicules si l’on considère que le chiffre d’affaire annuel de la firme en 1995 est estimé entre 2,5 et 3 milliards de dollars. Il importe également de noter que les conseillers américains du Harvard Institute for International Development bénéficièrent du schéma prêts contre actions. La Harvard Management Compagny – qui place les fonds de l’université du même nom – et Georges Soros furent les seuls investisseurs étrangers à prendre part à cette opération qui leur permit d’obtenir une participation significative dans le combinat métallurgique de Novolipetsk et dans la compagnie pétrolière Sidanko.

Derrière les prétextes de promotion de la propriété domestique d’entreprises stratégiques nationales et de renforcement des actifs des banques se trouve l’enrichissement d’un petit groupes d’oligarques financiers. L’évidence de la collusion, de la corruption et du favoritisme dans ces enchères fut tel que les critiques véhémentes s’élevèrent dans l’ensemble du spectre idéologique, depuis le Parti Communiste russe jusqu’à la Banque Mondiale. En vain. Le processus prêts contre actions alla jusqu’à son terme. L’unique conséquence du scandale fut la mise à l’écart temporaire de la figure immensément impopulaire d’Anatoli Tchoubaïs avant l’élection présidentielle de juin 1996.

Une fois les élections présidentielles passées, Tchoubaïs revient au gouvernement et les privatisations par vente d’actifs reprennent. En 1997, 25 % de la compagnie monopolistique de télécommunications Svyazinvest sont ainsi cédés à un consortium alliant investisseurs russes (Onexim) et étrangers (Deutsche Morgan Grenfell and Morgan Stanley). Un processus graduel de vente est mené par les gouvernements successifs. Il concerne notamment le secteur énergétique et la métallurgie. Au printemps 2005, Vladimir Poutine s’est engagé à poursuivre et même à accélérer les privatisations, indiquant que plus de 11 000 entreprises allaient être concernées, notamment les monopoles naturels (chemins de fer et Électricité) et des firmes du secteur bancaires.

Le caractère profondément illégitime et chaotique du processus de privatisation soulève la question de la relative passivité de la population et du rôle de l’Etat.

Alors que le niveau de vie s’effondre et qu’une poignée d’individus s’approprient les biens de la collectivité nationale, la faiblesse des mobilisations sociales est un des traits les plus marquant de la décennie 1990. Dans son enquête sur les ouvriers russes dans la période de transformation, Karine Clement met en évidence les mécanismes de démobilisation : détérioration du travail du fait de l’accroissement de la précarité, de la flexibilité et de la paupérisation de la majorité de la population, opacité des rapports sociaux résultant de la confusion entourant le processus de privatisation, défaillance des organisations médiatrices de l’action collective et processus de destruction de l’identité ouvrière. Si les résistances sociales sont restées marginales, elles ont également été très éclatées et se sont cristallisées dans un certain nombre de conflits locaux autour de la question de la propriété. C’est par exemple le cas en 1992-1993 à Moscou dans l’usine automobile ZIL où la répartition des actions entre l’encadrement et les salariés est contestée par de nouveaux syndicats (Sotsprof et Zachita).

Une des mobilisations les plus avancée a lieu dans le combinat de cellulose de Vyborg à une centaine de kilomètres de St-Petersbourg: suite à sa mise en faillite, l’entreprise est gérée par les salariés de 1998 à 2000 avant de céder devant le blocus économique orchestré par les dirigeants économiques et politiques de la région. Les salariés sont restés des acteurs en marge du processus de privatisation. C’est l’Etat, affaibli par la crise des finances publiques et la réduction drastique de la dépense publique, qui est le maître d’œuvre de cette réforme chaotique. Rendu public en novembre 2004, un rapport rédigé par la Cour des Comptes de la Fédération de Russie sous l’égide de l’ancien Premier Ministre M. Stepashin, est riche d’enseignements sur ce rôle de l’Etat. Après avoir constaté que les privatisations ont abouti à une nouvelle répartition des droits formels de propriété accompagnée d’un nombre relativement peu élevé de conflits sociaux, ce texte montre les dysfonctionnements majeurs des politiques publiques dans la période allant de 1993 à 2003. Concernant les problèmes relatifs au processus lui-même il pointe en particulier des dispositions législatives incomplètes et contradictoires, l’absence de système de contrôle des transactions de privatisation, les abus de pouvoir des organes fédéraux et des dirigeants des entreprises privatisées et la sous-évaluation quasi systématique de la valeur des entreprises mises en vente. Pour ne prendre qu’un exemple, citons la mise aux enchères de 7,97% du capital de la compagnie de pétrole et de gaz Slavneft en 1996-1997. Ce paquet d’actions a été vendu à 48,8 millions de dollars alors que selon la capitalisation sur le marché de la compagnie sa valeur était de 358,1 millions de dollars ; la transaction s’est donc réalisée au septième du prix du marché ! Le comportement des représentants publics dans les conseils d’administration des entreprises où l’Etat conserve des participations est également dénoncé. En particulier le versement des dividendes au budget fédéral n’a pas été vérifié, laissant des montants colossaux passer dans des filiales des entreprises concernées au profit d’acteurs privés.

Le bilan que fait le rapport du processus de privatisation est sans appel. Il n’a pas abouti à la réalisation de l’objectif fixé dans le Programme de privatisation, c’est-à-dire à la création d’un entrepreneur efficace et d’une économie de marché socialement orientée. Il n’a pas non plus permis des recettes importantes pour le budget de l’Etat. Le principe du respect de l’égalité des citoyens lors de la privatisation de masse et la prise en compte des intérêts et des droits de toutes les couches sociales n’ont pas été respectés. Enfin, l’absence de politique de privatisation à long terme a eu pour résultat l’achat d’actions d’entreprises stratégiques par des firmes étrangères.

Cette dynamique du processus de privatisation repose sur un débat occulté. L’ambiguïté qui permet aux réformateurs de bénéficier dans un premier temps d’un soutien populaire est résumée par le slogan répété à maintes reprises par Boris Eltsine : Il nous faut des millions de propriétaires, pas un petit groupe de millionnaires. C’est aussi l’espoir de la population de voir son niveau de vie substantiellement amélioré grâce à fonctionnement plus efficace de l’économie. C’est ce que promettent les promoteurs du package néolibéral (libéralisation des prix, du commerce, recul de l’Etat, etc.) auquel sont associées les privatisations.

La mise en œuvre de droits de propriété individuels et échangeables est considéré comme une condition nécessaire à l’efficacité économique tandis que toute autre forme de désétatisation, par exemple par la prise de contrôle collective des salariés d’une même usine, est repoussée. Anders Aslund, un des experts les plus impliqués en Russie, recense les arguments avancés : les privatisations devaient faire reculer la corruption, durcir la contrainte budgétaire, accroître la compétition entre les producteurs, favoriser la destruction créatrice grâce au mécanisme de faillite, améliorer la rationalité de l’investissement. Faisant fis de précédents historiques comme la dictature de Pinochet au Chili, la propriété privée des moyens de production est également présentée comme indissociable de l’émergence de régimes politiques démocratiques. La plupart du temps, les privatisations sont justifiées à partir d’un double mouvement de critique du fonctionnement des économies planifiée et d’imitation des systèmes économiques occidentaux. Il s’agit de réparer l’anomalie que constitua l’expérience soviétique. Le raisonnement de base est alors le suivant. Dans les entreprises d’Etat les incitations des managers et des travailleurs à l’efficience productive sont considérées comme faibles pour plusieurs raisons : la primauté accordée aux objectifs quantitatifs du plan sur la diminution des coûts ; la sécurité de l’emploi qui est une obligation sociétale des entreprises ; les pertes qui sont assumées par le système bancaire ou le budget de l’Etat. A l’inverse, sous un régime de propriété privée dans un contexte libéralisé, les managers sont soumis à une discipline contractuelle par les actionnaires qui cherchent à maximiser leurs profits ; ils font face au risque de take-over par d’autres acteurs privés et au risque de faillite. La productivité doit ainsi être augmentée grâce à la réduction de l’emploi non nécessaire et à des coupes dans les usages excessifs d’intrants.

Ces justifications procèdent d’une vision extrêmement naïve des conditions d’émergence de comportements économiques responsables. Le fonctionnement des économies occidentales est le résultat d’un processus historique long de maturation de complexes chaînes d’agence. Le type d’efficacité qui en résulte nécessite une configuration institutionnelle aux multiples dimensions (marchés financiers, législation de la concurrence, mécanismes de contrôle des comptes, ethos professionnel de management, etc.). Un tel édifice ne pouvait être construit à brève échéance par un pouvoir politique centralisé, ce qui permet d’ailleurs d’affirmer que le risque de voir l’entrepreneur apparaître sous la forme d’un prédateur sans scrupule pouvait être anticipé. A un niveau plus théorique, les économistes sont incapables d’argumenter de manière décisive en faveur de droits de propriété individuels et cessibles. Sans se plonger véritablement dans le débat, on peut simplement avancer deux éléments. En premier lieu, la notion de droits de propriété exclusifs a un caractère largement mythique. Dans les sociétés complexes, toute propriété individuelle est enserrée dans une irréductible surdétermination collective. Le code légal formel, le contexte culturel mais aussi les conséquences inintentionnelles des actions individuelles implique que la propriété individuelle n’est acceptée que dans certaines limites et peut toujours être remise en cause. En second lieu, les approches théoriques de la propriété sont relativement peu nombreuses et récentes. La théorie néoclassique ne se préoccupe que de l’équilibre des marchés et ne dit rien sur le fonctionnement de la firme, elle n’a donc rien à nous dire sur la question de la propriété. Un certain nombre d’approches néoinstitutionnalistes s’efforcent depuis les années 1970 de traiter du sujet mais elles n’apportent pas d’arguments décisifs démontrant que l’organisation capitaliste de la grande firme industrielle est plus efficace que des formes autogestionnaires d’administration économique. Des travaux récents tendent même à établir une double relation positive entre démocratie d’entreprise et efficacité productive : d’une part, une répartition démocratique du surplus produit des incitations individuelles à l’effort productif ; d’autre part, un degré élevé de démocratie dans le contrôle de la firme contribue non seulement à augmenter la légitimité de l’organisation du travail et donc les incitations à l’effort productif, mais il améliore également l’efficacité productive du fait des connaissances révélées par le processus démocratique. Le large consensus des experts sur la question des formes de propriété à mettre en place lors de la désétatisation a donc occulté un débat légitime. Avant même les conséquences désastreuses des réformes sur le plan économique et social, le glissement politique qui s’est opéré depuis le positionnement en faveur de la désétatisation jusqu’à la mise en œuvre de programmes de privatisation par vouchers sous-tend la profonde désillusion de la population.

Au terme d’un processus de privatisations qui dure depuis près de quinze ans, le premier constat qui s’impose est un ancrage de la société russe dans le capitalisme. Ce résultat est donc d’abord un succès politique pour ceux qui ont mené les réformes ainsi que pour les institutions internationales et les pays occidentaux engagés à leurs côtés.

Depuis le coup d’État de Boris Eltsine à l’automne 1993 jusqu’à l’instrumentalisation du terrorisme par Vladimir Poutine sur fond de cantonnement du pouvoir législatif à un rôle minimal, ce processus a été marqué par l’autoritarisme mais n’a pas provoqué de confrontation sociale généralisée. Il n’en est pas moins fortement illégitime aux yeux de la population. Dans leur grande majorité les Russes considèrent que les privatisations réalisées au cours de la décennie 1990 ont eu un impact négatif pour le pays et que les personnes coupables d’actions illégales dans ce cadre doivent être traduites en justice et éventuellement privées de leur propriété. Bien qu’une remise en cause des privatisations soit formellement exclue de manière répétée par Vladimir Poutine, la question reste très présente dans le débat public, y compris dans les documents officiels.

Cédric Durand. Les privatisations en Russie et la naissance d’un capitalisme oligarchique. CEMI EHESS 2005

On en a fini avec le pouvoir soviétique. Et on a quoi, maintenant ? Un ring, la jungle… Le pouvoir des gang­sters. Ils se sont tirés dessus en se partageant le gâteau. C’était à qui serait le plus rapide… Il faut dire que c’est un sacré morceau ! Seigneur ! Tchoubaïss, le maître d’œuvre de la perestroïka… Maintenant, il se pavane, il donne des conférences partout dans le monde : dans les autres pays, le capitalisme a mis des siècles à s’installer et chez nous, ça s’est fait en trois ans ! On a employé la méthode chirurgicale… Et si certains s’en sont mis plein les poches, eh bien tant mieux, peut-être que leurs petits-enfants seront des gens honnêtes. Brrr! Et ce sont des démocrates ! (Elle se tait.) Ils ont enfilé le costume américain, ils ont écouté l’oncle Sam… Seulement il ne leur va pas, ce costume. Il n’est pas fait pour eux… Ce n’est pas sur la liberté qu’on s’est précipités, mais sur les jeans. Sur les supermarchés. On s’est laissé avoir par des emballages bariolés… Maintenant, chez nous aussi, on trouve tout dans les magasins, c’est l’abondance. Mais les montagnes de saucissons, cela n’a rien à voir avec le bonheur ni avec la gloire. Nous étions un grand peuple ! On a fait de nous des trafiquants et des pillards… Des marchands de tapis et des managers…

[…] Jusqu’au mois d’août 1991, on a vécu dans un pays, et depuis, on vit dans un autre pays. Jusqu’à ce mois d’août, mon pays s’appelait l’URSS.

Qui je suis ? Je suis l’un de ces imbéciles qui ont pris la défense d’Eltsine. Je me trouvais devant la Maison-Blanche, et j’étais prêt à me jeter sous un char. Les gens étaient descendus dans la rue comme portés par une vague, par un grand élan. Mais c’était pour la liberté qu’ils étaient prêts à mourir, pas pour le capitalisme. J’estime que j’ai été floué. Je n’ai pas besoin de ce capitalisme dans lequel on nous a entraînés, qu’on nous a refilé… Sous aucune forme ! Ni sous sa forme américaine, ni sous sa forme suédoise. Je n’ai pas fait la révolution pour le fric de qui que ce soit. On criait : La Russie ! au lieu de crier : L’URSS ! Je regrette qu’on ne nous ait pas dispersés avec des lances à incendie et qu’on n’ait pas amené sur la place deux ou trois mitrailleuses. Il aurait fallu arrêter deux ou trois cents personnes, et les autres seraient rentrées dans leurs trous. (Une pause). Où sont-ils aujourd’hui, ceux qui nous ont fait venir sur la place aux cris de À bas la maffia du Kremlin ! La liberté est pour demain ! Ils n’ont rien à nous dire. Ils se sont tirés en Occident et maintenant, là-bas, ils disent du mal du socialisme. Ils se la coulent douce dans des laboratoires de Chicago. Et nous, on est restés ici…

La Russie… On s’est essuyé les pieds dessus. N’importe qui peut lui taper sur la gueule. On en a fait un dépotoir dans lequel l’Occident se débarrasse de ses vieux vêtements et de ses médicaments périmés. De sa camelote ! (Il jure.) Un réservoir de matières premières, un robinet à gaz… Le pouvoir soviétique ? Ce n’était pas idéal, mais c’était mieux que ce qu’on a maintenant. Plus digne. En gros, le socialisme, moi, ça m’allait très bien : il n’y avait pas de gens excessivement riches ni de pauvres, pas de sans-abri ni d’enfants des rues… Les vieux pouvaient vivre avec leur retraite, ils ne ramassaient pas des bouteilles vides et des restes de nourriture dans les poubelles. Ils ne restaient pas plantés là à tendre la main en vous regardant dans les yeux… Le nombre de gens qui sont morts de la perestroïka… On ne les a pas encore comptés. (Une pause). Notre vie d’avant a été complètement rasée, il n’en reste pas pierre sur pierre. Bientôt, je n’aurai plus aucun sujet de conversation avec mon fils. Il me dit en rentrant de l’école : Papa, Pavlik Morozov était un beau salaud, et Marat Kazeï un taré ! Et toi qui m’avais appris que… Je lui avais appris ce qu’on nous avait appris. Je l’avais élevé correctement. Cette horrible éducation soviétique... C’est cette horrible éducation soviétique qui m’a appris à ne pas penser seulement à moi-même, mais aussi aux autres. Aux plus faibles, à ceux qui ont une vie difficile. Pour moi, un héros, c’était Gastello [héros soviétique, pilote de bombardier pendant la 2° guerre mondiale], et pas ceux-là, avec leurs vestes rouges et leur philosophie du chacun pour soi, de la charité qui commence par soi-même… Arrête de nous gaver avec tes idéaux moralisateurs et ta bouillie humaniste, papa ! Où lui apprend-on cela ? Les gens sont différents maintenant… Ce sont des capitalistes… Et lui, vous comprenez, il est imprégné de tout ça, il a douze ans. Je ne suis plus un exemple, pour lui.

Pourquoi j’ai pris la défense d’Eltsine ? Rien qu’en disant qu’il fallait retirer ses privilèges à la nomenklatura, il s’était fait des millions de partisans. J’étais prêt à prendre un fusil pour tirer sur les communistes. Ça m’avait convaincu… On ne comprenait pas ce qu’on allait nous donner en échange. Ce qu’on allait nous refiler. On s’est fait avoir dans les grandes largeurs ! Eltsine s’est déclaré contre les Rouges et il s’est mis du côté des Blancs. C’est une catastrophe. .. Bon, qu’est-ce qu’on voulait ? Un socialisme plus doux, plus humain… Et qu’est-ce qu’on a ? Le capitalisme sauvage. Avec des fusillades. Des règlements de comptes. Pour savoir qui aura un kiosque, qui aura une usine… Ce sont les bandits qui se sont hissés en haut de l’échelle. Des trafiquants et des changeurs au noir ont pris le pouvoir… Nous sommes entourés d’ennemis et de pillards. De chacals ! (Une pause.) Je n’arrive pas… Je n’arrive pas à oublier ce jour, devant la Maison-Blanche… [cf. 4 10 1993. Propos recueillis en 1997]

Svetlana Alexievitch. La fin de l’Homme Rouge. Actes Sud. 2010

17 06 1992

L’Italie et l’Autriche enterrent la hache de guerre devant l’ONU sur le Haut Adige, pour l’Italie, Sud-Tyrol pour l’Autriche, c’est à dire le sud du col du Brenner jusqu’à Trente à peu près, nord nord-ouest de la Vénétie.

Les guerres évitées ne font pas de bruit, aussi les hommes qui parviennent à empêcher que le sang coule sont-ils souvent oubliés des livres d’histoire. Et pourtant… Le 17 juin 1992, aux Nations unies (ONU), le moment manque un peu de force lyrique, mais il n’en est pas moins historique. Ce jour-là, les représentants de l’Italie et de l’Autriche informent le secrétaire général de l’organisation, Boutros Boutros-Ghali, de la fin du litige qui les opposait concernant la petite province de Bolzano (Haut-Adige pour les Italiens, Sud-Tyrol vu d’Autriche). Après plusieurs décennies d’efforts, émaillées de vagues d’attentats et de crispations ethniques, celle-ci a su se doter d’institutions convenant à tous, éloignant ainsi le spectre d’un conflit ouvert. À force d’intelligence et de modération, cette terre nichée au cœur des Alpes était parvenue à se libérer des pièges du passé, et ce grâce à la volonté d’un homme qui, seul ou presque, a eu le courage de tracer un chemin dont quasiment personne, à l’origine, ne voulait.

Cet homme s’appelle Silvius Magnago. Né le 5 février 1914 dans la ville thermale de Meran (Merano, en italien), alors située dans l’empire des Habsbourg, il porte en lui toutes les blessures du XX° siècle. Il a 6 ans à peine lors de l’entrée en vigueur du traité de Saint-Germain qui, au lendemain de la première guerre mondiale, a démembré le Tyrol historique et attribué sa partie méridionale au royaume d’Italie. Après avoir opté pour la nationalité allemande, il servira dans la Wehrmacht pendant la seconde guerre mondiale, perdant une jambe sur les bords du Dniepr en 1943.

Revenu chez lui après la guerre, cet homme au visage émacié, rongé par les douleurs de l’amputation qui ne le laisseront jamais en paix, comprend que les compromis et la réconciliation sont la seule voie possible pour que sa province échappe au retour du cycle infernal des guerres. Et, plus important encore, il arrive à convaincre la majorité des habitants de le suivre.

Bolzano. Addio a Silvius Magnago, storico leader dell'Svp - Foto - Alto ...

Pour comprendre les racines de cette histoire, il faut prendre la route et se rendre sur le col du Brenner (Brennerpass en langue allemande, passo del Brennero en italien). Nous sommes à 1 370 mètres d’altitude, au point de passage le plus bas entre le nord et le sud de l’arc alpin. Ici, les semi-remorques et les trains de marchandises empruntent une route attestée depuis le néolithique et qui reste l’un des principaux axes commerciaux du continent.

Reliant le monde méditerranéen au nord de l’Europe, utilisé depuis toujours par les marchands et les armées en campagne, le col du Brenner marque également la ligne de partage des eaux entre le bassin de drainage de la mer Adriatique, avec le fleuve Adige, et celui de la mer Noire, avec l’Inn et le Danube.

Bref, le lieu semble tout indiqué pour être une de ces frontières naturelles chères aux géographes et aux diplomates qui, durant des siècles, ont cherché à définir des lignes de délimitation rationnelles sur le continent européen. Aussi, au sortir de la première guerre mondiale, lorsqu’il s’est agi de dépecer l’empire des Habsbourg, les puissances réunies en congrès à Paris n’ont-elles eu aucun remords à en faire la nouvelle frontière séparant le royaume d’Italie de la petite République d’Autriche.

Problème : cette décision entre en violation flagrante avec le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que les vainqueurs de la guerre affirment vouloir mettre en œuvre. En effet, la véritable ligne de partage entre les mondes latin et germanique existe, mais elle se trouve à une centaine de kilomètres plus au sud, à la frontière de l’ancien évêché de Trente. Certes, le col du Brenner marque une jolie ligne de crête, mais de part et d’autre, depuis le Moyen Age, c’est le Tyrol. Ainsi, dans la province de Bolzano, rattachée d’un trait de plume à l’Italie, à peine 5 % des habitants parlaient italien lors du recensement de 1910…

Aujourd’hui encore, les populations des deux côtés de la frontière sont les mêmes. Les inscriptions dans les églises et les cimetières en témoignent et, de quelque côté que l’on se trouve, c’est par un grüss Gott sonore et chaleureux qu’on vous accueille lorsque vous passez l’entrée d’un café ou d’un restaurant.

L’historien Hans Heiss vit à quelques kilomètres au sud de la frontière, dans la petite ville de Bressanone (Brixen, en allemand), où sa famille tient, depuis le milieu du XVIII° siècle, l’Auberge de l’éléphant, un hôtel nommé ainsi en souvenir de l’animal offert par le roi du Portugal à Maximilien II de Habsbourg, qui avait fait escale ici durant l’hiver 1551-1552 avant de franchir le col. Fin connaisseur des subtilités locales, il nous conduit un peu à l’écart de la ville, à l’ombre des hauts murs de l’opulent couvent de Novacella, dans un décor champêtre et idyllique, pour une conversation à bâtons rompus autour d’un plateau de fromages locaux.

Ancien élu provincial des Verts, Hans Heiss mesure mieux que quiconque l’importance stratégique de cette annexion : Pour l’Italie de 1919, avoir la frontière au Brenner, c’est la garantie de n’être pas considérée uniquement comme un pays méditerranéen. C’est un symbole très important pour les Italiens… Au XIX° siècle, les irrédentistes revendiquaient Trente ou Trieste pour unifier le peuple italien. Ici, cela n’a rien à voir avec les populations, c’est une pure revendication géopolitique

Pour le reste, le Haut-Adige est une terre enclavée, sans intérêt économique majeur. Bien sûr, les centres urbains comme Bolzano et Merano étaient un peu plus développés et accueillaient une population italienne plus importante. Mais celle-ci, sur l’ensemble du territoire, restait marginale.

Aussi la volonté affichée d’italianiser la province de Bolzano, dès l’entrée en vigueur du traité de Saint-Germain, en 1919, est-elle accueillie avec une hostilité incrédule par le plus grand nombre. L’Italie libérale promet d’offrir à ce territoire une forme d’autonomie, mais, à peine deux ans plus tard, Benito Mussolini arrive au pouvoir avec la ferme intention de transformer le Haut-Adige en terre latine, de gré ou de force. Les écoles de langue allemande sont fermées, les noms des communes italianisés. Les nouveaux maîtres du Haut-Adige – l’appellation Sud-Tyrol est interdite – vont jusqu’à dégermaniser les noms propres : sur les papiers d’identité désormais octroyés par l’État italien, un Stefan est rebaptisé Stefano, un Josef devient Giuseppe… Dans le même temps, l’Italie fasciste favorise les implantations d’italianophones venus de la Vénétie voisine ou du sud du pays. Ils formeront les gros bataillons des forces de l’ordre et de l’administration locale, au point de donner à l’italianisation du Haut-Adige les allures d’une occupation coloniale.

Autant dire que, pour l’écrasante majorité des germanophones, l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, en 1933, puis l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie) en mars 1938 sont de nature à soulever de grandes espérances. Mais celles-ci seront vite douchées. En mai 1938, Hitler se rend en train en Italie pour sceller son alliance avec Mussolini. Il passe par le col du Brenner, ignore les milliers de germanophones massés sur son parcours et, depuis le balcon du palais de Venise, à Rome, assure que la frontière du Brenner a été offerte par la providence aux deux nations. Moins d’un an plus tard, en mars 1939, il propose aux habitants un choix terrible : soit ils restent en Italie et devront devenir Italiens, soit ils partent pour le Reich, où on leur proposera des terres et un avenir parfaitement germanique. C’est ce qu’on appellera l’Option.

Plus des trois quarts des germanophones de la province émettent le souhait de partir, mais la guerre interrompt le mouvement, à peine amorcé. Comment expliquer un tel engouement ? On a souvent tendance à minimiser la violence du fascisme, mais, dans la province de Bolzano, il y a eu de vraies persécutions. Donc ceux qui avaient le moins à perdre, ceux qui ne possédaient pas de terres, les moins fortunés ou les professions libérales ont été les premiers à choisir l’Option. Sans doute l’ont-ils plus fait pour des raisons pragmatiques que par attachement idéologique, analyse l’historienne du nazisme Elissa Mailänder, elle-même originaire de Merano.

Les milliers d’optants qui ont combattu sur le front de l’Est et reviennent dans la province, en 1945, sont des hommes défaits, brisés. De plus, ils ont perdu la nationalité italienne. Face à eux, les habitants qui ont choisi l’Italie ont eux aussi connu les horreurs de la guerre, souvent en Afrique. Et, entre les deux communautés, un mur de silence se dresse, infranchissable.

Comment trouver une issue pacifique à cette situation inextricable ? Au sortir de la guerre, les Alliés sont face à un choix impossible. Faut-il tenir compte de la volonté des habitants et rectifier la frontière de 1919, en rattachant le Tyrol du Sud à l’Autriche ? Impensable, quelques mois après la chute du nazisme et alors que le sol autrichien est toujours occupé par les armées alliées. De plus, le gouvernement italien, dépossédé après guerre de l’Istrie et de ses colonies africaines, assure qu’une amputation territoriale de plus provoquerait à coup sûr une révolution communiste…

Les vainqueurs tombent d’accord sur une solution de compromis, l’idée étant d’accorder à la province une large autonomie, sans remettre en discussion la souveraineté italienne sur celle-ci. Le résultat est l’accord dit De Gasperi-Gruber, signé entre l’Italie et l’Autriche le 5 septembre 1946 par les ministres des affaires étrangères des deux pays. Très ambigu et vague dans sa formulation, il permet à l’Italie de créer, en 1948, une région regroupant le Trentin et le Haut-Adige et de lui conférer une grande autonomie.

Sur le papier, donc, les Italiens ont tenu parole. Mais, en réalité, c’est tout le contraire. En effet, au lieu d’accorder une large autonomie à la province de Bolzano, au risque de voir celle-ci s’éloigner peu à peu de Rome, le gouvernement italien l’a englobée dans un ensemble plus vaste, accolant la province de Trente, italienne à plus de 90 % et plus peuplée, à la province de Bolzano. Ainsi, dans le nouvel ensemble, les germanophones vivent dans une région autonome, mais ils y sont minoritaires… Du point de vue de Rome, la solution consistant à noyer le Haut-Adige dans un ensemble plus vaste est idéale.

La manœuvre porte la patte d’un homme qui connaissait mieux que quiconque la situation, le président du conseil Alcide De Gasperi (1881-1954), un homme des frontières lui aussi, originaire du Trentin alors autrichien, qui a commencé sa carrière politique en 1911, en tant que député au Parlement des Habsbourg. Gasperi sait parfaitement ce qu’il fait, et les Autrichiens comprennent tout de suite le piège, mais ils ne sont pas en situation de s’opposer.

Entre italianophones et germanophones, un climat de méfiance sourde s’installe. Malgré l’égalité théorique, les seconds restent pour la plupart exclus des emplois publics et voient dans l’industrialisation progressive de la région, à grand renfort de populations venues du sud de la Péninsule, le visage pernicieux d’une nouvelle forme d’italianisation.

Un parti politique est créé pour défendre leurs intérêts : le Südtiroler Volkspartei (SVP, Parti populaire du Tyrol du Sud). Le sentiment d’injustice est si fort que celui-ci devient instantanément un mouvement de masse, comptant 50 000 membres fin 1945, soit 15 % de la population de la province. Dans le même temps surviennent des attentats sporadiques (une dizaine par an), surtout contre des symboles de l’occupation fasciste, mais pour l’heure les personnes ne sont pas visées…

En 1955, l’Autriche recouvre sa pleine souveraineté, et elle ne tarde pas à porter le litige devant l’ONU. En octobre 1960, l’affaire est même débattue devant l’Assemblée générale de l’organisation, à New York : la question du Tyrol du Sud devient un problème international, et sur cette scène Rome et Vienne se livrent à un authentique dialogue de sourds.

C’est à ce moment-là que Silvius Magnago entre en scène. Né d’une famille italo-germanique (son père, juge à la cour d’appel de Merano, était ethniquement italien, originaire de Trente), il a étudié le droit à Bologne. Revenu mutilé du front de l’Est, il s’est vite engagé au SVP, entrant au conseil municipal de Bolzano en 1947, avant de s’éloigner un temps de la politique pour se consacrer à sa carrière d’avocat. Il fait son retour en mai 1957 et prend la tête du SVP.

Six mois plus tard, dans le sud de la province, au pied de la forteresse Sigmundskron (rebaptisée Castel Firmiano par les Italiens), il organise la plus importante manifestation de l’histoire de la province (plus de 35 000 participants), pour réclamer le respect de l’esprit des accords de 1946 et annoncer un nouveau mot d’ordre : Los von Trent (éloignons-nous de Trente), et non plus éloignons-nous de Rome, comme précédemment. Ainsi donc le nouveau chef du SVP a-t-il décidé de rompre avec les revendications d’autodétermination pour adopter des positions plus susceptibles d’être écoutées à Rome. La graine est plantée, il faut désormais attendre. En 1960, Silvius Magnago est élu à la présidence de la province de Bolzano. Il restera à ce poste durant trois décennies.

La romancière italienne Francesca Melandri, qui a vécu quinze ans au cœur de la province, a consacré un très beau roman, Eva dort (Gallimard, 2012), à ces années troublées, marquées par une violence larvée entretenue par les militants du Befreiungsausschuss Südtirol (BAS), partisans de la réunification du Tyrol, et la répression de l’État italien.

Le 12 juin 1961, lors de la Feuernacht (nuit des feux), où chaque année les montagnes s’illuminent en souvenir de la résistance du Tyrol face aux armées de Napoléon, une centrale électrique et une quarantaine de pylônes à haute tension explosent simultanément. En réponse à cette provocation, derrière laquelle beaucoup de responsables italiens voient la main de l’Autriche, Rome envoie 15 000 hommes de plus pour maintenir l’ordre. Les arrestations sont nombreuses, les témoignages faisant état de tortures dans les casernes se multiplient…

Ce furent des années de tension extrême, se souvient l’historien Hans Heiss. On ne savait pas comment cela pouvait finir. L’armée italienne se comportait comme une force d’occupation, les carabiniers étaient barricadés dans les casernes. Ici, à Bressanone, ils avaient placé des sacs de sable devant l’entrée de leur bâtiment…De part et d’autre, la mémoire de la seconde guerre mondiale reste à fleur de peau. Ainsi les soldats ou fonctionnaires italiens deviennent-ils des fascistes pour les plus autonomistes tyroliens, tandis que la droite italienne, et plus particulièrement les postfascistes du Mouvement social italien (MSI), ne cesse de dénoncer les membres du SVP comme des nazis…

Face à cela, Magnago trace sa route, impavide. Il savait bien que l’accent allemand heurté avec lequel il parlait la langue de Dante, d’ailleurs à la perfection, et le fait d’avoir servi pendant la guerre dans la Wehrmacht suscitaient chez ses interlocuteurs une immédiate association avec le nazisme, écrit Francesca Melandri. Mais il ne pouvait pas à chaque fois infliger un résumé complet de l’histoire du Tyrol du Sud, ajoute l’écrivaine.

Placé sur une inconfortable ligne de crête, Magnago ignore les appels de ceux qui veulent venger les militants morts en captivité et continue de discuter avec l’État italien, au sein duquel la Démocratie chrétienne se montre de plus en plus ouverte au dialogue, sous l’impulsion de dirigeants comme Aldo Moro (1916-1978), plusieurs fois président du conseil à partir de 1963.

Dès les années 1963-1964, les militants du BAS sont rejoints dans les montagnes par des groupes de néonazis venus d’Autriche ou de Bavière. On commence à s’en prendre à des carabiniers, des bombes explosent dans les trains (notamment à Rome et à Vérone). Dans les rues de Bolzano, des cortèges néofascistes défilent au nom de l’italianité du Haut-Adige … Les violences feront une quarantaine de morts.

Alors que les négociations entre Magnago et Rome avancent difficilement, la tension est de plus en plus forte. Mais en parallèle, dans la population, les autonomistes perdent du terrain. Dans le même temps, une autre révolution est en effet à l’œuvre : l’explosion des sports d’hiver, qui transforme les sublimes pentes des Dolomites en eldorado. Pour les paysans des montagnes, naguère très pauvres, la possession d’un bout d’alpage devient synonyme de richesse. Dans ces conditions, les habitants ont envie de tout sauf de faire la guerre.

Le moment décisif survient le 22 novembre 1969, à Merano, où, devant l’assemblée plénière du SVP, Magnago présente en détail les points du statut négocié pied à pied, pendant des années, avec Rome. Après dix-sept heures de débats, il emporte la décision d’un souffle, avec moins de 53 % des voix du millier de délégués présents. La province de Bolzano, désormais bilingue, sera dotée d’une autonomie quasi totale, en échange de quoi elle restera italienne. Le statut entre en vigueur en 1972, et les violences cessent presque instantanément. L’Autriche ne peut qu’accepter cet état de fait.

Un demi-siècle plus tard, en se promenant par un soir d’été dans les rues de la vieille ville de Bolzano, où le kitsch habsbourgeois semble cultivé jusqu’à l’obsession, le poids de cette histoire est presque impossible à imaginer. C’est que le temps a fait son œuvre. Tout tient à ce vote de 1969, qui a été serré, et au fait que Magnago a su faire en sorte que la décision soit acceptée par tous. Vu ce que sont devenus les partis politiques, je ne suis pas certain qu’un tel compromis serait aujourd’hui possible, souligne le professeur de droit Francesco Palermo, sénateur de la province de Bolzano de 2013 à 2018.

Bien sûr, le principe de départ, fondé sur des recensements périodiques de la population permettant une juste répartition des emplois publics (70 % des citoyens se disent germanophones, donc 70 % des enseignants recrutés appartiendront à cette communauté), ne correspond plus tout à fait aux réalités, à l’urbanisation, à la multiplication des unions mixtes et aux arrivées de migrants. Et puis parfois, au-dessus des logiques de groupe, il y a les calculs individuels, comme ces familles italiennes qui préfèrent que leurs enfants étudient dans le système allemand car il leur offre plus de possibilités, dit en souriant M. Palermo, après avoir confié qu’à titre personnel il n’aimait pas avoir à se cataloguer dans l’une ou l’autre des communautés.

Reste que ce système, même s’il est aujourd’hui critiqué, a assuré la paix civile, au point de devenir un cas d’école étudié dans le monde entier. À une dizaine de minutes de marche du centre de Bolzano, au cœur de la ville nouvelle construite à l’époque fasciste, se trouvent les locaux de l’Eurac, un institut international de recherche qui se consacre – entre autres – aux droits des minorités. C’est là, dans une cafétéria flambant neuve avec vue sur les montagnes, attenante à l’ancienne salle de gymnastique des Jeunesses fascistes reconvertie en bibliothèque, que l’on retrouve le juriste Marc Röggla, directeur du Center for Autonomy Experience. La province de Bolzano avait tout pour devenir une deuxième Irlande du Nord ou un autre Kosovo, rappelle-t-il. La clé de tout, c’est un extrême pragmatisme, fondé sur les bases de l’accord de 1972 qui fonctionne comme une Constitution. Au centre, il y a une commission où l’État et la province siègent à parité, et c’est par elle que passent des normes d’actualisation. Car le statut ne doit pas être vu comme un texte figé, mais plutôt comme le début d’un processus dynamique, sans cesse en mouvement…

Aujourd’hui, le système né en Haut-Adige il y a un demi-siècle est souvent cité en exemple, et Marc Röggla confirme que de nombreuses délégations étrangères font régulièrement le voyage de Bolzano, même s’il préfère ne pas en donner la liste, car en général, elles préfèrent rester discrètes.

Retiré de la vie politique depuis le début des années 1990, Silvius Magnago a continué à vivre dans la vieille ville de Bolzano, où il s’est éteint discrètement en 2010, des suites d’une pneumonie. Dans les palmarès de la qualité de vie publiés par la presse italienne, sa ville est systématiquement classée dans les trois premières places. Avec moins de 4 % de chômage et le niveau de vie le plus élevé d’Italie, la petite province perdue au cœur des Dolomites, qui avait tout pour devenir un enfer, semble avoir trouvé la paix.

Bien sûr, les partisans de l’autodétermination n’ont pas disparu, et cet équilibre demeure fragile. Aucun de nos interlocuteurs n’a manqué d’insister sur ce point. Reste qu’on s’attarde rarement sur les guerres qui n’ont pas lieu et que ce voyage dans les Dolomites nous a offert un plaisir rare : celui d’écrire, pour une fois, une histoire qui finit bien.

Jérôme Gautheret, Thomas Wieder Le Monde du 6 août 2023

27 06 1992

Décision de presque dernière minute : François Mitterrand monte dans l’avion qui devait emmener Bernard Kouchner en Bosnie. Faute de pourvoir atterrir à Sarajevo, sous le tir des snipers, ils vont à Split. Il rencontre d’abord le président bosniaque Izethegovic auquel il promet aide humanitaire et volonté de paix. Mais rien de plus. Puis ils rencontre les dirigeants serbes avec lesquels l’entretien tourne court : Vous vous moquez de moi et vous dites des bêtises. Vous perdez votre cause. Je ne vous crois pas. Et il tourne les talons.

16 07 1992

Gros grain lors de l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv pour lequel le président Mitterrand et le président du Conseil Constitutionnel, ex-garde des Sceaux Robert Badinter, 64 ans, se sont déplacés : Rober Badinter fait face, tout de droiture et de fureur :

Robert Badinter (dont le propre père fut assassiné en 1943 à Sobibor) rend hommage aux victimes de la rafle du Véld’Hiv du 16 juillet 1942. François Mitterrand – premier président de la République à participer à cette commémoration – y fut ensuite sifflé et hué par une partie de l’assistance. Les protestataires lui reprochaient son refus persistant d’associer la responsabilité de la France aux crimes de la collaboration. Robert Badinter, furieux, s’en prit alors avec véhémence au micro : Je me serais attendu à tout éprouver, sauf le sentiment que j’ai ressenti il y a un instant et que je vous livre à l’instant avec toute ma force d’homme : Vous m’avez fait honte! Vous m’avez fait honte !, en pensant à ce qui s’est passé là, martèle-t-il, le verbe haut, l’index pointé vers son auditoire. Il y a des mots où il est dit dans La Parole : Les morts vous écoutent ! Croyez-vous qu’ils écoutent… ça ? sermonne-t-il. Dans un silence glacial, le président du Conseil Constitutionnel reprend  : Je ne demande rien, aucun applaudissement. Je ne demande que le silence que les morts appellent. Et d’asséner, de toute son autorité : Taisez-vous ! Quittez à l’instant ce lieu de recueillement. Vous déshonorez la cause que vous croyez servir, poursuit un Badinter, hors de lui.

Le successeur de Mitterrand à l’Elysée, Jacques Chirac sera le premier, en juillet 1995, à tenir un discours reconnaissant la responsabilité de la France dans le génocide nazi contre les juifs – expressément nommés, au lieu de l’euphémisme déportés et internés politiques des discours officiels jusqu’alors.

T.N. Le Nouvel Observateur n° 1446 du 23 juillet 1992

Les intéressés ont du tomber sur le cul de recevoir pareille avoinée d’un homme passant pour habituellement courtois tout en étant franchement de gauche. Et là c’est une engueulade de vieux papy grincheux et mal embouché que l’on trouve beaucoup plus souvent à l’extrême droite qu’à gauche, avec une absence totale de la retenue qui sied aux hommes policés très en vogue surtout depuis que la télévision a fait passer de mode les coups de gueule. Un des plus hauts personnage de l’État qui engueule des crétins … c’est passé de mode, mais bon Dieu que ça fait du bien, que ça fait plaisir ! Coup de gueule de vieux papy grincheux ? En fait, ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais beaucoup plus de la sainte colère du Christ chassant les marchands du Temple. Il faut peut-être remonter à Léon Bloy – 1846-1917 – pour trouver pareille colère chez nos hommes célèbres. On pourrait croire que l’homme s’assagirait… Que nenni, lui viendra une autre sainte colère, plus de trente ans plus tard, le 27 janvier 2020, il aura alors 92 ans, quand des gilets jaunes afficheront la tête de Macron au bout d’une pique ! Chaque fois, la cause est juste, terriblement juste.

En ces jours-là, ce lieu qui avait abrité tant de fêtes et de joie n’était plus qu’une immense enceinte où résonnait toute la douleur humaine. C’était aussi – mais ceux qui étaient entassés ici par milliers ne le savaient pas – la première station du martyre, la première antichambre de la mort. Or, ces souffrances-là, celles du corps et celles de l’âme, ils les ont éprouvées pour une seule raison : parce qu’ils étaient juifs. Et – le cœur se serre à ces mots – ils les ont endurées à Paris. […]

Le 16 juillet 1942, au petit matin, ce sont 4 500 gendarmes, gardes mobiles, policiers, avec l’assistance de 450 militants doriotistes et constitués en 900 équipes qui se sont abattus sur les immeubles où l’on savait, par le fichier de la préfecture de police, que logeaient des juifs. Ce sont les autobus parisiens réquisitionnés qui les ont transportés à travers les rues de Paris par milliers jusqu’au Vél’ d’Hiv  […]

À considérer les chiffres, à lire les documents, à écouter les témoignages, la vérité apparaît, implacable : ces hommes, ces femmes, ces enfants entassés au Vél’ d’Hiv’ ici, dans la plus extrême misère, ce sont les responsables de Vichy qui, pour le compte des nazis, les ont fait arrêter ; ce sont eux qui les jetteront dans les camps de Drancy, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, avant de les livrer par convois entiers aux Allemands pour être déportés en Pologne, où ils seront exterminés […] Il y a pire que le bourreau, s’écriait Mirabeau, c’est son valet ! […]

Pour expliquer leurs crimes, les responsables de Vichy ont souvent déclaré qu’ils n’avaient agi ainsi et accepté, à leur corps défendant, de livrer des juifs, y compris de la zone non occupée, aux Allemands, que parce qu’il s’agissait d’étrangers, et pour sauver ainsi les Israélites français, comme on disait alors. Argument mensonger : le sacrifice des uns n’épargnait pas les autres. Au Vél’ d’Hiv même se trouvaient dans cette foule hagarde bien des citoyens français, excipant vainement de leur nationalité, voire de leurs décorations gagnées sur le champ de bataille. Argument monstrueux, si l’on veut bien s’y attarder un instant : [… ] s’ils étaient venus dans cette France qui les avait accueillis, où ils avaient fondé leur foyer, élevé leurs enfants, ce n’était pas seulement pour fuir une vie de misère, mais, pour beaucoup d’entre eux, parce qu’elle était à leurs yeux la patrie des droits de l’homme. On ne saura jamais assez ce que représentait en ces temps-là, pour tant d’âmes juives, la France. Dans le plus petit village à l’est de l’Europe, son nom résonnait comme une promesse de dignité, de fraternité. […]

Mais le crime, puisqu’il faut l’appeler par son nom, a été plus abominable encore. Vichy s’était fait le complice des nazis dans l’arrestation et la déportation de ces femmes et de ces hommes. Nous savons par les archives de la Gestapo que les nazis ne désiraient pas s’embarrasser des enfants de moins de 16 ans lors des premiers convois de déportation. Mais, si l’on arrêtait les parents, qu’allait-on faire d’eux ? A qui confier ces milliers d’enfants juifs ? La réponse est inscrite dans les consignes de la préfecture de police du 12 juillet 1942 : Les enfants vivant avec la ou les personnes arrêtées seront emmenés en même temps, si aucun membre de la famille ne reste dans le logement. Ils ne doivent pas être confiés aux voisins. L’on envoya directement à Drancy les adultes qui n’avaient pas d’enfants. Les familles, elles, furent conduites au VéI’ d’Hiv. C’est pourquoi, parmi les 7 000 détenus, se trouvaient 4 051 enfants. […] Des milliers d’enfants du VéI’ d’Hiv ainsi déportés, pas un, je dis bien pas un, n’a survécu. […]

Un demi-siècle s’est écoulé depuis ces jours de deuil. Si le temps a apaisé notre douleur, il ne l’a pas éteinte. La blessure était trop profonde pour jamais cicatriser complètement. Nous avons si longtemps espéré que reviendraient ceux qui nous avaient été ainsi arrachés ! Et dans cette longue attente de l’impossible retour s’est gravée en nous la parole du prophète, qui nous dicte notre devoir : Les fils des persécutés doivent garder la mémoire des persécutions subies par leur père et être les gardiens de la justice. […]

Or nous sommes arrivés à ce moment où les derniers témoins vont disparaître l’un après l’autre, où le temps écoulé fait que la mémoire se transforme en histoire. Déjà, des faussaires sont à l’œuvre pour en altérer la vérité. Déjà, certains s’appliquent à diluer ou à effacer des responsabilités écrites en lettres de sang. Rien ne serait pire, à cet égard, que de permettre à l’équivoque de s’installer durablement et de masquer pour l’avenir la signification du martyre des enfants du Vél’ d’Hiv.

Une grande nation, dont le destin a été souvent tragique, n’a rien à craindre de la vérité. Et il n’y a nulle honte à mettre au jour les plaies secrètes d’un passé qui s’éloigne. Certes, qu’il s’agisse des juifs ou des résistants, la République ne saurait être tenue pour comptable des crimes commis par les hommes de Vichy, ses ennemis. Mais elle doit à leurs victimes l’ultime hommage que nous puissions leur rendre : l’enseignement de la vérité et la force de la justice.

Robert Badinter

19 07 1992     

Paolo Borsellino juge anti-mafia est tué dans l’explosion d’une voiture piégée Via D’Amelio, à Palerme. L’explosion tue également les cinq carabiniers de son escorte, Agostino Catalano, Walter Cosina, Emanuela Loi, première femme carabinier, Vincenzo Li Muli et Claudio Traina.

27 07 1992       

Michel Tognini séjourne sur Mir dans le cadre de la mission Antarès. Fin de mission le 10 août 92.

07 1992 

Sommet du G 7 à Munich. Boris Eltsine est là, venu demander l’octroi de l’argent – 10 milliard $ par an – que n’a pas pu avoir Gorbatchev. Il obtient tout juste la promesse de la BERD de la création d’un fonds de sécurité nucléaire de 100 millions de $… à peine de quoi financer la restauration de trois des quatorze centrales de la région.

Les négociations du Rwanda entre le pouvoir hutu, l’opposition démocratique et le FPR aboutissent au cessez-le-feu d’Arusha, en Tanzanie.

7 08 1992 

Aux Jeux Olympiques de Barcelone, deux femmes, l’une, noire Éthiopienne, l’autre blanche, d’Afrique du Sud, font entrer dans la légende le 10 000 mètres. Elles ont décroché toutes les autres concurrentes depuis longtemps et ont même plus d’un tour d’avance sur nombre d’entre elles. Elana Meyer mène le train, toutes deux avec leur style, Elana un peu plus saccadé que Derartu, splendide de régularité et d’apparente facilité. Et, à l’entame du dernier tour, Derartu accélère implacablement : elle vole vers la victoire et Elana ne peut rien faire, contrainte à la regarder partir, seule, dans sa magnifique foulée, ample et puissante, les épaules recouvertes de courtes manches blanches, bouffantes, – coquetterie personnelle, ou imposée par les autorités éthiopiennes ? -.

C’est l’histoire d’une course, le 10 000 m. femmes des Jeux Olympiques de Barcelone, dont la légende est née juste après la course, dans ces quelques mètres qui ont suivi la ligne d’arrivée, un tour de piste de rien pour dire au monde tant de son absurdité. Deux petits bouts de femme, évidemment des femmes, bras dessus, bras dessous, ont, avec le sourire, offert comme un instant de grâce où le sport est ce que les hommes rêvent souvent qu’il soit. Elles s’appelaient Elana Meyer et Derartu Tulu.

La première était blanche, sud-africaine et favorite avec la britannique Mc Colgan. La seconde était noire, lointaine descendante de la reine de Saba, éthiopienne et inconnue de vingt ans. Cette dernière est finalement venue déborder à l’entame du dernier tour Elana Meyer pour donner à l’Afrique sa première victoire d’une femme noire et à l’Éthiopie son premier succès féminin aux Jeux Olympiques. Pourtant, le régime de Mengistu Haïlé Mariam, sombre et sanglante dictature où il était interdit aux femmes de porter un short, avait cédé depuis peu.

Elana Meyer, elle, venait d’Afrique du Sud, où l’apartheid avait livré ses dernières aigreurs il y avait un an à peine. Mandela était encore loin d’avoir réussi la transition qu’il appelait de ses vœux. Le pays était groggy de ces décennies de ségrégation raciale.

Aussi, au terme de ce flamboyant mano a mano de 10 000 m. quand les deux femmes sont tombées dans les bras l’une de l’autre et ont entamé, ensuite, dans la même foulée, un tour d’honneur, ce n’était déjà plus une course, mais une allégorie. Bien sûr, par le symbole qu’elles représentaient à cet instant, mais également par la spontanéité et la douceur de leur geste.

Jean Christophe Collin. L’Équipe 3.08.2002

Derartu Tulu se drapait dans les couleurs éthiopiennes. Pour Elana Meyer, c’était un peu plus compliqué, car l’ANC, le parti noir d’Afrique du Sud, avait refusé que l’Afrique du Sud soit représenté par le drapeau de l’apartheid : c’était donc un drapeau de l’ONU qu’elle avait pris en main.

La scène, presqu’irréelle était plus un aboutissement, avec quelques longueurs d’avance, de la situation politique dans les deux pays : en Éthiopie, le lugubre Mengistu avait été renversé trois mois plus tôt ; un gouvernement de transition avait été mis en place, essentiellement pour organiser des élections qui donneront naissance à un gouvernement démocratique : ce sera chose faite en mai 1994. En Afrique du Sud, Nelson Mandela, libéré le 11 février 1990, était encore à la tête de l’ANC et Frederik de Klerk, le dernier président blanc, abolissait les dernières lois d’apartheid. Nelson Mandela sera élu président de l’Afrique du Sud le 10 mai 1994, presqu’en même temps que s’installait un régime démocratique en Éthiopie. Derartu Tulu, Elana Meyer, bras dessus bras dessous, auront été les éclaireuses d’une embellie du monde.

Le lendemain, une autre femme offre à l’Algérie sa première médaille d’or : Hassiba Boulmerka, sur le 1 500 mètres. Comme elle avait plus de chances de gagner en étant en short et bras nus qu’en burka, elle s’était mise en short et bras nus. Elle avait dû s’entraîner à Berlin ; les islamistes l’ayant menacé elle et sa famille, elle était sous escorte policière à Barcelone. Elle s’exilera à Cuba, puis reviendra en Algérie quand les islamistes auront été mis au pas.

Hassiba Boulmerka

Recordamos... El valor de Hassiba Boulmerka

 

ET SI

Pour ce 10 000 mètres féminin, il y a du monde dans les tribunes officielles, dont Maria Rosa Conde Guttierez del Alamo, porte-parole du gouvernement de Felipe Gonzales qui, quelques secondes après le début du tour d’honneur de Derartu Tulu et d’Elana Meyer, a un éclair : un moment pareil, il ne faut pas qu’on l’oublie, il faut le magnifier… dans cinq minutes ce sera fini… NON, ce n’est pas possible. Elle téléphone à Felipe Gonzales : est-ce que tu m’autorise à demander à ces deux femmes de faire un tour de plus avec le public derrière elles ? OK, banco répond le chef du gouvernement. Elle s’en ouvre aussitôt au responsable du stade et va voir les deux médaillées : S’il vous plait, je sais que vous êtes fatigués, mais, je vous en supplie, accordez-nous encore un tour supplémentaire, à pied, avec le public derrière vous. Et le public descendit joyeusement sur le stade et entama derrière la noire, derrière la blanche, à vingt mètres devant, mêlé aux athlètes présents pour d’autres épreuves, un dernier tour de piste dans un indescriptible et très simple bonheur, avec les caméras du monde entier braquées sur cette géniale entorse au protocole. Puis les officiels, entourés du public, leur remirent leurs médailles. Les photos décoreront les chambres des jeunes du monde entier.

25 08 1992

Vijecnica, nom de la bibliothèque nationale de Bosnie Herzégovine à Sarajevo, est soumise au feu de l’artillerie serbe de Ratko Mladić, en dépit des nombreux drapeaux bleus indiquant qu’il s’agit d’un édifice culturel. Des volontaires en sauvèrent quelques centaines, mais, après trois jours de pilonnage, les colonnes morisques brûlèrent, les fenêtres éclatèrent, le toit s’écroula, les murs et les escaliers s’effondrèrent. Il y avait là 1 500 000 volumes, 155 000 ouvrages rares, 478 manuscrits et des millions de périodiques du monde entier.

Je pleure sur Vijecnica.                   1993

La Bibliothèque nationale a brûlé pendant les trois derniers jours d’août et une neige noire a étouffé la ville. Une fois les amoncellements dispersés, les personnages de roman ont erré dans les rues, se mêlant aux passants et aux âmes des soldats morts. J’ai vu Werther assis sur la palissade en ruine du cimetière ; j’ai vu Quasimodo se balancer d’une seule main à un minaret. Raskolnikov et Meursault ont chuchoté ensemble pendant des jours dans ma cave ; Gavroche a paradé dans une tenue de camouflage fatiguée. Yossarian vendait déjà la réserve à l’ennemi ; pour quelques dinars, le jeune Sawyer devait plonger du haut du pont du Prince. Chaque jour, plus de fantômes et moins de vivants ; et le terrible soupçon s’est confirmé quand les squelettes me sont tombés dessus. Je me suis enfermé chez moi. J’ai feuilleté les guides touristiques. Je ne suis sorti que lorsque la radio m’a dit qu’on avait sorti dix tonnes de charbon de la cave la plus profonde de la Bibliothèque nationale incendiée.

Goran Simić

11 09 1992

Huit détenus s’évadent de la centrale de Clairvaux dans l’Aube. L’évasion débute par une fusillade nourrie entre deux détenus munis d’armes de poing et les agents pénitentiaires. Au cours de l’échange de tirs, un surveillant de 42 ans, père de famille, est mortellement touché. Un prisonnier meurt également dans la fusillade. La confusion profite à l’évasion collective d’un groupe de huit prisonniers dont trois sont classés DPS (détenus particulièrement signalés), les plus dangereux. Au terme de leur cavale, tous les prisonniers seront repris par les forces de l’ordre, à l’exception d’un d’entre eux. Ils sont finalement condamnés en octobre 1999 à des peines de 6 à 20 ans de prison.

12 09 1992      

Manuel Rubén Abimael Guzmán Reynoso, 58 ans,  est arrêté avec 13 de ses comparses : à la tête du Sentier Lumineux [1], mouvement terroriste du Pérou, il est responsable de la mort ou disparition de milliers d’hommes, femmes et enfants : de 34 500 à 69 000, au cours de la guerre contre le gouvernement de 1980 à 1990.

16 09 1992 

George Soros attaque la Banque d’Angleterre.

Dans les années 1990, il n’y avait pas encore d’Euro (La devise) mais un système monétaire Européen (SME).
Pour comprendre ce coup de maître – faire sauter la banque d’Angleterre – il est nécessaire de comprendre le contexte.
Pour développer le commerce, les pays membres à travers leurs banques centrales respectives avaient décidé de fixer une parité quasi fixe entre les monnaies européennes.
Malheureusement, les différences économiques au sein de l’union posent problème. L’Allemagne par exemple était dynamique et fixait des taux d’intérêt forts alors que L’Angleterre était en pleine récession et tenait des taux d’intérêts bas pour relancer l’économie.
George Soros savait que pour éviter une dévaluation de la monnaie et respecter le système monétaire Européen les banques centrales avaient 2 solutions en cas d’écart trop important.
1)Utiliser leurs réserves de changes pour contrebalancer en rachetant leurs devises (mais les réserves sont limitées).
2)Augmenter les taux d’intérêt et pénaliser les investissements et donc la croissance (mais très difficile en période de récession).
Le plan de George Soros était en marche et aidé de plusieurs banques complices (JP Morgan, Bank of America, Jones Investment, Mitsubishi Bank…) il décida de vendre massivement à découvert la livre sterling le mercredi 16 septembre 1992 pour un montant de 10 Milliards de Livres. (Mercredi noir).
Pour contre-attaquer, la Banque d’Angleterre utilisa donc tout d’abord ses réserves pour racheter des livres mais celles ci étaient trop faibles et la Banque d’Angleterre a finalement été contrainte d’abandonner le combat au bout de quelques heures, en annonçant alors sa sortie du SME et une dévaluation d’environ 15 %.
George Soros empocha 1.1 Milliard de bénéfice sur cette seule opération . Il avait compris que tenir un taux de change fixe n’était pas viable sur le long terme vu les disparités économiques entre les pays.
L’opération était risquée parce que les banques centrales Européennes auraient pu soutenir la Livre Sterling et l’attaque aurait échoué.
Au final l’économie Britannique profita de la chute de sa devise ainsi que de ses taux d’intérêts élevés pour maîtriser l’inflation.

Master Feng Trading

C’est le contribuable anglais qui finalement passera à la casserole et qui s’en souviendra le 24 juin 2016 lors du vote sur l’adhésion à l’Europe en votant à 51.9 % en faveur du Brexit.

 
22 09 1992                
Pluies torrentielles sur Vaison la Romaine : un camping sera ravagé, des maisons détruites, des voitures emportées, mais le pont romain tiendra le coup : plus de 200 mm de pluie en 5 heures, soit 4.2 millions m³ d’eau. L’artificialisation des sols par l’homme ne fera qu’aggraver les conséquences de ces pluies torrentielles.

9 10 1992 

Michelle Knapp, américaine voit sa belle Chevrolet bien cabossée par un météorite de 12 kg.

12 10 1992      

Le gouvernement bolivien a prévu de fêter solennellement à La Paz le cinq centième anniversaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb : défilé militaire, cérémonies diplomatiques, Te Deum en la cathédrale de la plaza Murillo, emplie pour l’occasion de tout ce que l’Amérique latine peut compter d’évêques, archevêques et autres personnel mitré. Et patatras, voilà que plusieurs centaines de milliers d’Aymaras,  de Quechuas, de Moxos, de Guaranis, habillés en costume traditionnels, queñas et bajons en tête, convergent vers le cañon de La Paz. Et tout ce beau monde de conspuer la statue de marbre blanc de Christophe Colomb pendant quatre jours, de renverser les tribunes d’honneur, de faire de grand feux sur toutes les places pour y cuire leur quinoa. Au matin du cinquième jour, ils repartirent tranquillement chez eux. Treize ans plus tard, l’indien Evo Morales sera élu président de la république de Bolivie.

3 11 1992  

Bill Clinton est élu président des États-Unis. Hillary, son épouse, avait aussi la fibre politique, aussi avait-il lancé en slogan : Votez Clinton; vous en aurez deux pour le prix d’un.

4 11 1992  

Un garde-moniteur du Parc National du Mercantour, en poste à la vacherie du Collet, dans le vallon  de Mollières, à une heure de marche du Boréon, rapporte ce qu’il voit à la jumelle : Il y a eu une distribution de postes de comptage de chamois. Moi, j’étais en poste fixe à la vacherie du Collet, dans le vallon de Mollières. Il est 7 h30 du matin. Paysage automnal : les mélèzes ocre, la neige en altitude, beau temps, froid. J’observe trois ou quatre hardes de chamois et deux hardes de mouflons qui se promenaient sur le versant sud de Colombrons. Les animaux circulent sous de petites zones de régénération de mélèzes. Je regarde les chamois et surtout les mouflons aux jumelles et puis, à un moment donné, sur la crête, il y avait un chien assis, à côté de petits mélèzes. Je me suis dit : Mais il a une drôle de tête, ce chien. Hou malheur, qu’est-ce que c’est que ça ? Je me suis mis à paniquer. Il était assis. Des couleurs bizarres. Juste au même moment, la harde de mouflons qui était en-dessous s’éparpille totalement et arrive un deuxième animal. Je le vois très bien se déplacer. Il est arrivé vers le premier, en éparpillant des mouflons qui sont partis rapidement. Et là, j’ai commencé à me dire : Hou ça ne ressemble pas à des chiens, ces trucs-là. J’ai commencé à les détailler. Le deuxième trottait. Pour ce qui est du premier, il était assis, les oreilles type loup, bien sur le côté. Je l’avais de face. Couleur : gris, gris foncé, avec une décroissance de couleur, plus clair dessous. Et le deuxième, je l’ai vu de profil, la queue bien pendante, très gris. Les deux de même couleur, identiques. Il est venu rejoindre son copain sur la ligne de crête. C’était à huit cent mètres environ. Le deuxième animal est arrivé sur la crête, bien de profil. Très grand chien, enfin, haut sur pattes, le corps plutôt svelte, assez allongé, queue basse, la tête en dessous du niveau des épaules. C’est pourquoi ces détails m’ont fait penser que c’étaient des loups. Je me suis dit intérieurement : Des loups, malheur ! L’administration du parc va commencer à s’en occuper.

Disparu du territoire national depuis soixante ans, le loup est revenu. Les responsables du Parc sont embarrassés, car, pour ce qui les concerne, c’est le signe d’une réussite : le loup est la preuve de la richesse de la biodiversité, un des objectifs du parc, crée treize ans plus tôt. Ils décident de garder le secret quelques temps… qui vont être quelques mois… malheur ! Quand les opposants au loup – essentiellement les éleveurs, bergers –  apprendront l’affaire, ils se laisseront gagner très vite par le soupçon : si vous n’avez rien dit, c’est parce que c’est vous qui les avez introduits, ces loups. L’affaire démarrait au plus mal, par l’absence complet de flair politique des responsables du parc. Vingt ans plus tard, ce ne sera pas encore réglé.

Retour des loups en France : quelles sont les raisons

20 11 1992

Un projecteur de 1 000 watts placé trop près d’un rideau de la chapelle du château de Windsor, à l’ouest de Londres, enflamme le tissu : en l’absence de coupe-feu, plus d’une centaine de pièces de la résidence royale sont réduites en cendres ou inondées. Le château rouvrira au public en 1997 après cinq ans de travaux de restauration et un coût de 36.5 millions de livres sterling – environ 42 millions d’euros -.

The fire injured at least one person and caused extensive damage on the premises [locaux… bâti]. (Photo by EPA / AFP)

11 1992 

Morceaux choisis d’un discours de Léon Mugesera, vice-président du MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, hutu) pour la préfecture de Gisenyi, Rwanda, s’adressant aux Tutsi : Leur peine, c’est la mort et pas moins…. Votre pays, c’est l’Éthiopie, et nous allons vous expédier chez vous via la rivière Nyabarongo en voyage express. Voilà, je vous répète donc que nous devons vite nous mettre à l’ouvrage.

Par ailleurs, dans le même temps, les Tutsis connaissent une défaite électorale dans le nord et se vengent en massacrant plusieurs dizaines de hutus, le plus souvent membres du MRND. Ils mettent en place des cellules qui seront 600 début avril 1994. Il devient tous les jours de plus en plus évident que les accords d’Arusha ne seront pas respectés, car ses partisans sincères sont de moins en moins nombreux, dans les deux camps.

6 12 1992 

Par référendum, la Suisse refuse l’adhésion à la CEE.

De 1989 à 1992, 4 campagnes de glaciologie ont été effectuées au Groenland, en carottant jusqu’à  3 028 m où l’on atteint à cet endroit des témoins de -250 000 ans. Le total des carottes de 10 centimètres de diamètre pèse 65 T ; elles révèlent que la teneur en plomb était 4 fois supérieure à la moyenne sous les civilisations grecques et romaine : on exploitait beaucoup les mines de plomb à l’époque : c’était le métal courant qui demandait le moins de chaleur pour atteindre son point de fusion ; elle diminua ensuite, puis remonta au Moyen Age et atteint son maximum à la révolution industrielle.

14 12 1992 

La Comex – Compagnie Maritime d’Expertise – termine son expérience de vie en caisson à une pression équivalant à une profondeur de 701 mètres : Hydra 10 : Théo Mavrostomos  est resté le 20 novembre 1992 trois heures à cette pression, en fournissant un test d’efforts, avec un mélange respiratoire hélium, oxygène, hydrogène, dont les pourcentages respectifs sont un secret. Cette expérience aura duré quarante-trois jours ! Cette profondeur restera la plus grande jamais atteinte par l’homme, en simulation hyperbare.

La Comex sera mondialement connue dans les années 80, intervenant dans le monde entier, essentiellement dans le pétrole offshore. Mais l’évolution technologique des travaux marins avait 30 ans d’avance sur les mêmes techniques au sol, parce que les travaux marins coûtent beaucoup plus cher que les travaux terrestres, et que le seul moyen d’économiser au maximum, passe par la robotisation. Le seul coût de journée d’une barge de pétrole est faramineux. Si, pour une raison ou une autre, une plongée à 80 mètres n’a pas atteint son objectif, il faut attendre le temps de la décompression pour en refaire une autre… cela peut représenter une journée de perdue ! Le robot, lui, est parfaitement indifférent à la pression, il peut travailler des heures et des heures sans avoir à revenir en surface après d’interminables décompressions, il n’est jamais malade, n’a pas d’états d’âme, ne fait jamais grève et n’a pas besoin de manger trois fois par jour.

Dans les années 1990, ce sera pratiquement la vente par appartement, la société d’origine ne conservant qu’une petite partie de l’ensemble, les acheteurs étant pour le principal des sociétés norvégiennes.

H.G. Delauze aura été un fantastique entrepreneur, qui aura compris très jeune qu’il ne pourrait jamais rester longtemps à bricoler avec des tubes d’Entrepose, chez le commandant Cousteau, auprès duquel il avait fait ses débuts. Malgré des tentatives de diversification tous azimuts dans les années 1990 – espace, engins sous marins, opérant en pression atmosphérique couplés avec compartiment en saturation, tourisme – celles-ci ne déboucheront sur aucun développement important, et  la plage de profondeur de travail pour les pétroliers s’abaissera et ne sera plus accessible aux plongeurs.

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Henri Germain Delauze, créateur de la Comex en 1961

59065

Plate forme CLOV de Total, au large de l’Angola. Elle produit 160 000 barils par jour.

17 au 21 12 1992 

Boris Eltsine est en Chine, sans résultats spectaculaires, mais ainsi les États-Unis sont bien obligés de constater que la Russie peut aller voir ailleurs que dans leur pré si l’herbe est plus verte.

28 12 1992     

Régis Debray, membre du Conseil d’État depuis qu’il a quitté son poste de conseiller à l’Élysée, fait part à Marceau Long, vice-président du dit Conseil de sa démission : […] il est finalement trop inconfortable de sacrifier ses convictions à son confort. J’ai donc le regret, Monsieur le Président, de vous présenter ma démission. Me voir radié des cadres, selon la formule officielle, me sera moins pénible que d’assister jour après jour et aux premières loges à la diminution de la République. Permettez-moi de m’expliquer.

Le Conseil d’État est un lieu d’excellence. Encore faudrait-il qu’il y ait un État à conseiller. À quoi sert de servir quelque chose qui ne sert plus ? Pourquoi soigner un corps dont l’âme s’éteint ? De l’État républicain, celui qui survit bon an mal an sous nos yeux, ayant déserté ses propres principes et finalités, n’a plus que les apparences. L’ampleur de la catastrophe interdit de l’imputer à tel faction, parti ou coalition provisoirement au pouvoir plutôt qu’à telle autre. La mise en sommeil paraît collectivement et collégialement assumée par les gouvernements d’aujourd’hui, d’hier et de demain.

Sous couvert de modernisation, l’abaissement des services publics en entreprises commerciales et l’intérêt général partout remplacé par la seule logique de rentabilité ; sous couvert de régionalisation, le retour en force des roitelets, des fiefs de famille et des notables, c’est-à-dire la régression féodale de ce qui était supposé un et indivisible ; sous le prétexte de tolérance et de droit à la différence, la laïcité défaite à l’école et l’instruction publique livrée aux communautés religieuses, aux intérêts changeants des chefs d’entreprise, aux humeurs de l’ordre local ; sous couvert de construction européenne, la défausse des responsabilités sur les voisins, l’abdication de tout vouloir propre, lequel ne se confond pas avec l’amour-propre ; sous le nom de solidarité occidentale, la nation alignée, aliénée aux hégémonies du dehors, jusqu’à la mise pure et simple des forces françaises, partout où elles sont engagées, théâtres d’opérations ou de comédies onusiennes, sous commandement américain ; avec l’anesthésie des images, les vertus privées se substituant aux obligations civiques, la charité-spectacle d’un jour à l’organisation plus laborieuse d’une justice, et l’idéal boy-scout à l’aide publique au développement ; sous les invocations à la société civile, une pléiade d’autorités administratives indépendantes, de comités de sages, d’organismes spécialisés, de lobbies de toutes sortes, en lieu et place du citoyen et de ses représentants élus, soit le dessaisissement de la loi délibérée en commun par le règlement incontrôlé ; enfin, la promotion à des postes proprement politiques, au terme d’une pernicieuse confusion des genres, de chevaliers d’industrie et d’hommes de communication, en somme, le grignotement de la République par ce qui la nie, au moral et au propre : l’affairisme individuel et la démagogie médiatique. Tel est le tableau qui nous est offert. Excusez-moi si je suis myope.

J’entends bien que la démocratie à la française qu’on appelait République n’est pas la forme achevée du devenir humain et que notre haute juridiction n’est pas comptable du cours des choses ni du monde tel qu’il va. Je n’ignore pas non plus que la ruée mimétique de nos élites vers le modèle américain de vie et de pensée remonte au moins au départ du général de Gaulle, en 1969 ; et que la période de Restauration planétaire que nous traversons à présent n’encourage guère la fidélité aux principes issus de la Révolution française.

Certains naïfs, dont je fus, avaient beaucoup espéré d’une alternance politique, en 1981, pour inverser ce mouvement ou redresser cette dérive. Les discours tenus donnaient à penser qu’on se faisait de ce côté-là une autre idée de l’homme et de la chose publique. Lorsque la nouvelle religion du profit à l’intérieur et de la normalité à l’extérieur eut clairement gagné ses adversaires d’antan, j’ai demandé très respectueusement au président de la République de bien vouloir me libérer des fonctions que j’exerçais auprès de lui. Le Conseil d’État m’apparaissait alors comme un des foyers de résistance possible à l’air du temps. N’est-il pas soustrait à la tyrannie de l’opinion, aux pressions des puissants et au besoin de soigner son image ? Je ne vous cacherai pas, Monsieur le Président, qu’il m’est arrivé, ces derniers temps, d’en douter. Et quand je lis en tête du bulletin d’information de notre Maison (décembre 1992) cette devise exaltante Conseil d’État, toujours plus d’Europe ! je ressens quelque inquiétude pour les idées régulatrices de la République auxquelles j’ai la faiblesse de donner ma foi.

Les dernières décisions, dont l’arrêt Nicolo, prises par le Conseil depuis 1987, à l’encontre de toute sa jurisprudence antérieure, ont déjà soumis les lois françaises aux règlements communautaires, étrangement assimilés, pour la circonstance, à des traités internationaux. Primauté du droit européen sur le droit national qui ratifie, en clair, l’inanité de nos débats législatifs, l’inutilité de notre Parlement et la vieillesse du vieux principe selon lequel le peuple est source de tout pouvoir. Je me demande simplement si la souveraineté populaire s’en allant, celle qui prendra sa place sera supranationale ou plutôt infranationale, et si la vaste impuissance européenne pourra vraiment remplacer notre modeste puissance publique. Un arrêt de 1992 est venu depuis légaliser le port du voile et d’autres signes religieux dans les écoles de la République. La France se trouvant être le seul pays laïque d’Europe, par principe constitutionnel, il était sans doute temps d’atténuer cette anomalie. Un contre onze, ce n’était pas raisonnable…

Aux yeux d’un républicain, un arrêt qui légalise ne rend pas plus légitime ce qui ne peut l’être en soi. Ou alors, mutatis mutandis, il eût fallu tenir pour respectables les lois raciales promulguées par l’État français en 1940 parce qu’elles furent validées très régulièrement et après examen par le Conseil d’État de l’époque, et approuvées par l’opinion majoritaire. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste…

Vous savez mieux que moi, Monsieur le Président, parce que votre hauteur de vues et votre sens incomparable de l’État vous le permettent, que la peur de manquer le dernier train pousse le plus souvent à se tromper de quai. Je ne suis pas sûr, pour ma part, qu’on contribue à protéger les citoyens contre le retour des barbares en choisissant de les adapter, c’est-à-dire de les conformer, aux rapports de force du moment. Ce que je crois, ou crois savoir, de l’histoire de France m’instruirait plutôt du contraire.

Je vous prie donc d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments aussi déférents que désolés.

1992   

Procès du sang contaminé : de 1980 à 1985, ce sang aura fait des milliers de victimes. Par rapport aux autres pays développés, le nombre de victimes se situera dans le même ordre pour les hémophiles, dont 600 moururent, en France, de sang contaminé,  alors qu’il sera beaucoup plus élevé que dans tous les autres pays pour les transfusés : sur 2 500 transfusés, ce sont la moitié qui décédèrent :  on transfusait alors beaucoup plus en France qu’ailleurs. Le chauffage des dérivés sanguins et le dépistage pour les donneurs de sang ne devinrent obligatoires  qu’en août 85, soit  quatre ans après la découverte du virus du sida. Les collectes en milieu carcéral ne cessèrent qu’en octobre 1985, et ce n’est qu’en novembre 1985 qu’avait été interdite la commercialisation des poches de sang non chauffé. Mais l’exportation avait continué à être autorisée jusqu’en février 1986, vers les pays aux contrôles relâchés : Irak, Tunisie, Lybie : bénéficiaire de ce commerce très lucratif : l’Institut Mérieux, dont le pharmacien en chef osera déclarer : Les pays destinataires n’avaient pas d’exigence sur la qualité des produits fournis ! Aucune des 120 procédures lancée d’Irak et de Lybie n’aboutira. Abou Walid, irakien parlera de Sanofi, qui rachètera Mérieux : Ils nous ont proposé des sommes insignifiantes. Et ont menacé de bloquer les vaccins à destination de l’Irak si on faisait trop de bruit. Le test Abbot, américain ne reçut son homologation en France qu’après le test Pasteur, alors qu’il était opérationnel plusieurs mois avant.

L’Angleterre connaît son maximum de cas d’ESB : 37 280.De 1986 à 2000, 4 millions de bovins seront abattus. Mais la répartition géographique de la maladie est très inégale : les éleveurs de bovins qui continuent à s’approvisionner en farines en Écosse, où les révisions à la baisse des paramètres pour fabriquer les farines, n’ont pas été pris en compte, ne connaissent pratiquement aucun cas d’ESB, la maladie se concentrant sur le sud, sud-est de l’Angleterre, là où l’on a cherché à faire des économies dans l’élaboration des farines depuis 1980.

Au Rwanda, d’août à décembre, massacres de Tutsis et d’opposants hutus, notamment à l’instigation des milices pro-gouvernementales interahamwes.

Intervention militaro humanitaire de grande envergure en Somalie, qui se soldera par un échec, face aux ruses et à la xénophobie des chefs de guerre locaux. Les batailles entre clans rivaux qui suivront le départ des Américains prendront vite une tournure anti occidentale.

Les Américains évacuent leurs bases de Clark et de Subic, sur l’île philippine de Luçon. L’Assemblée nationale populaire chinoise en profite pour voter la souveraineté indiscutable de la Chine sur la mer de Chine du Sud et renforcer sa présence dans le secteur. Elle vote aussi la loi autorisant  les mises en faillite d’entreprises d’État :

Peu après son adoption, le statut de xiagang a été créé afin d’atténuer les conséquences des licenciements. Entre 1998 et 2003, ce sont sans doute 50 à 60 millions de personnes qui auront été licenciés. [Le terme de Xiagang désigne les salariés licenciés des usines d’État dans les années 1990 ; à la fin des indemnités et du petit pécule, variable selon la région et l’usine, ils doivent se contenter de petits boulots ou vivent aux crochets de leur famille].

[…] Jadis, les ouvriers et employés des grandes usines jouissaient d’un emploi garanti à vie et de services publics en matière de santé, de logement et d’éducation. C’était le temps de l’incassable pot de fer opposé au fragile pot de terre et de la grande marmite dans laquelle tous mangeaient ensemble. Mais soudain, au milieu des années 1990, une véritable tornade s’est abattue sur les anciens bastions industriels qui étaient la fierté du pays. Les faillites se sont succédées à un rythme si effréné que des dizaines de millions d’ouvriers se sont retrouvés sans travail avant même d’avoir eu le temps de comprendre ce qui leur arrivait.

[…] Avec ces légions de chômeurs, la Chine communiste de Deng Xiaping et de Jiang Zemin a réinventé l’homme-Kleenex : bon à jeter après usage. D’un point de vue néolibéral, cette liquidation fut une réussite époustouflante : l’emploi socialiste a été éliminé en une grosse décennie.

[…] L’investissement dans le capital humain n’est pas la priorité des communistes chinois. Deux enquêtes, menées en 1992 et 1997, montrent que le niveau moyen des compétences scientifiques de base de la population chinoise n’a pas progressé entre ces deux dates. Ce niveau serait même 33 fois moins élevé que le niveau moyen de la population américaine ! Le miracle chinois de ces vingt dernières années ne repose aucunement sur la hausse du niveau d’éducation du peuple. Seule l’élite urbaine a accès aux meilleures écoles, ce qui est néanmoins suffisant pour former l’encadrement politique et économique nécessaire à l’État et les techniciens employés par les multinationales qui investissent en Chine. En comparaison, l’effort financier et humain que doit fournir une famille paysanne pour envoyer l’un de ses enfants dans une université de qualité est presque inhumain.  Pour y parvenir, les jeunes adultes des campagnes sont obligés d’aller vendre leur force de travail dans les usines du Guangdong ou sur les chantiers de Pékin. La quasi-totalité du maigre salaire de ces travailleurs migrants servira à couvrir les frais de scolarité de leurs enfants, ou à entretenir leurs parents âgés.

Cette situation n’est nullement le fruit du hasard chinois, elle reflète un véritable choix des autorités. Le PCC a préféré faire de la Chine l’atelier du monde plutôt que de développer la productivité de sa main d‘œuvre. Il a choisi de maintenir à la campagne une inépuisable réserve de travailleurs bon marché, ces jeunes paysans prêts à se vendre à la ville, tandis que leurs vieux parents restent à la campagne cultiver les terres. Dans une économie mondialisée, la règle du libre-échange se résume à chercher les coûts les moins élevés. La Chine, parfaitement en phase avec la mondialisation, dispose ainsi d’une immense réserve de main d’œuvre rurale, disposée à accepter les salaires parmi les plus bas du monde. Et pour cause : la dernière chance qui reste à ces paysans d’arracher leurs enfants à la pauvreté rurale, c’est de se faire mingong [les travailleurs migrants venus des campagnes. En mandarin, mingong est la contraction de paysan et d’ouvrier. Une hybridation sémantique qui annonce le pire : le mingong n’est pas ouvrier et paysan ; il n’est ni l’un ni l’autre. Venu de la campagne à la ville, il est déclassé. Sa seule obsession d’ailleurs, une fois mingong, est de quitter au plus vite cet état maudit.]

L’illégalisme chinois est l’une des qualités qui font du pays le vrai paradis du néolibéralisme. Voici enfin une société qui satisfait toutes les exigences de tous les Medef du monde : une flexibilité du travail optimale, la suppression de fait du code du travail, la liberté contractuelle entre employeur et employés, la disparition de toute entrave à l’action de l’entrepreneur, une fiscalité minimale. En regard de ces performances, quel genre d’attrait peut donc encore représenter l’usine européenne, américaine ou même brésilienne, entrelacée de milliers de règles complexes, entravée par des syndicats encore présents, même si moins puissants ?

Philippe Cohen, Luc Richard. La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? Mille et une nuits. 2005

Président Mao, président Mao, si tu sors de ta tombe, tu verras partout des escrocs faire la bombe.
Président Mao, si tu regardes à droite, tu verras des putains et des camés.
Président Mao, si tu regardes à gauche, tu verras des produits contrefaits.
Président Mao, si tu regardes derrière toi, tu verras des chômeurs endettés.
Président Mao, si tu regardes par terre, tu verras des couples adultères.
Président Mao, président Mao, ferme yeux, ne regarde surtout pas.
Le peuple regrette son bol de riz en fer[2].

Supplique dans des toilettes publiques de Chengdu

Mort de Samivel, né en 1907, de son vrai nom Paul Gayet-Tancrède. C’est le nom francisé d’un personnage de Dickens, cher à Samivel : Samuel Welter valet de Mr Pickwick, qui lui fournit son pseudonyme. Poète de la montagne, – il a eu longtemps un chalet aux Contamines Montjoie, en Haute Savoie, sur la Grande Traversée des Alpes -, et le Tour du Mont-Blanc, il laissa ces quelques lignes en respect pour la nature, à pratiquer par chacun chacune :

Voici l’espace. Voici l’air pur. Voici le silence. Le royaume des aurores intactes et des bêtes naïves. Tout ce qui nous manque dans les villes est ici préservé pour votre joie.

Eaux libres, hommes libres. Ici commence le pays de la liberté. La liberté de se bien conduire. Les inconscients ne respectent pas la nature. Ils croient se grandir en la polluant et ne savent même pas qu’elle se venge. Puisez dans le trésor des hauteurs mais qu’il brille après vous pour tous les autres.

La faiblesse a peur des grands espaces. La sottise a peur du silence. Ouvrez vos yeux et vos oreilles. Fermez vos transistors. Pas de bruit. Pas de cris. Pas de moteurs. Pas de klaxons. Écoutez les musiques de la montagne. Les vraies merveilles ne coûtent pas un centime. La marche nettoie la cervelle et rend gai. Enterrez vos soucis et vos boîtes de conserve. Un visiteur intelligent ne laisse aucune trace de son passage. Ni inscriptions, ni destructions, ni désordre, ni déchets. Les papiers gras sont les cartes de visite des mufles. Récoltez de beaux souvenirs mais ne cueillez pas les fleurs. N’arrachez surtout pas les fleurs : il pousserait des pierres. Il faut beaucoup de brins d’herbe pour tisser un homme.

Ravageur de forets : mauvais citoyen. Qui détruit le nid vide le ciel, rend la terre stérile. Ennemi des bêtes, ennemi de la vie : ennemi de l’avenir. Oiseaux, marmottes, hermines, chamois, bouquetins et tout le petit peuple de poil et de plume ont désormais besoin de votre amitié pour survivre. Déclarez la paix aux animaux timides. Ne les troublez pas dans leurs affaires afin que les printemps futurs réjouissent encore vos enfants.

[À l’époque où il écrivit ces lignes, on estimait écologiquement correct d’enterrer les boites de conserve… il est évident qu’il ne dirait plus cela aujourd’hui]

L’homme ne se contentait pas d’écrire et surtout de peindre ses merveilleuses aquarelles de montagne, il savait aussi hausser le ton quand le besoin s’en faisait sentir : dans les années 1970, des bétonneurs s’étaient mis en tête de faire une route de Notre Dame de la Gorge à Bourg Saint Maurice… le col du Bonhomme et le col de la Croix du Bonhomme en voiture… Appuyés par le Touring Club de France et en collaboration avec Georges Sonnier, autre écrivain, une pétition parvint à faire rentrer les bétonneurs dans leur bunker :

Par une sorte de miracle, tout le val Montjoie demeure à peu près ce qu’il était il y a cent ans : perspectives romantiques, eaux cascadantes, forêts touffues, voie romaine du Nant Borrant. Plus haut : grands alpages, fenils et vacheries, torrents et lacs dominés par les arêtes vertigineuses. Cet ensemble unique de décors naturels intacts, cette région éminemment propice à la marche à pied, à la lente, fructueuse et paisible découverte de la montagne, loin des relents d’essence, du vacarme des moteurs et des semeurs de papiers gras, ce paradis se trouve brusquement menacé par un projet de route nationale – une de plus – largeur : huit mètres de tablier, sans parler d’un parking établi en plein alpage, qui le saccagerait de façon irrémédiable.

Toutes les aquarelles de Samivel sont empreintes de l’innocence, si bien jouée par Keith Jarret.

 

Job le choucas: Comment !“ (Samivel) – Buch antiquarisch kaufen – A021Wi7R01ZZ8

SAMIVEL. 4 dessins en couleurs de Samivel. Folklore et Province de France, 1960 [...] | lot 279 | Une Collection sur la Savoie et la Montagne chez Alde | Auction.frCarte postale Samivel : Le devoir accompli - Page8

 

Découverte...SAMIVEL sur OSSAU.NET * - Le petit lescunois ...illustré !Samivel, l’autre génie des Alpages | Art de montagne, Carte neige ...

Aquarelle de Samivel | Paysage montagne, Carte neige, PeintureLes 65 meilleures images de Samivel - Illustrations | Carte neige, Dessin et Aquarellistes

Au vrai sommet

L'Opéra de Pics. Cinquante compositions de Samivel précédées de la réponse des hauteurs.

La Grande Frontière

1 01 1993  

Entrée en vigueur du Marché Unique. Partition de la République tchèque, 10,4 M, capitale : Prague, et de la Slovaquie, 5,4 M, capitale : Bratislava.

8 01 1993    

En France, un Africain est condamné à un an ferme pour avoir fait exciser ses filles.

01 1993 

Ouverture du Marché Unique. À l’intérieur de l’Union, les marchandises ne sont plus contrôlées aux frontières, mais font l’objet d’une simple déclaration d’échanges de biens (DEB) par les parties contractantes.

Signature des premiers accords d’Arusha, mettant en place des règles de cohabitation entre Tutsis et Hutus au Rwanda. La France les a fortement encouragés.

17 02 1993  

Michel Rocard tente une rentrée politique et propose ni plus ni moins qu’un big bang pour le parti socialiste : A little big man for a little big bang.

21 02 1993    

Le Russe Sergueï Bubka franchit au saut à la perche en salle, à Donetsk, 6.15 m : record du monde, qui tiendra 21 ans, jusqu’au 15 février 2014 quand Bruno Lavillenie franchira 6.16 m, toujours à Donetsk. Un an plus tard, le 31 juillet 1994, il franchira 6.14 m. en plein air à Sestrières.

24 02 1993  

La restructuration de la sidérurgie européenne va entraîner la suppression de 60 000 emplois.

26 02 1993

Attentat contre le World Trade Center à New-York. Six morts, 1 042 blessés. L’organisateur : Omar Abdel Rahma, le cheik aveugle, chef de la Gamaa al-Islamiya, mouvement sunnite égyptien islamiste et terroriste. Il mourra dans une prison de Caroline du nord en février 2017

02 1993 

Au Rwanda, le FPR déclenche une nouvelle offensive (stoppée devant Kigali grâce à l’appui français) visant à faire cesser les massacres et à mettre en œuvre les accords d’Arusha. De 750 000 à un million de paysans quittent le Nord du Rwanda et fuient en direction de Kigali.

16 03 1993     

Le réveil des nationalités a tourné la tête aux Causasiens et c’est la guerre entre Géorgiens et Abkhazes. L’Abkhazie donne sur la Mer Noire, juste à l’est de Sotchi, avec pour capitale Soukhoumi. On parle de 13 000 à 20 000 Géorgiens massacrés, de 3 000 Abkhazes, et de 250 000 Géorgiens déplacés : Au printemps 1992… Nous avions des voisins, Vakhtang et Gounala, lui était géorgien et elle abkhaze. Ils avaient vendu leur maison, leurs meubles, et ils s’apprêtaient à partir. Ils sont venus nous dire adieu. Il va y avoir la guerre. Partez en Russie, si vous avez de la famille là-bas ! Nous ne les avons pas crus. […] Géorgiens et Abkhazes se moquaient les uns des autres, mais ils vivaient ensemble. Ils cultivaient la vigne. Ils faisaient du vin. La fabrication du vin, pour les Abkhazes, c’est une véritable religion. Chaque vigneron a son secret… Le mois de mai est arrivé, le mois de juin. Les gens ont commencé à aller à la plage. Les premiers fruits… Maman et moi, nous ne pensions pas à la guerre, nous faisions des sirops, des confitures. Tous les samedis, nous allions au marché. Ah, les marchés abkhazes ! Ces odeurs, ces bruits… Cela sent le vin dans des tonneaux et le pain de maïs, le fromage de brebis et les châtaignes grillées… Une odeur subtile de mirabelle et de tabac, de feuilles de tabac écrasées. Il y a des fromages accrochés partout… Mon préféré, c’est le matsoni. Les marchands hèlent les clients en abkhaze, en géorgien, en russe. Dans toutes les langues. Vaï, vaï, mon trésor ! Le prends pas si t’en veux pas, mais goûte, au moins ! Depuis le mois de juin, on ne vendait plus de pain à Soukhoumi. Et ma mère avait décidé de faire provision de farine. Nous étions dans l’autobus et, à côté de nous, il y avait une voisine avec son bébé. Le bébé jouait et, brusquement, il s’est mis à hurler comme si quelqu’un lui avait fait peur. Et la voisine a demandé : Mais on tire ! Vous n’entendez pas des coups de feu ? Quelle drôle de question ! Près du marché, nous avons vu une foule de gens affolés qui couraient dans tous les sens. Des plumes de poulet qui volaient… des lapins écrasés, des canards piétinés… On ne pense jamais aux animaux, à leurs souffrances… Moi, je revois encore un chat blessé. Et un coq qui criait, il avait un morceau de fer planté sous son aile… Je ne suis pas normale, hein ? Je pense beaucoup trop à la mort… Je ne fais que ça, maintenant. Et puis une clameur. Ce n’était pas une personne qui criait, mais toute une foule. Des hommes en civil avec des mitraillettes couraient après des femmes, ils leur arrachaient leurs sacs, leurs vêtements. Donne-moi ça ! Enlève ça ! – Ce sont des bandits ? a chuchoté ma mère. Nous sommes descendues de l’autobus et nous avons vu des soldats russes. Que se passe-t-il ? leur a demandé ma mère. Vous ne comprenez donc pas ? a répondu un lieutenant : C’est la guerre ! Ma mère est très froussarde, elle s’est trouvée mal. Je l’ai traînée dans la cour d’un immeuble. Quelqu’un nous a apporté une carafe d’eau… Il y avait des coups de feu, des explosions. Hé, les filles ! Vous n’avez pas besoin de farine ? On a vu un jeune garçon avec un sac de farine, il portait une blouse bleue, comme les débardeurs, mais il était tout blanc, couvert de farine. Cela m’a fait rire, et maman a dit : Si on en prenait ? C’est peut-être vraiment la guerre ? Nous lui avons acheté de la farine. Nous l’avons payé. C’est seulement après coup que nous avons compris que nous venions d’acheter de la farine volée. À un pillard.

Je vivais parmi ces gens… Je connais leurs habitudes, leur langue… Je les aime. Mais ceux-là, d’où sortaient-ils ? Du jour au lendemain ! C’était hallucinant. Où était tout cela avant ? Qui peut me répondre ? J’ai enlevé ma croix en or et je l’ai cachée dans la farine, et notre porte-monnaie aussi. Comme une vieille grand-mère… Je savais déjà ce qu’il fallait faire. D’où cela me venait-il ? J’ai porté les dix kilos de farine jusqu’à la maison, cinq kilomètres. Je marchais tranquillement… Si on m’avait tuée à ce moment-là, je n’aurais même pas eu peur. Mais les gens… Il y en avait beaucoup qui revenaient de la plage… Des vacanciers… Ils étaient paniqués, ils pleuraient. Moi, j’étais calme… Je devais être en état de choc. Il aurait mieux valu que je crie, comme tout le monde. C’est ce que je me dis maintenant… Nous nous sommes arrêtées près de la voie ferrée pour souffler. Des jeunes garçons étaient assis sur les rails. Les uns avaient un ruban noir autour de la tête, les autres un ruban blanc. Et ils avaient tous des armes. Ils m’ont un peu taquinée, charriée. À côté, il y avait un camion qui fumait… Le chauffeur était assis au volant, mort. En chemise blanche. Quand nous avons vu ça, nous nous sommes mises à courir, nous avons traversé un jardin de mandariniers. J’étais couverte de farine. Laisse ça ! a crié maman. Non, je ne laisserai pas cette farine ! La guerre a commencé, et on n’a rien à la maison. Je revois encore la scène… Il y avait des Jigouli qui passaient. Nous avons fait du stop. Une voiture nous a croisées, elle roulait lentement, comme à un enterrement. Un garçon et une fille étaient assis à l’avant et, à l’arrière, il y avait le cadavre d’une femme. C’était horrible… Mais pas autant que je l’avais imaginé. (Elle se tait) J’ai tout le temps envie d’y repenser. Encore et encore. Au bord de la mer, il y avait une autre Jigouli, son pare-brise était cassé… Une mare de sang, des chaussures de femme qui traînaient… (Elle se tait) Bien sûr que je suis malade… Pourquoi je n’oublie rien ? (Un silence) J’avais envie de rentrer à la maison le plus vite possible, de me retrouver dans un endroit familier. De me réfugier quelque part… de fuir. Et tout à coup, des bruits de moteur… C’était la guerre là-haut ! Des hélicoptères verts… de l’armée… Et sur terre, j’ai vu des chars, ils n’avançaient pas en colonnes, mais séparément, et dessus, il y avait des soldats avec des mitraillettes. Des drapeaux géorgiens qui flottaient. La colonne avançait n’importe comment, certains chars fonçaient à toute allure, d’autres s’arrêtaient près des kiosques. Les soldats sautaient à terre, ils cassaient les cadenas avec la crosse de leurs fusils, ils prenaient du Champagne, des chocolats, du Coca, des cigarettes… Derrière les chars, il y avait un car Icarus bourré de matelas et de chaises. Pourquoi des chaises ?

À la maison, nous nous sommes précipitées sur la télévision… On passait de la musique symphonique. Où était la guerre ? On ne la montrait pas… Avant d’aller au marché, j’avais préparé des tomates et des concombres pour faire des conserves. J’avais stérilisé des bocaux. Je me suis mise à les remplir et à les fermer. Il fallait que je fasse quelque chose, que je m’occupe. Le soir, nous avons regardé un feuilleton mexicain, Les riches pleurent aussi. Ça parle d’amour.

Le lendemain matin, nous avons été réveillées très tôt par des bruits de moteur. Des véhicules militaires remontaient notre rue. Les gens sortaient pour regarder. Un camion a ralenti près de notre maison. L’équipage était russe. J’ai compris que c’étaient des mercenaires. Ils se sont adressés à ma mère. Hé, la mère ! Donne-nous à boire ! Maman leur a apporté de l’eau et des pommes. Ils ont bu l’eau, mais ils n’ont pas pris les pommes. Ils ont dit : Hier, l’un de nous a été empoisonné avec des pommes. Dans la rue, j’ai rencontré une amie. Comment vas-tu ? Où est ta famille ? Elle est passée sans s’arrêter, en faisant mine de ne pas me connaître. Je lui ai couru après et je l’ai prise par l’épaule. Mais qu’est-ce que tu as ? – Tu n’as pas encore compris ? C’est dangereux de me parler. .. Mon mari est géorgien. Moi, je ne m’étais jamais demandé si son mari était géorgien ou abkhaze. Qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? C’était un très bon ami. Je l’ai serrée dans mes bras de toutes mes forces. Pendant la nuit, son frère était venu chez elle pour tuer son mari. Elle lui avait dit : Dans ce cas, tue-moi aussi ! Son frère et moi, nous avions fait nos études dans la même école. Nous étions amis. Je me suis demandé ce que nous allions nous dire quand nous nous reverrions…

Quelques jours plus tard, toute la rue a enterré Akhrik, un jeune Abkhaze que nous connaissions bien. Il avait dix-neuf ans. Il était allé retrouver sa petite amie un soir, et il avait reçu un coup de couteau dans le dos. Sa mère suivait le cercueil en pleurant et, de temps en temps, elle éclatait de rire. Elle avait perdu la raison. Un mois plus tôt, tout le monde était soviétique, et maintenant, on était abkhaze, ou géorgien, ou russe…

Il y avait encore un jeune garçon qui habitait dans une rue voisine. .. Je ne savais pas son nom, bien sûr, mais je le connaissais de vue. On se disait bonjour. Un garçon tout ce qu’il y avait de plus normal. Grand et beau. Il a tué son vieux professeur, un Géorgien. Il l’a tué parce qu’il leur enseignait le géorgien à l’école et qu’il lui mettait de mauvaises notes. Vous comprenez ça, vous ? Dans les écoles soviétiques, on nous apprenait à tous que les hommes sont des amis, des camarades, des frères… Ma mère, quand elle entendait ce genre d’histoires, ses yeux devenaient tout petits, et ensuite énormes… Seigneur, sauve les gens confiants et les aveugles ! Je passe des heures à genoux à l’église. Tout est calme là-bas… Même s’il y a toujours beaucoup de monde maintenant. Et on demande tous la même chose… (Un silence) Vous pensez que vous y arriverez ? Vous espérez pouvoir écrire là-dessus ? Oui, je vois que oui… Moi, je n’y crois pas.

La nuit, quand je me réveillais, j’appelais ma mère… Elle aussi, elle avait les yeux grands ouverts. Jamais je n’avais été aussi heureuse que depuis que je suis vieille. Et voilà que c’est la guerre… Les hommes parlent tout le temps de la guerre, ils aiment bien les armes, les jeunes comme les vieux… Les femmes, elles, pensent à l’amour. Les vieilles se souviennent du temps où elles étaient jeunes et belles. Les femmes ne parlent jamais de la guerre. Elles se contentent de prier pour leurs hommes… Chaque fois que maman allait chez des voisins, elle revenait affolée. À Gagry, on a brûlé un stade entier rempli de Géorgiens ! Maman ! – Il paraît que les Géorgiens castrent les Abkhazes. Maman ! – Ils ont bombardé un zoo… Une nuit, des Géorgiens ont couru après quelqu’un, ils ont cru que c’était un Abkhaze. Ils l’ont blessé, il hurlait. Des Abkhazes sont arrivés, ils ont cru que c’était un Géorgien, et ils lui ont tiré dessus. Au matin, ils se sont rendu compte que c’était un singe blessé. Alors tous, les Géorgiens et les Abkhazes, ils ont décidé de faire une trêve et ils se sont précipités pour le sauver. Si cela avait été un homme, ils l’auraient tué… Je n’avais rien à répondre à ma mère. Je priais pour tout le monde : On dirait des zombies. Ils croient qu’ils font le bien. Mais est-ce qu’on peut faire le bien avec une mitraillette et un couteau ? Ils entrent dans les maisons et s’ils ne trouvent personne, ils tirent sur les animaux, sur les meubles. Quand on sort dehors, on voit des vaches aux pis déchiquetés par les balles… Des pots de confitures fusillés… Les uns tirent d’un côté, les autres tirent de l’autre. Ramène-les à la raison ! (Elle se tait) Le téléviseur ne marchait plus, on avait juste le son, mais sans image… Moscou était loin, très loin…

J’allais à l’église, et je parlais, je parlais… Dès que je voyais quelqu’un dans la rue, je l’arrêtais pour lui parler. Ensuite, je me suis mise à parler toute seule. Maman s’asseyait à côté de moi pour m’écouter, puis je voyais qu’elle dormait, elle était si fatiguée qu’elle s’endormait en marchant. En lavant les abricots. Alors que moi, c’était comme si on m’avait remontée, je n’arrêtais pas de raconter, de raconter, ce que j’avais entendu dire et ce que j’avais vu moi-même… Un jeune Géorgien avait jeté son fusil en criant : Mais qu’est-ce qu’on est venus faire ici ? Je suis là pour sauver ma patrie, pas pour voler des réfrigérateurs ! Pourquoi entrez-vous dans des maisons qui ne sont pas les vôtres, pourquoi volez-vous des réfrigérateurs qui ne vous appartiennent pas ? Je suis venu mourir pour la Géorgie… Quelqu’un l’a pris par le bras et l’a emmené en lui caressant la tête. Un autre Géorgien, lui, s’est dressé de toute sa taille et il est allé à la rencontre de ceux qui lui tiraient dessus : Frères abkhazes ! Je n’ai aucune envie de vous tuer, ne me tirez pas dessus ! Ses amis l’ont abattu d’une balle dans le dos… Un autre, je ne sais pas si c’était un Russe ou un Géorgien, s’est jeté sous un blindé avec une grenade en hurlant quelque chose. Personne n’entendait ce qu’il disait. Il y avait des Abkhazes dans le blindé… Eux aussi, ils hurlaient. (Elle se tait) À la maison, maman avait mis des pots de fleurs devant toutes les fenêtres. Elle faisait ça pour me sauver. Elle me disait : Regarde les fleurs, ma chérie ! Regarde la mer ! J’ai une maman spéciale, elle a un cœur d’or…

[…] Je ne me souviens plus dans quel ordre cela s’est passé… Je ne sais plus… Les premiers jours, les pillards portaient des masques, ils se mettaient des bas noirs sur le visage. Et puis très vite, ils les ont enlevés. On les voyait passer, un vase en cristal dans une main et une mitraillette dans l’autre, avec un tapis sur le dos. Ils emportaient les téléviseurs, les machines à laver… Les manteaux fourrés, la vaisselle… Tout était bon pour eux. Ils ramassaient des jouets d’enfants dans les maisons saccagées… (Elle se met à chuchoter) Maintenant, quand je vois un couteau dans un magasin, un simple couteau de cuisine, je me sens mal… Avant, je ne pensais jamais à la mort. Je faisais mes études, d’abord à l’école, ensuite dans un institut médical. Je travaillais, je tombais amoureuse. Quand je me réveillais la nuit, je rêvais à l’avenir… Quand était-ce ? Cela fait si longtemps… Je ne me souviens plus de cette vie-là. J’ai d’autres souvenirs… Un petit garçon à qui on avait coupé les oreilles pour qu’il n’écoute plus de chansons abkhazes. Un jeune homme à qui on avait coupé… vous voyez ce que je veux dire… pour que sa femme n’ait jamais d’enfant. Il y a des missiles nucléaires quelque part, des avions et des tanks, mais cela n’empêche pas les gens de s’égorger avec des couteaux, de s’embrocher sur des fourches, de se fendre le crâne à coups de hache… J’aurais mieux fait de perdre vraiment la raison… Je ne me souviendrais de rien. Une jeune fille du quartier s’est pendue parce qu’elle aimait un garçon et qu’il en avait épousé une autre. On l’a enterrée en robe blanche. Personne n’arrivait à y croire : comment peut-on mourir à cause d’un amour malheureux dans des moments pareils ? Si elle s’était fait violer, là, on aurait compris. .. Je me souviens de Sonia, une amie de maman… On avait égorgé ses voisins pendant la nuit. Un couple de Géorgiens qu’elle aimait beaucoup et leurs deux enfants en bas âge. Sonia passait des journées entières allongée sur son lit, les yeux fermés, elle ne voulait plus sortir. Elle me disait : À quoi bon vivre après ça, ma petite fille ? Je lui faisais manger sa soupe à la petite cuillère, elle ne pouvait plus rien avaler.

À l’école, on nous avait appris à aimer les hommes armés de fusils. Les défenseurs de la patrie ! Mais ceux-là… Ce n’était pas la même chose… Ni la même guerre… Ils étaient tous des gamins, des gamins avec des mitraillettes. Vivants, ils étaient terrifiants, mais morts, ils étaient sans défense, ils faisaient pitié…

[…] Je suis restée toute seule avec maman. Avec ma maman qui a peur des souris, qui ne peut pas dormir quand elle est seule à la maison. Elle se mettait la tête sous l’oreiller pour échapper à la guerre… Nous avons vendu tous nos objets de valeur : le téléviseur, le porte-cigarettes en or de papa, il était sacré, on l’avait gardé longtemps… Ma croix en or. Nous avions décidé de partir et, pour quitter Soukhoumi, il fallait verser des pots-de-vin. Aux militaires, aux policiers. Cela faisait beaucoup d’argent. Il n’y avait plus de trains. Les derniers bateaux étaient partis depuis longtemps, les réfugiés s’entassaient dans les cales et sur les ponts, serrés comme des sardines. Nous avons eu juste de quoi acheter un seul billet d’avion… Un aller simple pour Moscou. Je ne voulais pas partir sans maman. Pendant un mois, elle m’a suppliée de m’en aller. Moi, je voulais travailler à l’hôpital, m’occuper des blessés… (Elle se tait) Dans l’avion, on ne m’a rien laissé emporter, juste mon sac à main avec mes papiers. Rien d’autre, pas même les petits pâtés que maman m’avait donnés. On est en guerre, vous comprenez. Il y avait un homme qui passait la douane avec moi, il était en civil, mais les soldats l’appelaient camarade commandant. Lui, on a embarqué ses valises, et aussi de grands cartons… Je voyais passer des caisses de vin, de mandarines… Je pleurais… J’ai pleuré pendant tout le voyage. Une femme m’a consolée, elle voyageait avec deux petits garçons, le sien et celui d’une voisine. Ils étaient tout bouffis à cause de la faim. Moi, je ne voulais pas partir… Pour rien au monde… Maman s’est arrachée à mon étreinte et m’a mise dans l’avion de force. Mais où je vais, maman ? – Tu vas chez toi, en Russie.

Moscou ! A Moscou, j’ai vécu deux semaines dans la gare. Des gens comme moi, il y en a des milliers… Dans toutes les gares de la ville, celle de Biélorussie, de Saviolovo, de Kiev… Des familles entières, avec des enfants, des vieillards. Ils viennent d’Arménie, du Tadjikistan… de Bakou… Ils dorment sur des bancs, par terre… Ils se font à manger sur place. Ils lavent leur linge. Il y a des prises électriques dans les toilettes, et aussi à côté des escalators… On verse de l’eau dans une cuvette, on plonge une résistance dedans, on y jette des pâtes, de la viande… Et la soupe est prête ! Ou la bouillie. J’ai l’impression que toutes les gares, à Moscou, sentent les conserves et la soupe khartcho. Le plov [une spécialité d’Asie centrale à base de riz, de carottes et de viande]. Le pipi et les couches sales. On les faisait sécher sur les radiateurs, aux fenêtres. Tu vas chez toi, en Russie. Voilà, j’étais arrivée chez moi. Personne ne nous attendait. Personne ne nous a accueillis. Personne ne faisait attention à nous, personne ne nous posait de questions. Aujourd’hui, Moscou tout entière est une gare, une énorme gare. Un caravansérail. Je me suis vite retrouvée à court d’argent. J’ai failli me faire violer deux fois, la première fois par un soldat, la seconde par un milicien. Le milicien m’a fait lever au milieu de la nuit en me demandant mes papiers, et il m’a emmenée dans le bureau de la milice. Il avait les yeux qui lui sortaient de la tête… Qu’est-ce que j’ai pu hurler ! Il a eu peur, et il s’est sauvé en me traitant de pauvre idiote. Pendant la journée, je marchais dans la ville… Je restais des heures sur la place Rouge… Et le soir, j’errais dans les magasins d’alimentation. J’avais très faim. Une femme m’a acheté un petit friand à la viande. Je n’avais rien demandé… Elle mangeait, et je la regardais. Elle a eu pitié de moi. Cela m’est arrivé une seule fois. Mais je m’en souviendrai toute ma vie. C’était une très vieille femme. Une femme pauvre. Il fallait que j’aille quelque part, juste pour ne pas rester dans cette gare… Ne pas penser à la nourriture, ne pas penser à maman. Et cela a duré comme ça deux semaines. (Elle pleure) A la gare, on pouvait trouver des morceaux de pain dans les poubelles… Des os de poulet à moitié rongés… J’ai vécu comme ça jusqu’à ce que la sœur de papa arrive. Nous n’avions pas de nouvelles d’elle depuis longtemps, nous ne savions pas si elle était encore vivante. Elle a quatre-vingts ans. J’avais juste son numéro de téléphone. Je l’appelais tous les jours, mais personne ne répondait. Elle était à l’hôpital. Moi, je croyais déjà qu’elle était morte.

C’était un miracle ! Je l’avais tellement attendu… Et il s’est produit. Ma tante est venue me chercher. Olga… ! Votre tante de Voronej vous attend au poste de la milice… Tout le monde a tressailli, s’est agité… Toute la gare. Qui ? Quoi ? Quel nom avaient-ils dit ? Nous avons été deux à nous présenter, il y avait encore une autre fille qui avait le même nom de famille, mais un autre prénom. Elle venait de Douchambé. Comme elle a pleuré que ce ne soit pas sa tante à elle… Que ce ne soit pas elle qu’on était venu chercher…

Maintenant, j’habite à Voronej… Je fais toutes sortes de petits boulots, tout ce que je trouve : laver la vaisselle dans des restaurants, monter la garde sur des chantiers… J’ai vendu des fruits pour un Azerbaïdjanais jusqu’à ce qu’il se mette à me harceler. En ce moment, je suis topographe. On m’a engagée juste pour quelque temps, bien sûr, et c’est dommage, c’est un travail intéressant. Je me suis fait voler mon diplôme d’infirmière dans la gare, à Moscou. Et aussi toutes les photos de maman. Je vais à l’église avec ma tante. Je me mets à genoux et je prie : Seigneur ! Je suis prête ! Je veux mourir maintenant ! Chaque fois, je Lui demande si maman est encore vivante.

Merci… Merci de ne pas avoir peur de moi. Merci de ne pas détourner les yeux comme les autres. De m’écouter. Je n’ai pas d’amie ici, et aucun garçon ne me fait la cour… Je parle, je n’arrête pas de parler… De raconter…

Six mois plus tard, j’ai reçu une lettre d’elle : J’entre au monastère. J’ai envie de vivre. Je prierai pour vous.

Svetlana Alexievitch. La Fin de l’Homme rouge. Actes Sud 2010

19 03 1993 

Le général français Philippe Morillon, en poste en Bosnie comme commandant en chef des forces de l’ONU, reste à Srebrenica malgré les menaces serbes et obtient le passage d’un convoi humanitaire.

Les Arabes afghans sont venus aux côtés des Bosniaques combattre les Serbes, mais la cohabitation a été difficile, aussi ont-ils formé l’unité  56/89 – qui deviendra la brigade El Moudjahid, forte de 300 hommes.

25 03 1993  

Le chef des musulmans de Bosnie, Izetbegovic signe le Plan Vance Owen ; le cessez le feu sera signé par les Serbes le 28. Mais la purification ethnique est déjà lancée depuis longtemps… l’Occident mettra longtemps avant d’ouvrir les yeux et de réaliser l’ampleur des massacres : on parle de 10 000 musulmans massacrés.

À Dar es-Salaam, en Tanzanie, signature d’un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement rwandais hutu et le FPR.

13 04 1993  

Trois jours plus tôt, Chris Hani, secrétaire général du Parti communiste sud-africain, a été assassiné devant sa maison de Boksburg, près de Johannesburg, par un blanc d’extrême droite, immigré polonais, très vite arrêté. Frederik de Klerk, président du pays depuis 1989, a libéré les prisonniers politiques et aboli les principales lois ségrégationnistes. Jamais le pays n’aura été aussi près du précipice de la guerre civile. Nelson Mandela, libéré le 11 février 1990, à la tête de l’ANC – African National Congress -, parle à la télévision.   Et c’est le miracle : le pays s’éloigne du précipice, non sans heurts, non sans troubles, mais il s’éloigne et cela par la magie du verbe d’un homme en qui l’énorme majorité des Noirs a confiance : Ce soir, je tends la main à chaque Sud-Africain, noir ou blanc, du plus profond de mon être. Un homme blanc, rempli de préjugés et de haine, est venu dans notre pays et a commis un acte si mauvais que notre nation tout entière vacille à présent au bord du précipice. Une femme blanche, d’origine afrikaner, a risqué sa vie pour que nous puissions connaître, et traduire en justice, cet assassin.

Le meurtre de sang-froid de Chris Hania envoyé des ondes de choc à travers tout le pays et dans le monde entier. Nous sommes déchirés de chagrin et de colère. Ce qui s’est passé est une tragédie nationale qui a touché des millions de personnes, quels que soient les clivages politiques et de couleur. Notre chagrin partagé et notre colère légitime trouveront leur expression dans les commémorations nationales qui coïncideront avec la cérémonie funèbre. Demain, dans de nombreux villes et villages, des cérémonies du souvenir rendront hommage à l’un des plus grands révolutionnaires que ce pays ait connu. Chaque service ouvrira un Livre du Souvenir pour la Liberté, où tous ceux qui désirent la paix et la démocratie puissent faire part de leur engagement.

Il est désormais temps pour tous les Sud-Africains de s’unir contre ceux qui, de quelque côté que ce soit, veulent détruire ce pour quoi Chris Hani a donné sa vie : la liberté de chacun d‘entre nous. Il est désormais temps pour nos compatriotes blancs, dont les messages de condoléances continuent d’affluer, de tendre la main avec compassion pour la perte douloureuse qu’a subie notre nation, et de participer aux cérémonies commémoratives et aux commémorations funèbres. Il est désormais temps pour la police d’agir avec tact et modération, d’être des policiers véritablement au service de la population dans son ensemble. Il ne doit se produire aucune autre perte humaine en ce moment tragique. Il s’agit d’un moment décisif pour nous tous. Nos décisions et nos actions décideront si nous employons notre douleur, notre chagrin et notre indignation pour aller de l’avant, vers ce qui est la seule solution durable pour notre pays : un gouvernement du peuple, élu par le peuple et pour le peuple. Nous ne devons pas laisser les hommes qui vouent un culte à la guerre et qui convoitent le sang précipiter des actions qui plongeraient notre pays dans un nouvel Angola. Chris Hani était un soldat. Il croyait à une discipline de fer. Il respectait les instructions à la lettre. Il faisait ce qu’il disait. Tout manque de discipline bafoue les valeurs que Chris Hani représentait. Ceux qui commettent de tels actes ne servent que les intérêts des assassins et profanent sa mémoire. Quand nous, en tant qu’un seul peuple, agissons ensemble de manière résolue, avec discipline et détermination, rien ne peut nous arrêter. Rendons hommage à ce soldat de la paix de façon appropriée. Renouvelons notre engagement à faire vivre la démocratie pour laquelle il combattit toute sa vie, la démocratie qui apportera des changements réels et concrets dans la vie des gens qui travaillent, des pauvres, des personnes sans travail ou sans terre. Chris Hani est irremplaçable dans le cœur de notre nation et de notre peuple. Quand il est rentré en Afrique du Sud après trois décennies d’exil, il dit : J’ai vécu avec la mort l’essentiel de ma vie. Je veux vivre dans une Afrique du Sud libre, même si je dois donner ma vie pour elle. Le corps de Chris Hani sera exposé solennellement au FNB Stadium, à Soweto, le dimanche 18 avril, de midi jusqu’au début de la veillée à 18 heures. La cérémonie funèbre débutera le lundi 19 avril à 9 heures. Le cortège se rendra au cimetière de Boksburg, où l’inhumation est prévue à 13 heures. Ces funérailles et ces rassemblements doivent être menés dans la dignité. Nous donnerons à nos émotions une forme rigoureuse lors de nos regroupements, de nos réunions de prière et de nos rassemblements, que ce soit dans nos maisons, dans nos églises ou dans nos écoles. Nous ne nous laisserons pas entraîner dans des actions téméraires. Nous sommes une nation en deuil.

Pour la jeunesse d’Afrique du Sud, nous avons un message spécial : vous avez perdu un grand héros. Vous avez montré à plusieurs reprises que votre amour de la liberté est plus grand que le plus précieux des dons, la vie elle-même. Mais vous êtes les leaders de demain. Votre pays, votre peuple, votre organisation ont besoin que vous agissiez avec sagesse. Une responsabilité particulière repose sur vos épaules.

Nous rendons hommage à chacun des nôtres pour le courage et la retenue manifestés en face d’une si extrême provocation. Nous sommes certains que c’est ce même esprit indomptable qui nous transportera à travers les jours difficiles qui viennent. Chris Hani a fait le sacrifice suprême. Le plus grand hommage que nous puissions rendre à l’œuvre de sa vie est de nous assurer de gagner cette liberté pour tout notre peuple.

Nelson Mandela, leader de l’ANC.

13 04 1993 

Après 51 jours de siège la police fédérale donne l’assaut au ranch La ferme du Christ à Waco, au Texas, faisant 81 morts parmi les membres de la secte. Quatre agents fédéraux avaient été tués au début du siège. Mais que se passait-il donc au sein de cette secte pour qu’on en arrive à pareille scène de guerre ?

Le Christ vit à l’intérieur, retranché avec ses mitrailleuses, 47 femmes, 43 hommes, 17 enfants, un cadavre et sa Corvette. À un agent du FBI il a dit : J’ai décidé de ne pas me rendre tout de suite. J’attends que Dieu m’en donne l’ordre.

Jack Stewart, président de la chambre de commerce, n’est pas pressé. D’une certaine manière, il voudrait presque que tout sur place se fige pour l’éternité. Que Jésus campe sur ses positions et surtout que les 600 flics et journalistes suspendus à sa parole prennent patience et pension à Waco. Stewart a calculé qu’en une semaine tout ce cinéma avait rapporté un millions de dollars à sa ville. Stewart sait aussi que cela ne peut pas durer, que le Christ en question s’appelle Vernon Howell, alias David Koresh, que le week-end dernier avec ses disciples, il a tué quatre agents fédéraux, qu’il en a blessé quinze, et qu’il est convaincu que, comme son prédécesseur Nazareth, il ne sortira pas vivant de sa 33° année.

Avant de devenir le fils de Dieu, Vernon avait plus modestement tenté sa chance comme guitariste de rock à Los Angles. Mais après ses premières prestations, on lui avait gentiment fait comprendre que le bâtiment manquait de bras. C’est peut-être ce jour-là qu’il s’est mis en tête de construire la maison de Dieu. Il commence par  épouser Rachel, un gamine de 14 ans, et se lie ensuite avec des membres de la secte des Davidian’s, obscure sous-marque des adventistes du 7° jour. En quelques années Howell devient l’un des leaders de sa nouvelle chapelle. Il est en train de bâtir son royaume. Son charisme est tel qu’on le fait venir au saint-siège de l’organisation, à Waco, Texas. La grande prêtresse du mouvement s’appelle Loïs Roden. Elle a 67 ans. En un tour de main, Vernon la séduit et la prend pour maîtresse – cet homme n’aura voulu connaître les femmes qu’au printemps ou en hiver,  jamais en été -. Il est virtuellement le patron des Davidian’s. Il couche à la droite du Bon Dieu. Lorsque, deux ans plus tard, Loïs meurt, Howell n’a plus qu’un obstacle sur la route du paradis, le propre fils de sa bienfaitrice, George Roden.

Nous sommes maintenant en 1987. Sur ce terrain pelé, dans ces bâtiments minables, face aux disciples rassemblés, Roden et Howel engagent la guerre de succession. Chacun affirme être le Christ. Ceux des Davidian’s qui savent compter jusqu’à deux conviennent qu’il y en a un de trop. Roden, autre cintré professionnel, dit alors : D’accord, j’ai un moyen très simple de nous départager. Allons  déterrer une morte de notre Eglise, par exemple Anna Hugues, et amenons là ici. Celui de nous deux qui parviendra à la ressusciter aura prouvé qu’il est le Christ. Et voilà tout ce beau monde, parti sous la lune, dans la campagne, pour exhumer les restes de la défunte. Mais Roden n’aura pas l’occasion d’exercer ses pouvoirs. À son retour à Mount Carmel, il est accueilli par une volée de plomb tirée par Howell et sept de ses disciples. Il a tout juste le temps de se réfugier derrière un arbre. D’un point de vue biblique, liturgique et théologique, l’affaire est réglée. Vernon Howell est Jésus Christ et accessoirement usufruitier des 77 acres [sic ndlr] de Mount Carmel. Il n’a plus qu’à se trouver un nom qui cadre avec son nouvel emploi. Désormais le maître des Davidian’s s’appellera David Koresh.

À Mount Carmel, la vie change. Koresh a décidé de réactualiser les Écritures. Ainsi, considère-t-il comme une règle canonique d’être servi et sexuellement apaisé par un harem d’au moins quinze femmes, auxquelles il tient ce langage : Dieu ne peut pas vous séduire directement, sinon les gens le jugeraient mal. Alors, il passe par moi. Et savez-vous pourquoi il passe par moi ? Parce qu’il se sent très seul et qu’il veut beaucoup de petits enfants. Pourquoi ? Parce que Dieu a en tête de détruire le monde pour le repeupler ensuite avec notre progéniture. Mais ces accommodements bibliques ne suffisent plus à Koresh. Il réclame des filles de plus en plus jeunes. Une ancienne membre des Davidian’s raconte : Je me souviens d’un soir où il a fait venir une gamine de 12 ans dans son lit. Il lui a dit que c’était pour se réchauffer et, très vite, a commencé à lui enlever se vêtements. La gosse résistait, ne voulait pas. Alors Koresh s’est fâché en lui disant que c’était Dieu qui commandait. Aujourd’hui, cette gosse a 14 ans, elle est toujours dans la secte et a accouché d’un enfant.

Koresh dirige les siens selon des règles et des méthodes éprouvées : réveil à l’aube, course d’obstacles dans la campagne, alimentation minimale, travail forcené dans les champs pendant le jour, lecture abrutissante des Écritures à la nuit tombée et peu de sommeil. Jésus, en revanche, s’accorde du bon temps. Il fait du shopping, traîne dans son harem, va souvent manger au Richland Hall Restaurant où il engouffre des tacos au fromage, des haricots et du thé glacé. Il se balade en Corvette, s’achète pour 3 000 dollars d’instruments de musique en une journée et possède plus de guitares qu’Eric Clapton et Van Halen réunis. Et puis, comme il est le Seigneur, il n’a pas d’heures : Quand ça le prenait, raconte un ancien disciple, il se mettait à jouer du rock à tue-tête au milieu de la nuit et réveillait tout Mont Carmel. Ensuite, il allait se coucher, et nous, nous partions aux champs.

Tout le monde sait que le Christ a perdu la boule, que son affaire ne tourne plus rond. Et pourtant personne ne dit rien. Une récente étude du Waco Tribune Herald vient de révéler qu’il y a trois ans un détective australien, mandaté par des familles étrangères ayant des enfants dans la secte, était venu au Texas déposer vingt plaintes pour viol de mineures. À l’époque la police locale avait répondu : Il nous faut des preuves, pas des allégations. Tous ces gens n’ont qu’à se déplacer et témoigner devant nous. C’est une réponse du même genre qui a été faite au facteur local lorsqu’il est venu rapporter aux autorités qu’il était effaré par les quantités ahurissantes d’armes et de munitions qu’il livrait chaque jour à Mount Carmel.

Quand on interrogeait Koresh sur ces stocks, il répondait: Nous sommes les marines de Dieu. Ceux qui ne sont pas capables de mourir pour lui ne sont pas dignes de vivre. Et si l’on émettait quelques réserves vis à vis de l’invraisemblance de l’argument, il ajoutait : Je m’attends à être tué en raison de ma foi. Mais 1 335 jours après ma mort, [on aime bien ce genre de prophétie chiffrée chez les adventistes. ndlr] – je ressusciterai et exécuterais un à un mes détracteurs. Généralement la conversation s’arrêtait là. Et le facteur continuait à livrer ses fusils M 16, ses mitrailleuses en pièces détachées et ses rames d’assaut AK 47 et AK 15. Tous ces frais étant réglés sans problème grâce aux dons des membres de la secte. En fait, Koresh plumait purement et simplement ses disciples, les dépouillant en douceur de tous leurs biens et se constituant un patrimoine personnel aujourd’hui estimé à plus d’un million de dollars.

Sans doute aurait-il pu doubler ce capital si, le dimanche 28 février, à 9 h 45, un commando  de l’ATF [bureau of Alcool, Tobacco and Fire Arms], finalement intrigué par tout cet arsenal, n’avait pas dévoilé la vraie nature de l’illuminé de Waco. Au cours d’un assaut pour le moins maladroit, quatre agents furent tués et quinze autres blessés. On sait aujourd’hui que Koresh avait été informé de l’imminence de l’attaque par un coup de fil.

Depuis dix jours, le FBI tâtonne, négocie précautionneusement avec l’aide de psychologues, de théologiens et de spécialistes des sectes. Confronté à ces approches, le Christ louvoie, temporise, menace, se tait, puis annonce que, puisqu’on lui a coupé le téléphone, il va bavarder en solo avec Dieu. Bien qu’assiégé et dans une position désespérée, Koresh demeure imprévisible. Lundi dernier, dans le noir du Mount Carmel, à 3 heures du matin, il s’est mis à jouer de la guitare comme un forcené, ampli à fond. Ensuite, il a demandé au FBI de venir enlever le cadavre d’un Davidian’s tué pendant l’assaut du 28 février. Évidemment , les agents fédéraux ont refusé. Parce qu’ils savent Koresh capable de tous les coups tordus. Dans la nuit de lundi à mardi, ils en ont eu une nouvelle confirmation lorsque, lassé des négociations, le Christ leur a déclaré : Tous mes disciples veulent mourir pour moi et vous le savez. Nous somme prêts pour l’assaut, j’aimerais bien sûr que vous me fassiez la guerre. En fait, je vous attends depuis huit ans. Ma prophétie va se réaliser. Vous êtes venus ici pour tuer le fils de Dieu, je le sens. Du coup, mardi matin, les autorités ont posté des chars M 1 Abrams aux portes du paradis.

L’exorciste évangéliste Mike Evans a proposé ses services pour dénouer la crise : Si vous me laissiez aller là-bas nettoyer l’esprit de cet homme habité par le démon, vous me permettriez de sauver bien des vies humaines. Le seul démon qui ronge cet État est en fait celui des armes. Un document d’experts vient de révéler que, rien qu’au Texas, il existait une douzaine de sectes tout aussi douteuses que les Davidian’s et équipées chacune d’un véritable arsenal. Cela ne semble émouvoir personne, puisque, dans le centre de Waco, aujourd’hui même, un énorme panneau d’informations municipales annonce la tenue en ville d’une grande foire aux armements individuels. Elle se déroulera au Convention Center, dans le bâtiment même ou chaque matin, face à la presse, le FBI vient raconter sa nuit passée à essayer de convaincre le Christ flingueur de déposer la armes.

Jean-Paul Dubois. L’Amérique m’inquiète. Waco Texas 11 03 1996. Éditions de l’Olivier 1996 [3]

Waco' Skims a Very American Tragedy - The Atlantic

fin avril 1993

Il est mis fin à la mission du général Jean Varret, chef de la Mission militaire de coopération au Rwanda. Il tentait de s’opposer au soutien apporté par l’état-major militaire français au régime du président rwandais Habyarimana.

Certains militaires à des postes clés sont allés trop loin, affirme aujourd’hui le général Jean Varret dans son livre Souviens-toi. Mémoires à l’usage des générations futures. Arènes avril 2023.

J’appelle ça le lobby militaire. Ce groupe, dont je connaissais certains éléments, faisait pression, y compris pour m’évincer de mes responsabilités. Ces militaires n’ont pas voulu prendre en compte les risques de cette politique de soutien à Habyarimana. La coopération avait pour mission d’aider à former, d’équiper, mais certainement pas à combattre. Je pense que ce lobby militaire a été plus enclin à aider au combat.

Pour le général Varret, la prise de conscience date de novembre 1990, lors d’une rencontre avec le chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise, le colonel Pierre-Célestin Rwagafilita.

Au cours de cette réunion, le chef de la gendarmerie me réclame des armes lourdes, se souvient Jean Varret. Je lui demande pourquoi et je lui explique que la gendarmerie n’est pas faite pour avoir des mitrailleuses. Devant mon refus catégorique, le chef de la gendarmerie lance à ses collaborateurs : Messieurs, vous pouvez partir, je reste avec le général. Et là, il me dit : Nous sommes en tête à tête, entre militaires, on va parler clairement. Je vous demande ces armes car je vais participer avec l’armée à la liquidation du problème. Le problème, il est très simple : les Tutsis ne sont pas très nombreux, on va les liquider. Il me dit ça très clairement. Je suis horrifié.

Jean Varret demande alors à voir le président rwandais Habyarimana. Je lui exprime mon indignation, poursuit le général Varret. Le président Habyarimana me dit : Il vous a dit ça ce con là ? Je vais le vider. Habyarimana est furieux, je ne sais pas pourquoi. Est-ce parce que son chef de gendarmerie a dévoilé un secret ? Ou parce qu’il a menti ? En tout cas, je note que le chef de la gendarmerie n’a pas été vidé tout de suite.

Cette information, le général Varret dit l’avoir faite remonter immédiatement auprès de l’ambassadeur de France au Rwanda et du ministère de la Coopération, dont il dépendait. Je n’ai pas gardé cette information pour moi, affirme le général Varret. Le risque de génocide était réel. Cela a guidé toutes mes actions par la suite.

Le général Jean Varret

Le général Jean Varret © Radio France – Benoît Collombat

Pourtant, selon l’officier français, son alerte ne suscite aucune réaction, ni de l’état-major militaire, ni du pouvoir politique. Jean Varret connaît pourtant personnellement les chefs militaires qui entourent le président François Mitterrand : le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier du chef de l’État, et son adjoint, le colonel Jean-Pierre Huchon, ou encore l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées. Mes avertissements n’ont pas été pris en compte, regrette le général Jean Varret.

Jean Varret n’est pas le seul à avoir alerté d’un risque de génocide au sein des services de l’État. Le renseignement extérieur (DGSE) a également fait remonter de multiples informations sur la radicalisation du conflit et le rôle actif joué par les extrémistes hutus jusqu’à l’attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana, le 6 avril 1994, étincelle d’un génocide préparé de longue date.

Début 1993, Jean Varret fait un autre constat amer. Au Rwanda, la situation devient de plus en plus critique. La mécanique du génocide monte d’un cran. En janvier 1993, une commission d’enquête dirigée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) rassemble des preuves de massacres ethniques.

En février 1993, de nouveaux massacres sont perpétrés par des extrémistes du Hutu Power, liés au parti politique du président Habyarimana. En réaction, les rebelles du FPR (le Front patriotique rwandais) dirigé par Paul Kagamé, l’actuel président rwandais, lancent plusieurs offensives. Ils enfoncent les lignes adverses et avancent jusqu’à 30 kilomètres de la capitale. Un million de réfugiés se massent alors autour de Kigali, coincés entre les deux armées. Les Français renforcent leur dispositif, puis envoient un nouveau détachement du 1er RPIMa (Régiment de parachutistes d’infanterie de marine) pour épauler l’armée rwandaise. Avec succès : en quinze jours, l’unité d’élite de l’armée française stoppe l’avancée des rebelles.

C’est dans cette période que le général Varret va, à nouveau, être désavoué. Un jour, dans le parc de l’Akagera, j’inspecte le détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) du 1er RPIMa, qui était sous mes ordres. Et là, j’apprends qu’ils font des interventions que je n’admettais pas : ils avaient été en Ouganda, derrière les lignes ennemies, pour essayer d’avoir du renseignement sur le FPR.

L’acte est grave car les troupes françaises ont officiellement l’interdiction absolue de s’engager directement dans le conflit. Une ligne rouge à ne pas franchir. Quand j’apprends cela, poursuit Varret, je les engueule. Je rentre à Paris et trois jours après, je trouve le message suivant : Les unités DAMI ne sont plus sous vos ordres. J’ai pris cela comme un désaveu. On ne me faisait plus confiance.

Finalement, en avril 1993, le général Varret est évincé de son poste à la Mission militaire de coopération. Le ministre de la Coopération, Michel Roussin, lui annonce qu’il ne sera pas reconduit dans ses fonctions pour un an, comme il le souhaitait. Jean Varret est remplacé par le général Huchon, issu de l’état-major particulier de l’Élysée.

Un an plus tard, c’est le début du génocide.

Débarqué de son poste au printemps 1993, Jean Varret refuse la proposition honorifique que lui fait alors l’Élysée (gouverneur militaire à Lille). Il décide de quitter l’armée.

Avec le recul, il estime que ce départ contraint a été une chance pour lui. Sinon, j’aurais eu ma part de responsabilité, au moment du génocide, explique le général Varret. Heureusement que je suis parti.

Comment qualifie-t-il l’attitude de la France, à l’époque ? Malheureusement, l’Histoire a prouvé que c’était une faute, plus qu’une erreur, puisque cela a débouché sur un génocide. La France était suffisamment informée sur les risques.

À ses yeux, certains responsables civils ou militaires ont bien une responsabilité dans l’enchaînement qui a mené au génocide des Tutsis : Il y a quand même eu un aveuglement, estime Jean Varret. Aucun [responsable] civil ou militaire n’aurait souhaité le génocide. Aucun. Par contre, certains n’ont pas pris le risque au sérieux.

Et il conclut : Je n’ai pas su convaincre du risque d’un génocide. Je voudrais que la France et l’Occident sachent se prémunir contre ce risque. La France a une responsabilité dans cette affaire.

Les accusations de Jean Varret sont totalement réfutées par l’amiral Jacques Lanxade que la cellule investigation de Radio France et Mediapart ont longuement interrogé.

Ce proche de François Mitterrand a été chef d’état-major particulier du chef de l’État (1989-1991), puis chef d’état-major des armées (1991-1995). Il n’y a pas eu d’aveuglement, rétorque l’amiral Lanxade. Je pense qu’on a été tout le temps conscient de ce qui pouvait se passer. C’est pour cela qu’on était là. Jean Varret a eu raison de dire ce qu’il a dit, mais on ne peut pas en tirer la conclusion que nous avons été imprudents.

L’amiral Lanxade n’en démord pas : pour l’ancien chef d’état-major des armées, la ligne suivie à l’époque par le président Mitterrand était la bonne. Et le témoignage de Jean Varret justifie à ses yeux l’action de la France au Rwanda. Ce que Jean Varret ne voit pas – ce n’était pas dans sa mission à la Coopération – c’est que nous étions justement là pour empêcher que ceci [le génocide] n’arrive. Et ça n’a pas marché. Nous ne voulions pas la déstabilisation du Rwanda. Nous avons donc fait trois choses : une action politique sur Habyarimana pour qu’il accepte de démocratiser son pays, ce qu’il a commencé à faire. Ensuite, une négociation. Nous sommes très impliqués dans les accords de paix d’Arusha. Et enfin, un soutien à l’armée régulière de ce pays pour que le FPR n’entre pas et que la déstabilisation n’intervienne pas.

Nous n’allions pas nous retirer, poursuit l’amiral Lanxade. On était là justement pour empêcher ce que Varret pensait comme une éventualité possible [le génocide] par une coopération technique avec la gendarmerie, avec les FAR (Forces armées rwandaises). Notre intervention visait à éviter que le gouvernement ne s’effondre et ne tombe dans la guerre civile. Qu’aurions-nous dû faire ? Partir ? Mais alors c’était la guerre civile tout de suite.

À noter que, dans la bouche de l’amiral Lanxade, il est toujours question d’un risque de guerre civile. Jamais de génocide. Cela-veut-il dire qu’un risque de génocide des Tutsis n’est jamais remonté jusqu’à lui ? Il n’y avait pas d’information disant clairement ça, soutient l’amiral Lanxade. L’information qui remontait de toute part, c’est que si Habyarimana n’était plus en mesure de contrôler le pays, alors nous entrerions dans une guerre civile qui serait atroce. C’est le point fondamental et la raison pour laquelle nous sommes intervenus. Il y avait des signaux de guerre civile avec les massacres qui l’accompagnent. C’est pour empêcher cela que nous sommes intervenus. La seule personne qui pouvait empêcher le drame d’arriver, c’était Habyarimana.

Vous n’avez pas pensé qu’un génocide était possible ? Vous ne l’avez pas vu dans « vos radars » ?

Mais non, ce qu’on a vu dans nos radars, c’est le fait que si nous n’étions pas intervenus et si notre intervention ne suffisait pas à contenir les actions du FPR, à ce moment-là, nous entrions dans la guerre civile, poursuit l’amiral Lanxade. On n’a jamais parlé de génocide, jamais. Le génocide, c’est une notion qui est apparue après. À cette époque-là, on ne parlait absolument pas de génocide. On craignait une guerre civile, avec les massacres d’une guerre civile. Et c’est cela qu’on a voulu éviter. Et c’est ce qu’on a évité au départ. On a commencé à parler d’un génocide trois semaines ou un mois après l’attentat [contre l’avion du président Habyarimana]. Si nous n’étions pas intervenus, le génocide serait intervenu beaucoup plus tôt. C’est tout.

Les armes.

Depuis l’embargo des Nations unies, en mai 1994, soit un mois après le début du génocide, leurs livraisons sont interdites au Rwanda.

Malgré cette interdiction, des armes sont quand même acheminées vers les extrémistes hutus. La justice française en quête actuellement sur l’une de ces livraisons, depuis Les Seychelles jusqu’à l’aéroport de Goma, au Zaïre, en juin 1994.

La cellule investigation de Radio France et Mediapart révèlent un nouveau témoignage.

Celui de Walfroy Dauchy, un bénévole de la Croix-Rouge, présent à Goma, de fin juillet à fin octobre 1994, au moment de l’opération Turquoise, une opération militaro-humanitaire, très ambigüe, menée par la France. Si Turquoise a permis de sauver des vies, elle a également facilité la fuite de génocidaires, voire l’acheminement d’armes.

En juillet 1994, Walfroy Dauchy a 30 ans. Il est logisticien pour la Croix-Rouge, à Goma, chargé d’un dispositif de purification d’eau. Il arrive sur place quelques jours après un afflux massif de réfugiés, dont beaucoup d’ex-génocidaires, depuis le Rwanda. La situation est critique, à Goma. Le choléra ravage les camps de réfugiés. Il n’y a pas de nourriture, plus d’essence. Dans les camps, les gens sont armés. Il y a des règlements de compte, des assassinats.

L’équipe de la Croix-Rouge est composée d’une vingtaine de personnes. Walfroy Dauchy s’occupe également du budget : 300 000  dollars en cash à gérer, déposés dans une banque de Nairobi. Le logisticien bénévole fait des allers-retours réguliers au Kenya pour aller chercher de l’argent.

Walfroy Dauchy est donc présent régulièrement sur l’aéroport de Goma, contrôlé par l’armée française, dans le cadre du dispositif Turquoise.

C’est là que, début août 1994, il rencontre le fils d’un transporteur aérien bien connu de l’armée française, dont la société est basée dans le sud-est de la France. Je suis à l’aéroport et je vois arriver un type habillé en surfer, blond, l’air détendu, se souvient Walfroy Dauchy. Un civil avec une arme, c’était bizarre. De fil en aiguille, il m’explique qu’il travaille pour la société de son père. C’est un Français, assez jeune, 23-25 ans. Pas déconcerté par la tragédie en cours. L’entreprise de son père est située près d’Istres, une grosse base militaire française, et ils livrent des armes. Il me dit ça, comme ça, direct. Je lui demande si c’est la meilleure idée du monde de livrer des armes en plein milieu d’un génocide. Et le gars me dit : Oh, tu sais, c’est un business. Si ce n’est pas nous, d’autres le feront à notre place.

Entre début août et la mi-septembre, Walfroy Dauchy dit avoir assisté à deux ou trois livraisons d’armes. À chaque fois, le gars arrive tranquille, avec son pistolet Glock à la ceinture, en nous expliquant qu’ils livrent des armes au pouvoir hutu, au gouvernement [rwandais] en exil.

Des armes destinées donc aux acteurs du génocide.

Je n’ai pas vu les armes, mais j’ai vu les caisses, poursuit l’ancien bénévole de la Croix-Rouge, qui connaît bien le monde militaire pour avoir été élève à Polytechnique et effectué un service militaire de 30 mois dans les commandos de l’air. Je vois les avions et je vois les caisses. Les avions sont français, des avions militaires français. Il y a des caisses avec un jeune gars français qui dit : Moi, je livre des armes. Je suppose qu’il s’agissait d’armes légères. Il s’agissait de caisses de taille moyenne, dans lesquelles on ne mettait pas plus qu’un bazooka. Pas d’armement lourd. Je suis très surpris, car cela résume tout : des armes au milieu d’un génocide. Avec une situation humanitaire très compliquée : beaucoup de problèmes viennent du fait que des gens sont armés dans les camps du Haut-commissariat aux réfugiés. C’est très instable. Donc, rajouter de l’instabilité là-dedans… Je ne sais pas s’il suffit de leur livrer 20 000 kalachnikovs pour qu’ils soient capables de renverser une déroute militaire comme ça. C’est assez curieux d’imaginer que cette armée [des Forces armées rwandaises] totalement en déroute, par la magie de quelques livraisons, va se réorganiser. Mais visiblement, il y a des gens qui le pensent.

Certains militaires français étaient au courant, assure Walfroy Dauchy. Parce que notre ami, le jeune livreur d’armes, ne s’en cachait pas. Il connaissait beaucoup de monde. Comme moi, il avait fait son service militaire dans les commandos de l’air. Il avait été à N’Djaména, au Tchad. Il était très à l’aise dans ce milieu, il parlait à tout le monde. Le commandement militaire ne pouvait pas l’ignorer. Pour autant, cela ne veut pas dire que les officiers français organisaient ces livraisons, mais ils étaient obligés d’être informés et de laisser passer. [Les militaires] étaient obligés d’être au courant. Rien ne rentre ou ne sort sans que cela ne soit visé par la hiérarchie de Turquoise. Nos avions n’étaient pas fouillés, mais tout ce qui arrivait avait la bénédiction du commandement français. Les avions militaires français sont forcément déchargés par des militaires français. Il n’y a pas de civils. Ils savaient que ce n’était pas du matériel Turquoise. L’idée qu’on livrait des armes aux Hutus, était connue et pas discutée. Sur la base, ce n’était pas un secret…

Que l’amiral Lanxade [chef d’état-major des armées] ne soit pas personnellement informé de ces livraisons d’armes, c’est tout à fait possible, poursuit Walfroy Dauchy. Mais que l’armée française, que des officiers aient donné leur feu vert à ces livraisons, c’est obligatoire. Si Turquoise avait voulu empêcher ça, cela leur aurait pris cinq minutes. C’était simple, il suffisait de le décider.

À l’époque, Walfroy Dauchy n’a pas osé aborder directement ce sujet sensible avec la hiérarchie militaire, de peur de ne plus bénéficier de l’aide logistique, indispensable, de l’armée française. »

J’avais beaucoup de conversations avec des officiers de Turquoise, confie encore Walfroy Dauchy. On parlait beaucoup de la situation dans les camps et des problèmes d’insécurité. J’avais demandé pourquoi on avait laissé passer ces populations avec leurs armes. La réponse était : Vous savez, le Zaïre est un pays souverain. Si les Zaïrois avaient voulu les désarmer, ils l’auraient fait. Mais nous, on ne va pas se mêler de ça…. Je n’ai pas parlé des armes avec mes contacts [militaires], parce que je dépendais beaucoup d’eux. Je n’avais pas envie de me faire engueuler, pas envie de me fâcher. Personne n’avait sa propre mobilité. Pour entrer et sortir de Goma, on dépendait de l’armée française. C’était une question un peu délicate.

Benoît Collombat France culture 14 mars 2019

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[1] Le sentier lumineux tracé par José Carlos Marrátéguy, fondateur du Parti Communiste péruvien en 1920

[2] … qui symbolise la garantie de l’emploi

[3] Jean-Paul Dubois voudrait nous faire croire, qu’outre Atlantique, il s’en passe de belles, des choses dont on n’a pas idée chez nous. L’ennuyeux, c’est qu’il n’est pas nécessaire de traverser l’Atlantique pour constater pareilles dérives : pour qui habite le Languedoc, il existe par exemple un monastère bouddhiste – Lérab Ling – près de Roqueredonde, à coté de Lodève où l’on a vu dans les années 1990-2000 le supérieur de la communauté Sogyal Rinpoche, défiler devant tous ses gentils bouddhistes, tenant en laisse une femme nue… Perquisitions de la gendarmerie mais pas plus… pas de procès… Sogyal Rinpoche est muté en Asie, et c’est tout. On ne va pas toucher à une puissance comme le bouddhisme en France. Jouer au redresseur de torts pour ce qui est des abus, omissions coupables de la hiérarchie catholique, c’est OK, c’est bien dans notre tradition républicaine et laïque, mais le bouddhisme, vous n’y pensez pas ! 

Sogyal Rinpoche (1947-2019): de boeddhistische superster die van zijn ...

Sogyal Rinpoché, 1947-2019, supérieur de Lérab Ling, à Roqueredonde, dans l’Hérault