Publié par (l.peltier) le 21 novembre 2008 | En savoir plus |
8 08 1523
Le premier martyr protestant et français est un moine augustin du couvent de Livry, Jean Vallière pour avoir osé dire que le Christ avait été conçu comme nous autres humains, et donc que la Vierge ne l’était pas tant que ça, ce qui estoit faulcement, mauvaisement et mechament parler et sentir de si grande et excellante vierge : le bourreau [1] de Paris lui coupe la langue avant de l’envoyer au bûcher. D’autres suivront : Jacques de Pavannes en mars 1525, Jean Leclerc, cardeur, en juillet 1525, pour avoir brisé une statuette de la vierge.
21 09 1523
Roland Grelet a épousé la Religion que l’on dira Prétendument Réformée – RPR – il entre dans la cathédrale de Chartres pendant la messe et jette à terre une image de la Vierge : il ira au bûcher.
1523
Jacques Lefevre d’Etaples, en accord avec Erasme, donne une version française du Nouveau Testament. Dans l’Epistre exhortatoire qui accompagne les Évangiles, Lefèvre d’Etaples explique qu’il a réalisé cette traduction affin que ung chascun qui a congnaissance de la langue gallicane et non point du latin soit plus disposé à recevoir ceste presente grace […], affin que les simples membres du corps de Iesuchrist ayans ce en leur langue puissent estre aussi certains de la verité evangelicque, comme ceulx qui l’ont en latin. Les Évangélistes, qui constituent dans les années 1520 un courant au sein de l’Église gallicane, préconisent de rechercher dans la lecture assidue des textes bibliques, des psaumes et des Évangiles en particulier, l’assurance d’une offre divine de salut et la possibilité d’être vertueux. Lefèvre d’Etaples recommande ainsi à tous evesques, curez, vicaires, docteurs, prescheurrs d’esmouvoir le peuple à avoir, lire et ruminer les sainctes Egangiles. Souvent réédité (42 éditions différentes recensées entre 1523 et 1563), le Nouveau Testament de Lefèvre pénètre aux quatre coins de France, contribuant ainsi au rayonnement de la langue française dans les provinces. Il supplante parfois des versions en langue locale, comme le Nouveau Testament picard, et joue un rôle non négligeable dans l’unification linguistique du pays.
Alain Rey. Mille ans de langue française. Perrin 2007
Obligation d’afficher les prix sur la porte des hôtels ; ces prix sont réglementés attendu que les depens de ceux qui voyagent sont si grands et excessifs qu’à peine plusieurs les peuvent supporter et laissent leurs affaires nécessaires.
La construction d’une nouvelle basilique à Rome, en remplacement de la basilique de Constantin, décidée par Jules II en 1506, entraîne la création d’une nouvelle institution rassemblant des artisans spécialisés dans l’entretien général des éléments décoratifs : peintres, menuisiers, marbriers, décorateurs, maçons, forgerons : la Fabbricca di San Pietro. Les sanpietrini existent encore aujourd’hui, ils sont au nombre de 120.
01 1524
Le pape Adrien VI est mort depuis quatre mois, mais c’est sa proclamation que son légat lit à la Diète de Nuremberg, à l’occasion de sa réouverture : Tu devras dire aussi que nous reconnaissons en toute liberté que Dieu laisse s’accomplir cette persécution à cause des péchés des hommes, et en particulier des prêtres et des prélats. […] L’Écriture sainte proclame hautement que les péchés du peuple ont leur origine dans ceux des clercs. […] Nous savons aussi qu’en ce saint Siège lui-même, depuis bien des années, il y eut bien des abominations : abus dans les choses spirituelles, transgression des commandements ; tout est devenu amertume. Aussi n’est-il pas étonnant que le mal se soit transmis de la tête aux membres, des papes aux prélats. Nous tous, prélats et clercs, nous nous sommes écartés du droit chemin et depuis bien longtemps personne ne faisait plus le bien. […] Chacun de nous doit se demander pourquoi il est tombé et se juger lui-même, plutôt que d’être jugé par Dieu au jour de sa colère.
17 02 1524
Jehan de Poitiers, seigneur de Saint Vallier, père de Diane de Poitiers a été condamné à mort pour s’être allié au connétable de Bourbon, félon passé dans le camp de Charles Quint. Il est déjà dans les mains du bourreau, place de Grève, quand un messager vient apporter la nouvelle de la grâce du roi, obtenue à l’arraché par Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie et son épouse Diane de Poitiers. Louis de Brézé et son épouse étaient certes bien intervenu pour sauver la tête de Saint Vallier, mais le comte Louis de Brézé n’était pas un mari complaisant. De cette entrevue naquit la légende d’une liaison entre François I° [2] et Diane de Poitiers, légende à la vie tenace puisque croustillante : les contemporains s’y mirent tout de suite, avec à l’avant garde de tous les colporteurs de ragots, le grand maître des concierges et de la presse people : Brantôme : J’ai entendu parler d’un grand seigneur qui, ayant été jugé d’avoir la tête tranchée, si qu’étant déjà sur l’échafaud, sa grâce survint que sa fille qui était des plus belles avait obtenue ; et descendant de l’échafaud, il ne dit autre chose, sinon : Dieu sauve le bon con de ma fille qui m’a si bien sauvé.
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On disait que le roi la [sa grâce] lui [Saint Vallier] avait envoyée après avoir pris à Diane, sa fille, âgée de quatorze ans [en fait, 25 ans], ce qu’elle avait de plus précieux : échange fort doux à qui estime moins l’honneur que la vie.
Mézeray
En son jeune âge, Diane racheta de son pucelage la vie du sieur de Saint Vallier, son père.
Régnier de La Planche, protestant assez intelligent pour penser que la Vierge Marie ne l’était pas, mais suffisamment stupide pour penser que la comtesse de Brézé l’était.
Le Roi a terni, flétri, souillé, déshonoré, brisé Diane de Poitiers, comtesse de Brézé.
Victor Hugo Le Roi s’amuse
Brézé avait été le révélateur du complot [la trahison du connétable de Bourbon]. La dame de Brézé, la belle, la brillante et habile Diane de Poitiers, sut bien faire valoir ce service auprès du Roi et user sans doute d’autres armes plus efficaces encore.
Henri Martin
Nous avons vu dans la chambre de Diane de Poitiers, le grand lit à baldaquin de la royale concubine, tout en damas bleu et cerise. S’il m’appartenait, j’aurais bien du mal à m’empêcher de ne m’y pas mettre quelquefois. Coucher dans le lit de Diane de Poitiers, même quand il est vide, cela vaut bien coucher avec quantité de réalités plus palpables. N’a-t-on pas dit qu’en ces matières le plaisir n’était qu’imagination ? Concevez-vous donc alors, pour ceux qui en ont quelque peu, la volupté singulière, historique et XIV° siècle de poser sa tête sur l’oreiller de la maîtresse de François I° et de se retourner sur ses matelas ? (Oh ! que je donnerais volontiers toutes les femmes de la terre pour avoir la momie de Cléopâtre !) Mais je n’oserais pas seulement, de peur de les casser, toucher aux porcelaines de Catherine de Médicis qui sont dans la salle à manger, ni mettre mon pied dans l’étrier de François I°, de peur qu’il n’y restât, ni poser les lèvres sur l’embouchure de l’énorme trompe qui est dans la salle d’armes, de peur de m’y rompre la poitrine.
Gustave Flaubert. Par les champs et par les grèves. Voyages. Arléa 2007
De Flaubert est-ce là conviction ou simplement erreur ?
Ce qu’on a dit et qui est probable, c’est que la dame, qui avait vingt cinq ans, beaucoup d’éclat, de grâce, avec un esprit très viril, alla tout droit au roi, fit marché avec lui. Tout en sauvant son père, elle fit ses affaires personnelles, acquit une prise solide et la position politique d’amie du roi. Un volume de lettres [3] témoigne de cette amitié.
Michelet
Il est des contemporains de Brantôme qui n’éprouvent pas l’impérieux besoin de faire du racolage : Il n’y eut chose qui tant ému le Roi que les larmes et prières de Diane de Poitiers, fille unique de ce seigneur de Saint Vallier, laquelle, ayant été nourrie au service tant de la mère du Roi que de la reine Claude, fit si bien que le Roi octroya la grâce pour le père à la fille, laquelle était prête à suivre le chemin d’icelui, d’ennui s’il eût été défait par justice.
Belleforest
mars 1524
François I°, s’est offert les services du navigateur florentin Giovanni Verrazano, né dans le beau village de Greve in Chianti. Parti en juin 1523 avec quatre navires vers le passage du Nord Ouest, il en perd trois rapidement, mouille l’ancre le 17 avril 1524, dans la baie du fleuve Hudson, nommant le site Nouvelle Angoulême en hommage à François I°, la future Nieuw Amsterdam fondée 100 ans plus tard, qui deviendra New York le 10 novembre 1674 ; après avoir longé la Caroline du Nord, la Virginie et le New Jersey, il se dirige toujours plus au nord jusqu’aux terres de Bacalaos (le terme nomma l’île de Terre-Neuve, avant de signifier en portugais la morue… qui y pullule). Il repart en 1528 vers les Caraïbes, où il trouve la mort. Il laisse de son premier voyage une situation approximative de l’entrée du passage du Nord Ouest situé entre le Groenland et Terre-Neuve. Mais François I° regarde aussi du coté de l’est, où il trouve en Soliman le Magnifique, le sultan turque, un allié contre la puissance de Charles Quint ; il s’en ouvre à l’ambassadeur de Venise, Marino Giustiniani : Je ne puis nier que je désire vivement voir le Turc puissant, non pas pour son propre avantage, car c’est un infidèle et nous sommes chrétiens ; mais pour tenir l’Empereur en dépense, le diminuer grâce à un si grand ennemi.
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Dans les annales orientales, on appelle Soliman Le Kânouni – Le Législateur – … il fallait bien cela, entre le règne de Sélim I° le Cruel et celui de Sélim II l’Ivrogne… Le législateur, car initiateur d’un code qui réglementait si bien l’appareil juridique que le roi Henri VIII d’Angleterre, envoya à Constantinople une mission d’experts pour en étudier le fonctionnement. En fait le Kânoun Nâme est en Orient aussi célèbre que le Codex Justinianus l’est demeuré en Occident ou la Recopilación de las Leyes en Espagne. Toute l’œuvre législative de Soliman, en Hongrie, a été à la charge du juriste Aboul’s-Su’ûd ; elle fut si importante dans le domaine de la propriété que bien des détails en ont survécu jusqu’à nos jours. De même le juriste Ibrahim Halebi, auteur d’un livre de droit usuel, le multeka, est à placer à coté des plus grands juristes de l’Occident du XVI° siècle.
Fernand Braudel. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. 2. Destins collectifs et mouvements d’ensemble. Armand Colin 9° éd. 1990
L’homme n’était pas que législateur : il se plaisait aussi à bâtir ; à la vue d’un pont construit sur le Danube par un janissaire du nom de Mimar Sinan, il fit de ce dernier son architecte en chef, l’installant à la tête du génie civil et militaire : Sinan construira plus de 300 monuments. C’est lui qui parviendra à s’affranchir, tout en continuant à s’en inspirer, du plan de la basilique Sainte Sophie : La Shehzade fut mon œuvre d’apprenti, la Suleymanyye mon œuvre d’ouvrier, la Selimiyye mon œuvre de maître.
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On a du mal aujourd’hui à réaliser la puissance de la déflagration que représenta cette alliance d’un des souverains les plus puissants du monde, catholique, défenseur de l’Église catholique avec le souverain du plus grand empire, le sultan turc, de religion musulmane, alliance contre l’autre grand souverain catholique, celui du Saint Empire romain germanique, Charles Quint, lui aussi et défenseur de l’Église catholique. Cela est proprement insensé !
Ce à quoi, sans se démonter, François I° répondait : Si les loups viennent attaquer chez moi, il m’est bien permis d’appeler les chiens pour les chasser !
Le gouvernement vénitien lui-même ne combat les Turcs que par intermittence lorsque ses possessions d’Orient sont attaquées. Autrement, il préfère commercer. Si toutefois un conflit n’a pu être évité, il négocie dès que possible. On le voit bien en 1540, puis à nouveau en 1573, dix-huit mois après Lépante, quand Venise, abandonnant deux saintes ligues successives, fait à chaque fois une paix séparée avec la Porte. À Rome et en Espagne, on crie à la trahison. Mais la Sérénissime connaît d’abord son intérêt. En outre, toutes sortes de liens l’unissent depuis longtemps au monde ottoman en dehors des périodes de guerre. Gentile Bellini, peintre officiel des doges, est envoyé par la seigneurie en 1479 auprès de Mohammed II dont il fait le portrait et qui le remercie en lui attribuant un titre de noblesse. Parce que les influences orientales sont largement accueillies à Venise, Carpaccio [4], peignant le martyre de saint Étienne, fait de Jérusalem une cité fastueuse où évoluent des personnages à turbans, et en 1547 paraît dans la cité de la lagune la première traduction italienne du Coran. Si François I° et ses successeurs s’entendirent avec les Turcs pour tenter de prendre les Habsbourg à revers, c’est qu’ils n’avaient pas vraiment peur du péril ottoman et, par voie de conséquence, n’avaient pas conscience de trahir la chrétienté. La constante désunion de celle-ci face aux progrès des infidèles révèle, au plan des mentalités, que, même dans les classes dirigeantes, on ne partageait que par intermittence les angoisses de la papauté. Rappelons-nous, dans la seconde moitié du XV° siècle, les efforts infructueux de Nicolas V, Calixte II, Pie II, Sixte IV, etc, pour promouvoir une croisade cohérente et puissante. Au congrès de Mantoue convoqué dans ce but en 1459, Pie II déclara tristement : Nous dormons d’un profond sommeil… Nous nous faisons la guerre entre nous et nous laissons les Turcs libres d’agir à leur guise. Pour les motifs les plus futiles, les chrétiens courent aux armes et se livrent des sanglantes batailles ; et quand il s’agit de combattre les Turcs qui jettent le blasphème à la face de notre Dieu, qui détruisent nos églises, qui ne veulent rien moins qu’anéantir le nom chrétien, personne ne consent seulement à lever la main. En vérité, tous les chrétiens de nos jours se sont dérobés, tous sont devenus des serviteurs inutiles. Pie II mourut cinq ans plus tard à Ancône, découragé : il attendait les contingents croisés qui ne venaient pas. Quelques années plus tôt – en 1456 -, l’université de Paris, se retranchant derrière la pragmatique sanction, s’était opposée à la levée en France de la dîme pour la croisade et le duc de Bourgogne avait gardé pour lui les sommes recueillies dans ses États à cette occasion. Attitude significative aussi, celle du clergé espagnol en 1519 : Léon X et Charles Quint venaient de conclure un accord offensif contre les Turcs conformément au projet de croisade chrétienne décidé par le V° concile de Latran. Ce traité prévoyait, comme d’habitude en pareil cas, le prélèvement de dîmes. Le clergé d’Espagne refusa unanimement de les payer, la chrétienté n’étant pas pour l’instant attaquée. Rome mit le pays en interdit ; puis, à la demande de Charles Quint, révoqua cette punition. Ce n’est que plus tard dans le XVI° siècle que la peur des musulmans s’empara des Espagnols. Longue est la liste des cas de non-assistance aux nations chrétiennes menacées par les Turcs. À deux reprises aux diètes de Spire et de Nuremberg, en 1523 et 1524, des délégués hongrois vinrent implorer le secours militaire de l’empire. À chaque fois, les Allemands répondirent par une fin de non-recevoir, du moins dans l’immédiat. Or, Belgrade était tombée en 1521, et en 1526 ce fut le désastre de Mohacs. Il est vrai, en contrepartie, que des Français contribuèrent en 1664 à la victoire de Saint-Gothard et les Polonais de Jean Sobiewski à la levée du siège de Vienne en 1683. Il est vrai aussi que l’Europe chrétienne se sentit – un peu – concernée par la longue résistance vénitienne à Candie (1665-1669) et fit quelques gestes. Toutefois, les 6 000 Français envoyés bien tardivement par Louis XIV (en 1669) se rembarquèrent presque aussitôt, quand on avait le plus besoin d’eux. Par différents chemins historiographiques on rejoint donc le diagnostic de M. P. Gilmore : en Europe, furent indifférents au péril turc tous ceux qui n’étaient pas directement menacés par lui. Cette menace qui donc l’a ressentie ? Au plan local, des populations qui étaient en contact avec la violence musulmane ; au plan général, d’abord et surtout, les hommes d’Église pour qui la religion chrétienne était en péril. Les points chauds de l’affrontement à la fin du XV° siècle et tout au long du XVI° se situèrent sur les côtes italiennes, aux frontières, voire à l’intérieur de l’Empire et dans l’Espagne du Sud, En ces trois secteurs, la peur des mahométans – Turcs ou Barbaresques – fut vécue aux différents étages de la société. La prise d’Otrante en 1480 s’accompagna du massacre de plusieurs milliers de chrétiens dans des conditions abominables. Il existe sans doute un rapport entre ces horreurs et l’insistance nouvelle de certaines écoles de peinture, notamment celle de Sienne, sur le Martyre des Saints Innocents. Le souvenir de ce carnage ravivé par les continuelles incursions des navires ennemis explique qu’au XVI° siècle on ait fébrilement équipé les côtes siciliennes et napolitaines de tours et de forteresses. En Hongrie, l’avance turque provoqua la panique. Après la défaite de Mohacs, une bonne partie de la population de Bude (ville de 8 000 habitants) prit la fuite. Les paysans de la plaine s’efforçaient de cacher leurs enfants quand les Ottomans arrivaient dans un village. Dans la partie du pays occupée par les envahisseurs, de 5 à 10 p. 100 des habitants auraient péri. On assurait en Allemagne que le sultan, après sa victoire à Mohacs, avait fait planter devant sa tente 2 000 têtes en guise de trophées et que 80 000 prisonniers avaient été massacrés. À Vienne, on attendait avec terreur l’arrivée des barbares. Lorsque les Turcs homicides et incendiaires entrèrent à Linz en 1529, les Strasbourgeois s’affolèrent. Dans l’empire, récits et images dramatiques entretenaient la peur. Les gravures d’E. Schoen (1530) montraient des marchés turcs où l’on vendait des prisonnières chrétiennes nues, et des enfants empalés ou coupés en deux par les soldats du sultan. Les appréhensions allemandes expliquent qu’en dépit des défiances réciproques, des marchandages et des retards, les princes de l’empire, catholiques et protestants, aient vaille que vaille fourni à leur souverain les secours financiers et militaires dont il avait besoin pour faire face au danger turc. En Allemagne, l’infidèle est aux frontières. Mais en Espagne il est dans les murs mêmes de la cité chrétienne, prêt à pactiser avec les Barbaresques survenant à l’improviste. Pourtant, au XVI° siècle, tous les musulmans d’Espagne sont, en principe, devenus chrétiens. En 1499, les Maures de Grenade avaient été convertis sur ordre gouvernemental. La mesure avait été ensuite étendue à l’ensemble de la Castille, puis aux pays de la couronne d’Aragon (1526). Mais, dans ces derniers, les vieux-chrétiens avaient précédé la décision royale et baptisé de force, par masses entières, leurs compatriotes musulmans. En fait, les convertis gardent leur langue et leur art de vivre (costumes, bains maures, maisons cloîtrées), célèbrent leur culte clandestinement, refusent de manger du lard, de boire du vin, d’épouser des chrétiens ou des chrétiennes. Et quand des pirates barbaresques d’Alger, de Tétouan ou de Salé débarquent, poussant leurs razzias loin vers l’intérieur, ils les aident, pillent et tuent avec eux. Le 23 août 1565, 400 Barbaresques avec drapeaux et tambours arrivent jusqu’à Orjiva (versant sud de la sierra Nevada). Accueillis à bras ouverts par les morisques, ils détruisent les maisons des chrétiens, s’acharnent sur l’église, piétinent le saint sacrement et se rembarquent le surlendemain, emmenant 15 captifs. En septembre de l’année suivante, 350 pirates de Tétouan parviennent à Tabernas (au nord d’Almeria), semant la panique chez les chrétiens, mais reçus en frères par les morisques. Ils tuent les prêtres et les aubergistes et regagnent la mer avec 44 captifs. 600 volontaires leur emboîtent le pas et émigrent en Afrique du Nord. Dans la région d’Almeria, les morisques forment alors 90 p. 100 de la population, les chrétiens n’étant en sûreté qu’à l’abri de remparts urbains ; dans celle de Malaga on compte 50 p. 100 de morisques. Plus au nord, ceux-ci représentent à peu près le tiers des habitants du pays valencien : 31 715 feux, en 1609, contre 65 016 aux vieux-chrétiens. Partout où les deux peuples sont mélangés, règne une situation coloniale : les morisques sont relégués dans les faubourgs des villes et dans les mauvaises terres du haut pays. Comment haine et peur réciproques n’opposeraient-elles pas ces deux sociétés imbriquées l’une dans l’autre : la victorieuse et la vaincue ?
Jean Delumeau. La peur en Occident. Arthème Fayard. 1978
24 05 1524
Une implacable sécheresse s’est installée sur la France, et c’est la ville de Troyes qui est ravagée par le feu.
30 06 1524
François I° ordonne la construction du château d’If.
26 07 1524
La reine Claude meurt en couches d’un 8° enfant : elle avait 25 ans ! La grande sénéchale de Normandie, Madame de Brézé, ou encore Diane de Poitiers reçoit la charge – toute honorifique et de confiance -, de veiller sur les enfants royaux. Elle a 25 ans, le petit Henri 5.
Il faut parler de madame Claude de France, qui fust très bonne et très charitable, et fort douce à tout le monde, et ne fist jamais desplaisir ny mal à aucun de sa court ny de son royaume. Elle fust aussy fort aymée du roy Louys, et de la royne Anne, ses pere & mere, et estoit leur bonne fille et la bien-aymée, comme ilz luy monstrarent bien ; car amprès que le roy fust paisible duc de Milan, ilz la firent déclarer et proclamer en sa court de parlement de Paris, à huys ouverts, duchesse des deux plus belles duchez de la chrestienté, qui estoient Milan et Bretaigne, l’une venant du pere et l’autre de la mere. Quelle heritiere ! s’il vous plaist. Ces deux duchez joinctes ensemble eussent bien faict un beau royaume […] le roy son mary luy donna la vérolle, qui lui advança ses jours. Et madame la régente, Louise de Savoie la rudoyait fort (…)
Brantôme
Autant François était grand et athlétique, autant Claude était petite. Ses maternités successives la faisaient paraître continuellement bien en chair aux dires de la Cour, qui en faisait un sujet de moquerie. Les ambassadeurs étrangers notent sa forte corpulence, sa boîterie, le strabisme de son œil gauche, sa très petite taille, sa laideur et son effacement, pour ne souligner que ses qualités de cœur. Elle fut peu aimée à la cour après la mort de ses parents. Le roi lui imposera l’omniprésence de sa maîtresse, Françoise de Châteaubriant. La postérité préférera se souvenir d’elle en goûtant une bonne prune, ce qui est plus gratifiant que d’être bonne poire.
24 09 1524
Charles III de Bourbon-Montpensier, connétable de France, en procès avec Louise de Savoie, passé avec armes et bagages à la cause de Charles Quint manque de peu de prendre Marseille, après s’être rendu maître de toute la Provence, pillant au passage l’abbaye de Lérins et Brégançon. Le douze du mois d’août 1529 [sic : erreur reprise par Joseph Mery, il faut lire 1524 : le connétable de Bourbon est mort à Rome en mai 1527], le connétable de Bourbon, chevauchant sur la grande route de Marseille avec son armée de bandits se tourna alors vers le marquis de Pescaire et lui dit : Deux ou trois coups de canon épouvanteront si bien ces bons bourgeois de Marseille qu’ils viendront la corde au cou m’apporter les clefs de la ville. Amen ! dit Pescaire qui avait l’humeur railleuse. Après trente jours de tranchée ouverte, le 15 septembre, le connétable de Bourbon, désespérant déjà de prendre Marseille, assistait à la messe sous sa tente devant l’abbaye de Saint Victor. Un boulet de canon, lancé par la fameuse couleuvrine de la tour Saint-Paule, passa sur la butte des Grands-Carmes, traversa le port, troua la tente du connétable et renversa le prêtre qui disait la messe.
– Qu’est-ce que tout cela ? dit le connétable effrayé. –
Ce sont, répondit Pescaire, les bons bourgeois de Marseille qui viennent la corde au cou vous apporter les clefs de la ville...
[…] Quant au marquis de Pescaire, son nom est resté dans la mémoire du peuple de la vieille ville. Le jour de la levée du siège, les Marseillais, debouts sur leurs remparts, saluèrent le fugitif par son nom provençalisé Pécaire ! Ce nom est depuis employé pour déplorer une grande infortune. [ et, peuchère qui déplore une petite infortune, pourrait bien venir de là. ndlr]
Joseph Mery. 1798-1866. Marseille et les Marseillais
14 11 1524
Francisco Pizzaro, fils de gentilhomme paysan d’Estrémadure, était aux cotés de Balboa pour découvrir l’océan, 10 ans plus tôt. Il n’a pas oublié les paroles du cacique, parlant de l’El Dorado – le pays de l’or – qui se trouve au sud. Quand Pedrarias d’Avila lui ordonna de l’arrêter, il passa sous les ordres de ce dernier, et finit par obtenir le commandement d’une expédition vers le sud. Il a recruté dans les tavernes de Panama 114 hommes dont les dettes, les fièvres, les parasites étaient beaucoup plus réelles que l’ambition. Il ne dispose que d’un seul navire, qui commença vite par essuyer une tornade. Les obstacles de tous genres, la faiblesse de l’expédition ne suffirent pas à lui cacher la manifeste abondance de l’or dans ces régions : il dut se résoudre à rentrer à Panama, bien résolu à revenir. Il était parvenu jusqu’à l’embouchure du Rio San Juan, par 4°N.
1524
Il y a conjonction en cet hiver d’annonce de catastrophes climatiques – essentiellement des inondations – et les annonces elles aussi catastrophiques par les astrologues : aussi assiste-t-on, à Londres, à nombre de fuites pour se réfugier sur les hauteurs avoisinantes, dans les étages supérieurs à Rome, et même à des constructions d’arches de Noé ici ou là, Toulouse comme sur les rives du Rhin !
Révolte des Paysans anabaptistes en Allemagne, teintée d’illuminisme religieux : ils sont emmenés par Thomas Münzer. Luther prend parti pour les grands seigneurs : dès lors, de nombreux princes rallient un homme qui défend l’ordre social tout en combattant Rome, car ils espèrent récupérer l’énorme patrimoine foncier ecclésiastique, qui représente un tiers du sol allemand.
Jean Sévillia. Historiquement correct. Perrin 2003
Tout cela affaiblissait l’empereur au moment précis où celui-ci faisait appel à chacun pour participer à l’effort de guerre contre la menace turque, les princes allemands répondant alors à Charles Quint : reconnaissez Luther qui a été mis au ban de l’empire, et nous participerons alors à la lutte contre le Turc.
25 02 1525
François I°, le roi chevalier a pris Pignerol et Turin ; négligeant de prendre Lodi, il porte son choix sur la place forte de Pavie, au cœur du Milanais ; il se trouve au pied des remparts dès novembre 1524 et ses armées ont alors une supériorité numérique certaine sur celle de l’ennemi. Encore aujourd’hui, la plupart des historiens peinent à comprendre pourquoi l’armée française laissa alors passer pratiquement 4 mois dans le siège d’une ville fort bien défendue, en restant inactive, période mise à profit par l’adversaire pour renforcer ses troupes ; le 3 février, François I° écrit à sa mère : Je crois que la derrenière chose que nos dicts ennemis feront sera de nous combattre, car, à dire la vérité, nostre force est trop grosse pour la leur. Au final, la confrontation se traduit par la défaite et surtout la capture du roi par Lannoy, commandant les Impériaux. À leurs cotés se trouve Charles de Bourbon, à la tête d’une armée.
[…] prise d’une ivresse héroïque, l’aristocratie française mourait avec joie […] les chevaux sont d’énormes bêtes, elles-mêmes enjuponnées de fer […] les Espagnols les exécutent à l’aise en glissant des couteaux dans les joints des cuirasses, ou bien, soulevant les persiennes de fer qui protègent les hanches, ils poussent sous la cotte de maille le canon de l’arquebuse et ils font éclater le homard dans sa carapace
Jean Giono. Le désastre de Pavie. Collection les Trente journées. Gallimard 1963
Les paris se pratiquaient déjà couramment : à Venise nombreux furent ceux qui avaient parié en faveur d’une victoire de François I° ; seul Calzeran, un espagnol probablement mieux informé que les autres, joua contre le courant : il ramassa une fortune. Jacques de Chabanne, auvergnat, marquis de La Palice (1470-1525), maréchal de France, fut l’un de ses grands capitaines, à l’égal d’un Bayard ou d’un La Trémoille, et participa, à ce titre, à la bataille. Outre la capture du souverain, la défaite sera marquée par la mort de ses principaux officiers : La Trémoille, Bonnivet et La Palice, dont Brantôme nous conte les derniers instants : Vint le cruel Buzarto, Espagnol. L’homme qui portait envie du prix et de l’honneur d’un si grand capitaine pris à la cavalerie, le tua cruellement, lui accarant une grosse arquebuse de calibre dans sa cuirasse.
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De là vient tout le malentendu ; ou du moins une hypothèse d’explication de l’origine de ces lapalissades auxquelles le marquis a bien involontairement donné son nom. À en croire le chroniqueur, à 55 ans – âge considérable pour l’époque – le fier et beau chevalier excitait donc encore la jalousie et la haine des envieux ; ce qu’une complainte en forme d’éloge funèbre, écrite au lendemain du désastre de Pavie, exprimera de la manière la plus directe qui soit : Hélas! s’il n’était pas mort Il ferait encore envie ! Or, dans la graphie ancienne, les lettres f et s avaient la même forme ; si bien qu’au fil des copies, un scribe maladroit (ou farceur, la question peut quand même se poser) finira par transformer en calembour ce qui était à l’origine un hommage sincère. Ainsi, le vers Il ferait encore envie deviendra-t-il : Il serait encore en vie, et sera rapidement adopté comme tel par la fantaisie populaire, après que le poète Bernard de la Monnoye l’ait reprise ainsi travestie et que Ballard l’eut publié, en 1725, dans la Clé des chansonniers [5].
Marc Robine. Anthologie de la chanson française. Albin Michel 1994
Prisonnier de Charles Quint, il commence par être enfermé à la Chartreuse de Pavie. Louise de Savoie, sa mère, exerce la régence, et reçoit au couvent Saint Just de Lyon nouvelle de la catastrophe : Madame, pour vous avertir comme se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m’est demeuré que l’honneur et la vie sauve, et pour ce que mes nouvelles vous seront quelque peu de réconfort, j’ay prié qu’on me laissast vous escrire. Ceste grace m’a été accordée, vous priant de ne vouloir prendre l’extrémité de vos finz en usant de vostre accoustumée prudence ; car j’ay espérance à la fin que Dieu ne m’abandonnera point. Vous recommandant voz petits-enfants et les miens, vous suppliant faire donner leur passage pour aller et retourner en Espagne au porteur qui va devers l’empereur pour acavoir comment il veut que je sois traicté. Et sur ce très humblement me recommande en vostre bonne grâce. Très humble et obéissant fils, Françoys. En écrivant à sa mère François I° savait bien qu’elle lui passerait tout et resterait à jamais son alliée : l’enfant fut roi aux yeux de sa mère, et de sa sœur Marguerite, avant que de l’être de France : François I° naquit entre deux femmes prosternées […] et telles elles restèrent, dans cette extase de culte et de dévotion.
Michelet
Louise prend les affaires en main et écrit tous azimuts pour maintenir la cohérence du pays ; l’affaire n’était pas simple et elle mènera la barque dans le mauvais temps d’une main très sûre sur le gouvernail . Ce genre de situation est propice au réveil de toutes les baronnies, et il fallait bien s’affairer aussi en Europe pour retourner en faveur de la France des alliances jusqu’alors favorables au vainqueur Charles Quint. Elle lui écrit :
Monsieur mon bon fils, après avoir entendu par ce gentilhomme, la fortune advenue au Roy, mon sieur et fils, j’ay loué et loue Dieu de ce qu’il est tombé ès mains du prince de ce monde que ayme le mieux, espérant que vostre grandeur ne vous feroit point oublier la prochaineté de sang et linaige d’entre vous et luy. Et dadvantaige, je tiens pour le principal le grand bien qui peut universellement venir à toute la chrestienté par l’union et l’amytié de vous deux et pour ceste cause vous supplie, Monsieur mon bon fils, y penser et, en attendant, commander qu’il soit traitté comme l’honnesteté de vous et de luy le requiert et permettre, s’il vous plaist, que souvent je puisse avoir nouvelle de sa santé et vous obligerez une mère, ainsy toujours par vous nommée, et qui vous prie encore une fois que maintenant en affection soyez père à vostre humble et bonne mère. Loyse
De la Chartreuse de Pavie, François I° passera à la forteresse de Pizzighettone, à 20 kilomètres de Cremone, où on le laisse libre de correspondre avec sa mère ; ses fidèles peuvent circuler avec des sauf conduits. Début avril, il écrit à Charles Quint : Si plus tôt la liberté par mon cousin le vice-roi m’eût été donnée, je n’eusse si longtemps tardé d’envers vous faire mon devoir, comme le temps et le lieu où je suis le méritent, n’ayant autre confort en mon infortune que l’estime de votre bonté, laquelle, si lui plaît, par son honnêteté usera en moi l’effet d’être vainqueur de sa victoire ; ayant ferme espérance que votre vertu ne voudrait me contraindre de chose qui ne fût honnête, vous suppliant juger à votre propre cœur ce qu’il vous plaira faire de moi, étant sûr que la volonté d’un tel prince que vous êtes ne peut être accompagnée que d’honneur et magnanimité. Par quoi, s’il vous plaît avoir cette honnête pitié de moi, avec la sûreté que mérite la prison d’un roi de France, lequel l’on veut rendre ami et non désespéré, vous pourrez être sûr de faire un acquêt, au lieu d’un prisonnier inutile, de rendre un roi à jamais votre esclave. Par quoi pour ne vous ennuyer plus longuement de ma fâcheuse lettre, fera fin, avec ses humbles recommandations à votre bonne grâce, celui qui n’a autre aise que d’attendre qu’il vous plaise me vouloir nommer au lieu de prisonnier, votre bon frère et ami Françoys
Puis il sera transféré par voie maritime, via Portofino, Gênes, Barcelone, à l’Alcazar de Madrid. Autant les emprisonnements italiens et le voyage de Barcelone à Madrid pouvaient avoir un petit air de villégiature, autant seront dures les conditions d’enfermement en l’Alcazar de Madrid où, après avoir eu la visite de Charles Quint le 18 septembre – un sommet sans pareil dans l’hypocrisie, vieux reste de liturgie chevaleresque desséchée et stérile – l’empereur versait des pleurs en embrassant son cousin -, un méchant abcès nasal l’emmènera aux portes de la mort le 22 septembre. Mais c’est l’abcès qui crèvera et François recouvrera ses forces. Il recevra aussi un an plus tard, une lettre de Soliman le Magnifique, son allié turc tenu informé de ses mésaventures :
Lui [Dieu] est l’élevé, le riche, le généreux, le secourable. Moi qui suis, par la grâce de celui dont la puissance est glorifiée et dont la parole est exaltée, par les miracles sacrés de Mohammed (que sur lui soient la bénédiction de Dieu et le salut), soleil du ciel de la prophétie, étoile de la constellation de l’apostolat, chef de la troupe des prophètes, guide de la cohorte des élus, par la coopération des âmes saintes de ses quatre amis Aboubakr, Omar, Osman et Ali (que la satisfaction de Dieu soit sur eux tous), ainsi que de tous les favoris de Dieu ; moi, dis-je, qui suis le sultan des sultans, le souverain des souverains, le distributeur de couronnes aux monarques de la surface du globe, l’Ombre de Dieu sur la terre, le sultan et le Padishah de la mer Blanche, de la mer Noire, de la Roumélie, de l’Anatolie, de la Caramanie, du pays de Roum, de Zulkadir, du Diarbekr, du Kurdistan, de l’Azerbeidjan, de la Perse, de Damas, d’Alep, du Caire, de La Mekke, de Médine, de Jérusalem, de toute l’Arabie, du Yémen et de plusieurs autres contrées que mes nobles aïeux et mes illustres ancêtres (que Dieu illumine leurs tombeaux) conquirent par la force de leurs armes et que mon auguste majesté a également conquise, avec mon glaive flamboyant et mon sabre victorieux, sultan Suleyman-Khan, fils de sultan Selim-Khan, fils de sultan Bâyezîd-Khan. Toi qui es François, Roi du pays de France, vous avez envoyé une lettre à ma Porte, asile des souverains, par votre fidèle agent Frankipan, vous lui avez lui aussi recommandé quelques communications verbales ; vous avez fait savoir que l’ennemi s’est emparé de votre pays, et que vous êtes actuellement en prison et vous avez demandé ici aide et secours pour votre délivrance. Tout ce que vous avez dit ayant été exposé au pied de mon trône, refuge du monde, ma science impériale l’a embrassé en détail, et j’en ai pris une connaissance complète. Il n’est pas étonnant que des empereurs soient défaits et deviennent prisonniers. Prenez donc courage, et ne vous laissez pas abattre. Nos glorieux ancêtres et nos illustres aïeux (que Dieu illumine leur tombeau) n’ont jamais cessé de faire la guerre pour repousser l’ennemi et conquérir des pays. Nous aussi nous avons marché sur leurs traces. Nous avons conquis en tout temps des provinces et des citadelles fortes et d’un difficile accès. Nuit et jour notre cheval est sellé et notre sabre est ceint. Que Dieu très-haut facilite le bien ! À quelque objet que s’attache sa volonté, qu’elle soit exécutée ! Du reste, en interrogeant votre susdit agent sur les affaires et les nouvelles, vous en serez informé. Sachez-le ainsi. Écrit au commencement de la lune de rabi al-akhir 932 [1526] à la résidence de la capitale de l’Empire, Constantinople la bien gardée.
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Les guerres d’Italie s’achèvent donc par le plein succès des Habsbourg. Les Français sont pour longtemps évincés de la Péninsule. Ce qu’ils auront gagné dans cette longue suite de guerres, d’interventions coûteuses, de batailles remportées ou perdues, relève principalement – mais ce n’est pas rien – de l’ordre culturel. La France, dira Lucien Febvre, citant Michelet dans son cours de 1942-1943, au seuil du XVI° siècle, en était encore au XIV°. Sauf pour le matériel de la guerre, pour l’artillerie de campagne, l’armement : pour tout le reste, elle avait plus d’un siècle de retard. Pour Michelet, c’est du choc de la haute civilisation transalpine et de la barbarie qu’est sortie la colonne de feu qu’on appela la Renaissance. Les conflits de la première moitié du XVI° siècle, qui ont eu pour principaux théâtres l’Italie du Nord et l’Italie centrale, ont fait se multiplier les contacts entre les Italiens et les étrangers, amis ou ennemis : soldats, chefs de guerre, voyageurs, diplomates, souverains accompagnés de leur suite, etc. Rares furent ceux qui ne restèrent pas éblouis par la richesse et le raffinement des cours italiennes, par la magnificence des villes, des palais, des jardins, par le foisonnement des œuvres d’art. De la nostalgie du ciel, des paysages, du décor italiens est née chez les rois de France et parmi leurs anciens compagnons d’aventure le désir de retrouver dans le royaume ce qui les avait enthousiasmés durant leurs descentes dans la Péninsule. Citons une fois encore Lucien Febvre et Michelet, dont les propos se mêlent dans le dialogue que le professeur au Collège de France des années noires a engagé, à cent ans de distance, avec son illustre prédécesseur.
Eh quoi dira-t-on : une révolution européenne, une révolution totale – tout cela parce qu’un jeune roi et une jeune armée, d’un vif mouvement de jeunesse et d’instinct, sautèrent avec un élan et des gaietés de barbares la barrière des Alpes ? Parce que ce jeune roi et cette armée, dans leur ignorance d’eux-mêmes et de l’ennemi, ont traversé l’Italie au galop, touché barre au détroit, puis non moins vite, et sans avoir rien fait (sauf le coup de Fornoue), sont revenus conter l’histoire aux dames. C’est devant cette équipée, cette joyeuse escapade de sous-lieutenants que vous allez criant au miracle, à la révolution ? N’avait-on pas cent fois passé les Alpes ?
Cent fois ? répond Michelet. Dites mille fois. Mais qui ? Des marchands ? Des pèlerins ? Des bandes militaires ? Des isolés ? Ici ce fut la France entière, une petite France complète (de toute province et de toute classe) qui fut portée dans l’Italie, qui la vit, et qui la sentit et se l’assimila, par ce singulier magnétisme que n’a jamais l’individu. Et sans doute, elle y rencontra à chacun de ses pas l’art italien, l’art de la Renaissance italienne, l’art du Quattrocento. À Milan comme à la chartreuse de Pavie, à Pise comme à Florence, à Rome comme à Naples. Mais elle y trouva bien autre chose. Jetée dans un monde de beauté, lotie au moins de lumière, où rien n’était médiocre, cette France embourgeoisée, abâtardie, aplatie, retrouva à ce contact quelque chose de sa nature originaire. Elle y reprit la faculté du grand.
Mais la guerre n’a pas seulement hélas ! favorisé les contacts de civilisation. Elle a fait progresser les techniques militaires, la tactique et l’efficacité des armements. Elle a, d’une décennie à l’autre, donné l’avantage tantôt à la lourde infanterie suisse, avec ses murailles de piques aussi redoutables dans la défense que dans l’attaque, tantôt aux formations polyvalentes conçues par Gonzalve de Cordoue. Elle a définitivement consacré la supériorité des bouches à feu sur l’arme blanche : qu’il s’agisse de l’arquebuse à mèche des Espagnols ou des canons à boulets de fer qui donneront la victoire aux Français à Marignan. Le développement de l’artillerie a entraîné une transformation fondamentale des ouvrages défensifs, le rempart cédant peu à peu la place aux fortifications rasantes, avec de larges remblais de terres où s’enlisent les projectiles ennemis.
Aussi les affrontements furent-ils, contrairement à une légende tenace, tout autre chose qu’une pure succession d’exploits individuels, de feintes batailles et d’assauts simulés. Les condottieri du Moyen Âge finissant avaient pu se livrer à ce jeu savant et passablement théâtral : pas leurs épigones du Cinquecento. L’Europe, écrit Braudel, a réappris à l’Italie la guerre sauvage. Il y a eu au moins 16 000 tués à Marignan. Il y en aura à peu près autant à Lépante en 1571, pour ne citer que ces deux batailles emblématiques d’une des campagnes du roi de France en Italie du Nord, l’autre de la résistance opposée aux Turcs par les forces de la Sainte Ligue. La guerre d’autre part ne se limite pas aux batailles. Elle s’accompagne de massacres et d’atrocités qui tantôt frappent les populations du contado, tantôt accompagnent et prolongent, parfois durant plusieurs mois, comme à Rome en 1527, la prise d’une ville. Le sac de la capitale des papes par les reîtres du connétable de Bourbon n’est que le plus célèbre et le plus emblématique de ces actes barbares. Mais ceux de Brescia en 1511 et de Pavie en 1528, l’un et l’autre exécutés par les Français, ou encore celui de Gênes en 1532, perpétré par l’armée espagnole (qui n’aurait épargné que les lettres de change saisies chez les marchands), n’ont rien à lui envier en matière d’horreur et de sauvagerie.
Pierre Milza. Histoire de l’Italie. Arthème Fayard 2005
1525
La première carte de France imprimée à Paris est due à Oronce Finé. La ville de Venise décide que les Juifs devront habiter un quartier réservé : c’est la naissance des ghettos [6] ; à Venise, le manque de place entraînera la surélévation des immeubles… jusqu’à des hauteurs bien supérieures à ce que permettait la sécurité. Albert de Brandebourg, grand maître de l’Ordre Teutonique, se convertit aux thèses de Luther, et de ce fait les immenses possessions de l’ordre militaire se trouvent sécularisées, tandis que les chevaliers catholiques se réfugient en Hongrie.
vers 1525
Dans la ville de Quito conquise 12 ans plus tôt, le Seul-Inca, Huayna Capac se meurt de la petite vérole, qui a déjà emporté 200 000 de ses hommes. Revêtu de ses habits d’empereur, il fait part à son entourage de ses dernières volontés : Il y a bien des années, mon père le Soleil m’a révélé qu’après le règne de douze de ses enfants royaux, un peuple étranger viendrait qu’on n’avait jamais vu dans ces contrées, qu’il conquerrait Tavantinsuyu, l’empire des Quatre Provinces et encore bien d’autres royaumes. Je crois qu’il s’agit de ces hommes blancs qu’on a vu récemment devant les côtes de la province du Nord. Ces hommes sont forts, habiles et sans scrupules. Je sais que, bientôt après moi dixième, le douzième inca verra la fin de son règne. Voilà pourquoi je vous prédis : peu d’années après mon retour chez mon père, ce peuple conquérant viendra réaliser la prophétie du Soleil, envahira cet empire et le dominera. Je vous commande d’obéir aux étrangers et de les servir, car ils nous sont en tout supérieurs ; leurs lois sont meilleures, leurs armes invincibles. La paix soit avec vous ; je vais maintenant rejoindre mon père le Soleil qui m’a appelé.
17 03 1526
François I° est libéré à San Sebastian, en échange de ses deux fils, le Dauphin François et son frère Henri, duc d’Orléans, et contre cession de la Bourgogne à Charles Quint ; mais il se rétractera, arguant que cet accord lui avait été extorqué, un acte notarié faisant foi. Le 14 janvier, il avait en effet fait venir deux notaires pour enregistrer une protestation en bonne et due forme, selon laquelle tout ce qu’il signerait sous la contrainte serait nul et non avenu ; il était sorti de prison quelques heures plus tard et conduit vers la frontière. La rançon, quant à elle, – 2 millions or – sera en quelque sorte renégociée, puisque versée bien après sa libération, et avec la contrepartie de la libération de ses deux enfants. Louise avait accompagné les deux enfants jusqu’à Bayonne : ils avaient perdu leur mère 2 ans plus tôt. A 7 ans, Henri avait déjà perçu qu’il n’était que le frère du Dauphin ; se sentant mal aimé, il était peu aimable. Madame de Brézé, 27 ans, – l’âge qu’aurait eu sa mère – épouse de Louis de Brézé, Sénéchal, rayonnante de beauté, en charge de veiller sur les enfants du Roi depuis la mort de leur mère, perçoit la détresse du cadet, s’avance à sa rencontre et lui dépose un baiser sur le front.
Quand vous êtes un enfant de 7 ans, que vous partez en otage en pays ennemi, après avoir perdu votre mère 2 ans plus tôt… et que la plus belle femme du royaume, le cœur serré, vient vous embrasser, même si vous êtes fils de roi, vous tenez là un trésor qui vous permettra d’avoir la niaque pour tenir face à la connerie du monde en général et des sbires de Charles Quint en particulier. Ce baiser avait scellé l’amour de sa vie : tout le reste ne sera que politique, passade d’un jour, fin de nuit de fête.
Mais pour ce qui est d’être amoureux de Diane, Clément Marot avait pris de l’avance sur lui, et la belle avait pris le temps de se faire désirer : fou d’amour, le poète lui avait déjà adressé de nombreux vers :
Chanson pour Diane de Poitiers
Puisque de vous je n’ai autre visage,
Je m’en vais rendre hermite en un désert,
Pour prier Dieu, si un autre vous sert,
Qu’autant que moi ; en votre honneur soit sage.
Adieu amour, adieu gentil corsage,
Adieu ce teint, adieu ces frians yeux ;
Je n’ai pas eu de vous grand avantage :
Un moins aimant aura peut-estre mieux
Epigramme pour Diane de Poitiers
Estre Phoebus bien souvent je désire,
Non pour connoistre herbes divinement ;
Car la douleur qui mon cœur veut occire,
Ne se guérit par herbe aucunement :
Non pour avoir ma place au firmament,
Car en la terre habite mon plaisir :
Non par son arc encontre amour saisir,
Car à mon roi ne veux estre rebelle !
Estre Phoebus seulement j’ai désir,
Pour estre aimé de Diane la Belle.
Etrennes pour Diane de Poitiers
Ces quatre vers à te saluer tendent :
Ces quatre vers à toi me recommandent :
Ces quatre vers sont les étrennes tiennes :
Ces quatre vers te demandent les miennes.
Jean Ango, riche armateur et commerçant de Dieppe contribuera au versement de la rançon ; le roi lui en sera reconnaissant en lui délivrant une lettre de marque ; il se lança alors dans une guerre quasiment privée contre le Portugal : dommage que les incendies de Dieppe en 1694 et de Lisbonne en 1755 aient réduit en cendres les archives. Elles devaient en dire long sur les hauts faits de ce monsieur, au curriculum vitae bien garni : grenetier et contrôleur du magasin à sel de Dieppe, conseiller du corps de ville, receveur du temporel pour l’archevêque de Rouen, vicomte et capitaine de Dieppe au nom du roi, lieutenant de l’amiral de France. Il gérait encore ses domaines terriens et tenait salon littéraire, et tout cela ne l’empêchait pas de tailler des croupières au roi du Portugal ! On estime à un million de ducats, somme colossale si l’on pense qu’elle correspondait à ce que l’Espagne reçut en or et en argent des Amériques entre 1520 et 1525.
03 1526
Pizzaro repart vers l’El Dorado, avec 2 caravelles qui emportent 160 hommes. Il va parvenir dans le golfe de Guayaquil, sud de l’actuel Equateur, où il rencontrera le curaca – chef Inca – de Tumbes, qui lui fera visiter le temple du Soleil, où l’or décorait presque entièrement l’intérieur, l’assurant encore que Quito, Pachacamac, Cuzco, étaient beaucoup plus riches. Nous reviendrons, déclara encore Pizzaro.
21 04 1526
Bâber, turc de Ferghana, – à l’est de Taschkent – à la tête d’une petite principauté de Kaboul, s’y sent à l’étroit : il se lance à la conquête de l’Inde, passe l’Indus avec 12 000 hommes, et livre bataille à Pânîpat, au nord de Delhi contre une armée indo-afghane : 3 heures suffirent pour anéantir l’ennemi tant était supérieur son armement, notamment son artillerie et ses qualités manœuvrières. Pressé par ses soldats de rentrer au pays, il leur tint un ferme langage : Par des travaux de plusieurs années, en affrontant des épreuves, par de longs voyages, en me jetant moi-même et mon armée dans la bataille, par des sacrifices sanglants, nous avons réussi, avec la grâce de Dieu, à abattre ces masses d’ennemis afin d’acquérir de larges territoires, et maintenant, quelle est la raison pour laquelle nous irions abandonner ces pays que nous avons gagné au risque de notre vie ? Que nous servirait de demeurer à Kaboul, aux prises avec la pauvreté ? Puissions-nous donc ne pas prononcer de telles paroles, mais que ceux qui sont faibles et manquent de confiance tournent leur face vers le départ. Peu nombreux furent ceux qui répondirent à l’invite. Et pourtant, il savait lui aussi ce que peut être le mal du pays : Dans leur artisanat et dans leurs œuvres, il n’y a ni ordre, ni symétrie, ni rectitude, ni perpendicularité. Ils n’ont ni bons chevaux, ni bons chiens, ni bons raisins, ni bons melons, ni bons fruits, ni glace, ni eau fraîche
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Bâber a été l’une des plus curieuses figures de l’histoire. De taille moyenne, mais d’une force athlétique et d’une endurance prodigieuse, il était à la fois homme de guerre, poète, philosophe, homme d’État. Ferme et doux, il interdisait le pillage à ses soldats et traitait avec clémence ses ennemis. Pieux musulman sunnite, il était scrupuleux et n’avait qu’une parole. C’était surtout un merveilleux entraîneur d’hommes qui savait parler à la troupe et lui inspirer confiance. Bon vivant, jovial, grand buveur, ami des fêtes somptueuses et raffinées, féru de banquets où l’on mêlait jusqu’à l’aube la musique et la philosophie, la poésie et l’érudition, les vers mystiques et les couplets licencieux, réaliste, prompt à saisir les occasions, il sut s’adapter aux événements. Et c’est parce ce que Bâber fut un homme de cette trempe que le destin de l’Inde se trouva changé.
Pierre Meile. L’Inde. 1986
Il serait inconcevable de passer par Agra sans évoquer le souverain qui en fit – à contrecœur -, sa capitale: l’empereur Zahir-al-din-Babur (1483-1530), fondateur de cette dynastie moghole qui devait donner à l’histoire millénaire de l’Inde quelques-uns de ses plus beaux feux. Moghol vient de Mongol. Babour (dans l’orthographe française) descendait de Tamerlan par son père et des Gengiskhanides par sa mère. À douze ans, la mort de son père le rend maître de son apanage: la vallée de la Ferghana en Transoxiane. À l’en croire, à en croire les rares Occidentaux qui l’ont visitée, c’est un Jardin d’Éden centre-asiatique qui regorge de faisans, de melons, de pampres, de mandragores et de turquoises.
Sa jeunesse et son inexpérience ne feront pas long feu dans ce paradis, d’où il est chassé par des vassaux rebelles et plus roués que lui. Chassé aussi de Samarkande qu’il a brièvement conquise et gouvernée à l’âge de dix-sept ans, il s’empare, après trois dures années d’errance et de maquis en compagnie d’une poignée de fidèles aussi maigres et crottés que lui, du royaume de Kaboul dont il va faire un rêve de fontaines, d’eaux courantes, de platanes et de jardins. En 1526, il part à la conquête de l’Inde du Nord dont il devient maître après avoir écrasé à Panipat – à un contre dix – l’armée de l’Afghan Ibrahim Lodi dont la famille tenait le pays depuis plus d’un siècle.
Nous connaissons bien ce prince de la Renaissance timouride qui fleurissait alors en Asie centrale par le journal qu’il a tenu depuis son adolescence chaque fois que ses adversaires ou les charges de l’État lui en laissaient le temps. Il l’a rédigé dans sa langue maternelle, le tiirk tchaghataï, avec une précision, un humour, une franchise candide et savoureuse qui, très souvent, rappellent Montaigne.
[…] À ses origines mongoles, Babour doit sa droiture, son sentiment mystique de la nature, sa gaieté, sa générosité inconditionnelle à l’égard d’ennemis vaincus ou ralliés. En quoi il se conforme, peut-être sans le savoir, au code moral des Mongols, le Yasa instauré par Gengis Khan, maintenu jusqu’à Koubilaï Khan, et qui fit l’admiration des émissaires du pape ou de Saint Louis à la Cour – disons plutôt énorme levée de tentes fugaces et capitale transitoire – de Karakorum. Et aussi son goût de l’endurance physique et celui, plus fâcheux, de dresser des pyramides avec les têtes des ennemis abattus. C’est un cavalier infatigable doublé d’un excellent nageur. Il franchit à la nage tous les fleuves qu’il rencontre en Inde et note exactement le nombre de brasses que chaque traversée a exigé. Il raffole de lutte à mains nues et, une fois l’Inde conquise, de combats d’éléphants.
De son ascendance timouride il tient son goût pour la poésie persane – de la Cour d’Hérat où il est invité par des cousins, il écrit : on ne pouvait étendre sa jambe sans toucher le derrière d’un poète -, sa folie hydraulique des bassins, sources, vasques, fontaines et donc jardins qu’il installe partout où il passe et son goût immodéré des beuveries où le vin alterne avec l’opium. Où il paie bravement de sa personne non sans reconnaître que ces infractions continuelles forment comme une poussière sur le miroir de mon cœur. À la veille de la bataille de Khanja contre une formidable armée radjpoute qu’il redoute, il opte pour l’abstinence – façon de mettre Allah de son côté – et fait répandre au sol ou saler tout le vin qu’il avait expressément fait venir de Kaboul. Victoire éclatante qui ne l’empêche pas d’écrire le lendemain ce distique : Depuis que j’ai renoncé au vin je suis tout hors de moi-même et je n’ai plus ma tête à moi
Après ce succès militaire, il choisit Agra comme capitale pour des raisons stratégiques. Pour mieux surveiller les guerriers du Rajasthan avec lesquels les Moghols n’ont pas fini d’en découdre. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les lieux ne le séduisent pas. Il les inspecte et écrit : Ils étaient si déplaisants et désolés que je passai mon chemin avec cent répulsions et impressions hostiles.
La chaleur, la poussière, l’horizontalité de l’endroit le rebutent.
Les bassins et jardins qu’il fait aussitôt établir corrigent un peu cette morosité: Ainsi dans cette Inde sans charme ni régularité apparurent des jardins ordonnés et symétriques… les gens de l’Inde qui n’avaient jamais vu pareils aménagements donnèrent aux lieux que nous avions construits sur la Djumna le nom de Kaboul. Compliment qui le remplit d’aise. Kaboul dont il ne cesse de rêver avec nostalgie. Ses melons et raisins qu’il donne – à raison – pour les meilleurs du monde et qui le font, lorsqu’ils arrivent à Agra, par les relais postaux qu’il a fait établir entre l’Afghanistan et l’Inde en moins d’une semaine, pleurer pour tout de bon.
Bien que Babour n’ait jamais été des leurs, les chroniqueurs et historiens indiens – et particulièrement Nehru dans Discovery of India – lui portent amitié et estime. Sa mort n’y est pas pour rien. Babour aimait d’amour son fils Humayun, caractère fumeux, brouillon, indécis, dominé par ce père candide. Humavun s’était retiré loin des affaires, dans les provinces afghanes, et son père lui écrivait des mercuriales digues de la lettre de Grandgousier à Gargantua. Il finit donc par revenir et prêt à mourir des fièvres. Babour, utilisant un rituel d’origine mongolo-chamanique, fit trois fois le tour de son lit pour prendre sur lui la maladie de son fils, dont il mourut peu après. Certaines sources laissent supposer qu’il serait mort empoisonné par ce fils, profitant de cette coutume qui lui laissait les mains blanches. Personnellement je n’y crois pas. Humayun s’étant par la suite révélé bon administrateur de ce lourd héritage.
Ses successeurs vont rapidement s’indianiser, puisque comme toute l’histoire de l’Asie le prouve, les cultures sédentaires apprivoisent et subjuguent leurs conquérants nomades. Son petit-fils, l’admirable empereur Akbar, ira jusqu’à instaurer un syncrétisme qui réunissait ce que l’islam et l’hindouisme avaient de plus noble et de plus élevé. Projet magnifique dont l’histoire a prouvé ensuite qu’il n’était qu’un rêve. Un rêve au moins qui méritait d’être rêvé.
Nicolas Bouvier. Voyage. Journal de Genève 14 juin 1986
1 05 1526
François I° fait sortir Clément Marot du Châtelet – c’était alors une prison -. Amoureux éconduit de Diane de Poitiers, le poète s’était vengé par quelques vers satiriques ; la réponse de la bergère au berger ne fit pas preuve de l’élégance qui lui était coutumière ; il lui avait un jour parlé d’entorses faites au jeûne de carême non pas caché, mais devant tout le monde, disait-il, et c’est de cette broutille qu’elle se saisit pour le faire passer pour hérétique, et le faire enfermer, avec la perfidie qui n’abandonne jamais même la meilleure des femmes, [Irène Némirovsky Suite française p 285]. Cette ballade date de 1525, un an avant sa levée d’écrous. Cela ne l’empêchera pas de remettre le couvert 6 ans plus tard : c’est alors Marguerite de Navarre, sœur de François I°, qui lui évitera le bûcher. Et lui a dit tout bellement :
Prenez-le, il a mangé le lard.
Lors six pendars ne faillent mie
À me surprendre finement :
Et de jour, pour plus d’infamie,
Firent mon emprisonnement.
Ils vinrent à mon logement :
Lors ce va dire un gros paillard,
Par la morbleu, voilà Clément !
Prenez-le, il a mangé le lard.
Or est ma cruelle ennemie
Vengée bien amerement :
Revenge n’en veux, ne demie,
Mais quand je pense, voirement
Elle a de l’engin largement,
D’inventer la science et l’art
De crier sur moi hautement,
Prenez-le, il a mangé le lard.
Prince, qui n’eust eu pleinement
La trop grand’chaleur, dont elle ard,
Jamais n’eust dit aucunement,
Prenez-le, il a mangé le lard.
24 06 1526
À Saint Jean d’Acre, Génois et Vénitiens règlent un compte bien plus vieux que les croisades… En 1101, les Génois avaient obtenu des droits très étendus sur Saint Jean d’Acre, pour services rendus à la cause des Croisés. Par après, les Vénitiens, pour des raisons identiques, obtinrent de Baudouin I° un quartier de la ville : la rivalité des deux prestigieuses villes s’était installée au cœur de la ville, l’alternance de la mainmise des Arabes ou des Chrétiens sur la région n’y changeant rien. Début 1526, les Génois tentèrent de s’emparer en totalité de l’église de St Saba, à la limite des quartiers respectifs de chacun : ce fût le début des hostilités. Les Génois chassèrent les Vénitiens de la ville, avec la bénédiction de Philippe de Montfort, gouverneur de la ville, qui bannit les Vénitiens non seulement de St Jean d’Acre mais aussi de Tyr. Outragée, Venise fit alliance avec Pise et Manfred, roi de Sicile. Laurent Tiepolo, à la tête des troupes de Venise embarquées sur 14 galères, mit le cap sur St Jean d’Acre, brisa la chaîne qui fermait l’entrée du port, incendia les vaisseaux génois qui s’y trouvaient et prit d’assaut le couvent fortifié de St Saba : au point du jour, il était maître de la ville : les Génois durent acheter à prix d’or un armistice de deux mois et allèrent se réfugier à Tyr. Les autres princes chrétiens de la région prirent le parti de Venise. Les Génois parvinrent à rassembler une flotte de 44 vaisseaux auxquels les 38 galères de Tiepolo infligèrent une belle raclée, leur prenant 25 vaisseaux et 600 hommes. L’affaire était entendue pour un bon moment.
6 07 1526
L’état de grâce entre les rois du Portugal, Dom João III et celui du Kongo, Dom Afonso I°, né Mbemba Nzinga, est terminé : les abus des commerçants sont devenus insupportables et le roi du Kongo ne peut tolérer que la monnaie d’échange soit la déportation de ses sujets réduits en esclavage : Le 26 juin, nous avons appris l’arrivée dans notre port de Sohio d’un navire de V. Altesse. Nous nous en sommes réjouis grandement, car il y avait bien longtemps qu’aucun de vos navires n’avait abordé dans notre royaume en apportant des nouvelles de V. Altesse, nouvelles que nous avons bien souvent souhaitées, comme il est juste. De plus, nous manquons presque complètement de vin et de farine pour le saint sacrifice. Cela, d’ailleurs, ne nous étonne pas tellement, parce que nous nous trouvons souvent dans la même nécessité. Cela prouve, Seigneur, combien les officiers de V. Altesse se soucient peu de nous et ne nous apportent pas ce que nous demandons. Et pourtant, nous avons appris que V. Altesse le leur avait ordonné par décret, car c’était aussi bien le service de Dieu que le vôtre […] Seigneur, V. Altesse doit savoir que notre royaume va à sa perdition, de sorte qu’il nous faut apporter à cette situation le remède nécessaire. Ce qui cause beaucoup de dévergondages, c’est le fait que le chef de vote factorerie et vos officiers donnent aux marchands la permission de venir s’établir dans ce royaume, d’y monter des boutiques, d’y vendre des marchandises, même celles que nous interdisons. Ils les répandent à travers nos royaumes et provinces en si grande abondance que beaucoup de nos vassaux, que nous tenions jusqu’ici dans notre obédience s’en dégagent. C’est qu’ils peuvent désormais se procurer, en plus grande quantité que nous, ces choses mêmes avec lesquelles autrefois nous les maintenions soumis et contents dans notre vasselage et juridiction. Il en résulte un grand dommage tant pour le service de Dieu que pour la sûreté et le calme de nos royaumes et de nous-même. Nous ne mesurons même pas toute l’importance de ce dommage, car les marchands enlèvent chaque jour nos sujets, enfants de ce pays, fils de nos nobles vassaux, même des gens de notre parenté. Les voleurs et hommes sans conscience les enlèvent dans le but de faire trafic de cette marchandise du pays, qui est un objet de convoitise. Ils les enlèvent et ils les vendent. Cette corruption et cette dépravation sont si répandues que notre terre en est entièrement dépeuplée. V. Altesse ne doit pas juger que cela soit bon ni en soi ni pour son service. Pour éviter cet abus, nous n’avons besoin en ce royaume que de prêtres et de quelques personnes pour enseigner dans les écoles et non de marchandises, si ce n’est du vin et de la farine pour le saint sacrifice. C’est pourquoi nous demandons à V. Altesse de bien vouloir nous aider et nous favoriser en ordonnant à vos chefs de factorerie de ne plus envoyer ici ni marchands ni marchandises. C’est en effet notre volonté que ce royaume ne soit un lieu ni de traite ni de transit d’esclaves, pour les motifs énoncés ci-dessus. Nous demandons à V. Altesse, une fois encre, de l’imposer ainsi, car nous ne pouvons pas, d’une autre manière, remédier à un dommage si manifeste. Que Notre Seigneur, dans sa clémence, ait toujours V. Altesse en sa garde et vous permette de la servir. Je vous baise les mains à plusieurs fois.
Dom Afonso I°, né Mbemba Nzinga, roi du Kongo à Dom João III, roi du Portugal.
La syntaxe parfaite de cette lettre laisse songeur… le roi du Kongo aurait-il passé lui-même plusieurs années au Portugal pour en maîtriser ainsi la langue tout aussi bien que les structures politiques ? Ou bien est-ce un des ses nobles qui avait appris la langue au Portugal qui serait devenu son écrivain ? Il ne peut s’agir d’un faux… où l’on trouverait nombre d’entorses à la syntaxe.
29 08 1526
Les 55 000 hommes du sultan Soliman I° battent les 40 000 de Louis II, le jeune roi de Bohème et de Hongrie à Mohács, sur les bords du Danube. Louis II meurt dans la bataille. Le 10 septembre, Soliman entre dans Buda et incendie la grande bibliothèque Corvina, fondée en 1471 par le roi Mathias Corvin et réputée comme l’un des joyaux de la couronne hongroise. Les Turcs sont quasiment aux portes de Vienne.
Le royaume de Bohème-Hongrie est divisé en deux, puis trois parties. Ferdinand I° d’Autriche s’empare de la Haute-Hongrie (l’actuelle Slovaquie) et de l’ouest du royaume tandis que le voïvode de Transylvanie, Jean Zápolya, conserve le centre et l’est. À la mort de Soliman le Magnifique en 1540, la principauté de Transylvanie, agrandie du nord-est de la Hongrie royale, le partium, aura le choix entre deux vassalités : envers les Autrichiens, ou envers les Turcs : les voïvodes choisiront les Turcs, qui leur laissaient plus de marge de manœuvre, tant politique que religieuse.
Et la même année, un Français qui se promenait en terre turque appréciait la sécurité qui y régnait : Le pays est sûr et il n’y a nouvelles de nuls rapteurs…ni détrousseurs de grand chemin… L’Empereur ne tolère ni détrousseur ni voleur.
Des bibliothèques, le monde occidental n’en est pas avare, les initiateurs étant le plus souvent le pouvoir politique – souverains, grande noblesse – ou le pouvoir religieux, la plupart du temps de grandes abbayes bénédictines. On peut rêver d’un tour d’Europe des bibliothèques : l’extérieur ne brille pas souvent par son originalité, mais que de splendeurs dans les salles, que de somptueuses menuiseries, balcons, escaliers pour petite princesse aux pieds nus : en Hongrie la Bibliothèque Széchényi au château Buda et l’abbaye de Pannonhalma feront oublier la bibliothèque Corvin. En Autriche, l’ancienne abbaye de Melk, qui surplombe le Danube, et encore l’abbaye bénédictine d’Admont avec une salle de 70 mètres de long, et encore la Grande Bibliothèque d’Autriche à Vienne, au Palais Hofburg et Mollard-Clary. En Tchéquie, le monastère Strahov à Prague, en Roumanie, la grande bibliothèque de Bucarest. En Allemagne, la bibliothèque Waldsassen ; en Angleterre, les bibliothèques d’Oxford, et Wren, du Trinity College ; en Hollande, l’ancien palais de Justice de La Haye ; en Espagne, l’Escurial ; au Portugal, les bibliothèques de Mafra, un ancien monastère, de Lello à Porto, avec une salle de 88 mètres de long, de Joanina à l’Université de Coimbra. En France la bibliothèque Richelieu, ex Bibliothèque Nationale. Et au Vatican, la bibliothèque éponyme.
1526
Bartolomeo Beretta, 36 ans, né à Gardone, sur le territoire de Brescia, a fondé une fabrique de canons : le maestro da canne livre 185 canons d’arquebuses à la République sérénissime de Venise. La maison ne fera que croître et embellir, les canons faisant place aux pistolets, prenant rang aujourd’hui dans le club très fermé des Hénokiens, entreprises familiales à même de revendiquer plus de 200 ans d’existence.
Après quatre ans de captivité à Ternate, Gonzalo Gómez de Espinosa, capitaine de l’ex Trinidad, Ginés de Mafra, pilote, et Juan Rodriguez, marin sourd de 48 ans rejoignirent Hans Vargue, canonnier, sur un navire à destination de Lisbonne, où on les remit en prison. Vargue y mourra. Espinosa, Mafra et Rodriguez, finalement libérés de Lisbonne, retourneront à Séville, où on les remettra en prison. Ils seront finalement jugés et libérés l’année suivante, en 1527. L’épouse de Mafra s’était remariée : il repartira comme pilote dans le Pacifique : on ne peut pas garder rancune au monde entier ! il devait estimer que les misères imposées par son épouse étaient pires que celles endurées dans le Pacifique. Rodriguez reprendra lui aussi du service sur le route des Indes. Espinosa dut encore subir les abus de pouvoir de la Casa de Contratación, puisqu’il ne put jamais percevoir intégralement la généreuse pension que lui avait accordé Charles Quint : 112 500 maravédis ! Charles Quint rattrapa l’affaire en lui offrant un poste d’inspecteur et il finit sa vie à Séville. La destinée des autres personnages de cette immense aventure ne sera pas d’un seul tonneau : les trois cadres parmi les 18 survivants parvenus à Séville, Elcano, Albo et Bustamente, furent princièrement reçus par Charles Quint, pensionnés, mais aussi abondamment interrogés à la sortie de la réception, par le grand personnage qu’était Maximilien de Transylvanie, secrétaire du roi. Elcano était suffisamment finaud pour donner une version de l’aventure qui minimise son rôle de mutin à Port Saint Julien, qui charge Magellan lequel, pour les Espagnols sera resté à jamais un Portugais à l’endroit duquel on ne pouvait éprouver de sympathie naturelle. On n’ira pas jusqu’à dire qu’Elcano prêchait des convertis, mais il y avait quelque chose qui y ressemblait. Antonio Pigafetta fut probablement interrogé, mais sa loyauté et son admiration jamais démenties pour Magellan rendirent les interrogatoires plus discrets. Son passé de diplomate lui permit de transmettre sans difficulté son récit au roi du Portugal et même à François I°. L’homme sut très bien gérer sa carrière ; installé à Venise, il obtint l’exclusivité de l’édition de son journal. Elcano retrouva du service en 1525 comme second d’une deuxième armada de Molucca, qui connut un sort à peu près identique à la première, l’expérience d’Elcano ne parvenant pas à éviter les erreurs antérieures : tempêtes, scorbut, 3 navires rapidement perdus. Francisco García Jofre de Loaysa, l’amiral, meurt du scorbut, nommant, mais trop tard, Elcano amiral : celui-ci mourut 5 jours plus tard lui aussi du scorbut, le 4 août 1526. Un seul navire atteignit les Moluques. Sur les 450 hommes partis, seulement 8 revinrent en Espagne. Charles Quint s’entêtera, y envoyant encore Sébastien Cabot, alors piloto mayor de Séville, lequel ne parvint pas à dépasser le Rio de la Plata. Hernándo Cortés s’y essaiera aussi, depuis la côte ouest du Mexique, c’est-à-dire avec à peu près 2 fois moins de distance : un seul navire atteignit les îles aux Épices, qui se fera capturer par les Portugais. Les hommes du Victoria restés aux mains des Portugais aux îles du Cap Vert le 15 juillet 1522, seront libérés au compte gouttes au cours de l’année suivante, sur les patientes et insistantes pressions de Charles Quint auprès du roi João III du Portugal. Les mutins rentrés à Séville à bord du San Antonio furent finalement tous libérés ; l’ancien capitaine du navire, Alvaro de Mesquita, en dépit du soutien du beau-père de Magellan, demeuré à Séville, et de celui des 18 survivants du Victoria, dont les récits vinrent confirmer le sien, ne sera finalement gracié que dans le cadre d’une amnistie générale visant à mettre fin à toute controverse : ne voulant plus entendre parler de la justice espagnole, il repartit au Portugal.
En séjour à Grenade, Charles Quint donne ordre que l’on ne change rien à l’Alhambra, le palais des Nasride, mais que l’on construise tout à coté un palais de style renaissant. C’est donc à lui que l’on doit de pouvoir aujourd’hui s’émerveiller de ces splendeurs.
Hassan al-Wazzan, initialement ambassadeur maghrébin, devenu esclave car capturé par des pirates siciliens et offert au pape Léon X, alias Léon l’Africain, liste pour son maître les cadeaux offerts au sultan de Fès : 50 esclaves noirs, et 50 autres femmes esclaves noires, 10 eunuques, 12 chameaux, une girafe, 10 autruches, 16 chattes civettes, une livre de musc fin, une livre de civet, une livre d’ambre gris, et presque 600 peaux d’un certain animal [oryx] avec lesquels sont fabriqués des boucliers très légers, chaque peau valant huit ducats. Les esclaves noirs valaient 20 ducats l’un, les femme 15 l’une, et chaque eunuque en coûtait 40. Les chameaux valaient 50 ducats l’un.
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[1] Parmi les indemnités en espèce figurant dans les ressources d’un bourreau figurait un pain, que le boulanger mettait de côté pour lui en le retournant afin de le reconnaître, d’où la malédiction du pain retourné.
[2] … dont Pierre Magnan dit qu’il ne manquait aucune occasion de s’agiter le pilon [Chronique d’un château hanté. Denoël 2008]
[3] Lettres dont Guiffrey a prouvé que leur auteur en est Françoise de Foix, comtesse de Chateaubriant, maîtresse de François I°, et non Diane de Poitiers.
[4] C’est bien lui qui a donné son nom à la viande de bœuf crue coupée en tranches : en 1950, à Venise Vittore Carpaccio 1465-1526 avait droit à une grande exposition et donc, on parlait de lui. Giuseppe Cipriani, chef cuisiner au Harry’s bar de Venise avait pour cliente la Comtesse italienne Amalia Nani Mocenigo qui, astreinte à une diète sévère, ne pouvait pas manger de viande cuite. Le rouge était la couleur dominante de la prédication de Saint Étienne à Jérusalem de Carpaccio, et c’est ainsi que Cipriani donna le nom de Carpaccio à sa préparation pour la comtesse. Il l’aurait nommé Mocenigo, ça n’aurait eu probablement aucun succès, on aurait cru à la limite que c’était un fromage. Le marketing n’a pas attendu d’être nommé pour exister.
[5] dans le genre glissement phonétique – courant macho – de café de commerce, on a aussi le remède de bonne femme, qui n’est autre qu’une parenté phonétique avec l’expression d’origine : remède de bonne fame, du latin bone fame : bonne réputation.
[6] Ce quartier était situé à coté d’une ancienne fonderie – ghetto -, en italien. L’emploi de ce mot pour signifier un quartier réservé aux Juifs ne signifie pas que c’est à Venise que ce phénomène a eu lieu pour la première fois : l’Espagne avait déjà crée à Valladolid des barrios – quartiers – réservés aux Juifs dès 1413.