Le camp de la paix ne l’a pas emporté : les États-Unis attaquent l’Irak : 250 000 hommes basés pour l’essentiel au Koweït, mais aussi en Turquie, Arabie Saoudite, Djibouti. 6 porte-avions, embarquant 480 avions. 60 000 hommes de plus sont mobilisés en Allemagne et aux États-Unis. Sont dans leur camp l’Angleterre, avec 20 000 hommes et un porte-avion, et l’Espagne qui, dans les travées des supporters crie : olé.
C’est probablement la plus grande faute politique commise depuis la fin de la 2° guerre mondiale, fondée sur des mensonges éhontés, avec force de serments – je jure de dire toute la vérité et patati et patata – proférés par Georges Bush, gobés par la Chambre des Représentants et le Sénat Américains : c’est sur ce terreau que va naître DAECH, concurrent d’Al Quaïda, en plus redoutable encore : fort de très nombreux anciens officiers de Saddam Hussein. En fait, les Américains avaient brandi ce bobard d’armes de destruction massive, pour cacher la véritable raison qui était de récupérer le pétrole irakien car ils s’étaient persuadés que l’Arabie saoudite était au bord de l’explosion et que leur approvisionnement de ce côté allait cesser. Plus largement, à la faveur de cette supposée explosion prochaine de l’Arabie, ils craignaient l’arrivée au pouvoir dans tout le monde arabe des islamistes extrémistes, et donc s’étaient mis à soutenir les moins extrémistes des radicaux islamistes : les Frères musulmans. Ce serait encore une faute que de croire que le radicalisme est l’apanage des musulmans, car c’est bien de radicalisme qu’il s’agit dans l’entourage du président Georges W. Bush Junior, avec ses Républicains évangélistes qui placent tout de suite l’affaire sur le plan religieux avec des anathèmes du style forces du Mal, étant sous-entendu évidemment que les forces du Bien, ce sont les Etats-Unis etc…
Allons, vous le savez bien : autour de cette guerre d’Irak grandit l’angoisse ineffable du conflit de civilisations entre l’Occident et les peuples d’islam… L’annonciateur d’un choc de civilisations – lui, il en rêve ! – fut Ben Laden, l’illuminé, lorsqu’il fit s’écrouler, à New York, les tours jumelles de l’orgueil occidental. Auparavant, la maladie avait conquis l’Afghanistan, fermentait au Pakistan, essaimait en Bosnie, Tchétchénie, infestait quelques repaires clandestins de Londres ou Paris, poussait jusqu’aux Philippines, partout où le fanatisme sacralise une révolte, enflamme une misère. Mais c’est le fracas du 11 septembre qui date la déclaration d’une guerre nouvelle. Bien sûr, les pouvoirs des pays musulmans dénoncent cette maladie mentale de l’Islam Mais ils le font avec une cautèle qui brouille, qui efface les frontières de l’interdit dans les opinions chauffées à blanc.
… Depuis deux millénaires, sur ces collines exaltées du Dieu unique, la croix et le croissant ferraillent entre les tombes… comme si les deux religions fratricides obéissaient, dans le décalage historique, au même cycle pour retremper dans le sang leurs Saintes Écritures… Depuis que le monde est monde, Dieu ne rate aucune guerre. Il hante chaque camp en appariteur sublime de la mort ! … Au fond de toute cette géhenne, on bute contre le retentissant échec des pays de l’aire arabo-musulmane. La liberté n’y fleurit toujours pas et la misère, depuis quatre siècles, y étouffe un passé glorieux. Sous cet outrage historique, la réaction furieuse de l’islam le porte à l’enragement, à la paranoïa, à la recherche de boucs émissaires. Mais vient déjà, pour les meilleurs d’entre eux – laïcs et imams – l’examen de conscience. Car l’islam constitue à lui seul le logiciel d’un fatalisme et d’une rigidité qui tétanise le monde musulman. Sa prétention à régenter tout à la fois le privé et le collectif, à courber les fidèles dans la soumission et la frustration voue ses sectateurs à une infériorité inévitable.
Après la guerre, si, comme prévu, le terrorisme reprend du poil de la bête, ce sera pour jeter ses derniers feux. Car l’islam finira par trouver ses Luther, ou ses Calvin, ses apostats et ses agnostiques. L’esprit de réforme, encore jugulé, prend déjà racine chez les jeunes Arabes. Ils cherchent à l’échec une autre sortie que le terrorisme et sa jactance médiévale. Ils savent aussi que l’unité politique de l’islam est un fantasme…
Claude Imbert. Le Midi Libre 7 avril 2003
Et l’Europe, faisant monter le débat d’un cran, se serait sortie grandie, la tête haute, de cette criminelle affaire, si elle avait, dans les pas de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin, traduit devant le TPI – Tribunal Pénal International – Georges Bush Junior pour crimes contre l’humanité, et l’affaire n’aurait pas été bien longue à instruire, l’accusé ayant lui-même fabriqué de toutes pièces tous les chefs d’inculpation.
10 au 14 04 2003
La Bibliothèque de Bagdad est pillée :
Hier, les livres ont été brûlés. Les pillards sont arrivés les premiers, puis les incendiaires. C’était le dernier chapitre du sac de Bagdad. La Bibliothèque nationale et les Archives nationales, trésor d’une valeur inestimable plein de documents historiques ottomans – y compris d’anciennes archives impériales – ont été réduites en cendres à une température de 3 000 degrés… J’ai vu les pillards. L’un d’eux m’a maudit lorsque j’ai essayé de réclamer un recueil de lois islamiques que portait un enfant qui n’avait pas dix ans. Parmi les cendres de l’histoire irakienne, je suis tombé sur un dossier dont les feuillets voletaient dans les airs : des lettres manuscrites provenant de la cour de Shérif Hussein, à La Mecque – qui donna le signal de la révolution arabe contre les Turcs – adressées à Lawrence d’Arabie et aux gouverneurs ottomans de Bagdad.
Et les troupes américaines n’ont rien fait. Tout voletait au-dessus de la cour remplie de saletés : des lettres de recommandation adressées aux cours d’Arabie, des demandes de munitions pour les troupes, des rapports sur des vols de chameaux et sur des attaques de pèlerins, tout cela écrit dans une calligraphie délicate. Je tenais entre mes mains les ultimes vestiges de l’histoire écrite de l’Irak. Mais, pour l’Irak, cette année est l’Année zéro ; avec la destruction des antiquités du Musée archéologique national, ce samedi, et l’incendie des Archives nationales, puis de la Bibliothèque coranique, l’identité culturelle de l’Irak a été effacée. Pourquoi ? Qui a mis le feu ? Dans quel but dément a-t-on détruit tout cet héritage ?
Robert Fisk. The Guardian 15 avril 2003
Et bien évidemment elle n’est pas la seule à connaître le pillage ; on verra même des membres de forces internationales s’y livrer…. le pompier pyromane : À la mi-mai 2004, à Thee Qar, des douaniers ont confisqué des centaines d’objets, y compris des tablettes gravées, transportées à bord d’un camion des forces italiennes qui se dirigeait vers l’instable frontière avec le Koweït.
Fernando Báez. Histoire universelle de la destruction des livres Fayard 2008.
Mais il ne faut pas céder aux propos catastrophistes : des responsables ont senti venir les vents mauvais et pris les mesures qu’ils étaient à même de prendre :
Alors que le ministère du pétrole est sécurisé par les GI, le Musée archéologique est laissé sans surveillance. Une horde de pillards déferle aussitôt dans les 32 salles de cette institution, vitrine des plus anciennes civilisations de l’humanité. Au sous-sol, les réserves sont forcées par des mains expertes, qui emportent un butin choisi. En trois jours de razzias, des milliers de pièces de l’Antiquité sont volées, fracassées ou mutilées. Vases babyloniens, marbres romains ou parthes, poteries de Perse ancienne, bronzes akkadiens, tablettes en terre cuite sumériennes gravées d’inscriptions cunéiformes, la plus vieille écriture connue du monde… Le choc est immense.
Mais le trésor de Nemrod, joyau d’entre les joyaux, ne figure pas sur la liste des objets disparus : les 72 kg de bijoux en or massif, découverts en 1989 dans les tombes de reines assyriennes du IXe siècle avant J.-C., seront offerts, début juillet 2003, pendant une heure, aux regards émerveillés de la presse internationale. Tiares, colliers, bracelets et ceintures ont passé toute la guerre dans la chambre forte de la Banque centrale de Bagdad. La plupart des fleurons de la collection avaient été mis à l’abri, ici ou là, juste avant le début des hostilités.
Pendant les 11 années suivantes, une chasse aux trésors volés s’organisera de façon plutôt informelle, bien aidé par la publication par l’UNESCO sur Internet de la liste des objets volés, qui parviendra à remettre la main sur un tiers des 15 000 pièces, dont la plus prestigieuse : la statue sans tête de Basedki, une sculpture en cuivre datant de 2250 avant Jésus-Christ.
Des manuscrits en hébreu ont dormi au quartier général des moukhabarrat – les services secrets – et dans un abri antiatomique. Quelque 8 000 pièces majeures, sur un total de 170 000, ont été entassées dans des cantines en zinc, à l’initiative de Selma Nawala Al-Moutawalla, la directrice des antiquités, puis emmurées dans une salle au sous-sol du musée. Aussi pieuse que prévoyante, la fonctionnaire avait juré sur le Coran de ne pas révéler la cachette à ces infidèles d’Américains. Jusqu’à ce que le diplomate italien responsable de la culture au sein de l’administration intérimaire mise en place à Bagdad, Pietro Cordone, la persuade de parler. Les pièces les plus précieuses ont échappé au pillage, souligne Qaïs Rashid. Ce qui a été volé provenait essentiellement des dépôts.
Benjamin Barthe. Le Monde 7 juin 2014
En quittant le terrain directement politique pour tenter d’en trouver un où les convergences soient possibles, la science par exemple, on réalise que les Calvin et Luther de l’Islam ne sont pas encore nés : en témoigne cette interview éclairante de Faouzia Charfi, physicienne tunisienne qui brosse un excellent historique de l’évolution de la science au sein de l’Islam. Les propos sont recueillis par Frédéric Bobin, correspondant du Monde à Tunis, publiés dans le Monde du 18 10 2017.
Le monde musulman a une tradition scientifique riche. Quels en sont les grands courants ?
Le monde musulman était à l’avant-garde de la science entre les VIIIe-IX° siècles et le XV° siècle. La science arabe a innové, elle a introduit de nouveaux concepts. On pourrait citer Ibn al-Haytham (Alhazen pour les latins) qui jette les bases au début du XI° siècle de la théorie de l’optique. Il formule les lois de la réflexion qu’on étudiera plus tard à l’université comme les lois Descartes. Il s’est aussi intéressé à l’astronomie. Il a écrit un ouvrage extrêmement intéressant : Doutes sur Ptolémée. Ptolémée voyait le monde avec une Terre au centre, la Lune satellite de la Terre, et tout gravitait autour de la Terre. Alhazen pose un certain nombre de questions sur la démarche de Ptolémée sans toutefois remettre en cause le géocentrisme.
On peut aussi s’intéresser à un autre foyer de la science musulmane : l’observatoire de Maragha mis en place en Iran au XIIIe siècle et qui a permis à un certain nombre d’astronomes de proposer une vision du mouvement des planètes beaucoup plus mathématique que dans le système de Ptolémée. A l’époque, les penseurs réfléchissaient de manière très libre sur tous les sujets scientifiques.
On pourrait aussi parler d’Al-Jahiz (776-869), un savant mutazilite – école théologique rationaliste – qui s’était intéressé aux êtres vivants. Il a écrit ce fameux Livre des animaux, un ouvrage magnifique. Al-Jahiz introduit déjà la notion d’évolution des espèces et interroge le rôle que peut jouer l’environnement dans cette évolution. C’est une rupture par rapport à ce qu’on pensait alors. Après lui, il y a eu les membres de l’association Ikhwan al-Safa (les Frères de la pureté) qui présentent au Xe siècle une chronologie d’apparition des êtres vivants. Puis Ibn -Miskawayh au XI° siècle qui parle, lui aussi, de l’évolution des espèces. Et Ibn Khaldoun au XIV° siècle a un passage magnifique dans les Prolégomènes où il parle de l’évolution des espèces. Ibn Khaldoun évoque un homme doué de raison qui vient après le monde simiesque.
Pourquoi une telle dynamique intellectuelle s’est-elle ensuite enrayée ?
Effectivement, la science a quitté le monde musulman. Cela s’est fait de manière progressive. A ce sujet, je cite souvent un fait précis. En 1575, à Istanbul, le sultan ottoman Mourad III décide la construction d’un énorme observatoire, très sophistiqué pour l’époque. Deux ans plus tard, une comète apparaît dans le ciel et l’astronome d’Istanbul, Ibn Ma’ruf, prédit la victoire du sultan à telle bataille. Exactement à la même période, Tricho Brahé, le grand astronome danois, dispose dans le château d’Uraniborg du même type d’observatoire. Et face à la même comète de 1577, il l’analyse et lui attribue une orbite centrée sur le Soleil, probablement elliptique. Une telle analyse est une révolution, elle remet en cause deux fondements de l’astronomie antique : le ciel n’est pas immuable, les corps célestes ne reposent pas sur des sphères solides mais circulent librement. Mais à Istanbul, on continue de voir les comètes dans leur dimension magique. Finalement, le sultan Mourad III, ayant perdu la bataille, en veut à son astronome et fait détruire l’observatoire.
La science a ainsi disparu au cours des siècles du monde musulman. La science arabe a produit un patrimoine extraordinaire mais ce dernier n’a été intégré dans aucun cursus des grandes universités musulmanes de l’époque : la Zitouna à Tunis, Karawiyin à Fez ou Al Azhar au Caire. Elles qui auraient dû être le vecteur de la transmission de toute cette civilisation n’ont pas joué ce rôle-là. Elles se sont contentées d’être un vecteur de transmission de la seule tradition, une tradition qui exclut la science. En somme, il n’y a pas eu de passeurs de science.
Le dogmatisme s’est imposé à la place ?
Là, le rôle du pouvoir politique est fondamental. Celui-ci s’était appuyé sur les oulémas, les hommes de la tradition, qui eux-mêmes ne voulaient pas d’une science qui remette en cause la vérité de la révélation. A partir des Xe-XIe siècles, la pensée acharite s’impose, en rupture avec le mutazilisme. Cette pensée pose que la puissance de Dieu domine le monde. Les lois scientifiques ne sauraient donc remettre en cause cette toute-puissance. Dieu est la cause première mais il est aussi maître des causes secondes. Il n’y a pas de principe de causalité. Et s’il n’y a pas de causalité, il n’y a pas de science.
Au XI° siècle, l’un des penseurs emblématiques de ce courant acharite, Abû Hamid -Muhammad al-Ghazali, écrit que la raison n’est à retenir que si elle est au service de la vérité de la révélation. Un peu moins d’un siècle plus tard, à Cordoue, le grand philosophe andalou Ibn Rushd (Averroès en latin) a remis en cause les arguments d’Al-Ghazali pour redonner à la raison toute sa place. Mais aujourd’hui, c’est la pensée d’Al-Ghazali, source d’enfermement dogmatique, qui domine dans le monde musulman et non celle d’Averroès.
Depuis quelques années, des intellectuels musulmans cherchent à se réapproprier la science. À ce sujet, vous parlez de concordisme. Qu’est-ce que ce concept recouvre ?
Selon le concordisme, toute la science moderne, sauf celle qui s’intéresse à l’origine de l’homme, existe déjà dans les versets coraniques. Le big bang, les trous noirs, l’exploration spatiale, l’embryologie, etc., toutes ces découvertes-là figuraient déjà, explique-t-on, dans le texte coranique il y a mille quatre cents ans. Et on insiste sur l’illettrisme du prophète Mohammed pour mieux souligner son caractère miraculeux. Il y a de larges développements pour affirmer, texte coranique à l’appui, que l’expansion de l’Univers est prévue par tel ou tel verset. Le concordisme, c’est de considérer que la science d’aujourd’hui concorde avec un certain nombre de versets coraniques et que cela met en valeur le caractère miraculeux de la religion musulmane. Ainsi énumère-t-on les miracles scientifiques du Coran.
Vous soulignez l’existence de liens entre le concordisme musulman et le créationnisme anglo-saxon. Quels sont-ils ?
Depuis les années 1980 s’est nouée une sorte d’alliance entre les évangéliques américains et les islamistes, lesquels acceptent la science sous certains aspects concordistes mais en refusent la théorie de l’évolution. En Tunisie, on a bien vu cette attaque contre Darwin se développer à compter du milieu des années 1970.
Avec Internet, le mouvement s’est amplifié dans les années 1990. Il existe ainsi un site créationniste turc, animé par Harun Yahya (aussi connu sous le nom d’Adnan Oktar), auteur de L’Atlas de la création (Global Publishing, 2006), qui est en relation directe avec des créationnistes américains. Ces courants dénoncent le darwinisme comme une philosophie matérialiste. Pour les créationnistes musulmans, la théorie de l’évolution n’est pas une théorie. C’est grave, il y a là une déconstruction de la science. En juillet, la Turquie d’Erdogan a retiré Darwin des programmes scolaires.
La Tunisie a toujours su affirmer sa singularité dans le monde musulman. Vous êtes pourtant inquiète. Pourquoi ?
Je suis inquiète car le processus que je viens de décrire est aussi en train de nous arriver, et ce malgré tous les efforts de la Tunisie depuis l’indépendance, en particulier dans l’éducation. En 2002, Ben Ali – au pouvoir de 1987 à la révolution de 2011 – avait par exemple supprimé l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les sections mathématiques, c’est-à-dire aux futurs ingénieurs. En 2009, le mufti de la République expliquait que la théorie de l’évolution était fausse. C’est là le paradoxe de ce type de régime autoritaire qui combat apparemment les islamistes tout en leur faisant des cadeaux.
Aujourd’hui même, les causes d’inquiétude sont nombreuses. J’ai eu l’occasion de constater que des lycéens sont séduits par la mise en scène des miracles scientifiques du Coran. Cela leur donne l’assurance qu’au fond le monde musulman n’est pas si éloigné de celui qui aujourd’hui produit la science. Quant à la théorie de l’évolution, j’ai des collègues qui ont de réelles difficultés à l’enseigner à l’université.
Ce qui est grave, en fait, c’est qu’il n’y a pas débat à ce sujet. Ce qui permet à ceux qui veulent faire passer leurs idées de continuer leur travail. Pour moi, l’école et l’université sont aujourd’hui en danger en Tunisie. Une étudiante diplômée de la faculté des sciences de Sfax a ainsi voulu soutenir une thèse concluant que la Terre est plate et fixe au centre de l’Univers. Elle a pu travailler sur ce sujet-là pendant quelques années sans qu’aucun de ses collègues ne réagisse. L’affaire n’a éclaté cette année que lorsque l’information a filtré sur Facebook. L’étudiante n’a finalement pas été autorisée à soutenir la thèse. Mais cela s’est arrêté là. Il faut admettre que le milieu scientifique, de manière générale, est séduit par les thèses islamistes. Les scientifiques enseignent quelque chose qu’ils n’ont pas réellement adopté. Ils enseignent la science mais je ne suis pas sûre qu’ils soient au fond imprégnés de l’esprit scientifique.
14 04 2003
Annonce de la fin du séquençage du génome humain, entrepris en 1990. Le génome humain est l’ensemble de l’information génétique portée par l’ADN sur les 23 paires de chromosomes présent dans le noyau plus l’ADN mitochondrial (hérité de la mère uniquement). Il porte l’ensemble de l’information génétique humaine, estimée à 100 000 gènes avant le séquençage et qui s’est révélée contenir finalement de 20 000 à 25 000 gènes. Cette entreprise de grande ampleur est le résultat d’une coopération scientifique internationale qui s’est étalée sur près de quinze ans. Elle a donné lieu sur le final à une très vive compétition entre le consortium public international et une société privée, Celera Genomics. Surprise : le budget prévisionnel initial qui avait été estimé à 7 milliards $ s’est révélé finalement inférieur à cette somme. Et quinze ans plus tard, le coût de ce séquençage sera ramené à 1000 $.
16 05 2003
Deux frères se battent sur le parking du Pont du Gard contre des vigiles du site pour une histoire de ticket de parking. Ils écopent de trois mois de prison avec sursis. Ils doivent se soumettre à un prélèvement d’ADN, que la loi autorise à refuser. Deux ans plus tard, Robert Greiner, pompier professionnel, qui avait jusque là refusé, finit, on ne sait pourquoi, par accepter. Et là, bingo, c’est le même ADN que celui de l’assassin d’Évelyne Boucher, 16 ans, qu’il avait violé puis tuée le 7 décembre 1987 sur la commune des Angles, à proximité de son domicile de Villeneuve les Avignon, laissant son sperme et donc son ADN. Il sera condamné à perpette par la Cour d’Assise du Gard le 10 avril 2008. Il mourra en prison le 15 janvier 2023, sans jamais avoir reconnu son crime.
31 05 2003
Air France arrête l’exploitation de Concorde. British Airways en fera autant cinq mois plus tard.
06 2003
Lancement de Mars Exploration Rover (États-Unis), pour étudier la géologie de la planète, et de Mars Express (Europe) : géologie, photo et cartographie. Les américains y ont mis deux robots à roues : Spirit et Opportunity, munis d’une batterie de caméras haute définition. Les Européens ont utilisé une fusée russe Soyouz. Le satellite est muni d’un atterrisseur Beagle 2, qui analysera le sol pour y découvrir des vestiges de la vraie vie, si, si, s’il parvient à amarsir.
5 07 2003 18 h 50
Yvan Colonna, l’assassin présumé du Préfet Claude Érignac en février 98, est arrêté dans une bergerie, au lieu-dit Margantaghia, près du village de Porto Pollo, commune d’Olmeto, à 10 km à vol d’oiseau à l’ouest-nord-ouest de Propriano. Pendant sa longue cavale, il n’aura jamais quitté son île, jouant à merveille de la solidarité clanique.
10 07 2003
Bernard Faivre d’Arcier, président du Festival d’Avignon annonce, la mort dans l’âme, son annulation, du fait des grèves des intermittents du spectacle. Bartabas, qui se sent solidaire avant tout de ses chevaux et de sa troupe, se retrouve en pleurs, démuni, désarçonné. La voix tremblante, il lancera aux artistes en grève : Un artiste n’est pas un ouvrier du divertissement qui compte ses heures, il se consume au feu de sa passion. Je n’ai jamais compté avec les pouvoirs publics, jamais demandé de subventions au ministère de la Culture, jamais entaché ma liberté avec des sponsors, et j’ai toujours considéré qu’un artiste digne de ce nom respire, œuvre, souffre, exulte en marge de la société. Puis, un ton nettement au-dessus : J’envoie chier tous les gens de la CGT.
Décidément ce garçon, non seulement il est génial, mais en plus il en a dans le pantalon ! Par les temps qui courent, la présence des deux en un seul homme est chose rare.
30 07 2003
Célia, une bouquetin femelle des Pyrénées espagnoles est morte trois ans plus tôt, écrasée par un arbre lors d’un orage. Des scientifiques ont prélevé quelques cellules de peau qui ont permis de la cloner, donnant naissance à Célia II qui, atteinte d’une malformation pulmonaire, vivra … moins de dix minutes. Et, pour en arriver là, il aura fallu plus de 1 000 embryons et une cinquantaine de mères-porteuses pour obtenir un nouveau-né atteint de malformations. Mais ceux qui préfèrent voir le verre à moitié plein diront que c’est tout de même le début d’un exploit et ceux qui préfèrent voir le verre à moitié vide diront que c’est pas demain la veille qu’on y parviendra.
07 2003
Création de la marque Tesla, une voiture américaine électrique.
On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende. Ainsi s’achève L’homme qui tua Liberty Valance (1962), western de John Ford, où l’on découvre que le héros qui a tué le bandit (Lee Marvin) n’est pas celui que l’on croyait. L’imposteur (James Stewart) est devenu sénateur quand le courageux cow-boy (John Wayne) est mort dans l’anonymat.
Contrairement à Liberty Valance, nous ne voudrions pas publier la légende, a expliqué Le Monde à Martin Eberhard quand il lui a fait part du projet qui consistait à raconter la véritable histoire des fondateurs de Tesla. Sa réponse fut immédiate : J’appréhende un peu ces demandes ; cela conduit toujours à la publication d’articles d’adoration pour Elon Musk. Le vrai fondateur de Tesla a fini par accepter. L’ingénieur vit aujourd’hui dans sa maison de Californie, si isolée et éloignée des technologies modernes que l’entretien a eu lieu sur un bon vieux téléphone fixe…
Martin Eberhard ne le cache pas : Je ne suis pas un grand fan d’Elon Musk. Il prétend qu’il a fondé la compagnie, mais il n’était pas là, vous savez, poursuit l’ingénieur. Il n’a jamais mis les pieds dans notre premier bâtiment de Menlo Park [Californie]. Il était un investisseur. Il n’avait pas de bureau, il venait pour les conseils de surveillance. De la fondation de Tesla, en juillet 2003, à la fin 2007, le PDG opérationnel de l’entreprise, c’était Martin Eberhard. Mais très tôt, Elon Musk a cru dans l’affaire et y a investi sa fortune personnelle, alors qu’Eberhard n’avait pas un sou en poche.
Certes, celui-ci avait lancé avec succès une start-up de livres électroniques, Nuvo Media, dans les années 1990, avec son ami de toujours, Marc Tarpenning, mais ce n’était pas assez pour financer la construction d’un prototype de voiture électrique. Je n’étais pas un type riche comme Musk. Savez-vous quelle part je détenais dans ma boîte quand je l’ai vendue ? 2 %. Et ma femme en a eu la moitié lors de notre divorce… L’entreprise ayant été évaluée un peu moins de 200 millions $ (environ 175 millions € d’aujourd’hui), cela lui a laissé 2 millions… avant impôts.
Alors lorsque début 2004, un certain Elon Musk le convie à venir le rencontrer du côté de Los Angeles, Martin Eberhard n’a pas le choix. Il dit oui aux 6,5 millions $ offerts par Musk, qui devient ainsi premier actionnaire et président du conseil de surveillance de Tesla. Et c’est le même qui demandera à Eberhard de démissionnerfin 2007, quand il faudra franchir une nouvelle étape et passer des prototypes à la production industrielle. Un compromis accepté par les deux hommesaccordera plus tard à Elon Musk le titre de cofondateur de Tesla.
Revenons au début de l’aventure. Au tournant du siècle, Eberhard a des états d’âme de visionnaire. Je pensais qu’il fallait faire quelque chose sur notre consommation d’énergies fossiles. J’avais conscience que le réchauffement climatique était réel. Et puis, toutes les guerres que les États-Unis menaient au Proche-Orient avaient quelque chose à voir avec le pétrole. Nous avions envahi l’Irak, pas le Rwanda !
L’ingénieur recherche l’énergie la plus efficace pour remplacer le moteur thermique. Il estime que la pile à hydrogène est une mauvaise idée et jette son dévolu sur l’électricité. À cette époque, nul n’y croit. La loi californienne n’oblige plus les constructeurs à produire une poignée de véhicules électriques : General Motors et Ford se retirent du marché.
Eberhard, lui, estime que les majors ont eu une mauvaise approche : elles ne voulaient pas tuer le moteur à combustion qui est leur vache à lait, ce qui se comprend, mais, surtout, elles ont voulu attaquer le marché par le bas de gamme. Aucune nouvelle technologie ne doit proposer une concurrence par les prix. Ça a été vrai pour les écrans plats, pour les smartphones. Au début, c’est un produit de luxe, affirme Eberhard.
À l’époque, la voiture électrique se résume, pour le grand public, aux voiturettes de golf. Il fallait changer cette image et attaquer le marché non par le prix, mais par la performance. Il n’y avait pas d’alternative, explique Eberhard. C’est ainsi qu’il a l’idée de construire une voiture de sport dont l’accélération doit permettre de passer de 0 à 60 mph (miles par heure, l’équivalent de 96 km/h) en quatre secondes. L’énergie sera fournie par 18 650 petites batteries au lithium, comme celles utilisées dans les ordinateurs.
Le moteur électrique sera à courant alternatif ou ne sera pas. Restée dans les cartons, cette invention avait plus d’un siècle, conçue par le génial ingénieur d’origine serbe Nikola Tesla (1856-1943). C’est pour cela que j’ai baptisé ma compagnie Tesla, confie Eberhard qui a bien des points communs avec son mentor : grand humaniste altruiste, Tesla était visionnaire. Il défendit le courant électrique alternatif contre Thomas Edison, le fondateur de General Electric, partisan du courant continu, qui présentait l’inconvénient d’être intransportable. Mais il était peu doué en affaires et fit la fortune de son employeur, George Westinghouse. Ce dernier obtint qu’il renonce à l’essentiel de ses royalties et cède ses brevets pour une bouchée de pain.
Eberhard lui aussi semble préférer la postérité à la richesse : J’ai des sentiments mitigés. Je suis très content que Tesla soit un succès. Je n’ai pas créé cette entreprise pour faire de l’argent, mais pour mettre fin à la voiture à pétrole, et nous l’avons fait. Que je ne sois pas un fan d’Elon Musk, c’est une autre histoire.
Musk a néanmoins cru au projet de la pile électrique et soutenu le business-plan d’Eberhard. A partir de 2004,l’équipe – Eberhard, Tarpenning, Musk, Straubel, un ingénieur qui travaillait dans son coin sur les piles au lithium – commence à recruter. Impossible de débaucher des ingénieurs de Detroit, la capitale américaine de l’automobile. Ils vous riaient au nez, se souvient Eberhard. Les choses se passent entre amis et relations de business, à San Francisco.
Ainsi, un après-midi de 2004, l’ingénieur Dave Lyons, reçoit un coup de fil de son ami JB Straubel, qui lui demande de passer le voir. Dans la pièce arrière d’un bâtiment où s’entassent des palettes de batteries au lithium, l’équipe, qui vient de tenir un conseil de surveillance, est au complet. Chacun y va de son argument pour convaincre Lyons de devenir l’ingénieur en chef du projet. Ils étaient tous très enthousiastes, me disant que le train quittait la gare et qu’il fallait le prendre. Eberhard parlait très vite. Musk était là. J’avais entendu parler de lui, je savais qu’il avait fait fortune, se souvient Dave Lyons.
L’équipe lui survend le projet : le châssis fabriqué par Lotus, en Angleterre, entrera par une porte dans le minuscule local de 500 m², et la voiture de sport décapotable en ressortira par une autre avec sa batterie et son équipement. Il n’y aura pas de stocks, tant les clients s’arracheront le produit. Dave Lyons, qui a travaillé à Detroit, n’est pas dupe. Ils disaient qu’ils livreraient la première voiture dans les dix-huit mois. Mais il n’y avait rien. C’était un espace vide, on était à zéro. Je leur ai dit : je ne vous crois pas mais je crois dans votre vision et dans la mission que vous voulez me confier. Cela m’excite. Je suis rentré chez moi, à Palo Alto, j’avais un enfant d’un an, ma maison était en rénovation, ma femme était enceinte et je lui ai dit que j’allais changer de job. Soit ce sera énorme, soit ça pétera et ça restera une histoire intéressante.
Tout est à faire. La dernière entreprise automobile créée avec succès aux Etats-Unis fut Chrysler… en 1925. La principale qualité de l’équipe, c’est sa rigueur technologique. Nous avions des principes très rustiques, mais très exigeants : nous ne voulions jamais nous mentir et tester nous-mêmes notre technologie. Nous ne voulions pas nous mettre dans les mains de nos fournisseurs, explique Dave Lyons. Elon Musk n’oubliera pas la leçon.
On est en 2005, et c’est là que survient le premier problème, celui de la batterie. Chez Tesla, les incendies de batteries d’ordinateurs ne sont pas passés inaperçus. Inutile d’imaginer ce que cela pourrait donner dans une voiture. La priorité absolue est donc de les sécuriser. Nous devions prouver que l’incendie de l’une ne se propageait pas aux autres, confirme Eberhard. Il est décidé de faire une expérimentation en collant 32 batteries au lithium les unes aux autres, et d’en faire fondre une. L’essai a lieu lors de la Fête de l’indépendance, le 4 juillet, dans la maison de Martin Eberhard, où il donne une réception. Tout d’un coup, c’est parti en feu d’artifice, se souvient Dave Lyons. Tout le monde était effrayé : cela arrivait avec 32 batteries, alors avec des groupes de 7 000 dans la voiture ! On avait un vrai problème. Conseil de guerre le lendemain pour résoudre l’affaire. On a tout arrêté pendant quatre semaines. Une équipe d’urgence est mise en place, avec les meilleurs ingénieurs et des consultants extérieurs, et en un mois, Tesla arrive à trouver un procédé qui empêche les incendies en chaîne. Nous avions trouvé une solution qui fut la première propriété intellectuelle de Tesla.
L’autre souci est la fabrication des véhicules. A l’époque, impossible de créer sa propre usine : beaucoup trop coûteux. Pas facile non plus de trouver des fournisseurs. Quand vous voulez acheter un airbag, par exemple à Siemens, ils ne sont pas intéressés pour en vendre 2 000 exemplaires ; et s’il y a un accident, ils savent que c’est eux qu’on poursuivra car on n’a pas les reins financiers suffisamment solides, explique Eberhard. Faute de capitaux, il faut acheter ailleurs et délocaliser. Les piles au lithium sont assemblées en Thaïlande, les moteurs à Taïwan, le châssis en Angleterre. Faire faire le travail en Asie était particulièrement pénible. Quand vous séparez les équipes d’ingénierie de la fabrication, soudain vous n’avez plus le contact, la communication ne passe plus, vous n’avancez plus et cela coûte beaucoup plus cher.
C’est là qu’Elon Musk a commencé à mettre son nez dans l’affaire. Jusqu’en 2005, il ne venait qu’une fois par mois pour les conseils de surveillance, confirme Dave Lyons qui explique comment l’entreprise se trouve alors dans une seringue. Il était clair, à cette époque, qu’on ne serait pas capable de fournir des voitures à nos clients en 2006.L’ennui, c’est que Tesla a commencé à les vendre à l’avance pour rassurer les investisseurs. Le prix était proche de 100 000 dollars. C’était très cher. Une Porsche, c’était 60 000, rappelle Dave Lyons.
Mais Elon Musk ose et décide de vendre des véhicules qui n’existent pas encore. Ainsi avait-il organisé, en juillet 2006, un show à l’aéroport de Santa Monica, à Los Angeles, pour présenter cette fameuse voiture électrique dont bruissait toute la région. On n’avait que deux prototypes. Elon a convié les gens dont il pensait qu’ils étaient des VIP. Cela a donné à la soirée un côté tapis rouge hollywoodien. Les invités se faisaient photographier dans la voiture, testaient son accélération. Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de Californie à l’époque, est venu avec sa suite. C’est ce soir-là qu’ils ont commencé à encaisser les arrhes et ont vendu les 100 premières voitures, raconte Dave Lyons. L’événement a les honneurs de la presse. De 0 à 60 en quatre secondes, uniquement avec des batteries, titre le New York Times, tandis que le Washington Post s’enthousiasme devant cette voiture électrique qui a du jus. Les deux quotidiens de la Côte est interviewent Eberhard et ne mentionnent même pas le nom d’Elon Musk.
Ce triomphe est pourtant le début de la fin pour Eberhard. L’entreprise est incapable de fournir les véhicules demandés à cause des défaillances de la chaîne de production en Asie, tandis que les dépenses dérapent dangereusement. Le conseil de surveillance demande à avoir le détail du coût des voitures. Mais, à en croire Dave Lyons, lorsqu’elles ne savaient pas quoi répondre, les équipes laissaient un blanc. Résultat, elles sont arrivées à une addition de 70 000 dollars, bien inférieure au prix de vente.
Elon Musk dépêche alors un de ses amis, un capital-risqueur, le Britannique Tim Watkins, qui refait les additions et abouti à un coût de production astronomique de 130 000 dollars. Le coût de la voiture avait doublé. Elon s’est vraiment fâché. Il avait le sentiment d’avoir été trahi. Je ne crois pas qu’il l’ait été. Simplement, l’équipe était mauvaise en exécution. Après cela, l’entreprise a développé une culture conflictuelle, basée sur la peur. Et à cause de cela, Musk a pris le pouvoir, raconte Lyons.
Contraint à la démission en août 2007, Eberhard se défend : Je n’avais pas des milliards de dollars. Ce n’était pas possible de construire une usine, explique-t-il. C’est de la connerie de dire qu’il y avait un problème de coût. On était une start-up. On était au cœur d’une transition, on devait passer d’une entreprise d’engineering à une entreprise de production. Musk organisera cette mutation.
Deux patrons intérimaires plus tard, les ennuis s’accumulent. Musk est à court d’argent. Il doit vendre sa McLaren, qu’il avait acquise en 1999 pour 1 million $, et renoncer à voyager en jet privé. Il divorce alors que se profile la crise financière de 2008. En mai, le site Thetruthaboutcars (La vérité sur les automobiles) lance un Observatoire sur la mort annoncée de Tesla, accusée de n’avoir jamais produit aucune vraie voiture. Un jour, il y a eu cinquante articles sur la manière dont Tesla allait mourir, raconta Kimbal Musk, le frère d’Elon, à Ashlee Vance, le biographe de celui-ci. Tout va mal.
Ces critiques ont définitivement fâché Musk avec les médias. Aujourd’hui, l’homme communique directement par son compte Twitter (57 millions d’abonnés) et choisit ses apparitions, telle celle en mai au Saturday Night Live Show sur NBC, dont le retentissement lui a valu tous les articles de presse possibles. L’an dernier, il a carrément supprimé le service de presse de Tesla. Plus de relations avec les journalistes, fini ! Dans les pages de l’annuaire interne de l’entreprise, le nom Elon Musk est associé à un numéro, auquel Le Monde s’empresse d’envoyer un SMS. La réponse ne tarde pas : Désolé, mais ce n’est pas le téléphone d’Elon Musk, écrit l’infortunée Lindsay Tucker, employée d’un magasin Sephora à San Diego (Californie) et harcelée par les anciens contacts du milliardaire. J’espère néanmoins que vous arriverez à le joindre ! Hélas non…
Octobre 2008 : l’Amérique est en pleine débandade financière après la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers. Elon Musk se fait nommer PDG de Telsa et cherche à renflouer son entreprise. Selon Ashlee Vance, il obtient d’amis capital-risqueurs qu’ils investissent 2,5 millions de dollars, vend des actions d’une entreprise fondée par ses cousins et se fait prêter des fonds par SpaceX, qui vient d’être sauvée grâce à un contrat signé avec la NASA – on y reviendra.
Il faut pourtant passer à l’étape suivante. Après avoir vendu quelques centaines de décapotables (Tesla en fabriquera au total 2 500 entre 2008 et 2012) et lancé un second modèle, la Tesla S, Elon embauche un designer, Franz von Holzhausen, qui a travaillé sur la nouvelle version de la Coccinelle de Volkswagen. En janvier 2009, dans une ambiance sinistre, au Salon de Detroit, Tesla occupe le stand habituellement dévolu à Porsche, puis présente à la presse son nouveau modèle en mars. La situation financière reste compliquée. General Motors et Chrysler étaient en faillite. L’idée d’investir dans une start-up de voitures électriques n’était pas très populaire. Les investisseurs n’étaient pas contents qu’on les dérange, expliquera Musk.
Le salut viendra de Daimler. L’entreprise allemande, qui a travaillé à l’électrification de la Smart avec Tesla, vole à son secours. Daimler a investi 50 millions de dollars en mai 2009, ce qui nous a sauvés. Sans elle, cela aurait été la fin de partie. Je veux dire merci à Daimler, rappela Musk à ses actionnaires en 2016. En janvier 2010, le département de l’énergie lui octroie un prêt remboursable de 465 millions de dollars et le miracle se produit : Toyota et General Motors, frappés par la crise, abandonnent leur gigantesque usine de Fremont, dans la baie de San Francisco, que Musk rachète pour 42 millions de dollars alors qu’elle était valorisée à 1 milliard… En même temps, Toyota investit 50 millions dans l’entreprise contre 2,5 % du capital lors de son entrée en Bourse, en juin 2010.
Tesla lève au total plus de 223 millions de dollars, en dépit de pertes atteignant, l’année précédente, 55 millions de dollars. Un chroniqueur du Wall Street Journal voit juste : Tesla Motors est aujourd’hui devenu le premier constructeur automobile américain à entrer en Bourse depuis Ford en 1956. Et on pourrait dire que la décapotable rapide et élégante que l’entreprise vend est un peu comme l’ancien modèle T de Ford, qui a révolutionné la fabrication à la chaîne. Tesla semble en passe de redéfinir notre façon de conduire.
Sans conteste, la Tesla est en effet révolutionnaire : pour résumer, c’est un peu comme un iPhone sur châssis avec un immense écran d’ordinateur pour tableau de bord. Le logiciel de conduite est mis à jour régulièrement, à distance. Au petit matin, les clients se réveillent avec une voiture aux amortisseurs plus souples, car le logiciel gérant la suspension a été corrigé. Une autre fois, en 2017, au moment où l’ouragan Irma déferle sur la Floride, d’heureux clients de Tesla bénéficient d’un renforcement de la capacité de la batterie (habituellement bridée pour prolonger sa durée) et ainsi s’éloigner plus vite de la tempête ! Les conducteurs de Tesla adorent et sont devenus de véritables fans de Musk et de la marque. En matière commerciale aussi, le milliardaire a chamboulé les choses : pas de concessionnaires – il économise ainsi 15 % sur la vente – et paiement à la commande du véhicule, ce qui permet à Tesla de se financer.
Mais pour en arriver là, il a fallu faire de Tesla un constructeur performant. L’aventure ressemble à ces ascensions et ces succès incroyables dignes de l’âge d’or au XIX° siècle dont raffole Hollywood : triomphe dans l’usine de Fremont lors de la sortie de la première Model S, en 2012, au prix de 70 000 $. Consécration, un an plus tard, lorsque celle-ci est désignée voiture tendance de l’année. Vainqueur-choc : preuve que l’Amérique peut encore faire de (grandes) choses, titre le magazine Motor Trend.
Musk n’arrête pas et innove sans cesse. Il lance un réseau de bornes de recharge électrique rapide sur le territoire américain : On espérait que d’autres le feraient, mais personne ne l’a fait. Donc, on l’a fait nous-mêmes. Il construit en 2014 une gigantesque usine de batteries dans le Nevada, pour faire face à la pénurie et, la même année, lance un logiciel qui permet au conducteur de lâcher le volant de sa voiture. Cela ne va pas sans à-coups, avec quelques accidents mortels retentissants, mais Musk, inflexible, assure que ses véhicules sont très sûrs.
La courbe d’apprentissage fut pentue, a reconnu Elon Musk qui est passé d’une production annuelle de 143 voitures (de sport) en 2008 à 60 000 en 2014 et 110 000 en 2015. Au risque d’aller trop vite, comme pour le lancement en 2015 du SUV X, vendu 80 000 $. C’est un cas d’excès de confiance en soi, a reconnu le milliardaire : logiciel trop compliqué, des portes s’ouvrant par le haut qui sont depuis toujours un défi technologique, et des capteurs mal réglés.
Les Tesla fleurissent en Californie comme les Fiat 500 à Paris. La compagnie a assuré sa survie en lançant la Model 3, une berline au prix beaucoup plus raisonnable de 38 000 dollars. C’est la voiture qu’on voulait faire depuis qu’on a lancé l’entreprise, a déclaré JB Straubel, bras droit de Musk, lors de l’assemblée générale de Tesla en2016. En réalité, la production a été lente à monter en puissance, au point que les rumeurs de faillite sont revenues en 2018. Il a fallu attendre 2020 pour que la firme, qui a ouvert une usine à Shanghai et en construit deux nouvelles à Berlin et à Austin (Texas), livre 500 000 véhicules – contre 10 millions pour le leader mondial, Toyota –, et fasse pour la première fois un bénéfice – 860 millions $, pour un chiffre d’affaires de 31 milliards.
Lors de l’annonce de ce chiffre, l’action Tesla s’est envolée et Elon Musk est devenu l’homme le plus riche du monde. Comme c’est étrange, a-t-il tweeté le 7 janvier, avant d’ajouter : Retournons travailler.
Arnaud Leparmentier. Le Monde du 22 07 2021
27 08 2003
Pour la première fois depuis 73 000 ans, Mars se trouve à la distance la plus courte de la Terre : 55 758 millions de kilomètres.
31 08 2003
Une canicule comme il y a bien longtemps – 1947 – qu’on en avait vu, a raison de 14 802 personnes décédées entre le 1° et le 20 août, en plus de la moyenne des trois années précédentes. L’affaire, grandement orchestrée par les médias deviendra le scandale, insupportable en ce début du XXI° siècle dans un pays développé comme la France, avec, en toile de fond, cette horreur panique face à la mort, cette impuissance à estimer que c’est la phase normale de la fin d’une vie, cet aveuglément de nombre de médecins, devenus pour beaucoup simples techniciens de la santé. Les enquêtes révéleront qu’il n’y avait là rien de scandaleux, que ce sont les vieillards affaiblis par de récentes maladies et traitements médicamenteux lourds qui sont partis un peu plus tôt et les courbes de mortalité indiqueront bien que les chiffres très importants de l’été ont été en quelque sorte compensés par des chiffres moindres à l’automne et l’hiver : sans canicule, la grosse majorité de ces vieillards serait morts à l’automne ou l’hiver : la canicule n’a fait que leur prendre quelques mois de vie. Le scandale est bien qu’on en ait fait un scandale, mais là, c’est commencer à instruire le procès des médias et ça, on n’y touche pas !
Les forêts souffrent aussi : les incendiaires réussissent leur coup sans aucun loupé, et c’est 40 000 ha qui partent en fumée, emportant dans leur brasier 3 pompiers et deux résidents.
14 09 2003
Yetunde Price Williams, 31 ans, est tuée sur un drive-in à Compton, banlieue de Los Angeles. Robert Maxfield, le meurtrier fera douze ans de prison. Elle laisse trois enfants et deux sœurs bouleversées : Vénus, 23 ans et Séréna, 22 ans.
21 09 2003
L’Agence Spatiale Américaine décide la destruction de la sonde Galileo, dans l’atmosphère de Jupiter, par peur de la voir entrer en collision et risquer d’endommager la planète de Jupiter : Europe. En 14 ans d’existence, Galileo a parcouru plus de 4,6 milliards de km, est passée 34 fois près des principales lunes de Jupiter, a découvert des preuves de l’existence d’océans souterrains sur Europe, Ganymède et Callisto, et détecté des niveaux très élevés d’activité volcanique sur Io.
24 09 2003
Marie Humbert introduit dans la sonde gastrique qui alimente son fils Vincent, tétraplégique, muet et aveugle une forte dose de pentobarbital de sodium. Mais il n’est pas à jeun, ce qui ralentit beaucoup l’effet du poison. Un infirmier entre, et Vincent Humbert part au service de réanimation, dirigé par le Docteur Chaussoy.
26 09 2003
Le Docteur Chaussoy décide d’arrêter le dispositif de réanimation et injecte à Vincent Humbert du chlorure de potassium, ce qui entraîne la mort immédiate. Marie Humbert et le Docteur Chaussoy seront traduits en justice.
Le 26 novembre 2004 sera votée la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti, qui interdit l’acharnement thérapeutique, promeut les soins palliatifs et définit un cadre pour que le patient puisse solliciter l’arrêt de certains traitements.
Anna Morvant, juge d’instruction délivrera une ordonnance de non-lieu pour Marie Humbert et le Docteur Chaussoy le 26 février 2006.
Pour concilier l’inconciliable – l’ordre religieux, l’ordre laïque et la médecine moderne -, la mission parlementaire en arrive donc à cette extravagance : proclamer la loi du hasard suprême ! Tous autant que nous sommes, nous devons obéir à notre maître, le hasard, promu tout à la fois architecte constructeur et ange exterminateur de notre existence, il est le seul maître de notre mort.
La république n’en vient à de telles aberrations que pour s’être aventuré sur un terrain qui n’est pas le sien. Elle n’a pas à dire si la vie est un droit ou une obligation, si l’homme peut ou ne peut pas choisir l’instant de sa mort. En fidèle servante de la laïcité, elle doit renvoyer cette question à la conscience de chacun. C’est la volonté de maintenir ce reste de théocratie dans la démocratie qui la fait ainsi dérailler. Mais, tout au long de ces débats dans les palais nationaux, nul n’aura rappelé le principe fondateur de l’ordre républicain : le droit pour chacun de vivre et mourir selon ses convictions. Toutes ces contorsions intellectuelles ne visent en définitive qu’à contourner la liberté de conscience afin de protéger le pouvoir médico-religieux.
[…] Si les gens ordinaires avaient eu droit à la parole, ils se seraient exprimés comme ceux, si nombreux, qui sont intervenus dans les émissions qui ont suivi la publication de mon ouvrage consacré à la fin de vie, La Dernière Liberté. La plupart évoquaient la mort d’un parent. Dès les premiers mots, au seul son de la voix, je savais s’ils allaient évoquer une mort naturelle ou provoquée. Il s’agissait dans tous les cas de souffrances terribles, de déchéances terminales, de détresses insoutenables. Tous avaient demandé aux médecins d’abréger ces insupportables agonies. Les uns en parlaient avec une voix triste et apaisée, ils avaient été entendus, et le docteur avait fait ce qu’il fallait, comme ils disaient. Les autres avaient encore des sanglots dans la gorge, la plaie ne s’était jamais refermée. Ils avaient le sentiment d’avoir manqué à l’être qu’ils aimaient et se reprochaient de n’avoir pu lui apporter ce dernier secours.
Il serait simplement honnête de reconnaître que le laisser-mourir et le double effet peuvent toujours être pris en défaut par la cruauté de la nature. C’est alors que le confort du mourant devrait l’emporter sur celui des soignants. Certes, l’utilisation de telles substances létales permet bien des dérives. Raison de plus pour élaborer une loi qui impose la transparence et le respect de règles strictes, seul moyen de mettre un terme à ce pathétique divorce au chevet de certains malades en fin de vie.
Car il s’agit bien d’une totale incompréhension entre l’élite médico-religieuse et la sensibilité populaire. L’euthanasie compassionnelle n’éveille pas dans les consciences la même horreur, la même répulsion que le meurtre. Nos élites peuvent le déplorer, mais c’est un fait. Plutôt qu’en prendre acte et reconstruire une nouvelle morale pour une nouvelle réalité, elles restent obstinément crispées sur le vieil interdit. La mort médicalisée doit se conformer à une norme simpliste d’inspiration religieuse pour gérer une mort complexe et laïque.
Et voilà pourquoi notre mission parlementaire, tant par ses organisateurs qu’avec ses intervenants, a pu jouer cette détestable partition malgré une distribution aussi remarquable. Car les personnalités qui s’exprimèrent au cours de ces huit mois de travaux sont, chacune dans leur discipline, de tout premier plan. Elles ont amplement démontré leur compétence et leur intégrité. Les médecins qui adoptèrent ces positions dogmatiques font preuve des plus rares qualités professionnelles dans leur pratique quotidienne, j’en ai eu des témoignages personnels. Comment donc ont-ils pu se donner de si mauvais rôles.
Ils s’étaient enfermés dans le piège de tous les conservatismes : la justification d’un statu quo dépassé. Comment imaginer que, en accumulant ainsi les arguments fallacieux,ce bric-à-brac finirait par peser aussi lourd que l’interdit divin d’autrefois, qu’il s’imposerait dans un monde déchristianisé !
[…] Par chance, le décalage était tel entre l’ordre moral et l’opinion, entre les principes anciens et les techniques modernes, entre les interdits ancestraux et les situations concrètes, que le bloc médico-religieux a dû en rabattre et accorder aux individus le droit de refuser, tout en leur refusant le droit de décider.
À l’arrivée, cela donne une cotte mal taillée, mais une cotte tout demême. La loi Léonetti constitue un progrès indiscutable pour les médecins, qui verront dépénaliser leurs bonnes pratiques de fin de vie, qui ne craindront plus la justice chaque fois qu’ils aideront un malade à mourir, C’est également un progrès pour les malades, qui voient confirmer leur droit à refuser toute forme de traitement, y compris l’alimentation et l’hydratation, au risque de précipiter eux-mêmes leur fin. C’est encore un progrès de voir reconnaître aux directives anticipées une valeur ne serait-ce qu’indicative.
Mais le conservatisme idéologique est demeuré intraitable sur les deux tabous : le droit de demander la mort et le droit de la donner.
Cette loi d’initiative parlementaire et non pas gouvernementale fut donc adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 26 novembre 2004. Au terme d’une séance mémorable par l’absence de tout antagonisme, la recherche constante du compromis, les élus du peuple se décernèrent une brassée de louanges. Tous ceux qui défilaient à la tribune estimaient que l’Assemblée s’était honorée et se devaient de remercier les initiateurs de cette proposition. En vérité, la représentation nationale n’en revenait pas d’avoir osé légiférer sur une telle matière ! Depuis cinquante ans, elle s’était persuadée que le premier qui s’y attaquerait serait carbonisé. Elle était étonnée et satisfaite de s’en être tirée à si bon compte.
De fait, le texte réussissait ce miracle de paraître novateur, alors qu’il se bornait à confirmer et à consacrer le statu quo en confortant l’ordre moral. L’unanimité regroupaient ceux qui avaient approuvé un premier pas en annonçant d’autres et ceux qui y avait vu une barrière interdisant d’aller plus loin. Le ministre Philippe Douste-Blazy était sur cette deuxième position en rappelant à la tribune qu’il était contre l’euthanasie et que la France ne voulait pas de ce qui se passait en Belgique ou aux Pays-Bas. Il affirma aussi que la loi permettait aux malades incurables de choisir leur mort. À condition, bien sûr, de s’en tenir au catalogue du double effet.
Marie Humbert avait suivi le débat depuis la tribune du public. Elle écoutait ces députés qui ne l’avaient pas entendue. L’inverse eût été préférable. Elle avait beaucoup à leur apprendre ; ils n’avaient pas grand-chose à lui dire. La vie lui avait durement enseigné la nouvelle morale de la mort, celle-là même que la mission parlementaire avait soigneusement évitée pendant huit mois.
Marie était partie en campagne avec sa proposition de loi Vincent Humbert comme oriflamme : un texte bien raisonnable, puisqu’il ne proposait même pas la légalisation de l’euthanasie, rien qu’une exception d’euthanasie telle qu’elle a été sans cesse recommandée par le Comité national consultatif d’éthique. Mais c’était encore trop, beaucoup trop pour les défenseurs de l’ordre moral.
Notre élite figée n’avait définitivement rien compris à une revendication à la fois populaire et démocratique. Les instigateurs de cette grande manipulation entendaient même appeler loi Vincent Humbert la future loi Léonetti, et furent tout surpris par le refus indigné de Marie Humbert.
François de Closets. Le divorce français. Fayard 2008
15 10 2003
Yang Liwei est le premier astronaute chinois : 14 tours de la Terre à bord de Shenzou V
17 10 2003
Mikhaïl Khodorkovski, le jeune – 41 ans – patron de Ioukos, géant du pétrole russe, apprenant que les autorités russes ne vont pas tarder à l’arrêter, opère un virement de 1,15 milliard $ sur des comptes détenus par des Français à la banque Clearstream basée au Luxembourg, qui seront ventilés entre plusieurs comptes dans des paradis fiscaux comme Vanuatu et la Grand Cayman. Il sera arrêté le 25 octobre. Il sera libéré le 22 décembre 2013, sur intervention de Hans Dietrich Genscher, ex-patron de la diplomatie allemande, à la veille des jeux Olympiques de Sotchi. Une étoile filante…
1. Le génie du biznis Mikhaïl Khodorkovski naît à Moscou en juin 1963. Son père Boris et sa mère Marina travaillent à l’usine Kalibr qui fabrique des instruments de précision. L’époque est au dégel de Nikita Khrouchtchev et à une certaine insouciance. Le futur oligarque est pourtant un enfant de la période suivante, le cynisme des années Brejnev.
À l’Institut Mendeleïev de chimie, Khodorkovski est adjoint du chef de la section locale des komsomols, les jeunesses communistes, avec la tâche ingrate de récolter les cotisations. L’organisation est en pleine déliquescence. Des 38 millions de membres en 1985, il n’en restera que 4 millions en 1988. Pour rendre les komsomols plus attractifs, le nouveau premier secrétaire, Mikhaïl Gorbatchev, élu en mars 1985, les autorise à privatiser certaines activités. Khodorkovski ouvre un café et gagne ses premiers roubles en vendant du cognac, des jeans et de la littérature scientifique. Au moment où il obtient son diplôme, à l’été 1986, il a de quoi se lancer dans l’importation d’ordinateurs personnels, qu’il revend six fois plus cher.
La société moscovite de l’époque est loin d’être pauvre. Les ateliers clandestins, le marché noir, les passe-droits et les exportations illégales créent des fortunes en billets de 10 roubles, qui n’ont nulle part où s’abriter. Pour Khodorkovski, c’est une bénédiction. En 1987, alors qu’il est expulsé des komsomols tant ses affaires se portent bien, une loi imprudente autorise les coopératives, structures symbole de la perestroïka, à créer des banques. Celle de Khodorkovski s’appelle Menatep. Qui brasse vite beaucoup d’argent.
Le système soviétique fonctionne alors avec deux devises : le rouble liquide, assez rare et qui sert principalement à payer les salaires, et le rouble administratif, distribué aux entreprises par le Gosplan et son bras financier, la Gosbank. Pour ceux qui, comme Khodorkovski, parviennent grâce à des schémas sophistiqués et à des protections, à transformer des roubles administratifs en liquidités, la fortune est assurée.
2. Le tsar du pétrole En 1995, la banque Menatep est chargée par le gouvernement de privatiser, par voie d’enchères, la compagnie pétrolière Ioukos, qui possède alors un gisement à Nefteïougansk, en Sibérie, et des raffineries dans la région de Samara. A la stupeur générale, la banque se l’attribue à elle-même, pour la somme ridicule de 350 millions $ (deux ans plus tard, sa valeur boursière sera de 9 milliards $).
Mikhaïl Khodorkovski a 32 ans et fait preuve, dès cette acquisition, d’une conduite stupéfiante des affaires. Il se met en défaut de paiement pour des crédits de 250 millions de dollars, change le lieu des assemblées générales à la dernière minute, fait paniquer ses actionnaires en envoyant de grosses sommes sur des comptes offshore et dilue leurs parts lors de soudaines augmentations de capital. Et lorsque la justice ouvre une enquête sur sa banque, un camion plein d’archives coule mystérieusement dans la Doubna.
Qu’il ne soit pas un enfant de chœur, tout le monde l’avait deviné. A Moscou, l’apparition des coopératives sous la perestroïka coïncide avec la formation des grandes mafias. Pour survivre au racket, Khodorkovski a dû négocier avec les gangs et recourir, parfois, à des hommes de main. Alexeï Pichugin, ancien officier du KGB et chef de la sécurité de Menatep, puis de Ioukos, sera accusé de plusieurs meurtres, dont celui du maire de Nefteïougansk, adversaire acharné de la compagnie, assassiné le jour de l’anniversaire de Khodorkovski, en juin 1998.
Cette année-là est charnière pour Ioukos. Son nouveau champ pétrolier géant, Priobskoïe, va livrer ses premiers barils quand la Russie sombre dans une crise financière qui la conduira au défaut de paiement. Par une habile manœuvre, Khodorkovski en profite pour évincer la compagnie américaine Amoco de ses actionnaires. Cette dernière perd 300 millions de dollars et ne s’en remettra pas, se faisant vite avaler par British Petroleum. En 1998 toujours, 4,8 milliards de dollars envoyés par le Fonds monétaire international pour renflouer la Russie disparaissent avant d’arriver à Moscou. La banque Menatep aurait joué un rôle dans ce détournement.
C’est sur ces deux forfaits que Khodorkovski se convertit à la transparence et lance une incroyable opération de charme en direction de l’Occident. En 2000, il appelle cinq Américains au conseil d’administration de Ioukos, en confie les comptes à McKinsey, la technique à Schlumberger et les relations publiques à APCO Worldwide. Il sponsorise bibliothèques, musées et ONG et crée une fondation caritative, Russie ouverte, où siègent Henry Kissinger et Lord Rothschild.
Là encore, c’est très bien joué. Un an plus tard, le 11 septembre 2001, les Etats-Unis découvrent que sur les 19 pirates de l’air, 15 sont originaires d’Arabie saoudite, leur plus grand fournisseur de pétrole. Les regards se tournent vers la Russie. En octobre 2002, Khodorkovski fait sensation dans une conférence pétrolière à Houston (Texas) en proposant la construction d’un terminal pétrolier géant à Mourmansk, sur la mer de Barents, destiné à livrer directement les États-Unis.
Ce faisant, l’oligarque semble prendre la main sur la politique étrangère de la Russie. Car il est aussi derrière un autre projet de pipeline à destination de la Chine, opposé au tracé prévu par Transneft, la compagnie nationale de transport pétrolier. Pour Vladimir Poutine, la coupe est presque pleine. Le président n’a-t-il pas fait savoir en juillet 2000 qu’il offrirait l’absolution aux fortunes amassées par les oligarques, à condition qu’ils se tiennent éloignés de la politique ? Khodorkovski ne cesse de le défier et contrôlerait, selon certaines sources, près d’un tiers des députés de la Douma. En 2002, il révèle le montant de sa fortune (7,5 milliards de dollars) et annonce qu’il se retirera des affaires en 2007 – un an avant l’échéance présidentielle.
3. L‘impertinent du goulag. La guerre est déclarée le 19 février 2003. Au Kremlin, devant les caméras, Poutine accueille les hommes les plus riches du pays. Il tient à montrer qui commande. Khodorkovski prend la parole pour dénoncer l’étendue de la corruption. Mon intervention avait non seulement été discutée avec l’administration présidentielle, s’est-il souvenu, dimanche 22 décembre 2013, à Berlin, mais j’avais même demandé avant la réunion s’ils étaient sûrs que je devais intervenir pendant la partie filmée. La prestation rend fou de rage le président russe. Cet homme m’a fait bouffer plus de boue que je ne peux en avaler, confiera plus tard Poutine.
Khodorkovski est arrêté en octobre 2003 sur le tarmac d’un aéroport de Sibérie. Deux de ses associés ont été arrêtés les mois précédents. Il se savait menacé mais a refusé l’exil qu’ont choisi tant d’autres oligarques. Une nouvelle vie commence, presque une rédemption. Son groupe est démantelé, sa fortune saisie – sauf ce qui a été déposé à l’étranger. Je ne sais pas combien, mais c’est assez pour vivre, a-t-il déclaré dimanche à Berlin. Les audiences de son procès se succèdent. L’accusé ne cesse de travailler, avec des marqueurs fluo et des post-it, dans sa cage de verre du tribunal et dans sa cellule moscovite, où il partage une petite table avec 14 autres prisonniers. Il prend rarement la parole, mais fait mouche à chaque fois, dénonçant les contradictions du procureur et les motivations de ce procès pour fraude fiscale, qu’il estime politiques.
A force de grèves de la faim et de discours insolents, il gagne la sympathie des Russes. D’oligarque, il devient dissident, et de dissident, il devient le héros de petites gens qui brandissent son portrait à l’extérieur du tribunal.
En 2005, il est condamné à neuf ans de réclusion. Il est envoyé dans un camp de travail à la frontière chinoise, où la radioactivité est très élevée. Il semble abonné aux punitions pour avoir accepté deux citrons de sa femme, bu le thé au mauvais endroit ou oublié de mettre ses deux mains dans le dos durant la promenade. Quand il termine le travail obligatoire (coudre des chemises et des gants), il écrit des lettres, essais, éditoriaux qui sont publiés en Russie et en Occident.
Lorsqu’un autre procès lui est intenté, en mars 2009, le président précède le jugement en affirmant que sa place, c’est en prison. Il purgera sa deuxième peine dans un autre ancien goulag, sur la mer de Barents, près de la frontière finlandaise. C’est là qu’il sera réveillé, à 2 heures du matin vendredi 20 décembre, pour être libéré et aller préparer, à Berlin, une quatrième vie.
Serge Michel. Le Monde 24 décembre 2013
Deux ans plus tard, en décembre 2015, malgré son engagement à ne pas faire de politique, il appellera à la révolution en Russie, où plane la menace d’une nouvelle plainte contre lui pour avoir commandité le 26 juin 1998, l’assassinat de Vladimir Petoukhov, maire de la commune pétrolière Nefteïougansk, en Sibérie occidentale, où était implantée une filiale de Ioukos.
23 11 2003
Édouard Chevardnadze démissionne de la présidence de la Géorgie : afin d’éviter toute effusion de sang, j’ai choisi de démissionner. La veille, alors qu’il prononçait un discours au Parlement, et que la foule grondait dans la rue, son successeur, le jeune et impétueux Mikhaïl Saakachvili, avait pénétré dans l’enceinte, entouré de ses partisans.
11 2003
L’ANPE change de logo : Deux hémisphères complémentaires, métaphores de la rencontre entre l’offre et la demande d’emploi et la capacité de l’ANPE à s’adapter aux attentes, souvent complexes, de ses différents interlocuteurs : les demandeurs d’emploi, les entreprises, les partenaires, le grand public. Deux couleurs qui jouent la convivialité et la proximité au service d’une entreprise de contraste, de caractère et de diversité. Un vert, lumineux et tonique, qui traduit la dynamique de l’entreprise et sa volonté d’apporter du mieux, du positif. Un rouge, dense et profond, qui assoit le statut de grande entreprise de service public agissant de manière performante et durable. Une nouvelle identité visuelle ANPE … espèce de copie transposée dans l’espace du bien fameux taiji chinois qui, en plan, figure la théorie du yin et du yang… L’affaire n’aura coûté que la bagatelle de 2,4 millions € : une paille ! En 2008, l’ANPE deviendra Pôle Emploi, par fusion avec les ASSEDIC, et, quinze ans plus tard, on changera à nouveau de nom pour devenir France Travail, à croire que tous ces changements ne sont que des cache-misère.
1 12 2003
Des personnalités de renommée internationale signent le Pacte de Genève, pour essayer de mettre fin à la guerre entre Israël et l’État palestinien. Avraham Burg, ancien président de la Knesset, est l’un des signataires.
Je ne pense pas que nous puissions continuer à dire que la beauté et la morale sont de notre coté parce que nous avons subi un génocide il y a soixante ans. Je ne crois pas que nous puissions continuer à dire que la beauté et la morale sont de notre coté parce que nous avons été persécuté pendant deux mille ans. Aujourd’hui, nous sommes mauvais. Franchement mauvais.
… Nous avons perdu le sens du mal. Nous ne sentons plus et nous ne voyons plus. Récemment, je visitais un lycée près de Jérusalem. Beaucoup d’élèves disaient des choses effrayantes : Quand nous serons soldats, nous tuerons des vieux, des femmes et des enfants… Nous les expulserons, nous les mettrons dans des avions et nous les enverrons en Irak. Par centaine de milliers, par millions. Et la plupart des élèves applaudissaient. C’est en vain que je leur faisais remarquer que c’est la manière dont les gens parlaient de nous en Europe il y a soixante ans. Je suis vraiment effrayé. Nous sommes en train d’assimiler des normes qui ne sont pas les nôtres ; nous nous mettons à ressembler à nos ennemis.
Avraham Burg. Courrier International 11au 17 décembre 2003
24 12 2003
Théoriquement Beagle II, le robot emporté par Mars Express aurait dû se poser sur Mars : mais il se refuse à confirmer la chose et reste muet. Au Centre de Francfort, c’est la soupe à la grimace. Mais la sonde elle-même Mars Express continue à tourner rond et enverra fin janvier des images prouvant l’existence passée de glace sur Mars.
le cratère Korolev, à 80 km de distance ; 1.8 km d’épaisseur de glace. Crédit: ESA/DLR/FU Berlin.
26 12 2003
Un séisme d’une magnitude de 6,3 sur l’échelle de Richter rase la ville de Bam, au sud-est de l’Iran. On compte 30 000 morts. La forteresse de Bam avait servi de lieu de tournage pour le film Le désert des Tartares de Valério Zurlini, inspiré du roman de Dino Buzzati.
décembre 2003
L’affaire du voile mobilise la France et l’affaire n’est pas que médiatique : Derrière chaque voile, il y a trois mille ans de haine envers la femme qui nous regarde. Tolérer le voile, c’est livrer une génération de filles pieds et poings liés aux mains de frères et de pères qui ne demandent qu’à leur imposer cette tenue d’infamie.
Enfin que ferons-nous demain, nous, citoyens de culture musulmane ayant fui nos pays d’origine en raison de la dictature du religieux, de l’absence de démocratie, et qui avons choisi la France comme terre d’accueil ou comme patrie, que ferons-nous quand nos filles à l’école publique se feront traiter de putes et traîner dans les caves parce qu’elles n’auront pas porté le voile, et que nos garçons se feront traiter de mécréants car ils n’auront pas respecté le ramadan dans les cantines ? Ne pas céder sur l’affaire du voile, c’est rendre un immense service à l’islam, lui apprendre qu’il n’est pas la religion unique mais une parmi les autres et que la France ou l’Europe ne sont pas des terres de conquête mais des territoires de partage.
Mohamed Kacimi. Libération 10 12 2003
2003
I don’t care : c’est la réponse du berger à la bergère : le berger étant pour lors David Bowie et la bergère rien moins que la reine d’Angleterre quand celle-ci s’est proposée de l’ennoblir du titre de Sir. Sale gosse ! Mais comment donc peut-on avoir idée de faire une chose pareille à sa vieille Reine qui ne vous veut que du bien ? A-t-on idée ?
La réforme de l’État ? en France, présidents de la République comme ministres s’y sont cassé les dents, promettant sans cesse, ne tenant jamais les engagements. Les sanctions contre Rémy Garnier, inspecteur des impôts, et de Thierry Picard, inspecteur des douanes pour avoir tous deux dénoncé les malversations de Jérôme Cahuzac, par leur propre administration en disent long sur le pouvoir occulte et toxique de la haute fonction publique. Mais quand on met le nez ailleurs, on constate que les changements existent et sont souvent bénéfiques :
Au Royaume-Uni, alerté au milieu des années 1990 par une série de rapport qui montraient que près de la moitié des élèves de onze ans n’atteignait pas les niveaux de lecture et de calcul requis à cet âge, et qu’un adulte sur cinq ne possédait pas les bases essentielles. Tony Blair et David Blunkett, le personnage sans doute le plus populaire du parti travailliste, ont, sous le mot d’ordre High challenge, high support (mobiliser des moyens à la hauteur du défi), défini le programme suivant: normes de qualité ambitieuses avec tests nationaux pour tous les élèves à sept, onze, quatorze, seize ans , définition de méthodes pédagogiques, fondées sur les expériences des meilleures pratiques: décentralisation des responsabilités au niveau des établissements en ce qui concerne les ressources et le recrutement des professeures ; analyse des performances annuelles permettant de comparer les établissements; inspection de chaque école tous les quatre à six ans; publication de tous les rapports d’inspection, publication annuelle des performances des écoles et des académies ; statut d’école-phare et autonomie accrue pour les écoles qui réussissent ; plan d’amélioration, suivi serré, éventuel retrait des budgets et possibilité de fermeture pour les écoles en voie d’échec ; changement de directeur dans les trois-quarts des écoles. Dès l’an 2000, les résultats des tests étaient à la mesure de l’effort ; 75 % des élèves de onze ans avaient atteint le niveau en lecture et 72 % en calcul contre respectivement 57 % et 54 % en 1996.
Enfin, pour attirer les étudiants diplômés vers les postes autrefois boudés de l’enseignement, une réforme radicale du corps enseignat a été entreprise. Le rôle des directeurs d’école a été renforcé. Un programme de recrutement de diplômés à fort potentiel est en cours d’établissement avec l’aide de recruteurs du secteur privé. Les performances individuelles ont été prises en compte dans les traitements des enseignants dont les promotions et les rémunérations dépendaient fort peu des performances pédagogiques. Les compléments de rémunération qui sont accordés selon un barème incluant l’impact de leur travail sur les résultats de leurs élèves peuvent atteindre 8 % du salaire annuel. Court-circuitant les syndicats, Davis Bunkett s’est adressé directement aux enseignants. Appelé à voter sur le projet, ceux-ci l’ont adopté à une forte majorité.
Au Canada, de 1993 à 2003, les dépenses des ministères (transferts aux provinces exclues) sont passées de 16.8 % du PIB en 1993, à 11.5 % . Le nombre des fonctionnaires fédéraux payés par le Trésor a diminué de 30 % et le déficit public, qui représentait 5.6 % du PIB en 1993 était en excédent de 0.6 % en 2003.
En quelques semaines, Jocelyne Borgon, responsable de la réforme, une femme menue débordante d’énergie, a mis au point une check-list distribuée dans tous les ministères. Chaque service chaque poste de dépense, devait être jugé à la lumière de six questions : le programme sert-il encore l’intérêt public ? Incombe-t-il à l’État de le financer ? Pourrait-il être exécuté plus efficacement par les provinces ? Par le secteur privé ? S’il est maintenu, comment faire pour accroître son efficacité ? A-t-on les moyens de financer l’ensemble des programmes maintenus et lesquels convient-il d’abandonner ? Remise des réponses à ces interrogations six mois après. Un an après la révolution était en marche. Le budget du ministère des Transports a fondu de 40 %, celui de la Défense de 40 %. La gestions des aéroports, les cantines militaires, la météo, le contrôle aérien, l’entretien des voies navigables, celui des bâtiments fédéraux et même la collecte des impôts ont été externalisés. Certains de ces services ont signé des partenariats avec le secteur privé, d’autres ont été transférés aux administrations locales ou au secteur bénévole, d’autres encore ont donné lieu à la création d’agences publiques dont les salariés n’ont pas la garantie de l’emploi.
Tous les fonctionnaires de plus de cinquante ans ont pu partir en retraite, en touchant leur traitement puis une pension à taux plein. Les autres ont quitté leur emploi sur la base du volontariat en encaissant ce que les Canadiens appellent une poignée de main en or, de un an à dix-huit mois de salaire, sans perdre le droit à l’assurance-chômage. Si cette révolution a été possible, c’est qu’elle répondait aux attentes d’une majorité de l’opinion qui avait le sentiment que le Canada était en faillite et qu’il risquait, comme l’écrivait alors un article du Wall Street Journal, de subir le destin du Mexique. Nos citoyens en avaient marre des déficits à répétition. Ils ne supportaient plus qu’un tiers de leurs impôts soit consacré au paiement des intérêts de la dette. Et ils étaient conscients que leurs enfants allaient hériter d’un énorme fardeau financier, rappelle Denis Desautels, alors vérificateur général (l’équivalent du président de la Cour des comptes). Une colère qui devrait inspirer les Français qui savent désormais que leur impôt sur le revenu ne sert plus pratiquement qu’à payer les intérêts d’une dette qui, au rythme actuel, va doubler tous les cinq ans ! Au Canada, elle a fondu et le taux de chômage est passé de 11.3 % en 1993 à 6.8 % en mai 2005…
Au même moment qu’au Canada, en 1994, la réforme de l’État a aussi été lancée en Suède par un gouvernement social-démocrate. Le chômage frappait alors un actif sur dix, la croissance était négative pour la troisième année consécutive, le déficit public atteignait 11.4 % du PIB et les dépenses publiques 72.9 % du PIB. Aujourd’hui, la croissance atteint 3.7 % en rythme annuel, le taux de chômage ne dépasse pas 5.6 %, les finances publiques sont excédentaires de 0.5 % et les dépenses publiques ne représentent plus que 58.3 % du PIB. Pour ce faire, il suffit d’une méthode qui a le mérite de la simplicité et qui pourrait être immédiatement expérimentée en France: toutes les administrations du pays, sans exception, ont du réduire leurs dépenses de 11 % en trois ans (une réduction qui ramènerait la France à la moyenne des dépenses publiques de la zone euro et nous ferait économiser 88 milliards €, soit deux année d’intérêt de la dette). Distribuant promotion et primes aux fonctionnaires qui jouaient le jeu, sanctionnant les autres, l’Agence du management public a joué le rôle de bras armé du gouvernement. Comme au Canada, de nombreux services publics ont été sous-traités. Surtout les fonctionnaires ont perdu la garantie de l’emploi, et leur grille de traitement fondé sur l’ancienneté a fait place au salaire au mérite. […] En dix ans, la fonction publique d’État est ainsi passée de 400 000 postes à 230 000 mais les salaires ont augmenté de 60 %.
Jacques Marseille Le Grand Gaspillage. Les vrais comptes de l’État. Perrin 2005
La Suède et le Canada sont souvent cités en exemple quand il s’agit de réduire l’endettement et de venir à bout des déficits. Il est vrai que Stockholm a par exemple réussi, entre 1993 et 2000, à passer d’un déficit public de 12 % du PIB à un excédent de 3 % . Mais la situation et la politique menée par la Suède des années quatre-vingt dix étaient très différentes de la situation et des politiques européennes actuelles.
Son gouvernement s’est tout d’abord refusé à pratiquer l’austérité pendant les deux premières années de récession, afin précisément de redonner de l’air à l’économie et de relancer l’activité dans une approche contra-cyclique. Ensuite, le pays a mené une politique active de change : la Suède a dévalué sa monnaie de plus de 20 % à partir de novembre 1992, ce qui a amélioré sa compétitivité vis-à-vis de l’extérieur et relancé ses exportations et donc l’investissement. Enfin, la Suède a réalisé son ajustement budgétaire non pas en augmentant les impôts mais en baissant les dépenses publiques. Dans ce cadre, elle s’est bien gardée de pratiquer la politique du rabot, qui consiste à baisser un peu les dépenses dans tous les secteurs sans opérer le moindre choix politique. Les effets d’une telle stratégie d’évitement seraient redoutables par exemple sur l’enseignement supérieur et la recherche. Les dirigeants suédois, au lieu de manier le rabot, ont au contraire procédé de manière sélective et revu de fond en comble la structure des services publics pour augmenter leur productivité et préserver les dépenses d’avenir. Diverses fonctions ont été transférées des ministères vers des agences aux missions clairement définies, qui pouvaient être à capitaux publics ou mixtes. Plus flexibles, ces agences devaient respecter des objectifs de performance, disposaient d’un budget autonome et d’une liberté de recrutement totale.
Résultat : le taux de chômage est passé de 9 à 4 % entre 1993 et 2000, et la croissance a été relancée. Une forte baisse du taux de change a accompagné une baisse sélective des dépenses publiques et a ainsi contribué à soutenir l’activité sans coûts en termes d’emploi. Une mise en mouvement qui n’aurait pas été possible avec une politique d’austérité aveugle. C’est l’exact opposé de ce que fait l’Union européenne aujourd’hui.
Matthieu Pigasse Éloge de l’anormalité. Plon 2014
L’Allemagne met en service le pont canal de Magdebourg , le plus long pont canal du monde : 918 mètres qui franchit l’Elbe, assurant le passage entre le Mittellandkanal et la canal de l’Elbe-Havel. Il a fallu faire des piliers porteurs importants, impressionnants de puissance, pour se trouver à 16 mètres au-dessus du sol environnant. Les écarts de température sont tels qu’ils peuvent provoquer des dilatations allant jusqu’à 70 cm ! Les travaux ont commencé en 1997.
En un an, le PIB de la Chine a progressé de 9.1 %. Les importations pétrolières ont augmenté de 30 %. La Chine a consommé plus de la moitié du ciment mondial, 30 % du charbon, 36 % de l’acier. + 15 % pour le cuivre, +100 % pour le nickel. Si surchauffe il doit y avoir, elle viendra de là. On remet à jour un vieux proverbe chinois : moquez-vous des pauvres, pas des prostituées.
Ce que je préfère, ici, ce sont les gens. Je les aime. Il arrive que le boulanger me tende un croissant : Prends-le, c’est un cadeau. Dans un taxi, une fois, je n’avais pas de monnaie, et le chauffeur m’a dit : Tu paieras une autre fois. Ici, on ne peut pas se perdre : dès qu’on paraît déboussolé, quelqu’un vient vous guider, sans demander un sou. Pendant le mois de ramadan, les gens distribuent la nourriture gratuitement aux inconnus et aux pauvres, sur de longues tables dressées dans la rue. Ce sont des gestes qui touchent et qu’on imagine pas chez nous.
Yitong Shen, chinoise de 24 ans étudiante au Caire. Le Monde du 11 février 2013
La réflexion de Yitong Shen en dit déjà long ; mais elle est née 80 ans après Deng Kuan, l’abbé du monastère de Guanguyan, qui aura donc connu largement l’avant et l’après Mao, et surtout sous Mao aura subi dans sa chair l’assaut du crétinisme meurtrier au pouvoir, la dictature de la folie, les choix systématiquement à l’opposé du plus élémentaire bon sens, tout ce qui approche un tant soit peu le domaine culturel cloué au pilori. Mais comment le Dalaï Lama [Mao Tzedong était d’une immense culture ; il avait un grand pouvoir de persuasion… déclarera-t-il après l’avoir rencontré dans les années 50] a-t-il pu se prendre d’admiration pour ce fou, comment des intellectuels français ont-ils pu clamer haut et fort la même admiration pour le même fou : cela dépasse l’entendement :
Au printemps2003, en faisant avec des amis l’ascension du Mont Fengqi, à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Chengdu, je suis tombé sur un très vieux temple bouddhiste dissimulé au milieu des arbres. Le temple Guangyan, également connu sous le nom de temple Gu, date de la dynastie Suï (581-618). Bâti à flanc de montagne, il est divisé en deux parties : haute et basse. Dans la partie supérieure, je n’ai vu qu’un site abandonné : herbes folles, pagodes délabrées abritant les ossements de bouddhistes défunts, deux salles de prières en ruine. Dans la partie inférieure, en revanche, régnait une effervescente entretenue par un flot incessant de fidèles et de touristes. Les psalmodies et l’odeur puissante de l’encens s’échappant des pavillons fraîchement rénovés, témoignaient de sa prospérité récente.
Alors âgé de cent trois ans, l’abbé du temple, maître Deng Kuan, vivait dans une chambre spartiate située à l’arrière de la cour inférieure. Avec sa petite taille, ses petits yeux et son bonnet de laine jaune enfoncé sur la tête, il n’avait pas du tout l’air altier des abbés qu’on voit dans les films. Assis près d’un radiateur, par crainte du froid, il fumait la pipe.
De temps à autre, sur l’insistance de son neveu, il s’interrompait pour aspirer un peu de lait à travers une paille. Maître Deng Kuan était complètement sourd, chaque fois que je lui posais une question, je devais hurler à son oreille. Finalement, en m’égosillant et avec l’aide de son neveu parfois obligé de jouer les interprètes, j’ai réussi à mener à bien notre entretien.
En septembre 2005, un an après avoir fini de rédiger cette interview, j’ai lu dans le journal local que Maître Deng Kuan venait de s’éteindre.
Liao Yiwu Vous semblez en pleine forme, maître
Maître Deng Kuan Je viens de passer deux mois à l’hôpital de Chengdu. Je tombe en ruine. Mon corps s’engloutit. Amitabha, Bouddha miséricordieux ! Maintenant que je ne peux plus bouger, j’ai le temps de méditer et de réfléchir à ce qui m’est arrivé dans cette vie. Malheureusement, je ne suis lucide que la moitié du temps. Il y a des jours où j’ai le cerveau tellement embrumé que je ne sais plus où je me trouve, quel jour on est, qui se tient à côté de moi.
Vous connaissez un peu l’histoire de notre temple ? Sous la dynastie Ming (1368-1644), l’empereur Zu Yuanzhang lui avait donné le nom officiel de temple bouddhiste Guangyan. C’est ici que Maître Wu Kong, l’oncle de l’empereur Zu Yuanzhang, a reçu l’illumination. Si nous considérons Maître Wu Kong comme notre premier abbé, ça fait de moi le huitième abbé depuis six siècles.
Je suis né en 1900, sous le nom laïc de Cheng Jingrong. L’empereur Guangxu, des Qing, régnait alors sur la Chine. Ma famille étant pauvre, mes parents m’ont envoyé au temple quand j’avais sept ans pour que j’aie de quoi manger. C’est ainsi que je suis devenu moine. Mon professeur, Maître Zu Run, était célèbre dans la région pour son érudition et sa vertu. Il m’a initié aux textes sacrés bouddhistes. Grâce à lui, en quelques années, j’ai acquis les bases de l’écriture et de la lecture car il faisait venir au temple des lettrés chargées d’apprendre aux jeunes novices à lire et à écrire.
En 1928, j’ai parcouru plus de 90 kilomètres à pied pour me faire ordonner dans un grand temple de Chengdu. Après mon ordination, je suis entré dans une école bouddhiste dirigée par Maître Chan An. En 1930, une fois diplômé, j’ai encore étudié sans deux autres temples, et continué à recevoir les conseils de différents moines éminents. En 1944, après plus de dix ans passés à voyager et étudier, j’ai regagné le temple Gu. Au début, je recevais les hôtes et coordonnais les activités religieuses quotidiennes. Puis, en 1947, on m’a nommé abbé. Je le suis resté jusqu’à ce que les communistes prennent le pouvoir en 1949.
Liao Vous avez traversé tout le XX° siècle. Si l’on considère 1949 comme année charnière, votre vie se divise en deux périodes sensiblement égales. Or quelques phrases semblent vous suffire pour retracer cette première partie de votre vie.
Deng Quand vous aurez cents ans et que vous vous pencherez sur votre jeunesse, quelques phrases vous paraîtront bien suffisantes pour la résumer. Mais si vous y tenez, je peux vous en parler pendant trois jours et trois nuits. J’ai bénéficié de l’enseignement de plus de trente grands maitres du bouddhisme. Chacun d’entre eux mériterait qu’on lui consacre un livre entier.
Liao Veuillez m’excuser de vous avoir interrompu. Je vous en prie, poursuivez votre histoire.
Deng Ce temple date de la dynastie Sui. Plus de trente temples et couvents ont été bâtis par la suite sur les monts Qingcheng – le temple Gu était le lieu de culte principal. A une époque il abritait un millier de moines. Au fil des siècles, pendant que les vieilles dynasties s’éteignaient et que d’autres prenaient leur place, le temple a été relativement épargné pour la simple et bonne raison que les changements de dynastie ou de gouvernement étaient des affaires séculières auxquelles les moines restaient étrangers. Mais la révolution communiste de 1949 a marqué un tournant.
En 1950, le nouveau gouvernement a lancé le mouvement de la réforme agraire. Dans la région, beaucoup de propriétaires fonciers se sont retrouvés dans la ligne de mire. Plusieurs ont été exécutés, et leurs propriétés saisies pour être redistribuées. Un jour une équipe de travail composée de fonctionnaires du gouvernement et d’activistes paysans a fait irruption ici. Ils ont installé un tribunal à l’intérieur du temple, afin d’y rendre la justice. On m’a traité de riche propriétaire du temple avant de m’arrêter. J’ai été traîné sur une estrade, dépouillé de ma jiesha – robe des moines bouddhistes -, obligé à rester debout devant une foule de villageois, les bars tendus derrière moi comme des ailes d’avion. Un par un, les activistes paysans se sont levés pour dénoncer mes crimes. Ils m’ont accusé d’avoir amassé des richesses sans lever le petit doigt, d’avoir propagé des idées féodales et religieuses propres à empoisonner l’esprit des gens. Certains ont même suggéré qu’il fallait enquêter sur mes agissements à l’époque des nationalistes, sous prétexte que je collaborais avec les riches pour exploiter les pauvres. A la fin de chaque discours, le chef de l’équipe de travail se levait et hurlait des slogans tels que A bas le propriétaire malfaisant ! La religion est l’opium du peuple ! ; toute la foule les reprenait en chœur. Très vite, elle ne s’est plus contenue : on m’a craché dessus, bousculé, roué de coups. Trente à quarante moines catalogués comme laquais chauves du riche propriétaire foncier étaient recroquevillés à mes côtés. Le propriétaire, c’était moi, bien sûr.
Liao C’est la première fois que j’entends parler d’un riche propriétaire foncier à propos d’un moine.
Deng Tout comme moi à l’époque : ça m’a fait un choc. Ces accusations injustes étaient extrêmement blessantes. Tous les moines respectent le vœu de pauvreté. Avant d’être communiste, beaucoup d’entre nous venaient de familles pauvres. Lorsqu’on se soumettait à l’enseignement de Bouddha, on prêtait le serment de renoncer aux biens matériels et aux plaisirs de la chair. Dans cette vaste province du Sichuan, il y avait plus d’une centaine de temples. Vous pouviez aller dans n’importe lequel, vous trouviez les mêmes règles : les moines se transmettent les trésors bouddhiques d’une génération à l’autre. Depuis l’antiquité, aucun abbé, aucun moine, aucune religieuse n’a jamais prétendu que quoi que ce soit dans un temple lui appartenait. Qui aurait pu penser que, du jour au lendemain, on nous rangerait dans la catégorie des riches propriétaires fonciers ! Nous n’avions jamais mené la vie de riches propriétaires, mais nous avons certes subi le châtiment qui leur était réservé.
Liao : Que s’est-il passé après ces séances de dénonciation ?
Deng : Celles-ci ont vite dégénéré en raclées publiques. On nous crachait dessus, on nous giflait, on nous parlait le dos de coups de pied. Souvent, les milices locales débarquaient au temple sans prévenir et me traînaient dans une pièce pour m’interroger. Au cours d’un interrogatoire, en hiver, un chef de milice du village et ses hommes m’ont retiré ma chemise et mon pantalon avant de me suspendre au plafond. Je souffrais tellement que je me suis évanoui au bout de dix minutes. Ils m’ont arrosé d’eau froide. Quand je suis revenu à moi, j’avais le bras droit disloqué. Aujourd’hui encore, je ressens une douleur atroce quand je veux le lever. On me battait pour tout et n’importe quoi. Un jour un fonctionnaire m’a convoqué dans son bureau et m’a ordonné de restituer les cent bols d’or que j’avais cachés dans la cuisine. Il prétendait qu’un moine novice en avait parlé à l’équipe de travail. Je ne savais pas du tout à quoi il faisait allusion. Je ne possédais même pas un bol en porcelaine. Alors les bols d’or… Quand j’ai répondu que je n’étais pas au courant, il m’a accusé de mentir et m’a suspendu à la branche d’un arbre. Plusieurs villageois sont venus fouiller le logement des moines. Croyez-le ou pas, ils ont bien trouvé cents bols dans la cuisine. Mais, à leur grande déception, c’étaient des bols en terre cuite, pas en or. Finalement, j’ai compris le fin mot de l’histoire. Chaque bol, wan ne contenant qu’un jin de riz, soit une livre, on les appelait les jin wan. Et comme la livre et l’or se prononcent tous les deux jin, ils ont cru que nous possédions des bols en or. La situation était sans espoir.
Vous savez, pendant le mouvement de la réforme agraire, le gouvernement local s’est emparé des trésors bouddhiques du temple et a confisqué les centaines d’hectares de forêt vierge et de terres agricoles qui lui appartenaient. Tous les temples du pays ont subi le même sort.
Liao En consultant des documents historiques, j’ai découvert que de nombreux moines éminents avaient souffert de persécutions à cette époque. Maître Kuan Lin, du temple Wenshu, à Chengdu, fut cruellement torturé par des paysans du coin qui lui brisèrent bras et jambes, et lui arrachèrent les dents. Quand il s’effondra par terre, sans connaissance, ses bourreaux crurent qu’ils l’avaient tué. Terrifiés, ils l’envoyèrent à l’hôpital où, heureusement, les médecins purent le sauver. Maître Qing Ding, du temple Zhaojue, fut condamné, en 1955, à la prison à perpétuité parce qu’il avait été cadet de l’Académie militaire de Huangpu, sous le gouvernement nationaliste, avant de se faire moine. Il a passé vingt ans derrière les barreaux. Maître Wei Xian, l’ancien abbé du temple Ciyun, près de Chongqing fut arrêté en 1954 pour avoir voulu fonder une école bouddhiste. Vingt-sept ans de prison. La Liste est longue.
Deng La réforme agraire n’était que le début de la série de catastrophe qu’a connues notre temple. En 1958, le président Mao a lancé la campagne du Grand Bond en avant, appelant le peuple chinois à trouver les moyens de produire massivement du fer et de l’acier afin que la Chine se hisse au rang des nations industrialisées, comme les Etats-Unis. Et ce fut aussi le début de la campagne de collectivisation. Aucune famille n’était autorisée à faire la cuisine chez elle, ni à garder des biens personnels. Tout le monde devait préparer et prendre ses repas dans des cuisines et des salles à manger collectives.
M’en remettent à la miséricorde céleste, j’ai décidé de suivre le courant. J’ai proposé mes services au chef du village, qui m’a accordé l’autorisation d’emmener dix moines dans la montagne pour y ramasser des roches contenant du fer, afin de participer à l’effort collectif. Les paysans ont construit un haut-fourneau de fortune à l’intérieur du temple. Nous n’étions qu’une bande de béotiens incapables de reconnaître une roche contenant du fer et donc de produire de l’acier à partir de ces roches. Le gouvernement a envoyé un jeune scientifique nous donner un cours intensif de trente minutes. Après ça, sûrs de leurs connaissances fraîchement acquises, les paysans ont retroussé leurs manches et sont partis explorer la montagne à la recherche de ces fameuses roches. Beaucoup ont fini par prendre tous les cailloux noirs qu’ils trouvaient pour les jeter dans le haut-fourneau.
Pendant ce temps-là, le gouvernement local demandait aux gens de se séparer de tous les objets en métal qu’ils possédaient chez eux : outils agricoles, ustensiles de cuisine, bassines, serrures, anneaux, jusqu’aux pinces à cheveux, pour les faire fondre. Un slogan disait : Produire un morceau de métal, c’est éliminer un impérialisme étranger. Nous les moines n’avions pas de maison, mais nous ne voulions pas être en reste. En fouinant comme des chiens dans tous les coins du temple, nous avons trouvé des porte-encens, des troncs, des cloches, des serrures. Nous avons démonté les bordures métalliques des tables à encens, et même les statuettes en bronze des quatre angles du toit.
Près de l’entrée du temple, il y avait deux chaudrons en fonte, cadeau de l’empereur Yongle, de la dynastie Ming. Ils n’ont pas survécu au grand bond en avant. Ces chaudrons royaux étaient énormes et leur fonte était si épaisse qu’il a fallu plus de vingt gaillards pour les briser avec des masses. L’écho des coups se répercutait à des kilomètres à la ronde. D’ailleurs, ça n’a pas été facile de les fondre. Des arbres robustes par centaines ont dû être abattus et débités pour alimenter le haut-fourneau.
La montagne n’a pas tardé à être complètement dénudée. Quand je suis arrivé dans ce monastère, des centaines d’hectares de forêts l’entouraient, pleines d’essences rares : gingkos, nanmus et vieux cyprès. Mais pendant ces années de folie humaine, tous ont été coupés. Vous avez vu, cet arbre millénaire, à l’extérieur du temple ? Celui-là a été épargné parce que personne ne pouvait l’atteindre, en haut de sa falaise. Aujourd’hui, les visiteurs s’extasient devant sa beauté. Ils sont loin de se douter qu’il en existait sept comme lui ici, au tronc si épais qu’il fallait trois hommes pour l’encercler. Celui qui reste est le plus vilain. Les six autres ont servi à alimenter le haut-fourneau.
Aujourd’hui, il est vraiment difficile de s’imaginer ce qui s’est passé à cette époque. Le président Mao et la promesse d’une Chine socialiste puissante électrisait les foules. On m’a affecté au maniement des soufflets pour entretenir le feu. Tous les jours, à l’aube, je pratiquais le kung-fu de façon à me maintenir en forme. Cet entrainement rigoureux m’a rendu plus résistant. Quand beaucoup de gens étaient au bord de l’épuisement et que certains, même, tombaient malades, je continuais à manier les soufflets avec énergie, pendant des heures, accroupi à côté du haut-fourneau.
Liao Vous aviez presque soixante ans, à l’époque, n’est ce pas ?
Deng Oui. Mais même les jeunes de vingt ans ne pouvaient rivaliser. Les villageois me surnommaient en secret le soldat d’acier de la montagne. Bref, après des jours et des nuits de dur labeur, on a finalement obtenu quelques résultats – une poignée de fonte de forme irrégulière. Certains morceaux ressemblaient à des ruches, avec tous ces petits bouts de roche qui dépassaient de la surface. On a attendu qu’ils refroidissent et de solidifient avant de tester leur qualité en les frappant avec un marteau. Eh bien, vous devinez, n’est-ce pas ? Au premier coup, ils ont éclaté en mille morceaux. Comme nos espérances.
Liao Vous avez travaillé si dur pendant le Grand Bond en avant que les villageois ont dû penser que cela rachetait vos mauvaises actions passées, non ?
Deng Pas vraiment. Après l’échec de production d’acier, les gens ont retrouvé leur train-train quotidien. Le soir, après le dîner dans la salle à manger collective, ils n’avaient plus rien à faire. Les rassemblements publics contre les mauvais éléments ont repris, comme une sorte de divertissement. Les cadres du village nous soumettaient à leur caprice. Chaque fois qu’il leur prenait l’envie d’organiser une séance de dénonciation, ils nous tenaient, nous les classes ennemies, à leur disposition. De 1952 à 1961, j’ai participé à plus de trois cents séances de ce type.
Durant ces années difficiles, je n’ai cessé de penser à une légende rattachée au temple Gu. En 1398, à la mort de ZhuYuanzhang, le fondateur de la dynastie Ming, son petit-fils Jianwen fut couronné empereur. Mais l’oncle de Jianwen, le prince de Yan, qui possédait une puissante force militaire dans le Nord, représentait une sérieuse menace pour le nouveau pouvoir. Pendant quatre ans, l’empereur et le prince se livrèrent une guerre qui, finalement, se solda par la chute de Jianwen. Le prince de Yan s’empara alors du trône et choisit de s’appeler Yongle, Joie éternelle. L’empereur Yongle passa plusieurs années à purger la Chine des partisans de Jianwen, en usant de méthodes brutales. Son neveu avait disparu de la circulation. Quelques années plus tard, une rumeur commença à circuler, comme quoi Jianwen s’était fait moine et se cachait au temple Gu. Un jour, un espion de l’empereur Yongle repéra le souverain destitué et en informa le palais. Immédiatement Yongle envoya un assassin. Mais Jianwen eu vent de la chose et se volatilisa. Son assassin en puissance trouva un poème écrit sur le mur d’une salle de prière : En exil au sud-ouest depuis quarante ans, ma chevelure noire devenue grise, il ne me reste plus rien, à moi qui régnait sur l’univers, pas même une hutte où reposer mon âme. Fleuves et rivières coulent sans bruit, où vont-elles ? Herbes et saules reverdissent chaque année, les larmes étouffent le vieil homme. L’assassin recopia le poème et le porta à l’empereur. Celui-ci le lut à haute voix, le visage baigné de larmes. Alors, agitant la longue manche de sa robe il soupira : Laissez mon neveu en paix.
Liao Quelle histoire ! Mais je ne vois pas très bien le rapport avec votre propre situation.
Deng L’empereur Yongle gouvernait la Chine d’une main de fer. Sa police et ses espions pullulaient dans le royaume. Pourtant, Jianwen, son ennemi juré, a pu se réfugier au temple Gu. Mais dans la Chine communiste, un moine inoffensif ne pouvait se réfugier nulle part.
Liao Le président Mao voulait sans doute éradiquer l’esprit de Bouddha et toute autre forme de religion.
Deng Aucun être humain ne possède le pouvoir de détruire Bouddha dans le cœur des gens. Car Bouddha nous est aussi indispensable que l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons. Il est à l’origine de toute la bonté, la tolérance, la compassion et la sagesse. Je n’aurais jamais survécu à cette période difficile sans ma foi en Bouddha.
Laissez-moi vous raconter une histoire. Autrefois, une vieille dame pauvre, nommée Wang, vivait à proximité du temple. Pendant des années, elle m’a aidé en secret. Vu mon statut de contrerévolutionnaire, elle ne pouvait pas me parler s’il y avait du monde autour de nous. Alors, quand je travaillais dans les champs, elle passait à côté de moi et s’arrêtait brièvement en faisant semblant de renouer les lacets de ses chaussures. Puis, pour attirer mon attention, elle frappait une ou deux fois le sol avec sa faucille. Après son départ, je me précipitais à l’endroit où elle s’était tenue et ramassais le pain de maïs qu’elle m’avait laissé. C’était en janvier 1960, le début de la grande famine. Beaucoup de villageois avaient déjà succombé à la faim. Cette dame prélevait une petite part de sa minuscule ration alimentaire et la mettait de côté à mon intention. Elle était la réincarnation de la déesse de la miséricorde. Je n‘ai jamais oublié son courage et sa générosité ; je prie toujours pour elle.
En 1961, la moitié des gens considérés comme des mauvais éléments sont morts de faim. Pour réduire le nombre d’ayants droit aux rations alimentaires, le gouvernement local m’a tout simplement déporté vers mon lieu de naissance dans le district de Chongqing. J’ai emménagé chez un petit neveu et mené la vie d’un paysan. En 1966, dès le commencement de la Révolution culturelle, les Gardes Rouges ont remplacé la milice locale et sont devenus mes nouveaux bourreaux. Le jour, je travaillais dans les rizières ; le soir, j’étais obligé d’assister aux séances de dénonciation publique.
Liao Comment avez-vous réussi à survivre à ces différentes campagnes politiques ?
Deng Comme dit Bouddha Si je ne vais pas en enfer, qui ira ? Je dois souffrir pour racheter les péchés de ma vie précédente et éviter qu’un autre ait à subir les mêmes épreuves. Voilà comment j’ai trouvé la force de survivre. J’ai fini par me résigner purement et simplement au malheur.
Pendant ces années-là, le pire de tout fut l’interdiction de l’enseignement bouddhiste. On ne nous autorisait pas à prier. Parfois je fermais les yeux et psalmodiais en silence quelques textes sacrés. Mais des villageois s’en sont aperçus : ils m’ont dénoncé aux autorités du village. Résultat, on m’a battu encore un peu plus pour me punir de ne pas vouloir corriger mes manies superstitieuses et féodales
Liao Cela a dû être très dur pour vous, moine éminent, de vivre sans pouvoir prier, ni lire les textes sacrés.
Deng C’était difficile. Au fond de mon cœur, je n’ai jamais renié ma foi dans la bienveillance de Bouddha.
Pendant un moment, j’ai pensé que j’étais destiné à passer le restant de mes jours à travailler la terre tout en menant secrètement ma vie de moine. Mais, au bout de dix-sept ans, la chance a commencé à tourner. Un jour de 1978, un ami venu de la ville m’a dit que les nouveaux dirigeants de Pékin, avaient assoupli leur politique religieuse, et que les gens étaient de nouveau autorisés à pratique le bouddhisme.
Tout d’abord, je ne l’ai pas cru. Mais je n’osais en parler à personne car le gouvernement local se cramponnait encore à la vieille doctrine communiste, bien que le président Mao fût mort depuis deux ans. Si je me faisais prendre, j’étais sur de nous attirer des ennuis, à mon neveu et moi. J’ai donc attendu deux jours. Un soir, pendant que tout le village dormait, j’ai pris mes affaires et je suis parti. J’ai couru et marché dans le noir, pendant soixante kilomètres. Le lendemain, vers midi, en arrivant à Chengdu, je me suis rendu directement au temple Wenshu. Là, j’ai retrouvé une trentaine de moines qui venaient juste de rentrer. Quelles retrouvailles émouvantes !
Je suis resté trois ans au temple Wenshu ; on m’avait chargé de recevoir les hôtes et de présider les cérémonies bouddhistes. Comme j’étais assez bon pour célébrer le rite de la délivrance de l’âme du purgatoire, j’ai acquis une certaine réputation dans la région. En 1984, le 15 juillet du calendrier lunaire, je crois, on a accueilli chaleureusement mon retour au temple Gu, où j’allais pouvoir continuer à servir Bouddha. Plus de dix mille personnes s’étaient déplacées. Le temple fourmillait de monde. La fumée des pétards nous enveloppait comme un épais brouillard, stagnait un moment puis se dissipait ; les gongs retentissaient, les cloches sonnaient. C’était un spectacle vraiment festif.
Liao Vous aviez alors quatre-vingt-quatre ans. Qu’avez-vous éprouvé en voyant cette foule, en sentant l’odeur des pétards ?
Deng Un mélange de joie et de tristesse. De 1949 à 1978, la Chine a expié ses péchés passés. Pendant vingt-neuf ans, les moines ont déserté les temples chinois.
Liao Pourtant, durant ces années insensées, le gouvernement n’a pas dissous l’Association bouddhiste.
Deng L’Association bouddhiste n’était qu’une coquille vide. Ses membres étaient des moines défroqués placés sous la surveillance du chef du Parti de chaque village. Dans la plupart des petits temples de la région, ils ont été chassés à coup de pied par des paysans profanes qui convertissaient les lieux sacrés en habitations.
Pour ma part, je me trouvais chanceux d’être en vie. Je n’avais pas le temps de m’appesantir sur le passé. J’étais déjà vieux et fragile comme une flamme de bougie vacillant au vent. Le temple ressemblait à un vrai champ de bataille, avec ses bâtiments délabrés et ses murs en ruine. Les mauvaises herbes envahissaient tout. Les toits fuyaient. Partout où je posais les yeux, je constatais les résultats tragiques des dommages volontairement causés par les hommes, ajoutées à des années de manque d’entretien.
Une trentaine de moines et de bouddhistes laïques m’ont rejoint. Nous n’avions pas assez de lits ; plusieurs d’entre eux devaient dormir par terre. De temps en temps, des serpents et des rats se glissaient sous nos courtepointes. Les plus jeunes avaient très peur. Alors, je leur disais : Les rats ont froid, eux aussi. Laissez-les se réchauffer un peu et dormir tout leur soûl. Aujourd’hui encore, des rats viennent dormir avec moi ; il y en a même deux qui ont pris l’habitude de se blottir sous mon menton. Je les considère comme mes enfants. Une fois, un rat plus culotté que les autres a piqué mon rosaire. Pour lui faire peur, j’ai crié Petit polisson, à quoi te sert un rosaire ? Tu ne peux pas le manger. Rapporte le moi, sinon je te donnerai de la mort aux rats. Il a dû m’entendre car, peu après, mon rosaire a réapparu à côté de mon lit.
[…] Pendant la Révolution culturelle, les Gardes rouges des écoles voisines se sont attaqués à ce qu’ils appelaient les Quatre Vieilleries : vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes. Ils se sont mis à saccager les temples, brûlant et détruisant tout ce qui avait survécu aux précédentes campagnes politiques, y compris les salles de prière.
Laissez-moi remonter un peu en arrière. Sous la dynastie Ming, l’empereur Yongle avait commandé la construction de cinq salles de prières aux toits de tuiles vernissées. Ces bâtiments avaient résisté à la folie des années 1950. Un jour, en 1966, je suis sorti en douce et j’ai escaladé la montagne pour avoir une vue d’ensemble du temple. Mais avant d’atteindre le portique d’entrée, j’ai entendu des chants révolutionnaires. Il semblait y avoir foule. Je me suis caché derrière un arbre. J’ai vu partout des drapeaux rouges ornés des caractères Combattants révolutionnaires. De très nombreux jeunes gens étaient montés sur le toit du pavillon Daxiong et jetaient au sol les tuiles du toit en chantant. J’étais sidéré. Une fois le toit entièrement dénudé, les gardes rouges se sont mis à le frapper de leurs poings pour y faire des trous. A l’intérieur du pavillon Daxiong se trouvaient huit piliers en pierre, gravés de poèmes et de peintures, œuvres d’artistes et de calligraphes célèbres. Les Gardes rouges ont noué autour de grosses cordes qu’ils ont tiré tous ensemble pour les abattre. C’était un spectacle si traumatisant que je me suis enfui.
Plus tard, les Gardes rouges auraient usé des mêmes méthodes barbares sur les quatre autres pavillons. Quand les bâtiments se sont effondrés, les vibrations ont été ressenties de très loin, pareilles à celles d’un séisme. Comme dit le vieux proverbe : on ne détruit pas un nid sans casser les œufs. Je vous disais donc que j’avais réuni les os du grand Maître Wu Kong dans un panier et que je l’avais caché sur la poutre du pavillon de Guanyin. Lorsque le pavillon a été démoli, le panier a mystérieusement disparu. Personne ne sait ce qu’est devenu ce trésor.
Par la faute de ces jeunes fanatiques, la partie supérieure du temple est maintenant en ruine. On ne peut pas reconstruire ces pavillons. Non seulement les gardes rouges les ont démolis, mais ils ont brûlé des centaines d’édits royaux des différentes dynasties et ont détruit statuts bouddhiques, tableaux d’artistes célèbres, livres et manuscrits rares.
[…] Liao On m’a dit que le nom gravé sur la façade du Pavillon des Ecritures avait été donné par Yu Youren, un homme politique célèbre sous le gouvernement nationaliste. Sa calligraphie est de loin supérieure à celle des empereurs Zhu Yuanzhang, des Ming, et Kang Xi, des Qing, qui ont tous deux laissé leur empreinte ici.
Deng M. Yu Youren a fait l’ascension du mont Qingcheng en 1944. Il avait entendu des moines parler d’une encyclopédie bouddhique. Ce livre, publié en 1372, était une compilation en sept volumes de textes fondateurs. L’œuvre entière avait été réalisée en trente et un ans. Plusieurs centaines de gens de lettres et d’artisans avaient participé à sa rédaction, son impression et sa reliure. L’empereur Zhu Yuanzhang avait commandé deux encyclopédies, chacune pesant plus de trois tonnes. L’une a disparu dans un incendie. La seconde était conservée au temple Gu. Cette encyclopédie bouddhique et le corps du grand maître WuKong, étaient le joyau de ce temple ; les bouddhistes et les lettrés venaient des quatre coins de la Chine pour les voir. Les légendes autour de cet ouvrage ayant piqué sa curiosité, M. Yu est venu au temple où il a passé plusieurs jours, plongé dans sa lecture. Lorsque l’ancien abbé lui a demandé d’écrire quelques mots, il a levé son pinceau et tracé d’un seul geste : Pavillon des Ecritures. Sa calligraphie, pareille à un dragon volant, fut plus tard gravée sur la façade du pavillon.
Liao Pourrais-je, avec votre permission, monter au pavillon, pour regarder le livre ?
Deng Le livre n’est plus ici.
Liao Il a été détruit par les Gardes rouges ?
DengAmitabha ! Pendant l’été 1951, un intellectuel du nom de Yao Tixin a été nommé chef du district de Chongqing. Il avait lu un article sur ce livre dans l’almanach. Peu après sa nomination, il est venu visiter le temple et le pavillon des Ecritures afin d’examiner ce trésor. La réforme agraire battait son plein. Beaucoup de moines avaient été chassés à la campagne et moi, je subissais les séances de dénonciation. En sortant du pavillon, Yao a dit à ses subalternes : Puisque l’abbé a été déclaré ennemi du peuple, le temple ne peut plus assurer la bonne garde de ce trésor rare et volumineux. Le bâtiment sera donc mis sous scellés. Plus tard, il a demandé à des experts de Chengdu de venir l’estimer. Lorsqu’ils ont confirmé que ces livres étaient bien des originaux, il les a fait ranger dans des caisses, puis il a réquisitionné une centaine d’hommes pour les transporter à la palanche – trois tonnes au total – jusqu’à la bibliothèque provinciale du Sichuan, à Chengdu. Ils y sont depuis plus de cinquante ans.
Liao On peut remercier Bouddha que les livres aient été à l’abri. Sinon, ils n’auraient pas échappé à l’ardeur des Gardes rouges.
Deng Le chef de district Yao devait être la réincarnation d’un gardien-guerrier bouddhiste. Les autres fonctionnaires du gouvernement n’étaient pas aussi avisés que lui.
Liao Comment les moines ont-ils fait pour empêcher les livres de se détériorer au cours des siècles ?
Deng Une fois par an, tous les moines du temple se réunissant pour transporter les volumes au soleil. Notre méthode était très primitive. Comme nous n’avions pas le droit de toucher les pages avec les mains, nous les tournions soigneusement à l’aide d’une file lamelle de bambou, pour en évacuer l’odeur de moisi. Puis nous glissions des feuilles d’un tabac spécial à l’intérieur des volumes pour repousser les mites. Aérer ces livres était une tradition annuelle, transmise de génération en génération.
[…] Sans Deng Xiaoping, le temple aurait disparu. C’est lui qui, à la fin des années 1970, a inversé la politique fanatique de Mao, ouvert la Chine au monde extérieur, et relâché le contrôle du gouvernement sur la religion.
Liao Yiwu. La Chine d’en-bas. 13° Note Editions 2002 (2014 pour l’édition française)
2 01 2004
La sonde américaine Stardust, partie depuis presque cinq ans, a parcouru plus de 3 milliards de km ; elle a rendez-vous avec la comète Wild 2, à laquelle elle va tenter de prendre des poussières minuscules de 10 à 300 microns de Ø, témoins des premiers âges du système solaire. Si tout va bien, retour sur terre en janvier 2006.
4 01 2004
Le robot américain Spirit se pose impeccablement sur Mars et envoie rapidement ses premières images. Au Jet Propulsion Laboratory de Pasadena, c’est la joie. La mission ne doit pas excéder trois mois. Mais le petit bijou se révélera de plus particulièrement robuste : il va rester en service pendant cinq ans avec un accident en avril 2009 : il s’enlise dans le sable à l’extrémité d’un petit cratère de l’hémisphère sud, et le JPL ne parviendra pas à le sortir de là : qu’à cela ne tienne, il sera reconverti en engin stationnaire de recherche scientifique, son immobilité étant mise à profit pour mesurer les infimes oscillations de la rotation de Mars, afin de déterminer si le noyau de la planète est liquide ou solide. Déjà les données enregistrées sur certaines roches prouvent l’existence d’un passé liquide de la planète.
15 01 2004
Le Bugaled Breizh, un chalutier de Loctudy, pêche à 25 miles au sud du cap Lizard, pointe sud des Cornouailles anglaises. À 12 h 25′, il envoie un message de détresse : Viens m’aider, le bateau coule. Il s’adresse à l’Éridan, un collègue ami, proche du site. 37 secondes plus tard, le bateau a disparu de la surface pour se poser, 87 mètres plus bas, sur un fonds plat, sableux. Les cinq marins sont morts : on en retrouvera deux en eaux françaises, deux autres en eaux anglaises et le dernier dans le bateau quand il sera renfloué, six mois plus tard, le 9 juillet.
Le message de détresse avait été reçu aussi par le CFSM du cap Gris Nez, au nord de Boulogne – Centre Français de Sauvetage en Mer -. Étrangement, son logiciel tombera en panne le lendemain, rendant impossible la lecture des messages antérieurs… Les recherches partiront d’abord sur une fausse piste, le Seattle Trader, un navire philippin qui sera mis hors cause. Le renflouage du navire permettra d’éliminer l’hypothèse d’un choc avec un autre navire, car il révélera deux enfoncements de la coque : un à babord, et un autre à tribord : une collision avec un autre navire ne peut provoquer une déformation de la coque que sur un coté, pas sur les deux. Ces deux enfoncements se seraient produits lors de la descente du navire, certains compartiments étant restés étanches et à pression atmosphérique, par simple différence de pression de part et d’autre de la coque : la pression est d’un kilo en surface et augmente d’un kilo tous les dix mètres dans l’eau.
Dès lors prendra du poids l’hypothèse d’un sous-marin entrainant par mégarde un des câbles reliant le chalutier à son chalut, et donc exerçant sur le chalutier une force qui l’attire vers le fond : un sous-marin est à peu près quatre fois plus long que le chalutier. Et de fait l’un des deux cables aura été déroulé sur 140 mètres de plus que l’autre, signe qu’il l’a été par une force, exercée par quoi ? Un membre de la famille d’un disparu affirmera que lors du renflouement les câbles qui relient le Bugaled Breizh au chalut avaient disparues, mais on ne retrouvera cette information nulle part ailleurs. Il se trouve que ce jour-là les sous-marins ne manquaient pas dans la zone, où l’OTAN – opération Aswex 04 – et l’Angleterre se livraient à des manœuvres conjointes : le Dolfijn, hollandais, le plus proche du site de l’accident, mais encore les HMS Torway et HMS Turbulent anglais, les Rubis et Saphir, deux SNA français, un U 22 allemand et même un américain l’USS Hyman G. Rickhover. La justice anglaise aussi s’occupe de l’affaire puisque les corps de deux marins ont été retrouvé en eaux anglaises, mais elle conclura à l’accident de pêche.
Dès lors que les marines militaires sont mises en question, on peut être assuré que la vérité ne sera jamais connue, et c’est bien dans ce sens que conclura la justice française… par un non-lieu. Souvenons-nous des accidents impliquant l’armée, de l’air, certes, mais c’est toujours l’armée : le 29 août 1961, le capitaine Ziegler, aux commandes d’un Mirage III F 84, s’offre une coup de fun dans la Vallée Blanche et le coup sectionne l’un des câbles de la télécabine de la Vallée Blanche, entrainant la mort de 6 personnes. Que croyez-vous qu’il arriva au capitaine Ziegler ? Rien du tout et il fera même une très belle carrière, terminant chef des essais puis de l’ingénierie chez Airbus. Le 3 février 1988, l’américain Richard Asby, 31 ans, aux commandes d’un biréacteur EA 63 Prowler, de la base d’Aviano, en Italie, sectionne le câble d’un téléphérique de la station de Cavalese, dans les Dolomites : 20 morts. Le tollé en Italie contraindra les États-Unis à payer les 3/4 des 350 000 Francs attribués à chaque famille. Acquitté dans un premier temps, le pilote sera finalement condamné à 6 mois de prison pour avoir demandé à son navigateur d’escamoter la vidéo d’enregistrement du vol.
Le Bugaled Breizh renfloué
25 01 2004
Le robot américain Opportunity se pose sur Mars et transmet ses premières photos. 174 kg, 1,6 m de long, 1,58 m de haut, mât compris, il peut parcourir 40 mètres par jour pendant les trois mois que doit durer sa mission. A l’instar de son jumeau, il va se révéler lui aussi très costaud : 6 ans plus tard, il a envoyé 130 000 images et, toujours vaillant, l’œil vif, il roule tranquillement vers le grand cratère Endeavour.
30 01 2004
Alain Juppé, président de l’UMP comparait devant le tribunal de Nanterre pour l’affaire du financement de son parti. La présidente, Catherine Pierce, rend son jugement : Attendu que les valeurs de la République et du service public constituent le cœur de l’enseignement dispensé dans les grandes écoles de la République. Qu’Alain Juppé a précisément été formé dans celles-ci, puis qu’il a joué un rôle éminent dans la vie publique. (…) Attendu que la nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi. Qu’agissant ainsi, Alain Juppé, investi d’un mandat électif public, a trompé la confiance du peuple souverain. Le tribunal, Monsieur, vous déclare coupable des faits de prise illégale d’intérêts. Il vous condamne à la peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal constate que, par l’effet de l’article L7 du code électoral, vous ne devez pas être inscrit sur les listes électorales pendant un délai de cinq ans. Soit une inéligibilité d’une durée double, dix ans. Le tribunal de Nanterre venait de signer ce qu’Alain Juppé appellera sa mort politique.
Le 1° décembre de la même année, il attend la décision de ses deuxièmes juges devant la cour d’appel de Versailles. Coupable, annonce la présidente Martine Ract-Madoux. La peine d’Alain Juppé est réduite de dix-huit mois à quatorze mois d’emprisonnement avec sursis. Mais surtout, la cour ne prononce contre lui qu’un an d’inéligibilité. Elle juge regrettable que l’ancien secrétaire général n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il a votées au Parlement et qu’il n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales, mais elle souligne qu’il n’a tiré aucun enrichissement personnel et qu’il ne saurait être le bouc émissaire de pratiques illégales ayant bénéficié à l’ensemble des membres de sa formation politique.
À onze mois d’écart, deux décisions de condamnation, deux conceptions du rôle du juge. Dans le choix des mots d’abord : la première accable et brise, la seconde blâme mais ménage. Dans l’interprétation du droit, ensuite : le tribunal de Nanterre s’en tient à l’application stricte de la loi du 19 janvier 1995 qui régit le financement de la vie politique et qui prévoit, en cas de condamnation pour prise illégale d’intérêts, la peine complémentaire automatique de radiation des listes électorales pendant cinq ans. Compte tenu de la gravité des faits, écrivent les juges, le tribunal estime ne pas devoir se saisir d’office d’un éventuel relèvement partiel ou total de cette incapacité. Le message des juges de Nanterre est clair : vous avez vous-même voté une loi que vous avez voulue sévère contre les dérives du financement politique, nous l’appliquons, un point, c’est tout. La cour de Versailles fait une autre lecture du même texte. Le juge n’est pas un automate, il garde en toutes circonstances le pouvoir d’interpréter la loi et sa rigueur.
Alain Juppé dira son sentiment dans Je ne mangerai plus de cerises en hiver (Plon, 2009) : J’ai connu quelques épreuves. Aucune ne me laisse de véritable amertume. Une seule a failli me briser. Parce qu’elle mettait en cause ce qui, dans l’idée que je me fais de moi-même, m’est le plus cher : l’estime de soi, qu’on appelait naguère l’honneur. Je ne souhaite à aucun de mes ennemis de tomber dans les mains de la justice.
3 02 2004
Francis Joyon pulvérise sur IDEC le record du tour du monde à la voile en solitaire et sans escale en 72 jours, 22 heures et 54 minutes : 15,51 nœuds de moyenne. L’ensemble de l’affaire attire la sympathie : le bateau d’abord : un trimaran déjà vieux de 18 ans d’âge, modifié 6 fois depuis, toujours par les premiers architectes : Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot. Le premier skipper sera Olivier de Kersauson, d’autres suivront jusqu’à Francis Joyon. C’est bien sur ce trimaran qu’Olivier de Kersauson et ses six équipiers avaient remporté le trophée Jules Verne en 1997 en 71 jours, 14 heures et 18 minutes. Le budget (près de 700 000 €, location du bateau comprise) très modeste comparativement aux autres : cela ne permettait pas de confier les dernières modifications à un chantier : il les a faites lui-même, aidé de son frère.
Le bonhomme, il lui a fallu longtemps pour devenir jeune… il est facile à reconnaître : c’est le seul qui n’est jamais sur la photo… (Gérard Dupuy) ; 48 ans, né en Eure et Loire, il s’initiera à la voile en gréant… sa bicyclette de gosse. Charpentier fut son premier métier. Sans assistance à terre pour le routage, il a passé des heures à étudier les champs de vents à 7 jours reçus sur son ordinateur… sans freiner la course du bateau, il a pu sortir de son puits la dérive centrale de 300 kg pour colmater une brèche, monter au mât de 33 m dans les quarantièmes rugissants pour réparer une têtière de la grand’voile tombée sur le pont, improviser un système de fixation pour le solent tombé à l’eau ou installer une pompe électrique pour écoper les 400 litres d’eau embarqués par un trou sur le flotteur bâbord…
Christophe Auguin lui dresse le portrait : Francis n’est pas un asocial, je comprends sa démarche devant le système médiatique de la course au large. En se lançant dans un pari comme celui-là, c’est aussi cela qu’il a voulu fuir. C’est un homme des rêves, et seul un rêveur pouvait aller chercher un pareil record. Il est le dernier gardien d’un esprit disparu.
4 02 2004
Mark Zuckerberg crée le réseau Facebook, en usage interne à l’école Harvard. Le réseau sera ouvert à tous à partir de juin 2006, et s’officialisera internationalement le 2 octobre 2008. Les innombrables assoiffés de narcissisme lui assureront un succès qui effraie quant à la santé mentale de la société.
23 au 24 02 2004
Vers 2 h 30 du matin, un puissant séisme de magnitude 6,3 sur l’échelle de Richter a frappé le nord-est du Maroc, causant la mort de 628 personnes et des dégâts matériels considérables. Son épicentre est à Aït-Kamara, située à 19 km de la ville portuaire d’Al Hoceïma. Une centaine de répliques se sont poursuivies dans la matinée, dont deux particulièrement fortes aux alentours de 9 heures et 11 heures du matin, compliquant considérablement le travail des sauveteurs. Six communes, dont celles d’Im Zouren et Aït-Kamara avaient été presque totalement détruites.
2 03 2004
Lancement depuis Kourou, par une fusée Ariane, de la sonde Rosetta, du nom de la Pierre de Rosette sur laquelle Champollion a déchiffré les hiéroglyphes égyptiens. Ne pouvant être propulsée en tir direct, elle a dû user d’une assistance gravitationnelle : à quatre reprises, elle a profité du champ de gravité de la Terre ou de Mars, lors de passages à proximité de ces planètes, pour gagner en vitesse et ajuster sa trajectoire. Une opération à 1,3 milliard d’euros, la plus ambitieuse jamais réalisée par l’Europe, qui va sur les traces des origines du système solaire, des océans de notre planète et, peut-être, de la vie : rendez-vous est pris pour dans dix ans avec la comète Tchourioumov-Guérassimenko, Tchouri – le nom des chercheurs ukrainiens qui l’ont découverte en 1969. Tchouri – 4 km sur 3.5 km –fait partie des comètes de Jupiter, la planète la plus massive du système solaire.
11 03 2004
Carnage à Madrid en cinq lieux différents : 190 morts, 1 900 blessés causés par 10 bombes placées dans des trains de banlieue en gare. L’Europe n’avait jamais connu pareil horreur venant de terroristes. L’attitude manipulatrice du gouvernement lui coûtera le pouvoir, trois jours plus tard : les socialistes bénéficieront du vote protestataire, avec une participation beaucoup plus importante que d’habitude : Le PP a su assez vite que les auteurs n’étaient pas ETA mais les islamistes. Il a tout fait pour freiner l’hypothèse Al-Queda pour une raison simple : il deviendrait tout à coup évident que des Espagnols innocents sont morts parce qu’Aznar nous a entraînés dans la folie de Bush.
Isodoro, étudiant de 23 ans
Il s’avérera par après que l’attentat avait été programmé avant même l’engagement espagnol aux cotés des Américains dans la guerre d’Irak : une cellule terroriste avait été démantelée et c’est le seul terroriste à en avoir réchappé qui avait planifié cette vengeance.
31 03 2004
Pas loin de sept ans après l’officiel suicide de son père gendarme, la fille de Christian Jambert fait exhumer le corps de son père pour qu’il soit procédé à une autopsie. Christian Jambert avait enquêté sur Émile Louis, le tueur de jeunes handicapées mentales légères dans l’Yonne entre 1975 et 1979. En 1981, il était alors très près d’avoir les éléments pour l’envoyer aux Assises : il va être dessaisi du dossier et les magistrats ne poursuivront pas l’enquête. On retrouvera Christian Jambert mort le 4 août 1997 : le médecin conclura au suicide. Mais l’autopsie pratiquée ce 31 mars 2004, effectuée par des médecins légistes montrera que Christian Jambert est mort de deux balles dans la tête, tirées à des angles différents, ce qui détruit la version du suicide…
mars 2004
Alka Zadgaonkar est professeur de chimie dans une petite université de la ville de Nagpur, en Inde : elle fait breveter par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle un procédé qui permet de transformer les plastiques – on en produit 150 millions de tonnes par an dans le monde – en essence, pour la modique somme de 0.13 €/litre. Le procédé consiste en gros à chauffer pendant trois heures les plastiques à 350° et à y ajouter un ingrédient gardé secret : il en ressort 80 % de carburant – dont 40 à 60 % d’essence et 25 % de diesel, 15 % de gaz et 5 % de résidu de charbon. Le carburant demande cependant à être encore raffiné pour être utilisé par des moteurs classiques de voiture. En chimie, les seules différences entre les plastiques et les carburants tiennent à la longueur des molécules, supérieure pour le plastique : le procédé consiste à casser la longueur des molécules de plastique, pour en obtenir des segments plus petits. Le ministère du pétrole envisage de créer aujourd’hui une usine qui pourrait traiter 5 tonnes par jour : 1.4 millions € y sont déjà affectés. Affaire à suivre (source : Libération du 15 mars 2004)
Stephan Curtis, bras droit de Mikhaïl Khodorkovski, désormais en prison, est sur le point de transférer tous les biens et comptes de son patron à Guernesey : son hélicoptère explose en plein vol, dans un grand ciel bleu du sud de l’Angleterre.
1 05 2004
L’Europe passe à 25 pays : les nouveaux venus sont au nombre de dix : Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque, Slovénie, Chypre, Malte, Estonie, Lettonie, Lituanie. L’ensemble pèse plus de 400 millions d’habitants ; les nouveaux venus ne passeront à l’Euro qu’en 2006. La Turquie a été priée d’attendre deux ans pour ouvrir des négociations, le temps pour l’Europe de savoir si d’autres critères que géographiques et culturels peuvent entrer dans la définition qu’elle se donne d’elle-même. Bulgarie et Roumanie ont elles aussi été priées d’attendre… au moins jusqu’à 2007.
Dans nos pays très anciens où les hommes naissent vieux, l’Europe seule est à son matin.
Claude Imbert
5 05 2004
Lancement officiel, avec le parrainage de l’UNESCO, de Reporters d’Espoir, créé un an plus tôt à l’initiative de Laurent de Cherisey : on en a assez de parler seulement des trains qui n’arrivent pas à l’heure, on en a assez de mettre de l’huile sur le feu des sujets anxiogènes, d’être les propagateurs de la sinistrose. Maintenant on va parler de ceux qui arrivent à l’heure, des procédés par lesquels on y parvient – comment ça marche ? – des initiatives qui existent un peu partout pour que les pannes soient réparées ; on va parler de la France des solutions.
Très louable et vertueux dessein. Il y a certes des risques partout et dans le cas, c’est de se faire récupérer et donc manipuler par les mécènes fondateurs – des entrepreneurs -. Il faut en être conscient, mais le jeu en vaut la chandelle
05 2004
À Outreau, près de St Omer, ouverture d’un procès où l’on verra qu’un juge débutant – Fabrice Burgaud – peut envoyer, avec l’aval de ses confrères, en prison préventive pour plusieurs mois – jusqu’à trente – des personnes sur la seule dénonciation d’enfants perturbés et de Myriam Badaoui, pauvre fille paumée et perverse, débile avant tout, qui ne craindra pas de déclarer haut et fort : lorsque je parle, vous ne saurez jamais quand je mens et quand je dis vrai, et, un an plus tard, en appel, entendue comme témoin, et se rétractant sur tout : Je me suis emballée dans mes folies. Le petit mensonge est devenu un gros. Ces gens n’ont rien compris. Elle en ajoute une pas triste au bêtisier français, – après Richard Virenque et son désormais fameux : J’ai fait cela à l’insu de mon plein gré : J’assume mes actes à plein temps. Accusatrice dans un autre procès de même nature, commencé à une même période mais instruit plus lentement que celui d’Outreau, elle sera tout de même entendue, même après s’être complètement déconsidérée lors du procès d’Outreau ! Et les services sociaux du Conseil Général : l’ASE : Aise Sociale à l’Enfance, qui s’emballeront, le stock de bon sens et de jugeote complètement à sec, prenant pour argent comptant tous les pauvres délires de gosses perturbés, pour les transmettre tels quels au petit juge qui prendra tout ça pour du bon pain… le grand déraillement…
Et le petit juge de s’enferrer dans ses certitudes glacées, bien certain de n’avoir commis aucune faute… le dossier a été vu et visé à un titre ou un autre par une centaine de juges… et de se voir soutenu par ses pairs et obtenir gratification et promotion dans un premier temps, à la prestigieuse section antiterroriste de Paris, puis enfin, rétrogradé à l’application des peines …
Les six derniers accusés seront blanchis le 1° décembre 2005, le septième, François Mourmand, s’étant, aux dires de l’administration pénitentiaire, suicidé en prison le 9 juin 2002 – il y était entré le 23 avril 2001 – : il s’avérera que le suicide était en fait une overdose médicamenteuse : chaque jour : deux cents gouttes de Théralène (sédatif), huit comprimés de Tercian (neuroleptique) huit de Seresta (anxiolitique), deux de Deroxat (antidépresseur), trois d’Imovane (traitement hypnotique) : les connaisseurs, et même ceux qui n’y connaissent pas grand chose, apprécieront : on ne sait même pas si un cheval aurait pu survivre à cette médecine !
En janvier 2006 se tiendront les séances de la commission parlementaire chargée d’enquêter sur les dysfonctionnements de la justice : et ce sera un tremblement de terre pour toute l’institution judiciaire : jusque là muets de par la sacralisation de l’outrage à magistrat, on va voir les innocents dire leur statut de fait de présumé coupable, les avocats déverser leur raz le bol de ce monde autiste : les juges sont mis à bas de leur piédestal, et c’est très bien comme ça.
On savait que la télévision était une entreprise de crétinisation, mais jusqu’à présent, ce genre de vocabulaire ne venait que de la salle… aujourd’hui il vient de la scène, et des coulisses, là où l’on tire les ficelles : Patrick Le Lay est PDG de TF1, et donc employé du Groupe Bouygues, majoritaire.
Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective « business », soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est à dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.
Patrick Le Lay. Interview de Les dirigeants face au changement. Les éditions du Huitième jour. Mai 2004.
Ce rôle d’emballage publicitaire est plus abouti que jamais dans les programmes diffusés ces dernières années par TF1 et M6, comme Star Academy, qui peut être interrompu à tout moment par un écran publicitaire sans qu’il y ait rupture sémiotique. Il n’y a plus de discordance entre le monde du programme et le monde de la publicité, tant du point de vue du contenu que de la forme.
Valérie Patin-Leclère. Télérama n° 2852 8 septembre 2004
29 06 2004
À Palerme, quelques jeunes, fraîchement diplômés de l’Université veulent s’amuser en créant un pub. Ils se réunissent pour en définir les contours et arrive vite sur le tapis l’incontournable question : Va-t-on payer le Pizzo – le Pizzo c’est l’impôt payé à la mafia. La réponse est unanime : NON ! Et quelques jours plus tard, Palerme se réveillera avec des banderoles aux balcons, des affiches sur les murs, proclamant : Un peuple entier qui paye le pizzo est un peuple sans dignité. Dans un premier temps, ils vont être 960 à adhérer à l’association Addiopizzo. Intimidée, déroutée, la Mafia ne réagira pas par des représailles. Et pourtant le succès n’était pas garanti, dans un pays qui a fait sien le dicton des témoins qui ne témoignent jamais : Nun sacciu, nun vidi, nun ceru ; si ceru, dormivu – Je ne sais rien, je n’ai rien vu, je n’étais même pas là ; et si j’y étais, je dormais. L’association fournit un soutien aux victimes de racket, envoie des témoins aux procès. Le pizzo rapporte bon an mal an 10 milliards d’€ à la Mafia, impôt sur le revenu, très, très progressif.
7 08 2004
La Grèce, à quelques jours de l’ouverture des Jeux Olympiques, fête un bien joli nouveau pont qui enjambe le détroit entre les golfs de Patras et de Corinthe : Rion-Antirion : 2 883 m de long, réalisé par l’entreprise française Vinci.
29 08 2004
Vanderlei de Lima est brésilien : au km 35 il mène le marathon des JO d’Athènes, avec 28″ d’avance sur son suivant immédiat : il s’est détaché du peloton dès le km 22.
Et soudain surgit de la foule un gugusse vêtu d’une jupette rouge, de chaussettes montantes, d’un haut blanc et vert surmonté d’un béret ridicule, qui se jette sur le dossard 1234 et le pousse vers les rambardes de sécurité : Cornelius Horan, prêtre irlandais défroqué et détraqué, ne cherche qu’une gloriole télévisuelle : il n’y a pas de violence, juste une agression. Le fada s’est déjà illustré dans le même accoutrement un an plus tôt, en 2003, lors du Grand Prix de formule 1 de Grande-Bretagne, à Silverstone, déambulant sur la piste au milieu des bolides. Il avait alors écopé d’une interdiction d’entrée de compétition sportive pour trois mois.
À Athènes, Vanderlei de Lima n’a pas vu ni cherché à voir son visage : Je voulais seulement sortir de tout ça, revenir dans la course. Quand on s’arrête, physiquement, psychologiquement, c’est très dur. Le Brésilien repart tel un lièvre. Cette course, il le sait, doit être son apogée. C’est son tour. Le coureur a raté les Jeux d’Atlanta en 1996, et n’a pas brillé à ceux de Sydney quatre ans plus tard. Inflammation des tendons, mal aux pieds, trop chaud… Il a maintenant 35 ans et plus de temps à perdre.
Les caméras ne montrent pas la scène en direct. Et sa famille, tétanisée devant son écran, n’entend que les mots du commentateur, affolé. Qu’est-il arrivé ? Mystère. Quand Vanderlei de Lima réapparaît sur l’écran, c’est l’euphorie. Il est encore seul. Le gamin de la campagne surmonte la douleur et la rage, s’autorisant à peine un geste de dépit. Ses enjambées reprennent, amples. Pendant dix longues minutes, Vanderlei joue les gazelles, en tête avant d’être rattrapé par l’Italien Stefano Baldini et l’Américain Mebrahtom Keflezighi. L’accident est alors oublié, Vanderlei ne pense plus qu’à une chose : la médaille. Peu importe qu’elle soit d’or, d’argent ou de bronze, il l’aura. Il est toujours troisième quand il rentre dans le Stade panathénaïque, jetant des baisers à une foule hystérique. Ovation. Consécration. C’était grandiose, dit-il aujourd’hui.
Son arrivée submerge le public d’émotion. L’homme devient le symbole du fair-play et de la ténacité sans rancœur. Heureux, le petit homme de 52 kilos monte sur la troisième marche du podium, plus adulé que le vainqueur. Les télés se pressent pour l’écouter, les sponsors le traitent comme un vainqueur. Finalement, l’accident a sans doute donné à Vanderlei de Lima une gloire que ne lui aurait pas offert la victoire.
Durant toutes ces années, le sportif n’a jamais voulu rencontrer son agresseur. En dépit de la renommée que ce dernier lui a involontairement apportée, il aurait préféré que cela n’arrive jamais. Cela m’a ôté la chance et le rêve de vivre un moment unique dans ma vie, rappelle-t-il. Aux yeux du monde entier, c’est pourtant lui qui a remporté la seule médaille le 29 août 2004.
Cornelius Horan sera condamné à un an de prison, puis verra sa peine convertie en une amende de quelques milliers d’euros.
Claire Gatinois. Le Monde 20 08 2016
été 2004
Les médias français s’habituent au travail bâclé : il y eût voilà plus d’un an les salades préparées par de tristes putes pour souiller Dominique Baudis, salades avalées tout de go par les médias, puis on eût droit au montage d’une agression raciste bidon dans le RER, reprise à toute allure comme du bon pain par les médias et les politiques, puis à des profanations soit disant antisémites contre une synagogue parisienne quand il ne s’agissait que d’une vengeance dans le cadre du travail etc etc… où est-elle donc passée, la sacro-sainte règle du recoupement des sources ?
24 08 2004
Deux femmes tchétchènes ceinturées d’explosifs parviennent, après avoir soudoyé les employés de l’aéroport à embarquer chacune dans un avion différent : 90 morts !
3 09 2004
Prise d’otages à Beslan, dans une école d’Ossétie du nord, par un commando pro tchétchène ; trois jours plus tard, le dénouement sera sanglant : 371 morts dont 171 enfants !
Alors pourquoi le sentiment d’effroi et d’angoisse qui nous étreint, en tous points conforme à la volonté des terroristes ? Parce que ce que nous craignons le plus n’est pas le danger, mais l’imprévisible. Ceux qui se nomment parfois les fous de dieu, et qui n’en sont que les tartuffes, n’ont pas seulement aboli les frontières et tenté de passer des guerres inter-étatiques aux guerres inter-civilisationnelles ; ils ont aussi aboli la distinction entre l’état de guerre et l’état de paix, et restauré en quelque sorte l’état de nature au sens de Hobbes, où, à chaque instant, tout homme est un loup pour son semblable. Ils ont en outre aboli la morale au profit dé la religion. Ils tuent les enfants dans leurs attentats suicide et égorgent les innocents au nom d’Allah, le miséricordieux !.
Le terrorisme ne vise pas, comme la guerre classique, à annihiler la puissance de l’adversaire ; comme son nom l’indique, il vise seulement à le démoraliser au moyen d’une terreur absurde et imprévisible, et abolir ainsi sa résistance.
Ses objectifs ne sont pas militaires mais moraux. Comme Hitler, les hommes d’Al Qaïda et leurs émules pensent que la démocratie occidentale est pourrie et que la terreur est le moyen de la faire éclater, selon leurs propres termes, ils aiment plus la mort que nous n’aimons la vie. comment ne pas penser au mot du général franquiste s’écriant, par défi, face à ses adversaires : viva la muerte ! Ce terrorisme sera vaincu car il n’est porteur ni d’espoir, ni de valeurs universelles ; mais il fera encore des victimes ; et il aura réussi à faire courir le frisson de l’angoisse et la hantise du nihilisme sur la planète entière.
Comment, dans ces conditions, ne pas se réjouir de l’unité nationale qui s’est manifestée à l’occasion de la prise en otages de nos deux compatriotes Chesnot et Malbrunot ? Toutes tendances, confondues, les musulmans de France se sont unanimement proclamés des Français musulmans, fiers de leur pays et respectueux de ses lois. Cet événement fera date. C’est un tournant dans l’histoire des idées françaises d’intégration et de laïcité. Celles-ci, que l’on disait dépassées, viennent de manifester, dans des circonstances critiques, la force d’entraînement et d’évidence que leur confère leur universalisme. II faut rappeler qu’il y a quelques semaines, nos compatriotes juifs, soumis à une véritable tentative de débauche de la part d’Arial Sharon avaient réagi de la même manière. Juifs et musulmans de France ont dit à leurs intégristes étrangers : Mêlez-vous de vos oignons ! Pour la République, pour la diplomatie française, quelle que soit l’issue de la prise d’otages que, de tout notre cœur, nous espérons favorable, c’est un vrai succès.
Ne soyons pas naïfs. Beaucoup de ceux qui à côté des musulmans sincèrement acquis à la République, rêvent de faire de la France un pays soumis aux lois de l’Islam, ont su habilement s’engouffrer dans, la brèche. Un Tarek Ramadan s’en trouve quasiment réhabilité. Restons donc vigilants. L’esprit de secte et d’intolérance n’a pas dit son dernier mot. N’empêche : dans un régime d’opinion, les paroles prononcées en public obligent même ceux qui ne les pensent pas.
Jacques Julliard. Midi Libre 5 09 2004
6 09 2004
À Kiev, Viktor Iouchtchenko, candidat d’opposition à l’élection présidentielle, est encore à table en compagnie du responsable du service de renseignement ukrainien ; on sert écrevisses et vodka… mais dans l’assiette et le verre du candidat, on a ajouté une dose de dioxine dix mille fois supérieure à la dose maximale admissible selon l’OMS. Iouchtchenko frôle la mort et, morphine aidant, parvient à vivre avec son poison : sa belle tête de cadre dynamique se grêle de boutons… il prend 15 ans en une semaine… il lui faudra attendre au moins deux ans pour que le poison fixé dans les graisses cesse d’attaquer l’organisme… dix ans pour qu’il soit entièrement éliminé.
Une journaliste qui le suit dira : En l’attaquant, ils en ont fait un tueur.
En décembre, il s’écriera à la tribune de l’assemblée nationale : Regardez ce qu’ils ont osé faire, regardez mon visage, c’est le visage de l’Ukraine.
Trois mois plus tard, le 26 décembre, il remportera le troisième tour – les deux premiers furent finalement annulés, car reconnus pipés – de l’élection présidentielle.
15 09 2004
L’entreprise américaine Magnequench – des aimants, matériel hautement sensible, y compris en matière de défense – est vendue à la Chine, où l’acquéreur final est Beijing San Huan New Materials High Tech Inc, à la tête duquel se trouve pas moins que le neveu de Deng Xiaoping, qui, ainsi, pourra améliorer notablement ses missiles Dongfeng 26 et Dongfeng 21D. Au cœur de cette vente, le chinois Johnny Chung qui, de 1993 à 1995, avait été reçu 58 fois par Bill Clinton ! sans preuve tangible, il se murmure tout de même que les échanges nombreux pendant 3 à 4 ans sur les technologies balistiques américaines au profit de la Chine auraient eu pour contrepartie un financement très important de la Chine en faveur du parti démocrate américain, le parti de Bill Clinton !
09 2004
Angela Merkel signale que l’Europe n’est pas génétiquement immortelle : Même les Aztèques et les Mayas ont disparu… Avec 7 % de la population mondiale, 25 % de la richesse mondiale et 50 % des dépenses sociales mondiales, l’Europe n’est pas à l’abri d’un tel destin si elle ne retrouve pas sa compétitivité.
Un an plus tard, elle sera chancelière de l’Allemagne.
3 11 2004
Georges W. Bush est réélu à la présidence des États-Unis d’Amérique, et largement : Malgré… malgré… malgré ! est-ce bien malgré qu’il faut dire ? N’est-ce pas plutôt à cause de ? Oui, le pays qui a poussé à la démission l’un de ses présidents, Richard Nixon, et qui a été près de faire de même à l’un de ses successeurs, Bill Clinton, le pays qui ne supporte pas le mensonge pour une misérable affaire d’adultère, avale tout rond le mensonge le plus grave que puisse commettre un chef d’État : celui qui fabrique de toutes pièces un casus belli ! Oui, le pays qui s’identifie aux droits de l’homme accepte que quelques uns de ses dirigeants les plus hauts placés justifient la torture ! Oui, le pays qui a porté l’Onu sur les fonds baptismaux à San Francisco en 1945, a entrepris contre elle une véritable guerre de destruction !
Jacques Julliard. Midi Libre 26 12 2004
11 11 2004
Yasser Arafat meurt à 75 ans à l’hôpital d’instruction des armées Percy à Clamart. La cause de la mort se sera jamais élucidée, différentes expertises de pays différents donnant des résultats contradictoires, bien que toutes admettent des traces sur ses vêtements de polonium 210, 250 000 fois plus toxique que le cyanure ! Le journaliste israélien Ronen Bergman dans Lève toi et tue le premier. p. 689. Grasset 2018 dit avoir promis au Mossad de ne pas révéler ce qu’il savait à ce sujet. Si Israël n’avait rien à voir dans la mort d’Arafat, il l’aurait fait savoir haut et fort… donc ce serment arraché à un journaliste n’est ni plus ni moins qu’un aveu. On n’a jamais vu de condamné à mort dire au creux de l’oreille de son avocat : Maître, en fait, je suis innocent, mais ne le dites à personne : c’est un secret !
Si je connaissais la réponse à la question de savoir ce qui a tué Yasser Arafat, je ne serais pas en mesure de l’écrire dans les pages de ce livre, ou même en position d’écrire que je connais la réponse à cette question. La censure militaire israélienne m’interdit d’aborder le sujet.
11 12 2004
Jean Christophe Lafaille arrive au sommet du Shisha Pangma, 8 046 m 11 h 45, seul et sans oxygène. Il fait -40°, il a connu des vents de 150 km/h. La phase finale de son ascension lui a pris trois jours. Au-dessus de 8 000 m, un alpiniste dispose du quart de ses capacités physiques et mentales. Il a déjà gravi en solitaire 11 « 8 000 », il en reste encore 3 … le prochain sera le Makalu, en mars. Le garçon s’est déjà sorti de très vilaines situations : il a assisté en pleine face de l’Annapurna au décrochage, par bris d’une broche, de Pierre Beghin, tombé sans un cri, et avec un bras cassé, est parvenu à regagner seul le camp de base, trois jours plus tard.
14 12 2004
Inauguration du viaduc de Millau, en présence de Jacques Chirac, président de la République : c’est le plus haut du monde, à 343 m. et le plus long de France avec 2 460 m, tronçonné en huit travées de 342 m chacune. 343 m, c’est la distance entre le niveau du Tarn et le sommet du mât -P2 – le plus proche de la verticale du Tarn ; la hauteur du tablier au-dessus du Tarn est de 270 mètres. Les travaux ont commencé en Janvier 1998 et auront coûté 394 millions €. Le clavage – la jonction des deux dernières travées – a été faite le 28 mai 2004. 36 000 tonnes d’acier dans le tablier, 200 000 tonnes de béton dans les piles. L’architecte en est l’Anglais Norman Foster, qui a déjà réalisé le Carré d’Art de Nîmes, l’aéroport Stansted à Londres, l’aéroport de Hong Kong. Cela, c’est pour le design, mais le grand maître de la mise en œuvre de l’acier et du béton, c’est Michel Virlogeux, X, puis ingénieur des Ponts et Chaussées, ingénieur conseil indépendant au moment du projet puis de la construction du pont, après avoir été au service de l’État. Au début des études, longtemps s’affrontèrent les partisans du tablier en béton et ceux du tablier en métal : ces derniers finiront par l’emporter. Marc Buonomo, directeur des ouvrages d’art d’Eiffel, (après avoir été directeur du département recherche développement chez les Jeans Lewis en 1983 !) filiale acier du concessionnaire Eiffage [1], est parvenu à surmonter les problèmes posés par le lançage du tablier d’une pile à l’autre, soit 342 m… technique qui avait déjà été retenue pour le viaduc de Garabit par Gustave Eiffel en 1884.
A mi-pente de la nationale qui descend du Larzac sur Millau, allez donc le contempler au soleil couchant : la beauté du spectacle redonne du baume au cœur de tous ceux qui vont vers l’avenir en reculant… et même de ceux qui y vont en le regardant. Superbe ! Et l’on se dit que si l’avenir peut se traduire ainsi, c’est qu’au delà du pont, la route n’est pas une impasse…
Charles Villeneuve
Ce n’est pas un feu d’artifice, mais bien un coup de foudre, pris par Bruno Auroy le 7 août 2013 avec un Nikon 3000 depuis l’aire d’atterrissage de parapente de Brunas.
Google annonce le démarrage d’un projet de numérisation de 15 millions de livres : c’est fantastique, mais c’est tout de même loin de représenter la totalité des livres actuellement en bibliothèque dans le monde… donc, cela signifie qu’un choix va être fait, très probablement par deux ou trois universités américaines, dont Stanford et l’université du Michigan.