Publié par (l.peltier) le 31 août 2008 | En savoir plus |
3 11 1950
Le Malabar Princess, Constellation Lockeed quadrimoteur d’Air India, a commencé sa descente sur Genève : il percute l’arête des rochers de la Tournette, à quelques centaines de mètres du sommet du Mont Blanc, versant français. La plupart des corps des 44 marins passagers, des 8 hommes d’équipage, et l’essentiel du fret, se disperseront sur le glacier du Mont Blanc, versant italien. Un avion ira survoler les lieux et confirmera l’accident. Les températures, déjà hivernales, ne permettaient pas d’envisager qu’il ait pu y avoir des survivants, 48 heures après l’accident : néanmoins, les choses s’organisèrent comme si, sans doute sur la base d’informations restées confidentielles : une caravane de guides et militaires de Chamonix se mit en route le 6 novembre, partant de la gare du téléphérique des Glaciers pour passer la nuit au refuge des Grands Mulets : la neige était très abondante et la progression très lente. Arrivés un peu en dessous du refuge, René Payot tomba dans une crevasse, par affaissement du pont de neige qui la recouvrait : encordé, ses compagnons le remontèrent, blessé à la cheville ; une avalanche se déclencha alors au-dessus d’eux : ses compagnons parvinrent à l’éviter de justesse, mais lui-même, handicapé par sa blessure, ne pût bouger rapidement et disparût sous la neige ; ses compagnons retrouvèrent son corps au bout d’une heure…. trop tard. Le QG de l’EHM – École Militaire de Haute Montagne donna l’ordre de cesser les recherches. Mais les guides de Saint Gervais, loin de connaître le prestige des Chamoniards, ont trouvé là l’occasion rêvée de leur faire la pige : 5 d’entre eux sont partis à peu près en même temps que les Chamoniards, du Mont Lachat pour coucher au Goûter. Ils sont parvenus au sommet du Mont Blanc le 8 novembre, 5 jours après l’accident, et ont emporté ce qu’ils ont trouvé : un peu de courrier… quelques lambeaux de vêtements.
Qu’étaient-ils allé chercher ? Pourquoi avait-on éprouvé le besoin de mettre des vies en danger alors qu’à l’évidence, il ne pouvait y avoir aucun survivant ? De retour à Saint Gervais, les guides y seront reçus en héros, décorés et tout et tout.
Peu après la mort de René Payot, le Dauphiné reprenait une dépêche de l’AFP, citant une source anglaise qui mentionnait la présence de lingots d’or dans la cargaison. On parlera aussi d’un petit coffret de pierres précieuses. Les responsables des secours auraient-ils eu l’information avant le Dauphiné ? Curieusement, le double du bordereau de fret ne sera pas publié. De toutes façons, même sans disposer d’informations précises, tout le monde savait qu’à l’époque les voyages en avion étaient réservés aux gens pour le moins aisés.
L’affaire ne sera jamais éclaircie, alimentant bien des rumeurs dans la vallée de Chamonix : les collectionneurs de restes plus ou moins précieux se firent nombreux au bas du glacier des Bossons 50 ans après l’accident… le temps que met le glacier pour amener un objet jusqu’à son front ou aux environs… On parla de quelques maisons construites à Chamonix par des gens dont tout le monde connaissait les revenus modestes… des membres des familles indiennes firent l’impossible pour retrouver les biens de leurs parents disparus…
Henri Troyat s’inspirera de ce drame pour écrire, en 1952, La neige en deuil, roman dont s’inspirera encore le film américain The Mountain, et en 2003, on verra Le Malabar Princess, avec Jacques Villeret, Claude Brasseur dans un gentil film policier brossé autour du drame.
En septembre 2013, un alpiniste savoyard d’une quarantaine d’années trouvera un coffret de bijoux – 49 sachets d’émeraudes, saphirs et rubis : 136 grammes au total, la plus grosse ne dépassant pas 1.5 gramme – sur le glacier des Bossons. Il remettra le tout à l’État, en l’occurrence la gendarmerie de Bourg Saint Maurice, où il habite. Six personnes revendiqueront le trésor évalué entre 130 000 et 246 000 €, adressé à Monsieur Jacob Issacharov, joaillier à Londres. Les enquêteurs ont deux ans pour déterminer laquelle de ces six personnes est la bonne : au-delà, la moitié du trésor reviendra au découvreur et l’autre moitié à la commune de Chamonix, ou à l’État. […] Mais cinq ans après le début de l’enquête, pas de nouvelle des autorités. Le randonneur savoyard s’inquiète. Cinq ans plus tard, en 2018, il se souvient n’avoir jamais reçu de déposition, de récépissé ou d’inventaire de ce qu’il avait déposé à la Gendarmerie. Vous avez dit La Grande Muette ? Ce qui ne signifie pas que la gendarmerie ne faisait rien, car finalement, l’affaire se règlera en décembre 2021 par le partage du trésor entre le découvreur et la commune de Chamonix, aucun héritier n’ayant été retrouvé par la gendarmerie : le total avoisine les 300 000 €.
7 11 1950
Lancement du disque microsillon 33 tours.
Trente sept ans après en avoir été expulsés, le vingt-troisième jour du neuvième mois de l’année du Tigre de Fer, la Chine occupe le Tibet. Ce n’est certes pas la première fois : ces relations conflictuelles existent depuis des siècles et jusqu’à présent cela n’a jamais dégénéré. Certaines couches de la population se réjouissent même de cette occupation : le régime en place était élitiste, et quand ceux qui ne sont pas du bon coté sont les plus nombreux, ils ouvrent les bras à ceux qui promettent de tout changer. Mais par ailleurs, les Chinois se mêlèrent du mode de désignation du Dalaï Lama, voulant introduire leur ordre dans ce processus, et cela, les Tibétains ne l’acceptèrent pas.
Les appels au secours du Dalaï lama, alors âgé de seize ans, aux États-Unis, à l’Angleterre, à l’Inde, restèrent soit sans réponse, soit avec seulement la manifestation d’un sympathie de pure forme : Les réponses à ces télégrammes furent terriblement décevantes. Le gouvernement britannique exprimait au peuple tibétain sa sympathie la plus profonde et regrettait de ne pouvoir être d’aucun secours, en raison de la position géographique du Tibet et de l’accession de l’Inde à l’indépendance. Le gouvernement des États-Unis répondit dans le même sens et refusa de recevoir notre délégation. Le gouvernement indien souligna qu’il ne nous aiderait pas militairement et nous conseilla de ne pas opposer de résistance armée, mais d’ouvrir des négociations pour un règlement pacifique du conflit.
Les Tibétains envoyèrent une délégation à Pékin où ils furent considérés comme des domestiques, contraints à signer un accord qui laissait la Chine souveraine au Tibet. La propagande marxiste se mit à vouloir éradiquer la bouddhisme tibétain. Toutefois, le même Dalaï Lama rencontrera peu après Mao Tzedong et l’entretien se passera très bien ; interrogé des années plus tard sur les personnes qui l’avaient le plus impressionné parmi celles qu’il avait rencontrées : il répondra en premier : Mao Tzedong : il était d’une immense culture, il avait un grand pouvoir de persuasion…
13 11 1950
Dix jours après le crash du Malabar Princess sur le Mont Blanc, un DC4 canadien de la Curtiss Reid, s’écrase sur l’Obiou, un sommet de 2 789 m. au sud-est de Mens, dans le Triève. 58 morts, dont les 7 membres de l’équipage et 13 ecclésiastiques : les passagers étaient des pèlerins venus à Rome pour les cérémonies de béatification de Marguerite Bourgeoys. L’avion avait décollé de Ciampino pour Montréal, via Paris. À partir d’Istres, il aurait dû suivre la vallée du Rhône. Nul ne saura jamais ce qui l’a fait s’écarter autant de sa route vers l’est pour aller se crasher sur l’Obiou à 17 h 35′, à la longitude d’Aix les Bains, c’est-à-dire à plus de 80 km à l’est de son couloir.
25 11 1950
Ouverture du procès de David Rousset contre Les Lettres Françaises : David Rousset ancien déporté de 1943 à mai 1945 à Buchenwald, Porta Westfalica, Neuengamme, auteur de L’univers concentrationnaire, aux Editions du Pavois, 1946, qui lui a valu le prix Renaudot, a lancé le 12 novembre 1949 dans les colonnes du Figaro Littéraire un appel aux anciens déportés des camps nazis pour rechercher la vérité sur les camps de travail collectif en Union soviétique : de nombreuses publications polonaises sur les camps en Union soviétique l’ont alerté sur la question. Il propose la création d’une commission d’enquête en Union soviétique : c’est lui offrir le meilleur moyen de justifier sa bonne foi devant l’opinion mondiale que de lui proposer que des hommes connus comme victimes du nazisme puissent étudier librement ses camps de travail correctif.
C’est aussitôt la tempête dans le monde des communistes français, avec, aux avant postes, Pierre Daix, lui aussi déporté – matricule 59 807 à Mauthausen – qui accuse David Rousset d’avoir produit des faux. Échaudé cependant par l’affaire Kravchenko, les communistes français s’enferment dans une bataille de procédure… qu’ils perdent. Le témoignage du Campesino – un des trois généraux communistes des Brigades Internationales – les enfonce : Le contact avec la Russie soviétique devait être pour moi la plus grande désillusion, la plus grande tromperie, le plus grand échec de mon existence. On fait donner le canon : Marie-Claude Vaillant-Couturier, elle aussi ancienne déportée : Je sais qu’il n’existe pas de camp de concentration en Union soviétique… Le système pénitentiaire soviétique est indiscutablement le plus souhaitable dans le monde entier. Et quand David Rousset lui demande si elle a lu des témoignages comme ceux publiés dans Onze ans dans les bagnes soviétiques d’Elinor Lipper, elle répond : Cela ne vous regarde pas. Dès Janvier 1950, Jean-Paul Sartre avait défini le paysage dans son ensemble dans Les temps modernes : Quelle que soit la nature de l’actuelle société soviétique, l’URSS se trouve, grosso modo, située, dans l’équilibre des forces du coté de celles qui luttent contre les formes d’exploitation de nous connues. […] Nous ne concluons pas qu’il faut montrer de l’indulgence au communisme, mais qu’on ne peut en aucun cas pactiser avec ses adversaires.
Grosso modo et malgré tout sont les deux piliers de la défense du communisme par l’intelligentsia française. Mais cela n’y suffit pas et Les Lettres Françaises sont condamnées pour diffamation. Evidemment, aucune commission française n’ira enquêter en Union soviétique, mais une commission internationale siégeant à Bruxelles sera tout de même crée pour constituer le dossier concentrationnaire de tous les pays
27 11 1950
La Chine intervient en Corée : 200 000 soldats chinois se lancent dans la bataille ; la 21° division américaine de marines bat en retraite, perd 18 000 hommes ; les Chinois reprennent Séoul et la guerre s’enlise dans les tranchées, autour du 38° parallèle. Il fait un froid épouvantable : il ne faut pas plus de cinq minutes pour que le corps d’un homme tué gèle complètement. Le président américain Truman n’était pas resté sourd jusqu’alors aux suggestions de Mac Arthur de recourir à l’arme atomique ; mais cette éventualité lui vaudra les foudres de l’Angleterre, et par ailleurs, il s’opposait nettement à la volonté de Mac Arthur d’envahir la Chine pour en chasser le pouvoir communiste : le 11 avril 1951, il suspendra Mac Arthur de tous ses commandements et le remplacera par le général Ridgway. Des négociations sont en cours mais elles traînent en longueur.
17 12 1950
Le général De Lattre de Tassigny est nommé Haut Commissaire et Commandant en chef en Indochine.
12 1950
Raymond Aron et son épouse Suzanne Gauchon voient mourir d’une leucémie foudroyante leur petite fille Emmanuelle, 6 ans, peu après la naissance de Laurence, trisomique. Leur reste Dominique (Schnapper) qui deviendra membre du Conseil Constitutionnel :
Qui a assisté, impuissant, à la mort de son enfant, ne sera plus tenté de souscrire à l’orgueil prométhéen
fin 1950
Catherine Corless a six ans et va à l’école de la Miséricorde à Tuam, dans l’ouest de l’Irlande. Elle y retrouve des orphelins qui sont placées par les religieuses au fond de la classe : ils vivent dans des homes [que l’on pourrait nommer dans la France de 2010 des foyers], ils sont manifestement sous-alimentés, mal vêtus, et, perversité enfantine aidant, Catherine s’amuse à leur donner de faux bonbons. Ce souvenir ne la quittera plus et claquera dans le pays comme un coup de tonnerre 64 ans plus tard, en 2014 quand elle se sera mise à utiliser le temps libre que lui donne la retraite pour creuser l’affaire : l’Irish mail prendra son article le 25 mai 2014 en titrant : Une fosse commune pour 800 bébés.
Certains souvenirs troubles de l’enfance s’estompent avec l’âge. D’autres pas. Le sale petit tour que Catherine Corless jouait aux orphelins placés par les bonnes sœurs au fond de sa classe de l’école de la Miséricorde à Tuam, à la fin des années 1950, n’a cessé de la hanter. Aujourd’hui, il traumatise l’Irlande tout entière, confrontée aux révélations de cette petite femme rousse, épouse d’agriculteur et passionnée d’histoire locale, sur les mauvais traitements qu’ont endurés, pendant des décennies, des milliers d’enfants nés hors mariage, ainsi que leurs mères. Celles-ci, chassées de leurs familles, placées dans des homes tenus par des religieuses catholiques, étaient contraintes jusqu’au début des années 1960 d’abandonner leurs enfants, fruits du péché, quand ils ne mouraient pas en bas âge de malnutrition ou de maladie.
Mardi 10 juin, s’adressant solennellement au Parlement, le premier ministre irlandais, Enda Kenny, a qualifié d’abomination le sort de ces femmes et enfants. Il a annoncé la création d’une commission d’enquête. Au total, 35 000 mères célibataires auraient été placées dans dix homes, dont celui de Tuam, petite ville tranquille de l’Ouest irlandais. Les enfants morts se compteraient par centaines. L’affaire occupe quotidiennement la une des journaux dont certains évoquent un holocauste irlandais. Les manifestations de protestation et de compassion se multiplient de Galway à Dublin depuis que, le 25 mai, Catherine Corless a lâché sa bombe dans le Irish Mail. Une fosse commune pour 800 bébés, a titré ce dimanche-là le tabloïd.
Assise à la table de sa cuisine donnant sur le bocage, la jeune sexagénaire raconte comment le remords et la pitié, liés au souvenir d’une petite cruauté enfantine – de faux bonbons malicieusement tendus à des camarades mal nourris -, l’ont transformée en historienne, l’entraînant progressivement à briser l’amnésie sur des pages sinistres et dérangeantes de l’histoire de l’Église catholique et de la République d’Irlande. J’ai toujours gardé le souvenir de ces enfants relégués dans un coin de ma classe, quand j’avais 6 ans, lance-t-elle. Ils sortaient dix minutes après nous pour échapper aux regards. Les sœurs nous menaçaient : si nous désobéissions, nous finirions comme eux.
Après avoir elle-même élevé ses quatre enfants et beaucoup d’autres en tant que nourrice, Catherine Corless a trouvé dans la généalogie un passe-temps pour sa retraite. J’ai commencé en aidant des Américains en quête de leurs racines irlandaises. Grâce à une association d’histoire locale, elle s’est formée aux techniques de recherche. Elle a multiplié les entretiens avec de vieux habitants de Tuam. Beaucoup se souvenaient de cette bâtisse grise aux allures de forteresse tenue par les sœurs, le fameux home, détruit dans les années 1970, dont une maquette construite par ses soins trône désormais dans sa cuisine. Certains évoquaient l’existence de sépultures.
Un terrible récit publié dans le Tuam Herald en 2010 allait servir d’étincelle. Un certain Martin y racontait qu’en 1947, à l’âge de 2 ans, il avait été arraché à sa mère, pensionnaire du home tenu par les sœurs du Bon Secours à Tuam, pour être placé dans une famille de fermiers dont il devint le petit esclave. Aiguillonnée par ce témoignage, Catherine Corless en recueillit de nombreux autres : des adultes se souvenaient des mauvais traitements, de l’adoption forcée, racontaient leurs années d’efforts pour tenter de retrouver l’identité de leur mère, leur surprise de découvrir des frères et sœurs placés comme eux dans des familles irlandaises pauvres, ou donnés à des couples américains fortunés par le biais des petites annonces. Des destins d’enfants volés qui ont inspiré Stephen Frears pour son film Philomena (2013). J’ai fait alors le lien avec mes souvenirs d’écolière : ces enfants stigmatisés que j’avais traités avec méchanceté, les hauts murs du home surmontés d’éclats de verre coupants… poursuit l’historienne. Je me suis souvenue que ces enfants disparaissaient à 7 ans, sitôt faite leur première communion. Je sais aujourd’hui que c’était la limite d’âge fixée par les sœurs du Bon Secours : ensuite, c’était soit l’adoption, soit le placement dans une terrible école technique.
Mais le home de Tuam recelait un autre secret, plus sinistre encore, furtivement découvert en 1975 par deux gamins du quartier. En cherchant à ramasser des pommes, ils avaient escaladé l’ancien mur d’enceinte du home, étaient tombés sur une dalle qu’ils avaient réussi à soulever. Le visage maigre de Frannie Hopkins, aujourd’hui âgé de 50 ans, se crispe à l’évocation de cet épisode cuisant de son enfance : La fosse, énorme, était remplie de petits squelettes. J’en ai fait des cauchemars pendant des années, lâche cet ancien militaire qui a servi l’ONU au Liban et au Soudan. J’ai vécu bien des drames. Mais celui-ci est pire : c’était devant ma porte. Des victimes – les mères – ont été traitées en criminelles, leurs enfants sacrifiés. Depuis cinquante ans, beaucoup de gens vivent à côté de ces monceaux de petits ossements. Ils ont préféré ne pas savoir.
Du bout du pied, l’ancien casque bleu scrute l’herbe grasse qui parsème un sol inégal : C’est là. Le home a laissé la place à une vaste aire jeu où les enfants du lotissement miment le Mondial de football en maillots rouge et jaune. Presque invisible, un muret délimite un petit triangle de verdure. Une statue de la Vierge trône au milieu des buissons de chèvrefeuille et d’églantine. Des bouquets de fleurs fraîches, des ours en peluche, complètent le décor de ce mémorial aménagé par des voisins peu après la macabre découverte des années 1970. À l’époque, les enfants, effrayés, avaient raconté leur aventure ; leurs parents avaient appelé un prêtre qui était venu bénir les lieux. Puis l’oubli a fait son œuvre. Les gens se taisaient alors : ils craignaient l’Église. S’ils avaient osé dénoncer les agissements d’un prêtre ou d’une sœur, on les aurait traités de menteurs, commente Frannie Hopkins. Aujourd’hui, l’Irlande est plus diverse culturellement et l’Église moins puissante.
Le secret a néanmoins tenu jusqu’à ce que, en 2013, Catherine Corless établisse le lien entre ses recherches, la découverte des petits squelettes et ce lieu de recueillement improvisé, enclave d’une mémoire enfouie. Aux archives de l’état civil à Galway, elle a fini par obtenir la liste des enfants morts au home de Tuam : 796 décès entre 1925 et sa fermeture, en 1961. Bouleversée, elle l’a confrontée aux registres du cimetière local. À deux exceptions près, aucun nom ne s’y trouve. Où sont-ils ? , répète-t-elle.
L’étude des plans cadastraux a fait apparaître qu’une antique fosse septique correspond au lieu de découvertes des ossements d’enfants. D’où sa conviction – près de 800 enfants morts ont été jetés là – et l’immensité du scandale. Apocalyptique, un rapport sanitaire sur le home daté de 1944 confirme cette hécatombe : un bébé de treize mois végète dans un état pitoyable, émacié, avec un appétit vorace, et probablement déficient mental. Des dizaines de bébés en mauvaise santé, qui ne se développent pas, vivent dans des locaux surpeuplés. La mortalité est effarante : un décès par quinzaine pendant près de quarante ans. Les causes de la mort relevées par 796 fiches d’état civil confirment : Patrick Derrane, âgé de cinq mois, est mort de gastro-entérite ; Mary Blake d’anémie à trois mois et demi ; Matthew Griffin de méningite à trois mois… Dernières révélations de la presse irlandaise : des essais de vaccin auraient été pratiqués sur les enfants des homes dans les années 1960.
Depuis que Catherine Corless possède la liste des enfants, une obsession l’habite : inscrire chacun de leurs noms et dates sur une plaque, près de la fosse commune. Il faut leur rendre leur identité pour leur donner une voix. Élevée dans la foi catholique, elle se dit aujourd’hui non religieuse : Je crois qu’il existe une force supérieure qui nous aide à faire le bien. Mais ce n’est pas le Dieu dont l’Église me parle. Sa modeste revendication mémorielle a été engloutie par le flot des réactions suscitées par ses révélations.
À Dublin, des associations de défense des personnes adoptées réclament désormais une enquête de l’ONU pour éviter les pressions de l’Église ; un référendum constitutionnel sur le droit d’accès aux origines personnelles est envisagé. Quant à la question des réparations financières, elle n’a pas tardé à affleurer. L’État doit reconnaître le mal qu’il a fait et s’excuser ; c’est lui qui a placé ma mère et toute sa fratrie dans ce home financé par l’argent public où certains sont morts, sous prétexte que leurs parents étaient indigents, tonne Thomas Garavan, professeur à Edimbourg, qui a bataillé contre les services sociaux pour se découvrir quatre oncles et tantes cachés, tous anciens de Tuam. Il lutte désormais pour reconstituer son ascendance, brisée par de multiples adoptions forcées.
Après l’immense scandale des prêtres pédophiles et celui, retentissant, des Magdalene Laundries, ces blanchisseries où les filles perdues étaient contraintes de travailler gratuitement sous la férule de nonnes pour expier leurs péchés (adapté sur grand écran par Peter Mullan dans The Magdalene Sisters, en 2001), les démons de son histoire refoulée secouent à nouveau l’Irlande catholique. [1] Après leur victoire électorale en 1932, les républicains irlandais se sont appuyés sur la toute-puissante Église catholique afin d’asseoir leur pouvoir et contrôler la société. L’exclusion des filles mères relevait alors de l’évidence morale, non seulement pour les clercs, mais pour les politiques et la population.
Dans un pays où plus d’une naissance sur trois a lieu désormais hors mariage et où la pratique religieuse reste élevée mais décline, les Irlandais ont longtemps détourné leurs regards des femmes et des enfants bannis. L’évidence s’est transformée en un immense scandale et les silences gênés en de très dérangeantes questions.
Philippe Bernard. Le Monde 15 juin 2014
1950
Selon un sondage IFOP, 91 % des Français baptisent leurs enfants, 89 % font leur première communion et 85 % se disent catholiques.
Werner Keller, journaliste allemand spécialisé dans les questions scientifiques, s’est pris de passion pour la Bible en visitant les missions archéologiques françaises de Mari et d’Ougarit : il publie La Bible arrachée aux sables, une histoire d’un siècle de recherches sur la Bible. L’ouvrage rencontre un succès considérable : traduit en 24 langues, vendu, (selon l’éditeur, en 2010) à 22 millions d’exemplaires ! S’y déploie constamment le souci de faire coïncider Bible et archéologie, parlant d’archéologie biblique, comme si une science pouvait être orientée par la Bible ! Cet ouvrage de vulgarisation va devenir la bible de tous ceux qui résistent bec et ongles à une lecture symbolique de la Bible pour s’en tenir à une lecture à la lettre. Probablement le dernier véritable combat intellectuel de l’intégrisme.
L’Américain R. Scheider invente la carte de crédit.
Des experts britanniques introduisent dans le lac Tanganika (ex-Victoria) des perches du Nil, en provenance du lac Albert, en aval, dans le but de convertir les énormes stocks d’un petit poisson peu comestible de l’espèce haplochromine en poisson à la chair très prisée… la réussite ira au-delà de toute prévision : réussite économique, attirant de nombreux nouveaux pêcheurs, commercialisation intégrale du poisson : les bons morceaux pour les riches, à l’exportation, les carcasses pour les pauvres, dans toute la région, mais ceci au détriment de la diversité des espèces : la perche, redoutable prédateur, mange tout ce qu’elle trouve sur son passage : sur les 500 espèces recensées dans ces années, il n’en restait plus que 200 en l’an 2000… la surexploitation entraîne une diminution de la taille des prises, et les pêcheurs sont trop pauvres pour accepter une réduction de leur activité… Les retombées économiques profitent à très peu, la plupart des fournisseurs et employés de l’usine de transformation devant se contenter de salaires de misère. L’histoire sera portée à l’écran en 2004 : Le cauchemar de Darwin.
Mise en place du quatrième système d’immatriculation des véhicules, en service jusqu’à 2010. Il alignait des chiffres de série, des lettres de série puis deux chiffres départementaux (chiffre plus lettre en Corse, trois chiffres dans les départements français d’Amérique et à la Réunion). La couleur de fond des plaques est progressivement passée du noir au blanc devant, jaune derrière. À partir de 2011, l’immatriculation suivra un classement européen : 2 chiffres, 3 lettres, 2 chiffres. En France la suppression de la référence départementale donna lieu à une bronca des usagers : quoi, on ne saura plus d’où je viens ! pour une fois, l’administration se montra plus intelligente : elle autorisa la mention du département sur la plaque, mais sans en tenir aucun compte pour ce qui la concerne, à telle enseigne que vous pouvez choisir le département qui vous plait : par exemple celui où vous avez perdu votre pucelage, ou même votre chien…. Si vous voulez être pris pour Breton, Basque, Alsacien ou Corse, rien ne s’y oppose. Prenez tout de même en compte la préférence des cambrioleurs pour les voitures immatriculées hors du département.
Pour les Verreries d’Arques commencent les cinquante – et non trente – glorieuses : […] Créée en 1825 à Arques, près de Béthune, la verrerie cristallerie est passée du statut de petite entreprise familiale à celui de leader mondial des arts de la table en moins d’un demi-siècle. Entré dans la verrerie en 1897, Georges Durand la rachète en 1916. Mais le développement débute vraiment après la première guerre mondiale quand son second fils, Jacques, intègre l’entreprise. Visionnaire, il développe de nouvelles techniques de fabrication, améliore la production et stimule la créativité. C’est dans cette petite ville du Pas-de-Calais que sont produits les premiers verres décorés de France ou que la production de verres à pied en cristal est mécanisée pour la première fois au monde. De 1950 à la fin des années 1990, l’ascension est continue avec un emploi créé par jour. C’est l’époque où les fils d’agriculteurs du coin passent un entretien le matin et embauchent le soir même à l’usine. Entré en 1968 chez Arc, René Schryve travaillait le verre en fusion à 1 400 °C. Sur sa peau brûlée, on distingue deux lettres tatouées : RC comme Repos Compensateur ! C’était des récup’, des journées qu’on prenait quand on voulait. Des primes de participation, des primes vacances, des augmentations de 10 %, un complexe sportif équipé de trois terrains de football et de deux courts de tennis, des repas de Noël dignes des plus belles tables : Chez Durand a rendu heureux des générations d’Audomarois. C’était une ville dans la ville.
Les mains et les avant-bras recouverts de traces de brûlure, René Schryve, 61 ans aujourd’hui, se souvient de ces belles années passées à l’usine : C’était une très bonne boîte du temps de M’sieur Jacques Durand, raconte l’ancien ouvrier chargé de la fabrication des verres à pied. On y vivait bien et notre patron savait comprendre les ouvriers. Pépé Jacques nous appelait même par nos prénoms.
Grâce au génie de Jacques Durand, on a eu jusqu’à 13 000 salariés dans notre ville, raconte Michel Lefait, député (PS), ancien maire d’Arques pendant vingt-quatre ans. À sa mort en 1997, la famille a perdu un grand capitaine d’industrie qui a passé plus de quarante ans dans son entreprise. Il a instillé une ambiance maison et un attachement viscéral des salariés. Il pensait avant tout à fabriquer et à vendre, ce n’était pas un financier. […]
Laurie Moniez. Le Monde du 7 décembre 2014
En Chine, des milliers de jeunes filles sont transférées du Shandong (9 000), du Hunan (8 000), du Henan (1 000) au Xinjiang, la province la plus occidentale, pour engendrer de nouvelles générations.
Ère géologique : anthropocène: 1950 à nos jours, L’année 1950 a été choisie comme marquant la fin de la décennie lors de laquelle a été découverte la datation au carbone 14.
12 01 1951
Le docteur Marceau Servelle réalise la première greffe de rein en France à l’hôpital de Créteil.
1 02 1951
Le peuplement forcé des marches occidentales de la Chine va de pair non seulement avec la mise au pas des populations autochtones, mais aussi avec celles nouvellement arrivées, hors contrôle chinois : ces derniers, de tout temps portés à limiter la liberté de circulation, ne peuvent supporter les nomades, en l’occurrence des Kazakhs originaires du département de l’Ili, frontalier de l’actuel Kazakhstan, descendants des Turkmènes d’Asie. La guérilla est permanente depuis des années et ce jour-là, tous réunis sur les rives du lac de Gas pour leur conseil de guerre – le Hour Altaï -, ils se font attaquer par des troupes communistes qui mettent en fuite les survivants du massacre.
À gauche de la route apparut tout à coup le halo du lac de Gas, le Yeshil Kôl ou lac Vert des Ouïgours. Cette nappe d’eau salée d’une importance substantielle, frontalière des trois provinces les plus sauvages du Far West chinois, avait vu passer la plupart des grands explorateurs au sortir de leurs itinéraires les plus engagés, de Sven Hedin à Aurel Stein et à Przhevalsky. Surtout, le lac de Gas méritait une mention à part quant à la dramatique histoire du peuple kazakh, une minorité turcophone d’environ huit cent mille personnes en Chine, dans les régions du Sinkiang et du Tsaïdam. Originaires de la contrée la plus excentrée de l’empire – le département de l’Ili frontalier de l’actuel Kazakhstan issu de la partition de l’Union soviétique – les Kazakhs de Chine subirent dans la première moitié du XX° siècle une répression féroce de la part des Hans. Vrais nomades épris de liberté, leur mode de vie était montré du doigt par les Chinois obsédés de conformisme et de tout temps enclins à limiter la liberté de circulation. Durant des dizaines d’années, jusqu’à la création de la Région autonome du Sinkiang en 1955, les Kazakhs vécurent un harcèlement permanent, optant pour la lutte armée contre les Hans lorsqu’ils y étaient contraints. À partir de 1949 eut lieu un exode épique qui mérite d’être conté. Le vieux chef Ali Beg conduisit une partie des siens loin des verts pâturages natals de l’Ili, vers des contrées désertiques perdues où les communistes pourraient enfin les oublier à jamais et les laisser en paix, sur les rivages reculés du lac de Gas. Ils ne savaient pas qu’ils iraient bien plus loin. Aujourd’hui encore, leurs congénères restés en Chine content toujours l’histoire de cette véritable épopée.
Les Kazakhs d’Ali Beg mirent d’abord le cap sur la route septentrionale de la Soie et longèrent, vers l’est, le vaste Taklamakane. Arrivés au niveau de la dépression de Tourfane, harcelés par les communistes, ils résolurent de s’enfoncer droit au sud dans les Kourouk Tagh, les montagnes de la Soif, bravant une mort probable pour échapper à leurs poursuivants. C’est l’une des régions les plus inhospitalières de Chine où il ne pleut absolument jamais, où l’on ne trouve ni eau, ni nourriture, et aucun être humain. Le voyage se fit en hiver, par un froid extrême toutefois préférable aux rigueurs de l’été. Allant jusqu’à boire leur urine et celle de leurs animaux, ils vinrent à bout de cette formidable traversée, ne déplorant la perte que de quelques hommes mais de nombreuses bêtes.
Surgissant tels des fantômes de l’implacable désert du Lob, ils gravirent les contreforts de l’Altyn Tagh et se fixèrent sur les rivages du lac de Gas. Dans la solitude de ces terres lointaines, à plus de mille kilomètres à vol d’oiseau de leur contrée natale, les Kazakhs se mirent à douter, réalisant le caractère inéluctable de l’emprise chaque jour plus grande de l’étau communiste. Sur les prairies clairsemées entourant le lac, ils réunirent de grands Hour Altaï, ces conseils de guerre kazakhs. Deux conceptions s’affrontèrent. D’une part il y avait celle du chef Osman Batur, qui militait en faveur d’un établissement définitif sur les pourtours du lac, en verrouillant militairement tous les accès depuis la ville chinoise la plus proche, Toun-Houang. En authentique Kazakh, Osman ne dédaignait pas combattre et sa fierté le détournait de poursuivre l’exode. Il était par ailleurs convaincu d’être l’instrument de la prophétie de son père, Boto Batur, qui affirma en 1936 : Un jour, nous repousserons les infidèles dans les déserts et nous les y détruirons, quand bien même seront-ils aussi nombreux que les sables du Taklamakane.
Ali Beg prônait pour sa part un exil plus lointain encore, convaincu qu’il n’y avait plus de place en Chine pour un peuple aussi nomade que le sien.
Le 1° février 1951, des événements aussi soudains que tragiques allaient décider du sort des fugitifs du lac de Gas. Les troupes communistes attaquèrent par surprise les Kazakhs alors qu’ils étaient réunis pour un Hour Altaï. Tous, hommes, femmes et enfants, combattirent courageusement, en accord avec le vieux proverbe de leur peuple : Mieux vaut mourir que de vivre tel un animal qui regarde l’homme comme s’il était Dieu. À un moment, Osman Batur dut fuir sur le lac gelé et la glace finit par céder. L’histoire affirme qu’il éventra son cheval dont le corps mort lui servit de radeau pour regagner la rive où il fut cueilli par les Chinois. Transféré à Toun-Houang, il connut durant six mois la prison, la torture et le déshonneur. Il fut ensuite conduit à la lointaine Ouroumchi où sa décapitation publique fut organisée avec soin, en guise d’exemple pour de nombreux Kazakhs, contraints d’assister au supplice.
Ali Beg et une moitié de ceux qui avaient échappé au massacre reprirent quant à eux le chemin de l’exode. Ce fut un voyage sans précédent qui les vit forcer les solitudes absolues du Grand Nord tibétain, par groupes de cent à deux cents individus, pour mettre le cap sur l’Inde par la chaîne du Ladakh, dans l’ouest de l’Himalaya. Durant cette épopée de cent quatre-vingt-treize jours, à des altitudes qui dépassaient quelquefois 6 000 mètres, le peuple d’Ali Beg traversa la région la plus inhospitalière d’Eurasie, à l’écart des pistes les moins connues. Parvenus contre toute attente à la frontière du Cachemire, en août 1951, une sanglante échauffourée les y opposa à un détachement communiste, sous les yeux médusés des gardes indiens qui les admirent au plus vite sur leur sol, les sauvant d’une mort certaine. Jusqu’en 1954, ceux d’Ali Beg séjournèrent en Inde, dans un environnement radicalement différent de leurs lointaines steppes de l’Ili. Cette année-là, leur exode allait les conduire bien plus loin encore, lorsque des avions des lignes aériennes turques se posèrent sur le tarmac de l’aéroport de New Delhi. Ils allaient transporter les Kazakhs, avec leur accord, jusqu’en Cappadoce où les autorités d’Ankara avaient organisé, près de la ville de Kayseri, la sédentarisation de ces lointains cousins de Chine. Ils s’y trouvent encore, avec leurs descendants.
Jean Buathier. Aux confins de la Chine. Arthaud 2004
02 1951
Colette a 78 ans. Elle séjourne à Monte Carlo. Dans le hall de l’Hôtel de Paris, son regard s’arrête sur la très jeune anglaise Audrey Hepburn, 22 ans, qui tourne Rendez-vous à Monte Carlo. Colette : voilà Gigi… inutile de chercher plus loin. Et ce sera Gigi, avec une adaptation anglaise d’Anita Loos. Colette aura beaucoup pesé dans le succès d’Audrey, qui lui en sera toujours reconnaissante : elle gardera toute sa vie la photo que lui avait remise Colette en lui disant : J’écris coté photo… c’est ma crème anti-ride… : À Audrey Hepburn, le trésor que j’ai trouvé sur la plage.
13 03 1951
Israël chiffre à 6,2 milliards de marks le montant des réparations dues par l’Allemagne. Le 10 septembre 1952, le traité de réparation germano-israélien est signé à Luxembourg : la RFA s’engage à livrer des armes pour une valeur de 3 milliards de DM à Israël en 12 ans, ainsi qu’à verser 450 M. de DM à titre d’indemnisation des institutions juives anéanties sous le régime nazi. Mais l’économie israélienne bénéficie surtout des indemnités individuelles accordées par le gouvernement de la RFA, en vertu de la loi sur le remboursement qui s’élève à 30 milliards de DM. Près de 50 ans plus tard, les principales organisations juives internationales obtiendront de deux banques suisses, gérantes de l’or volé aux Juifs par les Nazis, 1,25 milliard $.
18 04 1951
Signature du traité instituant la CECA, embryon du Marché Commun d’abord, puis de l’Europe : Communauté Européenne Charbon Acier, qui regroupe Allemagne de l’Ouest – RFA -, Belgique, Italie, Luxembourg, Pays Bas, France. Dans ses mémoires, Jean Monnet répond à un journaliste qui lui demande pourquoi, dans le fond, c’est Robert Schuman qui a traité ce dossier : j’avais remis une copie de ce dossier à Robert Schuman et une autre au ministre de l’économie : c’est Robert Schuman qui a répondu le plus vite…
Qui a répondu le plus vite… l’affaire n’est pas vraiment innocente et la vie de Robert Schuman le prédisposait à ce destin d’Européen : il n’aura tout de même pas été donné à beaucoup d’hommes d’avoir été le ministre des Affaires Etrangères de la France après avoir servi l’Allemagne comme officier pendant la première guerre mondiale !
19 04 1951
À Washington, devant le Congrès, Mac Arthur fait ses adieux à la vie publique. Il vient de parler pendant 35 minutes et a été trente fois ovationné ; il en termine : Les vieux soldats ne meurent jamais, ils ne font que s’éteindre. Et comme le vieux soldat de cette ballade, je vais maintenant terminer ma carrière militaire et disparaître – un vieux soldat qui a essayé de faire son devoir puisque Dieu lui avait donné la lumière pour voir ce devoir. Au revoir.
3 05 1951
Jacques Anquetil, 17 ans, remporte sa première course de vélo à Rouen… on n’a pas fini d’entendre parler de lui. Qu’on en juge… et la liste n’est pas exhaustive :
16 06 1951
La guerre de Corée fait rage depuis un an, et tourne à la débâcle pour l’armée américaine. La Navy et l’U.S. Air Force construisent en toute hâte et dans le plus grand secret une base nucléaire gigantesque à Thulé, dans le nord-ouest du Groënland ; 12 000 hommes, 800 millions $. Pourquoi en terre danoise, habitée par des Inuit et non sur l’île voisine d’Ellesmere, complètement déserte et canadienne ? Les quelque 300 Inuit habitant Thulé seront chassés deux ans plus tard cent kilomètres plus au nord. Les Américains ne s’arrêteront pas là : à 120 km à l’est de Thulé, ils vont construire une base de lancement de missiles nucléaires – c’est pour les Américains la plus courte distance pour atteindre Moscou – enfouis dans des galeries de glace : camp Century. Ils vont creuser des galeries dans la glace, en recouvrir le haut avec des tôles ondulés en arc de cercle, remettre de la neige par-dessus… et l’on ne verra plus en surface qu’une ou deux sorties à l’air libre ; tout cela dans la plus parfaite irresponsabilité, sans vouloir prendre en compte le fait qu’une calotte glacière bouge comme tout glacier et va donc faire subir à cet habitat glaciaire les contraintes de tout glacier. L’ensemble est chauffé par un réacteur nucléaire… il y a tout le confort… eau chaude, gaz et curé à tous les étages. C’est dans les maisons qu’il fait bon car, dans la galerie principale on peut avoir jusqu’à – 30°. Mais à l’usage, il s’avérera que quand on met du chauffage dans tout ce bazar, cela fragilise l’ensemble, en faisant fondre les parois des galeries. Par ailleurs, les tensions générées par la guerre froide vont se réduire et les Américains vont abandonner tout ça en 1966, laissant tout sur place, réacteur nucléaire inclus. Et le brave Danemark n’aura qu’à se démerder comme il pourra avec ces milliers de tonnes de déchets enfouis sous la glace !
23 06 1951
Une 3° expédition Française à l’Himalaya, organisée par Marcel Livet est contrainte par des aléas diplomatiques. Les frontières du Tibet et du Népal restent fermées pour les alpinistes Français. L’expédition se réorganise et s’oriente finalement vers le Massif du Garhwal, accessible par l’Inde, et sur son sommet principal, la Nanda Devi qui culmine à 7 816 m d’altitude. Cette montagne a la particularité de comporter 2 sommets, reliés par une arrête de près de 3 km de long, en permanence au-dessus de 7 000 m d’altitude. Roger Duplat, le chef d’expédition, décide alors de transposer une pratique alpine courante, qu’est la jonction de 2 sommets par l’arête qui les lie.
Les 8 Alpinistes sont rejoints en Inde par 8 Sherpas. Ils sont menés par le Sherpa Tensing, omniprésent dans les expéditions himalayennes. Le 22 juin 1951, Roger Duplat, approchant de la Nanda Devi, écrivait à Jean Montel, à Marcel Livet, à Jean Guye, sans qui l’expédition ne serait jamais partie : Avant-hier, départ normal de Barbezat. Retour d’un groupe de coolies au camp de base. Hier, refus de ceux-ci de partir et discussion. Ce matin, sans explications, ils étaient tous prêts à partir. Arrivée de 2 sherpas plus 14 coolies avec des vivres (d’en bas) donc plus rien derrière, sauf le courrier. Demain, de bonne heure, je pars en tête (2 jours) et j’attaque la Nanda. D’après les notes reçues, le moral devant est excellent, ici il est encore meilleur. Si le temps se maintient une semaine, c’est gagné. Amicalement. Roger Duplat. Il faisait équipe avec Gilbert Vignes : nul ne les reverra jamais.
Le groupe qui attendait la cordée en contrebas du sommet Ouest gravira le sommet de la Nanda Devi Oriental le 6 juillet, à 7434 m d’altitude, dans une météo terrible, à la recherche de leurs camarades. Mais au sommet ils n’apercevront rien. Tensing, le vainqueur de l’Everest, dira plus tard de cette ascension qu’il s’agit du sommet le plus difficile qu’il ait eu à gravir de sa vie. Le 8 juin, l’équipe est réunie au camp de base, et un télégramme part annoncer la terrible nouvelle.
résumé du récit de Marcel Livet
17 07 1951
La veille, le Hollandais Wim Van Est a pris le maillot jaune dans le Tour de France. Il n’a pas d’expérience des cols mais se débrouille fort bien dans l’Aubisque, jusqu’à une première chute, sans gravité, puis une seconde qui l’envoie valser sur 70 mètres dans la pente : il n’a rien de cassé mais s’en sort tout de même bien cabossé. L’un de ses sponsors, les montres Pontiac, profitera de l’affaire pour lui faire dire : J’ai fait une chute de soixante-dix mètres, mon cœur s’est arrêté de battre, mais ma Pontiac marchait toujours.
19 07 1951
Condamnation d’Henri Martin, marin communiste, partisan du Viet Minh. Nombreuses manifestations en France. On verra son nom sur bien des murs dans les années 1955 1960 : libérez Henri Martin
23 07 1951
Mort à l’île d’Yeu, du Maréchal Pétain, 95 ans. C’est une bonne affaire pour Paris-Match qui tire alors à 580 000 exemplaires. La mort de George VI d’Angleterre, l’année suivante en demandera 980 000 ! Le poids des mots, le choc des photos était bien déjà là, mais Roger Théron, le rédacteur en chef, attendra 1979 pour lancer le slogan.
07 1951
L’église du Plateau d’Assy fait couler de l’encre :
On reproche à Assy d’être une église-musée, d’avoir fait appel à des non-chrétiens et des communistes ; l’architecture lumineuse de Vence bat en brèche l’idée convenue de la pénombre nécessaire à une église ; Audincourt, avec son œuvre non-figurative, redouble le débat sur la convenance de l’art religieux et les déformations du Christ de Germaine Richier (et de Rouault) suscitent le scandale. Les attaques ne viennent pas des vrais destinataires des édifices, qui les adoptent rapidement, mais de divers groupes : chrétiens tenants d’une voie moyenne entre l’indéfendable art Saint-Sulpice et l’avant-garde moderne ; gens dénués de pratique religieuse mais dont la symbolique chrétienne constitue une référence culturelle ; intégristes surtout, les plus virulents. Un tract très polémique est distribué en janvier 1951 à Angers, lors d’une conférence de l’abbé Devémy. En avril 1952 Arts publie de venimeux articles de Gino Severini (L’Église a-t-elle trahi le Christ ? Malfaisance de Matisse, Léger et Richier Du côté des snobs !). À Ronchamp, la campagne de presse est extrêmement hostile à dater de 1952. Deux ans plus tard, c’est un véritable risque que prend l’évêque auxiliaire Georges Béjot (1896-1987), après la mort de Mgr Dubourg en 1954, lorsqu’il bénit la première pierre sans attendre l’arrivée du nouvel archevêque Mgr Dubois. Une masse considérable d’écrits va paraître durant toute la décennie.
Je ne veux pas penser aux menaces extérieures : même si cela doit être démoli, il faut encore bâtir quelques églises, dire quelques vérités, élever quelques barricades (spirituelles aussi), écrit M.-A. Couturier à Louise Gadbois au début de 1951. La querelle apparaît assez peu dans L’Art sacré. Dans le fascicule Bilan d’une querelle (AS, 9-10, mai-juin 1952) est détaillée une Déclaration des évêques de France qui approuve les thèses principales de la revue. Mais presque au même moment sort à Rome une Instruction sur l’art sacré, signée des cardinaux Pizzardo et Ottaviani, qui est bien évidemment interprétée comme une condamnation par les adversaires de L’Art sacré, en dépit du fait que ce texte ne ferme pas la porte aux formes nouvelles. Mais ainsi que le note Wladimir d’Ormesson, ambassadeur près le Saint-Siège, l’art religieux est le domaine réservé de Mgr Celso Costantini, l’un des prélats de la Curie les plus chargés de fonctions et les plus comblés d’honneur, secrétaire très distingué de la Sacrée Congrégation de la Propagande, et ses idées recoupent celles de l’intégriste L’Observateur de Genève de Charles du Mont. Durant l’été qui suit, Mgr Costantini publie dans l’Osservatore romano une série d’articles accusant les figures du Christ et de la Vierge d’être de vrais blasphèmes en peinture qu’un Index devrait condamner, ou les crucifix de Rouault d’être truculents … Les fonctions que Mgr Costantini occupe dans la hiérarchie, explique W. d’Ormesson, ne lui ont laissé que peu de loisirs pour se familiariser avec les différentes tendances de l’art moderne.
Marie-Alain Couturier dominicain, à l’origine du choix des artistes pour la décoration de l’église du Plateau d’Assy, dans le Dictionnaire biographique des frères prêcheurs.
Gabriel Marcel, philosophe répond à La Table Ronde sur l’Eglise d’Assy.
Monsieur le Directeur,
J’ai été non seulement surpris mais très profondément choqué par la protestation émise dans la Table Ronde par M. Bernard Dorcival au sujet du retrait du Christ de Madame Richier exigé par l’évêque d’Annecy. Je n’admets pour ma part en aucune manière qu’un critique d’art conteste à l’autorité ecclésiastique le droit de faire enlever d’une église une œuvre qu’elle juge susceptible de scandaliser les fidèles. Je n’ai pu voir, à vrai dire, qu’une reproduction du Christ en question : en photographie, il se présente à peu près comme un rameau rachitique et couvert d’une espèce de moisissure. Quand je parle de scandale pour les fidèles, je veux dire très exactement ceci qui me paraît étrangement méconnu pour certains de ceux dont la mission est pourtant de sauvegarder les intérêts de la foi. Si une œuvre d’art est présentée aux fidèles dans une église, c’est exclusivement pour autant que cette œuvre est de nature à servir en quelque manière de support matériel à la prière ou à l’adoration ; ceci ne veut évidemment pas dire, comme l’ont pensé les sectateurs de l’art Saint Sulpice, qu’une église doive devenir une sorte de succursale du Musée Grévin ou un conservatoire de bondieuseries douceâtres. Il est certes on ne peut plus légitime de penser que l’art religieux de notre temps doit être à la fois viril et tragique.
Mais ce qui est intolérable – je dis bien intolérable, et rien ne me fera atténuer cette épithète – c’est de prétendre offrir à la contemplation des fidèles, au nom d’un dogmatisme à la base duquel la psychanalyse n’aurait aucune peine à découvrir trop souvent l’impuissance et le ressentiment, les fruits morts nés d’une cérébralité desséchée.
Si les autorités diocésaines s’émeuvent de cette intrusion, il convient de les en féliciter hautement. Je noterai d’ailleurs qu’il y a quelque chose d’outrageant pour l’esprit à penser que la décoration d’une église a été confiée à des hommes dont on sait parfaitement qu’ils sont étrangers à toute foi religieuse. Il faudrait se demander que sont les étranges mobiles d’une pareille aberration. J’aperçois là quant à moi sur le plan de l’art une pactisation, je dirais même une capitulation qui correspond exactement à ce que nous constatons dans d’autres domaines. Il se peut aussi – et c’est une pensée qui m’est venue bien souvent quand je voyais jadis Jacques et Raïssa Maritain assister à des concerts d’avant-garde alors que jamais ils ne se seraient dérangés pour entendre une œuvre classique ou romantique -, il se peut, dis-je, qu’il y ait chez certains catholiques dont la pensée doctrinale s’est constituée à contre courant et se formule dans le plus scolastique des langages un besoin de compenser cette volonté de réaction systématique en donnant des gages à la révolution là où elle est jugée sinon souhaitable, du moins anodine.
Je sais parfaitement que je pose ici, et dans les termes les plus susceptibles d’exaspérer ceux à qui je m’adresse, des problèmes d’une extrême gravité. Il est bien entendu, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas de l’art actuel considéré en lui-même, mais de ses prolongements dans le domaine religieux. Je souhaite pour ma part très vivement que cette question donne lieu ici même à un débat auquel participeront de part et d’autre des artistes et des personnalités du monde ecclésiastique, à la condition expresse que soit aussi donné la parole à ceux qui sont d’accord avec l’évêque d’Annecy dans cette affaire.
Car il ne faudrait tout de même pas laisser croire que le Père Couturier [2] ou le Père Régamey, je cite à dessein ces deux personnalités, sont ici les représentants autorisés de l’Église. Et il ne faudrait pas s’imaginer non plus que leurs adversaires sont ipso facto les champions d’un art rétrograde – on ne peut même pas parler d’art, mais seulement d’une pacotille qui a très longtemps déshonoré nos édifices religieux. C’est là un faux dilemme qu’il convient de refuser à tout prix. Et avec ce dilemme, il faut refuser l’espèce d’intimidation systématique à laquelle ont recours ceux qui prétendent au nom de théories trop souvent imputables au pire esprit d’abstraction, régenter systématiquement l’art religieux. S’il y a un domaine d’où l’esprit d’abstraction doive être banni, c’est certes bien celui-là.
7 08 1951
Aux États-Unis, une fusée Viking, construite sur le modèle du V2, monte à 20 000 m.
20 08 1951
Le gouvernement suisse refuse le droit de vote aux femmes. Mais du point de vue d’un étranger, il en faudrait beaucoup plus pour que ce pays perde son pouvoir attractif : la mère de l’écrivain Albert Cohen habite Marseille, d’où elle s’échappe le plus souvent possible pour aller voir son fils qui travaille à Genève ; à arpenter de long en large cette ville, cette amoureuse de la propreté ne peut qu’en être fascinée.
Elle admirait tout de la chère Genève et de la Suisse. Elle était enthousiaste de ce petit pays, sage et solide. Naïve, elle faisait pour la Suisse des rêves de domination universelle, élaborait un empire mondial suisse. Elle disait qu’on devrait mettre de bons Suisses, bien raisonnables, bien consciencieux, un peu sévères, à la tête des gouvernements de tous les pays. Alors, tout irait bien. Les agents de police et les facteurs seraient bien rasés et leurs souliers bien cirés. Les bureaux de poste deviendraient propres, les maisons fleuries, les douaniers aimables, les gares astiquées et vernies, et il n’y aurait plus de guerre. Elle admirait la pureté du lac de Genève. Même leur eau est honnête, disait-elle. Je la revois, lisant avec respect, la bouche entrouverte, l’inscription gravée au fronton de l’Université : Le peuple de Genève, en consacrant cet édifice aux Études supérieures, rend hommage aux bienfaits de l’instruction, garantie fondamentale de ses libertés. Comme c’est beau, murmura-t-elle, regarde les belles paroles qu’ils savent trouver.
Albert Cohen. Le livre de ma mère. Gallimard 1954
Création de l’échelle mobile des salaires : toute augmentation du SMIG entraîne automatiquement une augmentation, dans la même proportion, de tous les salaires : cette machine infernale aura la vie dure et il faudra attendre un pouvoir socialiste pour y mettre fin, dans les années 90.
16 08 1951
Intoxication alimentaire à Pont St Esprit, 4 500 habitants, dans le Gard. Les salles d’attente des deux médecins, Vieu et Gabbai, ne désemplissent pas. Près d’une vingtaine de malades viennent consulter pour des problèmes digestifs : nausées, vomissements, frissons, bouffées de chaleur. Les jours suivants, les symptômes s’aggravent et mutent en crises hallucinatoires insupportables. Le cœur de ces Spiripontains bat à moins de 50 pulsations par minute, leur tension artérielle est basse, leurs extrémités froides. Après quelques jours, ces patients sont pris d’insomnies rebelles et leurs troubles digestifs s’aggravent. Ils souffrent de vertiges, de tremblements, de sudation excessive et malodorante. Certains sont même hospitalisés pour des complications cardio-vasculaires. On conclue assez vite que la présence d’ergot de seigle (sclérote noir du champignon parasite Claviceps purpurea, apparaissant au milieu de l’épi mûr du seigle) dans la farine a entraîné la mort de sept personnes, l’internement de quarante autres et des symptômes à deux cent cinquante autres. Le pain du boulanger, Roch Briand est au cœur de l’affaire : même les animaux qui en ont consommé sont touchés : un chat fait des bonds qui atteignent le plafond de la pièce et meurt, un chien décède brusquement après une sorte de frénétique danse macabre. La nuit du 25 au 26 août la nuit de l’apocalypse, 23 hallucinés sont internés d’urgence dans l’hôpital de Pont-Saint-Esprit, plusieurs se jettent par la fenêtre La maladie n’est pas nouvelle, elle portait autrefois les noms colorés de mal des ardents ou feu de Saint Antoine, mais la substance hallucinogène qui la caractérise n’est autre, on le saura plus tard, que le LSD : Lyserg Säure Diethylamid, découvert accidentellement par Albert W Hofmann en 1943, qui avait avalé par erreur une petite dose du produit – diéthylamide de l’acide lysergique -.
L’ergotine, cette peste des extrémités provoquait des troubles hallucinatoires accompagnés de délires et de convulsions. Dans les cas graves, certains alcaloïdes de l’ergot diminuaient ou bloquaient l’irrigation sanguine, provoquant de terribles gangrènes. Le corps se desséchait et les extrémités devenues noires se détachaient. C’est en 1777 que l’origine de ce fléau est identifiée grâce aux travaux de l’abbé Tessier qui montra que l’administration de poudre d’ergot à des canards produisait les symptômes. En 1918, le laboratoire Sandoz synthétise le poison et met au point l’ergotamine, un médicament hypertenseur. En Europe, la dernière épidémie se produisit en Russie en 1926.
On fera venir Albert Hofmann au village, qui entérinera la piste de l’ergot, ou d’un alcaloïde proche du LSD. Mais de retour à Bâle, bizarrement, il se rétractera, arguant que les délires des Spiripontains diffèrent des hallus provoqués par le LSD, laissant ainsi libre le champ des interprétations.
L’enquête du commissaire Sigaud s’oriente très rapidement vers un meunier poitevin de Saint Martin la Rivière, Maurice Maillet, accusé d’avoir mélangé dans la farine employée à Pont-Saint-Esprit du seigle avarié, et vers le boulanger Guy Bruère qui lui aurait fourni ce seigle. Maillet avoue et déclare : je n’ai pas osé livrer cette marchandise de mauvaise qualité dans ma commune, alors je l’ai expédiée à Pont-St-Esprit. Les Spiripontains applaudissent l’arrestation de ces deux hommes fin août. Tous deux passent deux mois en prison avant d’être innocentés et d’obtenir leur libération provisoire fin octobre 1951, un laboratoire militaire d’analyse de Marseille n’ayant trouvé aucune trace d’ergot de seigle ni dans le pain, ni dans la farine
Le juge d’instruction fermera le dossier en juillet 1954, prétendant qu’il a trouvé l’origine de cette intoxication : elle serait due à l’ingestion de dicyandiamide de méthyl-mercure, un produit contenu dans un fongicide [Panogen] utilisé pour la conservation des grains ayant servi à faire la farine. La justice retient donc cette hypothèse, mais cette piste finira par être abandonnée à la suite d’une thèse en pharmacie soutenue en 1965. Cependant, pour les chercheurs au laboratoire de toxicologie de l’INRA, Isabelle Oswald et Olivier Puel, qui étudient les mycotoxines, produites par Aspergillus fumigatus, les symptômes des habitants de Pont-Saint-Esprit, hallucinations et signes de vasoconstriction, font penser à une crise d’ergotisme.
Sans preuves irréfutables, on se contentera d’accuser pendant des dizaines d’années l’ergot de seigle, les partisans de cette version se gaussant bien sûr de tous ceux qui raffolent des théories du complot… jusqu’à ce que soient publiés plusieurs livres par des Américains et après qu’en 1995, Bill Clinton se soit excusé publiquement des expérimentations faites sur des cobayes involontaires pendant la guerre froide, au nom des États-Unis. D’autres endroits aux États-Unis et en Europe ont été victimes à cette époque de ces expérimentations de la CIA. Les documents déclassifiés existent, même si les informations importantes ont été caviardées
Dès lors, les partisans de la théorie du complot relèvent la tête – tiens, tiens, ne serions-nous plus tout à fait des imbéciles ? mais hélas il est quasiment certain que jamais aucun ne pourra crier victoire car jamais la CIA ne mettra au grand jour les preuves de ses mortelles turpitudes.
31 08 1951
Projet d’assainissement financier de la Sécurité Sociale.
22 10 1951
Dans Elle, Françoise Giroud publie un long article : Les Françaises sont-elles propres ? résultat d’un longue enquête, à ses dires. Et de se livrer à une longue liste des règles d’hygiène quotidienne, ce que n’aurait osé faire aucun ministre de la Santé : d’où cela sort-il ? Nul ne le sait, mais il est très probable que ce soit l’un des dommages collatéraux les plus manifestes du Plan Marshall : mettre culturellement l’Europe occidentale à la remorque des États-Unis, l’incontournable american way of life. Pour ce qui est de l’hygiène, cela commence par la sacro-sainte règle américaine : au moins deux douche par jour etc… L’affaire va faire grand bruit.
25 10 1951
À 77 ans, Winston Churchill redevient premier ministre du Royaume Uni.
Octobre/novembre 1951
Inondations dans le sud-est de la France, mais c’est surtout l’Italie du Nord, la plaine du Pô qui connaît le déluge : d’un débit moyen de 500 m³/sec, le Pô passe à 11 000 m³/sec, avec un lit de 30 km de large. L’efficacité des secours limitera le nombre de noyés à une centaine.
20 11 1951
Création de l’Ordre des Pharmaciens. Le chanoine Kir donne en exclusivité à la maison Lejay-Lagoute le droit d’utiliser son nom pour une réclame de cassis dans la forme qu’il lui plait et notamment pour désigner un vin blanc-cassis. Un an plus tard Lejay-Lagoute déposera la marque Kir. Un concurrent va se mettre sur la rangs… procès : le bon chanoine, habitué aux Saintes Écritures où chacun peut trouver ce qui lui plait, habitué encore aux promesses politiques qui n’engagent que ceux qui les croient, déclara qu’il n’avait pas voulu créer de situation de monopole – : j’avais pas voulu ça, moi -. Il faudra attendre 1992 pour que la justice tranche en faveur de Lajay-Lagoute. En fait, tout cela n’était qu’affaire des trompettes de la renommée : un jour de 1904, dans le bar Monchappet à Dijon, un serveur avait eu l’idée d’améliorer un peu le blanc du coin avec de la liqueur de cassis. Evidemment, personne ne retint le nom du serveur, mais le maire Henri Barabant, qui habitait au-dessus avait largement contribué à son succès en la servant lors des pots offerts par l’Hôtel de ville. Donc, dans l’affaire, le bon chanoine Kir, qui régalait ses collègues – les députés, pas les chanoines – au bar de l’Assemblée Nationale, n’avait fait que prêter son nom à un liquoriste. Les mœurs changeront plus tard, quand les stars du sport, du cinéma etc … au lieu de prêter leur nom, le vendront, et parfois très cher.
24 11 1951
La Calypso est mise à la disposition du Commandant Cousteau : c’est un ancien dragueur de mines construit aux États-Unis, qui a participé en 1943 au débarquement en Sicile sous le matricule HMS J-286, devenu ferry boat entre Malte et Gozo, où elle prit le nom de Calypso, nymphe grecque de l’île d’Ogygie qui s’éprit d’Ulysse quand il vint faire naufrage sur l’île. Le navire fût racheté par le brasseur anglais, Guinness, qui en laissa l’usage à Cousteau, lequel conserva le nom, qui lui plaisait. Il l’aménagea en navire océanographique et entreprit un voyage en Mer Rouge.
Quand il quitte son île d’Ithaque pour aller combattre sous les murs de Troie, Ulysse est un roi et un père de famille heureux, qui ne se soucie guère des nymphes et des magiciennes. Ce n’est qu’à son retour, dix ans plus tard, qu’il rencontrera les trois femmes qui feront de lui un amant comblé (pour deux d’entre elles) et un homme accompli : Circé (la femme fatale), Calypso (la nymphe au cœur fidèle) et Nausicaa (la princesse intouchable). Signalons toutefois un épisode, en général peu remarqué, de son séjour chez Calypso [3]. En tant que fille du Soleil, Calypso a le pouvoir de rendre les hommes immortels. Elle propose donc à Ulysse l’immortalité, mais Ulysse la refuse. Il veut retourner à Ithaque, il veut retrouver sa famille, il ne veut pas changer de vie, ni même de condition. Je ne sais s’il avoua ce haut fait à sa femme Pénélope, mais je pense que, plus encore que de vaincre les monstres, c’est un haut fait de se vaincre soi-même, de refuser d’être dieu et de préférer rester homme pour demeurer parmi les siens.
Jacques Lacarrière. Un jardin pour mémoire. 1999.
L’année suivante, Cousteau plongera sur les deux épaves du Grand Congloué, l’une du début du II° siècle av. J.C., l’autre de la fin du même siècle, dans les calanques de Marseille, tout à côté de l’île de Riou, y effectuant les premières fouilles archéologiques sous-marines. Il y croise un jeune plongeur de 23 ans : Henri Germain Delauze, qui, 9 ans plus tard, créera la Comex. Leurs chemins n’ont pas fini de se croiser, s’entrecroiser : au premier la célébrité médiatique gonflée par un ego surdimensionné, avec de bonne longueurs d’avance sur les coups de com, au second l’audace de l’entrepreneur, une intelligence hors-norme et une vision technique avancée.
Pour ce qui est des amphores, il ne faudrait pas leur attribuer dans le temps plus de durée qu’elles n’en ont occupé. Si leur principal avantage est de bien se conserver sur le fond de la mer, il ne faut pas pour autant en déduire qu’elles sont le seul contenant à avoir existé. Sans parler des dolia qui sont des contenants ne pouvant être déplacé, mais qui, elles aussi, ont laissé des traces, il est important de mentionner le contenant qui, pendant plusieurs siècles a pris la suite des amphores, à savoir le tonneau de bois, lequel à donné son nom à une unité de volume marin au sein de laquelle une chatte ne retrouverait pas ses petits, selon qu’il est anglais ou français, selon ceci, selon cela etc… Mais, sur le plan historique, jamais aucun archéologue n’a retrouvé de tonneau au fond de la mer, car sa durée de vie dans la mer est très courte ; il s’y décompose vite, sauf à être envasé entièrement et, s’il est dans des eaux chaudes, il est vite mangé par les tarets, des crustacés qui se nourrissent de bois en le perforant sur plusieurs centimètres de trous d’un diamètre de celui d’un stylo Bic. Par contre, à terre, on voit plus fréquemment les fûts et foudres – des tonneaux de grande capacité – qui ont pris la place des dolia. Le tout premier avantage du tonneau, c’est d’être beaucoup plus léger – à capacité de volume équivalent – que l’amphore ; ensuite on peut par exemple le tourner pendant de voyage, ce que faisaient les Anglais avec le Porto qu’ils importaient du Portugal, c’est aussi qu’il donne un parfum typé – le fameux, trop fameux vieilli en fût de chêne, dont se gargarisent les vignerons dont le vin manque justement de parfum. C’est bien dans des tonneaux de bois que les Colomb, Magellan, Cook, Lapérouse etc… stockaient leur eau et leur vin, et aussi leur huile et même leur choux fermenté.
27 11 1951
Accord entre la Chine, la Corée et l’ONU sur le tracé d’une ligne de démarcation entre les Corée du Nord et du Sud.
1 12 1951
Les États-Unis octroient à la France une aide économique de 600 M. $.
15 12 1951
Assemblée générale de l’UNEF, alors le seul syndicat étudiant. Michel Rocard est à Sciences Po. Il crée le CAS – Comité d’Action Syndicale – de la faculté de droit du Panthéon, regroupant des socialistes, des communistes et des catholiques de gauche ; le but est de dégommer Jean-Marie Le Pen, président de la Corpo de droit, mais aussi de l’UNEF où il exerce son pouvoir sans partage. Chacun parle, Le Pen comme Rocard… puis on passe au vote : 343 voix au CAS, 333 à l’Association corporative, qui mauvaise joueuse, déclare : on recompte ; et on trouve 333 dans chaque camp ; on recompte encore, et cette fois-ci le camp Le Pen gagne avec trois voix de plus ; ils ont fraudé, triché, juste ce qu’il fallait. Le représentant de l’administration a entériné la triche et le tour est joué. À l’année prochaine !
19 12 1951
Découverte de pétrole et de gaz naturel à Lacq : 260 milliards de mètres cubes de gaz enterrés dans le Béarn, près de Pau. Mais de la découverte à la production, il faudra sept ans de recherches pour mettre au point un acier capable de résister à la corrosion et imagine un outil de désulfuration du gaz. Car celui-ci se trouve à 3 000 mètres de profondeur, sous de très hautes pressions et températures et il est très riche en hydrogène sulfuré donc hypercorrosif. En 1957, à force de temps et d’obstination, la France inaugurera la plus grande usine de gaz d’Europe. Au début des années 1970, le pays s’autoalimente en gaz à hauteur de 30 %. En début de production, on aura 350 000 m³ par jour. Dans les décennies 1950/1960, la production sera de 30 millions de m³/jour. La France des années 2000 consommera en moyenne 40 milliards de m³/an, soit 11 millions de m³/jour.
Lors de l’arrêt de la production en octobre 2013, les acteurs français du pétrole rappelleront à l’envi que si l’on découvrait le gaz de Lacq de nos jours, son exploitation serait interdite car jugée trop dangereuse. Bien sûr, en arrière-plan, c’est à l’impossibilité d’explorer les gaz de schiste dans l’Hexagone que ces industriels feront allusion. De fait, l’expérience de Lacq n’est pas reproductible : l’inscription du principe de précaution dans la Constitution Française, décidée par la France en 2005, ne permet plus de lancer de tels programmes industriels.
25 12 1951
Avec la bénédiction du chanoine Kir, député-maire de Dijon, l’évêque fait brûler le père Noël sur le parvis de la cathédrale, ultime baroud d’honneur des défenseurs de la vraie foi face à l’envahissement des ersatz et autres succédanés qui viennent dénaturer Noël. Après cela, toute la chrétienté laissera le champ libre à ce dernier témoin des fêtes païennes, revu et revisité par la Scandinavie puis par l’Amérique, et récupéré par le consumérisme naissant. Il est plus facile de demander à un vieux Père Noël, barbu et grisonnant d’apporter des cadeaux qu’à un nouveau-né, fut-il Dieu.
1951
Dans les studios CBS de New York, première émission publique retransmise sur une télévision en couleur. Pas loin de là, à Cuba, la boite magique s’installe aussi… en plus grand nombre qu’en Italie ! Raúl Chibas, leader du parti orthodoxe et premier maître du jeune Fidel Castro dénonce lors d’une émission en direct la corruption du régime : les invités se moquent de lui : il se tire une balle dans la tête.
L’explorateur-alpiniste anglais Éric Shipton est sur le versant népalais de l’Everest, dont il juge l’ascension possible. Il découvre et photographie une série d’empreintes sur les pentes sud-ouest du glacier Menlung, à 6 100 mètres d’altitude, supposées être celle d’un yéti. Parmi les membres de son expédition, un certain Edmund Hillary, néo-zélandais de 32 ans, apiculteur de son métier, qui sera au sommet de l’Everest avec le sherpa Norgay Tensing le 29 mai 1953.
L’américain Hope Root effectue une tentative de plongée profonde. Devant un parterre de journalistes il se laisse descendre dans l’eau, au large de Miami. Quelques photographes de LIFE l’accompagnent jusqu’à -30 mètres puis seul l’échosondeur du bateau base suit sa progression. Le voici bientôt passant la barre de -100 m. et, quelques minutes plus tard, le sondeur enregistre son arrêt à -130 m. Un nouveau record est établi. Soudain, à la stupéfaction générale Root poursuit sa descente. À -196 m. le sondeur perd sa trace… Son corps ne sera jamais retrouvé.
Julien Gracq refuse le Goncourt qu’on aurait voulu lui attribuer pour Le Rivage des Scyrtes. Premier ordinateur commercialisé : l’Univac I, produit par la Remington Rand, mis au point par John P. Eckert et John W. Mauchly. Il enregistre les données sur bande magnétique. En France, Bull sort le Gamma 2 et se pose alors la question de la traduction du mot computer : Michel Serres, alors à Normal sup Lettres, se trouve pour déjeuner à une table de Normal sup Sciences qui l’interpellent :
Bien sûr, cette histoire-là est racontée par Michel Serres, dont il n’est pas interdit de penser que le grand cabotin qu’il est, déploie un talent certain pour être sur le devant de la scène, car, en fait, c’est seulement en 1955 que le mot français sera créé, dans une lettre de Jacques Perret, professeur de philologie latine en date du 15 juin 1955 adressée à Émile Nouel, directeur d’IBM France :
Que diriez-vous d’ordinateur ? C’est un mot correctement formé, qui se trouve même dans le Littré comme adjectif désignant Dieu qui met de l’ordre dans le monde. Un mot de ce genre a l’avantage de donner aisément un verbe, ordiner, un nom d’action, ordination. L’inconvénient est qu’ordination désigne une cérémonie religieuse : mais les deux champs de signification [religion et comptabilité] sont si éloignés, et la cérémonie d’ordination connue, je crois, de si peu de personnes, que l’inconvénient est peut être mineur. D’ailleurs, votre machine serait ordinateur (et non ordination) et ce mot est tout à fait sorti de l’usage théologique.
3 millions de journées de grève.
Mohammad Mossadegh devient premier ministre d’Iran : le parlement vote la nationalisation du pétrole ; en représailles, les Britanniques établissent un embargo militaire sur les exportations de pétrole.
L’Église catholique et les partis politiques du centre droit à la droite ont repris le flambeau de la haine de l’école laïque et de ses instituteurs, brandi par le régime de Vichy : De ces plaies douloureuses dont souffre notre société sans Dieu, celle qui nous coûte tant de souffrance, celle à laquelle nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous résigner : l’école publique.
L’évêque d’Angers
Pour la Chine, la conquête de l’ouest va être faite dans un premier temps par 300 000 détenus des camps de rééducation par le travail, venus de toute la Chine et 200 000 prisonniers de guerre du Guomindang qui arrivent dans le Xinjiang pour défricher et développer l’extrême occident de la Chine : ils créent à l’ouest d’Urumqi, capitale de la région du Xinjiang, la ville-prison de Shihezi, encadrée par 50 000 soldats de l’APL – Armée Populaire de Libération -. On y vit les premières années à la dure : maisons de torchis, pas d’eau courante, une seule baraque de latrines publiques pour plus de 300 familles. En été, il faut supporter des températures qui flirtent avec les 40°, en hiver, avec – 40° ! Les Chinois disent de Shihezi que c’est la perle du Gobi !
9 01 1952
Le Flying Enterprise coule au large du port de Falmouth, en Cornouailles anglaises. Cargo américain – de pavillon et de construction, dans le cadre d’un programme d’urgence – de moins de dix ans, il avait appareillé de Hambourg pour les États-Unis le 21 décembre pour trouver la tempête dès le 25, avec un chargement très diversifié. La coque avait commencé à se fissurer et une partie mal arrimée de ce chargement s’était mise à riper, empêchant le fonctionnement de la machine principale et des générateurs auxiliaires. La commande du gouvernail était tombée en panne, et, pour éviter la rupture de la coque, les câbles du pont avaient été mis en tension à l’aide des treuils. Henrik Kurt Carlsen, capitaine expérimenté, lança des SOS et plusieurs navires se détournèrent, mais il préféra attendre l’arrivée d’un navire militaire américain, le transport USS General Greely pour faire évacuer ses passagers et son équipage, alors qu’un cargo anglais, le MV Sherborne était arrivé sur zone nettement plus tôt. La forte gîte du navire et la destruction des embarcations de sauvetage empêcheront une évacuation normale : hommes et femmes devront se jeter à l’eau et se faire repêcher par les embarcations de secours du navire américain. Le capitaine, lui, reste seul à bord : cette attitude héroïque saluée par toute la presse peut aussi s’expliquer par l’application d’un principe de droit de la mer, en évitant ainsi au navire le statut d’épave, qui autorise qui que ce soit à s’emparer de la cargaison d’un navire en perdition, dès lors qu’il n’y a plus personne à bord. Des navires de guerre américain, le destroyer John W Weeks, plus tard relayé par un autre destroyer, l’USS Willard Keith se déroutèrent tout spécialement et restèrent à veiller aux alentours à partir du 2 janvier 1952, en attendant l’arrivée du remorqueur britannique Turmoil. Tant de secours pour un simple cargo, c’est pour le moins inhabituel !
Le Turmoil lui lança une touline qui permet d’amener une aussière : elle cassa sitôt mise en tension ; le Turmoil approcha alors le Flying Enterprise jusqu’à permettre à son second Kenneth Dancy, de sauter à bord pour aider le capitaine Carlsen. Le remorqueur français Abeille 25 lança un temps une seconde remorque, puis finalement laissa seul le Turmoil. Le 9 janvier, à 1 h 30’ du matin, à 45 miles de Falmouth, la remorque cassa. À 15 h Carlsen et Dancy plongèrent depuis la cheminée, à plat sur l’eau et à 16 h 09’ le Flying Enterprise coulait, salué par les sirènes de tous les navires présents.
Le 17 janvier, le capitaine Carlsen aura droit à une ticker tape parade – avec confettis – dans les rues de New-York, acclamé par 300 000 personnes. Les décorations suivront, de même pour Kenneth Dancy. Mais le héros ne cachait-il pas quelque chose ? L’épave du Flying Enterprise se trouve par 85 mètres de fond : c’est une profondeur qui n’est pas inaccessible à des professionnels.
La compagnie de sauvetage italienne Sorima (célèbre pour la récupération de la cargaison de lingots d’or du paquebot SS Egypt dans les années 1930) reçut un contrat pour récupérer la cargaison du Flying Entreprise, mais ce sauvetage était assorti d’une clause de confidentialité.
L’épave fut explorée par le célèbre spécialiste de la plongée profonde Leigh Bishop en 2001 dans le cadre d’un documentaire pour la télévision danoise : il s’avéra que des ouvertures avaient été pratiquées dans la coque pour permettre la récupération d’une partie de la cargaison.
Une émission de télévision danoise diffusée en 2002 et titrée Det Skaeve Skib – Le navire-mystère – a émis l’hypothèse d’une cargaison secrète de zirconium destinée à la réalisation des gaines des barres de combustible pour le réacteur nucléaire du premier sous-marin atomique américain, l’USS Nautilus ainsi que d’une énorme somme en papier monnaie suisse. D’autres spéculations plus fantaisistes ont parlé de matériel lié aux programmes scientifiques secrets de l’Allemagne nazie, et le fait que, en 2002 du moins, les détails des opérations de sauvetage sur l’épave étaient encore classés secrets contribue à alimenter les rumeurs les plus extravagantes.
Wikipedia
11 01 1952
Le général Jean de Lattre de Tassigny meurt : la France se retrouve sans commandement militaire en Indochine. Les États-Unis assurent plus de la moitié du financement de cette guerre.
21 01 1952
Une inoubliable Petite fleur naît en plein cœur de Paris : son père, Sidney Bechet, sa mère, l’air de Paris, que Sydney respire depuis trois ans, sa famille, le Sidney Bechet All Stars. La radio, le transistor, le microsillon vinyl, le 45 tours, les K7 l’emmèneront faire le tour du monde, semant innocence et fraîcheur sur les décombres de la guerre. Jamais elle ne se fanera.
01 à 03 1952
1,7 M. de journées de grève.
6 02 1952
Georges VI d’Angleterre meurt à 56 ans, d’un cancer du poumon et de quelques autres ennuis de santé ; Elisabeth, en visite au Kenya, rentre pour les obsèques et devenir, à 26 ans, Elizabeth II, un Gloriana composé par Benjamin Britten se chargeant d’y apporter la grandeur qu’il convient, même si l’on n’en est plus au Rule Britannia, Rule the Waves de Victoria. À la tête d’un pays qui se distingue par son pragmatisme, elle ne pouvait qu’en être elle aussi pourvue ; comme il n’était pas envisageable désormais que ses sujets puissent voir ses jambes, voire plus, dans les sautes de vent, elle fera garnir de plomb les ourlets de ses vêtements. Ah mais !
Une société secrète a été crée au Kenya : les Mau Mau, menée par Jomo Kenyata, recrutés au sein des Kikuyu, qui fomentera plusieurs révoltes contre les colonisateurs blancs : l’écrasement de la principale fera environ 12 000 morts chez les Mau Mau, qui avaient tué 95 Blancs. 320 000 d’entre eux furent rassemblés dans des camps de concentration ; un million furent isolés dans des villages fermés : plus de 100 000 y moururent de maladie ou de faim. Mais, dix ans plus tard, le 20 décembre 1963, les Anglais plieront bagage.
7 03 1952
Charles Maurras bénéficie d’une grâce médicale.
8 03 1952
Antoine Pinay est nommé président du Conseil, poste qu’il va occuper jusqu’au 8 janvier 1953. Des mesures d’amnistie sont prises en faveur des collaborateurs sous Vichy purgeant une peine de prison.
16 03 1952
Mise en eau du barrage de Tignes : 1 milliard kwh/an, 160 m. de profondeur, 235 M.m³ d’eau. Le lac prendra aussi le nom de Chevril. Le village de Tignes, noyé sous les eaux, comptait 432 habitants. Perret réalisa une peinture murale sur la voûte du barrage. C’était le sauve qui peut : l’eau montait, était au raz des maisons. On avait cinq cents CRS [4] autour de nous. On déménageait comme on pouvait, en abandonnant une partie des meubles, montés sur pièce dans nos maisons aux toits de lauzes. Notre patrimoine est resté au fond du lac. Mes parents ne savaient plus où aller. Ma sœur, qui habitait Paris, les a hébergés durant deux mois avant qu’on leur trouve une petite maison à Albertville. Mon père avait soixante seize ans, ma mère soixante treize. Ils ne s’en sont jamais remis. J’ai vu mon père pleurer pour la première fois.
David Reymond
23 03 1952
Depuis 1945, 4 000 ponts ont été reconstruits. Il en reste encore 3 000 à refaire.
04 1952
Pour une fois Lionel Terray s’illustre en descendant du Mont Blanc à ski plutôt qu’en montant : il s’agit de la voie par les Grands Mulets.
15 05 1952
Werner Von Braun présente son projet d’expédition sur Mars.
20 05 1952
De la base d’Hammaguir, près de Colomb Bechar, la France lance sa première fusée sonde : Véronique, 55 cm Ø, 6,5 m de long, masse totale de 1,3 tonne ; le moteur a été mis au point par deux Allemands de l’équipe de Von Braun à Pennemünde : acide nitrique-kérosène, tuyère refroidie par circulation de propergol dans une double paroi, principes qui resteront à la base des moteurs des futures fusées, dont Ariane finalement. Les premiers essais ont été effectués depuis le camp de Suippes, dans l’Aube, à coté de Mourmelon en 1951 et celui de l’Ardoise, au Cardonnet, au nord de Cournonterral, à l’ouest de Montpellier en 1952. C’est à Wolgang Pitz que l’on doit l’invention d’un procédé de guidage au départ, permettant d’éviter la construction d’une tour pour compenser les déviations de trajectoire dues au carburant utilisé : il stabilisa cette trajectoire par un guidage à l’aide de 4 câbles en tension reliés à la fusée pendant les cinquante premiers mètres de sa course ; des boulons explosifs libéraient alors la fusée de ces attaches. C’est à ces ingénieurs que la France doit la fusée sonde Véronique, les lanceurs Diamant, le moteur Viking de la fusée Ariane.
Le centre d’études – LRBA : Laboratoire de Recherches Balistiques et Aérodynamiques – était à Vernon dans l’Eure, et Véronique est la contraction de Vernon Electronique. Les ingénieurs français qui y travaillaient étaient nettement minoritaires par rapport aux 125 ingénieurs allemands – 75 spécialiste de chars, puis 70 spécialistes des fusées de Peenemünde – que la France avait récupéré de l’équipe de Werhner von Braun… des miettes par rapport aux quelques 1 600 chercheurs et savants – dont von Braun lui-même – qu’avaient récupérés les Américains ainsi que 1 200 tonnes de documents techniques, en 1945 dans le cadre de l’opération Paperclip ; les Russes et les Anglais étaient à des chiffres entre ceux des États-Unis et de la France. En France, le regroupement familial se fera dans des baraquements qui prendront le nom de Buschdorf – le village de la Brousse -, en pleine forêt, éloigné de Vernon, le paradis pour faire des cabanes, pour les enfants. Certains d’entre eux arrivés là tout jeune feront leur vie en France.
26 05 1952
Emprunt Pinay, indexé sur l’or et net d’impôt : très prisé des amateurs. Début de la construction du Rideau de fer.
À l’autre extrémité du bloc communiste, les conseillers soviétiques inspirent toute la politique économique de la Chine : le pays compte 90 % de ruraux… qu’importe ! On met 93 % des investissements dans l’industrie ! On y compte déjà dix millions de personnes internées dans des camps de travail, au départ des prisonniers de guerre pour nombre d’entre eux, mais qui seront remplacés par des contre-révolutionnaires.
27 05 1952
Signature du Traité créant la CED : Communauté Européenne de Défense.
28 05 1952
Le Suisse Raymond Lambert et le sherpa Norgay Tensing arrivent à 8 600 m sur l’Everest : mais le temps se gâte et il serait suicidaire de poursuivre. Ils redescendent. Norgay Tensing y reviendra mais avec Edmund Hillary, un an plus tard.
13 06 1952
Les chasseurs russes abattent au-dessus de leur territoire un avion espion américain RB 29 : les douze hommes d’équipage sont tués.
14 06 1952
Paul Félix Armand Delille, éminent médecin spécialisé dans la tuberculose des enfants, passionné d’entomologie, est propriétaire du château de Maillebois, en Eure-et-Loire : 300 hectares : 2/3 en forêt, 1/3 en cultures. Comme partout ailleurs, les lapins pullulent endommageant la forêt et encore plus les cultures. Il se refuse à autoriser les chasseurs sur sa propriété et, malgré l’abattage de 4 000 lapins par an, ne parvient pas à enrayer l’invasion. Il a entendu parler d’une culture de virus qui donne aux lapins de garenne et d’élevage une maladie mortelle : la myxomatose. Il se procure à Lausanne ces virus, originaires d’Amérique du sud, et inocule deux lapins, pensant son domaine suffisamment bien clos pour que la maladie n’en franchisse pas les limites… Deux mois plus tard, tout le département était touché, fin 1953, c’était toute la France, et, à la fin des années 1950, toute l’Europe : une hécatombe ! Les soldats étaient mobilisés pour ramasser les lapins, les employés municipaux nettoyaient les routes pour le passage du Tour de France.
Le lapin, c’est bon à manger, sa peau convient bien à la fabrication de manteaux et encore à la fabrication d’excellente colle : il y a donc de gros intérêts en jeu ; mais il ravage aussi les cultures et les amateurs de gibier noble l’estiment nuisible. Le débat sera donc passionné, les agriculteurs et les forestiers prenant le parti de Paul Félix Armand Delille, allant jusqu’à lui remettre une médaille ainsi gravée : La Sylviculture et L’Agriculture reconnaissantes. Procès il y aura avec un ténor du barreau : Me Floriot, à l’origine d’une législation protectrice du lapin, mais non rétroactive : Paul Félix Armand Delille ne sera pas inquiété, seulement fâché de passer à la postérité pour l’éradicateur du lapin – à l’exception de quelques îlots qui résistèrent avec succès – plutôt que pour un bienfaiteur de la santé. Les lapins s’en relèveront mais ce sera long.
24 06 1952
On compte 500 km de voie ferrée électrifiée entre Paris et Lyon.
1 07 1952
En Allemagne, première transplantation – réussie – d’une hanche synthétique en plexiglas.
7 07 1952
Le paquebot United States prend le Ruban Bleu à 35,9 nœuds.
24 07 1952
L’Anglais Chris Chataway, l’Allemand Herbert Schade, le Français Alain Mimoun et le Tchèque Émile Zatopek peuvent tous les quatre prétendre à la victoire dans le 5 000 mètres des Jeux Olympiques d’Helsinki. De leur vivant, ils sont déjà des athlètes de légende : dans le démarrage décisif, Emil Zatopek s’arrache, coiffant Alain Mimoun, suivi de Herbert Schade. Chris Chataway était tombé en touchant la lice du dernier virage.
Pour savoir vraiment tout ce qui s’est passé dans ce dernier tour du plus grand 5 000 qui ait jamais été couru, peut-être de la plus poignante, la plus échevelée des toutes les épreuves de course à pied disputées jusqu’ici sur un stade, il faudrait en revoir le film complet et le passer de nombreuses fois pour en retrouver chacune des péripéties, superposition fantastique de chocs et de faits héroïques, la bataille sans merci entre quatre champions au cœur énorme se renversant constamment.
Nous n’étions plus reporter ou journaliste, mais, comme les 70 000 privilégiés présents, un homme qui tremblait, qui hurlait, qui n’avait plus le sens de sa personne ni de sa tâche, entièrement subjugué par le spectacle phénoménal qui, sur la piste brique, déchirait, recollait, puis brisait encore la course de quatre athlètes dont aucun ne renonçait à vaincre.
Jacques Goddet. L’Équipe du 25 juillet 1952
Jacques Goddet peut les vouloir tous de niveau identique, Émile Zatopek, 30 ans, prouvera qu’il était imbattable : non content de l’or du 5 000, il prendra encore celui du 10 000 m et du marathon ; pareil exploit ne sera jamais renouvelé. De 1948 à 1954, il aura disputé trente-huit 10 000 mètres sans jamais en perdre un seul.
Un an plus tôt, André Breton, le pape du surréalisme, a acquis une maison à Saint Cirq Lapopille. Il s’en va visiter la grotte voisine de Pech Merle, la visite étant assurée par M. Bessac, député MRP local, mari de la concessionnaire de la grotte.
Tout à coup, le député Bessac s’aperçut qu’André Breton touchait avec le doigt un dessin figurant sur une des parois de la grotte. Le député-guide lui fit remarquer qu’il était interdit de toucher à ces dessins, ainsi que l’indiquaient d’ailleurs de nombreux avis affichés en divers points. Loin de s’incliner, le maître du surréalisme renouvela son geste, effaçant avec le pouce une partie du dessin. Il fut effacé sur une longueur de trois centimètres et le doigt d’André Breton fut recouvert d’une matière noire semblable à du fusain. Monsieur Bessac lui donna alors un coup de gaule sur la main. L’agresseur fut traité d’épicier, de faussaire. Une altercation s’ensuivit, suffisamment violente pour apeurer les enfants du groupe. Mme Bessac porta plainte. L’écrivain fut donc inculpé pour dégradation de monument historique. Il ne contesta pas les faits mais l’authenticité du dessin qu’il jugeait retouché ce qui l’avait amené à faire ce geste de vérification.
Medialot
Accusé de dégradation de monuments public, il fut condamné à payer une amende de 25 002 francs ; 1 franc pour la commune ; 1 franc pour l’État ; 5000 francs d’amende et 20 000 francs de dommages et intérêts, par le tribunal de Cahors, le 27 novembre 1953, malgré le soutien d’une pétition qui recueillit des signatures prestigieuses, dont celles de Albert Camus, Julien Gracq, Gaston Bachelard, Claude Lévi-Strauss, Pierre Mac-Orlan, André Malraux [bon connaisseur en matière de dégradation de monument public, ndlr], François Mauriac, Raymond Queneau et Jules Romain. Contrairement à ces personnalités qu’on a connu mieux inspirées, le préhistorien (et auteur de science-fiction) François Bordes avait correctement réagi par un courrier adressé au journal Le Monde :
C’est avec la plus grande surprise que j’ai lu dans Le Monde du 15 au 16 novembre 1953 le compte-rendu du procès intenté à M. A. Breton pour dégradation de monument historique. Le Monde, – cela lui arrive rarement – est passé tout à fait à côté de la question. Celle-ci n’est pas la présentation, assez odieuse en effet, de la grotte à peintures de Cabrerets, présentation dont les Monuments historiques ne sont nullement responsables, mais elle est de savoir si un personnage quelconque, serait-il poète surréaliste, a le droit, pour satisfaire une curiosité enfantine, de dégrader un monument historique. Il existe des lois protégeant ces monuments, et M. Breton, pas plus que quiconque, n’a le droit de les enfreindre. Il semble établi, d’après votre correspondance même, que M. Breton a détruit 3 centimètres de la trompe d’un mammouth. Il est donc coupable, et la loi doit être appliquée. Sinon, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas aller, armé d’un marteau vérifier si les glaces du Palais de Versailles ne sont pas des trompe l’œil ou si les statues du porche de Notre Dame ne sont pas en stuc.
Jean-Loïc Le Quellec La caverne originelle La Découverte 2022
26 07 1952
Le général Mohammed Neguib prend le pouvoir en Égypte et contraint le Roi Farouk à l’exil : ce dernier avait accumulé un trésor allant de la voiture aux bijoux – il était cleptomane – en passant par un yacht, dans la plus pure tradition des princes des Mille et Une Nuits ; avec la pauvreté du fellah, Neguib jouait sur du velours. Fouad, son fils lui succéda, jusqu’à la proclamation de la République, le 18 juin 1953. Le colonel Gamal Abdel Nasser attendait tranquillement son heure qui viendra en 1954 : il n’est alors que le chef des officiers libres qui ont renversé la roi Farouk, période qu’il met alors à profit pour cultiver son image, ne craignant pas la franche rigolade ; c’était encore une époque où un responsable important du Moyen-Orient pouvait chambrer un intégriste musulman sans craindre que dans les jours suivants trois ou quatre kamikazes viennent semer la terreur au milieu d’un marché en se faisant exploser avec leur ceinture, et, ce faisant il mettait les rieurs de son côté, ce qui, politiquement est toujours profitable.
À 33 ans, Evita Peron [épouse de Juan Peron, le président de l’Argentine] meurt d’un cancer du col utérin : Nous voulons nous la rappeler telle qu’elle était lorsqu’elle entra le soir du 29 juillet 1947 au théâtre de la Scala. Le comte Sforza, vêtu d’un smoking blanc, descendit de la grosse limousine puis fit rapidement le tour de la voiture et lui offrit son bras dans un geste qui n’obéissait pas seulement à des injonctions diplomatiques mais manifestait le souvenir oublié d’une galanterie romantique et chevaleresque. Si à ce moment-là elle lui avait demandé de se battre contre le dragon, le vieux gentilhomme serait parti aussi vite que le vent. Mais les yeux des gens agglutinés en deux demi-cercles devant le hall ne cherchaient qu’elle, l’ambassadrice extraordinaire, silhouette blanche derrière les vitres de la voiture.
La première chose que l’on vit d’elle, au moment où elle penchait la tête pour descendre, ce furent ses fameux cheveux blonds, très clairs, resplendissant joyeusement sous les lumières aveuglantes des photographes. Ils formaient comme une gigantesque fleur d’or, une étrange coquille, un château, un trône, au milieu duquel scintillaient çà et là quelques pierres précieuses. Puis elle releva la tête, laissant voir son sourire qui était ou paraissait tellement naturel, un sourire de gamine heureuse. Dans le mouvement de foule confus qui se créa sur son passage, on put entrevoir une fraction de seconde ses magnifiques épaules nues, son collier de diamants, sa robe de satin blanc, la longue étole de fourrure de renard, blanche elle aussi. Mais déjà le comte l’emmenait à l’intérieur, littéralement illuminé par la lumière qui irradiait de la jeune femme, lui donnant le bras, coude levé et projeté en avant, satisfait et autoritaire, un peu comme s’il était aussi pour quelque chose dans cette si belle apparition.
Devant le hall, la foule était presque uniquement composée de femmes, non pas vêtues de robes de soirée car elles n’assisteraient pas au spectacle, mais avec leurs habits de tous les jours qui, même deux ans plus tard, gardaient quelques vagues traces de la guerre. Milan, après l’ouragan, se remettait : ce mois-là, justement, une nouvelle édition de la Foire allait avoir lieu, la Scala, restaurée tout exprès, était déjà rouverte et les morts, les haines commençaient à s’éloigner dans les esprits. Mais, dans certaines maisons les absents avaient laissé des vides béants, les hommes étaient toujours mal habillés, le trousseau des femmes avait des allures de marché noir, et la foule était composée de gens qui semblaient appauvris, souffrants et un peu agressifs. Cette femme extraordinaire, qui se montrait dans tout l’éclat de sa beauté, de sa magnificence, de sa renommée produisit une impression incroyable. Peu savaient exactement qui elle était. Reine d’un très lointain royaume ? Princesse ? Ministre ? Ambassadrice ? Actrice de cinéma ? On racontait sur son compte des histoires romanesques assez confuses. Elle semblait être l’incarnation du succès, de la prospérité, des eldorados faciles. Cela ne lui suffisait donc pas d’être si belle ? Pourquoi tant d’honneurs ? Pourquoi une fourrure aussi longue ? Pourquoi ces courbettes de son excellence le comte Sforza ? Un murmure parcourut la foule. Murmure de stupeur et d’admiration mais dans les yeux des femmes il y avait autre chose, une lueur avide, envieuse, dure comme une accusation : est-ce juste que toi, tu aies tout pour toi ?
Tout ! ? ! C’est peut-être exactement ce jour-là, à Milan, que lui était parvenu le premier des sinistres avertissements. Il faisait tellement chaud cet après-midi-là qu’en visitant la Foire, elle avait eu un malaise. La fatigue, la canicule précoce, les aléas du voyage, il y avait beaucoup de raisons convaincantes. D’ailleurs, quelques heures après, de cette faiblesse il ne restait que le souvenir. Quand elle pénétra dans la Scala, elle se portait comme un charme. Peut-être n’avait-ce été qu’une défaillance momentanée, comme cela peut arriver à chacun de nous ? Mais peut-être aussi était-ce déjà les prémices, un obscur pressentiment, comme lorsque au cœur de la guerre, dans le silence de la nuit, le très lointain bourdonnement des avions, cette impalpable onde de sons, tire mystérieusement les hommes de leur sommeil.
Tout ! ? ! Les gens qui ce soir-là se trouvaient devant le hall de la Scala eurent le sentiment qu’elle exhibait son bonheur ; le jour suivant, ils reprenaient leur vie habituelle, le travail, les tristes soucis d’argent, et, de cette façon, jour après jour, ils ont continué à travailler durement, à dormir dans leurs étroites chambres, à amener les enfants à l’école, à payer les factures d’électricité. Et vous, mesdames, qui ce soir-là ouvriez si grand les yeux, vous avez aujourd’hui quelques rides de plus, et vous avez mis au monde d’autres enfants, et la famille est pour vous source de constants sacrifices, le soir vous arrivez fatiguées, vous voudriez vous acheter des vêtements neufs, passer des vacances au bord de la mer, et faire un peu les grandes dames, et pourtant, tout cela ne vous est pas permis. Mais vous êtes vivantes !
Tous les jours vous vous démenez, c’est vrai, mais toujours est-il que le mal abject qui terrorise le monde entier ne venait pas ce soir-là frapper chez vous, mais à la porte dorée de cette femme si belle, la favorite du destin, la superbe, la blonde statue victorieuse. Depuis ce moment, jour après jour, elle commença, lentement, à choir de son piédestal. Elle avait encore, si elle le voulait, des montagnes de bijoux, des foules entières disposées à faire n’importe quelle folie pour elle du moment que cela lui faisait plaisir, et les médecins les plus célèbres au monde avec leurs radios, leurs isotopes, et les bizarreries scientifiques les plus coûteuses, mais tout cela ne servait à rien. Nuit et jour, une main démoniaque lui retirait un peu de chair, lui enlevait millimètre après millimètre, écaillant patiemment sa beauté, occultant d’un masque terreux la précieuse lumière de la jeunesse. Le visage bientôt fut défait, marqué d’une sorte de vieillesse sépulcrale, la couronne d’or de la chevelure s’effondra et les cheveux, ternis, s’aplatirent en tresses sur la nuque. Puis les portes furent hermétiquement fermées pour qu’aucun étranger ne puisse assister aux phases ultérieures de sa dégradation.
Jusqu’au jour où ne reposa plus sur le lit, immobile, qu’un spectre méconnaissable et blafard ; il ne servait plus à rien que, dehors, les fidèles descamisados, massés en une foule immense, l’appellent de leurs cris frénétiques : aucune voix ne pouvait la tirer de ce sommeil éternel. De l’étoile tombée dans l’eau boueuse, il ne restait plus qu’un maigre tison corrodé.
Et vous, mesdames qui, ce soir-là, l’aviez tellement enviée, du haut de votre balcon où sèchent les chemises, pendues à des fils, vous la voyez maintenant passer, là-bas, tout au fond et s’en aller pour toujours, la si jolie femme aux mille toilettes. Elle ne porte plus de rivières de diamants, ni de fourrures blanches, c’est un fantôme désolé, courbé, vêtu d’un sac grisâtre. La reine anéantie, humiliée est aujourd’hui plus démunie que vous toutes. Avant de disparaître à jamais, elle lève un instant les yeux et vous découvre, penchées sur la rambarde du balcon que le soleil de la vie illumine encore. Avec quels regards désespérés elle vous contemple. Vous ne répondez pas ? Allez, faites-lui un sourire, un petit signe d’adieu, à cette pauvre femme.
Dino Buzzati. Corriere della sera. 29 juillet 1952. Chroniques terrestres Robert Laffont 2014
07 1952
Sur le Tour de France, dans le col du Galibier, Fausto Coppi s’envole : il arrive à Sestrières avec 7’9 » d’avance sur le second. Il terminera le Tour avec 28’17 » d’avance sur son dauphin !
5 08 1952
Les Drummond, une famille anglaise, sont tués à Lurs : c’est le début de l’affaire Dominici. Cinquante ans plus tard, on ne connaît toujours pas la vérité… Gaston Dominici, patriarche de soixante dix ans passés tenant son clan d’une main ferme, – pour autant qu’à raison de quatre litres de vin par jour, on puisse avoir une main ferme -, mentira délibérément… il se dira coupable à plusieurs reprises, et se rétractera aussi souvent. L’Anglais assassiné était un ancien des Services secrets britanniques, à la tête d’une entreprise pharmaceutique à la pointe de la recherche en matière de vitamines…
De face, coupable ; de profil, innocent, dira Giono. Claude Bernard-Aubert en fera un film en 1973 avec Gabin, Depardieu, Lanoux, Castaldi…
14 08 1952
À l’été 1952, un groupe de spéléologues français de grande réputation emmenés par Norbert Casteret explore le gouffre de la Pierre Saint Martin, sur la commune française d’Arette, dans les Pyrénées atlantiques, tout proche de la frontière espagnole : 42° 58′ 40.80″ N, 0° 46′ 4.80″ W. Par les techniques employées et la profondeur à atteindre, c’est réellement une sorte de première ; suivie passionnément en France et en Europe — et la radio jouera un grand rôle. Beaucoup des membres sont issus des Éclaireurs de Franced’alors, notamment José Bidegain.
Le drame surgit le 13 août 1952 car un câble se rompt. Marcel Loubens tombe et gît bientôt, blessé, au fond du gouffre. Le retentissement est immense. Très vite, les secours et les journalistes arrivent. La première équipe en place est formée des scouts lyonnais, en fait un groupe de routiers de Lyon, eux aussi éclaireurs de France, ayant la pratique de la spéléologie. Il s’agit du Clan de la Verna, dont le chef Louis Balandraux sera un des principaux acteurs de l’opération de sauvetage. Malheureusement, les difficultés sont insurmontables et toutes les tentatives sont un échec. Le corps de Marcel Loubens (ancien EDF), finalement décédé au fond du gouffre, ne sera remonté que deux ans plus tard.
En mémoire une salle du système souterrain a été nommée salle de la Verna et est accessible au grand public depuis juillet 2010, depuis le village de Sainte-Engrâce dans la vallée de la Soule. Cette salle mesure 245 m de diamètre pour 194 m de hauteur, on pourrait y rentrer six fois la cathédrale Notre-Dame de Paris.
24 09 1952
Le sous marin (anciennement anglais, prêté à la France) Sybille, coule au large de Saint Tropez : 48 morts. Il repose par 700 mètres de fond.
2 10 1952
Renault sort la Frégate, à 850 000 F. (13 200 € 2000)
5 10 1952
Il faut laisser du temps au temps. Match amical de foot France-Allemagne à Colombes. 10 000 Allemands ont fait le déplacement, en espérant que le sport sera ainsi à l’avant-garde d’une amitié retrouvée ; des années plus tard, Barbara chantera Faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine, car il y a des gens que j’aime, à Göttingen, à Göttingen… ; pour l’heur, il était probablement un peu tôt : un Français ancien déporté de Buchenwald viendra assister à la rencontre habillé avec son pygama rayé de déporté…
14 10 1952
Le Corbusier inaugure la Cité Radieuse, sur le Prado, à Marseille. Antérieurement à cette construction, il existait dans ce quartier une auberge qu’on avait nommé, pour d’obscures raisons, l’auberge du fada, qualificatif qui avait fait tâche d’huile pour être étendu à tout le quartier. Et donc, il n’y avait pas de raison pour que la Cité radieuse n’en bénéficiât point : d’où la Cité du fada.
Il y a bien quelque chose de propre au Midi de la France et pas seulement à Marseille pour faire ainsi de ce qui, au départ n’est guère plus qu’un constat de la réalité : un bateau de pêche qui se nomme la Sartine, un quartier qui se nomme le Fada, une outrance qui mène à la sartine, vite devenue sardine qui vient boucher le Vieux Port et la Cité du fada. En Languedoc, on a aussi un col qui se nommait en occitan tres ventes. Dans des temps déjà anciens où l’on francisait tous les noms locaux, au cours d’un conseil municipal sans doute joyeux, à moins que le coupable ne soit la DDE, le tres occitan, qui signifie bien sûr trois, est devenu treize, et c’est ainsi que l’on a aujourd’hui un col des treize vents.
25 10 1952
Inauguration du barrage de Donzère Mondragon : 2 milliards de kwh/an.
Vous faites une gestion de plombier, mais les fleuves ne sont pas des tuyauteries.
Monique Coulet. CNRS Lyon.
29 10 1952
Le Mystère II, fabriqué par Marcel Dassault, est le premier avion français à franchir le mur du son.
6 11 1952
François Mauriac obtient le prix Nobel de Littérature, et Albert Schweitzer celui de la Paix.
16 11 1952
Charles Maurras meurt à la clinique Saint Grégoire de Symphorien-les-Tours.
Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a pas connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour…
Écoutez ce besoin de comprendre pour croire !
Est-il un sens aux mots que je profère ? Est-il,
Outre leur labyrinthe, une porte de gloire ?
Ariane me manque et je n’ai pas de fil.
Comment croire, Seigneur, pour une âme qui traîne
Son obscur appétit des lumières du jour ?
Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Charles Maurras Prière de la fin 1950
Je l’ai vu deux fois à Tours, et je l’entends encore me parler de Dieu et de la vie éternelle avec cette plénitude irréfutable qui jaillit de l’expérience intérieure. J’ai rencontré beaucoup de théologiens dans ma vie : aucun d’eux ne m’a donné, en fait de nourriture spirituelle, le quart de ce que j’ai reçu de cet athée ! Toute la différence entre le géographe et l’explorateur.
Gustave Thibon
5 12 1952
Il fait très froid à Londres : les londoniens ont fait fonctionner leur poêle à charbon à forte teneur en soufre en continu, les centrales électriques à charbon tournent aussi à plein régime, les bus qui viennent de remplacer les tramways mis à la casse carburent au diesel : la pollution se traduit par un smog qui va s’installer pendant quatre jours, réduisant la visibilité à moins de 5 mètres. Sa combustion dégage dans l’atmosphère des tonnes de dioxyde de soufre et des particules fines. Les concentrations atteignent des niveaux mortels, avec des pointes à 1800 microgrammes par m³ (μg/m³), et des fumées noires à 1600 μg/m³, des niveaux aux conséquences sanitaires massives. Le coût humain sera terrible : 12 000 morts ! Le dioxyde d’azote a provoqué la transformation de dioxyde de soufre en sulfates.
19 12 1952
Mise en service d’une nouvelle pile atomique à Saclay.
23 12 1952
Le docteur Alain Bombard s’est lancé seul dans la traversée de l’Atlantique à bord d’un Zodiac : il parviendra plus à survivre qu’à vivre, de pêche et d’eau salée.
1952
Depuis 1948, la France a reçu 2 000 milliards de F, au titre du plan Marshall. La revue Life compare le gouvernement français à un grand chœur de french cancan et l’Hexagone à une girl glissant dans son bas un billet de 1 milliard $ d’aide américaine.
La reconstruction est presque achevée, la production industrielle dépasse de 9 % celle de 1929. Sortie de la 4 CV Panhard. Mise au point par le Dr Fernand Lamaze de l’accouchement sans douleur avec deux aspects majeurs : pédagogique, par des cours qui permettent aux mères de mieux connaître leur anatomie et, par conséquent, à mieux maîtriser leur corps ; physique, par l’appel aux réflexes conditionnés développés par Ivan Pavlov, essentiellement par une maîtrise des contractions et du souffle pour limiter la souffrance à l’heure de l’accouchement. Première opération de changement de sexe : Georges Jorgenson devient Christine. Alfred Hershey et Martha Chase découvrent que l’ADN peut aussi bien s’autocopier qu’induire la synthèse des protéines propres à un virus, si bien que les virus bactériophages peuvent se multiplier. Les États-Unis procèdent à l’explosion de la première bombe H[5], sur l’atoll d’Eniwetok.
13 01 1953
La Pravda révèle le complot des Blouses Blanches, des médecins juifs qui auraient eu pour projet de faire mourir plusieurs dirigeants soviétiques ; certains d’entre eux sont au secret, torturés de puis novembre 1952.
1 02 1953
En mer du Nord, peu après la pleine lune, la conjonction des forces d’attraction du Soleil et de la Lune alignés, produit une énorme marée d’eau vive ; à cela s’ajoute une tempête venue du nord-ouest qui souffle à 150 km/h sur les côtes : il n’en faut pas plus pour que la mer, démontée, envahisse la Hollande.
Cinquante ans plus tard, des rescapés témoigneront : Le vent hurlait, il faisait un froid glacial, il y avait de l’eau jusqu’au toit, des hommes et des bêtes qui flottaient tous morts. Beaucoup de gens ont attendu des jours sur le toit avant que les secours n’arrivent. Beaucoup ont vu leurs enfants, leur mari, leur femme se noyer sans pouvoir rien faire. Aujourd’hui, j’ai 60 ans et je ne peux pas m’empêcher de pleurer, vous voyez ; je n’ai jamais parlé de ça à personne, jamais. Même pas avec mes enfants. Il y a eu 1 835 personnes noyées, et 20 000 bovins, 12 000 porcs, 1 750 chevaux, 27 580 moutons, 166 000 poules et canards. Ce sont 200 000 hectares qui se sont retrouvées sous l’eau et 47 000 bâtiments qui ont été détruits. 75 000 personnes ont été déplacées.
Et un autre : Les temps qui ont suivi ont été terriblement difficiles. Je me suis demandé à l’époque comment les gens arrivaient à tenir alors qu’ils venaient de tout perdre. On est reparti de zéro. Il y a cinq ans, j’ai prié les survivants de dire quelques mots pour les cérémonies du quarante cinquième anniversaire de la catastrophe. Je n’ai trouvé personne. Ils n’y arrivaient pas.
Des catastrophes de cette nature, entraînant beaucoup plus de morts, avaient déjà eu lieu aux XIII° puis XV° siècles ; les archives font état de cent vingt quatre raz de marée et inondations entre 900 et 1900. Jamais les Hollandais n’ont cessé de réaménager leur pays et le proverbe affirme avec superbe : Dieu a crée la Terre, mais les Hollandais ont crée la Hollande.
Un quart du pays se trouve en dessous du niveau de la mer, jusqu’à sept mètres. Après ce raz de marée, on s’attaqua à la construction des remparts les plus puissants jamais imaginés : le plan Delta, qui devrait mettre à l’abri des tempêtes les plus fortes dans l’échelle de Beaufort et des vagues de seize mètres de haut.
25 02 1953
De Gaulle se prononce contre la Communauté Européenne de Défense.
27 02 1953
Accords de Londres sur l’effacement partiel de la dette allemande. Outre l’Allemagne de l’Ouest, les participants étaient la Belgique, le Canada, le Danemark, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Iran, l’Irlande, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, la Norvège, l’Espagne, la Suède, la Suisse, l’Afrique du Sud, les États-Unis, la Yougoslavie et d’autres. Les États du Bloc de l’Est n’en font pas partie. Entamées en 1951, les négociations, donnent lieu à cet accord, ratifié par l’ensemble des participants dans les mois qui suivront. Le négociateur pour la partie allemande était Hermann Josef Abs, futur président de la Deutsche Bank.
Les négociations portaient sur des sommes comprenant d’une part un montant de 16 milliards de marks résultant des obligations du Traité de Versailles de la Première Guerre mondiale jamais honorées, ainsi que des emprunts souscrits par la République de Weimar et dont le paiement des intérêts avait été suspendu par l’Allemagne au début des années 1930, et d’autre part 16 autres milliards de marks représentant des emprunts d’après-guerre auprès des Alliés et principalement des États-Unis. L’Allemagne avait décidé de rembourser ses dettes pour restaurer sa réputation. L’argent était essentiellement dû aux gouvernements et à des banques privées aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne. L’Allemagne étant alors partitionnée en deux, la question de savoir si la seule RFA devait prendre en charge la totalité des dettes allemandes d’avant-guerre se posa. Le chancelier Konrad Adenauer fut favorable à cette option en échange d’une reconnaissance internationale de la RFA, et d’une révision du statut d’occupation de la RFA.
Selon l’accord signé à Londres, le montant à rembourser est réduit de 50 %, soit environ 15 milliards de marks et étalé sur 30 ans. Ce remboursement, vu la croissance rapide de l’économie allemande, a un impact mineur.
Une partie de l’accord incluait les dettes dues par le Reich, à payer après la réunification de l’Allemagne. La faible probabilité de cette hypothèse rendait cette partie très aléatoire mais, en 1990, l’Allemagne réunifiée procédera à un autre remboursement de 239,4 millions de Deutsche mark. Le 3 octobre 2010, le dernier versement de 69,9 millions d’€ sera effectué, venant solder les dettes connues des deux guerres mondiales.
02 1953
Juan Perón envoie son beau frère Juan Duarte à Zürich pour y faire transférer la fortune personnelle de sa femme Eva, décédée 7 mois plus tôt, sur son compte. Peu après son retour à Buenos Aires, en avril, il sera suicidé.
Le ski de compétition vit ses dernières années hors-normes : les coureurs sont encore tête nue, magnifiquement libres et en contact direct avec la neige : aucune sécurité sur les bords de la piste Emile Allais à Megève, qui finira par être interdite quelque vingt ans plus tard, après une chute mortelle de Michel Bozon le 26 janvier 1969.
5 03 1953
Mort de Staline : son entourage mit dix heures avant de réagir à son attaque cérébrale et faire venir des médecins ; l’annonce n’en sera faite que le lendemain : Le cœur du compagnon d’armes de Lénine, le porte-drapeau de son génie et de sa cause, le sage éducateur et guide du parti communiste et de l’Union soviétique, a cessé de battre le 5 mars 1953 à 21 h 50, heure de Moscou.
On assista lors de ses obsèques à des scènes de folie populaire : Les barrages de la police furent écrasés et culbutés sur la pente raide allant de la Stretenka à la place Troubnaïa. Une quantité énorme de gens perdit pied….Les cages thoraciques craquaient. Déformées par l’horreur, les bouches de centaines de gens étaient déchirées par des hurlements… Toute la nuit, les ambulances, la police et les troupes ont transporté des corps estropiés dans les hôpitaux et dans les morgues.
Chepilov, rédacteur en chef de la Pravda. Mémoires
Le cœur de Staline, l’illustre compagnon d’armes et le prestigieux continuateur de Lénine, le chef, l’ami et le frère des travailleurs de tous les pays, a cessé de battre. Mais le stalinisme vit. Il est immortel. Le nom sublime du maître génial du communisme mondial resplendira d’une flamboyante clarté à travers les siècles et sera toujours prononcé avec amour par l’humanité reconnaissante. À Staline, à tout jamais, nous resterons fidèles. Les communistes s’efforceront de mériter, par leur dévouement inlassable à la cause sacrée de la classe ouvrière, du peuple, de la démocratie et du socialisme, de la souveraineté, de l’indépendance nationale et de la paix, le titre d’honneur de stalinien. Gloire éternelle au grand Staline dont les magistrales œuvres scientifiques impérissables nous aideront à rassembler la majorité du peuple et à devenir la force dirigeante de la nation. Sous le drapeau invincible de Staline, en prenant pour modèle son glorieux Parti communiste, nous marcherons sur le chemin de la victoire. Nous ferons une France libre, forte et heureuse.
France nouvelle, hebdomadaire du PCF, du 14 mars
De nos jours, pour trouver pareille prose, aussi vile, aussi déshonorante, aussi nauséeuse, il faut aller jusqu’en Corée du Nord !
Une troïka prend le pouvoir avec Malenkov, Beria et Molotov. Khrouchtchev aura raison des trois quelques mois plus tard. Une de leur priorités sera de donner un grand coup d’accélérateur aux négociations de paix en vue de mettre fin à la guerre de Corée.
Il est sans doute le chef d’État qui aura le plus trompé son peuple, illusionné le plus d’intellectuels étrangers… son bilan est terrifiant… le nombre de morts se chiffre par dizaines de millions. À sa mort, il existait 165 goulags où se trouvaient entre 8 et 10 millions de détenus, dont la majorité seront amnistiés de 1954 à 1956. Impensable quelques mois plus tôt, on verra des grèves au sein du goulag.
En 1926, il confiait à un proche : Choisir la victime, préparer minutieusement le coup, assouvir une vengeance implacable et ensuite aller se coucher… Il n’y a rien de plus doux au monde.
[…] Les peuples heureux n’ont pas d’humour.
1921-22. 5 000 000 morts de faim
1930-31. 30 000 koulaks fusillés, 1 680 000 déportés, 1 000 000 fuient leur village, 2 000 000 exilés
1932-33. 5 à 6 millions de mort de faim en Ukraine, dans le Caucase du nord et au Kazakhstan
1936-38. Grande terreur : 1.5 million de citoyens ordinaires arrêtés parmi les gens du passé : aristocrates, bourgeois, prêtres, koulaks et les minorités nationales des zones frontalières : 680 000 d’entre eux sont fusillés
1941 à 45. Déportation de 900 000 Allemands de la Volga à l’automne 1941, 93 000 Kalmouks du 27 au 30 décembre 1943, 521 000 Tchétchènes et Ingouches du 23 au 28 février 1944, 180 000 Tatars de Crimée du 18 au 20 mai 1944, auxquels il faut ajouter les Grecs, les Bulgares et les Ukrainiens de Crimée, ainsi que les Turcs, les Kurdes et les Klemchines du Caucase.
Dans Un monde à part, Gustaw Herling parle de 20 millions de prisonniers dans les camps du goulag en 1941, avec un million de soldats pour les garder.
1946-1947. 500 000 morts de faim
J’ai souvent réfléchi au peuple russe et ce qui fait qu’il est unique au monde. J’en suis arrivé à la conclusion que personne n’a notre capacité à nous imaginer tels que nous ne sommes pas. Ce que nous sommes, c’est un peuple suspicieux, haineux, dominateur, bureaucratique, qui se complait dans l’adversité, son plus grand adversaire étant lui-même. Et de tout cela il résulte une capacité exceptionnelle à endurer le pire sur des périodes qui dépassent l’imagination. Voyez l’exemple de la dernière guerre. Pendant que des millions de Russes se faisaient tuer sur le front, l’anthropophage vénéré du Kremlin était occupé à tuer les siens comme s’il craignait que la guerre ne lui fasse de l’ombre. Nous sommes immuables.
Marc Dugain. Une exécution ordinaire. Gallimard 2007
En France, l’événement donnera lieu à un scandale au sein du Parti, au centre duquel se trouvait un portrait de Staline réalisé par Picasso pour la circonstance et publié dans les Lettres Françaises le 12 mars. C’est un Staline jeune, en pleine forme, et non le petit père des peuples, vieillard chenu et rassurant qu’aurait voulu la nomenklatura du Parti. Tout ce monde proteste à qui mieux mieux, et étale un obscurantisme, une conception de l’art embrigadé au service du politique qui arrive à la hauteur de celui de l’Église catholique en ses époques les plus lugubres.
Ma tristesse tient au fait que si un grand artiste, en 1953, est incapable de faire un bon mais simple dessin du visage de l’homme le plus aimé des prolétaires du monde entier, cela donne la mesure de nos faiblesses dans ce domaine dans notre pays qui compte pourtant dans son passé artistique les plus grands portraitistes que la Peinture ait connus. Alors, il fallait simplement reproduire une photo, ou mieux, l’œuvre probe [c’est l’artiste qui souligne] d’un artiste soviétique.
André Fougeron, peintre quasi officiel du Parti communiste français.
Ce problème est celui de tous les créateurs, peintres y compris, qui doivent se placer résolument sur les positions de la classe ouvrière s’ils veulent partager complètement son grand combat à la tête du peuple de France pour les libertés démocratiques, l’indépendance nationale, la paix et le socialisme. Il s’agit bien ici de la demande renouvelée par tous les travailleurs, particulièrement à leurs camarades peintres, pour que dans le contenu comme par la forme, leurs œuvres soient imprégnées des luttes, des espoirs, des certitudes en la victoire de la classe ouvrière.
Louis Aragon. Les lettres Françaises. 2 avril 1953
Le même jour mourait Serge Prokofiev, à 62 ans, brillant interprète et compositeur, auquel le pouvoir avait reproché des tendances musicales antidémocratiques, étrangères au peuple soviétique, présentant de graves défauts au point de vue idéologique et artistique.
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[1] mais n’allons pas croire que l’Irlande détienne un quelconque monopole de ce genre de pratiques : En France, la Congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur remonte à 1829, à Angers, fondée par sœur Marie-Euphrasie Pelletier (1796-1868, canonisée par Pie XII, le 2 mai 1940) a eu un fonctionnement tout à fait analogue pendant des dizaines et des dizaines d’années : ces maisons n’étaient rien d’autre que des maisons de correction, pratiquant la maltraitance de pauvres filles placées là soit directement pas leur famille, soit par la justice. Au milieu du XX° siècle, la communauté recensera près de 350 maisons dispersées à travers le monde.
[2] Dominicain, le père Couturier, régent autoproclamé de l’art sacré en France avec le (com)Père Régamey avait très clairement pris parti un an plus tôt dans un article Aux grand hommes les grandes choses : Cent vingt églises ont pu être bâties – les chantiers du Cardinal – autour de Paris sans qu’un seul des grands architectes français, respecté du monde entier, ait seulement été consulté. […] Il vaut mieux s’adresser à des hommes de génie sans la foi qu’à des croyants sans talent. Puis, dans un dialogue avec Le Corbusier, athée de culture protestante :
Le Corbusier : Je n’ai pas le droit de construire la chapelle de Ronchamp, prenez un architecte catholique.
P. Couturier : Mais, Le Corbusier, je m’en fous que vous ne soyez pas catholique. Il nous faut un grand artiste et l’intensité esthétique, la beauté que vous allez faire éprouver va permettre à ceux qui ont la foi de retrouver ce qu’ils viennent chercher. Il y aura convergence de l’art et de la spiritualité, et vous atteindrez beaucoup mieux notre but que si nous demandions à un architecte catholique : il se croirait obligé de faire une copie des anciennes églises.
[3] vivant, pour les Croates, sur l’île de Mljet, à une porté de flèche de Dubrovnik.
[4] …dont la présence pouvait tout de même s’expliquer : le 15 août 1946, le matériel du chantier avait été proprement dynamité : transformateurs, perforatrices, excavatrices, moteurs électriques mis hors d’usage ; nombre de pièces furent jetées dans l’Isère, une cabane de chantier incendiée…
[5] La bombe H utilise la fusion d’atomes légers, pour en faire de plus lourds : la température dégagée par une explosion thermonucléaire est de 50 millions de degrés, 20 fois plus qu’au cœur du soleil. À poids égal d’explosif, le mécanisme thermonucléaire fournit trois fois plus d’énergie qu’un mécanisme à fission.