Publié par (l.peltier) le 5 novembre 2008 | En savoir plus |
1 07 1751
Publication du Discours préliminaire de l’Encyclopédie. Le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers va suivre, soit 17 volumes de texte, 11 volumes de planches, le tout sous la direction de Diderot et d’Alembert : 5 000 souscripteurs ont avancé chacun 956 livres. On estime qu’à la veille de 1789, il y a dans ce pays de 28 millions d’habitants, 11 000 à 15 000 exemplaires de l’Encyclopédie : le prix explique ce faible tirage : ce n’était pas moins que celui d’un carrosse ! C’est l’éditeur parisien André Le Breton qui avait obtenu dès 1746, avec trois associés le privilège d’éditer l’Encyclopédie. Mais, succès aidant, les contrefaçons seront par la suite nombreuses. Attaquée par les Jésuites, l’Encyclopédie sera interdite en 1752 et 1759, puis condamnée par le pape Clément XIII le 3 septembre 1759.
Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres et de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une ébauche d’écolier à coté d’un morceau de maître ; une sottise [1] voisine d’une chose sublime, une page écrite avec force, pureté, chaleur, jugement, raison, élégance, au verso d’une page pauvre, mesquine, plate et misérable.
Diderot, présentant La Société des gens de lettres, et le fruit de son travail collectif
L’Encyclopédie fut bien plus qu’un livre, ce fut une faction […] L’Europe entière s’y mit
Michelet
Extraits :
AUTORITÉ POLITIQUE
La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation, et ne dure qu’autant que la force de celui qui commande l’emporte sur celle de ceux qui obéissent ; en sorte que si ces derniers deviennent à leur tour les plus forts, et qu’ils secouent le joug, ils le font avec autant de droit et de justice que l’autre qui le leur avait imposé. La même loi, qui a fait l’autorité, la défait alors : c’est la loi du plus fort.
ESCLAVAGE (Droit nat. Religion, Morale)
C’est donc aller directement contre le droit des gens et contre la nature, que de croire que la religion chrétienne donne à ceux qui la professent un droit de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler plus aisément à sa propagation. Ce fut pourtant cette manière de penser qui encouragea les destructeurs de l’Amérique dans leurs crime
PRESSE (Droit polit.)
On se demande si la liberté de la presse est avantageuse ou préjudiciable à un État. La réponse n’est pas difficile. Il est de la plus grande importance de conserver cet usage dans tous les États fondés sur la liberté : je dis plus, les inconvénients de cette liberté qui sont si peu considérables vis-à-vis de ses avantages, que ce devrait être le droit commun de l’univers, et qu’il est à propos de l’autoriser dans tous les gouvernements.
[Jean-Sylvain Bailly lira cela qui, près de 40 ans plus tard, devenu président du Tiers État, et premier maire de Paris, proclamera en août 1789 que la publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple.]
LE RÊVE DE D’ALEMBERT [qui ne fait pas partie de l’Encyclopédie, et ne sera publié qu’en 1830]
Tous les êtres circulent les uns dans les autres. Tout est en un flux perpétuel. Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante, toute plante est plus ou moins animal. […] Il n’y a qu’un seul individu, c’est le tout. Naître, vivre et passer, c’est changer de forme.
*****
De près ou de loin, quelque 160 auteurs ont contribué aux près de 72 000 articles réunis par les 17 volumes de textes de la première édition. On y trouve, aux côtés de Diderot et d’Alembert, quelques représentants de la noblesse (comme le chevalier de Jaucourt ou le comte lituanien Ogjnski), des membres de la bourgeoisie, mais aussi des fils d’artisans. Beaucoup sont enseignants ou exercent des professions libérales (médecin, juge, avocat), d’autres étant fonctionnaires royaux, ou ecclésiastiques.
Cette entreprise rédactionnelle inédite est aussi une aventure éditoriale singulière. Celle d’un best-seller au siècle des Lumières comme le note l’historien américain Robert Darnmton. La première édition, dont la parution s’échelonne de 1751 à 1765 pour les volumes de textes, et qui se poursuit jusqu’en 1772 pour les 11 volumes d’illustrations, est publiée à plus de 4 000 exemplaires. Un tirage considérable pour le XVIII°, où les ouvrages ordinaires ne dépassent pas 1 500 exemplaires.
De multiples rééditions (et parfois contrefaçons) amplifient ce succès et étendent l’influence de l’Encyclopédie en Europe, notamment celle, in-quarto, de Genève et Neuchâtel (8 500 exemplaires) et celle, de format encore plus réduit et donc plus maniable, in-octavo, de Lausanne et Berne (6 000 exemplaires). Lorsqu’éclate la Révolution française, quelques 25 000 exemplaires sont vendus et circulent, à l’intérieur du royaume de France et hors de ses frontières [dont un bon millier de souscripteurs de province qui se faisaient livrer un volume tous les six mois par les 600 relais postaux qui existaient déjà en France, moyennant 280 livres, l’équivalent de 3 360 € 2016. ndlr].
La pensée des Lumières y trouve un écho à la hauteur de l’objectif que s’était assigné Diderot : Rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre, afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont. Dans une lettre du 6 septembre 1762 à Sophie Volland, il écrivait : Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité.
Pierre Le Hir Le Monde des Livres 15 janvier 2010
Roger Chartier, interviewé par Pierre le Hir. Le Monde des Livres 15 janvier 2010
La méthode des encyclopédistes
Les auteurs se sont vantés, dans le Discours préliminaire, d’avoir recours à des visites de manufactures ou d’ateliers, ou encore à la réalisation de modèles, pour acquérir une parfaite connaissance des machines et des procédés avant d’en faire une description détaillée dans l’Encyclopédie. Ils citent notamment l’article Bas pour y avoir appliqué cette méthode pratique. On connaît aujourd’hui, d’après les registres des libraires éditeurs et différents fonds iconographiques, que nombre de planches gravées dans la Description des Arts, nom donné au départ au recueil des planches de l’Encyclopédie, proviennent de sources existantes exploitées non seulement par les encyclopédistes, mais aussi par les rédacteurs des Descriptions des arts et métiers, série concurrente, dans une certaine mesure, réalisée sous l’égide de l’Académie des sciences.
Pour le métier à bas, par exemple, Diderot s’est fondé sur une description très précise empruntée en 1748 à la Bibliothèque royale et qu’il a d’ailleurs conservée deux ans par-devers lui, tant la complexité de la machine lui donna du fil à retordre… Il s’est aussi adjoint les services de Barrat, ouvrier en bas parisien, à qui il a commandé un mémoire. Les planches et nomenclatures originales qu’il a utilisées ont été réalisées par le mercier parisien Jean Hindret, à son retour d’Angleterre où il fut envoyé en mission par Colbert vers 1664. Il s’agissait alors d’importer une technologie très avancée et d’éviter un départ trop important de devises outre-Manche pour l’achat des nombreux bas de soie dont les classes aisées faisaient alors usage. Cette mission a permis à Hindret de rapporter en France la technique du métier à tricoter les bas que le pasteur William Lee avait mise au point vers 1589.
Le travail accompli par les encyclopédistes pour cet article est très représentatif de la méthode définie au départ et qui prenait en compte les visites dans des ateliers, la rédaction de mémoires par les meilleurs spécialistes disponibles – et leur recherche n’était pas une mince affaire -, la construction de maquettes, la consultation de la littérature technique existante, ainsi que le démontage et le remontage de certaines machines. On sait que cette dernière méthode, essentielle pour comprendre le fonctionnement détaillé d’une machine, a été utilisée par Diderot pour le métier à bas, comme pour le métier à velours et un métier en étoffe brochée. Ainsi, après en avoir saisi la structure et le fonctionnement, il a pu rédiger lui-même l’article en non-technicien, pour des non-techniciens. Cet article est d’ailleurs le seul dont un manuscrit autographe de Diderot nous soit parvenu.
Cet article fut l’occasion pour Diderot de s’atteler à une tâche pédagogique particulièrement ardue, qu’il a résolue par une méthode déjà employée par ailleurs, mais à laquelle il donne ici toute sa mesure : Dans le cas où une machine mérite des détails par l’importance de son usage et par la multitude de ses parties, on a passé du simple au composé. On a commencé par assembler, dans une première figure, autant d’éléments qu’on en pouvait apercevoir sans confusion. Dans une seconde figure, on voit les mêmes éléments, avec quelques autres. C’est ainsi qu’on a formé successivement la machine la plus compliquée, sans aucun embarras ni pour l’esprit ni pour les yeux.
L’Encyclopédie, un bilan des techniques classiques
Le cas du métier à bas et d’autres machines du même type – planches tour, art de faire le papier, cloutier, etc. – ont eu tôt fait de faire passer l’Encyclopédie pour une compilation dépassée, en mettant en avant le nombre important de techniques datant du XVII° siècle, et donc en détruisant pour partie l’image de modernité attachée à l’ouvrage. L’un des premiers à avoir soulevé cet état de fait fut bien sûr Bertrand Gille, qui s’est plu à détruire, dans les années cinquante, avec le même esprit frondeur qu’il montra, quelques années plus tard, à l’égard de Léonard de Vinci, le mythe d’une Encyclopédie moteur du progrès technique.
L’Encyclopédie fut, ne l’oublions pas, mise en œuvre par des philosophes. Il serait injuste de leur jeter la pierre pour ne pas avoir développé davantage la machine à vapeur, la fonte au coke ou les derniers perfectionnements de l’industrie textile. Elle représente avant tout, du point de vue des arts mécaniques, un état extraordinaire des techniques classiques, comme il n’en existe pour aucune autre période de notre histoire. La modernité se trouve ailleurs, dans le texte principalement, et souvent dans les articles où on l’y attendrait le moins. Les ennuis qu’a affrontés Diderot au début de sa publication lui ont appris à être fort prudent avec les idées trop avancées… En outre, il suffit de consulter des encyclopédies récentes pour découvrir combien la mise en valeur des dernières avancées du monde scientifique et technique peut doter ces publications d’une vieillesse prématurée. Qu’est-il advenu aujourd’hui de l’aérotrain de Bertin ou du moteur rotatif Wankel, qui représentaient naguère les signes annonciateurs d’une nouvelle révolution technique ?
[…] Des renvois à l’hypertexte
Quoi qu’il en soit, l’Encyclopédie est là, bien présente, et la somme de connaissances qui y est contenue reste pour nous un modèle qui ne sera probablement plus jamais reconduit. Et pourtant, nous courons toujours après ce mythe de pouvoir accéder, sur l’instant, à de telles sommes. Et les universitaires américains qui ont récemment mis au point le concept d’hypertexte sont en fait très proches de l’esprit des encyclopédistes lorsqu’ils appliquaient largement le principe des renvois, fondamental dans une recherche encyclopédique. Les encyclopédies accessibles aujourd’hui par le canal de l’informatique, qu’elles soient traditionnelles comme la Groslier ou sectorielles comme les banques de données du réseau après vente de Renault, font appel à cette même notion d’unités documentaires où, par un simple clic de souris, on passe d’un article à un autre, d’une notion à une illustration, d’une pièce à un prix. Le mythe du presse-bouton de notre XX° siècle, a remplacé celui de la connaissance universelle du siècle des Lumières… Finalement, dans le domaine de la recherche documentaire, Diderot et ses compagnons étaient, là aussi, fort avancés.
[…] Parmi les 2 900 planches gravées que renferme l’Encyclopédie de Diderot, les deux tiers des machines représentées sont mues par la force musculaire – celle de l’homme et du cheval essentiellement -, le tiers restant se référant aux énergies naturelles, le vent et l’eau. Plus de la moitié de ces machines fonctionnent à l’énergie humaine : rouets, tours, cabestans, treuils, roues à échelons, etc. Cette remarque préliminaire n’a pour simple but que de mettre en garde le lecteur sur l’importance qu’on peut être amené à donner à certaines machines ou techniques qui, pour être des étapes importantes dans l’histoire des techniques, ne sont parfois que des phénomènes isolés dont on se gardera de faire des généralisations hâtives. C’est le cas, notamment, de la machine à vapeur au XVIII° siècle, dont l’importance est capitale en regard de la suite de l’histoire, mais dont le nombre d’exemplaires, en France, ne dépasse pas quelques dizaines avant 1800.
Jusqu’à ce qu’un déséquilibre fasse basculer le système technique classique vers le système fer/houille/vapeur caractéristique de la révolution industrielle, le bois reste de loin l’élément clé de la construction et le premier combustible, et l’eau une source d’énergie largement exploitée depuis le Moyen Âge. Il n’est pas étonnant de constater que les premiers grands ingénieurs de la période industrielle seront pour beaucoup issus de familles de constructeurs de moulins. Ils perpétuent ainsi une tradition de constructeurs de machines sachant maîtriser à la fois l’élément constructif, le bois, et l’élément moteur, l’eau. Comme le rapporte en 1861 l’ingénieur anglais William Fairbaim, lui-même issu de cette grande tradition : Dans la société d’alors [ jusqu’à la fin du XVIII° siècle ], qui était moins différenciée que celle dans laquelle nous vivons, il n’y avait sans doute jamais eu de catégorie d’hommes plus utiles et plus indépendants que ces constructeurs ruraux de moulins. Ils étaient les dépositaires de tout le savoir mécanique du pays.
Bruno Jacomy. Une histoire des techniques. Seuil 1990
Évidemment, les esprits grincheux sont là, pour bouder leur plaisir et se figer dans la pensée immobile pour laquelle l’ennemi c’est le changement : c’est là la nourriture de base de tous les conservatismes au mieux, des intégrismes au pire.
Le flambeau des lettres commence à jeter un éclat moins vif ; la corruption des mœurs cause celle du goût. […] Le style devient de plus en plus ampoulé, et les idées deviennent de plus en plus fausses ; on se livre, avec une espèce d’émulation, au jeu si dangereux des paradoxes, et les charmes du style revêtissent les systèmes les plus erronés et les plus étranges. J. J. Rousseau vante, avec tout le feu de son élocution, les douceurs de la vie sauvage, au milieu d’une nation civilisée, et pare le vice des couleurs de la vertu. Voltaire plus coupable encore, oubliant que le véritable génie respecte la morale ainsi que la religion, outrage l’une et l’autre, et se plaît même à défigurer les vérités historiques. D’autres écrivains, d’un talent bien inférieur, marchent la tête levée, et dans leurs écrits, sonnent, pour ainsi dire, la destruction de toutes les bases de la société. Les sciences exactes et physiques envahissent le domaine de la littérature, et tuent l’imagination ; on s’empresse de les cultiver ; les esprits qui se tournent vers elles s’embarrassent dans une foule d’inutiles méthodes, et s’égarent dans des routes ténébreuses. L’admiration croissoit comme la sottise et l’impudence des auteurs : on se passionne pour les plantes , on accorde de l’esprit aux bêtes, et l’on en refuse aux hommes : ces savans, d’une nouvelle espèce, se montrent plus superstitieux, plus inconséquens, plus crédules que les anciens Égyptiens. Ceux-ci, lorsqu’ils alloient chercher les dieux parmi les légumes de leur jardin ; lorsque, l’encensoir à la main , ils rendoient de bizarres hommages à des animaux, avoient du moins une intention louable ; les œuvres de la création leur paroissoient comme autant de miroirs dans lesquels la divinité se peignoit en caractères visibles. La sensibilité de nos philosophes se portoit sur les fleurs et sur les animaux ; c’étoit alors le règne de la nature : on auroit pu leur appliquer ces paroles que Jules César adressoit un jour à des barbares qui caressoient de petits chiens avec une sorte d‘affection : Ne dispensez point pour des bêtes ce grand fonds de sensibilité et de tendresse qui est dû à vos semblables.
Au milieu de ce siècle, les Français passèrent des discussions littéraires aux discussions politiques ; et le gouvernement, par son incroyable silence, sembla favoriser tous les complots qui se tramèrent contre le trône et l’autel. On déclamoit sans cesse contre la superstition et contre les préjugés ; néanmoins , dans ce siècle de philosophie et d’incrédulité, on se rendoit en foule aux baquets de Mesmer, et l‘on demandoit des miracles au charlatan Cagliostro.
Les Anglais allumèrent en France cette guerre d‘un nouveau genre, qui auroit dévoré la France entière, si enfin un génie réparateur n’eût relevé sur ses bases l’édifice de l’ordre social.
Vers ce temps commence la période brillante des Allemands septentrionaux, et leur science s’allie un peu avec le goût.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
Quid des baquets de Mesmer ? Mesmer était un médecin autrichien venu en France en 1777. La base de son travail était la guérison par le magnétisme ; médecin anglais, John Grieve, en visite à Paris en 1784 raconte : J’étais dans sa maison l’autre jour, et je fus témoin de sa façon de procéder ; au milieu de la pièce est placé un récipient d’un pied et demi de haut environ, et que l’on appelle ici un baquet. Il est si grand que vingt personnes peuvent facilement s’asseoir tout au tour. Le bord du couvercle est percé d’un nombre de trous correspondant au nombre de personnes qui doivent l’entourer. Ces trous reçoivent des tiges de fer, recourbées à angle droit vers l’extérieur disposées à différentes hauteurs de façon à correspondre aux différentes parties du corps auxquelles elles doivent s’appliquer ; outre ces tiges, une corde fait communiquer le baquet avec un des malades, puis de proche en proche avec tous ses compagnons, les effets les plus apparents se manifestent à l’approche de Messmer, lequel dirige le fluide par certains mouvements de ses mains ou de ses yeux, sans avoir besoin de toucher la personne en question. J’ai parlé avec plusieurs personnes qui ont été témoins de ces effets et chez qui Messmer a provoqué des convulsions puis les a fait cesser d’un simple mouvement de la main.
Plus globalement, quelle était la situation du livre en France ? Le cadre juridique était déterminé par la censure : le libraire remettait le manuscrit au censeur, de la direction de la Librairie, qui interdisait la publication ou l’autorisait, ce qui alors donnait lieu à un privilège ou permission tacite : dès lors l’ouvrage pouvait être publié et mis en vente : ne restait plus qu’à franchir les censures de l’Église et des Parlements. À l’intérieur du royaume cela avait provoqué une concurrence féroce entre libraires parisiens et de province – essentiellement Lyon et Rouen -. Mais en plus, hors frontières, un pullulement de libraires éditeurs grand producteurs de contrefaçons, dénommés croissant fertile de par leur situation géographique : de La Haye, Amsterdam à Avignon (encore aux États de la papauté) en passant par Bruxelles, Liège, Bâle, Neuchâtel, Lausanne, Genève, Lyon. Ces contrefaçons concernaient des livres légaux, édités à bon marché, des livres dits philosophiques (alors souvent synonyme de séditieux, à peu de choses près) et des livres censurés ou même non soumis à la censure. Il existait deux circuits parallèles : celui des livres populaires autorisés mais contrefaits, au public essentiellement villageois, aux mains des colporteurs, et le circuit urbain des livres de librairie, souvent des livres philosophiques interdits.
4 08 1751
Chute du Dérochoir, sur le flanc sud des Rochers des Fiz, rive droite de l’Arve, au-dessus de Servoz, 25 km. de Chamonix : 6 morts chez les hommes, 90 chez les vaches, un mulet et trois granges. 10 jours plus tard eut lieu une autre chute de pierres, encore plus importante : on sentit la secousse jusqu’en Piémont. On évalua le volume des pierres tombées à 22 millions de mètres cubes.
1751
Les Français Joseph Jérôme Le François de Lalande à Berlin et l’abbé Nicolas Louis de la Caille au Cap de Bonne Espérance – qui sont pratiquement sur le même méridien – déterminent avec une remarquable précision la parallaxe de la lune, qui donne la distance Terre-Lune : ils arrivèrent à un chiffre de 57’11″. On reconnaît aujourd’hui 57’2″. La parallaxe est l’effet du changement de position de l’observateur sur ce qu’il perçoit. En astronomie, la parallaxe est l’angle sous lequel peut être vue depuis un astre une longueur de référence.
La Chine annexe le Tibet et met fin au règne du Dalaï Lama.
7 02 1752
Un arrêté du Conseil du Roi Louis XV interdit l’impression et la diffusion des deux premiers volumes de l’Encyclopédie, mais ce même Conseil reconnaît l’utilité de l’Encyclopédie pour les Sciences et les Arts, correctif obtenu grâce au ferme soutien de Madame de Pompadour et de quelques ministres, qui leur permet de prier d’Alembert et Diderot de se remettre au travail dès le mois de mai 1752.
1752
Début de l’extraction de la houille à Ronchamp, et, la même année, à Carmaux, Gabriel de Solages obtient la concession de mines de houilles autour de son château de Blaye ; il exploite le charbon avec une centaine d’ouvriers, crée une verrerie à bouteille ; en 1810 la famille se constituera en Société civile des mines et verreries de Carmaux. Un siècle plus tard, la voie ferrée étendra la rayon de la commercialisation du charbon à l’ensemble de la région et, à la veille de la 1° guerre mondiale, la production sera de 845 000 tonnes : Carmaux était alors l’une des houillères les mieux outillées de France. À Philadelphie, Benjamin Franklin met en place les premiers paratonnerres. Le contrôleur général des finances Machaut sonne le glas de la puissance de Joseph François Dupleix, gouverneur de la Compagnie des Indes : On préfère généralement ici la paix à des conquêtes, et les succès n’empêchent pas qu’on ne désire un état moins brillant mais plus tranquille et plus favorable au commerce. On ne veut que quelques établissements en petit nombre pour aider et protéger le commerce. Point de victoires, point de conquêtes, beaucoup de marchandises, et quelque augmentation de dividendes…
On pose pour principe qu’il ne convient point à la Compagnie de se rendre dans l’Inde une puissance militaire, et qu’elle doit se borner aux objets du commerce. En conséquence de ce principe, elle ne doit avoir d’établissements dans l’Inde que ceux qui sont nécessaires à son commerce, car toute puissance qui a une grande étendue de domination est obligée d’avoir des troupes pour garder et défendre ses États.
Dupleix quittera l’Inde en octobre 1754. Voltaire reflétera bien l’opinion en France en parlant de querelle de commis pour de la mousseline et des toiles peintes. Dès 1746, le marquis d’Argenson, nouveau ministre des Affaires Étrangères, avait donné le ton : La France a de quoi se contenter de sa grandeur et de son arrondissement. Il est temps enfin de commencer à gouverner.
Ce cadrage venait mettre un terme à l’aventure de Dupleix, qui, du poste de gouverneur de la Compagnie des Indes qui aurait du le cantonner dans la recherche d’objectifs strictement commerciaux, avait commencé à passer à un projet politique et militaire sur la bonne moitié de l’Inde du sud qu’il contrôlait alors. Il était parvenu pour ce faire à gagner le concours de la flotte de La Bourdonnais, mouillée à l’île Maurice. Jouant tout d’abord de la répugnance des Anglais à trop s’engager, il finit par tomber sur un os en la personne de Robert Clive [2], jeune escroc (pour les Indiens d’aujourd’hui) de vingt-cinq ans, ancien employé de l’East Indian Company, brillant, charismatique et opiomane, qui se mit à tailler quelques croupières aux alliés de Dupleix. Il allait devenir gouverneur de la Compagnie jusqu’en 1767 : le pouvoir nominal était encore aux mains du nabab, mais sa réalité économique était dans les mains du gouverneur, qui eut non seulement quelques faiblesses en confondant sa caisse personnelle et celle de la Compagnie, mais encore mit en place le système d’exploitation très british du pays. Quelques années plus tard, venu se soigner à Montpellier, lord Clive s’installera à proximité à Pézenas, amenant avec lui son cuisinier indien, expert en petits pâtés de mouton sucrés au miel, à la manière écossaise : Lord Clive mourra [3] , le cuisinier aussi, mais les petits pâtés vivront, devenus les petits pâtés de Pézenas, surprenante et néanmoins solide implantation d’un sucré-salé en pays languedocien.
Pour revenir aux Indes, il faut bien avoir conscience du contexte économique de ce début de colonisation. Le schéma général est celui de la suprématie imposée à un pays pauvre, sans pouvoir politique fort, dont le colonisateur vient tirer des matières premières qu’il importe pour les transformer. Mais ce n’était pas le cas de l’Inde, qui avait certes un pouvoir politique qui allait en s’affaiblissant depuis de nombreuses années, mais qui n’était pas un pays pauvre : de tous temps, l’Inde était exportatrice de produits fabriqués : cotonnades, soieries, tapis, armes, bijoux, matières premières de grand prix, telles les épices. La Compagnie des Indes commença donc à mettre en place un système d’impôts qu’elle préleva sur place : taxes de toutes sortes, portant ce nom ou un autre, qu’importe : on estime que de 1757 à 1780, les sommes prélevées sur le Bengale et transférées en Angleterre se montèrent à 38 millions £ !
Puis vint la révolution industrielle, le machinisme et dès lors la nécessité de maintenir l’emploi en Angleterre : les Anglais cessèrent les importations de produits fabriqués aux Indes pour les fabriquer eux-mêmes, surtout pour ce qui concerne les cotonnades, n’hésitant pas à couper les doigts des tisserands indiens, hommes, femmes, enfants ! Les productions vivrières cédèrent le pas aux plantations de coton, puis de jute, et enfin, d’opium, de très loin la plus rémunératrice : en 1769, on chiffrera à 10 millions le nombre de morts emportés par la famine au Bengale, et on ne peut pas mettre cet anéantissement au seul compte de la sécheresse.
Naquirent alors les paysages industriels, symbolisés surtout par les sheds, typiques de la toiture des usines, nés en Angleterre composés de deux pans aux inclinaisons différentes, nommés en France toiture à redans partiels ; le plus court est vitré, l’autre opaque . C’est le souci de la maitrise de la luminosité et de la chaleur dans les ateliers qui a conduit à ce choix : la partie vitrée est en général tournée vers le nord (dans l’hémisphère nord), assurant la luminosité et la partie opaque limite la luminosité et la surchauffe.
15 05 1753
L’abbé Nollet prononce le discours d’ouverture de la chaire de physique expérimentale au collège de Navarre, où se pressent 600 personnes pour l’entendre, faisant ainsi le plein de l’amphithéâtre. Il s’intéresse beaucoup à l’électricité statique, ferraille avec Benjamin Franklin quant à la paternité de la découverte de l’origine électrique de la foudre. Il invente aussi la machine à faire le vide. Il est aujourd’hui considéré comme le père de l’enseignement technique. Cinq ans plus tard, il présidera l’Académie des Sciences. Il compte parmi ses élèves Lavoisier, Monge… et le jeune duc de Berry, futur Louis XVI.
1753
Jacques de Romas, magistrat à Nérac, 30 km d’Agen, est passionné de phénomènes électriques : il réalise qu’avec un cerf-volant, il attire la foudre et comprend la nature des phénomènes électriques en jeu : mais c’est Benjamin Franklin qui ira au bout et connaîtra la gloire. Création du British Museum.
À la campagne, on consomme encore en majorité du pain à base de céréales dites pauvres [pas loin d’un kilo par jour par personne] : seigle, orge, avoine ou sarrasin, tandis que les habitants des villes ne connaissent presque que le pain de froment. La préférence pour le froment unissant l’élite et le peuple se fondait sur une triple base. Sensorielle d’abord : grâce à sa dose élevée de gluten [la substance élastique qui permet à la pâte de conserver le gaz carbonique engendré par la fermentation], un pain de froment est plus volumineux, léger et savoureux que tout autre. Symbolique ensuite : ainsi, lors de l’eucharistie, seul pouvait être consacré, aux yeux de l’Église, le pain de froment. Scientifique enfin, car confirmé par des recherches récentes : les consommateurs de l’époque savaient d’expérience que le froment nourrit mieux que les autres céréales. On verra des ouvriers parisiens, attirés à Lyon par des salaires nettement plus élevés, en revenir dégoûtés quelques années plus tard disant qu’ils ne pouvaient absolument pas s’accoutumer à l’usage du pain trop bis qu’on y fabriquait habituellement.
Mais la seconde moitié du XVIII° siècle va connaître sur l’ensemble de l’Europe une amélioration de l’alimentation, elle-même à l’origine d’une forte croissance démographique, caractérisée par une chute importante de la mortalité des jeunes des classes populaires (les autres mangeaient déjà à leur faim) : Il semble que la diminution de la mortalité doive être recherchée dans l’amélioration de la nourriture. Pendant longtemps une partie importante de la population européenne a été sous-alimentée, comme de nos jours, par exemple, celle de l’Inde. Elle n’offrait aux maladies qu’une résistance minime. Depuis le XVI° siècle, par contre, l’alimentation de la population de l’Europe s’est petit à petit transformée. C’est une des conséquences de la découverte de l’Amérique qui a permis l’introduction de plantes nouvelles : le maïs [4] arrivé au XVI° siècle dans le midi de l’Europe, Portugal, Espagne ou Italie, et qui se répand dans toute l’Europe, jusqu’au 50° degré de latitude. Sa création comme plante cultivée, écrit M. Daniel Faucher, la découverte et le perfectionnement des modes de cette culture grâce auxquels il a pu être adopté par des milieux géographiques aussi différents, peuvent être tenus pour l’une des œuvres les plus remarquables parmi celles qui ont donné naissance à l’agriculture.
L’introduction du maïs a une importance considérable, car le rendement de cette plante est très supérieur à celui du blé – surtout au XVIII° siècle où le rendement des céréales classiques était excessivement faible, quatre à cinq pour un. Le maïs est consommé soit directement sous forme de bouillies ou de galettes, soit indirectement, en servant à engraisser les animaux, et notamment les volailles : on commence à consommer des oies grasses. Le goût pour le gibier recule devant les volailles et les bestiaux spécialement engraissés pour la table et qui succèdent aux vaches étiques et aux poulets coriaces qu’on pouvait seulement se procurer autrefois. La pomme de terre est aussi venue d’Amérique. Elle suit le même chemin que le maïs, on la cultive déjà en Espagne au XVI° siècle, puis elle passe en Italie, en Allemagne, en Angleterre, elle pénètre en France par l’Alsace au début du XVIII° siècle. Soumise à des conditions de végétation différentes de celles des céréales, elle fournit un aliment précieux lorsque le blé manque. Pomme de terre et maïs expliquent sans doute que le XVIII° siècle n’ait pas connu de famines semblables à celles des siècles précédents, c’est-à-dire fauchant des populations entières, mais seulement des disettes qui ne causaient plus qu’une augmentation passagère et relativement faible de la mortalité. Ces plantes, d’autres encore comme le haricot, comme le sarrasin venus, eux, d’Asie, n’ont gagné du terrain que très lentement : c’est ce qui explique qu’introduites au XVI° siècle, on ne commence à sentir les conséquences de leur diffusion qu’au milieu du XVIII° siècle. Encore ne triomphent-elles pas, nous le verrons, car la révolution agricole ne fait que commencer. Mais, premier résultat capital : meilleure alimentation, disparition des grandes famines, résistance accrue du corps humain à la maladie, baisse de la mortalité des jeunes.
Jacques Godechot. Le siècle des Lumières 1986
On estimait la population française au début du règne de Louis XV à 18 millions d’habitants ; au début de la Révolution, elle était de 26 millions : plus de 40 % d’augmentation en 80 ans ! en un siècle elle sera de 60 % ! Dans le même temps, en Angleterre, la population passait de 5 à 9 millions, l’Italie, de 11 millions vers 1700 à 18 en 1788… Au total, la population de l’Europe, évaluée à 118 huit millions d’habitants environ en 1700, [680 pour le monde entier] atteindra 187 millions, 100 ans plus tard [954 pour le monde entier]. Et il fallait en faire des enfants si l’on voulait qu’un certain nombre parvienne à l’âge adulte : il faut deux enfants pour faire un homme. À Aix en Provence, du 1° janvier 1722 au 31 décembre 1767, sur 4 844 enfants exposés à l’hôpital Saint Jacques [soit un tous les trois jours], il en restait 2 224, mais ce chiffre ne peut refléter une situation générale : ces enfants exposés étaient aussi les plus fragiles.
Cet aperçu d’une croissance globale de la population européenne ne doit pas masquer un ralentissement du nombre de naissances en France à partir de cette moitié du XVIII° siècle, due à une contraception qui s’est peu à peu généralisée des classes les plus aisée aux classes pauvres les plus nombreuses : La contraception ne date certainement pas d’hier, elle n’est pas une invention moderne. Mais c’est récemment qu’elle est devenue épidémie, qu’elle a investi, pénétré, désorganisé l’Europe entière, qu’elle devient révolution des mœurs. Or, en ce qui concerne la France, cette révolution a été plus précoce que partout ailleurs. Dès le milieu du XV° siècle, elle est décelable. Impossible aux contemporains de ne pas la voir, de ne pas imaginer ses conséquences. Nous avons eu, sur cette voie, une avance d’un bon siècle par rapport à nos voisins d’Europe.
Une telle avance s’est révélée désastreuse, catastrophique pour l’essor de la population française. Celle-ci n’avançait plus qu’au ralenti, tandis que les populations voisines continuaient leur marche en avant et même, avec l’essor industriel, la précipitaient. Nous perdions de notre poids relatif dans le concert européen. La France, avec plus de 27 millions d’habitants (contre 18 millions d’Anglais et 24,8 millions d’Allemands), était encore en 1800 – la gigantesque Russie mise à part – la nation la plus peuplée d’Europe ; elle représentait 15,70 % de la population du continent ; en 1850, ce chiffre n’était plus que 13,3 % et 9,7 % seulement en 1900. La France a donc payé cher d’être entrée si tôt dans un engrenage dont elle ne s’est plus jamais dégagée, dont elle n’a pas été capable (ou n’a même pas essayé) de sortir avec l’énergie qui eût été nécessaire. Il est vrai que la même aventure est arrivée aux autres nations européennes, une fois qu’elles ont été touchées à leur tour par la restriction des naissances. Elles ne s’en libérèrent pas non plus.
Faut-il donc penser que ce n’est pas le 15 juin 1815, sur le champ de bataille calamiteux de Waterloo, que la France a cessé d’être une grande puissance, mais bien avant, dès qu’elle a refusé, quand régnait Louis XV, la multiplication naturelle des berceaux ?
Au cours du XlX° siècle, explique Alfred Sauvy, il y avait un parallélisme dans le développement des pays de l’Europe occidentale. Tout allait à peu près de pair : évolution sociale, politique, industrie, médecine, etc. à quelques années près. Tout sauf en un point et pour un seul pays : c’est que, cent ans avant les autres, la France a entrepris de réduire ses forces de jeunesse au moment même où se donnait le départ de la grande course à l’expansion mondiale. Toute la marche de la France est depuis lors influencée par cet événement qui s’est produit… au XVIII° siècle.
Fernand Braudel. L’identité de la France. Arthaud Flammarion. 1986
Les faits venant étayer ce constat n’ont rien de très scientifique ; les écrits sur le sujet, pour la plupart ecclésiastiques, taisent le mot coïtus interruptus, pour parler de funestes pratiques. C’est un Français anonyme, originaire du Mans et qui se cache sous le nom de chevalier John Nickolls qui résume le mieux l’affaire : Pour ce qui est des Laboureurs, les campagnes fournissent dans cette classe d’aussi grands prodiges en misère que les villes en peuvent montrer en richesse. C’est sur eux que le poids des charges de l’État tombe le plus durement. Un Laboureur qui n’a pas le nécessaire à la vie, craint comme un malheur le grand nombre d’enfants. La crainte d’une misère insupportable empêche plusieurs de se marier ; et jusqu’en cette classe, les mariages sont devenus moins féconds.
Dans le sud-est asiatique, la Birmanie retrouve une unité longtemps perdue : Alaungpaya repousse les forces du Pegou, reprend sa capitale en 1759, ainsi que le sud de la Birmanie et Manipur. Il s’empare de Rangoun puis, en 1760, du Tenasserim et marche sur Ayutthaya où il est mortellement blessé. Son fils Hsinbyushin conquerra la ville fin 1767. Il lui faudra repousser quatre tentatives d’invasion de la Chine, puis en conquérant l’Assam, ses successeurs viendront buter sur les intérêts britanniques en Inde.
La naissance de l’empire des Birmans, sous le règne de Louis XV, est un des phénomènes du dix-huitième siècle, et le fondateur de cet empire, Alompra, en est un des hommes les plus extraordinaires. Né dans une basse condition, mais adroit, infiniment habile à manier les esprits, rusé, homme de tête et de main, animé de toute l’énergie d’une sauvage indépendance, il ne put voir, de sang froid, le royaume d’Ava, sa patrie, gémir sous le joug des Péguans qui en avoient fait la conquête : leur monarque Beinga-Delia, dans le cours de ses prospérités, s’étoit signalé par de criantes injustices, par de grands crimes, et avoit fait égorger le dernier souverain d’Ava, son prisonnier. Alompra, à la tête de cent hommes seulement, commença, la guerre contre les Péguans ; il la termina avec une armée de cent cinquante mille de ses compatriotes qui lui adjugèrent la couronne. Il s’appliqua à changer l’humeur des Birmans naturellement doux, aimables, et joyeux : jamais peuple ne s’éleva plus subitement que les Avanois du comble de l’humiliation au comble de la puissance.
Alompra se jeta sur le Pégu, battit les Péguans sur terre et sur mer, s’empara de leur pays, et fut enlevé au sein de la victoire par la mort, lorsque ce conquérant étoit sur le point de subjuguer le Siam. Sa famille règne aujourd’hui sur une grande étendue de pays situés au delà du Gange, dans une immense péninsule qui sépare le golfe du Bengale des mers de la Chine.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
3 07 1754
Coulon de Villiers tient à venger la mort de son frère, le sieur de Jumonville et après avoir fait le siège du Fort de la Nécessité, en face du fort français Duquesne, près d’Union, une ville de Pennsylvanie, il obtient la reddition du colonel Georges Washington et de sa garnison. Ce dernier venait de faire construire ce fort qui empiétait sur les territoires français, fort convoités par les anglo-américains.
1754
À Paris, c’était la vogue des musiciens à la petite semaine : les Savoyards, d’abord authentiques, jouaient de la vielle à qui mieux mieux ; ils furent apparemment imités par d’autres qui ne connaissaient peut-être de Savoie que le nom.
Claude Duneton. Histoire de la chanson française. Seuil 1998.
L’identité américaine n’est pas encore formalisée, mais déjà potentielle : Les forces de toute l’Europe réunie ne seront pas capables de nous soumettre. John Adams
Les colonies sont comme les fruits qui ne tiennent à l’arbre que jusqu’à leur maturité. Devenues suffisantes à elles-mêmes, elles font ce que fit Carthage, ce que fera un jour l’Amérique.
Michel Etienne Turgot 1751
Un premier Congrès continental s’est réuni à Philadelphie en septembre : on a pu entendre Patrick Henry lancer : Je ne suis pas un Virginien, mais un Américain. Et les politiques ne sont pas seuls pour pressentir la première puissance mondiale qui se met en place, lentement, mais sûrement : ce sera chose faite moins de deux siècles plus tard : Crèvecœur, un Français installé depuis peu en Amérique, où il restera 25 ans, regagnera la France en 1780, en nous laissant un abondant courrier de choses vues ; en l’occurrence choses prévues. La vue de nos établissements dans toutes les gradations de leur ancienneté, dans toutes les nuances de leur amélioration ; nos ports de mer, le voisinage de nos villes, réjouirait involontairement l’âme du voyageur, auquel l’approche d’une capitale serait annoncée par le nombre, l’élégance, la beauté des plantations et la perfection de la culture. La vue de cette douce perspective lui inspirerait, j’en suis sûr, les idées les plus consolantes et les réflexions les plus utiles. Son imagination […] jouirait d’avance du spectacle magnifique que prépare ce continent. Et quand, me demanderez-vous, jouirons-nous en effet de ce grand spectacle ? Lorsque les générations futures auront rempli une partie de son étendue ; lorsque nos mines seront découvertes et exploitées, nos canaux de communication ouverts pour joindre les sources de nos rivières ; lorsque de nouvelles inventions auront enrichi la mécanique et perfectionné le pouvoir des hommes ; lorsque la foule des arts et des sciences utiles auront embelli notre société et auront ajouté une dignité nouvelle à l’existence des races futures. C’est alors que nous deviendrons voisins des Russes, qui ne s’en doutent pas aujourd’hui ; c’est alors que nous visiterons le Japon et les Indes, en remontant nos rivières et en passant sur nos terres. Ce sera l’époque où l’or du midi se mariera au fer du nord. C’est alors que nos flottes marchandes traverseront les grands lacs et uniront les parties les plus éloignées de l’intérieur de ce vaste continent. Longtemps avant ce moment, nos vaisseaux parcourront toutes les mers ; nos talents et notre énergie donneront à l’univers l’exemple le plus efficace, et notre commerce deviendra le lien le plus utile de toutes les nations.
Crèvecœur. Lettres d’un cultivateur américain.
En Russie, sous le règne d’Élizabeth, Bartolomeo Francesco, comte Rastrelli, fils du sculpteur qui a réalisé les principales statues de Saint-Pétersbourg, y construit le Palais d’Hiver, le couvent de Smolnyï, et encore le Palais d’Été à Tsarskoïe Selo, et encore l’église Saint André à Kiev.
Au cap de Bonne Espérance, en Afrique du Sud, l’abbé Nicolas Louis de la Caille termine une carte du ciel austral, sur laquelle il travaillait depuis 4 ans.
21 et 22 04 1755
Venus de toute la Corse, des représentants et des chefs de clan se rassemblent au couvent Saint François de Caccia, à Castifao, à 40 km de Corte. Apostolis, le supérieur, est un ami de Pascal Paoli. Tous des insurgés contre Gênes se constituent en assemblés : la Cunsulta pour délibérer des textes constitutionnels qui régiront la Corse après la victoire sur les Génois. Il en sortira quelques chose : des textes qui font prévaloir la séparation des pouvoirs, l’établissement d’une justice qui met à mal la vendetta. Tout cela durera un peu plus que ce que durent les roses, mais pas beaucoup : quatorze ans, et la Corse deviendra française.
26 05 1755
Mort de Mandrin, le Robin des bois des Lumières, capturé par une troupe française qui avait passé clandestinement la frontière, au château de Rochefort en Savoie, près de Novalaise : il est condamné au supplice de la roue. Contrebandier en Dauphiné, il parvint à alléger de 8 000 livres la fille du responsable de l’entrepôt des Tabacs de St Étienne de St Geoire en janvier 1754. Dix mois plus tard, à la tête de 270 hommes et 404 chevaux, il donna bien du fil à retordre au pouvoir. En décembre de la même année, il échappa à 8 régiments royaux, s’empara de Beaune où il préleva 20 000 livres sur les greniers à sel, et le lendemain captura à Autun 37 séminaristes qu’il relâche moyennant 25 000 mille livres.
Complainte de Mandrin
Nous étions vingt ou trente,
Brigands dans une bande,
Tous habillés de blanc,
À la mode des…
Vous m’entendez ?
Tous habillés de blanc
À la mode des marchands.
La première volerie
Que je fis dans ma vie
C’est d’avoir goupillé,
La bourse d’un…
Vous m’entendez ?
C’est d’avoir goupillé
La bourse d’un curé.
J’entrai dedans sa chambre
Mon Dieu, qu’elle était grande !
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main…
Vous m’entendez ?
J’y trouvai mille écus,
Je mis la main dessus.
J’entrai dedans une autre,
Mon Dieu, qu’elle était haute !
De robes et de manteaux
J’en chargeai trois…
Vous m’entendez ?
De robes et de manteaux,
J’en chargeai trois chariots.
Je les portai pour vendre
À la foire en Hollande.
J’ les vendis bon marché,
Ils n’ m’avaient rien…
Vous m’entendez ?
J’ les vendis bon marché,
Ils n’ m’avaient rien coûté.
Ces Messieurs de Grenoble
Avec leurs longues robes,
Et leurs bonnets carrés,
M’eurent bientôt…
Vous m’entendez ?
Et leurs bonnets carrés
M’eurent bientôt jugé.
Ils m’ont jugé à pendre,
Ah ! c’est dur à entendre !
À pendre et étrangler,
Sur la place du…
Vous m’entendez ?
À pendre et étrangler,
Sur la place du Marché.
Monté sur la potence
Je regardai la France,
J’y vis mes compagnons,
À l’ombre d’un…
Vous m’entendez ?
J’y vis mes compagnons,
À l’ombre d’un buisson.
Compagnons de misère,
Allez dire à ma mère,
Qu’elle ne me reverra plus,
Je suis un enfant…
Vous m’entendez ?
Qu’elle ne me reverra plus,
Je suis un enfant perdu !
Angelyn.
17 07 1755
Pascal Paoli est élu général des Corses insurgés, padre della patria. Il demandera à Jean Jacques Rousseau de valider la constitution élaborée pour la Corse, lequel, flatté, s’exclamera : J’ai le pressentiment qu’un jour, cette petite île étonnera le monde .
1 11 1755
En 9 minutes, 4 secousses telluriques détruisent en grande partie Lisbonne ; les survivants se réfugient sur le bord de mer… quand un raz de marée ravage la partie basse de la ville. Un gigantesque incendie s’ensuit, dont on verra les flammes depuis Santarem, à 70 km. au nord est. On compte environ 60 000 morts, (sur 275 000 habitants), 35 des 40 églises sont à terre, de même le palais royal, l’opéra, la bibliothèque de 70 000 volumes… Sebastiao José de Carvalho e Melo est le principal ministre du roi Joseph I° : il va remarquablement gérer la reconstruction : très vite des tentes et des baraques en bois pour le provisoire, et une maîtrise complète de la reconstruction, modèle d’urbanisme des Lumières, aérée et propice à la circulation. Il sera fait marquis de Pombal en 1770.
Simultanément les tsunamis vont se manifester sur toute la côte atlantique, et même jusqu’en Finlande, allant jusqu’à traverser tout l’Atlantique pour se manifester en Martinique et à la Barbade : à Penzance en Cornouailles, la vague atteint 3.08m, les côtes françaises de Charente et du pays Basque ne seront pas épargnées, mais c’est surtout la côte marocaine qui sera touchée, faisant 10 000 morts :
Et l’on reçut des nouvelles de Salé que la mer se retira très loin et la population de Salé sortit pour contempler ce spectacle ; mais le flot revint vers le rivage et s’avança vers l’intérieur des terres jusqu’à une massâfa (environ cinq à six kilomètres), de nombreuses personnes moururent. Ce flot rencontrant une caravane composée d’un grand nombre de bêtes de somme et de gens se rendant à Marrakech, l’engloutit tout entière. Il emporta toutes les felouques et les barques qui se trouvaient sur le rivage, et une barque fut retrouvée à plus d’une massâfa de la mer…
Al-Qadiri, historien marocain, témoin oculaire du séisme à Fès.
Philosophes trompés qui criez tout est bien
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses.
Ces femmes, ces enfants, l’un sur l’autre entassés
Sous ces marbres rompus, ces membres dispersés
Cent mille infortunés que la Terre dévore,
Qui sanglants, déchirés, et palpitants encore,
Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours.
[…] Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants
Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?
Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices
Que Londres, que Paris, plongés dans les délices :
Lisbonne est abîmée, et l’on danse a Paris.
Voltaire. Poème sur le désastre de Lisbonne. 1756
Là où Voltaire ne voulait voir que le fruit du hasard, sans intervention aucune de la loi divine, Rousseau accusera l’homme d’avoir édifié une ville aussi dense sur un site aussi dangereux ; mais, en l’état des connaissances géologiques, de quelles connaissance pouvait donc bien se revendiquer Rousseau pour porter pareil jugement ? Aurait-il eu la prescience de la tectonique des plaques ?
Lettre à Monsieur de Voltaire sur ses deux poèmes sur La loi naturelle et sur Le désastre de Lisbonne
A M. DE VOLTAIRE
Le 18 Aoust 1756.
– Vos deux derniers poèmes [Sur la loi naturelle et sur Le Désastre de Lisbonne], Monsieur, me sont parvenus dans ma solitude, et quoique tous mes amis connoissent l’amour que j’ai pour vos écrits, je ne sais de quelle part ceux-ci me pourroient venir, à moins que ce ne soit de la vôtre. J’y ai trouvé le plaisir avec l’instruction et reconnu la main du maître. Ainsi je crois vous devoir remercier à la fois de l’exemplaire et de l’ouvrage. Je ne vous dirai pas que tout m’en paroisse également bon, mais les choses qui m’y déplaisent ne font que m’inspirer plus de confiance pour celles qui me transportent ; ce n’est pas sans peine que je défends quelquefois ma raison contre les charmes de votre poésie, mais c’est pour rendre mon admiration plus digne de vos ouvrages que je m’efforce de n’y pas tout admirer.
– Je ferai plus, Monsieur : je vous dirai sans détour, non les beautés que j’ai cru sentir dans ces deux poèmes, la tâche effraieroit ma paresse, ni même les défaux qu’y remarqueront peut-être de plus habiles gens que moi, mais les déplaisirs qui troublent en cet instant le goût que je prenois à vos leçons ; et je vous les dirai encore attendri d’une première lecture où mon cœur écoutoit avidemment le vôtre, vous aimant comme mon frère, vous honorant comme mon maître, me flattant enfin que vous reconnoîtrez dans mes intentions la franchise d’une âme droite, et dans mes discours le ton d’un ami de la vérité qui parle à un philosophe. D’ailleurs, plus votre premier poème m’enchante, plus je prends librement parti contre le second, car, si vous n’avez pas craint de vous opposer à vous-même, pourquoi craindrois-je d’être de votre avis ? Je dois croire que vous ne tenez pas beaucoup à des sentimens que vous réfutez si bien.
– Tous mes griefs sont donc contre votre Poème sur le désastre de Lisbonne, parce que j’en attendois des effets plus dignes de l’humanité qui paroît vous l’avoir inspiré. Vous reprochez à Pope et à Leibniz d’insulter à nos maux en soutenant que tout est bien, et vous chargez tellement le tableau de nos misères que vous en aggravez le sentiment : au lieu des consolations que j’espérois, vous ne faites que m’affliger ; on diroit que vous craignez que je ne voie pas assez combien je suis malheureux, et que vous croiriez, ce semble, me tranquiliser beaucoup en me prouvant que tout est mal.
– Ne vous y trompez pas, Monsieur, il arrive tout le contraire de ce que vous vous proposez. Cet optimisme, que vous trouvez si cruel, me console pourtant dans les mêmes douleurs que vous me peignez comme insupportables. Le poème de Pope adoucit mes maux et me porte à la patience ; le vôtre aigrit mes peines, m’excite en murmure, et m’ôtant tout, hors une espérance ébranlée, il me réduit au désespoir. Dans cette étrange opposition qui règne entre ce que vous prouvez et ce que j’éprouve, calmez la perplexité qui m’agite, et dites-moi qui s’abuse, du sentiment ou de la raison.
– Homme, prends patience, me disent Pope et Leibniz, tes maux sont un effet nécessaire de ta nature et de la constitution de cet univers. L’Être éternel et bienfaisant qui le gouverne eût voulu t’en garantir : de toutes économies possibles, il a choisi celle qui réunissoit le moins de mal et le plus de bien, ou, pour dire la même chose encore plus crûment s’il le faut, s’il n’a pas mieux fait, c’est qu’il ne pouvoit mieux faire.
– Que me dit maintenant votre poème ? Souffre à jamais, malheureux. S’il est un Dieu qui t’ait créé, sans doute il est tout puissant, il pouvoit prévenir tous tes maux : n’espère donc jamais qu’ils finissent, car on ne saurait voir pourquoi tu existes, si ce n’est pour souffrir et mourir. Je ne sais ce qu’une pareille doctrine peut avoir de plus consolant que l’optimisme et que la fatalité même ; pour moi, j’avoue qu’elle me paroît plus cruelle encore que le manichéisme. Si l’embarras de l’origine du mal vous forçoit d’altérer quelqu’une des perfections de Dieu, pourquoi vouloir justifier sa puissance aux dépens de sa bonté ? S’il faut choisir entre deux erreurs, j’aime encore mieux la première.
– Vous ne voulez pas, Monsieur, qu’on regarde votre ouvrage comme un poème contre la providence Je ne m’élève pas contre la Providence et je me garderai bien de lui donner ce nom, quoique vous ayez qualifié de livre contre le genre humain un écrit Le Discours sur l’origine de l’inégalité où je plaidois la cause du genre humain contre lui-même. Je sais la distinction qu’il faut faire entre les intentions d’un auteur et les conséquences qui peuvent se tirer de sa doctrine. La juste défense de moi-même m’oblige seulement à vous faire observer qu’en peignant les misères humaines, mon but étoit excusable et même louable, à ce que je crois, car je montrais aux hommes comment ils faisoient leurs malheurs eux-mêmes, et par conséquent comment il les pouvoient éviter.
– Je ne vois pas qu’on puisse chercher la source du mal moral ailleurs que dans l’homme libre, perfectionné, partant corrompu ; et quant aux maux physiques, si la matière sensible et impassible est une contradiction, comme il me le semble, ils sont inévitables dans tout système dont l’homme fait partie ; et alors la question n’est point pourquoi l’homme n’est pas parfaitement heureux, mais pourquoi il existe. De plus, je crois avoir montré qu’excepté la mort, qui n’est presque un mal que par les préparatifs dont on la fait précéder, la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage. Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avoit point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que, si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés, le dégât eût été beaucoup moindre et peut-être nul. Tout eût fui au premier ébranlement, et on les eût vus le lendemain à vingt lieues de là, tout aussi gais que s’il n’étoit rien arrivé. Mais il faut rester, s’opiniâtrer autour des masures, s’exposer à de nouvelles secousses, parce que ce qu’on laisse vaut mieux que ce qu’on peut emporter. Combien de malheureux ont péri dans ce désastre pour vouloir prendre, l’un ses habits, l’autre ses papiers, l’autre son argent ! Ne sait-on pas que la personne de chaque homme est devenue la moindre partie de lui-même, et que ce n’est presque pas la peine de la sauver quand on a perdu tout le reste ?
– Vous auriez voulu que le tremblement se fût fait au fond d’un désert Voltaire, Lettre sur le désastre, etc plutôt qu’à Lisbonne. Peut-on douter qu’il ne s’en forme aussi dans les déserts ? Mais nous n’en parlons point, parce qu’ils ne font aucun mal aux Messieurs des villes, les seuls hommes dont nous tenions compte. Ils en font peu même aux animaux et sauvages qui habitent épars ces lieux retirés, et qui ne craignent ni la chute des toits, ni l’embrasement des maisons. Mais que signifieroit un pareil privilège ? Seroit-ce donc à dire que l’ordre du monde doit changer selon nos caprices, que la nature doit être soumise à nos lois, et que pour lui interdire un tremblement de terre en quelque lieu, nous n’avons qu’à y bâtir une ville ?
– Il y a des événemens qui nous frappent souvent plus ou moins selon les faces par lesquelles on les considère, et qui perdent beaucoup de l’horreur qu’ils inspirent en premier aspect, quand on veut les examiner de près. J’ai appris dans Zadig – Zadig, ou la destinée. Histoire orientale -, et la nature me confirme de jour en jour, qu’une mort accélérée n’est pas toujours un mal réel, et qu’elle peut quelquefois passer pour un bien relatif. De tant d’hommes écrasés sous les ruines de Lisbonne, plusieurs, sans doute, ont évité de plus grands malheurs ; et malgré ce qu’une pareille description a de touchant et fournit à la poésie, il n’est pas sur qu’un seul de ces infortunés ait plus souffert que si, selon le cours ordinaire des choses, il eût attendu dans de longues angoisses la mort qui l’est venue surprendre. Est-il une fin plus triste que celle d’un mourant qu’on accable de soins inutiles, qu’un notaire et des héritiers ne laissent pas respirer, que les médecins assassinent dans son lit à leur aise, et à qui des prêtres barbares font avec art savourer la mort ? Pour moi, je vois partout que les maux auxquels nous assujettit la nature sont moins cruels que ceux que nous y ajoutons.
– Mais, quelque ingénieux que nous puissions être à fomenter nos misères à force de belles institutions, nous n’avons pu jusqu’à présent nous perfectionner au point de nous rendre généralement la vie à charge, et de préférer le néant à notre existence, sans quoi le découragement et le désespoir se seraient bientôt emparés du plus grand nombre, et le genre humain n’eût pu subsister longtems. Or, s’il est mieux pour nous d’être que de n’être pas, c’en seroit assez pour justifier notre existence, quand même nous n’aurions aucun dédommagement à attendre des maux que nous avons à souffrir, et que ces maux seroient aussi grands que vous les dépeignez. Mais il est difficile de trouver, sur ce point, de la bonne foi chez les hommes et de bons calculs chez les philosophes, parce que ceux-ci, dans la comparaison des biens et des maux, oublient toujours le doux sentiment de l’existence indépendant de tout autre sensation, et que la vanité de mépriser la mort engage les autres à calomnier la vie, à peu près comme ces femmes qui, avec une robe tachée et des ciseaux, prétendent aimer mieux des trous que des taches.
– Vous pensez, avec Érasme, que peu de gens voudroient renaître aux mêmes conditions qu’ils ont vécu Nul ne voudrait mourir, nul ne voudrait renaître ; mais tel tient sa marchandise fort haute, qui en rabattroit beaucoup s’il avoit quelque espoir de conclure le marché. D’ailleurs, qui dois-je croire que vous avez consulté sur cela ? Des riches, peut-être, rassasiés de faux plaisirs, mais ignorant les véritables, toujours ennuyés de la vie et toujours tremblans de la perdre ; peut-être des gens de lettres, de tous les ordres d’hommes le plus sédentaire, le plus malsain, le plus réfléchissant, et par conséquent le plus malheureux. Voulez-vous trouver des hommes de meilleure composition, ou, du moins, communément plus sincères, et qui, formant le plus grand nombre, doivent au moins pour cela être écoutés par préférence ? Consultez un honnête bourgeois, qui aura passé une vie obscure et tranquille, sans projet et sans ambition ; un bon artisan, qui vit commodément de son métier ; un paysan même, non de France, où l’on prétend qu’il faut les faire mourir de misère afin qu’ils nous fassent vivre, mais du pays, par exemple, ou vous êtes, et généralement de tout pays libre. J’ose poser en fait qu’il n’y a peut-être pas dans le Haut-Valais un seul montagnard mécontent de sa vie presque automate, et qui n’acceptât volontiers, au lieu même du paradis qu’il attend et qui lui est dû, le marché de renaître sans cesse pour végéter ainsi perpétuellement. Ces différences me font croire que c’est souvent l’abus que nous faisons de la vie qui nous la rend à charge […] Cela n’empêche pas que le sage ne puisse quelquefois déloger volontairement, sans murmure et sans désespoir, quand la nature ou la fortune lui portent bien distinctement l’ordre de mourir. Mais, selon le cours ordinaire des choses, de quelques maux que soit semée la vie humaine, elle n’est pas, à tout prendre, un mauvais présent et si ce n’est pas toujours un mal de mourir, c’en est fort rarement un de vivre.
– Nos différentes manières de penser sur tous ces points m’apprennent pourquoi plusieurs de vos preuves sont peu concluantes pour moi, car je n’ignore pas combien la raison humaine prend plus facilement le moule de nos opinions que celui de la vérité, et qu’entre deux hommes d’avis contraire ce que l’un croit démontré n’est souvent qu’un sophisme pour l’autre.
– Quand vous attaquez, par exemple, la chaîne des êtres si bien décrite par Pope, vous dites qu’il n’est pas vrai que, si l’on ôtoit un atome du monde, le monde ne pourrait subsister. Vous citez là-dessus M. de Crousaz, dans la note qui accompagne le poème sur le désastre: Il n’est pas vrai que si on ôta un atome du monde, le Monde ne pourrait subsister : et c’est ce que M. de Crouzas, savant géomètre, remarque très bien dans son livre contre M. Pope. Il paraît qu’il avait raison sur ce point ; puis vous ajoutez que la nature n’est asservie à aucune mesure précise ni à aucune forme précise ; que nulle planète ne se meut dans une courbe absolument régulière ; que nul être connu n’est d’une figure précisément mathématique ; que nulle quantité précise n’est requise pour nulle opération ; que la nature n’agit jamais rigoureusement ; qu’ainsi on n’a aucune raison d’assurer qu’un atome de moins sur la terre seroit la cause de la destruction de la terre. Je vous avoue que sur tout cela, Monsieur, je suis plus frappé de la force de l’assertion que de celle du raisonnement, et qu’en cette occasion je céderois avec plus de confiance à votre autorité qu’à vos preuves.
– À l’égard de M. de Crousaz, je n’ai point lu son écrit contre Pope, et ne suis peut-être pas en état de l’entendre ; mais ce qu’il y a de très certain, c’est que je ne lui céderai pas ce que je vous aurai disputé, et que j’ai tout aussi peu de foi à ses preuves qu’à son autorité. Loin de penser que la nature ne soit point asservie à la précision des quantités et des figures, je croirois, tout au contraire, qu’elle seule suit à la rigueur cette précision, parce qu’elle seule sait comparer exactement les fins et les moyens, et mesurer la force à la résistance. Quant à ces irrégularités prétendues, peut-on douter qu’elles n’aient toutes leur cause physique, et suffît-il de ne la pas apercevoir pour nier qu’elle existe ? Ces apparentes irrégularités viennent sans doute de quelques lois que nous ignorons, et que la nature suit tout aussi fidèlement que celles qui nous sont connues ; de quelque agent que nous n’apercevons pas, et dont l’obstacle ou le concours a des mesures fixes dans toutes ses opérations ; autrement il faudroit dire nettement qu’il y a des actions sans principes et des effets sans cause, ce qui répugne à toute philosophie. […]
– Vous distinguez les événemens qui ont des effets de ceux qui n’en ont point : je doute que cette distinction soit solide. Tout événement me semble avoir nécessairement quelque effet, ou moral, ou physique, ou composé des deux, mais qu’on n’aperçoit pas toujours, parce que la filiation des événemens est encore plus difficile à suivre que celle des hommes. Comme en général on ne doit pas chercher les effets plus considérables que les événemens qui les produisent, la petitesse des causes rend souvent l’examen ridicule, quoique les effets soient certains ; et souvent aussi plusieurs effets presque imperceptibles se réunissent pour produire un événement considérable. Ajoutez que tel effet ne laisse pas d’avoir lieu, quoiqu’il agisse hors du corps qui l’a produit. Ainsi, la poussière qu’élève un carrosse peut ne rien faire à la marche de la voiture et influer sur celle du monde. Mais comme il n’y a rien d’étranger à l’univers, tout ce qui s’y fait agit nécessairement sur l’univers même Il en est de même des événements : chacun a sa cause […]
– Que le cadavre d’un homme nourrisse des vers :
Ce malheur, dites-vous, est le bien d’un autre être.
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître ;
Quand la mort met le comble aux maux que j’ai soufferts
Le beau soulagement d’être mangé des vers !
des loups, ou des plantes, ce n’est pas, je l’avoue, un dédommagement de la mort de cet homme ; mais si, dans le système de cet univers, il est nécessaire à la conservation du genre humain qu’il y ait une circulation de substance entre les hommes, les animaux et les végétaux, alors le mal particulier d’un individu contribue au bien général. Je meurs, je suis mangé des vers, mais mes enfants, mes frères vivront comme j’ai vécu, mon cadavre engraisse la terre dont ils mangeront les productions, et je fais, par l’ordre de la nature et pour tous les hommes, […]
– Pour penser juste à cet égard, il semble que les choses devraient être considérées relativement dans l’ordre physique et absolument dans l’ordre moral : la plus grande idée que je puis me faire de la Providence est que chaque être matériel soit disposé le mieux qu’il est possible par rapport à lui-même ; en sorte que, pour qui sent son existence, il vaille mieux exister que ne pas exister. Mais il faut appliquer cette règle à la durée totale de chaque être sensible, et non à quelque instant particulier de sa durée, tel que la vie humaine ; ce qui montre combien la question de la Providence tient à celle de l’immortalité de l’âme, que j’ai le bonheur de croire, sans ignorer que la raison peut en douter, et à celle de l’éternité des peines, que ni vous, ni moi, ni jamais homme pensant bien de Dieu, ne croirons jamais.
– Si je ramène ces questions diverses à leur principe commun, il me semble qu’elles se rapportent toutes à celle de l’existence de Dieu. Si Dieu existe, il est parfait ; s’il est parfait, il est sage, puissant et juste ; s’il est sage et puissant, tout est bien ; s’il est juste et puissant, mon âme est immortelle ; si mon âme est immortelle, trente ans de vie ne sont rien pour moi et sont peut-être nécessaires au maintien de l’univers. Si l’on m’accorde la première proposition, jamais on n’ébranlera les suivantes ; si on la nie, il ne faut point disputer sur ses conséquences. […]
– Voilà donc une vérité dont nous partons tous deux, à l’appui de laquelle vous sentez combien l’optimisme est facile à défendre et la Providence à justifier, et ce n’est pas à vous qu’il faut répéter les raisonnemens rebattus, mais solides, qui ont été faits si souvent à ce sujet. À l’égard des philosophes qui ne conviennent pas du principe, il ne faut point disputer avec eux sur ces matières, parce que ce qui n’est qu’une preuve de sentiment pour nous ne peut devenir pour eux une démonstration, et que ce n’est pas un discours raisonnable de dire à un homme : Vous devez croire ceci parce que je le crois. Eux, de leur côté, ne doivent point non plus disputer avec nous sur ces mêmes matières, parce qu’elles ne sont que des corollaires de la proposition principale qu’un adversaire honnête ose à peine leur opposer, et qu’à leur tour ils auroient tort d’exiger qu’on leur prouvât le corollaire indépendamment de la proposition qui lui sert de base. Je pense qu’ils ne le doivent pas encore pour une autre raison : c’est qu’il y a de l’inhumanité à troubler les âmes paisibles et à désoler les hommes à pure perte, quand ce qu’on veut leur apprendre n’est ni certain ni utile. Je pense, en un mot, qu’à votre exemple on ne sauroit attaquer trop fortement la superstition qui trouble la société, ni trop respecter la religion qui la soutient.
– Mais je suis indigné, comme vous, que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté, et que l’homme ose contrôler l’intérieur des consciences où il ne sauroit pénétrer, comme s’il dépendoit de nous de croire ou de ne pas croire dans des matières où la démonstration n’a point lieu, et qu’on pût jamais asservir la raison à l’autorité. Les rois de ce monde ont-ils donc quelque inspection dans l’autre, et sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les forcer d’aller au paradis ? Non, tout gouvernement humain se borne, par sa nature, aux devoirs civils, et quoi qu’en ait pu dire le sophiste Hobbes, quand un homme sert bien l’État, il ne doit compte à personne de la manière dont il sert Dieu.
– J’ignore si cet Être juste ne punira point un jour toute tyrannie exercée en son nom ; je suis bien sûr au moins qu’il ne la partagera pas, et ne refusera le bonheur éternel à nul incrédule vertueux et de bonne foi. Puis-je, sans offenser sa bonté et même sa justice, douter qu’un cœur droit ne rachète une erreur involontaire, et que des mœurs irréprochables ne vaillent bien mille cultes bizarres prescrits par les hommes et rejetés par la raison ? Je dirai plus : si je pouvois, à mon choix, acheter les œuvres aux dépens de ma foi, et compenser, à force de vertu, mon incrédulité supposée, je ne balancerois pas un instant, et j’aimerois mieux pouvoir dire à Dieu, J’ai fait, sans songer à toi, le bien qui t’es agréable, et mon cœur suivoit ta volonté sans la connaître, que de lui dire, comme il faudra que je fasse un jour, Je t’aimois et n’ai cessé de t’offenser, je t’ai connu et n’ai rien fait pour te plaire.
– Il y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les loix peuvent imposer, mais hors les principes de la morale et du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des religions qui attaquent les fondemens de la société, et qu’il faut commencer par exterminer ces religions pour assurer la paix de l’État. De ces dogmes à proscrire, l’intolérance est sans difficulté le plus odieux, mais il faut la prendre à sa source, car les fanatiques les plus sanguinaires changent de langage selon la fortune, et ne prêchent que patience et douceur quand ils ne sont pas les plus forts. Ainsi j’appelle intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, et damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. En effet, les fidèles sont rarement d’humeur à laisser les réprouvés en paix dans ce monde, et un saint qui croit vivre avec des damnés anticipe volontiers sur le métier du diable. Quant aux incrédules intolérans qui voudroient forcer le peuple à ne rien croire, je ne les bannirois pas moins sévèrement que ceux qui le veulent forcer à croire tout ce qu’il leur plaît ; car on voit au zèle de leurs décisions, à l’amertume de leurs satires, qu’il ne leur manque que d’être les maîtres pour persécuter tout aussi cruellement les croyans qu’ils sont eux-mêmes persécutés par les fanatiques. Où est l’homme paisible et doux qui trouve bon qu’on ne pense pas comme lui ? Cet homme ne se trouvera sûrement jamais parmi les dévots, et il est encore à trouver chez les philosophes.
– Je voudrois donc qu’on eût dans chaque État un code moral, ou une espèce de profession de foi civile qui contînt positivement les maximes sociales que chacun seroit tenu d’admettre, et négativement les maximes intolérantes qu’on seroit tenu de rejeter, non comme impies, mais comme séditieuses. Ainsi, toute religion qui pourroit s’accorder avec le code seroit admise, toute religion qui ne s’y accorderoit pas seroit proscrite, et chacun seroit libre de n’en avoir point d’autre que le code même. Cet ouvrage, fait avec soin, seroit, ce me semble, le livre le plus utile qui jamais ait été composé, et peut-être le seul nécessaire aux hommes. Voilà, Monsieur, un sujet pour vous ; je souhaiterois passionnément que vous voulussiez entreprendre cet ouvrage, et l’embellir de votre poésie, afin que chacun pouvant l’apprendre aisément, il portât dès l’enfance, dans tous les cœurs, ces sentimens de douceur et d’humanité qui brillent dans vos écrits et qui manquent à tout le monde dans la pratique. Je vous exhorte à méditer ce projet, qui doit plaire à l’auteur d’Alzire Alzire, ou les Américains Tragédie de M. de Voltaire, Vous nous avez donné, dans votre poème sur la religion naturelle, le catéchisme de l’homme ; donnez-nous maintenant, dans celui que je vous propose, le catéchisme du citoyen. C’est une matière à méditer longtems, et peut-être à réserver pour le dernier de vos ouvrages, afin d’achever, par un bienfait au genre humain, la plus brillante carrière que jamais homme de lettres ait parcourue.
– Je ne puis m’empêcher, Monsieur, de remarquer à ce propos une opposition bien singulière entre vous et moi dans le sujet de cette lettre. Rassasié de gloire et désabusé des vaines grandeurs, vous vivez libre au sein de l’abondance ; bien sûr de votre immortalité, vous philosophez paisiblement sur la nature de l’âme, et si le corps ou le cœur souffre, vous avez Tronchin pour médecin et pour ami : vous ne trouvez pourtant que mal sur la terre. Et moi, homme obscur, pauvre et tourmenté d’un mal sans remède, je médite avec plaisir dans ma retraite et trouve que tout est bien. D’où viennent ces contradictions apparentes ? Vous l’avez vous-même expliqué : vous jouissez, mais j’espère, et l’espérance embellit tout.
– J’ai autant de peine à quitter cette ennuyeuse lettre que vous en aurez à l’achever. Pardonnez-moi, grand homme, un zèle peut-être indiscret, mais qui ne s’épancheroit pas avec vous si je vous estimois moins. À Dieu ne plaise que je veuille offenser celui de mes contemporains dont j’honore le plus les talens, et dont les écrits parlent mieux à mon cœur, mais il s’agit de la cause de la Providence, dont j’attends tout. Après avoir si longtems puisé dans vos leçons des consolations et du courage, il m’est dur que vous m’ôtiez maintenant tout cela pour ne m’offrir qu’une espérance incertaine et vague, plutôt comme un palliatif actuel que comme un dédommagement à venir. Non, j’ai trop souffert en cette vie pour n’en pas attendre une autre. Toutes les subtilités de la métaphysique ne me feront pas douter un moment de l’immortalité de l’âme, et d’une Providence bienfaisante. Je la sens, je la crois, je la veux, je l’espère, je la défendrai jusqu’à mon dernier soupir, et ce sera, de toutes les disputes que j’aurai soutenues, la seule où mon intérêt ne sera pas oublié.
– Je suis avec respect, Monsieur, etc.
Jean Jacques Rousseau
*****
La première semaine de novembre 1755, un tremblement de terre fatal, accompagné d’un raz de marée, puis d’incendies, ravagea un tiers de Lisboa et emporta des dizaines de milliers de ses habitants. Famine, épidémies et pillages s’ensuivirent. Les flammes n’étaient pas retombées, les gens n’avaient pas ôté les haillons dans lesquels ils avaient été surpris, que des hommes achetaient et revendaient déjà des diamants dérobés dans les cendres et les décombres. En dépit du ciel bleu, en dépit de reflets dorés de la mer de Paille, tout le monde avait les mots punition et châtiment à la bouche.
L’année suivante le Marquès de Pombal se mit à rêver d’une cité de Raison et de Symétrie. Après une catastrophe qui avait ébranlé l’optimisme et le sens de la justice des philosophes à travers l’Europe, la nouvelle cité de Lisboa allait, par la seule circulation des biens, garantir sécurité et prospérité ! Un rêve de banquier ! Des rues dont la régularité, la limpidité, la fiabilité et les lignes parallèles répondraient à celles de comptes parfaitement tenus ; des rues qui mèneraient à une Praça do Comércio immense, laquelle ouvrirait la ville aux commerces du monde entier…
Pourtant, durant la seconde moitié du dix-huitième siècle, Lisboa ne fût ni Manchester ni Birmingham, et la révolution industrielle eut lieu ailleurs. Le déclin qui allait alors abaisser le Portugal au rang de plus pauvre nation d’Europe était en cours.
Quel que soit le nombre de passants sur la Praça do Comercio , elle a toujours l’air à moitié vide.
John Berger. D’ici là [Lisboa]. Éditions de l’Olivier. 2006
Quand les hommes sentent que la terre devient instable sous leurs pieds, un sentiment d’insécurité paralysant s’empare d’eux. Le sol soutient tout ; quand il se dérobe, le désespoir de l’homme est complet.
Et le terre ferme n’est pas seulement agitée de secousses qui engouffrent des villes, des populations et des montagnes, il se passe en effet rarement un moment sans que ses mouvements ou ses tremblements ne soient ressentis par les moyens sophistiqués de la science moderne. La stabilité de la terre ferme n’est qu’une instabilité masquée. Le choc destructeur ne dure que quelques minutes, voire quelques secondes. Les vibrations successives qui ont dévasté la Calabre en 1783 ne furent ressenties qu’à peine deux minutes. Quand la ville de Lisbonne fut détruite, en 1755, entraînant la mort de six mille personnes, ce fut le premier choc, qui a duré cinq à six secondes, qui a causé le plus de dégâts.
Les mouvements qui constituent les tremblements de terre sont variés. Parfois, ils sont verticaux. Mais le plus souvent ils sont horizontaux. La force de transmission varie avec l’intensité du choc et avec la nature des matériaux rocheux. Quand on a fait exploser des mines de poudre près de Holyhead, au Pays de Galles, les ondes se sont propagées dans le sable mouillé à une rapidité de 300 mètres par seconde, et à travers le granite à une vitesse de quatre cents mètres par seconde. On ne peut imaginer que le centre réel d’un tremblement de terre se trouve à la surface. Il doit se trouver à une profondeur considérable sous la surface. Selon M. Mallet, l’épicentre du tremblement de Calabre de 1857 se trouvait à dix ou douze kilomètres sous le niveau de la mer. Toutes les perturbations naissant en profondeur.
Des bruits accompagnent souvent les tremblements de terre. Parfois, cela ressemble aux explosions d’une artillerie lointaine ; le plus souvent, c’est comme le grondement causé par de lourds véhicules qui rouleraient sur les pavés d’une ville. Je n’ai moi-même fait l’expérience que d’un seul tremblement de terre notable, il s’est produit peu après mon arrivée au Foyer. Je n’avais pas encore plongé dans la morosité, je sommeillais au soleil, les mains derrière ma tête, malgré les menottes ; je sentais la chaleur du soleil de midi tomber sur mes paupières closes, quand le sol, sous moi,- une calotte calcaire longeant la chaîne des Balcones – s’est mise à trembler, si bien que j’ai rêvé que je tombais, que je glissais dans une fosse abyssale : que la terre elle-même essayait de se débarrasser de moi, imitant ainsi fidèlement le schéma mis en place par mes parents, et se moquant bien de la loyauté que j’avais pour elle.
Cela a duré à peu près dix secondes. Le soubassement rocheux sur lequel je me trouvais fût très clairement agité de vibrations, un grognement fut également perceptible, comme celui d’un convoi de véhicules, au rythme assez régulier, comme si, en ces quelques secondes, quiconque se donnant la peine d’écouter pouvait connaître cette logique ou ce rythme constant toujours présent sous nos pieds, mais jamais suspecté, jamais même soupçonné – une logique qui pourtant règne sur tout.
Permettez-moi d’analyser la magnitude de cette force. Parmi les effets des tremblements de terre, même s’il s’agit d’un effet secondaire de la destruction et du chaos immédiat, on recense le tarissement des sources ou l’augmentation soudaine de leur volume. Parfois, cela se signale par une échappée de boue, d’eau de gaz ou de flammes. Occasionnellement, comme lors des tremblements de terre d’Andalousie en 1884, la terre se déchire sur des distances considérables. Au cours des effroyables tremblements de Calabre en 1783, ces phénomènes de failles furent parmi les plus grands et les plus terribles effets de la catastrophe. Des pans entiers de montagne glissèrent en masse pour s’effondrer dans les plaines en contrebas. Des falaises s’écroulèrent, des roches s’ouvrirent, avalant les maisons qui se trouvaient dessus. Des villages entiers disparurent. Un exemple remarquable a eu lieu au pays de Cutch, quand le Great Runn s’est effondré sur une étendue de quelques milliers de kilomètres carrés, si bien que, pendant une partie de l’année, l’endroit restait inondé par la mer, alors qu’il était un désert le reste du temps.
On a remarqué que les tremblements de terre se produisent surtout à la nouvelle et à la pleine lune ; plus souvent aussi au périgée qu’à l’apogée ; ou quand la lune est au méridien plutôt qu’à l’horizon ; plus souvent en hiver qu’en été, et, enfin, plus souvent la nuit que le jour…
Alexander Winchell 1824-1891. Walks and Talks in the geological field. 1886
Naissance de Marie Antoinette, fille de l’impératrice d’Autriche Marie Thérèse, future épouse de Louis XVI.
14 11 1755
La Jeanne Elisabeth, navire marchand de 25 mètres de long, 60 de large, 6 de haut, une grosse dondon, selon les archéologues, battant pavillon suédois, – ce qui doit le mettre à l’abri des attaques anglaises -, a appareillé de Cadix quinze jours plus tôt, pour Marseille. Une méchante tempête l’a rapprochée dangereusement des côtes et c’est l’échouage à 150 mètres de la cathédrale de Maguelonne, entre Palavas et Les Aresquiers sur la côte languedocienne. L’importance des limons va mettre à l’abri de l’oxygène le navire comme sa cargaison : blé, cochenille [un colorant pour les tissus] et surtout 650 kg d’argent – 24 000 piastres – du Potosi au Pérou : de quoi aiguiser bien des appétits. L’équipage compte deux morts, et les survivants ne parviendront pas à sauver la cargaison dans les jours suivants. Mais, quelque 250 ans plus tard, des pilleurs d’épave s’en chargeront : commencera alors une très amusante partie de gendarmes et voleurs, dont le dernier mot restera aux gendarmes : Cette affaire est l’une des plus incroyables que j’aie eu à traiter en vingt ans de carrière. Dans la voix de Patrick Desjardins, il n’y a pas d’emphase ou d’exagération. Le procureur adjoint du tribunal de grande instance de Montpellier énonce juste un fait. Un fait qui, en octobre 2015, a pris la forme d’une sentence : deux ans de prison ferme pour deux individus. À ce jour, il s’agit de la plus sévère condamnation prononcée en France dans un cas de pillage sous-marin. Surtout, ce jugement signe le dénouement d’une épopée historico-policière débutée plus de deux cent cinquante ans plus tôt.
[…] Le vendredi 14 novembre, tandis qu’il est pris dans une violente tempête, il chavire à 150 mètres du bord, en face de la cathédrale romane de Villeneuve-lès-Maguelone, dans l’Hérault. Deux passagers meurent. Dès le 18 novembre, des équipes sont mobilisées pour récupérer ce qui peut l’être, et notamment la cargaison : du blé, de la cochenille, mais surtout 650 kg d’argent. Un trésor de 24 000 piastres – les dollars de l’époque – qui devait être acheminé dans le plus grand secret à des banquiers suisses. Il n’atteindra jamais sa destination. Les opérations de sauvetage tournent au vinaigre, les tempêtes se succèdent, et le bateau, couché sur le flanc, finit enseveli dans le sable.
Il s’agit d’une zone maudite, s’amuse Marine Jaouen, l’archéologue du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm) chargée des fouilles actuellement menées au sujet de la Jeanne-Elisabeth. Depuis le début de nos recherches, en 2008, nous n’avons cessé de connaître des difficultés techniques. Au fond, nous avons perdu une suceuse ainsi que du matériel de deux à sept mètres de long ! La faute des courants, mais surtout des masses de sable qui, dans cette zone, se déplacent très rapidement. En 2010, il nous a fallu cent soixante-treize heures pour désensabler la Jeanne et, au moment de commencer notre travail une tempête a tout réensablé.
C’est un phénomène similaire qui, à l’époque, a transformé la Jeanne-Elisabeth en un coffre-fort imprenable, commente Michel L’Hour, directeur du Drassm. Un coffre-fort certes imprenable mais surtout agaçant, car situé à seulement 5 mètres de profondeur et à 300 mètres de la ligne de côte actuelle. C’est ce que rappelle, en juillet 2004, un journaliste dans un numéro de Ça m’intéresse ayant pour thème Les fabuleux trésors de nos côtes.
Dans son article, il retrace le destin tragique de la Jeanne-Elisabeth et donne une description assez précise de la cargaison monétaire (Des caisses cerclées de fer qui contenaient 24 360 piastres dont 6 200 marquées HBC, 6 000 RPF et 3 960 AR ). Ce qui peut apparaître comme d’obscurs détails est lourd de sens pour les numismates. Depuis le XVIII° siècle, la majorité des piastres ont en effet été refondues pour récupérer le métal qui, à l’époque, était de très bonne qualité. Ces monnaies, parfois très rares, peuvent de fait valoir jusqu’à 2 000 à 3 000 € pièce, ce qui porte l’estimation du trésor de la Jeanne-Elisabeth à une valeur comprise entre 1 million et 6 millions €. De quoi susciter la curiosité des chasseurs de trésor comme des archéologues amateurs. À la suite de cet article, nous avons décidé de rechercher la Jeanne-Elisabeth, raconte Michèle Rauzier, du club de plongée Octopus, situé à Palavas-les-Flots (Hérault), non loin du site d’échouage de la Jeanne. En 2006, elle demande au Drassm une autorisation de prospection et l’obtient.
Cet été-là, elle part donc à la recherche de la Jeanne, en groupe, épaulée par une équipe d’amateurs mais aussi par un certain Claude Marty, éleveur de moules. Ce monsieur est très connu à Palavas, où il était propriétaire d’un magasin de matériel de plongée, explique Michèle Rauzier. Il venait souvent nous voir au club. Il avait décidé de se ranger, de se lancer dans l’archéologie officielle, et de suivre des cours pour obtenir des brevets fédéraux. Il faut dire que, jusque-là, l’homme était plutôt connu pour ses activités de pilleur d’épaves. À la fin des années 1990, 130 objets archéologiques avaient été saisis chez lui. Les choses en étaient restées là, l’affaire s’étant réglée par une transaction financière avec les services douaniers.
La saison terminée, Michèle Rauzier envoie un rapport au DRASSM : selon elle, pas de traces de la Jeanne-Elisabeth. En revanche, elle aurait repéré une épave plus récente, datant du XIX° siècle, le Raymond, qu’elle souhaiterait fouiller.
En mars 2007, sa demande passe entre les mains du nouveau directeur du Drassm, Michel L’Hour, qui est doublement interpellé : D’abord, le rapport était expéditif : d’un bout de bois, elle déduisait qu’elle avait affaire au Raymond. Puis, dans les remerciements, il y avait le nom de Claude Marty, ce qui n’était pas bon signe. Alors, discrètement, le directeur sollicite son réseau d’informateurs, et plusieurs sources lui confirment que des piastres sont en circulation. Ceux de la Jeanne ? Il alerte le parquet de Montpellier et donne une autorisation de fouilles à Michèle Rauzier. Cela peut paraître paradoxal mais je n’étais pas certain de la culpabilité des plongeurs du club Octopus, et je ne souhaitais pas que des innocents soient inutilement mis en cause, explique-t-il.
L’année suivante, lorsque la fouille du Raymond débute, toute l’équipe d’Octopus est mise sous surveillance. L’opération est d’envergure. Archéologues et douaniers patrouillent incognito [donc tout nus ! waouh ! ndlr] sur la plage naturiste située devant le chantier de fouilles. À plusieurs reprises, ils plongent la nuit pour voir l’avancée des travaux. Ils constatent ainsi que l’épave en cours de fouille n’est pas le Raymond, mais une embarcation plus ancienne située à 40 mètres de là : la Jeanne-Elisabeth. Des mises sur écoute sont ordonnées et, en novembre, une demi-douzaine de perquisitions simultanées sont effectuées.
Près de 65 douaniers, archéologues et membres du GIPN sont mobilisés pour cette seule opération. Rien que chez Claude Marty, on a sorti trois camions d’objets archéologiques, se souvient Marine Jaouen, qui a assisté les douaniers dans cette saisie. Il y avait 258 piastres, une meule antique dans les haies, des amphores portemanteau ou des chandeliers en bronze plantés tout autour de la piscine. C’était hallucinant ! Dans les documents à charge, il y a aussi une étonnante vidéo où l’on voit un proche de Claude Marty amuser les enfants en faisant exploser des pétards dans un canon de la Jeanne-Elisabeth.
La suite de l’histoire prend la forme d’une longue enquête menée par les douanes judiciaires. La procédure a pris beaucoup de temps car le juge d’instruction a souhaité remonter toutes les pistes, jusqu’en Amérique latine où les piastres de la Jeanne auraient pu être revendues, explique Patrick Desjardins. Mais cela n’a pas abouti. Par leur travail, les enquêteurs ont toutefois résolu un certain nombre de mystères. Leurs progrès, ainsi que la chronologie de l’affaire, ont été rappelés lors du procès.
D’abord, l’épave de la Jeanne-Elisabeth aurait été en fait découverte au printemps 2006 par un certain Krystof Dabrowsky qui, à l’époque, pêchait des moules en apnée dans le coin. Il en informa un ami, Alain Charrière, avec lequel il perça la coque du navire qui recelait un chargement de blé. Un argument fort pour penser qu’il pourrait s’agir de la Jeanne-Elisabeth. Alain Charrière contacta alors Claude Marty, qui possédait le matériel nécessaire pour mener à bien une fouille de l’épave. Ce dernier se rapprocha du club de plongée local Octopus et de Michèle Rauzier, qui, justement, venait de demander une autorisation de recherche pour la Jeanne-Elisabeth. Un alibi inespéré qui lui permettrait d’expliquer la présence de son embarcation sur le site… d’autant que le bateau du club était en panne.
Ne restait plus qu’à procéder au pillage. De 500 à 550 kg de pièces furent sortis de l’épave en 2006. Le découvreur de l’épave ayant été écarté, Claude Marty garda 350 kg et Alain Charrière 180 kg. Alain Charrière vendit sa part à un certain monsieur Pierre, pour 100 000 €. Et, dans les semaines qui suivirent, la rumeur de la découverte d’un trésor commença à se répandre. De quoi inquiéter Claude Marty, qui avait caché sa part du butin d’abord dans son vide sanitaire, puis chez ses beaux-parents. Il contacta à son tour M. Pierre et lui vendit une partie de ses pièces pour 205 000 €. Voilà pour leur version des faits.
Après enquête, ce M. Pierre a été identifié. Il s’agirait de Jean-Luc Cougnard, un numismate de Montpellier qui aujourd’hui encore nie les faits. Interpellé fin 2009, il n’a été reconnu par aucun des pilleurs. Un très important faisceau de présomptions ramène toutefois vers lui, constate Patrick Desjardins. Il est probable que le numismate auquel les pièces ont été cédées n’a versé qu’un à-valoir aux pilleurs et qu’il leur doit encore une forte somme d’argent, ajoute Michel L’Hour. Aucun d’eux n’a donc intérêt à le faire tomber.
Un non-lieu a été prononcé pour Michèle Rauzier qui, même si elle a enfreint le Code du patrimoine, se serait surtout fait manipuler par les pilleurs de Palavas. En octobre 2015, lors du procès, Jean-Luc Cougnard et Claude Marty ont été condamnés à quatre ans de prison, dont deux ferme, et ce alors que le parquet n’avait requis que de la prison avec sursis. Six des inculpés ont été condamnés à payer solidairement 720 000 € à l’État français.
La somme de 1,1 million d’euros de dommages et intérêts réclamée par l’État pour perte d’informations archéologiques n’a pas été retenue. Les 720 000 € ne correspondent qu’à la valeur basse du trésor de la Jeanne-Elisabeth, regrette Michel L’Hour. Or, pendant les saisies, nous avons trouvé des objets issus des pillages d’au moins quatre autres épaves. L’impact de ces pilleurs sur la destruction du patrimoine archéologique dépasse donc largement le cadre de la Jeanne.
Malgré tout, Michel L’Hour se félicite de l’exemplarité des peines prononcées. Cette enquête a mobilisé beaucoup de monde, dont des douaniers plus habitués à pister de la drogue que des biens archéologiques. Or certains jugeaient ce type d’enquête peu valorisant : les condamnations seraient très faibles, et ne justifiaient pas les mois d’enquête et le nombre d’enquêteurs attachés au dossier. Il fallait donc leur montrer que le jeu en valait la chandelle. À ce jour, seuls deux des sept inculpés – Claude Marty, qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien, et Jean-Luc Cougnard – ont décidé de faire appel du jugement.
Viviane Thivent. Le Monde du 10 02 2016
Il restera encore 4 000 piastres à bord, que la DRASSM récupérera, ainsi que les canons et autres pièces présentant un intérêt majeur ; le tout y sera exposé au musée de l’Éphèbe à Agde à partir du 11 octobre 2019.
______________________________________________________________________________________________
[1] Sottise… dont ces insufflations alvines recommandées pourtant par d’authentiques savants : le Suisse Louis Bourguet en 1733, le français Réaumur en 1740 : pour réanimer un noyé il n’est que de lui insuffler dans les intestins par les voies naturelles des fumées de tabac ; le procédé était devenu célèbre au point que les pouvoirs publics avaient mis en place sur les rives des fleuves des boites de sauvetage contenant un kit pour les noyés, – soufflet, canule, tabac – … bien entendu les boites de sauvetage ne firent pas long feu, vite fracturées par les fumeurs… mais le procédé sera tout de même mis en œuvre un peu partout en Europe de la seconde moitié du XVIII° siècle à la seconde du XIX°. Et, bien entendu encore, la publicité faite à ce genre de réanimation, malgré son grand succès, sera réduite à peau de chagrin dans l’histoire de la réanimation.
[2] … pour les Indiens d’aujourd’hui… et pour quelques anglais dont Horace Walpole : La famille Clive a affamé des millions d’individus en Inde par leurs monopoles et leurs pillages, et ont presque provoqué une famine chez eux [en Irlande] en raison de leur opulence, qui a augmenté le coût de la vie, à tel point que les pauvres ne peuvent plus acheter de pain.
[3] en fait, il se suicidera le 22 novembre 1774, à 50 ans : quand on est accro à l’opium, on a encore plus de mal qu’en étant clair à supporter un désaveu du parlement pour l’ensemble de son action aux Indes.
[4] il vient de Colombie ; on le signale à Bayonne, sous le nom de grain turc vers 1570.