Hernán Cortés appareille de Cuba, à la tête de 11 navires, 400 hommes et 16 chevaux… pour le Mexique, en quête d’or. L’opération a été quelque peu précipitée, car le gouverneur Velasquez, inquiet de son esprit d’indépendance, venait de lui retirer, mais… trop tard, son commandement. C’est sur ses propres fonds et par l’emprunt qu’il en avait assuré le financement.
Il avait belle taille avec un corps membru harmonieusement développé. Son visage, d’un aspect peu réjoui et d’une couleur presque cendrée, aurait eu plus d’élégance s’il eut été plus allongé. Son regard était à la fois doux et grave. […] Il était bon cavalier et très adroit à toutes sortes d’armes, à pied comme à cheval ; il savait d’ailleurs très bien s’en servir et il était surtout homme de cœur et de résolution. […] Il était très affable avec ses capitaines et compagnons d’armes, surtout nous qui étions partis en même temps que lui de Cuba.
Don Bernal Diaz del Castillo Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle Espagne. Masson 1877
En 2013, Christian Duverger publiera Cortés et son double au Seuil, dans lequel il se montre très convaincant pour affirmer que don Bernal Diaz del Castillo était totalement dépourvu de la culture générale dont il est fait état dans ce livre, et qu’il ne pouvait donc pas en être l’auteur, qui ne serait autre qu’Hernan Cortés lui-même : il l’aurait écrit entre 1543 et 1546, quand il vivait à Valladolid. Et donc, puisqu’il s’agirait d’un autoportrait, autant qu’il soit flatteur !
Il ne trouve que fort peu d’or au Yucatan, poursuit et débarque le 22 avril 1519 près de la ville de Cempoala, où il va fonder Véracruz, se plaçant ainsi sous l’autorité directe de Charles Quint.
Rapidement, il bénéficie des informations de Jeronimo de Aguilar, un prêtre espagnol retrouvé sur la côte chez des Indiens auprès desquels il vivait depuis 7 ans, et surtout de celle qui va devenir sa maîtresse, Nahua [1], une esclave indienne belle comme une déesse, intelligente et rapidement promue interprète. Elle parle aussi bien le nahuatl que le maya ; Jeronimo parle le maya et traduit donc pour Cortés.
Le premier débarquement de Christophe Colomb sur Guanahani en 1492 n’avait peut-être pas été remarqué immédiatement par les autochtones, mais à force de caboter pendant plusieurs années dans des eaux pas si éloignées que cela des côtes mexicaines, la nouvelle avait gagné la côte, puis le territoire même de l’empire aztèque jusqu’à l’empereur Moctézuma que d’étranges événements se déroulaient dans les îles situées au loin dans la mer, du coté où le soleil se lève, où l’on voyait des maisons flottant sur l’eau et volant avec des ailes, montés par des hommes barbus aux costumes bizarres.
Nahua lui révèle encore un mythe aztèque selon lequel un homme-dieu a disparu 3 siècles plus tôt, promettant de revenir : Quetzalcóal : la magnificence des cadeaux offerts par les envoyés de l’empereur Moctézuma lui prouve qu’on le prend pour cet homme-dieu, même si, dans le même temps, on le prie de repartir d’où il vient. On y trouve soleil d’or, lune d’argent, qui seront vite chargés sur un navire pour prouver au roi l’importance des richesses que recèle le Mexique. Les Aztèques utilisaient bien de l’or pour leurs bijoux, mais cela ne faisait pas pour autant de ce métal l’objet d’une obsession comme chez les Espagnols : À la place du bitume, on utilisait pour le mortier de l’or fondu, dont les Espagnols se sont emparés avant que les Indiens ne le (le Temple de Mexico) détruisent.
Andrés de San Miguel, carme et architecte.
Et, pour qu’aucun de ses hommes ne succombe au mal du pays devant d’aussi mirifiques promesses de fortune, il fait brûler les autres navires [2].
Il marche sur Mexico, avec 400 hommes, 15 cavaliers, 15 canons et nombre d’indigènes Totonaques, passant – le col est aujourd’hui nommé Passage de Cortés – entre les deux volcans qui dominent la vallée de Mexico, à plus de 5 000 mètres : le Popocatepetl – la montagne qui fume – et sa conjointe enneigée, l’Iztaccihuatl – la femme blanche, plus connue sous le nom de femme endormie -. La légende la plus répandue voit dans les deux volcans des amants tragiques changés en montagne après leur mort et pour l’éternité, par des dieux. Il entre à Mexico le 8 novembre, accueilli en grande pompe par Moctezuma, l’empereur élu en 1502.
Quand Cortès et ses hommes débarquèrent sur les plages ensoleillées de Vera Cruz, c’était la première fois que les Aztèques rencontraient une population qui leur était entièrement inconnue. Les Aztèque ne surent comment réagir. Ils eurent du mal à comprendre qui étaient ces étrangers. À la différence de tous les humains connus, ils avaient la peau blanche. Ils avaient aussi une abondante pilosité sur le visage. La chevelure de certains avait la couleur du soleil. Ils puaient affreusement [3]. [Les indigènes avaient une bien meilleure hygiène que les Espagnols. La première fois qu’ils arrivèrent au Mexique, des indigènes porteurs d’encensoirs furent chargés de les accompagner dans tous leurs déplacements. Les Espagnols crurent à une marque d’honneur divin. Nous savons par des sources indigènes que les autochtones trouvaient insupportable l’odeur des nouveaux venus.]
Yuval Noah Harari. Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Albin Michel 2015
La chronique de Bernard Diaz del Castillo rend compte de l’immense stupéfaction de ces hommes d’armes ; il dit exactement qu’il croyait voir des choses inouïes, dont on n’aurait jamais pu rêver. Ils découvrent une ville immense construite sur des îlots, avec des rues d’eau, des tours, des palais et de grands temples de pierre aux formes inconnues, comme calquées sur celles des volcans, des chaussées droites et extraordinairement longues, à fleur d’eau, qui rattachent des îles entre elles et à la terre ferme, et une végétation exubérante mais disposée en lignes droites, des jardins flottants sur des îles artificielles, où les Aztèques cultivent fleurs et aliments. Et de hauts arbres de la famille des saules appelés ahuejotes qui servent à fixer le sol de ces îlots. Ce que nous voyons ici de nos yeux, dit Cortés, dépasse l’entendement.
Le Espagnols découvrent plus de 40 agglomérations reliées entre elles à la surface du lac et sur ses rives. Cortès lui-même dit que l’endroit est aussi beau que Grenade et aussi grand que Cordoue et Séville réunies. Mais on sait aujourd’hui qu’il a minimisé. Ce qu’il a vu était une dizaine de fois plus grand que les deux villes espagnoles. Cortès note que sur les immenses et nombreux marchés de la ville, la diversité des produits est supérieure à tout ce qu’offrent les marchés d’Europe. Il est tout aussi étonné par ce qu’il considère comme des mesures d’hygiène rigoureuse. L’omniprésence des plantes et des fleurs dans les maisons, les palais et les temples, et même sur les gens, partout, lors de toutes les cérémonies, l’étonne tout autant. Les fleurs sont d’évidence un élément substantiel de cette culture. Christian Duverger affirme que ce qui en impose le plus aux Espagnols, ce sont les dimensions de ce qui s’offre à leur vue : la table de l’empereur est servie chaque jour par 400 serviteurs ; il y a dans son harem 150 concubines et 3 000 servantes. Entre les îles, sur les canaux circulent au moins 50 000 canoës. Tout semble démesuré aux yeux des conquistadors.
Michel Ruiz Sanchez. Le Monde Magazine 6 août 2011.
Quand nous arrivâmes à la grand place qui s’appelle Tatelulco, nous demeurâmes stupéfaits de la multitude de gens et de marchandises qu’il y avait là et du bel ordre et discipline qui régnaient en toutes choses ; chaque sorte de marchandise était à part, et les places étaient fixées et marquées. Commençons par les marchands d’or et d’argent et de pierres précieuses, et de plumes et de manteaux et d’articles ouvragés, et autres marchandises, esclaves des deux sexes ; je dis qu’ils en amenaient autant à vendre sur cette grande place que les Portugais amènent de nègres de Guinée, et ils les amenaient attachés à de longues perches, avec des colliers au cou pour les empêcher de fuir, et d’autres ils les laissaient libres. Ensuite il y avait d’autres marchands qui vendaient des vêtements plus grossiers, des étoffes de coton et d’autres choses en fil tordu et des cacaguateros qui vendaient du cacao ; et de cette manière étaient présentées toutes les productions de Nouvelle Espagne […] et des peaux de tigres, de lions, et de castors et de coyotes et de chevreuils et d’autres petites bêtes, et des blaireaux et des chats sauvages, les unes apprêtées et les autres brutes. Ailleurs étaient d’autres sortes de choses et marchandises. Allons plus avant et parlons de ceux qui vendaient des faséols et de la chica, et d’autres légumes et herbes, d’un autre côté. Allons à ceux qui vendaient des poules, des coqs à fanon, des lapins, des lièvres, des chevreuils et des canetons, des petits chiens et autres choses semblables, de leur côté de la place. Parlons des fruitières, de celles qui vendaient des choses cuites, de la crème de maïs et du gras double, aussi de leur côté ; et puis toutes sortes de faïences faites de mille manières, depuis les grandes jarres jusqu’aux petits pots qui étaient chacun à part ; et aussi les vendeurs de miel et de pain d’épices et autres gourmandises qu’ils faisaient, pareilles à des nougats. Puis ceux qui vendaient du bois, des planches, des berceaux d’occasion et des billots et des bancs chacun de son côté. Allons à ceux qui vendaient du bois de chauffage et du bois résineux pour les flambeaux.[…]
Que dire encore ? Car, sauf votre respect, ils vendaient aussi des canoas pleins d’excréments humains qu’ils gardaient à l’écart de la place et c’était pour préparer et tanner les cuirs, car sans cela ils disaient qu’ils n’étaient pas bons. Bien entendu, certains vont rire, mais je dis que c’était ainsi ; et je dirai encore qu’ils avaient pour coutume d’établir le long de tous les chemins des réduits en roseaux, en paille ou en herbes pour qu’on ne vit pas ceux qui y entraient et c’est là qu’ils se mettaient pour soulager leurs ventres afin que cet excrément ne se perdît point.
[…] Et quand nous arrivâmes près du grand cu – nom d’un lieu consacré – avant que nous ayons monté seulement une marche, le grand Montezuma dépêcha d’en haut, où il était à faire des sacrifices, six prêtres et deux caciques pour accompagner notre capitaine Cortès, et pour monter les marches, qui étaient au nombre de cent quatorze, ils allaient le prendre dans leurs bras pour l’aider à monter de crainte qu’il ne se fatiguât, de même qu’ils aidaient à monter leur seigneur Montezuma ; mais Cortès ne voulut pas qu’ils vinssent à lui ; et comme nous montâmes en haut du grand temple, nous arrivâmes sur une plate-forme qui était au sommet, où existaient des espaces pareils à des estrades, et placées sur eux, de grandes pierres où ils mettaient les malheureux Indiens pour les sacrifier ; il y avait là une idole énorme en forme de dragon et d’autres statues maléfiques et beaucoup de sang répandu de ce jour-là. Et au moment où nous arrivâmes, le grand Montezuma sortit d’une chapelle où étaient ses maudites idoles qui était au sommet du grand temple ; et avec lui vinrent deux prêtres et avec tous les respects qu’ils firent à Cortès et à nous tous il lui dit : Vous devez être fatigué, seigneur Malinche, de monter à notre grand sanctuaire. Et Cortès répondit à l’aide de nos interprètes qui nous accompagnaient que ni lui ni nous autres ne nous fatiguions de faire aucune chose ; et ensuite [Montezuma] le prit par la main et lui dit de regarder la grande ville et toutes les autres villes qui étaient dans l’eau, et les nombreux villages situés dans le pays environnant la dite lagune ; et que s’il n’avait pas bien vu la grand’place, il la pourrait voir beaucoup mieux d’ici, et ainsi nous étions à regarder, attendu que le grand et maudit temple était si haut qu’il dominait tout !
Mais revenons à notre capitaine, qui dit au Père Bartolomé de Olmedo, déjà par moi souventes fois nommé, qui se trouvait là :
– Il me semble, Révérend Père, qu’il serait bon de tâter Montezuma sur le point qu’il nous laisse construire ici notre église.
Et le père répondit que ce serait bien si c’était profitable, mais qu’il lui semblait que ce n’était pas là chose opportune à délibérer en cet instant, car il ne voyait pas que Montezuma, fût homme à céder sur ce point ; et ensuite notre Cortès dit à Montezuma, avec Doña Marina comme interprète :
– Un très grand seigneur est Votre Majesté et mérite bien davantage ; nous avons suffisamment vu vos bonnes villes. Ce que nous vous demandons en grâce est qu’ensuite nous entrions dans votre temple que voici, que vous nous montriez vos dieux et téules.
Montezuma sut lever les objections des prêtres et tous entrèrent dans une sorte de tourelle ou d’appartement où étaient deux sortes d’autels. Sur chaque autel, deux idoles pareilles à des géants ; à droite Huitzilipochtli, la face fort large, les yeux épouvantables, ceinturé de serpents, constellé de pierreries collées avec de la gomme, ayant près de lui une idole plus petite ; à gauche Tezcatlipoca.
Le sol et les murs étaient recouverts d’une croûte de sang séché ; des cœurs d’Indiens sacrifiés achevaient de brûler dans une coupe de pierre avec du copal ; la puanteur était insoutenable.
On sortit ; en haut du sanctuaire, dans une niche, une statue, mi-homme et mi-lézard : Tzinteotl, déesse du maïs. Un grand tambour en peaux de serpents. Partout des buccins, des poignards sacrificiels, des cœurs d’Indiens.
Cortès s’étonna poliment : comment un prince aussi distingué n’avait-il pu reconnaître que ces dieux étaient des diables ? Il serait opportun d’élever là une statue de Notre-Dame. La réponse de Montezuma fut froide : jamais il n’eût amené Malinche en ce lieu s’il avait pressenti cet outrage fait aux dieux.
– Il est temps, dit Cortès d’un air joyeux, que Votre Majesté et nous-mêmes nous en allions.
Montezuma répondit qu’il était bien ainsi, parce qu’il devait prier et faire certains sacrifices pour effacer le Gratlatlacol, ce qui veut dire le péché qu’il avait commis en nous laissant voir ses dieux, il dit qu’avant de s’en aller il devait prier et adorer.
[…] J’ai déjà dit qu’il y avait deux clôtures de pierres et de chaux avant d’entrer à l’intérieur et que le sol était pavé de pierres blanches ou de pavés blanchis à la chaux et d’une propreté extrême, pareil en ses proportions et dimensions à la grande place de Salamanque ; et un peu à l’écart était une tourelle qui était aussi une maison d’idoles, ou l’enfer lui-même, car la porte était une épouvantable gueule comme en peinture, comme on dit qu’est celle des enfers, grande ouverte avec de grands crocs pour avaler les âmes. Et en ce lieu étaient des statues de diables et des corps de serpents contre la porte et un peu à l’écart un lieu de sacrifices, le tout ensanglanté et noirci de fumées et de sang caillé. Étaient là beaucoup de grandes marmites et brocs et jarres pleines d’eau dans la maison, car c’est là qu’ils faisaient cuire, la chair des malheureux Indiens qu’ils sacrifiaient, laquelle était la nourriture des prêtres ; à cet effet le sacrificateur tenait en réserve un tas de gros couteaux et des billots de bois comme ceux où l’on coupe la viande dans les boucheries. Derrière cette maudite maison assez loin d’elle, étaient de grandes piles de bois et non loin de là un grand bassin qui se remplissait et se vidait d’eau, qui lui venait par la conduite couverte qui pénètre dans la ville du côté de Chapultepec.
Charles 1° a 19 ans : né à Gand, il est déjà ou va devenir Roi des Romains, Roi d’Espagne (ou des Espagnes, terme qui inclue les colonies d’Amérique), de Sicile, de Jérusalem, des îles Baléares, de Hongrie, de Dalmatie, de Croatie et des Indes, archiduc d’Autriche, duc de Bourgogne, de Brabant, de Styrie, de Corinthe, de Carniole, de Luxembourg, de Limbourg, d’Athènes et de Patras.
François I° a 25 ans : il est roi de France.
Tous deux sont candidats pour devenir Empereur du Saint Empire romain germanique.
Le cardinal Duprat argumente pour François I° : Le Roi est largement comblé des biens de l’esprit, du corps et de la fortune, en pleine jeunesse, en pleine vigueur, généreux et par suite cher aux soldats, capable de supporter les veilles, le froid, la faim… Quant au roi catholique, faut considérer son jeune âge et que ses royaumes sont lointains de l’Empire, en sorte que ne lui viendrait à main d’avoir le soing et cure de l’un et des autres… Et avec ce, les mœurs et façons de vivre d’Espaignols ne sont conformes, ains totalement contraires à celles d’Allemands. Au contraire la nation française, quasi en tout, se conforme en celle d’Allemagne, aussi en est-elle issue et venue, c’est assavoir de Sicambres, comme les historiographes anciens récitent.
Charles I° quant à lui, soutient que : Si je n’étais de la vraie race et origine de la nation germanique, je n’aspirerais pas à l’Empire… Si je suis élu, la liberté germanique, tant en spirituel que temporel ne sera pas seulement conservée mais augmentée. Mai si le Roi de France était empereur, il voudrait tenir les Allemands et telle subjection comme il faisait des Français et les tailler à son plaisir.
Frédéric de Saxe, un troisième candidat, se désista, ses voix passèrent à Charles I°, lequel disposait en plus du nerf de la guerre : l’argent, prêté par les banquiers du Saint Empire : Jacob Fugger à raison de 500 000 florins, Welser, et les Italiens à raison de 150 000 florins chacun, soit 851 000 florins au total, équivalent à 2 tonnes d’or. L’or des colonies espagnoles d’Amérique servira à rembourser tout ça. François I° en avait mis les trois-quart dans la balance : 400 000 écus d’or, environ une tonne et demi d’or.
Charles I° fût élu, devint Charles Quint, maître d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais.
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Sire, maintenant que Dieu vous a fait la prodigieuse grâce de vous élever au-dessus de tous les Rois et de tous les Princes de la Chrétienté, à un tel degré de puissance que, seul jusqu’ici, avait connu votre prédécesseur Charlemagne, vous êtes sur le chemin de la Monarchie Universelle, sur le point d’assembler la Chrétienté sous un seul berger.
Gattinara, adresse à Charles Quint au lendemain de son élection
Il faudra attendre plus d’un an pour qu’il soit sacré empereur, le 23 octobre 1520, à Aix la Chapelle : c’était le temps nécessaire pour emprunter auprès des banquiers allemands les fonds nécessaires à honorer les promesses faites aux grand électeurs qui avaient voté pour lui et qui préféraient aux promesses les espèces sonnantes et trébuchantes.
20 09 1519
Fernão de Magalhães, alias Hernando de Magallanes, [quand il sera passé au service du roi d’Espagne], Magellan pour les Français, commandant une flotte de 5 navires, l’Armada de Molucca, appareille de Sanlúcar de Barrameda pour les Moluques, fief des épices. Ayant descendu le Guadalquivir à partir de Séville le 10 août, il était donc resté quarante jours à Sanlucar.
Au commencement étaient les épices. Du jour où les Romains, au cours de leurs expéditions et de leurs guerres, ont goûté aux ingrédients brûlants ou stupéfiants, piquants ou enivrants de l’Orient, l’Occident ne veut plus, ne peut plus se passer d’espiceries, de condiments indiens dans sa cuisine ou dans ses offices. La nourriture nordique, en effet, restera fort avant dans le Moyen Age d’une fadeur, d’une insipidité inimaginables. Il faudra du temps encore avant que des fruits du sol, aujourd’hui de consommation générale, tels que la pomme de terre, le maïs et la tomate trouvent droit de cité en Europe ; le citron manque pour assaisonner les aliments, le sucre pour les adoucir ; on ignore le thé et le café, ces délicieux toniques. Les princes et les grands eux-mêmes s’abandonnent à leur bestiale gloutonnerie pour tromper la fastidieuse monotonie des plats. Mais, ô surprise : un grain d’épice, une ou deux pincées de poivre, un macis séché, un soupçon de gingembre ou de cannelle ajoutés au mets le plus grossier suffisent à flatter le palais d’une saveur excitante et imprévue. Toute une gamme délicieuse de tons et de demi-tons culinaires vient subitement s’intercaler entre les tonalités rudimentaires de l’acide et du doux, du relevé et du fade, et bientôt les papilles barbares de l’homme du Moyen Age n’arrivent plus à se rassasier de ces stimulants nouveaux. On n’apprécie vraiment un plat que s’il est poivré à l’excès et s’il vous emporte la bouche ; on met du gingembre même dans la bière et on aromatise si généreusement le vin avec des épices en poudre que la moindre gorgée vous brûle le gosier comme du feu liquide. Mais ce n’est pas seulement de la multitude des épices pour sa cuisine dont a besoin l’Occident ; les femmes réclament en quantités toujours plus grandes de nouveaux parfums à l’Arabie : le musc lascif, l’ambre entêtant, la suave essence de rose ; l’église catholique elle aussi a besoin de ces produits orientaux et en consomme une quantité de plus en plus grande ; en effet, pas un des milliards de grains d’encens qui brûlent dans le balancement des encensoirs des églises sans nombre d’Occident n’a poussé sur le sol européen ; il a fallu les importer tous d’Arabie par des voies maritimes et terrestres interminables. Non moins nécessaires sont aux apothicaires leurs fameux spécifiques indiens : l’opium, le camphre, la précieuse gomme ; ils savent depuis longtemps par expérience que la clientèle douterait de l’efficacité d’un baume ou d’une drogue si ces mots magiques : arabicum ou indicum ne figuraient pas en lettres bleues sur leurs flacons de porcelaine. Tout ce qui est oriental a sans cesse exercé sur l’Europe, à cause de son éloignement, de sa rareté, de son exotisme, et peut-être aussi en raison de sa cherté, une sorte de suggestion, de fascination. Arabe, persan, hindou, ces attributs sont au Moyen Age (comme au XVIII°siècle l’étiquette origine française) synonymes d’exquis, excellent, raffiné, délicieux et précieux. Aucun article n’est aussi demandé que l’espicerie et l’on dirait que l’étrange et mystérieux parfum de ces fleurs orientales a grisé de sa magie l’âme de l’Europe.
Mais précisément parce qu’elles jouissent d’une pareille faveur, les denrées indiennes restent coûteuses et ne cessent d’augmenter de prix. Aujourd’hui que les tableaux monétaires sont pratiquement inutilisables, il est à peu près impossible d’en retracer exactement la courbe toujours ascendante. Cependant, pour se faire une idée approximative de la valeur insensée qu’atteignent les épices, qu’on veuille bien se rappeler qu’au début du XI°siècle ce même poivre que l’on trouve aujourd’hui à profusion sur toutes les tables et qu’on gaspille ni plus ni moins que si c’était du sable se vendait au grain et valait son pesant d’argent. Il présentait une telle stabilité monétaire que beaucoup d’États et de villes comptaient avec lui comme avec un métal précieux ; il permettait d’acquérir des terres, de payer une dot, d’acheter un droit de bourgeoisie ; beaucoup de princes et de cités établissaient leurs tarifs douaniers par quantités de poivre, et lorsqu’au Moyen Age on voulait dire d’un homme qu’il était immensément riche on le traitait de sac à poivre. Par ailleurs, le gingembre, l’écorce d’orange et le camphre se pesaient sur des balances d’apothicaire et de joaillier, opération qui se pratiquait portes et fenêtres soigneusement closes, de crainte qu’un courant d’air n’emportât une parcelle de la précieuse poudre. Si absurde que nous paraisse aujourd’hui cette surévaluation, elle s’explique d’elle-même dès qu’on examine les difficultés et les risques du transport. L’Orient se trouve alors à une distance incommensurable de l’Occident : Quels obstacles, quels dangers, les vaisseaux, les caravanes et les convois ne doivent-ils pas surmonter en chemin en ces temps de guerres et de pirateries ! Quelle n’est pas l’odyssée du plus infime grain, de la moindre fleur, entre le vert arbuste de l’archipel malais et le port final, le comptoir de l’épicier européen ! Aucune de ces épices n’a en soi rien de bien rare. Aux antipodes, à Tidore, à Amboina, à Banda, à Malabar, le cannelier, le giroflier, le muscadier et le poivrier croissent et prospèrent comme chez nous les chardons. Dans l’archipel malais, un quintal d’aromates ne coûte pas plus cher qu’une pincée en Occident. Mais la marchandise doit passer par une infinité de mains avant d’atteindre par-delà les mers et les déserts le dernier acheteur, le consommateur. La première manipulation, comme toujours, est la plus mal payée ; l’esclave malais qui cueille les fleurs fraîches et sur son dos bronzé les porte au marché dans un faisceau d’écorce n’a pour tout salaire que sa peine. Son maître, lui, en tire déjà un profit ; un marchand musulman lui achète sa charge et la transporte sur un frêle prao en huit et dix jours, voire plus, sous un soleil de plomb, des Moluques à Malacca (non loin de l’actuel Singapour). C’est ici qu’une première araignée a tendu sa toile. Le maître du port, le sultan de Malabar, exige un tribut du trafiquant pour le transbordement des marchandises. Ce n’est qu’une fois la taxe acquittée que l’odorante récolte pourra être chargée sur une nouvelle jonque, plus grande cette fois ; puis, déployant ses rames ou sa voile carrée, le petit bâtiment glisse lentement d’un port à l’autre de l’Inde : ce sont alors desmois de navigation monotone et d’interminables stationnements par calme plat, sous un soleil de feu et un ciel sans nuages ; c’est parfois aussi la fuite soudaine devant les typhons ou les corsaires. Cette traversée de deux ou trois mers tropicales n’est pas seulement exténuante, elle est aussi infiniment dangereuse ; un navire sur cinq devient presque infailliblement la proie des tempêtes ou des pirates. Mais Cambagda est enfin dépassée, Ormuz, le port du golfe Persique, ou Aden, celui de la mer Rouge, sont atteints, et avec eux les portes de l’Arabie heureuse ou de la Perse. Le nouveau mode de transport qui s’offre à présent n’est pas moins épuisant ni moins périlleux. Les chameaux en longues files patientes attendent par milliers dans ces ports de transit ; sur un signe de leur maître, ils plient docilement le genou et on hisse sur leur dos les ballots de poivre et de muscade. D’un pas lent et balancé, les vaisseaux du désert emportent leur fardeau à travers l’océan de sable. Après un voyage de plusieurs mois, les caravanes arabes amènent la marchandise soit à Beyrouth ou à Trébizonde, en passant par Bassora, Bagdad et Damas – noms évocateurs des Mille et une Nuits ! – soit au Caire, par la route de Djedda. Ces pistes interminables sont fort anciennes et étaient déjà familières aux marchands au temps des Pharaons et des Bactriens. Malheureusement, les pirates bédouins les connaissent fort bien aussi ; une agression audacieuse anéantit souvent d’un seul coup le fruit de plusieurs mois d’efforts. Ce qui a échappé aux Bédouins et aux tempêtes de sable passe par les mains de brigands officiels, les émirs du Hedjaz, les sultans d’Égypte et de Syrie qui prélèvent un tribut considérable sur chaque chamelée, sur chaque sac. On évalue à cent mille ducats les droits de transit annuellement perçus sur le trafic des épices par un seul de ces forbans : le sultan d’Égypte. Maintenant, supposons Alexandrie et les bouches du Nil atteintes sans encombre ; là encore, un ultime profiteur, et non des moindres, guette sa proie : la flotte vénitienne. Depuis le perfide anéantissement de sa rivale Byzance, la petite république a le monopole du commerce des épices orientales. Au lieu de transporter la denrée plus loin, on l’amène directement au Rialto, où les facteurs allemands, flamands et anglais l’achètent aux enchères. Puis des chariots aux roues robustes emportent à travers les neiges et les glaces des cols alpins ces mêmes fleurs qui deux ans plus tôt s’épanouissaient au soleil des tropiques. Finalement, la marchandise parvient au détaillant et à la clientèle.
Les aromates, comme le dit mélancoliquement Martin Behaim dans sa fameuse Pomme de terrede 1492, passent par une douzaine de mains avant de toucher le consommateur. Cependant s’ils sont douze à se partager les profits de ce commerce l’affaire n’en reste pas moins extrêmement intéressante pour chacun d’eux. Malgré tous ses risques et ses dangers, le trafic des épices au Moyen Age reste de beaucoup le plus fructueux de tous les trafics, vu le faible volume de la marchandise. Qu’importe si sur cinq navires quatre coulent avec leur cargaison – l’expédition de Magellan nous fournit un exemple de ce genre -, si sur deux cent soixante-cinq hommes deux cents ne reviennent pas : le marchand, lui, y trouve son compte ! Qu’un seul de ces vaisseaux, le plus petit des cinq, revienne au bout de trois ans chargé d’épices, les gains compenseront largement les pertes, car, au XV°siècle, le moindre sac de poivre vaut infiniment plus qu’une vie humaine. Et comme alors – comme de tout temps, du reste – l’homme n’était pas avare de son existence et qu’un furieux besoin d’aromates se faisait sentir, rien d’étonnant que ce calcul s’avérât toujours juste ; les palais de Venise, ceux des Fugger et des Welser ont été presque uniquement édifiés avec les bénéfices du commerce des aromates.
Mais les gros profits suscitent inévitablement l’envie. Toute prérogative est considérée par le voisin comme une injustice. Depuis longtemps les Génois, les Français, les Espagnols voient d’un œil jaloux l’habile Venise drainer cette marée d’or dans le Canale Grande et regardent avec plus de colère encore du côté de l’Égypte et de la Syrie, où l’Islam dresse une barrière infranchissable entre les Indes et l’Europe. Aucun navire chrétien n’a le droit de croiser dans la mer Rouge, aucun marchand chrétien ne peut même la traverser ; tout le négoce entre les Indes et les roumis passe nécessairement par les mains des mouros, des commerçants turcs et arabes. Ce qui a non seulement pour effet de renchérir inutilement la marchandise vis-à-vis de l’acheteur européen, de sevrer le commerce occidental d’une partie de ses bénéfices, mais encore de faire émigrer vers l’Orient tout le stock de métal précieux, puisque les produits européens n’atteignent pas, à beaucoup près, la valeur d’échange des coûteuses denrées indiennes. Cette situation incite de plus en plus vivement l’Occident à se soustraire à l’onéreux et humiliant contrôle, et un beau jour les énergies se groupent. Une croisade est décidée. Les croisades ne sont pas simplement (comme des esprits romantiques les ont souvent dépeintes) une tentative mystico-religieuse en vue d’arracher les lieux saints aux infidèles ; cette première coalition européo-chrétienne représente aussi le premier effort logique et conscient ayant pour but de briser la barrière qui ferme l’accès de la mer Rouge et d’ouvrir les marchés orientaux à l’Europe, à la chrétienté. L’entreprise ayant échoué, l’Égypte n’ayant pu être enlevée aux musulmans et l’Islam continuant d’occuper la route des Indes, il fallait nécessairement que s’éveillât le désir de trouver un nouveau chemin, libre, indépendant. L’intrépidité qui poussa Colomb vers l’ouest, Bartholomeu Diaz et Vasco de Gama vers le sud, Cabot vers le nord, vers le Labrador, est née avant tout de l’ardente volonté de découvrir des voies maritimes franches de toute servitude et d’abattre en même temps l’insolente hégémonie de l’Islam Dans les grandes inventions et découvertes l’élan spirituel, moral fait toujours fonction de force accélératrice ; mais, la plupart du temps, l’impulsion réalisatrice décisive n’est due qu’à des facteur, matériels. Sans doute la hardiesse des idées de Colomb et de Magellan aurait suffi à enthousiasmer les rois et leurs conseillers, mais jamais personne n’eût financé leurs projets, jamais les princes ni les spéculateurs ne leur eussent équipé une flotte si on n’avait eu en même temps la perspective de récupérer au centuple les dépenses. Derrière les héros de cette époque se cachent les forces agissantes, les commerçants, l’impulsion première elle même a eu des causes essentiellement pratiques. Au commencement étaient les épices.
Stefan Zweig. Magellan. Herbert Reichner Verlag Vienne 1938
Depuis l’Antiquité, les épices ont joué un rôle économique essentiel dans toutes les civilisations. Comme le pétrole aujourd’hui, les épices recherchées par les Européens furent le moteur de l’économie mondiale et ce sont elles qui influencèrent la politique mondiale de l’époque. Comme le pétrole aujourd’hui, les épices furent inextricablement liées aux explorations, aux conquêtes et à l’impérialisme. Mais les épices étaient de surcroît porteuses des rêves de luxe, elles avaient une aura qui leur était propre. Il suffisait de prononcer leur nom – poivre blanc et noir, myrrhe, encens, muscade, gingembre, cannelle, macis, girofle, pour n’en citer que quelques-unes – pour que naissent dans l’imaginaire les merveilles de l’Orient, l’Est mystérieux. Les commerçants arabes, qui transportaient les épices par un réseau de routes terrestres couvrant toute l’Asie, avaient vite compris comment faire monter les prix en tenant secrets les lieux d’origine de la cannelle, du poivre, des clous de girofle et des noix de muscade grâce auxquels ils s’enrichissaient. Ils conservaient un quasi-monopole en prétendant que ces denrées précieuses venaient d’Afrique, alors qu’elles poussaient en divers lieux d’Inde et de Chine et dans tout le Sud-est asiatique.
L’Afrique n’était en fait que le lieu où elles changeaient de main. Les Européens avaient fini par les croire. Afin de protéger leur monopole, les marchands d’épices arabes inventaient toutes sortes de monstres et de mythes, dissimulant par là le processus très ordinaire de la culture et de la récolte des épices et laissant croire qu’il était incroyablement dangereux de se les procurer.
Le commerce des épices était au centre de la vie des Arabes. Mahomet, prophète de l’islam, venait d’une grande famille de marchands d’épices, et pendant des années il avait fait à La Mecque le commerce de la myrrhe et de l’encens, entre autres. Les Arabes élaborèrent les méthodes très sophistiquées pour extraire les huiles essentielles des épices aromatiques utilisées en médecine à des fins thérapeutiques. Ils définirent la formule d’élixirs et de sirops dérivés d’épices, dont le djulab, par exemple, dont vient le mot julep. Au Moyen Âge les connaissances des Arabes en matière d’épices gagnèrent toute l’Europe occidentale, où les apothicaires développèrent un commerce florissant de concoctions et autres décoctions à partir de clous de girofle, de grains de poivre, de noix de muscade et de macis. Dans une Europe avide d’or (les Arabes en contrôlaient presque tous les gisements), les épices devinrent plus précieuses que jamais, une composante essentielle des économies européennes.
En dépit de l’importance écrasante des épices dans leur économie, les Européens restaient dépendants des commerçants arabes pour s’en procurer. Ils savaient que le climat européen ne pouvait permettre la production des épices exotiques. Au XVI° siècle, la péninsule ibérique était bien trop froide – beaucoup plus que maintenant, car son climat était sous l’influence du Petit Age glaciaire – et trop sèche pour cultiver muscade, girofle ou poivre. On disait qu’un souverain indonésien avait répondu à un commerçant qui voulait cultiver des épices en Europe : Vous pourrez peut-être prendre nos plantes, mais jamais vous ne nous prendrez nos pluies.
Dans le système traditionnel, les épices, comme les soies damassées, les diamants, les opiacés, les perles et d’autres biens en provenance d’Asie, arrivaient en Europe par des routes lentes, coûteuses et indirectes, par la terre et la mer, à travers la Chine et l’océan Indien, le Proche-Orient et le golfe Persique. Les marchands les réceptionnaient en Europe, en Italie le plus souvent, ou dans le sud de la France, et les envoyaient par la route jusqu’à leur destination finale. En chemin, les épices passaient entre les mains d’une douzaine d’intermédiaires, et à chaque fois, les prix montaient. Les épices, c’était la denrée marchande par excellence.
Le commerce mondial des épices subit un grand bouleversement en 1453, quand Constantinople tomba aux mains des Turcs et que les routes ancestrales reliant l’Asie à l’Europe furent coupées. La perspective de devoir faire voyager les épices par mer au lieu de leur faire traverser les terres ouvrit de nouvelles possibilités économiques pour toute nation européenne capable de dominer les mers. À ceux qui étaient prêts à assumer les risques encourus pour la tracer, établir une route maritime pour les épices apporterait en récompense le contrôle de l’économie mondiale. C’était irrésistible.
L’attrait des épices imposait à des financiers rigoureux et prudents de soutenir des expéditions à haut risque vers des parties inconnues du globe, et poussait des jeunes gens à exposer leur vie. En Espagne, la meilleure raison, voire la seule, de prendre le risque de partir en mer était la perspective de devenir riche dans les îles aux Épices – où qu’elles soient. Si un marin consacrait des années de sa vie à y aller puis en revenir, et s’il réussissait à rapporter chez lui un petit sac plein d’épices comme les clous de girofle ou les noix de muscade – légalement ou non -, il pouvait en tirer assez de bénéfices pour s’acheter une petite maison et en vivre le restant de ses jours. Si un marin nourrissait l’espoir d’accéder à un certain bien-être, un capitaine était en droit d’attendre beaucoup plus, à l’époque des Grandes Découvertes : non seulement des richesses et la gloire, mais un titre à transmettre à ses héritiers et des terres lointaines à gouverner.
Laurence Bergreen. Par delà le bord du monde. L’extraordinaire et terrifiant périple de Magellan. Grasset 2003
Portugais déçu par l’ingratitude et la pingrerie du Roi Manuel, – d’abord surnommé le Fortuné, puis l’Épicier -, bien qu’il ne lui ait jamais soumis son projet, il a mis ses talents au service du roi Carlos, futur Charles Quint, petit fils d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon : les Capitulations de Tordesillas ayant attribué l’est au Portugal et l’ouest à l’Espagne, – le méridien était à 370 lieues à l’ouest des îles du Cap Vert- ce voyage de Magellan représentait une tentative des Espagnols pour voir si, par l’ouest, on pouvait trouver une route plus rapide pour les îles des épices en Mélanésie, auxquelles les Portugais avaient déjà accès par l’est : cap de Bonne Espérance et océan Indien. À tort, au Portugal, on croit que le traité de Tordesillas attribue les Moluques aux Espagnols.
Au nom de sa mère Jeanne la Folle, le roi Carlos avait signé la capitulation le 22 mars 1518, engageant 9 millions de maravedis : en fait cet argent avait été pour le principal emprunté aux Fugger, des banquiers d’Augsbourg. Les caisses de la couronne espagnole n’étaient pas suffisamment remplies pour financer une telle expédition : ce n’est que plus tard qu’arrivèrent chargés d’or, d’argent et de bijoux les galions espagnols en provenance des Amériques. 18 mois durant, Magellan lutta contre l’inertie bureaucratique, le préjugé anti-portugais, l’incurie espagnole, les intrigues et même une émeute survenue à Séville le 23 octobre 1518, quand les Espagnols confondirent ses oriflammes avec les couleurs du Portugal ! Mais sans le soutien indéfectible du roi, auquel et il eut recours à plusieurs reprises, il ne serait probablement pas parvenu à ses fins. Il obtient tout de même quelques privilèges commerciaux, tels la possession de deux îles s’il en trouve plus de six au cours de la traversée.
Dans un monde où l’on passait facilement d’un pays à l’autre, la bonne chaleur du clan familial, ou à défaut, celle de la ville d’origine, était gage de sécurité et chacun cherchait à s’entourer de personnes de confiance, et le plus souvent il est vrai que l’un entraînait l’autre. Magellan ne se priva pas de ce genre d’attitude ; coté espagnol, un fonds de méfiance persistait vis-à-vis de ce sujet du roi Manuel, que l’on pouvait toujours soupçonner d’agir en sous- main dans l’intérêt du Portugal ; si l’on ne peut attribuer au roi Charles les nominations des principaux responsables, c’est bien de la tête de la casa de Contratación que vinrent nombre de nominations. Les indiscutables qualités de marin de Magellan furent plus fortes que le péril qu’il y avait à donner le commandement général à un Portugais donnant ses ordres à des Espagnols : tout le monde savait bien que c’était là source de très grandes difficultés !
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Présentation des principaux acteurs – hommes et navires – de cette extraordinaire odyssée, focale de toutes les passions, ambitions, trahisons et fureurs répressives, prosélytisme insensé et mortifère, rivalités nationales ; rebondissements incessants seulement interrompus par le grand entracte du Pacifique où seuls la faim et la soif seront à l’œuvre. Stupéfiante aventure de trois ans que seuls 18 hommes boucleront en regagnant le point de départ sur un navire de l’expédition !
Juan Rodriguez de Fonseca, archevêque de Burgos, était à la tête de la casa de Contratación, – chambre de commerce fondée en 1503 – qui gère pour la couronne l’ensemble des expéditions vers le Nouveau Monde ; son rôle se limitait au départ à la simple collecte de taxes, puis elle prit rapidement en charge tous les aspects administratifs des explorations : enregistrement des marchandises, règles d’accastillage, de gréement, d’armement des navires, etc … Il est le seul soutien de Magellan au sein de la Casa de contratación… peut-être veut-il faire oublier ses réticences pour l’expédition de Christophe Colomb ?
Ruys Faleiro : camarade de Magellan, astronome-astrologue, nommé commandant de la flotte, à l’égal de Magellan. La dégradation de son état mental fût tel qu’il fût démissionné avant même que d’appareiller.
Les 5 navires, tous passés en grand carénage, et leurs principaux personnages :
Le Trinidad, 150 tonnes, vaisseau amiral de Magellan. C’est Gonzalo Gómez de Espinosa l’alguazil [le maître d’armes] qui en prendra le commandement après la mort de Magellan. Francisco Albo, qui a les fonctions de pilote et de premier maître, rédigera lui aussi un journal de bord. Espinosa céda le commandement à Juan Carvalho, après le traquenard de Cebu, mais Carvalho mourut le 14 février 1522 et Espinosa reprit le commandement avec pour pilote Jaun Bautista Punzorol, dit le pilote génois. Finalement le Trinidad sera détruit par une tempête en rade de Ternate, aux Moluques après sa tentative manquée de regagner l’isthme de Panama.
Le San Antonio, 120 tonnes, qui emportait les provisions. Juan de Cartagena, officier, nommé inspecteur de la navigation, veedor – représentant du Trésor Royal, avec un salaire nettement supérieur à celui de Magellan. Officiellement neveu de Fonseca, en fait son fils illégitime : à cette époque, ces enfants étaient ainsi nommés, et cela ne trompait personne. Capitaine du San Antonio jusqu’à sa mutinerie après les Canaries. Antonio de Coca, comptable de la flotte, neveu du frère de Fonseca, prit alors le commandement qu’il va céder ensuite à Alvaro de Mesquita, cousin de Magellan, lequel dirigera le tribunal chargé de juger les mutins de Port Saint Julien. Estêvão Gomes, dont la grande compétence était reconnue de tous devint le pilote du San Antonio au départ de Port Saint Julien. Quand l’équipage, au milieu du détroit de Magellan, décidera de fausser compagnie à tout le monde pour rentrer au pays, c’est lui qui prendra le commandement, mettant aux fers Mesquita. Juste avant le départ, Estêvão Gomes avait été en compétition ouverte avec Magellan : tous deux Portugais, ils avaient tous deux quitté leur pays pour se retrouver à Séville, où il avait cherché lui aussi à obtenir le commandement d’une expédition pour les Moluques, et c’est au final Magellan qui avait su convaincre. Dès lors, il ne lui restait plus qu’à se faire engager par Magellan.
Le Concepción, 90 tonnes, Capitaine : Gaspar de Quesada, ami de Fonseca, puis Mesquita, cousin de Magellan, après la mutinerie de Port Saint Julien. Après la mise à mort de Quesada à Port Saint Julien, ce sera Juan Serrano, dont le Santiago fit naufrage le 22 mai 1520. João Lopes Carvalho, pilote du Concepción, passa sur le Trinidad quand Magellan apprit qu’il était déjà allé à Rio, et c’est Ginès de Mafra qui prit son poste sur le Concepción. Juan Sebastián Elcano, vieux marin basque sorti de prison [5] en est le maître d’équipage. Le navire, trop endommagé pour être réparé, sera sacrifié et brûlé aux Moluques après la mort de Magellan.
Le Victoria, 85 tonnes. Capitaine : Luis de Mendoza, ami de Fonseca, puis, après sa mise à mort à Port Saint Julien, ce sera Duarte Barbosa, beau-frère de Magellan, puis Luis Alfonso de Gois. Après leur mort à Cebu, c’est Juan Sebastián Elcano qui ramènera le seul navire ayant fait le tour du monde à son point de départ : Séville. Après son retour à Séville, le brave navire fût vendu, reprit du service pour finalement disparaître en mer en revenant des Antilles en 1570.
Le Santiago, caravelle de 75 tonnes, utilisé pour les missions de reconnaissance. Capitaine : Juan Rodríguez Serrano, castillan, sans attache particulière à l’un ou l’autre clan. Il fera naufrage au sud de l’estuaire de la Santa Cruz le 22 mai 1520.
Cinq navires, avec de très rares cabines, pas de couchettes – les hamacs n’existent pas encore – ni chaises, ni tables, ni toilettes bien sûr, c’est à dire avec une absence totale de confort, le tout dans la plus grande exiguïté, conséquence de la place prise par le frêt : vivres, vin, [soit près de 178 000 litres à raison d’un litre/jour/personne !] – la durée prévue du voyage était de deux ans -, instruments divers, pièces de rechange, cadeaux et verroterie pour les populations autochtones que l’on rencontrera. Les mauvaises langues nommeront le tout les cochons volants.
Cristóvão Rebêlo, fils naturel de Magellan, embauché comme page. L’ensemble de l’équipage était très éclectique : c’est l’Europe qui, à la sortie du Moyen Âge, était sur le pont : 242 hommes au total (dont 5 montés à Tenériffe, Juanillo et au Brésil), dont 31 Portugais au moins, en incluant ceux qui se sont fait passer pour espagnols, 26 Italiens dont 18 Gênois, 19 Français dont 5 Bretons, 9 Grecs, dont 6 de Rhodes et 2 de Nauplie, 5 Flamands, 2 Allemands, 2 Noirs, 2 Irlandais, 2 métis luso-brésilien et hispano-indien, 1 Anglais, un Goanais et un Malais ; cependant la majorité – 139 – était bien espagnole : 64 Andalous, 29 Basques, 15 Castillans, 7 Galiciens, 5 Asturiens, 3 Navarrais, 2 Aragonais, 2 Estremaduriens, 1 Murcien et 11 d’origine indéterminée !
Antonio Pigafetta, la trentaine, avant d’entendre parler des préparatifs de l’expédition, était secrétaire de Chiericati, ambassadeur du Saint Siège auprès de Charles I°. Avec une recommandation du roi, il avait quitté ses fonctions pour tenter sa chance auprès de Magellan dès mai 1519, qui se dit qu’un lettré ne pourrait pas faire de mal dans l’affaire : il l’embaucha comme sobrasaliente, c’est-à-dire surnuméraire, simple passager. Mais, évidemment, Pigafetta n’était pas marin, et cela l’amènera à commettre quelques erreurs dans sa relation de l’expédition.
C’est précisément cet homme qui deviendra pour Magellan le membre le plus important de son expédition. Car qu’est-ce qu’une action qui n’est pas racontée. Un exploit n’entre pas dans l’histoire du seul fait qu’il a été accompli, mais seulement parce qu’il a été transmis à la postérité. Ce que nous appelons l’histoire n’est nullement la somme des événements qui se sont déroulés dans le temps et l’espace, mais seulement la petite partie d’entre eux qui est passée dans l’œuvre des poètes ou des savants. Que serait Achille sans Homère ? Sans l’historien qui les raconte ou l’artiste qui les recrée sur le plan de l’art, les plus grandes figures resteraient à tout jamais ensevelies dans l’ombre et les prouesses les plus héroïques tomberaient irrévocablement dans la mer insondable de l’oubli. Nous ne saurions que très peu de choses sur Magellan et son expédition si nous n’avions que la Décade de Pierre Martyr, la courte lettre de Maximilien Transilvanius et les quelques sèches indications et livres de loch des différents pilotes. Seul le petit chevalier de Rhodes, cet inutile en apparence, a fait connaître à la postérité l’exploit de Magellan.
Stefan Zweig. Magellan. Herbert Reichner Verlag. 1938
Magellan est prudent : il rédige un testament dans lequel les dispositions qu’il prend à l’égard de son esclave Enrique révèlent une conscience qui était loin d’être unanimement partagée, moins de trente ans après la découverte de l’Amérique par Colomb, quand les Indiens étaient encore tenus par l’asiento, que Las Cases n’avait pas encore gagné Charles Quint à ses vues, et que même les décisions de l’empereur resteront le plus souvent des vœux pieux.
Je veux qu’à partir du jour de ma mort, mon prisonnier et esclave Enrique, né dans la ville de Malacca, et âgé d’environ 26 ans, soit libre de toute obligation d’esclavage ou de subordination, et qu’il puisse dès lors faire ce que bon lui semblera et agir comme il l’entendra.
De là à se soucier du sort de la femme qu’il avait ramenée de Malacca en même temps qu’Enrique, il y a un grand pas qu’on ne pourrait tout de même pas reprocher à Magellan de ne pas avoir franchi : il était tout de même de son époque, et en terre hispanique qui plus est ….
Comment naviguait-on à cette époque, c’est-à-dire quels procédés utilisait-on pour remplacer ce qui n’était pas encore né : la radio pour communiquer, les chronomètres pour déterminer la longitude, par exemple ? [On n’a pas à parler de la latitude, que l’on savait déjà déterminer avec précision].
Il était impératif que les navires naviguent à vue les uns des autres, ce qui n’était pas évident à mettre en œuvre pour des navires aux tonnages tous différents. De jour, seuls les réglages de voilure étaient à faire, mais la nuit, il fallait mettre en œuvre des signaux lumineux codés pour rester ensemble : ainsi le navire amiral, le Trinidad, mettait-il à sa poupe une lanterne pour être vu, deux pour que les autres ralentissent l’allure, ou louvoient, trois pour annoncer que le vent forcissait, et qu’il fallait amener les voiles basses, quatre pour amener toute la toile, sauf les focs, un coup de canon pour signaler la présence de hauts fonds.
Quid de la longitude ? Son calcul nécessite de connaître l’heure exacte, et ce n’est que beaucoup plus tard que l’on pourra disposer de chronomètres fiables. On avait alors bien conscience du problème, mais il n’y avait guère que quarante ans qu’étaient apparues les premières montres et leur fiabilité ne devait pas être leur qualité majeure. Ayant constaté cela, on faisait tout ce qui était alors possible : mesurer le temps en parallèle aux montres pour ainsi remettre les pendules à l’heure : les navires emportaient des sabliers dont le retournement régulier était la charge exclusive des pages, les jeunes gens de bonne famille enrôlés à cet effet. Magellan avait embarqué seize sabliers – les ampollétas – dont le sable mettait soit une demi-heure, soit une heure pour passer. Cette opération revêtait un caractère religieux, avec récitation de psaumes et de prières à chaque retournement, à voix suffisamment forte pour que le reste de l’équipage soit assuré que le travail était bien fait. Mais l’addition de toutes les possibilités d’erreur rendait celle-ci inévitable, et devait rendre prudent les responsables de la navigation dans la divulgation de la situation des navires : plus d’un capitaine eut à se reprocher d’avoir annoncé une arrivée prochaine à bon port, quand un mois avait été nécessaire là où l’on avait annoncé quatre ou cinq jours !
Et c’est probablement sur un problème de longitude que Magellan connaît son premier accrochage sérieux avec l’un de ses capitaines, Juan de Cartagena, qui s’étonne de le voir suivre un cap plein sud, quasiment en navigation côtière de l’Afrique, quand il aurait fallu prendre un cap sud-ouest, et ceci jusqu’à arriver au large des côtes de la Sierra-Leone ! Voulait-il profiter le plus longtemps possible des vents d’ouest, ou bien tout simplement échapper aux possibles poursuites de navires portugais, le roi Manoel ayant très mal pris sa désertion ? Toujours est-il que Magellan, ombrageux, enfermé dans son mutisme, n’a pas jugé utile d’informer les capitaines de ses choix, surtout si ce choix se révélait n’être qu’une erreur de calcul de longitude. La tension ne fait qu’augmenter avec quelques entorses significatives d’ordre protocolaire, jusqu’au jour où il réunit ses capitaines et que, refusant de répondre à la même question de Cartagena, Magellan le saisit à la poitrine et hurle : Vous êtes mon prisonnier ! Stupéfaits, les autres capitaines, jusqu’alors entièrement d’accord avec Cartagena, supplient Magellan de ne pas le mettre aux fers, mais de le confier à l’un d’eux, comme prisonnier : ce sera Luis de Mendoza qui s’en chargera. Donc, pour avoir demandé à Magellan, pourquoi il suivait une route difficilement compréhensible, Cartagena, veedor – représentant de la couronne, neveu – en fait fils illégitime – de Fonseca, le seul soutien de Magellan à la Casa de Contratación, se retrouve relevé de son commandement et prisonnier d’un autre capitaine, échappant de peu aux fers ! Pour reprendre un langage contemporain a minima, il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond ; en plus cru et méridional : il a un pèt au casque ; en plus cultivé : la paranoïa n’est pas loin. C’est Antonio de Coca qui va prendre le commandement du San Antonio.
Le 13 décembre, ils touchent l’Amérique du sud dans la baie de Guanabara, nommée par Pigafetta Santa Lucia, aujourd’hui Rio de Janeiro où les femmes y avaient les cheveux pour toute parure, selon Pigafetta ;
Il faut savoir qu’il n’avait pas plu depuis deux mois avant que nous arrivions ici, et qu’il commença à pleuvoir le jour où nous arrivâmes, ce qui amena les indigènes à penser que nous étions envoyés par le Ciel, et que amenions la pluie. Ce qui nous facilita les choses, et ces gens furent aisément convertis à la Foi chrétienne.
Pigafetta
Joāo Lopes Carvalho, un pilote portugais qui finira par avoir un commandement récupère son fils métis né lors d’un premier séjour en 1511. Il eut mieux fait de le laisser à sa mère, car le fiston fera partie des prisonniers retenus par le sultan de Bruneï, quelques mois plus tard.
Antonio Salamón, Sicilien maître sur le Victoria est condamné à la strangulation pour sodomie le 20 décembre.
Le 25 janvier, le mousse du Concepción Gullermo Vaz tombe à l’eau et se noie, suivi dans la mort le 3 février par Sebastian de Olarte, basque du San Antonio, suite à une dispute.
Puis, ce sera le Rio de la Plata, dans lequel ils pénètrent pour s’assurer que ce n’est pas là le passage vers l’ouest, avec la hantise de tous les marins : talonner, – toucher les hauts fonds -. D’ailleurs le Trinidad restera échoué plusieurs jours sur la bancs de Bahia Blanca. En l’absence de toute carte fiable, il était impératif d’explorer toutes les anfractuosités apparaissant sur la côte, seul moyen de s’assurer que ce n’était pas le détroit recherché. Ils poursuivent vers le sud ; en février 1520, ils doublent le cap Corrientes, puis le golfe San Matias, Bahía de los Patos – la baie des Canards -, ainsi nommée, faute de savoir qu’en fait les canards étaient des pingouins dont ils firent force provision, ainsi que de morses, nommés alors loups marins.
1519
Construction du château de Chambord, avec ses 365 cheminées et ses 5 440 hectares de jardins, forêts et étangs.
À Louvain, Érasme – 1467 – 1536 – fonde le collège des 3 langues [grec, hébreu, latin]. Luther qui aurait bien voulu obtenir son soutien lui écrit en ce sens. Ce dernier est bien conscient de la valeur de ses thèses, mais il craint surtout sa violence et le risque de schisme. Leurs relations n’iront pas au-delà de 1524. En 1516, dans sa Paraclesis, il clamait haut et fort la nécessité de traduire l’Écriture dans toutes les langues vernaculaires, afin qu’elle soit vraiment universelle :
Je suis en effet passionnément en désaccord avec ceux qui voudraient interdire aux ignorants de lire la Divine Écriture traduite dans une langue vulgaire, sous le prétexte que l’enseignement du Christ est si obscur que c’est à peine si un tout petit nombre de théologiens peut le comprendre, ou sous celui que la meilleure défense de la religion chrétienne consiste à n’être pas connue. Les secrets des rois, il est peut-être préférable de les cacher, mais le Christ désire que ses secrets à lui soient divulgués le plus possible […] Ah ! si le paysan à sa charrue en chantait un extrait, si le tisserand à ses navettes en modulait un passage, si le voyageur allégeait l’ennui de l’étape avec des récits de ce genre ! Que sur eux roulent des entretiens de tous les chrétiens !
Et, dans une paraphrase de l’Évangile selon Saint Mathieu, en 1523 : Pourquoi paraît-il inconvenant que quelqu’un prononce l’Évangile dans cette langue où il est né et qu’il comprend : le Français en français, le Breton en breton, le Germain en germanique, l’Indien en indien ? Ce qui me paraît bien plus inconvenant, ou mieux, ridicule, c’est que des gens sans instruction et des femmes, ainsi que des perroquets, marmottent leurs Psaumes et leur Oraison dominicale en latin, alors qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils prononcent.
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Le Moyen Âge s’achève lentement, et surgissent ici et là des hommes dont les regards et les désirs se veulent tournés vers un avenir qu’ils pressentent comme nouveau et positif. L’apparent paradoxe, c’est que ce sont des humanistes, c’est à dire des savants œuvrant à la redécouverte de la littérature et des philosophies gréco-latines qui réclament des changements dans tous les domaines. Rabelais, jeune moine érudit écrit à Budé, le plus grand savant de France, qu’il est grand temps de se tourner vers la lumière du soleil [de l’intelligence et du savoir]. Et il ne comprend pas que certains se complaisent encore dans les brouillards d’une époque révolue. Bien des hommes refusent pourtant les évolutions qui s’opèrent malgré eux : le conflit peut devenir mortel pour celui qui y prend part sans certaines précautions. On ne plaisante pas à cette époque avec les idées et ceux qui seront jetés sur des bûchers pour une phrase ayant déplu à tel ou tel censeur seront nombreux. Il n’y a que deux possibilités : s’allier au pouvoir politique ou prendre le pouvoir religieux. Le moine Rabelais devient le protégé des Du Bellay, et le moine Luther celui de Frederick Le Sage à la Wartburg. Le premier frôle à plusieurs reprises l’emprisonnement, voire pire, et le second crée sa propre Église. Les choses vont se jouer sur le terrain religieux. Et en France il faudra attendre deux cent cinquante ans pour voir ce combat entre l’ombre et la lumière se situer sur le terrain exclusif de l’homme et de sa place dans la cité sans référence à Dieu.
[…] L’humanisme n’est pas un phénomène ou un courant qui naît au XVI° Siècle. C’est à la fois un retour vers les modèles de l’Antiquité et un retour vers l’Homme.
Les Humanistes de la Renaissance sont des hommes de science et d’étude, des savants qui relisent les livres anciens, se chargent de les exhumer, les traduire, les annoter, et tentent de les débarrasser de toutes les scories, modifications et contresens que des générations de moines copistes avaient pu leur faire subir. Ils sont moines lettrés, aristocrates savants, membres de la haute administration étatique, ou éditeurs. Pourquoi pas professeurs d’Universités ? Parce que les Humanistes forment une famille une caste qui va s’opposer à la caste savante et au système scolastique au pouvoir dans les Universités. Ils vont payer cette audace d’une réclusion vers des couches moins favorisées de la société, à des emplois moins prestigieux, et souvent moins rémunérateurs. Platon, Aristote, Lucien, Sénèque, et Cicéron sont leurs passions. Ils replongent dans ce passé riche de culture, d’intelligence et de savoir. Passé important par ses concepts philosophiques, mais qui a peu à voir avec une doxa religieuse conditionnant un raisonnement et des connaissance scientifiques.
En se tournant vers ce passé, les Humanistes se tournent donc aussi vers l’Homme.
Faisant sien le salut par les Œuvres du christianisme, Érasme, le Prince des humanistes s’opposera violemment à l’idée du seul salut par la grâce de Dieu que professent les Réformés. Si l’homme devient Homme, il lui faut une éducation. Et ce n’est pas dans les Universités Théologiques rétrogrades, comme la Sorbonne, que l’Humaniste imagine la trouver. Ce thème s’avère vite fondamental à la Renaissance. Et chaque groupe de pensée, chaque parti va développer théorie et pratique dans ce domaine. Rabelais rédige son programme éducatif humaniste dans son Pantagruel, Calvin fait de la formation sa tâche principale à Genève, et les Jésuites se lancent en Europe dans l’édification de collèges où seront éduquées chrétiennement les élites des nations.
Rémi Morel
Jésus avait appelé Satan le prince de ce monde ; il avait dit Je ne suis pas de ce monde … Le monde me hait, et averti pareillement ses disciples : Vous n’êtes pas du monde … Le monde vous hait. Saint Paul était allé encore plus loin appelant Satan le dieu de ce monde. Mais, au long des âges, les théologiens eurent tendance à donner au mot monde une extension de sens qu’il n’a pas dans l’Écriture. Jésus et saint Paul ne voulaient pas désigner la terre où vivent les hommes ni l’humanité entière, mais le règne du mal, le monde des ténèbres qui lutte contre la vérité et la vie. C’est de ce monde seulement que Satan est roi. Aussi bien l’Évangile de Jean parle-t-il du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde et désigne-t-il Jésus comme Celui qui devait venir en ce monde. Mais les hommes d’Église fusionnèrent les deux sens du mot monde et donc étendirent à la totalité de la création l’empire du Malin. Jamais cette confusion sémantique, si lourde de conséquences, ne fut opérée avec moins d’esprit critique qu’au début des Temps modernes. L’imprimerie la diffusa ; la crainte de la fin du monde en majora la crédibilité.
[…] La Renaissance ne fut libération de l’homme que pour quelques-uns : Léonard, Érasme, Rabelais, Copernic … ; mais pour la plupart des membres de l’élite européenne elle fut sentiment de faiblesse. La nouvelle conscience de soi fut aussi la conscience plus aiguë d’une fragilité qu’exprimèrent conjointement la doctrine de la justification par la foi, les danses macabres et les plus belles des poésies de Ronsard : fragilité devant la tentation du péché ; fragilité devant les forces de la mort. Cette double insécurité plus cruellement ressentie qu’autrefois, l’homme de la Renaissance l’exprima et la justifia en campant face à lui l’image gigantesque d’un Satan tout-puissant et en identifiant la multitude des pièges et des mauvais coups que lui et ses suppôts sont capables d’inventer. Les violences qui ensanglantèrent l’Europe des premiers siècles de la modernité furent à la mesure de la crainte qu’on eut alors du diable, de ses agents et de ses stratagèmes.
Jean Delumeau. La peur en Occident. Arthème Fayard 1978
Ce qui a fait le succès de l’humanisme, c’est qu’il se disait capable d’offrir deux atouts à ses disciples. Le premier, il incitait à croire que maîtriser les classiques rendait meilleur, plus humain, capable de réfléchir aux problèmes éthiques et moraux auxquels chacun et chacune était confronté dans ses rapports avec son univers social. Le second : il persuadait ses élèves et ses employeurs que l’étude des textes antiques donnait les compétences pratiques nécessaires à une future carrière d’ambassadeur, de juriste, ecclésiastique ou de secrétaire au sein des administrations bureaucratiques hiérarchisées en voie d’émergence dans toute l’Europe du XV° siècle. La formation humaniste comprenant l’art de traduire, de rédiger des lettres, de parler en public, était perçue comme une éducation éminemment vendable à ceux qui souhaitaient entrer dans les rangs de l’élite sociale.
Nous paraissons ici bien loin de l’image romantique et idéalisée de l’humanisme qui sauve du naufrage les grandes œuvres de la culture antique et s’imprègne de leur sagesse pour créer une société civilisée. Nous le sommes. L’humanisme de la Renaissance avait une finalité clairement pragmatique : fournir un cadre de référence pour faire carrière, et notamment préparer des hommes à gouverner. L’éducation littéraire moderne, les humanités est conçue sur le même modèle ( le mot même est issu de l’expression latine studia humanitatis). Elle promet les mêmes avantages et, pourrait-on soutenir, conserve les mêmes défauts. Elle repose sur le postulat, aujourd’hui totalement intégré, que l’enseignement général, non professionnel, des disciplines littéraires fait de l’étudiant un être civilisé et lui donne les qualifications linguistiques et rhétoriques requises pour réussir sur le marché du travail.
Jerry Brotton. Le Bazar Renaissance. LLL Les Liens qui Libèrent.2011
Nulle part au monde, il ne fait bon vivre hors des conventions : ici, c’est du royaume de Sosso qu’il s’agit, où les Mandingues [aujourd’hui Malinké] dominent les Peuls.
Pour les gens de Kaniaga [le royaume de Sosso] les plus vils et les plus méprisables des hommes sont les Peuls : un seul homme de ce pays l’emporterait sur dix Peuls. Le tribut qu’ils prélèvent le plus habituellement sur leurs vassaux consiste en chevaux. D’autre part, ils n’ont pas pour leur prince les mêmes égards que l’on a ailleurs pour les souverains : leurs rois ne siègent pas avec une pompe vraiment royale et ne sortent pas dans l’apparat habituel aux rois ; ils ne portent pas le turban, ne s’assoient pas sur des tapis et n’ont jamais sur la tête qu’un bonnet. Le plus souvent, le roi de ce pays se tient assis au milieu de ses courtisans, confondu avec eux et sans que rien ne le fasse reconnaître. Malgré l’abondance des chevaux dans son armée, il n’a jamais qu’un seul cheval ; c’est une coutume observée chez ces gens, quelle que soit la force de l’autorité royale. Jamais il ne sort de son palais pour rendre visite à quelqu’un ; il n’en sort que pour la guerre sainte. Il n’entre jamais à la mosquée, sauf pour la prière des fêtes canoniques. Ces gens disent qu’un prince est assez rehaussé par l’éclat de son pouvoir et de son autorité pour n’avoir pas besoin d’aucune autre parure.
Mahmoûd Kati ben El-Hadj El-Motaouakkel Kâti. Tarik el-Fettach 1519
31 03 1520
Pour l’expédition de Magellan, les jours raccourcissaient, les tempêtes se faisaient de plus en plus fréquentes : il était temps de trouver un mouillage où passer l’hiver : ce sera chose faite le 31 mars, par 49°20′ S, à un endroit qu’il va nommer Port Saint Julien, où l’on trouvait en abondance du poisson, des oiseaux et de l’eau fraîche.
Le 1° avril, jour de Pâques, Magellan invite ses capitaines : seul Mesquita se présente, qui commande maintenant le San Antonio. Les autres organisent la mutinerie : vers minuit un canot se dirige vers le San Antonio : à bord, les trois capitaines espagnols, Juan de Cartagena, Gaspar Quesada et Antonio de Coca, et trente hommes armés, qui montent à bord du San Antonio, s’emparent d’Alvaro de Mesquita. Réveillé, le maestre Juan de Eloriaga, flairant la trahison, demande à Quésada les raisons de sa présence à bord, et obtient pour toute réponse six coups de poignard qui le foudroient. Les Portugais du bord sont mis aux fers avec Mesquita et le commandement confié à Juan Sebastian del Cano [Elkāno, en basque]. Puis chacun regagne son bateau en attendant le lendemain… Cartagena est maître de trois navires : le San Antonio, le Victoria, le Concepción. Et Magellan l’ignore, jusqu’à ce que la chaloupe faisant la tournée de l’eau potable et du bois revienne à son bord sans avoir pu accéder à aucun des trois navires. Il réalise alors que seuls le Trinidad et le Santiago lui obéissent.
Gaspar Quesada lui envoie un courrier plein de déférence, demandant seulement à être mieux traité à l’avenir : c’est une supplique. Et pour Magellan c’est une faiblesse.
Il retient le canot qui lui a apporté le courrier, disposant ainsi de deux canots au lieu d’un et envoie l’un de ses fidèles, l’alguazil [le maître d’armes] Gonzalo Gómez de Espinosa accompagné de cinq hommes à bord du Victoria, pour remettre une lettre au commandant Luis de Mendoza, qui lit la lettre, esquisse un sourire en se disant qu’il ne se fera pas avoir comme Cartagena, et se fait égorger par l’alguazil, tandis que montent à bord quinze hommes armés emmenés par Duarte Quesada, qui prend le commandement, et donne les ordres pour appareiller : Magellan tient donc trois navires qui se mettent en place pour barrer la sortie du golfe : il ne restait alors plus qu’à sommer Cartagena sur le San Antonio et Quesada sur le Concepción de se rendre, ce qu’ils vont faire sans opposer de résistance.
Luis de Mendoza va être écartelé le 2 avril, coupé en quatre morceaux qui resteront exposés à la vue de tous pendant des mois à Port Saint Julian. Gaspard de Quesada, qui a tué Eloriaga, va être décapité puis démembré par Molino, son valet de chambre qui n’avait d’autre alternative s’il voulait rester en vie, devant 40 hommes enchaînés ; sa tête restera exposée au bout d’une pique aux cotés des restes de Mendoza.
Mesquita va présider le tribunal qu’ordonnera Magellan pour juger les mutins. Trois seront déclarés coupables de trahison : Andrès de San Martin, l’astronome-astrologue engagé en remplacement de Luys Faleiro, Hernando Morales, pilote et un prêtre. À l’évidence, ces trois hommes n’étaient pas au cœur de la mutinerie, et leur condamnation illustre bien la volonté délibérée de Magellan de terroriser les équipages. Ils seront torturés : Andrès de San Martin en sortira vivant et reprendra son poste, Hernando Morales succombera et le prêtre tiendra compagnie à Cartagena, abandonné sur le rivage lors du départ. Antonio Varesa, mousse sur le Victoria, se jette volontairement par dessus bord et se noie le 27 avril. Juan Negro, esclave sur le Victoria, meurt le 4 mai.
Puis, 40 autres mutins seront condamnés à mort et verront leur peine commuée en travaux forcés. La mutinerie était matée, mais à quel prix !
Les navires sont vidés en totalité, hâlés au sec, et nettoyés de fond en comble par les condamnés aux travaux forcés. Le froid austral est dur. En avril, les navires sont remis à l’eau. Le Santiago part en reconnaissance ; à peu près à 60 miles au sud de Port Saint Julien, Serrano trouve l’estuaire de la Santa Cruz et du Chico, où le poisson et le morse sont encore plus abondants qu’à Port Saint Julien ; ils s’y attardent donc, puis reprennent la mer ; mais le 22 mai, une tempête brutale ne leur laisse pas le temps d’affaler les voiles, lesquelles partent vite en lambeaux ; avec un gouvernail endommagé, le bateau qui n’était plus maîtrisable, se fait drosser sur des rochers, puis, – chance au milieu de tous ces malheurs – repousser sur une plage, où les 35 hommes peuvent mettre pied à terre : il ne leur restait plus qu’à regagner San Julian, près de 160 km au nord à pied, avec de la neige jusqu’au ventre et l’estuaire de la Santa Cruz et du Chico à franchir [6]. L’affaire n’était pas jouable, ils s’en rendirent compte une fois atteinte la rive sud de l’estuaire, au bout de 4 jours : ils envoyèrent les deux plus vaillants alerter le reste de l’expédition sur un radeau de fortune confectionné avec des bois de récupération du Santiago. Il leur fallut encore 11 jours pour atteindre Port Saint Julien, par l’intérieur des terres, les marécages du rivage s’étant révélés infranchissables. Épuisés, décharnés, titubants, ils purent alerter Magellan qui envoya par la même voie de terre, de crainte de perdre encore un navire, un détachement de 24 hommes au secours des 33 qui restaient rive droite de l’estuaire. Ils y parvinrent, réussirent encore à faire passer tout le monde rive gauche, grâce au petit radeau, et regagnèrent à peu près en une semaine Port Saint Julien dans la neige, ne se nourrissant que de biscuits et de vin, où les attendait le festin réservé aux héros.
Mais un festin ne saurait faire oublier le népotisme qu’afficha alors Magellan, en ne plaçant que des hommes entièrement à sa cause au commandement des navires, lui-même conservant celui du Trinidad, népotisme réprouvé tant par les Portugais que par les Espagnols. Et ceci n’était pas fait pour égayer toutes ces trop longs jours d’inactivité, de nuits prolongées. L’apparition sur la plage d’un géant – il ne devait en fait pas mesurer plus d’1.80 m. mais ses bottes le grandissaient – leur apporta un moment de distraction :
Il était si grand que le plus grand de nous ne lui venait qu’à la ceinture. Il était vraiment bien bâti. Il avait un grand visage peint de rouge alentour et ses yeux aussi étaient cerclés de jaune, aux joues il avait deux cœurs peints. Il n’avait guère de cheveux à la tête et ils étaient peints en blanc… Quand notre capitaine lui montra sa semblance dans un miroir d’acier, il s’épouvanta grandement.
Pigafetta
C’était un indien Tehuelche. Ce premier contact s’étant bien passé, les autres membres de la tribu apparurent ; certaines de leurs habitudes pouvaient paraître étranges, comme de se racler la gorge avec une flèche pour vomir après avoir avalé des souris crues ! Ils étaient éleveurs de guanacos – cousin du lama -. Les Indiens apprirent aux hommes de Magellan comment capturer ces guanacos :
Ils lient un des petits à un buisson, et après les grands viennent pour jouer avec le petit, et les géants sont cachés derrière quelque haie et, tirant de leurs flèches, tuent les grands. Nos gens amenèrent dix-huit de ces géants, tant homme que femmes, qu’ils mirent en deux parts. La moitié d’un coté du port, l’autre moitié de l’autre, pour chasser aux dites bêtes.
Pigafetta
Magellan va les nommer Pathagoni, néologisme qui se réfère à patacones, un chien aux grosses pattes en espagnol : ces indiens avaient des grands pieds que les bottes semblaient encore agrandir. Nous en restera la Patagonie.
Les relations se détériorèrent lorsque des marins de Magellan découvrirent à terre une cache d’armes. On tendit un piège à quelques uns pour les amener à bord d’un navire et là les mettre aux fers, puis on les libéra. Des escarmouches causèrent la mort d’un marin, et pour finir Magellan emmena à son bord un géant patagon qu’il convertit au catholicisme, avec l’intention d’en faire cadeau à Charles Quint !
Plus au sud, en Terre de Feu, le peuplement autochtone était de quatre tribus : La Terre de feu se répartissait entre quatre peuplades principales : deux dites de canoeros, vivant dans leurs canots et mangeant principalement les produits de la pêche, les Yamanas (dits aussi Yagans), au nord des montagnes de la Cordillère de Darwin, et les Alakalufs, au sud ; deux terrestres, vivant de l’élevage et de la cueillette, les Selk’nam et les Hanush.
Christian Clot. Ultima Cordillera, la dernière terre inconnue. Arthaud 2007
Magellan n’avait pas osé condamner à mort le personnage le plus important, Cartagena, nommé par le roi conjuncta parsonna, fils naturel de l’archevêque Fonseca, en charge de la Casa : aussi va-t-il l’abandonner le 11 août sur la côte, en vue des navires, en compagnie d’un prêtre français qui avait comploté à ses cotés, Bernard Calmette ; celui-ci avait pris un nom espagnol – Pero Sánchez de la Reina – pour se rapprocher de l’équipage. Ils avaient assez de pain et de vin pour … dire la messe et tenir un été, mais pas plus.
Il décide de lever l’ancre de Port Saint Julian le 24 août, et c’est à nouveau pour essuyer des tempêtes qui les contraignent à mouiller dans l’estuaire de la Santa Cruz, pour six semaines ; ils quitteront ce mouillage le 18 octobre.
mai 1520
Alors que les portes du temple se ferment, l’ordre jaillit, ¡ Mueran ! – qu’ils meurent ! En cette journée de mai 1520, le sang coule à flots, et pour cette fois ce ne sera pas celui de prisonniers sacrifiés aux divinités locales. Ce sang est celui des élites aztèques, surprises désarmées en pleine cérémonie religieuse dans leur saint des saints, au cœur de leur capitale Tenochtitlan.
L’holocauste a été décidé par le conquistador Pedro de Alvarado. En l’absence du chef de l’expédition, Hernan Cortés, il a fait le pari de décapiter l’adversaire par traîtrise. Ses soldats massacrent ce jour-là plusieurs milliers de guerriers et de prêtres. La mégapole aztèque se soulève, relançant une guerre rocambolesque. Elle oppose un petit millier de soudards espagnols, aidés de dizaines de milliers d’alliés indigènes désireux de secouer l’hégémonie aztèque, à un puissant empire commandant à plusieurs millions de sujets.
Le carnage a pris place autour du Templo Mayor. Centre géographique de la cosmographie aztèque, lieu d’allégeance des vassaux, ce colossal édifice est surmonté d’une pyramide à degrés, comme les Espagnols ont pu en voir dans d’autres cités. C’est là-haut, sur les deux plates-formes cérémonielles édifiées près du sommet de la pyramide, que les élites sacrifient aux dieux les prisonniers de guerre, généralement en leur arrachant le cœur. Les hauts dignitaires mettent les corps en pièces, afin d’en distribuer les morceaux à la noblesse sacerdotale et guerrière, pour une consommation anthropophage, rituelle et soigneusement hiérarchisée. Dans les chroniques ultérieures, les Espagnols s’étendront sur ces cultes sanglants, sans trop évoquer leur propre violence coloniale.
Quatre ans après le massacre, Tenochtitlan la splendide est tombée, ses habitants décimés par la variole, la guerre et la famine. Une délégation de franciscains convoque les survivants parmi les tlamatinimes, ces sages qui avaient pour mission de préserver la cosmogonie et les rituels. Les moines infligent une leçon de catéchisme à leurs captifs afin d’entamer le processus de conversion et d’éradiquer les cultes anciens. Les témoins d’une foi qui agonise de répondre : Laissez-nous mourir, puisque nos dieux sont morts !
Les dieux aztèques n’étaient plus. En tout cas, les dieux de cette élite aztèque impérialiste qui domine alors la moitié sud du Mexique. Les franciscains font raser le Templo Mayor, le plongeant dans l’oubli jusqu’à ce que les archéologues du XX° siècle en exhument les fondations.
Pour les Espagnols, l’issue de la guerre tient du miracle. En plus de leur supériorité technologique (acier, escopettes et canons, cavalerie…), ils ont bénéficié d’une aide qu’ils tiennent pour providentielle : la variole, terrible pandémie en Europe, a ravagé les rangs aztèques, fauchant peut-être la moitié de la population. D’autres épidémies venues de l’Ancien Monde allaient parachever cet effondrement démographique.
On sait, depuis les travaux initiés par l’historien Alfred Crosby, que les Amériques étaient peuplées de 50 à 60 millions de personnes à l’arrivée de Christophe Colomb, en 1492, et que ce chiffre tomba, un siècle plus tard, entre 5 et 6 millions. Les pandémies permettent d’expliquer l’inexplicable : sur le plan matériel, pourquoi la civilisation aztèque, machine de guerre à la tête de centaines de milliers de guerriers, se désintégra face à quelques escouades de conquistadores ; sur le plan idéologique, pourquoi il fut si facile à quelques bataillons de missionnaires d’imposer leur religion centrée autour d’un Dieu unique.
Car de part et d’autre, guerre et religion étaient inextricablement liées. La noblesse aztèque se voyait comme une élite tribale guerrière choyée par une divinité exclusive, Huitzilopochtli, dieu du Soleil et de la guerre. Au-delà des régions contrôlées par les Aztèques, alors en pleine expansion militaire, la Mésoamérique (zone culturelle s’étendant du Mexique au Costa Rica) partageait un système homogène de croyances, lié par des traits culturels : culture du maïs, partage de calendriers cycliques et de croyances comme la transformation magique d’humains en animaux, architecture rituelle incluant des pyramides à degrés…
Ces sociétés se livraient des guerres cycliques, programmées au moyen de calendriers communs. Les affrontements exaltaient la valeur individuelle : le bon guerrier n’était pas celui qui tuait le plus, mais celui qui ramenait des captifs vivants… Des prisonniers qui alimentaient les sacrifices humains, permettant au Soleil et autres divinités de se régénérer à même les fleurs de sang écloses sur la poitrine des sacrifiés.
L’historiographie coloniale a beaucoup glosé sur la prophétie du retour du dieu Quetzalcoatl, le serpent à plumes. Cette divinité barbue devait revenir de l’ouest lorsque le monde prendrait fin : Moctezuma II se serait demandé si Hernan Cortés n’en était pas l’incarnation. Ses doutes l’auraient poussé à retenir des offensives qui auraient pu balayer la progression des Espagnols. Certains historiens, telle Jacqueline de Durand-Forest, estiment qu’il peut y avoir du vrai dans cette histoire ; d’autres, à l’instar de Christian Duverger, pensent plutôt qu’il s’agit d’une interprétation a posteriori. Serge Gruzinski souligne en tout cas que les Espagnols, les Aztèques et bien d’autres peuples vivaient alors dans l’attente de catastrophes, consultaient force astrologues et augures, interprétaient les revers militaires et les désastres pandémiques en termes de forces surnaturelles.
Les pandémies font office de miracle pour les Espagnols : alors que les rangs adverses vacillent sous les fièvres, les conquistadores s’imaginent, faute de connaître le monde des virus, qu’ils bénéficient d’une aide céleste, en l’occurrence de Santiago (Jacques le Majeur), saint patron de l’Espagne, qui ravage de flèches invisibles les rangs des idolâtres. À l’inverse, la défaite ne peut signifier qu’une chose pour les Aztèques : leurs divinités, au premier rang desquels leur protecteur Huitzilopochtli, sont mortes. En tout cas impuissantes.
En ces années d’apocalypse, la société hiérarchique et sophistiquée d’antan céda la place à une foule hagarde. Les lieux de culte furent anéantis, des églises élevées sur les ruines des temples. Les images des dieux furent profanées, les métaux sacrés fondus, et les précieux codex, dépositaires des mythes, brûlés jusqu’au dernier – ou peu s’en fut. Nulle religion organisée ne pouvait survivre à une telle entreprise d’éradication, ne serait-ce que parce que la société qui l’avait engendrée était elle-même annihilée.
Les survivants étaient souvent mis au travail forcé par les conquérants, désireux de réduire en servitude les vaincus afin de rentabiliser les coûteuses expéditions. Ces derniers étaient souvent déportés dans des domaines agraires passés aux mains des Espagnols et avaient tout perdu : famille, biens, dieux et dignité. Leurs croyances, qui ne faisaient plus sens, n’avaient désormais aucune raison d’être entretenues.
Même le regard sur le chien changea. Les Aztèques le considéraient comme un craintif auxiliaire qui nettoyait les restes alimentaires. Certains, les chiens nus, étaient engraissés et consommés lors des fêtes funéraires. Car l’animal était psychopompe, il accompagnait l’âme des morts vers l’au-delà. Ce rôle cultuel facilita un glissement sémantique. Les Espagnols étaient accompagnés de chiens féroces, énormes dogues sélectionnés pour la guerre et la traque des fuyards, capables (le fait est attesté) de mettre en pièces plusieurs dizaines d’hommes quand on les lâchait dans une foule. De psychopompe, l’animal, utilisé pour la répression, devint un diabolique chien de l’enfer, nouvelle incarnation d’un sinistre au-delà.
L’évangélisation fut orchestrée par les ordres missionnaires. Les franciscains, dominicains, mercédaires puis jésuites s’employèrent à gagner à la vraie foi les âmes des survivants. Bien organisés, les frères restructurèrent quelque peu les communautés autochtones autour de villages. Il y eut parmi eux des défenseurs des Indiens, tel Bartolomé de las Casas, qui s’éleva contre les violences perpétrées par les nouveaux propriétaires terriens ; et des sauveteurs de savoir, comme Bernardino de Sahagún, qui collecta auprès des indigènes de précieuses bribes de leur savoir. Mais le rouleau compresseur était à l’œuvre. Les missionnaires étaient là pour éradiquer le souvenir des anciens dieux. Tâche facilitée par l’état de choc dans lequel vivaient leurs nouvelles ouailles.
Pour autant, et c’est là le plus surprenant, les cultes indigènes se montrèrent résilients. Car si la religion impériale, celle des sacrifices sanglants et des cultes sophistiqués de l’élite de Tenochtitlan, ne pouvait pas survivre à la disparition de la culture à laquelle elle était consubstantielle, il existait un ciment omniprésent parmi les gens du commun, les innombrables peuples soumis aux Aztèques : la religion populaire, qui partageait avec les cultes impériaux nombre de traits.
Même après que la société qui avait engendré ces cultes se fut désintégrée, et que les imaginaires furent dominés par les idées européennes, des survivances étaient manifestes. On les devine dans les rapports des missionnaires qui s’agacent des cultes cachés, des offrandes aux esprits d’antan, des Vierges maladroitement esquissées et revêtues d’attributs propres aux anciennes divinités, jusqu’à la confusion opérée à dessein entre Ehecatl (avatar de Quetzalcoatl comme divinité des vents) et Santiago, au motif que le dieu et le saint partageaient des traits iconographiques tels que bâton, chapeau et coquillage.
S’ouvre alors un jeu de piste : si vous allez à Mexico à la Toussaint, quand fleurissent les cimetières, n’oubliez pas de visiter le fantastique Musée national d’anthropologie. Son iconographie sans pareille vous évoquera bien des détails de la fantasmagorie des têtes de mort grimaçantes qui
7 06 1520
Henri VIII d’Angleterre, 29 ans et François I°, 24 ans, se rencontrent au camp du Drap d’or, implanté à la limite de la Picardie française et de l’enclave de Calais, toujours anglaise : c’est le triomphe du strass et paillettes, d’un protocole fastueux, pointilleux et paralysant.
Ainsi s’approchèrent l’un de l’autre, et quand furent près, donnèrent des éperons à leurs chevaux, comme font deux hommes d’armes quand ils veulent combattre à l’espée, et, au lieu d’y mettre les mains, chacun d’eux mit la main à son bonnet et aussi tost l’un que l’aultre et s’embrassèrent et accolèrent moult doucement, puis descendirent de cheval, et de rechief, s’accolèrent. Ce fait, se prindrent par les bras pour entrer dans le beau pavillon tout tendu de drap d’or …
Robert de Fleuranges. Le jeune adventureux
François I° n’enfreindra toute cette royale liturgie que 2 fois : en allant voir son cousin, de nuit, sans protection aucune, puis en répondant à un défi de lutte à mains nues d’Henri VIII, déjà incorrigible joueur comme tous les Anglais : 2 crocs en jambe d’Henri ; François esquive et met le cousin à terre. Mais toute cette poudre aux yeux ne sera d’aucun effet sur la suite des événements : le tout puissant cardinal Wolsey, initiateur de la politique de Henry VIII, fera le nécessaire pour que rien de ces grandes démonstrations d’amitié ne se traduise dans les faits.
1 07 1520
Cortés et ses conquistadors ont beaucoup rusé et beaucoup tué pour s’emparer de l’empire des Aztèques. Cortés a du repartir en avril 1520 vers la côte pour contrer une expédition de 1 100 hommes à la tête desquels se trouve Pánfilo de Narváez, ordonnée par le gouverneur de Cuba : bien que très inférieur en nombre, il les défait les 28 et 29 mai. Pánfilo de Narváez, un des plus actifs et cruels capitaines de la conquête de Cuba, y perd un œil et devient son prisonnier pour 2 ans.
Mais dans la capitale, la violence et l’avidité des hommes qu’il y a laissés ont bien détérioré les relations avec les Aztèques. Retranchés dans Tenochtitlan, ils sont assiégés par les habitants qui ont coupé les ponts. L’empereur Moctézuma que Cortès retient prisonnier, tente de calmer la population : il est tué d’une pierre. La seule issue est une sortie, qui ne peut-être jugée que suicidaire : mais Cortés a la baraqua et il s’en sort. Ses hommes, surchargés d’armes et d’or, – celui du trésor de Moctezuma découvert dans le palais de l’ancien empereur Axayacatl – périront en grand nombre dans les marais : le fiasco passera à la postérité sous le nom de Noche triste. Mais un bonhomme de cette trempe se remet vite, et 8 jours plus tard, il gagnait la bataille d’Otumpan, qui lui permit de regagner sa base de Tlaxcala, d’où il va préparer l’assaut suivant. Il a perdu 810 hommes, l’artillerie et l’or.
21 10 1520
Le pilote de Magellan remarque un cap qui s’avance loin dans l’océan, et sitôt celui-ci dépassé, de nombreux squelettes de baleines échoués sur la plage : c’était probablement le signe qu’on se trouvait sur leur itinéraire de migration : ils s’engagent alors dans ce qu’ils commenceront par nommer tout simplement ledétroit avant de prendre le nom de détroit de Magellan, en 1527.
Magellan, plongé dans ses pensées, était d’humeur parfois joyeuse, parfois triste : quand il lui semblait trouver le détroit qu’il avait promis, aussitôt il s’animait et devisait avec plaisir ; quand, par quelques imagination, il lui semblait que ce n’était pas la bonne passe, aussitôt il s’assombrissait.
Ginès de Mafra
Nous avons vu une ouverture comme une baie, et elle avait à son entrée, à main droite, un long banc de sable, et le cap que nous avions découvert avant cette bande est appelé Cap des Onze mille Vierges [7], et le banc de sable est à 52 degrés de latitude, 52,5 de longitude, et du banc de sable jusqu’à l’autre rive, il doit y avoir quelque chose comme cinq lieues.
Francisco Albo
Après avoir navigué et atteint le cinquante deuxième degré du dit ciel antarctique, le jour de la fête des Onze mille Vierges, nous trouvâmes par miracle un détroit que nous appelâmes le Cap des Onze mille Vierges.
Pigafetta
Ce point fait à l’entrée du détroit illustre très bien les aléas de la détermination de la longitude. La latitude trouvée : 52° S, est exacte ; mais pour la longitude qui est en fait de 68° O, on trouve 52,5, soit un écart de 15,5°, ce qui est tout de même considérable : plus de 1 700 km, à raison de 111,12 km pour un degré.
Les rives du détroit sont des prairies herbeuses à l’est et à l’ouest des fjords enneigés, et même parfois des glaciers, dont les séracs font un bruit d’enfer quand ils s’effondrent dans des gerbes d’eau. Sur la grève dorment ou s’ébrouent quantité de morses. Les Indiens Onas et Yaghans entretenaient des feux en permanence, faute de savoir l’allumer, à moins qu’il ne s’agisse de feux de forêts déclenchés par la foudre, les orages étant très fréquents dans la région : il baptisera le tout Terre de feu.
Magellan envoie en reconnaissance le Concepción et le San Antonio : Alvaro de Mesquita remonta le détroit sur cinquante lieues, et il trouva certaines parties si étroites que l’une et l’autre rive n’étaient pas distantes de plus d’un jet de hallebarde, et le détroit tournait à l’ouest alors que les courants marins venaient de l’ouest de toute leur force, si puissants que les marins n’auraient pu continuer qu’avec de grandes difficultés. Mesquita fit demi-tour et alla dire à l’amiral qu’il pensait que grande eau venait d’un large golfe ; à son avis, il fallait aller à la recherche de son extrémité pour observer ce phénomène étrange, parce que ce n’était pas sans raison que l’eau venait avec une telle force de cette direction.
Vasquito Gallego
Et puis, le jour fixé par Magellan pour se regrouper passa et seul le Concepción avait réapparu : le San Antonio manquait à l’appel, et ce n’était pas un accident : Estêvão Gomes, le pilote si compétent qui avait manifesté son opposition à la poursuite de l’expédition, avait fomenté une mutinerie, et Mesquita, le capitaine, s’était retrouvé aux fers. Mettant à profit son art de la navigation et la complexité de la topographie des lieux pour rester caché des autres navires, Gomes fit tout simplement demi-tour vers le 8 novembre, cap vers l’Espagne : on rentre à la maison ! Sur le plan logistique, le confort matériel était garanti : c’est lui qui avait à son bord le principal des vivres. Magellan, ayant du mal à imaginer pareille désertion, envoya le Victoria à sa recherche, lequel retourna jusqu’au cap des 1000 vierges sans avoir rien trouvé. Et pendant ce temps-là, désœuvrés, les équipages des autres navires se mettaient en quête de produits frais, faisant ample moisson d’une variété de céleri dont ils ne se doutaient probablement pas qu’elle les mettrait à l’abri du scorbut.
au sud-est de la Baie des Sardines, le cap Froward, pointe sud du détroit.
Il leur faudra 38 jours pour franchir ces 580 km, 38 jours d’exploration dans un imbroglio de bras de mer, dont on ne sait jamais au départ quel est celui-ci qui est le bon, véritable labyrinthe au sein duquel un des rares moyens de deviner le bon chemin était de goûter l’eau, la plus salée étant celle qui indiquait la bonne voie. Pour le principal, l’exploration se faisait en en envoyant en reconnaissance les chaloupes, les navires restant au mouillage
Dans les décennies suivantes, il apparaîtra clairement que cet étroit et tortueux couloir, soumis à des courants violents et balayé par des vents fous, était un passage beaucoup trop délicat pour des navires chargés de denrées précieuses ; Francis Drake, parti pour piller les colonies espagnoles d’Amérique du Sud en 1577, en gardera un très mauvais souvenir.
La terre de chaque coté est immense et montagneuse ; les montagnes les plus basses, bien que monstrueuses et merveilleuses à regarder à cause de leur hauteur, sont surpassées par d’autres en taille, et d’une étrange manière elles s’élèvent si haut au-dessus de leurs compagnes, qu’entre elles il semble y avoir trois régions de nuages. Ce détroit est extrêmement froid ; il y gèle et il y neige continuellement ; les arbres semblent lourds du fardeau du temps et pourtant ils sont toujours verts, et beaucoup d’herbes, bonnes et douces, poussent en abondance en dessous d’eux.
Francis Pretty, officier de Sir Francis Drake 1578
On dirait qu’on pénètre dans un monde tout à fait nouveau et étrange, un véritable Pays de Nulle Part. Le détroit ne gèle jamais, sauf sur son pourtour, et le faux hêtre antarctique, avec ses petites feuilles ovales qui deviennent mates en été, pousse en bosquets épais au bas des pentes des montagnes. Un peu plus haut pousse de l’herbe drue qui vire au bronze sous les rayons du soleil couchant, et plus haut encore, les pics sont couverts de neiges éternelles. Quand il pleut sur le détroit, il neige à deux mille mètres.
Samuel Eliot Morison, historien de marine, février 1972
Les navires restés à l’abri durent encore rechercher des endroits plus reculés pour se mettre à l’écart des très violents vents rabattants venus du haut des glaciers où l’air s’est refroidi et dont la vitesse s’accélère lors de leur descente ; les anglais les nomment williwaw.
21 11 1520
Le 21 novembre, une chaloupe est mise à l’eau pour gagner la péninsule de Cordoba. Bocaccio Alonzo et Fernando de Gustamura se sont portés volontaires, appâtés par les 4 500 maravédis offerts par Magellan : par une météo clémente, ils s’engagent dans l’ascension du plus haut sommet … d’où ils aperçoivent l’océan : Ils avaient trouvé le cap, et la mer grande et large. Dont le capitaine général, de joie qu’il eût, commença à pleurer et donna à ce cap de nom de cap de Désir, comme une chose bien désirée et longtemps requise.
Antonio Pigafetta
Depuis la Baie des Sardines, Magellan commence par envoyer des hommes planter une croix sur l’un des sommets dominant la baie : cela figurait-il sur les ordres de mission du roi, ou bien sur ceux de la Casa de Contrataçión, ou bien ne relevait-il que d’une simple initiative personnelle ? L’homme avait la foi chevillée au corps, et voyait très facilement dans le quotidien l’intervention divine.
Puis il requiert les conseils de ses officiers pour savoir s’ils devaient continuer l’expédition ou rentrer en Espagne, comme Gomes voulait qu’ils le fissent. Cette hésitation, qui ne lui ressemblait pas, laisse entendre qu’il redoutait les rumeurs que les hommes d’équipage rebelles du San Antonio allaient diffuser à propos de sa conduite, au cas où le navire atteindrait l’Espagne.
Magellan envoya une longue missive à Duarte Barbosa, le capitaine du Victoria, ce qui indique que les relations entre les différents officiers étaient à nouveau si tendues que le capitaine général craignait que le simple fait de les rassembler pût les conduire à se mutiner à nouveau. Ce document révèle son besoin urgent de trouver un consensus :
Moi, Ferdinand Magellan, chevalier de l’ordre de Santiago et capitaine général de cette flotte que Sa Majesté envoie à la découverte des îles aux Épices, [etc] vous informe vous, Duarte Barbosa, capitaine du Victoria, et vos pilotes et maîtres d’équipages, que j’ai appris que vous considérez tous comme une décision téméraire de continuer le voyage, parce que vous jugez la saison trop avancée.
Je suis un homme qui n’a jamais dédaigné l’opinion ou le conseil d’autrui, mais a toujours désiré discuter et mener toutes ses affaires, en commun avec vous, sans que j’aie jamais offensé quiconque. Or, depuis les événements du port de San JuIian, avec la mort de Luis de Mendoza et de Gaspar de Quesada et le bannissement de Luis de Cartagena et de Pero Sanchez de la Reina, prêtre, je sais que vous craignez de me communiquer vos sentiments, même pour le service de Sa Majesté. Je vous ordonne, par la présente, au nom du Roi, et personnellement je vous prie et conjure de me faire savoir votre opinion par écrit, et de m’exposer les raisons en faveur de la continuation du voyage, ou du retour. Que rien ne vous détourne de dire la vérité ! Après avoir pris connaissance de vos motifs et de votre avis, je vous dirai la décision qu’il convient de prendre.
Fait dans le Canal de Todos los Santos, [nom donné au détroit avant de prendre celui de Magellan] face au Rio del Isleo, le 21 novembre, jeudi, par 53 degrés, l’an 1520.
Ordonné par le capitaine général, Fernand de Magellan.
Andrès de San Martín reçut un courrier analogue : installé ainsi dans une position d’autorité à laquelle il n’était pas habitué, l’astronome de la flotte insista pour qu’ils continuent l’expédition au moins jusqu’à la mi janvier, bien qu’il doutât encore que ce détroit fût bel et bien le passage miraculeux vers les îles aux Épices :
Seigneur très magnifique,
Ayant pris connaissance de votre demande, qui m’a été notifiée vendredi 22 novembre 1520 par Martin Méndez, secrétaire de la nef de Sa Majesté appelée la Victoria, et qui m’ordonne de vous donner mon opinion concernant ce que je pense être le mieux pour ce voyage, soit de continuer, soit de faire demi-tour, opinion accompagnée des raisons qui sous-tendent mon choix, je dirais : le doute existe que, soit par ce Canal de Todos los Santos, dans lequel nous nous trouvons actuellement, soit par les deux autres détroits situés à l’est et au nord-est, on puisse trouver un passage vers les Moluques, mais la question de savoir ce qu’on pourrait éventuellement trouver, si le temps le permettait, dans la mesure où nous allons vers l’été, est toute différente. Et il me semble que votre seigneurie doit continuer à avancer sa recherche, et en fonction de ce qu’on trouvera ou découvrira, jusqu’au milieu de ce mois de janvier 1521, quand vous pourriez envisager la possibilité de retourner en Espagne, car dès lors les jours vont soudain raccourcir et le temps empirer. Et jusqu’à maintenant, alors même que les jours durent dix-sept heures, ajoutés à l’aube et au crépuscule, nous subissons pourtant un temps orageux et changeant, nous pouvons nous attendre à bien pire quand les jours raccourciront de quinze à douze heures et plus encore en hiver, comme nous le savons déjà. Votre seigneurie peut donc vouloir quitter ce détroit et passer le mois de janvier à regagner l’extérieur et ensuite, après avoir collecté suffisamment d’eau et de vivres, prendre la direction de Cádiz et du port de Sanlucar de Barrameda, d’où nous sommes partis.
[…] Continuer plus près du pôle austral que nous le sommes actuellement, comme vous en avez donné l’instruction aux capitaines au fleuve de Santa Cruz, je ne crois pas que ce soit possible, à cause du temps terrible, et des tempêtes, car si à cette latitude la navigation s’est avérée si dangereuse et pénible, quelle sera-t-elle quand nous nous trouverons à soixante ou soixante-dix degrés ou plus, puisque votre seigneurie a dit que nous devrions aller à la recherche des Moluques en empruntant les routes par l’est et le nord-est, pour ensuite contourner le cap de Bonne-Espérance ? Quand nous y arriverons, ce sera déjà l’hiver, comme votre seigneurie le sait bien, et de plus l’équipage est amaigri et manque de forces ; de surcroît, si pour l’heure il nous reste suffisamment de provisions, nous n’en avons pas beaucoup ni assez pour reprendre de l’énergie et être capables de beaucoup travailler sans que la santé des hommes d’équipage en souffre, d’autant que j’ai aussi remarqué combien les malades mettent longtemps à se rétablir.
[…] Je crois également que votre seigneurie ne devrait pas naviguer de nuit le long de ces côtes, tant pour assurer la sécurité des nefs que pour accorder à l’équipage un peu de repos bien nécessaire. Puisqu’il y a dix-sept heures de lumière du jour, que votre seigneurie permette aux bateaux de jeter l’ancre pour les quatre ou cinq heures de nuit, afin que, comme je l’ai dit, les gens puissent se reposer au lieu de devoir s’affairer sur les bateaux avec le gréement ; et, plus important encore, afin de nous épargner les coups que notre destin futur risque de nous infliger, le Ciel nous en préserve. Si en effet de tels coups peuvent nous frapper quand les choses sont visibles, on ferait bien de les craindre d’autant plus quand on ne peut rien voir ou savoir ou bien observer ; que votre seigneurie permette donc de jeter l’ancre une heure avant le coucher du soleil plutôt que de continuer de nuit pour couvrir deux lieues. J’ai dit ce que je sens et ce que je comprends afin de servir tant Dieu que votre seigneurie par ce que je crois être le mieux pour l’Armada et votre seigneurie ; que votre seigneurie agisse comme votre seigneurie le croit bon, et Dieu guidera votre seigneurie. Qu’Il permette à la vie et aux entreprises de votre seigneurie de connaître le succès, comme c’est mon souhait.
Ayant désormais l’assurance qu’il ne reverrait plus le San Antonio, et qu’il ne rencontrerait pas d’opposition pour les jours à venir, Magellan poursuivit sa recherche pour finalement trouver l’issue sur l’autre océan :
Là nous trouvâmes de demi-lieue en demi-lieue bon port et lieu pour surgir, bonnes eaux, et du bois tout de cèdre, et du poisson aussi, tel que sardines, [qui donnèrent leur nom à la baie des Sardines où se trouve Port Galant] missiglioni et une herbe fort douce appelée appio, il y en a aussi de la même sorte, mais amère et cette herbe croît auprès des sources. Ne trouvant pas autre chose, nous en mangeâmes [8]plusieurs jours.
[…] Le mercredi 28 novembre 1520, nous débouchâmes du détroit, nous engouffrant dans l’océan Pacifique. Nous restâmes trois mois et vingt jours sans avoir aucune nourriture fraîche, nous nourrissant uniquement de vieux biscuits réduits en poussière, grouillants de vermine et imprégnés de l’urine des rats. Nous buvions d’une eau jaunâtre et depuis longtemps putride. Nous mangeâmes également les peaux de bœuf qui couvraient le haut de la grand-vergue afin d’empêcher celle-ci de frotter contre les haubans, et qui avaient été considérablement durcies par le soleil, la pluie et le vent. Nous les laissâmes tremper dans la mer quatre ou cinq jours durant, puis nous les plaçâmes quelques instants sur la braise, avant de les manger ; et souvent, nous mangeâmes de la sciure de bois. Les rats se vendaient un demi ducat pièce, et, même à ce prix, il était impossible de s’en procurer. Les gencives inférieures et supérieures de certains de nos hommes enflèrent, de sorte qu’il leur devint tout à fait impossible de se nourrir, et qu’ils moururent. Dix-neuf hommes succombèrent à cette maladie, de même que le géant [de Patagonie] et un Indien du pays de Verzin [le Brasil en italien] .
Pigafetta
Pigafetta fait une erreur quand il parle de 19 morts du scorbut : ce sont 9 morts, et tous du Victoria, le navire dont l’équipage n’avait pas participé à la cueillette du céleri qui mettra les autres à l’abri de la maladie. On peut penser qu’en fait personne ne fit le lien entre le scorbut et ce céleri, Magellan compris, qui ne se soucia pas qu’il fut réparti au prorata entre tous les équipages.
1520
Charles Quint ne réside pas encore en Espagne ; il y a nommé un régent flamand – donc impopulaire -, Adrien d’Utrecht, sous la gouverne duquel les Cortès lancent de nouveaux impôts à percevoir par les villes ; ces dernières refusent : on pend des percepteurs à Ségovie, on brûle des maisons de députés à Burgos ; Tolède expulse son corregidor c’est la révolte des Comuneros qui rejoint la Junta Santa de las Communidades, qui exigeait la restitution du pouvoir politique aux Espagnols ; leur milice marchera sur Tordesillas, pour y chercher en vain le soutien de Jeanne la Folle, mère de Charles Quint, et sera anéantie à Villanar, un an plus tard.
Francisco Alvares représente le roi du Portugal pour répondre aux offres d’alliance du royaume du Prêtre Jean, qu’après des siècles de vaines ambassades diverses et variées à l’est de l’Europe, on a fini par trouver en Éthiopie. Il arrive à la cour chrétienne du jeune Roi des rois, Lebna Dengel ou David II, où il est reçu par sa vieille mère Hélène, régente, qui a pour amant Pedro da Covilhã.
Ce dernier n’est autre qu’un ex ambassadeur du Portugal, qui avait quitté Lisbonne en 1487, et depuis lors n’avait jamais donné de ses nouvelles. L’Éthiopie est alors un pays cerné par la puissance ottomane… il ne représente plus aucun intérêt stratégique…, la route des Indes passe loin de là… c’est, – pas tout à fait mais presque – la fin du mythe du royaume du Prêtre Jean, qui, pendant longtemps, aura fixé le besoin stratégique pour l’Occident de croire qu’il existait, à l’est des musulmans, une chrétienté, qui devait permettre de prendre les musulmans en tenaille.
Le personnage du prêtre Jean existait bel et bien. Son royaume – si l’on veut utiliser ce terme – était l’Éthiopie. C’est en 1520 que les premiers envoyés portugais atteignent ce territoire inconnu. Ils ont progressé depuis le Niger. On les conduit chez le souverain. Il leur faut attendre des heures, dans la nuit glaciale des hauts plateaux. Puis on leur fait franchir trois tentures sacrées qui protègent la personne du roi. Lorsque la dernière tenture se lève, le prince apparaît, assis sur un trône, entouré de mille bougies et de cinq cierges allumés. En réalité, ce négus se nommait Lebna Dengel. C’était un jeune homme de vingt-trois ans qui tentait de régner sur un mélange de savane et de désert. Il était entouré de deux pages, l’un portant une croix, l’autre un glaive. Ces deux objets sacrés avaient un sens. Le premier exprimait la tradition de la rencontre des Éthiopiens avec les chrétiens des premiers siècles ; le second, la filiation fabuleuse du roi d’Éthiopie, fils lointain des amours du roi Salomon et de la reine de Saba.
Donc ce royaume était chrétien, mais d’origine juive. Le négus fut tout de suite intéressé par la proposition d’aide contre l’islam. Il était bel et bien menacé par celui-ci. Les théologiens portugais ne s’offusquent guère du caractère monophysite des chrétiens éthiopiens : c’est de conquête et de commerce dont, cette fois, il s’agit.
Il y eut pourtant de très longues discussions entre le chapelain portugais, Francisco Alvares, et le prêtre Jean. Thèmes principaux : pourquoi un seul pape à Rome alors que les Éthiopiens considéraient qu’il devait exister quatre patriarches égaux pour Antioche, Constantinople, Alexandrie et Rome ? Alvares, sur ce point, réussit à ébranler la vieille conviction de son interlocuteur : le monde avait changé. Il rencontra davantage de difficultés avec le mariage des prêtres, le divorce à la carte, la polygamie, etc. Les Éthiopiens y tenaient. Il fallut toute l’habileté du chapelain pour faire bouger les mentalités.
Durant toute cette ambassade, Alvares tint une chronique : A verdadeira informaçâo da terra do Preste Joâo das Indias (Informations vraies sur le pays du prêtre Jean et des Indiens). C’est, sans nul doute, la meilleure description de ce pays pauvre et inconnu. Une capitale : Axum, des pistes difficilement utilisables, une population pauvre qui tenait tête, avec obstination, à un islam conquérant et omniprésent. Pas grand-chose à attendre du prêtre Jean pour prendre l’islam à revers.
Le mythe du royaume chrétien caché subsista pourtant. Joâo de Barros, par exemple, homme fort savant, continua à affirmer qu’il existait, au cœur de l’Éthiopie (pour lui, ce mot recouvrait toute l’Afrique), un lieu béni – peut-être le paradis terrestre -, proche d’un lac immense, et d’où partaient tous les grands fleuves africains : le Nil, le Congo, le Zambèze, et quelques autres. C’étaient les fleuves d’or, et Dieu avait fermé les issues qui y conduisaient : il ne fallait pas que les pécheurs retrouvent trop tôt les portes du paradis.
Georges Suffert. Tu es Pierre. Éditions de Fallois 2000
Le sultan ottoman Soliman le Magnifique soumet l’Irak, le Yémen, une partie du Maghreb, d’Alger à Tripoli. À Alger, c’est Khayr al-Din, frère et successeur de Barberousse [9] , qui se soumet à lui, devenant beylerbey – seigneurs des seigneurs -, ce qui l’oblige un peu, mais surtout lui apporte 2 000 janissaires [10] et 4 000 volontaires turcs, de quoi chasser les Espagnols du Péñon et ravager Calabre et Sicile. Dès lors, quantité de manuscrits et de lettrés arabes arrivèrent à Istanbul. L’islam va désormais avoir pour bras séculier des Ottomans, et non plus des Arabes.
[1] Son premier nom était Malinalli, comme la déesse maya de l’herbe, puis on lui donna le nom chrétien de Marina, déformé par les Indiens qui ne prononcent pas le r, et les Espagnols en Malinche. Une des grandes faiblesses des Aztèques, outre leur rivalités incessantes avec les voisins, fût que les femmes, la moitié de la population aztèque et autres, étaient leurs ennemies, car réduites pour la plupart au statut d’esclave.
[3] ainsi donc, depuis la bataille de Cadix en 711, en faisant un détour par notre Navarrais Henri IV, les Espagnols n’auront cessé de puer. En 711, leur crasse et leurs rôts d’aïl avaient incommodé les Arabes et maintenant c’était au tour des Aztèques de subir ça.
[4] Bernal Diaz parle d’une fourchette entre 3 et 5 hommes sacrifiés chaque jour : des estimations plus récentes donnent un chiffre approximatif dix fois supérieur, parlant d’une moyenne de 20 000 sacrifices humains par an
[5] où il se trouvait pour avoir vendu à l’étranger le navire qu’il commandait ! il fera partie des condamnés à mort dont la peine sera commuée en travaux forcés. En temps voulu il saura faire ce qu’il faut pour sortir de l’anonymat.
[6] Rio Santa Cruz, la ville aujourd’hui la plus proche de cette plage où fut drossé le Santiago, conserve soigneusement tous les objets qui y ont été trouvés, en attendant que les personnes compétentes puissent les identifier comme ayant appartenu au Santiago.
[7] Le 21 octobre est la fête de Sainte Ursule, dont le tombeau se trouve à la cathédrale de Cologne : sainte du V° siècle, elle aurait été martyrisée par les Huns, en compagnie de ses suivantes, au nombre de onze ; une erreur de lecture ou de typographie transformera alors le onze en onze mille. Les onze mille vierges est une des grandes légendes du Moyen Âge. Apollinaire, à l’humour grassouillet de potache, voire berlusconien, ôtera le i des vierges pour en faire les onze mille verges.
[8] À leur grand bénéfice, ces herbes sauvages – le céleri : Apium Australis L. – contenant de la Vitamine C, première protection contre le scorbut. Les marins le récoltent, et en font des conserves, dans du vinaigre… Plus tard, il sera recommandé par les navigateurs comme excellent antiscorbutique. L’Anglais Cunningham remarquera son abondance dans le détroit en 1871
L’équipage cueillit beaucoup de céleri qui abonde en ces lieux, et qui est fort bon et gros, encore que moins que celui qu’on trouve en Chine. On le mit dans du vinaigre [qui conserve la vitamine C] pour le conserver. Ginés de Mafra
[9] Les Barberousse – Khayr ad-din baba oruç – étaient 4 frères grecs renégats – des Européens convertis à l’islam -, qui se nommaient Barbaros. L’aîné Aruj Barbaros, capturé en 1501, avait ramé trois ans sur les galères des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem ; après sa libération, il avait été nommé Beylerbey d’Alger par le souverain hafaside de Tunis : il fera port de la Goulette et de l’île de Djerba sa base contre les chrétiens. Il accordera sa protection aux Juifs de Livourne pour faciliter leur commerce de céréales.
[10] Le corps des Janissaires, fondé dès 1330, était principalement constitué d’esclaves chrétiens convertis à l’Islam, rémunérés par un bakchich. Les Janissaires deviendront Mameluks quand la tradition sera reprise par le sultan d’Égypte [Mameluks signifie possédés]. Ce n’était pas là une coutume spécifique, mais bien une tradition multiséculaire ancrée dans l’usage de convertir les prisonniers de guerre en combattants de ses propres armées : Constantin avait utilisé ses captifs faits prisonniers en Grande Bretagne et en Allemagne. Les Vandales capturés par Bélisaire en 535 sont mis en 56 escadrons pour combattre les Perses. Ensuite, on trouve le procédé particulièrement vivace dans le nord de l’actuel Afghanistan, les anciennes Sodiane et Bactriane, là où vers l’an 800 marchands des oasis et militaires détenteurs du pouvoir, coopéraient : les marchands vendaient aux califes (surtout Al-Mutasim 833-842) les soldats faits prisonniers en provenance d’Asie centrale : des turcmènes. Les turcs auront toujours la réputation d’être d’excellents soldats et seront des mercenaires appréciés dans toute l’Europe, longtemps formés à Samara, au nord de Bagdad.