Publié par (l.peltier) le 24 décembre 2008 | En savoir plus |
13 septembre ~ 490
Les Perses Achéménides veulent punir la jeune démocratie grecque athénienne d’avoir soutenu les révoltés d’Ionie : à la tête d’une soixantaine de navires et fort de 20 000 hommes, Datis commence par s’emparer des Cyclades, incendie Naxos, Érétrie et débarque dans la plaine de Marathon, favorable aux évolutions de la cavalerie, à 40 km. au nord-est d’Athènes. L’écart de puissance entre les deux forces est immense : l’empire perse de Darius, puis de son fils Xerxès après ~ 486 est alors le plus grand empire que le monde ait jamais connu, la démocratie grecque est encore une très petite entité. C’est David contre Goliath.
Avec le seul renfort de mille Béotiens de Platées, le stratège Miltiade, 64 ans, se refuse à attendre les Perses à l’abri des remparts d’Athènes et se rend à Marathon avec ses 10 000 hoplites lourdement armés : cuirasse, bouclier, jambières, casque, que les Perses nommeront les hommes de bronze, eux, dont jusqu’alors, selon Hérodote, le nom seul suffisait à épouvanter les Grecs. Placés sur les pentes du mont Agriéliki, près du sanctuaire d’Apollon, ils prennent en tenaille les Perses, qui laissent sur le terrain 6 400 hommes et abandonnent 7 navires : les rescapés parviennent à regagner les navires restants, et reprennent la mer pour attaquer Athènes, dégarnie, via le cap Soumion. Miltiade – il n’a perdu que 192 hommes – comprend la manœuvre, et regagne Athènes avec ses hoplites à marche forcée : ils repoussent encore les Perses. C’est donc l’ensemble des hoplites qui accomplit un exploit ; la légende voudra que Philippidès ait couru de Marathon à Athènes pour annoncer la victoire, mourant à l’arrivée, mais en fait c’est pour demander de l’aide qu’il avait couru d’Athènes à Sparte, avant la bataille ; s’y déroulaient alors des fêtes religieuses qui avaient empêché la participation de la ville.
Soumis à des tyrans, ils ne valaient pas mieux à la guerre que leurs voisins, mais libérés de la tyrannie, leur supériorité fût éclatante… Dans la servitude, ils refusaient de manifester leur valeur, puisqu’ils peinaient pour un maître, tandis que libres, chacun dans son propre intérêt collaborait de toutes ses forces à la réussite de quelque entreprise.
Hérodote Histoire Livre V
~ 487
Thémistocle, dont Thucydide disait qu’il savait démêler à l’avance, au milieu des événements, ce qui était avantageux et nuisible, redevient archonte : il comprend que la Perse rouvrira les hostilités dès que possible : il fait aménager le port du Pirée pour remplacer utilement la rade foraine du Phalère, et veut entreprendre la construction d’une flotte : la découverte d’un nouveau filon argentifère aux mines du Laurion vient à point nommé : il parvient à persuader l’Ecclesia d’en réserver le produit à ce projet : 5 ans plus tard, Athènes possédait 200 trières, longues de 42 m. et manœuvrés par 87 avirons, disposés sur 3 rangs horizontaux inclinés de chaque bord en arête de poisson, avec la pointe tournée vers l’arrière : elles pouvaient embarquer 200 hommes, et atteindre 7 à 8 nœuds au combat avec un redoutable éperon en proue. Athènes se montrera bien ingrate envers Thémistocle, qu’elle ostracisera : il finira sa vie comme gouverneur de… Magnésie, province de l’empire perse.
~ 485
En Grèce, la comédie est admise dans les concours théâtraux : le plus grand auteur sera Aristophane [vers ~ 445-~ 375].
~ 483
Gélon est tyran à Syracuse depuis deux ans et lui vient l’envie de détruire Mégara Hyblaia, autre colonie grecque fondée en Sicile, 250 ans plus tôt. 2 500 ans plus tard, découvrir quasiment à même le sol sur un terrain dénué de toute autre construction postérieure des vestiges d’occupation est un immense bonheur pour les archéologues : le site de Syracuse, 20 km au sud, est très probablement beaucoup plus riche, mais inaccessible, puisque continuellement urbanisé depuis 2 500 ans. Qui pourrait oser donner des autorisations de fouille dans pareilles conditions, sans déclencher à coup sur une révolte au moins égale aux vêpres siciliennes ?
Et c’est ainsi que l’on put découvrir que la construction de Mégara Hyblaia répondait à un véritable plan d’urbanisme, incluant un sanctuaire à l’emplacement d’un ancien site néolithique et que cet urbanisme n’avait donc pas attendu Hippodamos de Milet au V° siècle, architecte du Pirée sous Périclès pour naître, comme voudra nous le dire Aristote : Hippodamos a peut-être théorisé des principes, mais ceux-ci avaient vu le jour bien avant lui, que ce soit en Égypte, en Mésopotamie ou ailleurs : les villes n’ont pas attendu le siècle de Périclès pour être pensées, avant que d’être construites.
~ 480
Xerxès envahit la Grèce. Pour ce faire, il lui faut franchir l’Hellespont – aujourd’hui détroit des Dardanelles – : il met à couple 700 navires, ancrés et amarrés à terre, dispose un plancher perpendiculaire au sens de la navigation, le recouvre de broussaille et de terre, et en avant la musique ; la flotte – on parle de 1 200 bateaux au total – viendra appuyer l’armée de terre : la bataille navale de l’Artémission resta à l’avantage des Grecs, mais les Perses parvinrent à défaire les Grecs aux Thermopyles, où Léonidas se fit tuer en brave avec ses 300 Spartiates : le chemin pour Athènes était ouvert aux Perses de Mardonios : les Athéniens se réfugient sur l’île de Salamine, d’où ils peuvent contempler, atterrés, le feu qui ravage la ville et l’Acropole, où se trouvent les trésors et les temples religieux, alors en bois – dont celui que remplacera le Parthénon -. Mais les défaites perses vont s’accumuler : le 29 septembre à Salamine, les trirèmes grecs brisent les coques des navires perses. Impuissant, Xerxès assiste au désastre depuis la terre :
Quand l’aurore aux blanches cavales
Répand sa clarté sur la terre,
De chez les Grecs, sonore, une clameur s’élève,
Comme un hymne, bien modulé !
Et les rochers de l’île en retournent l’écho.
La terreur était là, du coté des Barbares
Trompés dans leur attente :
Ce n’est pas en fuyant qu’ils chantent le péan
Ces Grecs ! À ce moment, au combat ils s’avancent,
Pleins de valeureuse assurance.
Le son de la trompette embrasait tout le front !
Aussitôt le fracas de la rame bruyante
Frappe d’un même ensemble en cadence le flot.
Tous bientôt furent là, distincts, en pleine vue.
L’aile droite, alignée, a pris la tête en ordre ;
Toute la flotte suit, se dégage et s’avance
Tout ensemble, on entend l’innombrable clameur :
« Allez, enfants des Grecs, délivrez la patrie !
Délivrez vos enfants et toutes vos compagnes,
Et les temples des dieux, les tombeaux des aïeux !
C’est la lutte suprême ! » Et voici qu’en écho
Retentit, de chez nous, le bruit des ordres perses :
Ce n’est plus le temps de tarder :
Vaisseau contre vaisseau se heurtent les étraves
De bronze. Un bateau grec a commencé l’assaut,
Il tranche tout l’avant d’un vaisseau levantin !
Les autres font le choix chacun d’un adversaire.
La flotte perse afflue et résiste d’abord,
Mais sa masse s’entasse en cette passe étroite !
Et le secours entre eux devenait impossible :
Le choc des éperons aux grimaces de bronze
Brise toutes les rames.
Les navires des Grecs savent bien la manœuvre :
En cercle, ils font le tour et renversent les coques.
La mer ne se voit plus sous l’afflux des victimes,
Sous les morts et sous les épaves,
Les cadavres épars aux écueils, aux rivages.
Une fuite éperdue emporte alors les nefs,
Toute la flotte des Barbares.
Comme pour des poissons, des thons pris au filet,
Les Grecs frappant partout, partout ils massacraient,
À coups de bouts de rame et de débris d’épaves !
Les plaintes, les sanglots couvrent toute la mer
Tant que la sombre nuit n’a pas caché la scène.
La somme de nos maux, je ne saurai la dire,
Quand même j’userai dix jours à ce décompte
Jamais, sache-le bien, jamais en un seul jour
On n’a vu tant d’humains périr de male mort.
Eschyle. Les Perses. Traduit par P. Mazon, modifié dans J. Bertrand et M. Brunet. Les Athéniens. Armand Colin 1996
Et encore, un an plus tard, sur mer à Mycale et sur terre à Platées – 40 000 hoplites grecs contre 300 000 barbares [1], -, après que les Perses aient à nouveau dévasté Athènes : ils évacuent alors l’Europe : c’est l’arrêt de l’unification vers laquelle tendait le monde antique depuis des siècles. Ils se contenteront désormais de combattre Athènes en finançant Sparte.
On s’occupait aussi de guerre en d’autres lieux, tel l’empire chinois des Qin : Après un premier avantage, n’allez pas vous endormir ou vouloir donner à vos troupes un repos hors de saison. Poussez votre pointe avec la même rapidité qu’un torrent qui se précipiterait de mille toises de haut. Que votre ennemi n’ait pas le temps de se reconnaître, et ne pensez à recueillir les fruits de votre victoire que lorsque sa défaite entière vous aura mis en état de le faire sûrement, avec loisir et tranquillité.
[…] Ne laissez échapper aucune occasion d’incommoder l’ennemi, faites-le périr en détail, trouvez le moyen de l’irriter pour le faire tomber dans quelque piège, provoquez des diversions pour lui faire diminuer ses forces en les dispersant, en lui massacrant quelques partis de temps à autre, en lui enlevant ses convois, ses équipages et tout ce qui pourrait vous être de quelque utilité.
Sun Tse. L’Art de la guerre.
~ 478
Cimon, fils de Miltiade, le vainqueur de Marathon, est nommé stratège pour la première fois ; il combat à Salamine, participe à l’expédition navale de ~ 478, puis devient le principal chef militaire de la ligue de Délos. Il entreprend de chasser les garnisons perses de Thrace, s’empare d’Éion, purge la mer Égée de ses pirates en occupant leur repaire de Skyros. En ~ 469, il est à la tête d’une flotte importante qui fait entrer dans la ligue plusieurs cités des côtes méridionales de l’Asie Mineure et remporte en ~468 sur les Perses la victoire de l’Eurymédon, en Pamphylie, – 200 trières ennemies prises ou détruites -. qui lui permet d’imposer au roi des Perses Artaxerxés I° un traité de paix qui reconnaît la liberté des Grecs d’Asie Mineure et interdit aux navires perses l’accès à cette région. Il est alors au sommet d’une popularité que la poursuite des opérations guerrières va éroder : Naxos et Thasos font sécession et ne reviennent à l’obéissance que par la force. Chute de prestige aussi à l’intérieur de la cité, avec la constitution d’un parti d’opposition, conduit par Éphialtès, qui réclame l’élargissement du pouvoir démocratique des propriétaires fonciers à tous les citoyens, contre le vœu des conservateurs dont Cimon est le champion. Grand admirateur de Sparte, et donc en opposition avec Thémistocle favorable aux idées démocratiques, Cimon entend consacrer toute la puissance militaire athénienne au développement de l’impérialisme maritime, laissant l’hégémonie continentale à Lacédémone. Cimon dispose du soutien populaire mais aussi de l’appui des grandes familles nobles, soutien dû, selon Aristote dans la Constitution d’Athènes, (XXVII, 3) à ses largesses : Cimon, qui avait une fortune princière, d’abord s’acquittait magnifiquement des liturgies publiques et de plus entretenait beaucoup de gens de son dème : chacun des Lakiades pouvait venir chaque jour le trouver et obtenir de lui de quoi suffire à son existence ; en outre, aucune de ses propriétés n’avait de clôture, afin que qui voulait pût profiter des fruits.
Il votera en ~472 l’ostracisme de Thémistocle, et deviendra en ~ 467 chef du parti aristocratique tout en restant très populaire.
~ 475
Début de commerce par les grands cols des Alpes.
~ 464
La terre tremble à Sparte : il y aurait jusqu’à 20 000 morts. Les hilotes en profitent pour se révolter contre leurs maîtres et les Messéniens livrent une guérilla de 6 ans aux Lacédémoniens, qui les chasseront du Péloponnèse en ~ 459.
~ 461
Périclès a 34 ans ; il a renforcé la démocratie en obtenant le bannissement de Cimon ; il s’emploie à rendre le gouvernement de la cité accessible à tous : ceux qui veulent se présenter au conseil des Cinq Cents sans avoir les moyens financiers de consacrer gratuitement du temps à cela percevront une indemnité. Les plus riches sont mis à contribution pour financer les besoins de la cité, notamment l’entretien des navires : la cité fournit la coque et le triérarque l’arme : équipage, voiles et gréement. Il fait achever les longs murs qui relient Le Pirée à Athènes.
~ 458
Dans les Choéphores, Eschyle chante Gaïa :
Que la Terre entende ma prière
Elle qui enfante tout, nourrit tout
Et des morts qu’Elle reçoit
S’engrosse pour redonner la vie.
C’est ainsi qu’Électre s’adresse à la Terre devant la tombe de son père Agamemnon où elle verse une libation. On ne saurait mieux résumer qu’en ces trois vers la façon dont un Grec ancien ressentait et voyait la Terre : comme une matrice et une mère qui sans cesse enfante, reçoit et restitue la vie. Autrement dit, comme une Femme immense, infinie et en même temps individualisée, susceptible d’entendre et de comprendre les paroles et les prières des hommes.
Jacques Lacarrière. Le livre des genèses. Éditions Philippe Lebaud. 1990.
À une femme qui demandait à André Breton pourquoi il ne s’était jamais rendu en Grèce, ce dernier avait répondu : Parce que, Madame, je ne rends jamais visite aux occupants. Voilà deux mille ans que nous sommes occupés par les Grecs. Pour rester dans le registre de provocation d’André Breton, on est tenté d’enchaîner : Si c’est cela l’occupation, alors vive l’occupation !
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Des Grecs anciens aux poètes contemporains, des philosophes antiques aux mystiques byzantins, j’eus sans cesse le sentiment – et même la certitude – de suivre le courant d’un fleuve unique et ininterrompu. Oui, de naviguer sur une eau nourricière où la présence de la source est sensible jusque dans l’estuaire, comme en témoignent certains passages des œuvres d’Elytis, Séféris ou Sikélianos, où l’on découvre avec surprise et ravissement des pépites de grec ancien insérées dans les poèmes d’aujourd’hui. La langue grecque, toujours, fut une langue aurifère.
Jacques Lacarrière. Dictionnaire amoureux de la Grèce. Plon 2001
Mes mathématiques supérieures
Elytis Odysseas (1911-1996)
Certes, pareil à tous les Méditerranéens, le paysan grec était sobre, se nourrissait surtout d’olives, d’un peu de pain et de fromage – il n’a guère changé -; la journée de travail terminée, il aimait, et il aime encore, se réunir aux voisins ; il bavarde indéfiniment, sur les sujets les plus variés ; les jours de fête, il mangera la viande d’une chèvre ou d’un mouton, grâce au sacrifice destiné à honorer des dieux, et il assistera, deux ou trois fois l’an, au spectacle que lui offre l’État au théâtre de Dionysos. Il ne fréquentera la ville que pour des événements graves ; il ne commencera guère à la connaître avant la guerre du Péloponnèse, qui lui impose de quitter son champ pour Athènes. Mais dans son dème, – son village – il apparaît déjà comme il sera dans la ville, un être sociable, le zôon politikon curieux de toutes les questions qui touchent à l’homme, des passions qui l’inspirent ou l’aveuglent suivant qu’il obéit aux dieux ou se laisse emporter par la Némésis. Il est assez remarquable que la littérature grecque classique ne nous ait laissé aucune œuvre qui ne se ramène en fin de compte à l’homme, et que le gnôthi seauton (connais-toi toi-même) soit un principe de conduite grec. Ces hommes rudes qui allaient applaudir les Tragiques ou écouter les orateurs, qui savaient manier une langue aussi précise que fut l’attique, devaient-ils à leur ciel clair, pur et sec, cet amour de l’équilibre et de la netteté, nous ne le prétendons pas, mais il nous sera permis de croire que la lumière où baignait le corps ne rejaillit pas moins sur l’esprit.
Yves Bequignon. La Grèce archaïque et classique 1956
Gnôti seauton, Connais-toi toi-même, dit l’inscription du temple de Delphes que cite Platon. Ce qui ne veut pas dire : abandonne-toi aux délices de l’introspection, mais prends conscience de ce que tu es, sans en remettre, en te gardant toujours de te prendre pour un dieu. Tu es toi, mais sans plus. Médèn agan, Rien de trop. L’hybris, autrement dit, la démesure, ici la mégalomanie, est le vice par excellence selon les Grecs. Un vice que la sophia, la sagesse, a pour premier effet d’éviter. Et les gens de pouvoir ont pour premier devoir de s’en garder. Socrate y a réussi. Pour rester dans l’ambiance antique du pneuma, du souffle, de l’esprit, je dirais : que nul ne souffle plus haut qu’il n’a l’esprit…
Lucien Jerphagnon [2] . De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles. Albin Michel 2011
Aux yeux des Grecs, la qualité majeure de l’homme n’est pas l’intelligence, mais le courage, dont le nom, dans leur langue – arêté – comme virtus en latin, a pris le sens général de vertu. Leurs héros préférés sont Achille, le plus vaillant des hommes, et Ulysse, dont l’esprit fertile en ressource ne vaudrait rien sans son cœur intrépide. Dans la fiction comme dans la vie, les Hellènes n’ont rien mis au-dessus de la fermeté d’âme, témoin le Prométhée d’Eschyle ou l’Antigone de Sophocle, Léonidas ou Phocion, Socrate ou Démosthène. C’est pourquoi la leçon de la Grèce est moins une leçon politique qu’une leçon morale. Leçon de modestie et d’humilité qui met l’homme à sa juste place : apte à beaucoup comprendre, mais sachant aussi ignorer ; aimant la vie mais la sachant précaire ; usant de son intelligence avec délices, sans oublier que l’avenir appartient aux dieux. Ce grec sait que rien ne s’obtient sans lutter. Mais, conscient de sa propre faiblesse, il ne méprise pas l’adversaire. Tandis que sur leurs bas-reliefs triomphaux, les monarques de l’Orient se font représenter écrasant sous leurs chars des foules accablées et tremblantes, l’art hellénique évoque les grands exploits de l’histoire ou de l’épopée sous l’aspect de combats égaux. L’ennemi n’y a pas toujours le dessous et sa défaite, quand elle arrive, ne le prive pas du droit à la pitié. Ce n’est pas un hasard si les Troyens Priam, Hector et Andromaque sont les figures les plus émouvantes de l’Iliade. […]
Pour définir la pensée grecque, on emploie souvent le mot humanisme et l’on ose à bon droit le fameux chœur des vieillards Thébains dans l’Antigone de Sophocle : Que de merveilles au monde, mais nulle n’est plus merveilleuse que l’homme. […]
François Chamoux
~ 454
Les alliés d’Athènes dans la lutte contre les Perses avaient formé la Ligue de Délos, dont le trésor était caché sur l’île éponyme. Périclès, prétextant l’insécurité du lieu, le fait transférer à Athènes, sur l’Acropole, mais dissout aussi le Conseil des cités, organe de représentation de la Ligue ; les quelques 160 cités, qui doivent continuer à verser tribut, n’ont plus le choix qu’entre se révolter ou se soumettre. Et les envies de révolte sont rapidement découragées par la vue des trières d’Athènes, rapidement accourues sur les lieux. En politique étrangère, la cité modèle de démocratie se fait la championne de l’impérialisme.
~ 453
En Chine se termine la période des Printemps et des Automnes : le territoire du Jin est partagé entre trois officiers rivaux : Zhao, Han et Wei : c’est le début de la période des Royaumes combattants.
~ 451
Périclès fait voter une loi qui limite la citoyenneté aux enfants nés d’un père et d’une mère grecque.
vers ~ 450
Le canon – la règle – naît avec Polyclète, qui a été le premier sculpteur grec à rédiger un traité sur son art, le Canon. Le livre a été perdu, mais deux courts passages ont été préservés – l’un chez Plutarque, l’autre chez Philon de Byzance -, mais plusieurs auteurs antiques l’ont paraphrasé, en particulier Galien. Celui-ci indique que Polyclète a confirmé son discours par une œuvre, en créant une statue selon les principes de son discours, et en nommant la statue elle-même, tout comme son ouvrage, le Canon. Pour Pline, cette statue est le Doryphore [porteur de lance], dont le type a été reconnu en 1863 dans une statue en marbre découverte à Pompéi. Une seule des deux jambes porte le poids du corps, et ses proportions sont parfaites.
Selon les successeurs de Polyclète, le torse et les jambes doivent avoir la même hauteur, le bassin et les cuisses en font les deux-tiers et la tête un tiers. Autre formulation : la tête entre sept fois dans le corps, deux fois entre les genoux et les pieds, deux fois dans la largeur des épaules et deux fois dans la hauteur du torse – mais on ignore l’endroit exact où prendre la mesure, et on constate en pratique des différences significatives.
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Ce n’est que lorsqu’une architecture a trouvé son matériau qu’elle devient art : alors la syntaxe se fixe et les formes arrivent à l’expressivité. En Grèce, la pierre s’impose dès le néolithique, réapparaît au II° millénaire avec la civilisation mycénienne et l’emporte à nouveau à la fin du VII° siècle. Pierres tendres d’abord, plus faciles à travailler : le tuf (Paros et Pentétique surtout) qu’accompagnent des équipes d’ouvriers habitués à le tailler, le matériau provient du voisinage immédiat, car les transports, lents et périlleux, qui nécessitent souvent des transbordements difficiles, sont très coûteux : à Didymes, le prix du transport des blocs représente le tiers du prix de revient d’une colonne. Cette contrainte engendre un premier particularisme qui fait des bâtiments l’émanation du site. Toutefois, ce souci d’économie n’empêche pas l’emploi de plusieurs pierres dans un même bâtiment, le marbre étant souvent réservé aux parties hautes, avec parfois des contrastes de couleur qui restent toujours discrets. Lorsque la pierre locale a trop piètre apparence, comme le poros spongieux d’Olympie, on l’enduit d’un stuc de poussière de marbre, mais le cas reste très exceptionnel : la franchise de l’architecture grecque vis-à-vis du matériau est l’un de ses traits les plus caractéristiques. Ainsi la structure d’un bâtiment grec se lit aisément sur toute son élévation, l’agencement des blocs restant visible grâce au rythme des joins ; ceux-ci sont d’ailleurs ténus, car aucun liant n’est employé, la cohésion de l’ensemble étant renforcé par des scellements intérieurs verticaux (goujons) et horizontaux (crampons) en bronze.
Dès le VI° siècle avant J.C., la disposition des blocs d’un mur détermine des appareils désignés par la forme des pierres [appareil polygonal, fruste, à joints droits ou à joints courbes, appareil trapézoïdal, irrégulier, isodome ou pseudo-isodome ; appareil rectangulaire, irrégulier, isodome ou pseudo-isodome ; appareil rectangulaire à carreaux et parpaings, pseudo-isodome et isodome]
[…] Il est assez naturel que les différents éléments du décor intérieur – peintures murales, sucs à relief et mosaïques – aient connu un grand essor à l’époque hellénistique : l’individu l’emportant désormais sur la communauté civique, une exigence nouvelle de confort se fait jour. L’architecture, qui avait été au service de la cité à l’époque archaïque et classique, dépend désormais du pouvoir personnel et de la richesse privée.
À partir du VI° siècle av. J.C., l’architecture grecque s’est trouvée confrontée à un problème qui l’a tenue en échec : la couverture des grands bâtiments en pierre. Alors que la tendance au monumental – voir au colossal dans quelques édifices de la périphérie orientale et occidentale – s’affirme dans les plans comme dans l’élévation, le comble ne connaît pas la même mutation : les grands temples de pierre reçoivent les mêmes charpentes de bois que les frêles édicules des VIII° et VII° siècles. L’extension en largeur des bâtiments s’en trouvera durablement bridée, ce qui explique la prédominance des plans allongés (temples, portiques) et l’échelle relativement modeste des bâtiments. Faute de madriers transversaux autorisant des portées de plus de quinze mètres, l’architecture grecque s’est condamnée à ne pouvoir jamais créer de vastes espaces intérieurs : des supports intermédiaires seront toujours nécessaires pour les salles de plan carré (salles hypostyles), de ce fait assez rares, et les colonnades latérales qui flanquent la cella des temples sont en fait une servitude déjouée. Cette incapacité à inventer un système et une technique de couverture correspondant à l’ambition des volumes recherchés constitue sans doute la principale faiblesse de l’architecture grecque. Elle s’avère d’autant plus gênante que les bois de construction sont rares : dès le V° siècle, le déboisement de la Grèce continentale est si avancé qu’on ne trouve plus guère d’arbres susceptibles de fournir des madriers de longue portée que dans les contrées limitrophes du nord (Macédoine, Thrace Thasos) ou dans l’arrière-pays anatolien ; de là les dimensions plus vastes de certains édifices construits à proximité de ces régions ou par des architectes ayant accès à ces bois. Enfin, ces lourdes charpentes sont fragiles : c’est par le comble que les édifices grecs ont péri, soit qu’il ait pourri dès qu’il n’a plus été régulièrement entretenu, soit qu’il ait brûlé, accident très fréquent. Or la voûte, qui eut permis des couvertures de pierre, était connue au moins depuis le IV° siècle (tombes macédoniennes, Nécromantion d’Éphyra), mais son usage est resté très limité : elle n’a pu s’imposer dans la grande architecture religieuse et civile, peut-être parce qu’elle était considérée comme un exotisme, s’il est vrai qu’elle a son origine à la périphérie nord de la Grèce.
On mesure là le traditionalisme de l’architecture grecque, qui se satisfait de ses limites plutôt que de chercher à les transgresser. C’est que l’art grec, dans toutes ses manifestations, n’est pas un art de rupture et de conquête – la notion d’avant-garde lui est absolument étrangère ; c’est un art de tradition, fondé sur une pratique transmise en atelier de génération en génération, que chaque créateur infléchit et adapte sans jamais la remettre radicalement en cause. Les architectes grecs ont donc préféré épuiser tout le champ du possible à l’intérieur de la formule héritée du VII° siècle et faire de nécessité vertu en acceptant les gênes exquises de la tradition.
L’importance des ordres et les recherches de proportions s’expliquent également par le même formalisme. Encore les ordres, qui constituent la grammaire des formes architecturales, n’ont-ils pas un caractère normatif contraignant : en proposant deux modes de construction et d’expression contrastés, ils canalisent la création plus qu’ils ne la régentent ; une grande souplesse n’a jamais cessé de présider à leur emploi. Traditions locales, manières d’époque et trouvailles individuelles confèrent aux bâtiments une saveur toujours différente, qui bannit toute uniformité : comme en sculpture, le style canonique est singularisé par la mise en œuvre.
[…] Sur la foi de quelques textes anciens, on s’est efforcé de retrouver, dans les bâtiments suffisamment conservés pour se prêter à telle recherche, un système cohérent de proportions, fondé sur le nombre d’or, le nombre Л ou la proportion universelle de Pythagore. Il est bien rare qu’à force de mesures en tous sens, on n’arrive pas à découvrir quelque emboîtement de figures géométriques ou quelque commun dénominateur. La validité de ces abstractions reste cependant aléatoire : il ne faut pas surestimer l’importance de la spéculation architecturale, liée aux mathématiques et à la musique. Que certains architectes, à l’instar de sculpteurs tels que Polyclète aient voulu raisonner leur formalisme en fondant leurs œuvres sur un système strict de rapports, c’est très probable, mais il serait faux de généraliser cette démarche : dans l’ambiance traditionaliste de la Grèce antique, l’activité architecturale est une pratique empirique où l’expérience et l’intuition le métier en somme, ont un grande place. Autant qu’on sache, les architectes grecs n’élaboraient pas de projets graphiques très détaillés : des maquettes en tenaient lieu, et, sur le chantier, des ouvriers disposaient de modèles en vraie grandeur, en bois ou en terre cuite, des différents types de blocs à tailler. La conceptualisation semble donc avoir été assez limitée et peut-être la plupart des architectes s’apparentaient-ils à ces charpentiers grecs qu’on voit aujourd’hui encore, construire des chalutiers sans le moindre plan, guidés par l’instinct que constitue une tradition vivante. La modestie des appointements versés aux architectes grecs indique d’ailleurs qu’ils étaient généralement considérés comme des artisans spécialisés, conception et réalisation n’étant pas aussi distinctes que de nos jours. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : l’existence, dans les grand bâtiments civils et religieux, d’un module, souvent le diamètre inférieur de la colonne – dimension de base d’où sont déduites toutes les autres, ce qui facilite considérablement la conception d’ensemble et la taille des blocs en permettant l’application et la variation des recettes éprouvées. Dans la plupart des cas, l’architecte ne devait guère s’aventurer au-delà de ces proportions arithmétiques simples qui assuraient la régularité du bâtiment. C’est la même démarche qu’illustre l’urbanisme modulaire mis au point par Hippotamos de Milet.
Bernard Holtzmann. Le Grand Atlas de l’architecture mondiale. Encyclopædia Universalis. 1988
L’Égypte se fige de plus en plus et n’est plus à même d’être une lumière pour les autres peuples de la région. Hérodote le constate et Diodore aussi qui dit combien Pharaon n’est plus que l’exécutant de rituels devenus des coquilles vides.
Les Égyptiens sont les plus scrupuleusement religieux de tous les hommes et voici quelques unes de leurs coutumes : ils boivent dans des coupes de bronze qu’ils fourbissent chaque jour et ceci n’est point l’usage d’un petit nombre, mais de tous. Ils sont très soigneux et portent des vêtements de lin toujours lavés de neuf. Ils pratiquent la circoncision comme mesure de propreté corporelle, car ils mettent l’hygiène au-dessus de l’apparence… Ils tiennent des assemblées solennelles, non pas une fois par an, mais très souvent… Ils conservent pieusement les rites de leurs ancêtres et n’y ajoutent rien..
Hérodote. Histoire II, Paragraphe 37
L’Égypte atteignit les sommets spirituels à un stade extrêmement reculé de l’histoire humaine ; les prodigieuses réalisations intellectuelles et techniques des premières dynasties, l’édification d’une grande nation ayant à sa tête un souverain d’essence divine, une foi qui eut l’audace de nier la mort, le respect de la valeur individuelle, le nouvel et triomphal élan qui suivit les désillusions de la Première Période Intermédiaire, la formulation du principe d’une justice sociale égale pour tous, l’élaboration d’une culture civilisée au sens plein du terme, la création du premier grand impérialisme, l’institution du culte d’un dieu universel, la découverte, enfin, – imputable d’ailleurs à une minorité d’esprits – de la notion de miséricorde divine, toutes ces acquisitions, hormis la dernière, sont à mettre au crédit du système qui régit l’Égypte de 3000 à 1250 avant Jésus-Christ.
Rien de comparable ne prit naissance au cours de la lente pétrification qui commence dès 1100 avant Jésus-Christ. En vérité, tout au long de son histoire, l’Égypte perdit, l’une après l’autre, ses capacités les plus exceptionnelles. L’évolution ne se fit pas par un cumul d’acquisitions s’ajoutant les unes aux autres : à l’heure de la justice sociale, l’Égypte avait cessé d’être scientifiquement créatrice et quand elle découvrit l’universalisme du divin, elle ne se souciait plus de la valeur intrinsèque de l’individu ! Chaque fois que l’on atteignait un nouveau sommet, on perdait le souvenir de ceux auxquels on s’était précédemment élevé et l’on cultivait seulement la vague certitude que le passé, qui avait connu des hauteurs sublimes, exigeait d’être solennellement révéré.
John A. Wilson. L’Égypte, vie et mort d’une civilisation Arthaud 1961
Jacques Laccarière aura toujours été un homme libre… j’ai choisi d’être cigale plutôt que fourmi. En 2001, il publiera un Dictionnaire amoureux de la Grèce. C’est déjà un monsieur âgé – il va mourir en 2005 – son écriture se fait encore plus libre et spontanée, et c’est une lettre d’amour qu’il adresse à son cher Hérodote… et comment résister à reprendre une lettre d’amour :
Que de lieux, de paysages, de villes antiques j’ai pu parcourir sur ses pas ! Que de merveilles j’ai pu entrevoir grâce à lui et que d’instants précieux il m’a permis de vivre ! Les cours, les salles, les statues des sanctuaires d’Égypte, les palais des rois achéménides de Perse, les terrasses des jardins suspendus de Babylone, les oasis des déserts de Libye, et jusqu’aux steppes de Scythie quand monte au loin la poussière d’une troupe nomade ! Tout cela en le lisant, bien sûr, mais plus encore en le traduisant, en déchiffrant page après page les chemins de son incroyable aventure. Car Hérodote fut le premier à parcourir le monde antique avec l’intention et le désir de le connaître et non pour commercer ou guerroyer. Et, surtout, il rapporta sous le titre Enquêtes le récit très détaillé de ses voyages. En un mot ou plutôt en quatre, Hérodote est parti pour connaître, enquêter, décrire et rapporter. Non pas décrire des impressions momentanées ou des émois intimes, non, mais tout ce qu’il pouvait rencontrer d’étrange, d’intéressant, de surprenant, d’enrichissant. Rien n’échappe à son œil de premier découvreur de l’histoire et certaines de ses descriptions sont des morceaux d’anthologie. Comme, par exemple, cette page sur l’Égypte où il énumère les coutumes déconcertantes de la vie quotidienne. Je ne peux résister au plaisir de la citer :
Les Égyptiens, qui vivent sous un climat singulier, qui possèdent un fleuve au caractère profondément différent de celui des autres, ont adopté, en toute chose ou presque, des coutumes et des principes inverses de ceux des autres hommes. Chez eux, ce sont les femmes qui font le marché et tiennent les boutiques, et les hommes qui restent à tisser à la maison. Dans les autres pays, on tisse en poussant la trame vers le haut, en Égypte vers le bas. Les hommes portent les fardeaux sur leur tête, les femmes sur leurs épaules. Les femmes urinent debout, les hommes accroupis. Ils font leurs besoins chez eux, et mangent dans les rues, en vous expliquant qu’il faut satisfaire en secret les besoins honteux et publiquement ceux qui ne le sont pas. Aucune femme ne peut être prêtresse. L’exercice du culte est réservé aux hommes. Rien n’oblige le fils à nourrir ses parents s’il n’en a pas envie, mais la fille y est absolument tenue, que cela lui plaise ou non. Dans tous les pays, les prêtres portent les cheveux longs, en Égypte ils se les rasent. Chez les autres peuples, les proches parents d’un mort se rasent la tête en cas de deuil, en Égypte ils se laissent pousser la barbe et les cheveux qui, jusqu’alors, étaient rasés. Les autres peuples vivent à l’écart de leurs bêtes, les Égyptiens vivent avec elles. Les autres se nourrissent de blé et d’orge, ce qui en Egypte est très mal vu. Leur pain, ils le font avec une variété d’épeautre qu’on appelle zeïa. Ils pétrissent la pâte avec les pieds, réservant leurs mains pour la glaise et le fumier. Partout ailleurs, on laisse les parties sexuelles comme les a faites la nature. En Égypte, et là où se sont introduits ses usages, on les circoncit. Chaque homme a deux vêtements, les femmes un seul. Les anneaux et les cordages des voiles sont fixés partout à l’extérieur du bordage, en Égypte, à l’intérieur. Pour écrire et compter, les Grecs déplacent la main de gauche à droite, les Égyptiens de droite à gauche, tout en prétendant qu’ils écrivent à l’endroit et les Grecs à l’envers. Ils utilisent, de plus, deux écritures : les hiéroglyphes et l’écriture populaire.
Quoi qu’aient pu en penser ses contemporains et les historiens ultérieurs, je tiens Hérodote, pour l’avoir fréquenté jour après jour et ligne après ligne pendant des mois, pour un des grands éclaireurs du monde de son temps, un précurseur de tous les ethnologues, éthologues, anthropologues, explorateurs, reporters dont beaucoup d’ailleurs s’en réclameront. De plus, il ne fut pas qu’un raconteur d’histoires, un géographe amateur, un collecteur de contes. Beaucoup de réflexions, d’aphorismes, voire de maximes glanées ici et là en font aussi, à certains moments, un philosophe autant qu’un logographe, comme on nommait alors les auteurs de récit. N’oublions pas qu’en un temps où la vision qu’on avait du monde était des plus sommaires, il sut l’élargir et lui donner sa véritable dimension. À propos de la forme et de l’étendue de la Terre, par exemple, il affirme dans sa seconde Enquête que celle-ci ne peut être plate et qu’elle doit être ronde ! Il pense aussi que les coutumes si diverses et si différentes des peuples rencontrés sont une source de richesse, car toutes les coutumes ont leur raison d’être. Quelles leçons de modestie, d’ouverture et de tolérance ! Son univers est inépuisable. Et puis, n’oublions pas non plus qu’avec lui, ce ne sont pas seulement les extrémités de la terre connue qu’on découvre, ce n’est pas seulement l’espace qu’on traverse, mais aussi le temps. Très souvent, pour connaître et approfondir le sens de telle coutume, croyance ou sacrifice, il enquête sur les origines du peuple ou de la communauté en question. Et connaître cela, savoir d’où nous venons, est plus important à ses yeux que de savoir d’où vient le Nil. De même pour l’origine de tel ou tel mot. En d’autres temps, Hérodote aurait fait un parfait linguiste comparatif ! Ses méthodes ne sont pas toujours très rigoureuses, mais quand on se déplace sur les chemins sans fin des peuples et du savoir, on apprend parfois plus de choses en s’égarant qu’en suivant les sentiers battus.
Jacques Lacarrière. Dictionnaire amoureux de la Grèce. Plon 2001
Ce n’est pas s’inscrire en faux contre cette déclaration d’amour que de situer les limites du cher homme qui parla de bien des choses en se trompant parfois sur l’essentiel : Je ne puis m’empêcher de rire quand je vois quelques gens [Anaximandre et Hécatée de Milet probablement] prétendre […] que la terre est ronde comme si elle eut été travaillée au tour, que l’Océan l’environne de toutes parts, et que l’Asie est égale à l’Europe.
Hérodote. Histoires
Carthage envoie les deux petits fils de Magon, – le fondateur de Port Mahon, aux Baléares -, en tournée de prospection commerciale dans l’Atlantique, l’un vers le nord, en direction des îles britanniques, l’autre, Hannon, vers le sud, le long des côtes marocaines, pour amener des renforts de population dans les établissements existants : Mehdya, au nord du cap Cantin, et Cerné, au sud. Mais, une fois remplie cette mission, Hannon ne fit pas demi-tour, et continua pendant plus d’un mois cap au sud, voulant très probablement réorganiser le trafic de l’or du Soudan. Le bref récit qu’il fit au retour est troublant, car il est évident qu’il cherche à brouiller les pistes, pour que personne d’autre que lui ne profite de ses découvertes, et d’autre part, il mentionne des faits qui ne peuvent pas avoir été inventés : un feu gigantesque sur une montagne : serait-ce le Mont Cameroun au fond du golfe de Guinée, à 4 070 mètres, ou plus proche et plus bas le Kakoulima à 70 km de Konakry en Guinée ? Il parle de la capture de trois femmes sauvages au corps velu que nos interprètes appelaient gorilles : s’agit-il de gorilles du Gabon, – aujourd’hui on n’en trouve pas à des latitudes plus élevées, ou bien de gorilles alors présents en Sierra Leone ? De toutes façons, il est certain que Hannon a exploré la côte africaine jusqu’au 8° parallèle, la latitude entre Freetown et Monrovia, et que Carthage a pu ainsi exploiter l’or soudanais jusqu’à sa destruction en 146.
Carthage engendrera une population d’excellents commerçants n’hésitant pas à se rendre au-delà des terres connues pour y pratiquer de fructueux échanges. Leur mode de négociation est peu commun : après avoir étalé divers articles sur la grève, les marchands carthaginois remontent sur leurs navires, d’où ils signalent leur présence par une colonne de fumée. Aussitôt les Africains se rendent sur la rive, examinent les marchandises proposées et déposent sur le sable l’or qu’ils estiment nécessaire au paiement de la cargaison. Puis ils repartent. De nouveau les Carthaginois débarquent sur la plage : si la masse d’or laissée par les acheteurs leur convient, ils repartent chez eux sans tarder ; sinon, ils regagnent leurs bateaux et attendent que les Africains rajoutent de l’or. La transaction se fait toujours en toute honnêteté pour chacune des parties.
L’Histoire du Monde. Larousse 1996
Loin à l’ouest, à Elche, côte méditerranéenne de l’Espagne, aujourd’hui connue pour sa splendide oasis et ses orangers, il est un sculpteur qui immortalise la Dame d’Elche, dont on dira qu’elle est le chef d’œuvre de la civilisation ibère, faute d’avoir plus d’informations sur elle :
~ 449
Après une énième bataille navale gagnée par Cimon à Salamine de Chypre contre les Perses, Périclès conclue avec ces derniers la paix de Callias, par laquelle la Perse reconnaît l’autonomie des villes grecques d’Asie, renonce à envoyer ses escadres en mer Égée mais conserve en Méditerranée orientale deux satrapies : l’Égypte et Chypre. En ~ 446, un autre traité entérinera le partage du monde grec entre Sparte, puissance terrestre et Athènes, puissance maritime.
de ~ 447 à ~ 432
En hommage à Athéna, déesse mère de la cité, et avec les fonds de la Ligue de Delos, Périclès fait construire le Parthénon, sur un emplacement autre que le temple archaïque détruit par les Perses 33 ans plus tôt : il confie le chantier à Phidias, – bronzier de son métier – qui travaillera avec de nombreux artistes dont les architectes Ictinos et Callicratès : 69.5 m. de long pour 30.88 m. de large : c’est plus un grand coffre fort qu’un temple : sa fonction première est d’abriter le trésor de la Ligue de Delos. La statue chryséléphantine [or et ivoire sur une âme de bois] d’Athéna Parthenos, fait 12 mètres de haut. Elle disparaîtra vers le V° siècle après J.C., peut-être emportée à Constantinople. La frise sculptée qui fait le tour de la colonnade extérieure représente les 192 cavaliers athéniens morts à Marathon. Périclès fait aussi restaurer l’agora. À sa mort en ~ 429, seul le Parthénon était terminé ; l’ensemble de l’acropole ne sera achevé qu’à la fin du VI° siècle, sans la vision de Phidias, qui avait été exilé, car accusé de détournement d’or et d’ivoire.
En ~ 432 Périclès, 61 ans, doit s’employer à assurer la défense de la belle Aspasie, hétaïre originaire de Milet, en Asie, dont il est tombé – et resté – amoureux 20 ans plus tôt : les jaloux l’ont accusée d’impiété et de corruption ; et c’est encore en vainqueur qu’il sort de l’une de ses dernières joutes. De chaque mer, de chaque contrée, nous avons su faire une voie royale pour satisfaire nos désirs, et partout, nous avons laissé derrière nous d’impérissables monuments. […] Nous savons concilier le goût du beau avec la simplicité et le goût des études avec l’énergie.
Périclès, chaque année réélu stratège de ~ 443 à ~ 429.
Il n’avait pas acquis sa puissance par des moyens illicites, il ne flattait pas le peuple dans ses discours et il savait au besoin lui résister avec autorité et colère.
Thucydide, II, 65
Le siècle de Périclès dura en fait quinze ans, au cours desquels le gouvernement était une démocratie de nom, tandis qu’en fait le pouvoir était aux mains du premier citoyen (Thucydide, II, 65).
L’activité de Périclès fut multiple. Il sut concilier l’impérialisme et la démocratie. À l’intérieur, il se borna à assurer le libre jeu des institutions telles que les avaient établies ses prédécesseurs. Tout au plus, complétant la réforme d’Ephialtès, avait-il protégé la loi après l’affaiblissement de l’Aréopage ; il institue en effet l’action criminelle en illégalité qui permet à tout citoyen de s’élever contre un projet de loi qui serait contraire à la législation établie. Il eut grand souci de la légalité ; dans les discours que lui prête l’historien Thucydide (II, 37) il est dit clairement que le gouvernement d’Athènes se nomme démocratie parce que le pouvoir y relève non d’un petit nombre, mais de la multitude. La loi y est égale pour tous dans les différends qui opposent les particuliers, et, seul, le talent entre en ligne de compte pour la désignation aux emplois publics, car tous les Athéniens participent directement aux affaires de l’État.
Périclès prit grand soin d’éviter toute mesure qui pût évoquer le pouvoir personnel. S’il se débarrassa de Thucydide le fils de Mélésias, ce fut par l’ostracisme, moyen légal, mais il ne ferma pas la bouche à l’opposition. Les poètes comiques comme Cratinos et Hermippos s’en prirent impunément à son physique ou à sa vie privée, raillant sa tête d’oignon ou ironisant sur sa liaison avec Aspasie, une Milésienne fort intelligente qu’il finit par épouser ; Périclès ne prit quelque ombrage de ces attaques que vers ~ 437, lorsque des insulaires comme Ion de Chio ou Stésimbrote de Thasos se mirent de la partie. Il s’émut davantage quand des procès d’impiété furent intentés à ses amis, contre Aspasie, contre Phidias, et surtout contre Anaxagore, mais il se soumit chaque année à la réélection et quand, en l’automne ~ 430, il fut destitué et condamné à l’exorbitante amende de cinquante talents, il accepta son sort, et fut réélu stratège quelques mois plus tard.
Sa politique extérieure s’attacha à maintenir l’hégémonie d’Athènes et de son empire. En 441 éclata un conflit entre Samos et Milet ; Samos était l’une des grandes îles alliées de l’empire. Elle refusa l’arbitrage d’Athènes. Périclès partit en personne avec quarante navires, installa un gouvernement démocratique à Samos et rentra. Mais après son départ, à la demande de certains Samiens, intervint le satrape perse Pissouthnès. Du même coup Byzance faisait défection. Cette ingérence perse était grave et l’exemple de Samos devenait contagieux. Aussi Athènes réagit-elle avec vigueur. Périclès reprit la direction des opérations. Après un siège de neuf mois, Samos capitula, au printemps de ~ 439, et fut traitée très durement car elle devint sujette. Byzance subit le même sort, et le tribut de la Propontide fut alourdi, par représailles.
[…] Le prestige d’Athènes demeurait intact. Grâce à sa flotte et grâce à son empire, Athènes était en relations avec tout le monde grec et Thucydide pouvait faire dire à Périclès (II, 38) : L’importance de notre ville y fait affluer les denrées de toute la terre, de telle sorte que même les produits de l’étranger sont pour nous d’un usage aussi facile et habituel que ceux de notre propre territoire.
Yves Bequignon. La Grèce archaïque et classique. 1956
~ 431
La guerre du Péloponnèse vient assombrir le ciel grec pour de longues années : de ~ 431 à ~ 421, et de ~ 414 à ~ 404 : 20 ans coupés de 10 ans d’interruption (~ 421 à ~ 414) : la puissance et le rayonnement d’Athènes aiguisa les querelles entre cités, et particulièrement entre les premières d’entre elles : Athènes, Sparte et Thèbes, mais le réseau d’alliances était tel que toute la Grèce fût concernée. Périclès ne s’y était pas trompé :
Je vous signalerai un autre point auquel vous ne paraissez pas avoir jamais songé… c’est la grandeur de votre domination… Ne croyez pas qu’une seule chose soit en cause, l’esclavage au lieu de la liberté. Il s’agit de la perte de l’empire et de tous les dangers qu’entraînent les haines soulevées dans l’exercice du commandement. Vous en dessaisir n’est même plus désormais en votre pouvoir… Il en est aujourd’hui de votre domination comme de la tyrannie ; s’en emparer semble injuste, mais s’en dessaisir est périlleux.
La stratégie adoptée par Périclès, essentiellement défensive, amènera les populations d’Attique à se réfugier à Athènes, où les mauvaises conditions d’hygiène favorisèrent le développement d’une épidémie de peste. Il mourut à l’automne : la mort de ses 2 fils emportés par la peste, les attaques contre sa stratégie, eurent raison de ses 64 ans.
N’ouvrez aucune négociation avec les Spartiates et ne faites point paraître que les épreuves présentes vous accablent ; car ceux qui, en face du malheur, montrent le moins d’affliction dans leurs sentiments et, dans leur conduite, le plus de résistance, ceux-là, qu’il s’agisse d’États ou d’individus, sont bien ceux qui l’emportent.
Dernière phrase de son oraison funèbre
Thucydide s’en fera l’historien avec sa Guerre du Péloponnèse, qui s’interrompt brutalement au milieu d’une phrase en ~411. Xénophon écrira les Helléniques qui décrivent les sept dernières années de guerre.
En ce qui concerne les discours prononcés par les uns et les autres, soit juste avant, soit pendant la guerre, il était bien difficile d’en reproduire la teneur même avec exactitude, autant pour moi, quand je les avais personnellement entendus, que pour quiconque me les apportait de telle ou telle provenance : j’ai exprimé ce qu’à mon avis ils auraient pu dire qui répondit le mieux à la situation, en me tenant, pour la pensée générale, le plus près possible des paroles réellement prononcées : tel est le contenu des discours.
D’autre part, en ce qui concerne les actes qui prirent place au cours de la guerre, je n’ai pas cru devoir, pour les raconter, me fier aux informations du premier venu, non plus qu’à mon avis personnel : ou bien j’y ai assisté moi-même, ou bien j’ai enquêté sur chacun auprès d’autrui avec toute l’exactitude possible.
J’avais, d’ailleurs, de la peine à les établir, car les témoins de chaque fait en présentaient des versions qui variaient, selon leur sympathie à l’égard des uns ou des autres, et selon leur mémoire.
Thucydide. Le guerre du Péloponnèse, I, XII, 1-3, tard. de Jacqueline de Romilly, L. Bodin, R. Weil, Les Belles Lettres 1953, réédition 2019
vers ~ 420
Sus aux jeunes est une vieille chanson : Notre jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais.
Socrate, ~ 470 – ~ 399
~ 404
Les Spartiates de Pausanias, sur terre et de Lysandre, sur mer, entrent victorieux au Pirée, grandement aidés par les trahisons à répétition d’Alcibiade. En 410, Athènes avait encore la maîtrise de la mer, mais en moins de dix ans, Lysandre était parvenue à donner à Sparte une flotte remarquable. Se refusant à suivre les pressions de Thèbes et de Corinthe pour raser la ville, Sparte ne détruit que les fortifications, et saisit la flotte. Cette victoire ne mettra nullement fin aux guerres entre cités qui s’éterniseront jusqu’en ~ 346, quand Philippe II de Macédoine parviendra à s’assurer l’hégémonie.
Alcibiade, né à Athènes vers 450 avant Jésus-Christ, appartenait par sa mère aux meilleures familles d’Athènes. Beau à couper le souffle, athlète accompli, régulièrement couronné aux jeux olympiques, orateur hors pair, il jouissait de l’admiration des femmes et de l’adhésion des hommes. Entré tôt en politique, il réussit à s’imposer par son faste – il dilapide la fortune familiale – , en assurant de coûteux services publics destinés à lui créer une clientèle. Au plan militaire, il propose [en ~ 415] un plan audacieux pour asseoir la puissance d’Athènes contre Sparte, en prenant le contrôle de Syracuse, en incorporant la Sicile dans l’empire athénien, ainsi que Carthage, la Libye et l’Italie. Autant d’aventures qui finiront par un désastre, affaiblissant Athènes au lieu de la renforcer. Banni, Alcibiade trahira deux fois. En se réfugiant à Sparte tout d’abord, où il complote pour revenir à Athènes en triomphateur. Chassé de Sparte où il était devenu trop encombrant, Alcibiade se réfugiera alors en Perse, chez le pire ennemi de la démocratie athénienne.
Yves Mamou. Le Monde 3 juillet 2010
L’expédition militaire contre la Sicile avait débuté sous de mauvaises auspices : le tyran Hipparque avait fait dresser sur les routes athéniennes des Hermès – le dieu du passage et du voyage -, bornes sacrées qui marquaient les limites ou les carrefours du territoire, tête barbue et sexe en érection, et ces attributs avaient été martelés et mutilés. On s’en est pris aussi aux mystères d’Eleusis… bref on a rompu l’équilibre avec les dieux. Et Alcibiade se retrouvait au cœur de l’enquête menée pour trouver les coupables. Il sera finalement blanchi mais après avoir abandonné le commandement de l’expédition et s’être réfugié à Sparte. Sparte et Corinthe viendront soutenir la puissante armée syracusaine, qui feront capituler l’armée athénienne dont les chefs seront mis à mort, les survivants enfermés dans les sinistres latomies, – des carrières. Athènes aura perdu environ 10 000 hommes, son plus grand désastre.
~ 401
En Perse, Cyrus le Jeune dispute le pouvoir à son frère Ataxerxes II. Il a recruté des mercenaires grecs et son armée défait les troupes de son frère à Counaxa, proche de Babylone. Il est tué et les mercenaires se retrouvent isolés en pays ennemi : même vainqueurs, la situation n’est pas enviable. Ils prennent pour chef le jeune Xénophon, qui relatera la retraite des dix mille dans Anabase. Sept mois plus tard, il arrivaient à Trébizonde, sur les bords de la mer Noire, s’écriant Thalassa, Thalassa, et ils se mirent à danser devant les vagues éclatantes où souriaient leurs dieux. Ils étaient de retour au pays mais leurs misères n’en étaient pas pour autant terminées, se découvrant condamnés de fait au statut de paria.
Les Grecs, éloignés de six cents lieues de leur pays, enveloppés par une armée victorieuse, ne se découragèrent point, et firent face de toutes parts au danger : quoique privés de leur chef, dont le satrape Tyssapherne se défit par la plus noire trahison, se rappelant tout à coup la gloire de leurs ancêtres, s’animant les uns les autres, ils exécutèrent, sous la conduite de Xénophon, cette retraite si admirée de tous les âges, dont le succès fit trembler les Perses, et réveilla la fierté de la Grèce entière. Ces braves gens eurent à traverser des fleuves, des rivières, à franchir de hautes montagnes et, vainqueurs de la soif, de la faim, de l’ennemi, de la nature et de tous les obstacles imaginables, se rendirent, des rives de l’Euphrate aux bords du Pont-Euxin, après une marche pénible qui dura plus de quatre mois.
M.E. Jondot. Tableau historique des nations. 1808
vers ~ 400
Le doux et l’amer, le chaud et le froid, les couleurs ne sont que des apparences. En réalité, il n’y a que les atomes et le vide. Tout ce qui existe procède des chocs et des combinaisons qui ont lieu entre d’infimes corpuscules insécables, tous faits de la même matière et doués de mouvements, les atomes… Ces atomes sont invisibles.
Démocrite, disciple de Leucippe.
Le principe de base de la théorie de Leucippe et de Démocrite est l’existence de deux choses : les atomes et le vide ; ainsi, le monde est composé de blocs de matière dans un océan de vide total. Les atomes sont une substance solide, dont le nombre et les formes sont infinis, et la plupart d’entre eux, si ce n’est pas tout, sont trop petits pour être visibles ; en fait, dans une forme ultérieure de la théorie, soutenue au siècle suivant par le Ionien Épicure, il était certain que les atomes étaient petits au point d’être invisibles. Un atome ne peut être sectionné ou divisé d’aucune manière et il est totalement impénétrable. Tous les atomes sont perpétuellement en mouvement dans le vide.
Quand un groupement d’atomes est divisé, un vide se produit et, comme les atomes ont tendance à s’assembler, ils forment une sorte de pellicule lorsqu’ils s’agrègent les uns aux autres. Cette pellicule est une enveloppe de forme sphérique qui contient tout notre univers. Cependant, cette bulle sphérique n’est pas unique. Étant donné qu’il n’y a pas de limites à l’étendue du vide ni au nombre des atomes, beaucoup d’autres bulles sphériques, beaucoup d’autres univers peuvent exister à coté du nôtre et ils varient beaucoup par la taille et le contenu : l’un peut ne pas avoir de soleil, l’autre pas d’animaux, etc. Et, de temps à autre, ces univers peuvent entrer en collision et être détruits.
Tout ce que nous voyons autour de nous est composé d’atomes et de vide : il doit en être ainsi parce que rien d’autre n’existe. Les substances sont différentes les unes des autres parce que leurs atomes diffèrent soit par leur forme, soit par la façon dont ils sont combinés. De plus, les atomes peuvent être proches au point de se toucher – ils donnent alors une matière dense et rigide – ou rester à une certaine distance les uns des autres et donner dans ce cas une matière molle et flexible. Assez bizarrement, il semble que Démocrite n’ait pas postulé que les atomes ont un poids intrinsèque ; cette proposition fut émise par Épicure. Par ailleurs, Démocrite croyait que les atomes n’interrompaient pas leurs mouvements individuels après s’être intégrés à un corps ; cette intégration restreignait seulement la liberté de leurs mouvements, conséquence d’une nécessité qu’il estimait être une cause inhérente, indépendante des conditions extérieures.
Assurément, la gamme d’expériences quotidiennes que la théorie atomiste pouvait expliquer était très vaste. Le goût, l’odorat, le toucher, la vue et l’ouïe étaient tous des résultats du fonctionnement atomiste : le goût avait pour cause le contact direct entre les atomes d’une substance et ceux de la bouche, les sons étaient engendrés par des atomes qui s’imprimaient sur les atomes ambiants de l’air, lesquels portaient cette empreinte jusqu’à l’oreille ; la vue et l’odorat étaient des empreintes identiques, transmises par l’air, tandis que le toucher était un mécanisme de contact, comme le goût. Et ce n’était pas tout ! La théorie atomiste pouvait expliquer une série bien plus étendue de phénomènes. Le feu et l’âme humaine étaient tous deux atomistes, l’un et l’autre composés d’atomes sphériques extrêmement rapides qui ne pouvaient se lier entre eux. À la mort, les atomes de l’âme se séparaient du corps mais ils le faisaient très lentement, c’est pourquoi les cheveux et les ongles continuaient encore de pousser pendant quelque temps. Les atomes de l’âme avaient pour tâche de produire de la chaleur dans un corps et de lui donner la capacité de bouger ; en fait, ils étaient une force vitale, la véritable essence de la vie. Mais, une fois qu’ils s’étaient séparés, c’était la mort et, qui plus est, il ne restait rien. Les atomes de l’âme se dispersaient et tout était terminé. Il n’y avait pas de vie au-delà de la mort car il n’y avait pas d’âme pour la vivre.
Il s’agissait non seulement d’une doctrine nouvelle, mais d’une doctrine matérialiste. Pour Démocrite, tout était prédéterminé, en ce sens que tout résultait de la pure et simple relation de cause à effet parmi les atomes. Le hasard jouait certainement son rôle mais cela ne changeait rien à la prédétermination des événements, seulement à notre incapacité de les prédire. C’était une théorie logique et ingénieuse, qui expliquait de nombreux phénomènes, mais elle relevait essentiellement d’un exercice de spéculation scientifique. Elle diffère de façon très prononcée de la théorie atomique moderne parce que notre théorie, dont les fondements furent jetés au XIX° siècle, est basée sur des mesures soigneuses et sur une analyse chimique précise ; la théorie atomiste grecque ne peut donc être confondue avec elle car, si brillante soit la première sur le plan intellectuel, elle n’était pas l’aboutissement de techniques expérimentales.
En dépit de leurs nombreux et indéniables attraits, les atomes de Démocrite n’occupèrent pas une place durable dans le grand courant de la science grecque. Épicure admit très certainement leur existence et ils faisaient partie de sa philosophie matérialiste. De même, ils font partie intégrante du long exposé poétique, le De natura rerum (De la nature des choses), du Romain Lucrèce (Titus Lucretius Carus), écrit au I° siècle avant J.C. Ce n’était pas vraiment un poème scientifique mais il recommandait aux Romains la philosophie épicurienne ; cependant, c’est dans la doctrine philosophique d’Épicure que la théorie atomiste demeura enfouie et, finalement, ensevelie.
Colin Ronan. Histoire mondiale des sciences. Seuil. 1988
Archytas de Tarente invente la vis – que l’histoire voudra attribuer à Archimède – et la poulie : les premiers engins de levage voient le jour : chèvres et grues, treuils, palans, moufles : on peut ainsi monter pierres et colonnes, en se passant des rampes égyptiennes, coûteuses et longues à réaliser. La noria se répand sur tout le pourtour méditerranéen, selon deux principaux types de roue : à compartiments ou à chaîne.
La noria est une machine dont l’effet est d’élever les eaux du fond d’un puits. Elle est simple, peu dispendieuse, soit pour la construction, soit pour l’entretien. On conçoit qu’elle doit durer longtemps, et rendre un grand produit. Elle subsiste en Espagne de temps immémorial. On présume qu’il en faut attribuer l’invention aux Maures.
Diderot. Encyclopédie.
Hippocrate de Cos [~ 460 – ~ 377] rationalise l’approche de la maladie, se refusant à y voir l’œuvre d’un Esprit malin, tout comme l’intervention d’une divinité bienfaisante dans la guérison. Il base sa médecine sur la théorie des humeurs : le sang, le phlegme, la bile jaune et la bile noire, caractérisées par les quatre qualités primordiales traditionnelles de l’Antiquité : ainsi le sang est chaud et humide, le phlegme froid et humide, la bile noire froide et sèche, la bile jaune chaude et sèche. Cette théorie, relayée par Galien, séduira durablement des générations de médecins jusqu’au XVIII° siècle. Toutefois, comme il est issu d’une famille prétendant descendre d’Asclépios (Esculape), il continua à se placer sous le patronage des dieux, invoquant Apollon, dieu guérisseur ou punisseur (il envoie la peste à l’humanité), son fils Asclépios (dieu de la médecine) et ses petites filles Hygié (déesse personnifiant la santé) et Panacée (qui guérit toutes les maladies en utilisant les simples). Le nom Pharmakos signifie poison et remède : tout ce qui guérit peut rendre malade. Ce monsieur ne vouait pas aux gémonies ce que l’on nommera plus tard les remèdes de bonne fame, – du latin fama : réputation – puis encore plus tard, par simple dérive et pesanteur de la bêtise, les remèdes de bonne femme :
Il ne faut pas rougir d’emprunter au peuple ce qui peut être utile à l’art de guérir.
Cadet d’Hippocrate d’une génération, Platon [~428- ~348] se montrera plutôt critique face à la médecine de son temps : La grande erreur des médecins à notre époque est de séparer l’âme du corps.
Le texte du Serment d’Hippocrate ne changera pas au cours des siècles : il régira l’exercice de la médecine et de la pharmacie [3]:
Je jure par Apollon le Guérisseur, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, que je prends à témoins, de tenir intégralement, selon mes capacités et mon jugement, le serment et l’engagement qui suivent : de mettre celui qui m’a appris cet art au même rang que mes père et mère, de partager avec lui mes moyens d’existence, de l’aider dans ses difficultés le cas échéant, de considérer ses enfants comme mes frères, de leur enseigner aussi cet art, s’ils souhaitent l’apprendre, sans salaire et sans promesse de dédommagement de communiquer les préceptes, leçons orales et toute autre forme d’enseignement à mes fils et aux fils de celui qui m’a instruit, ainsi qu’aux étudiants qui ont pris l’engagement et prêté le serment selon la loi médicale, et à nul autre. J’utiliserai les régimes pour le bien des malades, selon mes capacités et mon jugement, et je m’interdirai de m’en servir pour le mal et l’injustice. Je ne donnerai de substance mortelle à personne, si on m’en demande, et je ne prendrai pas l’initiative de semblable conseil. De même, je ne donnerai pas à une femme un pessaire abortif. Je conserverai ma vie et ma profession dans la pureté et la sainteté. Je n’opérerai pas les malades de la pierre, je laisserai ce soin aux chirurgiens. Dans toutes les maisons où j’entrerai, ce sera pour le bien des malades, et je m’abstiendrai de toute injustice volontaire et de toute corruption, en particulier de pratiques amoureuses sur la personne des femmes et hommes libres et esclaves. Ce que je verrai ou entendrai au cours de la cure, ou même en-dehors de la cure, concernant la vie privée, s’il ne faut jamais en parler à l’extérieur, je le tairai, considérant la divulgation de telles choses comme interdite. Si donc je tiens intégralement ce serment et ne le viole pas, puisse-t-il m’être donné de retirer des satisfactions de ma vie et de mon art, dans la jouissance perpétuelle de l’estime générale ; si je viole le serment et que je me parjure, que ce soit l’inverse !
Traduction de Jacques Lacarrière
Les médecins grecs utilisaient des drogues végétales qui, pendant des siècles, furent récoltées par les rhizotomoi, ou ramasseurs de racines. Ils recueillaient plantes et racines pour la sorcellerie aussi bien que pour la médecine et, au cours des âges, ils avaient amassé un trésor de connaissances sur leur efficacité. Ils croyaient aussi que la cueillette devait être faite à des époques appropriées – de nuit ou pendant une phase précise de la Lune – et s’accompagner parfois d’incantations. On estimait que leur tâche n’était pas dénuée de danger. Selon la formule heureuse d’un historien, couper des plantes et arracher des racines à la Terre Mère était analogue au fait d’arracher des poils au pelage d’un tigre endormi ; l’opération n’était exempte de danger que si les précautions appropriées avaient été prises. Bien entendu, il était du devoir du médecin de rassembler ce savoir et de déterminer les dosages adéquats et les applications correctes.
Naturellement, l’esprit grec ne se satisfaisait pas de la seule pratique médicale ; il lui fallait aussi un peu de théorie. Comme nous l’avons déjà vu, les différentes écoles de pensée grecques avaient tendance à considérer le monde chacune à sa manière et l’on ne s’étonnera pas de découvrir qu’il en fut de même en médecine. Dès les débuts de son histoire, la médecine grecque fut divisée en quatre écoles principales. L’une était pythagoricienne et son maître, Alcméon de Crotone, enseignait que la santé était due à un équilibre de forces dans le corps ; contrairement aux croyances de son temps, il considérait le cerveau comme le siège des sensations. L’astronome Philolaos, qui s’intéressait aussi à la théorie médicale, appartenait à cette même école et se distingua en séparant pour la première fois les fonctions sensorielles, animales et végétatives.
La seconde école grecque de médecine fut l’école sicilienne, apparemment fondée par Empédocle d’Agrigente, que nous avons déjà rencontré à propos de la théorie des quatre éléments. Il eut deux disciples, Acron et Philistion, qui tous deux soulignèrent l’importance de l’air à l’intérieur et à l’extérieur du corps ; on attribue également à Acron la rédaction d’un ensemble de principes pour conserver la santé. Dans la troisième école, ionienne, on pratiquait un peu la dissection anatomique. Dans la quatrième, située à Abdère, on insistait énormément sur l’usage médicinal de la gymnastique et de la diététique. Un de ses maîtres, l’atomiste Démocrite qui pourrait avoir connu Hippocrate de Cos, s’intéressait beaucoup à ce que nous appellerions aujourd’hui la médecine psychosomatique, tout en s’occupant également de nombreux autres aspects de la science médicale. Hérodicos était un autre membre de cette école et l’on dit qu’il aurait été le maître d’Hippocrate.
Les quatre écoles de pensée médicale apparurent très tôt et, à l’époque d’Hippocrate, vers la fin du V° siècle et pendant les premières décennies du IV° siècle avant J.C, elles cédèrent la place à deux principaux centres d’étude médicale, situés l’un à Cnide, l’autre à Cos, distants de quelques kilomètres et seulement séparés par le golfe de Cos. La confrérie médicale de Cnide se concentra sur l’étude de certaines maladies et forma des spécialistes dans les domaines de la gynécologie et de l’obstétrique. L’école de Cos avait une approche plus générale, ainsi qu’un registre plus étendu, et il semble juste de dire qu’elle fut alors le premier centre de la médecine classique. C’est là qu’Hippocrate naquit vers 460 avant J.C.
Son enseignement et celui de ses confrères et disciples de Cos sont contenus dans un recueil de quelque soixante textes importants, connu sous le nom de Corpus hippocratique, mais il est difficile aujourd’hui de savoir avec certitude quelles parties en furent écrites par Hippocrate et lesquelles sont d’une autre main. Ces textes datent des dernières décennies du V° siècle avant J.C. et il semble qu’ils aient été finalement rassemblés par des érudits grecs à Alexandrie. Certains de ces traités semblent provenir de l’école de Cnide plutôt que de celle de Cos, et le célèbre texte intitulé la Nature de l’homme est presque certainement de Polybe, le gendre d’Hippocrate ; toutefois, il semble que bon nombre de ces traités soient l’œuvre d’Hippocrate.
[…] Du fait de l’immense prestige d’Hippocrate et des effets durables de son enseignement, qui se prolongèrent sans interruption jusqu’au Moyen Age, nous devons parler ici des attitudes mentales qui présidaient à l’école de médecine de Cos. D’abord et avant tout, il faut se rendre compte que le savoir anatomique y était rudimentaire. On connaissait les os, mais les médecins de Cos n’avaient qu’une très vague idée des organes internes. Cependant, il leur fallait disposer d’une approche générale du fonctionnement du corps s’ils voulaient soigner leurs patients avec méthode ; ils formulèrent donc la doctrine des humeurs ou liquides, une idée qui n’était pas neuve mais à laquelle ils donnèrent une base rationnelle. À l’origine, ce fut indéniablement grâce à l’observation que l’on découvrit que le corps de l’homme et celui de l’animal contenaient des liquides différents, tels que le sang et la bile qui avaient manifestement beaucoup d’importance. En effet, certains états physiques s’accompagnent de l’excrétion de liquides : un nez qui coule est le symptôme d’un rhume de cerveau, des vomissements et des diarrhées prouvent à l’évidence un état physique différent. Associées à la conception pythagoricienne de la santé, effet de l’équilibre dans le corps, ces observations conduisirent à la doctrine. Les quatre éléments d’Empédocle jouèrent aussi un rôle dans l’interprétation hippocratique où ils s’accompagnaient des quatre qualités : sécheresse, humidité, chaleur et froid. En conséquence, on pensait que le corps contenait quatre humeurs : le sang, la pituite, la bile et l’atrabile. Les quatre qualités leur étaient associées et, chez une personne en bonne santé, toutes se trouvaient en état d’équilibre ; un excès de l’une ou de deux d’entre elles aurait entraîné quelque désordre physique. Plus tard, au II° siècle après J.C, le médecin Galien étendit cette doctrine pour y inclure les quatre tempéraments, une forme de classification des hommes en sanguins (chaleureux et aimables), flegmatiques (lents et apathiques), mélancoliques (tristes et déprimés) et colériques (emportés et prompts à réagir). Cette classification aura cours en médecine jusqu’au XVII° siècle, de même que les quatre humeurs et les quatre qualités d’Hippocrate.
Les fièvres et les maladies étaient donc imputées à un déséquilibre des humeurs et qualités, mais on avait grand soin d’en distinguer les différents types, spécialement les maladies de poitrine et les effets divers de la malaria. Celle-ci, quant à elle, posait au médecin de sérieuses difficultés car un accès de malaria peut masquer d’autres maladies, ou du moins dénaturer leurs symptômes ; elle sévissait sur le pourtour méditerranéen, si bien que les médecins hippocratiques étaient souvent confrontés à ces difficultés. Cependant, bien qu’ils examinassent leurs patients avec un soin extrême, on est surpris d’apprendre qu’apparemment ils n’avaient pas remarqué que la vitesse du pouls se modifie avec la fièvre ; il apparaît en effet que prendre le pouls était une phase de l’examen à laquelle ils se livraient rarement, peut-être parce qu’ils se préoccupaient moins de diagnostiquer une fièvre que de prévoir son évolution (pronostic). Après tout, le travail des médecins hippocratiques consistait à utiliser le pouvoir de guérison de la nature et c’est dans cette optique que le traitement était prescrit. Aussi, bien que le médecin eût à sa disposition les purgatifs et les émétiques, la diète absolue et même la saignée, il prescrivait aussi des bains et des massages, de la tisane d’orge, du vin et des infusions de miel pour essayer de calmer les souffrances et apporter détente et confort afin que la guérison naturelle pût se produire ; le médecin se souciait également du bien-être mental du patient.
Hippocrate est l’auteur du premier ouvrage de climatologie médicale. Son Traité des airs, des eaux et des lieux décrit les effets du climat et de l’environnement sur l’état de santé, spécialement sur la diffusion des épidémies, et s’intéresse à la nature de l’eau et des aliments du lieu, et à la nature des peuples eux-mêmes. C’était ouvrir un domaine totalement nouveau. Mais, de tous les livres du Corpus hippocratique, le plus célèbre fut certainement le recueil d’aphorismes. Aujourd‘hui encore, plus de deux mille trois cents ans après sa rédaction, la plupart des gens connaissent celui qui débute ainsi : La vie est courte, l’Art est lent, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse et le jugement difficile. En revanche, le second aphorisme est moins connu : Le médecin doit être prêt non seulement à accomplir lui-même son devoir mais aussi à s’assurer la coopération du patient, des assistants et de l’entourage. Il fait penser à ce qu’on a appelé le serment d’Hippocrate, adopté comme la règle de conduite de tous les médecins à travers les âges et qui met en relief le devoir du praticien de travailler pour le bien de ses patients et le caractère sacré de la confiance entre eux et lui.
Il est clair que l’école hippocratique visait des buts élevés, bien que les détracteurs d’Hippocrate l’aient parfois accusé de l’intéresser davantage aux connaissances générales qu’aux soins individuels. Cependant, il est vrai que nous trouvons chez Hippocrate et ses successeurs la première manifestation évidente en Occident de la médecine en tant que science.
Hippocrate inculqua un point de vue scientifique et employa des méthodes scientifiques dans un champ d’activité envahi par la magie et la crédulité. Ses opinions étaient prudentes et modérées et il rejetait aussi bien la philosophie et la rhétorique, quand elles n’étaient pas pertinentes, que la nuée des superstitions qui régnaient alors. De surcroît, Hippocrate a décrit en détail l’histoire de ses traitements, consignant ses échecs aussi bien que ses succès d’une manière strictement scientifique. En fait, il fut en Occident l’inventeur des rapports médicaux ; malheureusement, son exemple ne fut pas suivi et cette pratique ne reprit qu’au IX° siècle après J.C. en Islam, et pas avant le XVI° siècle en Europe.
Colin Ronan. Histoire mondiale des sciences. Seuil. 1988
La médecine occidentale, – besoin de reconnaissance, quête de respectabilité ? – fera grand usage de la mythologie grecque pour nombre de ses branches. Chaos avait engendré Nyx – la Nuit – , qui elle-même va engendrer Hypnos (hypnose) et son frère jumeau Thanatos (la mort), Morphée (le sommeil) et les Oneiri (les rêves). Le dieu de la médecine va être Asclepios – Esculape -, lui-même fils d’Apollon, dieu du Soleil et des Arts. Asclepios aura pour fille Panacée (le remède universel) et Hygie (hygiène).
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[1] alors le nom donné par les Grecs à tous ceux qui ne l’étaient pas.
[2] Lucien Jerphagnon qui aura comme élève Michel Onfray, avait un père haut-fonctionnaire qui, à ce titre, pouvait voyager en première classe, ce qu’il ne faisait pratiquement jamais. À son fils qui lui demandait un jour pourquoi il se privait de ce confort, il avait répondu : Que veux-tu, quand je vais en première, je m’emmerde ! Pour ce qui est de l’hybris, le religieux la renifle de loin : Matteo Salvini, encore jeune reçut un jour de son confesseur le conseil suivant : Matteo, Matteo, mets toi bien en tête que Dieu existe et que ce n’est pas toi.
[3] On se demande bien pourquoi d’ailleurs ces professions de santé se sont livrées pieds et poings liés à des préceptes énoncés voilà plus de vingt siècles, comme si le progrès des sciences ne pouvait en aucun cas modifier la donne, et qu’il était interdit de penser dès que l’on avait prêté ce serment. Il y a là un entêtement qui confine à la rigidité intellectuelle, qui peut aussi se nommer sottise.
[4] Le terme fût inventé par les jésuites de Pékin au XVIII° siècle.